Le Délit - Édition du 12 novembre 2025

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RÉDACTION

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Mark Carney à l’épreuve du budget

Comprendre et analyser le projet libéral dans un contexte de tension avec les États-Unis.

B«âtir un Canada fort»:c’est le titre du projet de budget déposé par le premier ministre fédéral Mark Carney au Parlement mardi 4 novembre. Il est évocateur:bien que les États-Unis – premier partenaire commercial du Canada–soientrarementcitésdans le texte, on comprend qu’il s’agit ici d’unbudgetderéactionaudurcissement majeur de la politique douanière américaine sous la présidence de Donald Trump. Afin de mieux comprendre comment ce budget répond aux défis politiques, maisaussiécologiquesauxquelsfait face le Canada, Le Délit s’est entretenu avec Julian Karaguesian, conférencierenéconomieàMcGill etancienconseillerduministèrefédéral des Finances, et Amy Janzwood, professeure de science politiqueàMcGillspécialiséeenpolitiqueenvironnementale.

Un durcissement attendu de la frontière

D’après Karaguesian, ce budget survient certes en réaction à la politique trumpiste – tarifs sur les automobiles (25 %), l’aluminium, l’acier et certains produits en cuivre (50%),ainsiquele bois et certains meubles –, mais également dans un contexte plus large « d’isolationnisme » étasunien: « Le Canada vit actuellement

uneaccélérationdudurcissementde lafrontièreétasuniennesouslaprésidence de Trump, mais c’est une tendancequiacommencédèslelendemain du 11 septembre 2001 (tdlr). » Il explique : « Il y a évidemment des raisons sécuritaires, mais également économiques Les États-Unis ont le sentiment de ne plus être compétitifs. Ils doivent également financer leur immense armée, et ne peuvent politiquement pas augmenter les impôts, donc ils utilisent les tarifs. »

Enréaction,Carneyproposedesinvestissements majeurs pour renforcer les exportations du Canada dans le reste du monde. Le budget prévoitnotammentunedépensede 115milliardsdedollarsdanslaproductivité,notammentdanslessecteurs de l’énergie propre, de la manufactureetdes«minérauxcritiques » définis comme les minéraux sur lesquels « repose la technologie moderne », comme le lithiumoulenickel.Lepremierministresouhaiteégalement stimuler l’économie interne du Canada, notamment par une dépense de 115 milliards de dollars dans les infrastructures canadiennes – hôpitaux,universités,routes,logements, systèmes d’approvisionnement en eau, et d’autres. Ces choix soulignent la « vision » de Carney, d’après Karaguesian : « Ce budget changelanaturedenotremodèleéco-

nomique–historiquementbasésurle libre-échange avec les États-Unis –et l’oriente vers plus de croissance interne, et vers de nouveaux marchés étrangers, notamment l’Europe et l’Asie. »

Des dépenses... mais aussi des coupures

Il s’agit donc d’un budget dépensier : le premier ministre annonce un déficit de 78 milliards de dollars, soit 116 % de plus que l’année dernière. Selon Karaguesian, ce chiffre ne devrait pas inquiéter : « Beaucoup d’économistes s’intéressentaumontantdudéficit,mais il ne représente que 2,5 % du PIB. En périodes de crise – comme en 2008 ou lors de la pandémie de la COVID-19 – le déficit des ÉtatsUnis,parexemple,pouvaitdépasser les 10 %. » Il fait ressortir, à l’inverse, les risques liés au manque d’investissement : « Prenons l’Argentine, qui était l’un des pays les plus riches dans les années 1930, et qui est maintenant chroniquement en crise, car elle n’a pas investi. Le Canadaestencoreriche,etilalacapacité de faire des investissements ; s’il attend trop longtemps, il finira comme l’Argentine. »

