14 minute read

THOMAS SANKARA

Un homme charismatique, anticolonialiste, panafricaniste et président à la poigne de fer.

Notre révolution n’aura de valeur que si, en regardant derrière nous, en regardant à nos côtés et en regardant devant nous, nous pouvons dire que les Burkinabés sont, grâce à elle, un peu plus heureux. Parce qu’ils ont de l’eau saine à boire, parce qu’ils ont une alimentation abondante, suffisante, parce qu’ils ont une santé resplendissante, parce qu’ils ont l’éducation, parce qu’ils ont des logements décents, parce qu’ils sont mieux vêtus, parce qu’ils ont droit aux loisirs ; parce qu’ils ont l’occasion de jouir de plus de liberté, de plus de démocratie, de plus de dignité. (…) La révolution, c’est le bonheur. Sans le bonheur, nous ne pouvons pas parler de succès.

Advertisement

C’est ainsi que Thomas Sankara, président du Burkina Faso, définissait le sens de son action, treize jours avant le coup d’Etat du 15 Octobre 1987 au cours

duquel il devait être assassiné.

Largement méconnu hors du continent noir, Sankara demeure dans bien des mémoires africaines. Aux yeux de beaucoup, il était celui qui disait la vérité, qui vivait proche de son peuple, qui luttait contre la corruption, qui redonnait l’espoir de voir l’Afrique retrouver sa dignité. Mais il était plus que cela encore : un stratège politique, un président créatif et énergique qui s’était engagé jusqu’au sacrifice suprême, une voix qui porta haut et fort les revendications du tiersmonde.

Né le 21 Décembre 1949 à Yako en Haute-Volta et mort assassiné le 15 octobre 1987 à Ouagadougou au Burkina Faso, est un homme d’État anti-impérialiste, révolutionnaire, socialiste, panafricaniste et tiersmondiste voltaïque, puis burkinabè, chef de l’État de la République de

Haute-Volta rebaptisée Burkina Faso, de 1983 à 1987.

Il est le président du pays durant la période de la première révolution burkinabè du 4 août 1983 au 15 octobre 1987, qu’il finit par totalement incarner. Durant ces quatre années, il mène à marche forcée, et y compris en recourant à la répression de certains syndicats ou organisations politiques rivales, une politique d’émancipation nationale (qui passe par exemple par le changement du nom de Haute-Volta issu de la colonisation en un nom issu de la tradition africaine : Burkina Faso, qui est un mélange de moré et de dioula et signifie Pays [ou Patrie] des hommes intègres), de développement du pays, de lutte contre la corruption ou encore de libération des femmes.

Thomas Isidore Noël Sankara est fils d’un père Peul – originaire du village de Sitoèga dans le département de Bokin dans la province du Passoré– et d’une mère Mossi, et grandit entre valeurs militaires et religiosité de la Seconde Guerre mondiale. Les affectations successives de son père, devenu infirmier-gendarme, dans plusieurs régions du pays, lui permettent d’échapper à la grande pauvreté dans laquelle vivent la plupart des « indigènes ». Il fait ses études secondaires d’abord au lycée Ouezzin Coulibaly de Bobo-Dioulasso, deuxième ville et capitale économique du pays puis, de la seconde au baccalauréat, à membres les plus connus sont Henri Zongo, Boukary Kabore, Blaise Compaoré et Jean-Baptiste Boukary Lingani.

Durant ses études à Madagascar, il assiste en 1972 à la révolution qui conduit à la fin du régime de Philibert Tsiranana. Cela l’amène à concevoir l’idée d’une « révolution démocratique et populaire ». De retour en Haute-Volta en 1973 avec le

