Hollande et les Français, les raisons de la défiance

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mardi 8 janvier 2013 LE FIGARO

14 étudesPOLITIQUES Figaro-Cevipof

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La défiance est sévère au sein des couches populaires, chez les électeurs du Front de gauche et ceux des Verts PASCAL PERRINEAU DIRECTEUR DU CENTRE DE RECHERCHES POLITIQUES DE SCIENCES PO (CEVIPOF)

FRANÇOIS HOLLANDE détient le record d’impopularité présidentielle après sept mois de mandat, alors même qu’aucun mouvement n’est venu troubler le début son quinquennat. Ce désamour de l’opinion est conséquent dans la quasi-totalité de l’électorat de gauche. Signe, selon Pascal Perrineau, que « la base sociale et politique de la gauche présidentielle est en train de se fissurer profondément ». Paradoxalement, la cote d’amour de François Hollande résiste dans la bourgeoisie et les élites, note le directeur du Cevipof qui pointe là « un élément inquiétant pour l’avenir de la gauche au pouvoir ». Outre le style d’exercice du pouvoir d’une présidence «normale» qui touche ses limites, la crise de confiance se cristallise sur le mode de fonctionnement du duo président-premier ministre, les coups de canif dans la discipline gouvernementale et le positionnement de la majorité parlementaire:«ces flottements politiques sont sévèrement sanctionnés par l’opinion et renforcent le sentiment que les politiques mises en place sont inefficaces pour contrer la crise», souligne Pascal Perrineau. Parallèlement, le Parti socialiste peine à trouver sa place. Il hésite dans les dossiers sensibles entre «solidarité gouvernementale et liberté de proposition et de contestation». En disgrâce dans les couches populaires et le secteur privé, le PS résiste encore dans le secteur public, l’enseignement supérieur et chez les cadres moyens. Jusqu’à quand? ■ JOSSELINE ABONNEAU

ÉTUDE Avec 35 % de Français qui déclarent lui faire confiance, en décembre 2012, pour « résoudre les problèmes qui se posent en France actuellement », François Hollande est le président de la République le plus impopulaire après sept mois d’exercice du pouvoir. Depuis plus de trente ans, la Sofres mesure régulièrement, chaque mois, la confiance envers le président. Aucun président n’a eu aussi peu de soutiens à l’issue de l’année de son élection : François Mitterrand, en 1981 et 1988, dépassait largement la barre des 50 % (57 % et 58 %), Nicolas Sarkozy était fin 2007 à 49 %, Jacques Chirac en 2002 atteignait encore 47 %. Seul Jacques Chirac, en 1995, avait subi la tourmente du mouvement social de novembre-décembre 1995 et se retrouvait à 39 % de confiance. En l’absence d’un tel contexte de protestation sociale, l’actuel président de la République se situe encore plus bas. Ce niveau historiquement faible fait prendre conscience de l’ampleur du désaveu : en sept mois François Hollande a perdu 20 points, seul Jacques Chirac, en 1995, avait encore perdu davantage (25 points). Cette érosion vertigineuse est générale mais particulièrement accentuée dans les couches populaires (-35 points chez les ouvriers, -27 chez les employés), dans les couches supérieures des classes moyennes (-29 chez les Français appartenant à la catégorie moyenne supérieure des revenus), chez les personnes âgées (-25) et chez les électeurs proches du Front de gauche (-42) et d’Europe Écologie-Les Verts

(-33). Au fond, la base sociale et politique de la gauche présidentielle est en train de se fissurer profondément. À cette défiance qui touche les « fidèles » il faut ajouter celle des « aînés » qui traditionnellement accordent par légitimisme leur confiance au nouveau président élu et celle de classes moyennes supérieures qui sentent qu’ils porteront l’essentiel du fardeau fiscal. En revanche, dans les catégories aisées de par leurs revenus ou la cultu-

cutif, utilisation de moyens de transport modestes, communication à faible intensité…), n’a pas convaincu et a pu donner l’impression qu’il n’était pas « à la hauteur » de la fonction. Interrogés en décembre 2012 par l’institut OpinionWay pour la 4e vague du baromètre de confiance du Cevipof 33 % seulement des personnes interrogées considèrent qu’il « a l’étoffe d’un président de la République » (-9 points par rapport à octobre 2011). Pour 60 %

