L'UMP en crise l'UDI à l'offensive

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LE FIGARO

mardi 27 novembre 2012

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DESSIN DOBRITZ

La formation de Jean-Louis Borloo tente d’exploiter la faillite de l’ex-parti majoritaire pour rééquilibrer la droite. Source : Ifop-Ouest France 18-20 oct. 2012

PASCAL PERRINEAU

DIRECTEUR DU CENTRE DE RECHERCHES POLITIQUES DE SCIENCES PO (CEVIPOF)

LE CENTRISME de droite a survécu à la bipolarisation de la Ve République. Tel est l’enseignement politique de Pascal Perrineau. Le directeur du Cevipof brosse la saga de ce tempérament qui a toujours résisté à droite à la domination des forces néogaullistes ; celles-ci, d’ailleurs, n’ayant jamais réussi à unifier les droites et le centre. Compagnon de route des héritiers du gaullisme, le centre droit a exploré toutes les configurations politiques : tantôt en s’y alliant pour prospérer comme aux beaux jours de l’UDF.Tantôt en rejoignant l’UMP dont le dessin fédérateur était d’unifier les droites et le centre. Intégré à l’UMP, il s’y est étiolé. Au MoDem, l’aventure de l’indépendance totale a mené à sa perte l’«hypercentre» de François Bayrou. Fort de ces enseignements, JeanLouis Borloo, ex-UDF, ministre de Nicolas Sarkozy et président du Parti radical, lance l’UDI dont il veut faire un grand parti de centre-droit. Le «pacte fondateur» de l’UDI (Union des démocrates et indépendants) s’assigne d’occuper «la place centrale de l’échiquier politique en rassemblant les indépendants, les familles centristes, les divers droites et les tenants d’une écologie responsable». Favorisée par la décomposition de l’UMP, cette résurrection du centre droit «indépendant mais non isolé» a été bien accueillie par les sympathisants de droite (56 %), par ceux du MoDem (63 %) et des électeurs de Nicolas Sarkozy (65 %). Bref, l’UDI a des atouts pour attirer les déboussolés de l’UMP. Toutefois, dans le cadre d’un régime présidentiel, la question vitale du leadership et de l’homme qui se lancera dans la course à l’Élysée n’est pas tranchée. En termes d’opinion, JeanLouis Borloo et François Bayrou ont suffisamment d’existence pour prétendre incarner cette famille de pensée… voire prétendre jouer les premiers rôles dans l’opposition. ■ JOSSELINE ABONNEAU

L’

Union des démocrates et indépendants (UDI) a été créée le 21 octobre 2012 afin de faire revivre un mouvement de centre droit aux côtés d’une UMP qui n’a pas réussi à intégrer pleinement cette sensibilité en son sein. Cette stratégie est le fruit d’un triple constat : celui de la pérennité d’un courant de centre droit tout au long de la Ve République, celui de l’échec de l’UMP à unifier tous les courants, de la droite du gaullisme au centre en passant par la droite modérée et indépendante, et, enfin, celui de la faillite d’un «hypercentre» qui refuse l’alliance avec la droite. Depuis plus de cinquante ans, le centre droit a résisté au mouvement de bipolarisation qui a marqué la Ve République. La réforme de 1962 du mode d’élection du président de la République, neuf élections présidentielles au suffrage universel direct, les effets du mode de scrutin majoritaire à deux tours et l’affirmation du principe majoritaire dans toutes les institutions, jusqu’au ni-

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La crise de succession à l’UMP, principal parti d’opposition, ne fait qu’élargir cet espace offert au retour du centre droit

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veau local, ne sont pas venus à bout de ce tempérament de centre droit. Présent lors des neuf élections présidentielles, il s’est imposé en 1974 avec la victoire de Valéry Giscard d’Estaing. Il a été un acteur politique de premier plan de 1973 à 1993, période pendant laquelle il fit jeu égal avec les néogaullistes du RPR. Ce n’est qu’avec l’éclatement de l’UDF en 1998, puis la création de l’UMP en 2002 et l’adoption d’une stratégie du «ni droite ni gauche» par François Bay-

Qui a une bonne opinion de l'UDI ? 56 % 63 %

Sympathisants de droite Sympathisants du MoDem Sympathisants de gauche

33 %

Électeurs de N. Sarkozy Électeurs de F. Bayrou Électeurs de F. Hollande Électeurs de M. Le Pen Ensemble pers. interrogées