Ouagadougou (capitale politique du Burkina), au Prytanée militaire de Kadiogo. Durant ses études, il côtoie des fils de colons. Il sert la messe mais refuse d’entrer au séminaire. Il suit, tout comme Blaise Compaoré, une formation d’officier à l’École militaire inter-armes (EMIA) de Yaoundé au Cameroun, puis à l’Académie militaire d’Antsirabe, à Madagascar (où il étudie les sciences politiques, l’économie politique, le français et les sciences agricoles), et devient en 1976 commandant du CNEC, le Centre national d’entraînement commando, situé à Pô, dans la province du Nahouri, à 150 km au sud de la capitale. La même année, ils prennent part à un stage d’aguerrissement au Maroc. Ensemble, ils fondent le Regroupement des Officiers Communistes (ROC) dont les autres grades de sous-lieutenant, il est affecté à la formation des jeunes recrues. Il s’y fait remarquer par sa conception de la formation militaire dans laquelle il inclut un enseignement sur les droits et les devoirs du citoyen, insistant sur la formation politique des soldats : « sans formation politique patriotique, un militaire n’est qu’un criminel en puissance », a-t-il coutume de dire. En 1974, il s’illustre militairement lors de la guerre avec le Mali, ce qui lui donne une renommée nationale. Capitaine, il crée ensuite une organisation clandestine avec d’autres officiers, se rapproche de militants d’extrême gauche et fait de nombreuses lectures.

À la fin des années 1970 et au début des années 1980, le Burkina Faso connaît une alternance de périodes autoritaires et de démocratie

parlementaire. Les personnalités politiques sont coupées de la petite bourgeoisie urbaine politisée, et cette scission est renforcée par des scandales financiers. Cela amène de jeunes officiers ambitieux et désireux de moderniser le pays comme Thomas Sankara à s’investir en politique, se posant en contraste avec des hommes politiques plus âgés et moins éduqués. Un coup d’État militaire a lieu en novembre 1980 mais le nouveau régime, bien que populaire, se montre rapidement répressif et lie l’armée à des scandales.

Thomas Sankara ne participe pas au coup d’État mais ne s’y oppose pas non plus. Populaire, il est nommé en septembre 1981 secrétaire d’État à l’Information dans le gouvernement du colonel Saye Zerbo avant de démissionner en réaction à la suppression du droit de grève, déclarant le 21 avril 1982, en direct à la télévision : « Malheur à ceux qui bâillonnent le peuple ». Il est alors dégradé et chassé de la capitale.

Le 7 novembre 1982, un nouveau coup d’État porte au pouvoir le médecin militaire Jean-Baptiste Ouédraogo. Plus tard, ce dernier assurera que le coup d’État avait été préparé au seul profit de Thomas Sankara mais que ce dernier avait décliné l’offre au dernier moment. On l’avait donc choisi, contre son gré, parce qu’il était l’officier le plus ancien dans le grade de commandant.

Sankara devient Premier ministre en janvier 1983 d’un Conseil de salut du peuple (CSP), position acquise grâce au rapport de forces favorable au camp progressiste au sein de l’armée. Il se prononce ouvertement pour la rupture du rapport « néocolonial » qui lie la Haute-Volta à la France : « Lorsque le peuple se met debout, l’impérialisme tremble. L’impérialisme qui nous regarde est inquiet. Il tremble. L’impérialisme se demande comment il pourra rompre le lien qui existe entre le CSP [le gouvernement] et le peuple. L’impérialisme tremble. Il tremble parce qu’ici à Ouagadougou, nous allons l’enterrer ». Il poursuit sur cette ligne en invitant, en avril, le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi. Le 17 mai, il est limogé et mis en résidence surveillée, peutêtre sous la pression de la France.

Sa politique

Sur le plan économique

Les dépenses de fonctionnement diminuent pour renforcer l’investissement. Les salaires sont ponctionnés de 5 à 12 % mais les loyers sont déclarés gratuits pendant un an.

Le nouveau régime vise à développer une économie ne dépendant plus de l’aide extérieure, que Thomas Sankara décrit ainsi : « Ces aides alimentaires […] qui installent dans nos esprits […] des réflexes de mendiant, d’assisté, nous n’en voulons vraiment plus ! Il faut produire, produire plus parce qu’il est normal que celui qui vous donne à manger vous dicte également ses volontés ». Les importations de fruits et légumes sont interdites afin d’inciter les commerçants à se fournir dans les zones de production situées dans le Sud-Ouest du Burkina Faso ; cela est favorisé par la mise en place de nouveaux circuits de distribution et d’une chaîne nationale de magasin. Les CDR permettent aussi aux salariés d’acheter des produits depuis leur lieu de travail.

En 1986, le Burkina Faso atteint son objectif de deux repas et de dix litres d’eau par jour et par personne. Le rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation pour les Nations unies déclare au sujet de Sankara : « Il a vaincu la faim : il a fait que le Burkina, en quatre ans, est devenu alimentairement autosuffisant ».