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Le pouvoir gouvernemental semble, à tort ou à raison, mal tenu en mains : le duo président-premier ministre peine à trouver son rythme, la discipline gouvernementale laisse à désirer et la majorité parlementaire connaît des lézardes

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re, l’érosion est plus faible ainsi que parmi les sympathisants de droite où la confiance avait été chichement comptée au lendemain de la victoire du 6 mai 2012. François Hollande tient mieux dans la bourgeoisie et les élites que dans le peuple. Il y a là un élément inquiétant pour l’avenir de la gauche au pouvoir.

La « forme » présidentielle Ce délitement obéit à la fois à des raisons de forme et de fond. La « forme » présidentielle est exigeante sous la Ve République. Nicolas Sarkozy qui avait cru subvertir la solennité de la fonction l’avait découvert à ses propres dépens. François Hollande, en voulant mettre en œuvre une « présidence normale » (réduction des salaires de l’exé-

des mêmes personnes, François Hollande les « inquiète » (+27 points par rapport à octobre 2011). Cette montée de l’inquiétude est impressionnante. Indépendamment du style d’exercice du pouvoir, le « fond » de celuici participe de la vague d’inquiétude. Le pouvoir gouvernemental semble, à tort ou à raison, mal tenu en mains : le duo président-premier ministre peine à trouver son rythme, la discipline gouvernementale laisse à désirer et la majorité parlementaire connaît des lézardes. Dans un contexte de crise économique et financière hors du commun, ces flottements politiques sont sévèrement sanctionnés par l’opinion et renforcent le sentiment que les politiques mises en place sont inefficaces. Dans un sondage réalisé le 21 décem-

Jean-Pierre Chevènement avait traduit avec talent, dès le congrès de Valence du PS en octobre 1981, ces émois : « Il est facile de clamer que le PS n’est pas un parti godillot. Mais, chers camarades, ce n’est pas à la portée de tout le monde d’être un godillot ! C’est une belle et bonne chaussure… Je préfère les socialistes en godillots que les socialistes en escarpins ! » Cette exhortation proférée il y a plus de trente ans reste d’actualité.

« Parti godillot » Depuis son arrivée au pouvoir, le Parti socialiste cherche sa place et tente de mettre à distance le schéma du « parti godillot ». Mais l’espace de l’autonomie du parti, entre solidarité gouvernementale et liberté de proposition et de contestation, est ténu. Les tensions sur la question des Roms, le vote de vingt députés socialistes hostiles à la ratification du

L’opinion ressent ces difficultés et au cours des quatre derniers mois le PS, avec 43 % de bonnes opinions en décembre, a perdu 12 points dans le baromètre TNS Sopragroup. Il ne convainc plus une majorité de Français que dans ses bastions : le secteur public, les diplômés de l’enseignement supérieur et les cadres moyens. En revanche, dans les milieux populaires et dans le monde du privé, il est entré en disgrâce. ■ P. P.

traité budgétaire européen, la fronde de vingt-sept députés du PS sur l’amendement Procréation médicalement assistée au projet de loi sur le mariage homosexuel sont autant de symptômes récurrents de cette difficulté du parti majoritaire à construire un rapport de force avec le gouvernement tout en le soutenant dans un contexte de crise et d’impopularité croissante. La tâche est difficile : les députés sont nombreux (296), néophytes (156 primo députés) et souvent issus de l’appareil (anciens assistants parlementaires ou membres de cabinets municipaux ou régionaux). Le langage de la conviction politico-idéologique peut l’emporter sur celui de la raison gouvernementale.