28 %

40 %

65 % 65 %

44 % Source : Ifop-Journal du Dimanche 6-8 nov. 2012

Très à gauche

Ensemble de l'échantillon Électeurs proches du MoDem proches de l'UDI proches de l'UMP proches du FN Électeurs de F. Bayrou N. Sarkozy M. Le Pen

À gauche

Au centre

À droite

Très à droite

Ni à droite ni à gauche

5

28

13

20

6

28

2

3 8 11

56 42 7 4

12 29 72 16

4 1 35

29 17 20 32

1

11 1 16

55 11 7

13 61 15

2 33

21 25 28

Comment se placent les électorats du centre et de droite sur l'axe gauche-droite ? rou que cette famille est passée sous la barre des 10 % (sauf le succès éphémère de François Bayrou au premier tour de la présidentielle de 2007). Son échec à la présidentielle de 2012 et celui du MoDem aux législatives qui ont suivi ont permis de rouvrir la question d’un centre autonome mais associé à la droite. L’UMP avait comme volonté d’intégrer toutes les sensibilités de droite et du centre qui, pendant plus de trente ans de Ve République, s’étaient organisées dans des formations concurrentes : droite indépendante (CNI, RI, PR), centrisme et radicalisme (Centre démocrate, CDS, Mouvement réformateur, Parti radical). L’UDF, créée en 1978, contribua à réduire l’éclatement et à créer une dynamique du centre droit, mais resta, en dépit de ses succès, une fédération fragile d’individualités et de courants rétifs à la discipline et à l’unité d’un grand parti. Au début des années 2000, l’UMP profita de cet état de fait pour rassembler les «soldats perdus» de l’UDF. Lors de sa création, en novembre 2002, elle regroupait le RPR, Démocratie libérale et les deux tiers des parlementaires de l’UDF, parmi lesquels nombre de centristes et de radicaux.

Marginalisation Cependant, le rassemblement des transfuges du centrisme et des indépendants ne fut jamais total : une UDF maintenue fit de la résistance, et évolua peu à peu vers un rejet de l’alliance avec la droite, et les différentes sensibilités centristes et indépendantes eurent du mal à se structurer au sein de l’UMP en dépit des promesses initiales de créer des courants internes, appelés «mouvements», qui, en fait, ne verront jamais le jour. Le CNI en 2008, le Parti radical en 2011 reprendront leur autonomie. Même si nombre de centristes et de libéraux continuent de mener leur combat au sein de l’UMP, un espace politique s’est rouvert avec la défaite de celleci lors des élections de 2012 et la mise sur l’agenda de la question de la meilleure stratégie pour le retour de la droite au pouvoir. La crise de succession à l’UMP, principal parti d’opposition, ne fait qu’élargir cet espace offert au retour du

ard Valéry Giscard ng d'Estaing

Ra Raymond Barre Édo ÉÉd Édouard B Balladur

François Bayrou

32,6 28,3

Jean Lecanuet

23,3 17,8 15,6

19,6

20,4

21,7 19,3 18,6

16,5 17,4

18,5

14,4 9,9 6,8

1965 67

69 73

74 78

1981

1988 1993

95 97

2002

8,1

2007

9,1 6,6

2012

Quand le centre droit a-t-il été fort ? SCORE AU PREMIER TOUR DES PRÉSIDENTIELLES ET DES LÉGISLATIVES SOUS LA Ve RÉPUBLIQUE, en % des suffrages exprimés

centre droit. Les années 2000 ont été pour le courant centriste à la fois les années de l’exploration d’une stratégie de fusion avec la droite néogaulliste au sein de l’UMP, et, avec l’expérience du MoDem, les années de la redécouverte d’un centrisme indépendant refusant l’alliance à droite. Les deux stratégies ont montré leurs limites. D’une part, le centre de gravité de l’UMP est resté aux mains des néogaullistes. D’autre part, la stratégie d’indépendance entamée dès 2005 par François Bayrou a conduit à une marginalisation politique et électorale. Un mouvement centriste, qui n’interprète pas l’indépendance comme étant un isolement, retrouve toute sa place. Trente-quatre ans après l’UDF, l’UDI renoue avec la stratégie d’une droite dédoublée, où une formation de centre droit est l’alliée-rivale d’une formation néogaulliste dont une partie revendique l’ancrage dans une « droite décom-

