Législatives : un scrutin de ratification ou de rectification ?

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débats OPINIONS

mardi 7 décembre 2010 LE FIGARO

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étudesPOLITIQUES

Figaro-Cevipof

Comment le mouvement social a perdu la bataille de l’opinion Populaire à ses débuts, le conflit sur les retraites n’a pas résisté à la radicalisation et à la durée. l’objet d’un rejet majoritaire (le mouvement des pilotes d’Air France en juin 1998 ou celui des cheminots en mai 1999). En revanche, certaines mobilisations (comme celle des personnels hospitaliers en janvier 2000 ou encore celle des salariés d’Air-Lib, de MetalEurop ou de Daewoo manifestant contre leurs licenciements collectifs en mars 2003) ont tourné au véritable plébiscite d’opinion (92 % des personnes

PASCAL PERRINEAU DIRECTEUR DU CENTRE DE RECHERCHES POLITIQUES DE SCIENCES PO (CEVIPOF)

»

sondées déclarant qu’elles soutenaient ou qu’elles avaient de la sympathie pour le mouvement). Ce soutien d’opinion aux divers mouvements sociaux traduit la prégnance en France d’une « culture contestataire » qui considère la manifestation de rue comme le parangon des pratiques démocratiques. Il s’inscrit aussi dans un cycle de « politisation négative » qui s’est ouvert dans les années 1990 et est marqué par un retour des citoyens vers la sphère publique mais sur un mode extrêmement protestataire.« Les gens reviennent à la politique, mais en accablant la politique. C’est de cette participation hostile que seront faites les prochaines années », écrivait déjà Jean-Louis Missika en 1992 (Le Débat, janvier février 1992). La kyrielle de mouvements sociaux bénéficiant d’un fort soutien d’opinion, qui s’est développée depuis le milieu des années 1990 jusqu’à nos jours, est le meilleur symptôme de cette mauvaise humeur. Enfin, la faiblesse particulière d’acteurs syndicaux peu représentatifs et peu porteurs d’un compromis social crédible, ouvre un espace à des formes de contestation radicale. Étant donné cette tradition de soutien dans l’opinion, personne ne fut étonné de constater, début septembre 2010, que le mouvement de grève et surtout de manifestation contre le projet de réforme des retraites du gouvernement bénéficiait d’un soutien et

Pour la plupart des manifestations qui font l’objet d’une mesure de popularité, c’est entre 50 et parfois même plus de 90 % de la population qui déclare son soutien

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par l’opinion, une grève qui ne tient que par l’opinion, une grève dont l’opinion est l’arbitre, (…) une grève qui cessera lorsque ses acteurs comprendront que l’opinion ne la comprendrait plus » (Sofres, « L’État de l’opinion 1996 »). Rares sont les mouvements qui font

vembre, 47 % seulement des Français considèrent que la manifestation du 6 novembre appelée par les syndicats est justifiée. Ils étaient 71 % à considérer que la manifestation du 12 octobre l’était, ils étaient encore 63 % à penser de même lors de la manifestation du 28 octobre. Ce déclin subit de la popularité du mouvement est directement lié aux blocages de dépôts de carburants et à la pénurie partielle qui s’en est ensuivie. Dans une enquête réalisée par l’Ifop du 21 au 22 octobre, 59 % des personnes interrogées sont d’accord avec l’idée que « faire grève est un droit, mais que les blocages d’entreprises, d’axes de circulation ou de dépôts de carburants sont inacceptables ». Ce rejet des blocages est majoritaire dans toutes les classes d’âge et dans presque tous les milieux sociaux. Ainsi, par son durcissement, par sa durée, par sa volonté de ne pas prendre en compte l’expression de la souveraineté nationale, le mouvement s’est aliéné une partie importante de l’opinion publique qui le soutenait à ses débuts. La démocratie sociale ne peut aller durablement contre la démocratie politique ou faire comme si elle ne prenait pas en compte son verdict. Le prix à payer d’une telle attitude a été lourd : – 24 points du 12 octobre au 6 novembre en ce qui concerne le soutien au mouvement. L’érosion est forte dans tous les milieux, particulièrement chez les femmes (– 28), les ouvriers

dage Ifop-Fondapol, 2-4 novembre 2010), 49 % pensent le contraire. 57 % des ouvriers, 53 % des salariés du secteur public, 41 % des sympathisants de gauche sont dans ce cas.

En position de statu quo Nombre de milieux qui constituent la base même du PS sont en fait sur une position de statu quo.Les ambiguïtés sont majeures pour un parti qui voulait sur ce dossier faire la preuve d’un réformisme subtil. Enfin, même si le message du retour à la retraite à 60 ans est passé, il ne convainc pas : 29 % seu-

-12

+2

-11

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LO/NPA

Front de gauche

PS

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FN

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Prof. intermédiaire

Ouvrier

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*Sondages IFOP réalisés au téléphone sur un échantillon national représentatif d'environ 950 personnes âgées de 18 ans et pluset constitué par la méthode des quotas après startification par région et catégorie d'agglomération ** Ssondages CSA réalisés au téléphone sur un échantillon national représentatif d'enviton 1000 personnes âgées de 18 ans et plus constitué d'après la méthode des quotas.