Les ouvriers

- 35 % - 33 %

Les français appartenant à la catégorie supérieure moyenne des revenus

- 29 %

Les employés

- 27 %

Les 65 ans et plus

- 25 %

A

Les sympathisants d'Europe Écologie Les Verts

43 % Ont une bonne opinion

53 % 53 % 52 %

LES ZONES DE FAIBLESSE (% de bonne opinion)

39 % 39 % 38 % 34 %

Salariés du secteur privé 65 ans et plus Diplômés ens. secondaire court, technique Ouvriers

Les chutes de popularité présidentielle au cours des 30 dernières années COTE DE CONFIANCE, EN %

64 %

Mitterrand nd 88

Mitterrand 88 Mitter

62 %

58 %

Chirrac 1995

Hollande 55% 2012

PLUS FAIBLES ÉROSIONS - 42 %

(décembre 2012)

Sarkozyy Chirac 1995 64 % Sarkozy 2007 63 % Mitterrand 1988 63 %

(de juin à décembre 2012)

Les sympathisants du Front de gauche

L’opinion sur le PS

Mitterrand 1981

Les érosions de la confiance envers F. Hollande PLUS FORTES ÉROSIONS

Cette crise de confiance par rapport au pouvoir présidentiel s’est brusquement accentuée en septembre dernier (-15 points de confiance de septembre à décembre) et va de pair avec l’annonce du dépassement de la barre symbolique des trois millions de chômeurs. Le nouveau président a été pris dans un effet de tenaille entre une politique classique de relance de la demande (hausse du smic, augmentation de l’allocation de rentrée scolaire, recrutement d’enseignants…) qui ne convainc pas et une politique d’austérité, véritable « stratégie de l’offre » assumée comme telle lors de sa conférence de presse du 13 novembre (« il faut que notre offre soit plus compétitive et je l’assume ») qui prend à rebrousse-poil tout une partie d’un électorat de gauche peu accoutumé aux vertus proclamées du « social libéralisme ». ■

Salariés du secteur public Diplômés 2e ou 3e cycle universitaire Professions intermédiaires

Mitterrand 1981

74 %

Trois millions de chômeurs

LES ZONES DE FORCE (% de bonne opinion)

2' 3$+(- )"1-$#-)(' 4 #5/6+'78' &7 6"78"-+ IL EST DIFFICILE d’être un parti au pouvoir surtout quand on est un Parti socialiste. En effet, un parti de droite est plus à l’aise avec l’exercice du pouvoir. Il ne se sent pas en charge d’une mission de changement profond de la société et de l’économie et donc accepte, avec plus de facilité, les contraintes et les disciplines du pouvoir. Ce sont d’ailleurs les parlementaires gaullistes qui, dans les années soixante, se qualifièrent eux-mêmes de « parti godillot » pour montrer leur fidélité et leur obéissance consentie au général de Gaulle. Il n’en est pas de même dans la tradition socialiste où le parti veut être un laboratoire d’idées et un aiguillon à défaut de pouvoir prétendre au rôle, désormais tombé en désuétude, du « parti d’avant-garde ». Aussi, dès que le Parti socialiste arrive au pouvoir, les interrogations sur son statut et sa place sont légion.

bre par BVA pour i-Télé, 40 % des Français interrogés considèrent que Nicolas Sarkozy a mené la « politique la plus efficace », 22 % seulement pensent de même pour François Hollande, 31 % pensant qu’ils sont « aussi inefficaces l’un que l’autre ».

54 % 50 %

Les catégories sociales supérieures Les sympathisants de la droite Les Français appartenant à la catégorie aisée des revenus

- 12 %

Les diplômés de l'enseignement supérieur

- 13 %

-8%

57 % Sarkozy 2007

49%

Chirac 2002 50 % Chirac 2002

- 11 %

Étude TNS Sofres / Sopra Group réalisée du 23 au 26 novembre 2012, pour Le Figaro Magazine auprès d'un échantillon de 1000 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, interrogées en face-à-face à leur domicile. Méthode des quotas (sexe, âge, profession du chef de ménage) et stratification par région et catégorie d'agglomération.

Mitterrand 19811

47 %

47 %

Chirac irac 1995

F. Ho Hollande 1er mois

4e mois

39 %

35% 7e mois


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