Les fonctionnaires sont incités à porter l’habit traditionnel (Faso dan fani), ce qui conduit de nombreuses femmes à obtenir un revenu propre en tissant ce vêtement directement chez elles.

Sur le plan sociale

Soucieux de l’environnement, il dénonce des responsabilités humaines dans l’avancée du désert. En avril 1985, le Conseil national de la révolution lance ainsi les « trois luttes » : fin des coupes de bois abusives et campagne de sensibilisation concernant l’utilisation du gaz, fin des feux de brousse et fin de la divagation des animaux. Le gouvernement mène

des projets de barrages alors que des paysans construisent parfois euxmêmes des retenues d’eau. Thomas Sankara critique également le manque d’aide de la France, dont les entreprises bénéficient pourtant en majorité des marchés liés aux grands travaux.

Symboliquement, une journée du marché au masculin est instaurée pour sensibiliser au partage des taches ménagères. Sankara avance aussi l’idée d’un « salaire vital », prélevé à la source d’une partie du salaire de l’époux pour le reverser à l’épouse. Il met fin à la dot et au lévirat, qu’il considère comme une marchandisation des femmes. Il met aussi un terme aux mariages forcés en instaurant un âge légal, interdit l’excision, et tente de s’opposer à la prostitution et à la polygamie.

Politique internationale

Au niveau international, il critique les injustices de la mondialisation, le système financier, l’importance du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale et le poids de la dette des pays du tiers-monde. Le Burkina Faso ne contracte ainsi pas de prêts avec le FMI, dont il rejette les

Thomas SANKARA reçu par Fidèl Castro

conditions. Thomas Sankara considère en effet ce système comme un moyen de « reconquête savamment organisée de l’Afrique, pour que sa croissance et son développement obéissent à des paliers, à des normes qui nous sont totalement étrangers ». Anticipant la réaction des pays occidentaux, il insiste à Addis-Abeba en 1987 sur la nécessité d’un refus collectif des pays africains de son paiement : « Si le Burkina Faso tout seul refuse de payer la dette, je ne serai pas là à la prochaine conférence ». Trois mois avant son assassinat, il prononce, pendant un sommet de l’Organisation de l’unité africaine à Addis-Abeba en 1987, un discours passé à la postérité dans lequel il contestait la légitimité de la dette de son pays et appelle à une action collective de pays africains.

La lutte anti-impérialiste

Thomas Sankara est un des chefs du Mouvement des non-alignés. Il côtoie

Thomas SANKARA avec François Mitterrand

beaucoup de militants d’extrême gauche dans les années 1970 et se lie d’amitié avec certains d’entre eux. Il met en place un groupe d’officiers clandestins d’influence marxiste : le Regroupement des officiers communistes (ROC).

Dans ses discours, il dénonce le colonialisme et le néo-colonialisme, dont celui de la France, en Afrique (notamment les régimes clients de Côte d’Ivoire et du Mali, lequel lance plusieurs fois des actions militaires contre le Burkina Faso, soutenues par la France).

Il se rapproche de plusieurs pays du bloc socialiste. En octobre 1986, peu avant le sommet GorbatchevReagan à Reykjavik, il se rend une semaine en URSS, mais aussi à Cuba du 25 septembre au 1er octobre 1984, puis une deuxième fois au mois de novembre 1986.

Parallèlement, il rejette le fardeau de la dette qui pèse sur les pays en voie de développement. Son discours contre la dette prononcé le 29 juillet 1987 à Addis-Abeba lors d’un sommet de l’Organisation de l’unité africaine, est sans doute le plus connu des discours de Thomas Sankara. Il y déclare que son pays ne remboursera pas ses créanciers, et argumente notamment ainsi : « la dette ne peut pas être remboursée parce que si nous ne payons pas, nos bailleurs de fond ne mourront pas. Soyons-en sûrs. Par contre, si nous payons, c’est nous qui allons mourir. Soyons en sûrs également. ». D’après Le Parisien, dans les années 1980, certains pays du tiers monde affrontent une « crise de la dette », et le Fonds monétaire international et la Banque mondiale exigent des plans de rigueur de la part des pays concernés. Sankara s’oppose à ces plans, lesquels sont jugés par le journal « incompatibles avec toute politique sociale ».