72 % 57 %

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PAR CATÉGORIE, en points

Artisan, commerçant

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Âge

Moins de 35 ans

87 % 90 %

88 % 85 %

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50 %

Différentiel de soutien au mouvement entre le 12 octobre et le 6 novembre*

-26

Proximité Politique

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Profession

27 m

Sympathie à l'égard des mouvements sociaux**

Salarié du privé

23 sept. 2010

35 ans et plus

Statut

lement des personnes interrogées considèrent que, si le PS gagne en 2012, il ramènera à 60 ans l’âge légal de départ à la retraite. Les promesses n’engagent que ceux qui y croient mais même à gauche, ils ne sont que 48 % à considérer que le PS honorera ses promesses. Sur ce dossier important pour les électeurs, le PS rencontre un proP. P. blème de crédibilité.■

70 %

Érosion du soutien aux manifestations contre la réforme des retraites*

-22

Le réformisme subtil du PS entendu mais peu crédible

e PS a participé pleinement aux mobilisations contre la réforme des retraites. Son mot d’ordre de rétablissement de la retraite à 60 ans en 2012, s’il revient au pouvoir, a été entendu. Mais, si le PS a retrouvé les airs d’un parti aux côtés des « luttes sociales », il n’a pas convaincu sur le terrain de sa crédibilité gestionnaire et gouvernementale. En termes d’opinion, la perception de sa conviction à considérer qu’il faut cotiser plus longtemps est très clivée : 51 % des personnes interrogées pensent que le PS est d’accord pour dire qu’il faut cotiser plus longtemps (son-

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La démocratie sociale ne peut aller durablement contre la démocratie politique ou faire comme si elle ne prenait pas en compte son verdict

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1er m

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DOBRITZ

VOILÀ UN PARADOXE de l’opinion française : elle clame sa défiance à l’égard du monde politique et des organisations syndicales affaiblies mais s’enflamme pour soutenir la contestation radicale des mouvements sociaux. Ainsi depuis décembre 1995, les Français reviennent à la politique en l’accablant. Cette « politisation négative » qui prend sa source dans la « culture contestataire » du XIXe siècle, est née, sous sa forme moderne, avec les manifestations contre le projet Juppé. Elle est aujourd’hui considérée comme la quintessence vertueuse des pratiques démocratiques. Toutefois, passées au tamis d’une analyse du soutien au mouvement de protestation contre la réforme des retraites de l’automne, ces « grèves de l’opinion », « symptôme de mauvaise humeur » et de « griefs politiques », montrent leurs limites. Après un mois d’agitation sociale, seuls les sympathisants du Front de gauche gonflent les rangs des soutiens indéfectibles quand ceux de l’extrême gauche (Lutte ouvrière, Nouveau Parti Anticapitaliste) amorcent un net repli. Autre enseignement, ceux du Modem désertent. Par ailleurs, la démobilisation n’entame pas la conviction des métiers intermédiaires , socle de la « classe moyenne ». En revanche, elle frappe les ouvriers, les employés et les salariés du secteur public, qui, pourtant, figurent parmi les meilleurs soutiens au début du conflit. Les mouvements sociaux tendent d’abord à effacer les lignes de clivages politiques puis leur audience s’étiole lorsque ces conflits se prolongent. Profession et affinités politiques des soutiens constituent, alors, d’édifiants marqueurs politiques sur l’échelle du désamour JOSSELINE ABONNEAU de l’opinion. ■

epuis octobre 1995, période de mobilisation contre le plan Juppé considérée souvent comme le moment fondateur d’une nouvelle phase de radicalité du mouvement social, le soutien aux protestations et manifestations est régulièrement mesuré par l’institut CSA. Dans leur immense majorité, tous ces mouvements bénéficient d’un fort soutien dans l’opinion, quels que soient le motif (licenciement, réforme statutaire, salaires…) ou la population concernée (fonctionnaires, routiers, médecins, infirmiers, cheminots, policiers, lycéens, chômeurs…). Pour la plupart des manifestations qui font l’objet d’une mesure de popularité, c’est entre 50 et parfois même plus de 90 % de la population qui déclare son soutien ou sa sympathie. Comme si, au travers d’un soutien aux manifestants ou aux grévistes, s’exprimait ce que certains observateurs appellent une « grève d’opinion ». Inventée à l’occasion du conflit de décembre 1995 contre le plan Juppé, la notion de « grève d’opinion », telle que la conçoivent Olivier Duhamel et Philippe Méchet, est « une grève soutenue

(– 31), les inactifs non retraités (– 35), les électeurs proches du centre (– 34) et ceux n’ayant pas de proximité partisane (– 35). Même à gauche, l’érosion est sensible et seuls les électeurs appartenant aux professions intermédiaires et ceux proches du Front de gauche tiennent bon sur leurs positions de la mioctobre. Alors qu’une forte minorité d’électeurs de droite et une forte majorité d’électeurs centristes soutenaient le mouvement à la mi-octobre, ils ne sont plus qu’une petite minorité à le faire au début du mois de novembre. Le conflit social et la victoire remportée par le gouvernement ont contribué à rebipolariser l’opinion alors que le mouvement social avait pu prendre un moment les couleurs d’un vaste rassemblement dépassant les lignes de clivage politique. ■

d’une sympathie largement majoritaire dans l’opinion : 62 % des personnes interrogées déclarèrent soutenir le mouvement enclenché le 7 septembre par une première manifestation. Le soutien et la sympathie progressèrent même jusqu’à 71 % le 19 octobre pour ensuite connaître un reflux sensible après le vote définitif de la loi par l’Assemblée nationale le 27 octobre. Interrogés par l’Ifop, du 2 au 4 no-


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