Pour pallier ses dépenses majeures, le budget prévoit néanmoins des coupures. Une de ses mesures principales prévoit la réduction du nombre d’employés de la fonction publique de 358 000 à 330 000 d’ici mars2029,soituneréductiontotale de28000emploisàpartirdel’année prochaine. Cette annonce a provoqué la colère des syndicats : Sharon DeSousa,présidentedel’Alliancede la Fonction publique du Canada, a prévenu que la suppression de postes mènerait à « des délais d’attente plus longs pour obtenir son passeport, l’assurance-emploi, les prestationspourlagarded’enfantset lespensions,davantaged’appelssans réponse à l’Agence du revenu du Canada, ainsi que des programmes de santé publique et de sécurité alimentaire affaiblis ». Elle avertit le gouvernement:«Noussavonscomment riposter. Le premier ministre Carney parle beaucoup de sacrifices, mais qui les fait réellement? Ce ne sont ni les méga-entreprises ni les PDG. Non, une fois de plus, ce sont les gens ordinaires, les travailleurs, qui en paient le prix. »

Karaguesian est plus optimiste quant au coût social de la mesure : « Sur la dernière année, la fonction publique a déjà été réduite de 13 000 postesrienqu’aveclesdémissionset départs en retraite. Les 28 000 suppressions peuvent ainsi probable-

ment être atteintes de la même manière, même si nous devrons également continuer à embaucher les nouvellesgénérations.»

Unvoletclimatiquequiinterroge

Les mesures climatiques du budget font également réagir. D’un côté, le gouvernement libéral mise sur sa « compétitivité climatique » et compte mettre en l’avant certaines industries liées à la diminution des émissions de gaz à effet de serre. Il prévoit par exemple des crédits d’impôt pour les entreprisespratiquantlecaptagedecarbone.Lebudgetpropose également uninvestissementde2milliardsde dollars dans un « fonds souverain pour les minéraux critiques », parmi lesquels certains sont essentiels au développement des énergies dites « propres ».

Del’autre,Carneyouvrelapossibilité d’abandon du projet de plafonds sur les émissions de gaz à effet de serre liées à l’extraction du pétrole et du gaz naturel, si les autres mesures de sobriété du gouvernement s'avéraient efficaces. Dre Janzwood, spécialisée en politique environnementale, regrette ce retrait : « Les plafonds surlesémissionsoffrentbeaucoupde certitudesetdeclarté.Enopposition, les technologies comme le captage de carbone, en plus d’être très coûteuses en subventions, ont une efficacité très discutable d’après la littérature scientifique. »

Plus généralement, Dre Janzwood semontreinquiètefaceauvoletclimatiquedubudget:« Denombreux éléments du budget étaient sur la liste de vœux de l’industrie du pétrole et du gaz. » Elle cite notammentlapropositionderéouverture du débat autour du écoblanchiment, soit des déclarations floues ou malhonnêtes en matière d’engagements environnementaux des entreprises. La Loi C-59 de 2024, qui limitait très fortement cette pratique, est en effet jugée créatrice d’« incertitude à l’égard des investissements », et remise en cause par le budget.

La transformation de l’économie canadienne prévue par le budget semble ainsi passer par des sacrifices en matière environnementale. « Nous sommes dans un contexteéconomiquedifficile,mais ces reculs en matière environnementale ne sont pas nécessaires », déplore Dre Janzwood. ̸

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Le référendum de l’AÉUM en perspective

Les gagnants et les perdants témoignent.

Chaque semestre, l’Association étudiante de l’Université McGill (AÉUM) organise un référendum sur les frais facultatifs inclus dans les droits de scolarité des étudiants. Ces frais, souvent modestes, soutiennent des services essentiels : la vie associative, la santé physique et mentale ou encore l’accessibilité pour les étudiants atteints d’un handicap. Du 27 octobre au 7 novembre, les étudiantsontétéinvitésàseprononcersur

septpropositions,allantdurenouvellement de fonds de soutien financier à la création de nouveaux frais, comme celui destiné aux soins d’affirmation de genre. 19,1 % des étudiants ont voté danslecadredeceréférendum.

nauté étudiante. Pour comprendre ce que ces résultats signifient au-delà des chiffres, Le Délit s’est entretenu avec deux groupes directement concernés par le référendum : l’Union des patient·e·strans(TPU)etlaMSA.

desantésanss’endetterdemanièresignificative»,expliqueRachel.