La démocratie participative

Souhaitant redonner le pouvoir au peuple, dans une logique de démocratie participative, il crée les Comités de défense de la révolution (CDR) auxquels tout le monde peut participer, et qui assurent la gestion des questions locales et organisent les grandes actions. Les CDR sont coordonnés dans le Conseil national de la révolution (CNR). Cette politique vise à réduire la malnutrition, la soif (avec la construction massive par les CDR de puits et retenues d’eau), la diffusion des maladies (grâce aux politiques de « vaccinations commandos », notamment des enfants, burkinabès ou non) et l’analphabétisme qui diminuera chez les hommes mais reste très élevé chez les femmes, malgré la mise en place de programmes spécifiques comme l’opération « pountoi ». Des projets de développement sont également portés par les CDR, comme l’aménagement de la « Vallée de la Sourou » destiné à irriguer 41 000 hectares.

Concernant la démocratie, il développe une pensée originale : « Le bulletin de vote et un appareil électoral ne signifient pas, par eux-mêmes,

qu’il existe une démocratie. Ceux qui organisent des élections de temps à autre, et ne se préoccupent du peuple qu’avant chaque acte électoral, n’ont pas un système réellement démocratique. […] On ne peut concevoir la démocratie sans que le pouvoir, sous toutes ses formes, soit remis entre les mains du peuple ; le pouvoir économique, militaire, politique, le pouvoir social et culturel ».

Sankara tente également de rompre avec la société traditionnelle inégalitaire burkinabè, en affaiblissant le pouvoir des chefs de tribus, et en cherchant à intégrer les femmes dans la société à l’égal des hommes.

Il lance le premier programme africain de lutte contre la désertification et la déforestation. Si symboliquement, il institue la coutume de planter un arbre à chaque grande occasion pour juguler la désertification, il crée également un ministère de l’environnement (pionnier sur le continent) et multiplie les campagnes de lutte contre le déboisement, les feux de brousse et la chasse illégale.

Il est le seul président d’Afrique à avoir vendu les luxueuses voitures de fonctions de l’État pour les remplacer par des Renault 540. Profitant de son passage à l’ONU en 1984, il devient le premier dirigeant africain à se rendre dans le quartier d’Harlem où il prononce un discours. Les voyages en classe affaires sont supprimés, les salaires des ministres et hauts fonctionnaires sont baissés. Sankara explique cette approche en février 1986, « Karl Marx le disait, on ne pense ni aux mêmes choses ni de la même façon selon que l’on vit dans une chaumière ou dans un palais ».

Postérité

Thomas Sankara est parfois considéré comme un « Che Guevara africain ». Au Burkina Faso, une multitude de partis et de mouvements de la société civile se réclament de lui. Il est parfois surnommé le « président des enfants » ou le « président des pauvres ».

Thomas Sankara a été proclamé modèle par la jeunesse africaine au Forum social africain de Bamako en 2006 et au Forum social mondial de Nairobi en 2007.

Depuis le 28 décembre 2005, une avenue de Ouagadougou porte son nom, dans le cadre plus général d’un processus de réhabilitation décrété en 2000 mais bloqué depuis lors. Diverses initiatives visent à rassembler les sankaristes et leurs sympathisants, notamment par le biais d’un comité national d’organisation du 20e anniversaire de son décès, et à célébrer sa mémoire, notamment par des manifestations culturelles, tant au Burkina Faso que dans divers pays d’implantation de l’émigration burkinabè. En 2007, pour la première fois depuis 19 ans, la veuve de Thomas Sankara, Mariam Sermé Sankara, a pu aller se recueillir sur sa tombe présumée lors des 20e commémorations à Ouagadougou.

Différents réseaux internationaux, notamment le Comité pour l’abolition des dettes illégitimes (CADTM), ont fait du discours de Sankara contre la dette une sorte d’étendard et font référence à son combat.

Le 2 octobre 2016, un mémorial dédié à Thomas Sankara est inauguré sur le lieu de son assassinat.

Monument de Thomas Sankara au mémorial Thomas Sankara à Ouaga

Par la Rédaction de Trésors d’Afrique Magazine et les Réfs.: Africa International Le Monde Wikipédia

This article is from: