DH Magazine 123 - Décembre 2008

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UN AUTRE REGARD Mais l’Etat, ses planifications comme toutes ses tutelles, ont complètement failli puisqu’ils étaient censés impulser et orienter. Ainsi la problématique des regroupements fut souvent mise en œuvre de façon formelle, alors qu’un regroupement efficace doit être physique et non pas uniquement juridique : notamment il doit mutualiser non seulement les activités non soignantes, mais aussi le court séjour. Sinon les regroupements demeurent des fictions. Néanmoins j’ai envie de défendre l’hôpital public en demandant qu’on arrête de l’accabler puisque de toute manière il ne pourra pas se réformer, même en ajoutant une couche de nouvelle gouvernance, une couche de HPST… On ne peut rien initier sans commencer par regrouper les plateaux techniques et les blocs, alors que dans nombre de CH et CHU ils sont encore dispersés. DH : N’a-t-on pas commis l’erreur de réduire les pouvoirs et l’autonomie des DARH ? G. ADDA : Dès le départ, ils n’avaient pas assez de pouvoir. L’influence des DARH a cependant été assez différenciée : il y a des régions, les Pays-de-Loire par exemple, où un considérable travail immobilier a été engagé ; à l’inverse des régions comme PACA où pas grand-chose ne s’est passé. Mais certains DARH à forte personnalité ont néanmoins pu agir efficacement. D’autres directeurs d’ARH n’ont pas pu exercer leur pouvoir régional et on a continué à traiter les problèmes par-dessus leur épaule, avec une vision jacobine très lointaine… et fausse. Quelques exemples : Aujourd’hui encore, on persiste à demander à Manosque de prendre pour référence et recours le CH de Digne, alors que quiconque connaît un peu la géographie sait que le Pays de Manosque a toujours regardé et penchera toujours vers Aix. On ne cherche pas à comprendre pourquoi certains hôpitaux lorrains ou nordistes subissent un taux de fuite de 48 % en chirurgie, y compris vers la Belgique ! Ou encore, est-on bien conscient que les habitants de Longwy, avec leur carte vitale, peuvent désormais aller se soigner au Luxembourg ? DH : Donc, il faut encore accentuer regroupements et restructurations ? G. ADDA : Accentuer, non : tout simplement faire entrer dans la vie. On a très bien identifié aujourd’hui les hôpitaux qu’il faut reconfigurer, les maternités ou chirurgies qu’il faut reconvertir, alors qu’il y a un besoin de soins de suite et de longue durée phénoménal. Le rapport Vallancien a déjà tout dit là-dessus.

Certains s’obstinent (et on semble les ménager) à vouloir sauvegarder ces structures… alors que la population les déserte déjà ! Si l’on reste dans cet état d’esprit, les projets médicaux de territoire ne vont pas aller très loin. DH : Vous êtes bien pessimiste ! G. ADDA : Ceci étant, il y a dans la loi HPST en cours de discussion nombre de choses intéressantes. Il faut cependant espérer que l’issue du débat parlementaire et les textes d’application ne les réduiront pas à un plus petit dénominateur commun inefficace.... Il y a incontestablement une phénoménale richesse à l’hôpital public : intellectuelle, spirituelle, etc. Mais par contre personne ne fait le nettoyage là où il faudrait. Certains, lorsqu’ils ont la volonté, parviennent cependant à avancer contre les inerties : par exemple à Orléans on va parvenir à reconstruite entièrement le CHR d’ici 2015. Mais combien y en a-t-il ? Combien au contraire sont englués dans des projets qui ne sortent pas des cartons ou qui perdent toute ambition en cours de route ? Pendant ce temps, le privé gagne des parts de marché. Sur ce point on n’est pas vraiment entendu au ministère : il ne faut pas réduire et saupoudrer les crédits, mais les augmenter et les focaliser sur des projets viables. DH : Quelle est alors la toute première mesure d’urgence à arrêter ? G. ADDA : Les établissements sont incités à changer de modèle alors qu’ils n’en ont pas les moyens : il faut massivement investir dans la construction hospitalière. Car la réforme de leur fonctionnement oblige les hôpitaux à reconfigurer leur patrimoine architectural. A cet égard les plans Hôpital 2007 et Hôpital 2012 ne furent et ne sont qu’une goute d’eau par rapport à l’immensité des besoins. Il faut créer un fond d’investissement de la restructuration hospitalière, publique, privée et PSPH, qui ait une toute autre envergure que le FMESPP (1) : il lui faut pouvoir financer, ou inciter à l’investissement par effet de levier, 10 à 15 milliards en cinq ans : c’est le montant nécessaire à la reconstruction, en moyenne, d’un établissement neuf par département.

leur retard se creuser au plan des investissements ; ce qui n’empêche pas qu’on leur demande d’appliquer la T2A… Il y a là une faillite de l’Etat central qui ne veut pas considérer que certaines régions ont besoin d’être aidées plus que d’autres. Pire encore, ces derniers temps, des enveloppes prévues pour le sanitaire sont détournées pour faire de la prévention de conflit social… A Metz par exemple, trois PSPH se sont regroupés pour construire un hôpital de 500 lits. Ils apportent 75 % des fonds il leur en manque 25 % et demandaient une aide remboursable au titre du plan Hôpital 2012. Ils ne l’auront pas. Les crédits sont réduits et iront au CHR de Metz qui, à capacité égale, va coûter 30 % plus cher ; et à Longwy… pour sauvegarder 150 ou 200 emplois excédentaires. DH : Votre deuxième priorité ? G. ADDA : Il faut que les ARS soient dotées d’une réelle indépendance par rapport au ministère et aient les capacités de prendre au niveau régional les décisions de modification de l’offre de soins nécessaires. DH : Et la troisième ? G. ADDA : De manière indissociable des deux mesures précédentes, il s’agit d’élaborer un modèle organisationnel qui ne soit pas le sous-produit des habitudes des acteurs bien installés dans le système, mais qui s’inspire fortement des idées qui ont été concrétisées dans le privé. Il y a des réalisations existantes ou en cours de réalisation dont on peu s’inspirer : l’hôpital privé Robert Schuman à Metz, l’Hôpital St Grégoire des Cliniques Privées Associées de Rennes qui fait 450 lits, le fleuron des Nouvelles Cliniques Nantaises qui représente 350 lits… Dans cette démarche, il ne faut pas s’enfermer dans la référence aux seuls métiers de la santé, aussi compétents soient-ils : il faut regarder ce qui se passe dans l’industrie, faire appel aux ingénieurs en organisation… On pourrait aussi se souvenir des innovations qu’ont tenté de lancer il y a 20 ans le Pr Cabrol à la Pitié-Salpêtrière avec l’Institut du Cœur ou plus récemment le Pr Marescaux à Strasbourg avec l’IRCAD. Enfin il faut très vite ouvrir l’hôpital à tous les nouveaux métiers. La réforme de l’EHESP est bienvenue, mais ne suffit pas à induire une véritable ouverture. K

DH : Mais n’est-ce pas déjà en marche ? G. ADDA : Pas vraiment ! Certaines régions, qui étaient déjà structurellement en retard quant aux moyens, telles la Lorraine ou le Nord - Pas-de-Calais, ont vu de surcroît

(1) En 2007, le Fonds de modernisation des établissements de santé publics et privés a distribué 75,3 M € : 23,1 M € aux établissements privés et 52,2 M € aux établissements publics ; crédits en diminution sur 2006 où le montant attribué fut de 92,3 M € (NDLR).

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