TOSCANE RALAIMONGO I Le Délit

Seules les deux propositions visant à augmenterdesfraisexistants–lesfrais desservicesétudiantsetceuxdel’Association des étudiants musulmans (MSA)–ontétérejetéesparlacommu-

CAMPUS

Récapitulatif

LUnevictoirepourlessoinsd’affirmationdegenre

« Les soins d’affirmation de genre sauventdesvies,lestransformentetles améliorent(tdlr)»,souligneRachel,administrateur·ice de système à la TPU. Pourtant, leur couverture médicale était loin d’être acquise il y a encore quelques jours. La question des soins d’affirmation de genre a été approuvée avec un écart très serré – 51,1 % votes pour,et48,9%votescontre.

PourlaTPU,ils’agitd’unevictoiremajeure, obtenue après « près d’un an d’efforts » et de désaccords avec l’AÉUM.«Lorsqueleconseild’administrationdel’AÉUMasupprimélessoins d’affirmation de genre en décembre 2024,iln’aconsulténiavertipersonne. La TPU et d’autres organisations du campus ont dû se démener pour remédieràlasituation,afinquelesétudiants puissent continuer à accéder aux soins

Si la formulation de la question référendaire – « une majorité de votes négatifs[...]limiteraconsidérablementla capacité des étudiants 2SLGBTQ+ à accéderauxsoinsdesantéessentiels » a pu en étonner certains, Rachel estime que cette affirmation est « entièrement exacte ». « Il s’agit de soins de santé qui permettent aux gens de mener une vie heureuse, épanouie et digne, et qui font souvent la différence entre la vie et la mort », ajoute le membrede laTPU.

La couverture des soins d’affirmation de genre débutera à l’hiver 2026, grâce aux contributions facultatives de 10,05$ pour tous les étudiants au baccalauréat.

LaMSAfaceàdesdéfiscroissants

PourlaMSA,lerésultatduréférendum a été une grande déception. « Chaque année, nous poussons les limitesdecequenouspouvonsaccomplir pour les étudiants sur le campus – en particulier au cours des vingt-quatre derniersmois»,expliqueHamzaAlfar-

rash, président de l’association. En raison d’un vote négatif majoritaire à 52,4%, la MSA se dit « confrontée à des défisimportantspourmaintenirsonniveau d’activité. Nous pourrions être contraints de réduire ou de restreindre des services essentiels à notre communauté,pourlesquelsiln’existeaucunealternativeadéquatesurlecampus».

Alfarrash insiste que l’association est parfaitement transparente sur ses finances, et que le manque est bien réel : « Nosvaleursreligieusesnousobligentà garantir une transparence totale et à veilleràcequechaquedollarsoitdépensé demanièreresponsableetréinvestidans notrecommunauté.»

Le référendum de l’AÉUM met en évidencelefaibleintérêtdelacommunauté étudiante – seuls 19,1 % des étudiants ontvoté–ainsiqu’unesolidaritéinégale sur le campus. Si certaines initiatives ont obtenu gain de cause, d’autres devrontdésormaiscomposeravecdesressourceslimitées.̸

Eugénie st-pierre Éditrice Actualités

des saisons des équipes varsity de McGill

L’Université a enregistré à la fois de larges succès et d’importants revers.

es températures frôlent le zéro, les premiers flocons ont fait leur apparition : l’hiver montréalais s’installe progressivement,synonymedefindesaisonpour beaucoup d’équipes universitaires.

La réputation de McGill ne s’est pas faite sur ses performances sportives. Pourtant, si elle n’est pas reconnue comme une « université de sport », les Redbirds (section masculine) et les Martlets (section féminine) se montrent très performants dans certaines disciplines. Voici un récapitulatif des saisons des équipes universitaires (varsity), toutes sections confondues.

Des réussites dans l’eau, sur le green et sur les terrains

La natation reste le fleuron du sport mcgillois. Les Redbirds et Martlets ont remporté haut la main les deux premières coupes universitaires de la saison, finissant premiers sur six équipes à chaque rencontre. Le Québécois Loïc Courville-Fortin a décroché quatre médailles d’or et le titre de « nageur du week-end », tandis que l’étudiante de première année Rebecca McGrath a signé une performance identique chez les femmes. McGill domine

ainsi largement le classement du Réseau du sport étudiant du Québec (RSEQ) avant la trêve hivernale.

L’aviron a également offert à McGill plusieurs podiums de prestige. Les Martlets ont remporté le titre Kandahar, avec dix médailles d’or sur quatorze épreuves, devant Ottawa et Carleton. Les Redbirds, eux, ont terminé quatrièmes au championnat de l’Ontario (OUA) et sixièmes au championnat national (CURA).

En rugby masculin, les Redbirds ont confirmé leur statut de poids lourds. Avec une fiche de six victoires pour deux défaites, ils se sont inclinés de peu (37-42) en demi-finale contre l’Université de Montréal. Un parcours solide, mettant à l’honneur les couleurs de l’Université.

Côté cross-country, les Martlets ont remporté le McGill Invitational devant neuf autres universités, tandis que les Redbirds ont terminé quatrièmes. À Laval, les deux équipes ont confirmé leur constance, se classant respectivement 3e et 2e

L’équipe de crosse masculine, sport national estival, boucle une saison exceptionnelle avec un bilan de neuf victoires pour seulement trois

défaites, l’un des meilleurs ratios de l’automne.

Enfin, le golf féminin a offert l'un des momentsfortsdelasaison:l’étudiante en gestion Astoria Yen est devenue la première Martlet à remporter un tournoi RSEQ. Malgré un départage quilarelègueàladeuxièmeplace,son exploit reste historique.

Pourlereste,unbilanplusmitigé

Enrevanche,plusieursdisciplines ont connu des résultats plus équilibrésoudécevants.Aubasket,lesMarlets affichent un bilan de 4-4, tandis

que les Redbirds (2-6) peinent à suivrelerythme.Ironiedusort:c’est pourtant un ancien étudiant de McGill, James Naismith, qui inventa le basketball en 1891, avant d’en faire un sport mondial.

Pour le hockey, sport national d’hiver au Canada, les hommes sont sur une bonne lancée, avec un bilan de 9-6, tandis que la section féminine (3-7) peine dans cette première moitié de saison.

Le volleyball féminin (4-6) poursuit sa saison, tandis que le soccer féminin (5 victoires, 5 défaites, 4 égali-

tés) est éliminé en demi-finale des séries par l’Université de Montréal. Toujours en soccer, les Redbirds (3-45) terminent quant à eux cinquièmes et manquent les séries, au terme d’une saison moyenne.

Lefootballaméricainoccupeuneplace particulière pour McGill, depuis que l’Université a pris part au premier match de ce sport contre Harvard en 1874,bienqu’unevariante,le«football canadien », soit pratiquée au Canada. LesRedbirdsconcluentsurunbilandécevant (3-7) et une série de cinq défaites. Le hockey sur gazon féminin affiche l’effroyable bilan de neuf défaites pour une victoire, tandis que le rugby féminin (1-5) est battu, en moyenne, de 42 points par match.

Malgré des résultats très hétérogènes, McGill confirme son excellence dans plusieurs disciplines et sa capacité à former des athlètes de haut niveau. L’hiver venu, les projecteurs se tournentverslanatation,lebasketball, le volleyball et le hockey, où les équipes mcgilloises espèrent poursuivre sur leur lancée et clôturer l’année en beauté. ̸

Matthieu juge Éditeur Actualités

Matt garies

Au Soudan, les atrocités se multiplient

Les Soudanais paient le prix d'une

guerre sanglante dans l'indifférence

générale.

LeSoudan,frappéparuneinstabilité chronique depuis son indépendance en 1956, a sombré dansuneterribleguerrecivileen2023. Selonl’ONU,plusdedouzemillionsde personnes ont été déplacées depuis le débutduconflit.

Le26octobredernier,laprisedelaville d’ElFasher,danslarégionduDarfour,a marqué un tournant. Sous le contrôle desForcesdesoutienrapide(FSR),dirigées par le général Mohamed Hamdan Dagalo, ces milices contrôlent désormais près d’un tiers du pays à l’ouest, exacerbant une crise humanitairedéjàfortementprononcée.

Deuxchefsdeguerres’affrontent:d’un côté,legénéralAbdelFattahal-Burhan, à la tête des Forces armées soudanaises; de l’autre, le général Mohamed HamdanDagalo,surnommé« Hemedti», représentant les milices arabes du Darfour. Cette lutte pour le pouvoir, d’une extrême violence, fait des civils soudanais les premières victimes. Le Haut-CommissariatdesNationsUnies aux droits de l’homme (HCDH) rapporteavoirreçudes«témoignageshorribles » décrivant « des exécutions sommaires, des massacres, des viols, desattaquescontredestravailleurshumanitaires, des pillages, des enlèvementsetdesdéplacementsforcés».

Cette région est difficile d’accès, ce qui limitel'accèsàl'information.LesparamilitairesdesFSRpublienteux-mêmes

En bref

certaines de leurs exactions sur les réseaux sociaux. Ces vidéos choquantes montrent de graves violations du droit international, selon Seif Magango, porte-paroleduHCDH.D’aprèsl’Organisation mondiale de la santé (OMS), «plus de 260 000 personnes restent piégées à El Fasher ; elles n’ont pratiquementaucunaccèsàlanourriture,à l’eaupotableouauxsoinsmédicaux».

Désintérêtdelacommunauté internationale

«LeSoudanestlethéâtredelaplus grande crise humanitaire au monde », déclareTedChaiban,directeurgénéral adjointdel’UNICEF.Au-delàdelaviolence, la famine et les maladies s’étendent rapidement. Et alors que d'autres conflits retiennent l'attention,leSoudandemeuredansl'ombre. Pourtant, le pays demeure dans l’ombre, tandis que d’autres conflits retiennent l’attention. Particulièrement sous-médiatisé jusqu’aux massacres d’El Fasher, le Soudan a largement souffert d’un silence accablantdelapartdesmédiasetdelacommunautéinternationale.

D’après le reporteur Christophe Ayad, ce désintérêt s’explique par la taille du territoire, la complexité du conflit et l’implicationdepuissancesétrangères à l’échelle régionale. Il avertit que les Européensonttortdedétournerleregard : les Soudanais chassés de leur pays fuient vers le Tchad, puis la Li-

bye, avant de risquer la traversée vers l’Europe. Il s’agit de la conséquence inévitable d’un désintérêt prolongé pour ce conflit.

Desmilicesappuyéesdel’extérieur

LeCanadaetd’autrespays,enparticulierlaFrance,entretiennentdesrelations commerciales avec les Émirats arabes unis, notamment dans le domaine militaire. Bien que ces derniers nient leur implication directe, ils soutiendraient les FSR et leur général Hemedti. « Les preuves de leur engagementauSoudansontlargement documentées»,aconfirméThierryVircoulon, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales. Plus récemment, des enquêtes de CBC ontmisenlumière,àpartird’imageset de vidéos, la présence d’armes portant le logo de Sterling Cross Defense Systems, une entreprise basée à Abbotsford, en Colombie-Britannique, entre lesmainsdecombattantsdesFSR.

Alorsquelasituationcontinuedesedétériorer,lemanqued’actionsdelacommunauté internationale soulève des interrogations. Entre intérêts géopolitiques et indifférence médiatique, le peuplesoudanaisdemeureabandonné à son sort, dans une guerre dont la fin semblehorsdeportée.̸

Pema tournadre

Contributrice

La sélection d’actus

du Délit

SoutienàlaPalestine:versunenouvellesemainedegrèveétudianteàpartirdu17novembre

Le soutien étudiant à la Palestine ne démord pas : depuis le début du mois d’octobre, plusieurs comptes Instagram – @divestmcgill, @shutitdownstrikes, @desinvestir4palestine… – appellent à une semaine de grève générale la semaine du 17 au 21 novembre. Leur objectif? Pousser l’Université McGill à se désinvestir de toute activité reliée à Israël. Ces comptes affirment que l’Université investit près de 15 millions de dollars de ses dotations dans des entreprises d’armement et de défense (Airbus, Safran…) qui permettent à Israël de continuer sa guerre en Palestine. Ils considèrent avoir été « ignorés » par l'exécutif mcgillois, ajoutant que l’Université investit les frais de scolarité des étudiants dans une sécurité privée qui « opprime » les étudiants.

Cet appel à la grève diffère des précédentes, car il vient des associations départementales plutôt que de l’AÉUM. Depuis vendredi dernier et jusqu’à vendredi prochain, au moins 19 associations départementales (dont celles de philosophie, de géographie, d’histoire et de développement international) de McGill tiennent des assemblées générales au cours desquelles les membres étudiants de ces départements pourront choisir de faire grève ou non. Les représentants derrière les comptes Instagram appellent les étudiants en grève à manifester devant les salles de classe, à distribuer des tracts et à décourager les non-grévistes d’accéder aux cours.

OuverturedelaCOP30auBrésil:unclimatoscepticisme

AURÉLIEN QUÉMÉNER

Contributeur

aggravéfaceàl'urgence

Dans un contexte international tendu, la Conférence sur les changements climatiques (COP 30) s’est ouverte ce lundi à Belém, au Brésil, en lisière de la forêt amazonienne. Près de dix ans après l’accord de Paris sur le climat, qui avait pour objectif de maintenir le réchauffement de la Terre sous la barre des 1,5°C par rapport à l’ère préindustrielle, la température de la planète a pour la première fois dépassé ce seuil en 2024. Une réalité qui montre l’inefficacité avérée des politiques mondiales dans la lutte contre le changement climatique.

S’ajoute à cette évidence scientifique la politique climatosceptique du président américain Donald Trump, qui a une nouvelle fois retiré son pays de l’accord climatique de 2015. Il vient par ailleurs de repousser d’un an l’accord mondial sur la décarbonation du transport maritime. D’autant plus qu’il n’y aura pas de représentant politique américain de haut niveau à Belém. Un signal clair du désengagement total des États-Unis dans la lutte contre le changement climatique, qui ne cesse de s’aggraver. Le typhon Kalmaegi, qui a frappé les Philippines et le Vietnam, ainsi que l’ouragan Melissa qui a balayé la Jamaïque servent d’exemples récents de l’accélération des phénomènes climatiques extrêmes liés au dérèglement planétaire. Le Vietnam fait généralement face à une dizaine de tempêtes par an, Kalmaegi est déjà la treizième cette année. La conférence de Belém doit confronter les pays à leurs contradictions et promouvoir l’action collective face à l’urgence climatique. ̸

STU DORÉ I Le Délit

Société

société@delitfrancais.com

OPINION

Pour passer enfin de la parole aux actes

Comprendre les comportements paradoxaux des électeurs montréalais.

L’indifférence de la majorité de lapopulationmontréalaiseface à son obligation démocratique municipale tient de l’idiotie la plus pure. Les chialeux dispersés un peu partoutsurlespectrepolitiques'époumonent sans relâche pour cracher sur l’administration, mais quand vient le temps d’exprimer leur désapprobationdémocratiquement,silenceradio. La plus récente élection a vu voter seulement 37,1 % des électeurs enregistrés, un pourcentage carrément famélique. Mais pas inhabituel. Pire encore, Ensemble Montréal, grand vainqueur (regrettablement) de ce processusàpeinedémocratique,aobtenu une majorité grâce à l’appui de seulement15,7%desélecteurs.43,4% des voix. Même pas la majorité de la minorité.Minable.

Dans l’objectif de ne pas être totalement hypocrite, je ne ferai pas de cet article une colonne de vitriol. Du moins, pas totalement. Vous serez obligés de subir quelques paragraphes de plus de ma frustration, mais je vous promets en échange des propositions constructives. Des avenues pour mobiliser la population de manière durable et la conscientiser surl’importancedel’implicationpolitique au niveau municipal.

Uneautrecomplainte…

Oui, j’ai voté Projet Montréal. Oui, je suis déçu de voir que la métropole du Québec fera du surplace pour les années à venir. En plus, il fallait que ce soit une ressortissante du Parti libéral du Canada. Une Coderre 2.0. Et, bien pire encore, une candidate qui a comme réels intérêts ceux de ses donateurs et des Montréalais les plus riches, réalité qui semble échapper à son électorat de frustrés.

Pour un Montréalais vivant dans le confort et l’indifférence, quelle importance de pouvoir déterminer qui siègera au conseil municipal. Les compétences de l’appareil gouvernemental local sont limitées, si bien que les impacts de sa gouvernance ne sont pas toujours les plus criants. Le triumvirat des enjeux sociétaux majeurs actuels – la santé, l’éducation et l’énergie – sont pris en chargeailleurs,parnostortionnaires caquistes de l’Assemblée nationale. Pareilpourdescompétencesenapparence plus locales, comme l’habitation ou le travail, à qui l’influence et surtout le budget incombe aux ministres provinciaux.

Restent quand même les projets d’habitation en partenariat, la voirie et l’urbanisme, le développe-

ment économique local, l’entretien des infrastructures publiques, les services desécuritélocale…

Malgré l’influence dissimulée (mais évidente et essentielle) de l’appareil municipal, les plaignards trop paresseux pour agir n’y voient qu’une sorte de génératrice de nuisances. Les routes sont pleines de trous, les maudits cyclistes sont partout, les itinérantsencombrentl’entréedeleurtour à condos! Je ne nierai pas que tous ces enjeuxsociétauxreprésententdesproblèmesimportantsdel’agglomération montréalaise,maislaréponsesuscitée tientdunon-sensleplusfrustrant.On conspuelesinitiativesdemobilitédurable, on refuse la construction de logements transitifs… franchement, décidez-vous! Voulez-vous chialer pour chialer, ou souhaitez-vous vraiment un quelconque changement? À envoirlestauxdeparticipation,lapremièreoptionmesembleplusplausible.

Étantungarsdel’estdeMontréal,jene peuxvousrépétersuffisammentàquel point l’absence d’un réseau de transport en commun développé a compliqué et allongé tous mes trajets d’adolescent. À quel point le sous-investissement en infrastructures communautaires et sportives me rendait jalouxdesautresarrondissements!La réalité, c’est que là où la Ville peut avoirleplusd’impact,c’estauprèsdes plus démunis, des classes populaires et moyennes. Elle peut améliorer un système de transport abordable, favoriser le déplacement à vélo et injecter desfondsdansdessecteurssous-développés de Montréal. Je ne prétends à aucunmomentavoirfaitpartie–dans mon enfance – d’une classe économique modeste ni même moyenne, mais j’ai vécu dans un milieu clairement ignoré, peu importe la personne aupouvoiràl’Hôteldeville.