plexée ». Quelques semaines après sa création et avant les avaries de l’UMP, l’UDI bénéficiait déjà d’une image légèrement meilleure que celle de l’UMP. Le combat pour réhabiliter une droite bifide n’est pas encore gagné, mais le spectacle offert par l’UMP renforce la majorité relative de Français et la forte majorité absolue de sympathisants de droite accueillant la création de l’UDI avec faveur. Les principaux électorats concernés sont plutôt séduits par l’idée d’une UDI autonome : 65 % des électeurs de Nicolas Sarkozy ont une bonne opinion de l’UDI, 65 % des électeurs de François Bayrou partagent ce même sentiment. Il y a là, pour ceux qui se sont attelés à la renaissance d’un centre droit disposant de sa propre « maison », des bases solides. Il reste aux maçons de la reconstruction à éviter les combats de chefs et les faiblesses organisationnelles qui avaient coûté si cher à la défunte UDF. ■

liance. Cette dernière stratégie, qui l’avait porté en 2007, contribue maintenant à son isolement et à son déclin. L’autre, Jean-Louis Borloo, a été compagnon de route de l’UDF, membre du Parti radical depuis 2002 puis président de ce parti depuis 2007 tout en étant ministre continûment de 2002 à 2010. Associé à l’UMP, il s’en est éloigné en 2011 pour explorer à nouveau les voies d’un parti de centre droit autonome.

Déclin régulier Pendant longtemps les deux hommes ont été roue dans la roue en ce qui concerne l’avenir que leur prêtaient les Français. De 2007 au début de 2009, les deux leaders sont à peu près crédités d’une cote d’avenir identique même si

l’exercice du pouvoir, pour Jean-Louis Borloo, et l’isolement, pour François Bayrou, entraînent une érosion de leur popularité. Mais alors que Jean-Louis Borloo semble endiguer cette érosion dans la période 2010-2012, François Bayrou connaît un déclin régulier et profond (sauf au moment de la parenthèse de sa candidature à l’élection présidentielle de 2012). Dans la dernière cote d’avenir de TNS Sofres pour Le Figaro Magazine (novembre 2012), François Bayrou recueille 26 %, à huit points derrière Jean-Louis Borloo (34 %). Certes, la personnalité de Jean-Louis Borloo semble l’emporter et lorsque leur popularité comparée a été mesurée – à quatre reprises en 2010 et 2011 -, c’est toujours Jean-Louis Borloo qui est

arrivé en tête du duel (Tableau de bord Ifop-Paris Match de mai 2010, janvier, mai et juillet 2011). En juillet 2011, 54 % des personnes interrogées déclaraient préférer Jean-Louis Borloo contre 44 % François Bayrou.

Identité propre Au-delà de cette préférence personnelle, c’est la stratégie d’un centre droit indépendant mais non isolé qui l’emporte sur celle d’un centre indépendant mais isolé et impuissant. Interrogés en avril 2011, 67 % des Français répondaient que « selon eux, le centre est plutôt plus proche de la droite » (sondage Ifop, 27 au 29 avril 2011). 72 % des électeurs de Nicolas Sarkozy partageaient ce sentiment mais aussi 63 % des électeurs de François Bayrou.

La faillite de l’UMP devrait ouvrir un large espace à la rénovation du centre droit. Même si les conflits se résorbaient à l’UMP, l’argument tactique de la nécessité de l’unité de la droite et du centre pour éviter les déboires d’une concurrence électorale avec le FN ne sera pas suffisant. L’UDI, dans son travail de reconstruction d’un mouvement de centre droit, doit définir ce qui fait son identité propre, sa solidité et sa pérennité en termes d’organisation ainsi que sa crédibilité sur le terrain du leadership sans lequel aucun grand parti de pouvoir ne peut vivre sous la Ve République. En plus de cinquante ans de Ve République, le pluralisme a été, la plupart du temps, la règle au sein de la droite et du centre.■ P. P.

A

!" #$%&'()()$" *+,# -.*"/$)0 1*2.$34 5,*"67$3)0 1$.8$$ ," &$8, &$0)()$" DANS UN SYSTÈME aussi personnalisé que le régime présidentiel de la Ve République, aucun parti de pouvoir ne peut ignorer la question du leadership et de l’homme qui préside à ses destinées avant de concourir pour prendre éventuellement en main les rênes du pays. Aujourd’hui, dans l’espace du centrisme, deux leaders seulement ont suffisamment d’existence en termes d’opinion pour prétendre incarner cette famille de pensée. L’un, François Bayrou, a été président de l’UDF depuis 1998 et président du MoDem depuis 2007. Trois fois candidat à l’élection présidentielle, le patron du MoDem a renié les vertus d’un centrisme associé à la droite pour découvrir celles d’un centrisme refusant tout système d’al-


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