Maisbon,quandonestriche,onsefiche éperdument des bienfaits qu’un HLM peut prodiguer. Ou bien de l’impact d’unepistecyclablesurlamobilitédes travailleurs. Tout ce qui importe, c’est quelasuspensiondelaPorschenesoit pas trop affectée par les trous dans la chaussée en route vers le chalet sur le lac Memphrémagog. Je caricature peut-être, mais force est d’admettre qu’Ensemble Montréal propose un programme orienté vers les propriétaires en tout genre, du logement au véhiculemotorisé,quisesententlésés quand on les empêche de régner en rois sur le reste de la population. Un programme par et pour les riches, un programmeprônantunestagnationdu progrès social et le développement d’infrastructures qui pourront bénéficier à la multitude. Un programme qui s’adresse aux geignards nantis

frustrés par l’administration Plante. Un programme pour ceux qui préfèrent pérenniser la maudite culture du char plutôt que de rendre la route accessibleàtous.Unprogrammefavorisant les propriétaires plutôt que ceux qui peinent à se loger et maintenirunequalitédeviedécente.

Et bon, ceux qui sont le plus affectés ne votent pas non plus. Personne ne vote, c’est terrifiant. Presque aussi débile que les amerlocs qui votent pour un président qui se fout éperdument d’eux.

Mais tout le monde continuera à se plaindre sans but, peu importe ce qui adviendradenotreville.

Mauditschialeux!

…maispassanssubstance

Jenesuispassimplementaigripar ladéfaitedupartipourlequelj’aivoté. Jesuisaigriparlemutismedelamajoritémontréalaisequandvientletemps de passer à l’acte. Le gros problème de mon argumentaire, c’est que même ceuxquigagneraientàvoirdeschangements sociaux positifs être effectués ne votent pas. Ou du moins ils ne votentpas«dubonbord»pourqueces changements se matérialisent. Bien quecetteapathieélectoralepuisseêtre partiellementexpliquéeparunedébilisation du débat autour d’enjeux tenant davantage de l’irritant que de l’essentiel, le blâme est attribuable à demultiplescauses.

STUdoré i LE DéLIT

« À force de ne rien comprendre, on tombe dans la complaisance, et on nourrit une détestation pour le système, qui réduit encore davantage notre envie d’y participer »

rie, mais en pratique, cette méthode tarde à être adoptée par les régimes politiquesdumonde.

L’essentielduproblème?Unmanque criant d’éducation citoyenne et médiatique,etunaccèsauvotetroplimité compte tenu de l’intérêt minimal accordé à la politique municipale. À force de ne rien comprendre, on tombe dans la complaisance, et on nourrit une détestation pour le système, qui réduit encore davantage notre envie d’y participer.

Pourstimulerlesendormis,ilfaudrait faire du vote une obligation. À mon sens, il l’est déjà : pour protéger la démocratie,ilfautenfairel’exercice.Sauf qu’imposerlevote,souspeinedepénalité pécuniaire par exemple, ne pourrait que désavantager les personnes les plus vulnérables que je défends. Donc, il faut rendre le vote plus accessible. Solution : allonger la période de scrutin et permettre le vote virtuel. Rien de très révolutionnaire en théo-

Si les gens ne veulent pas se déplacer pouruneélectionquileursembletrop futileettroppeudéterminante,ilfaut amener l’élection à eux. Je comprendslesnombreusesdifficultésdécoulant de l’adoption d’un mode de scrutinvirtuel,maisjecroissérieusement que les gains démocratiques pouvantenrésulterenvalentlapeine. 37,1%departicipation,c’estrisible!Il faut donner un grand coup dans le système : l’heure de la fin des demimesures a sonné depuis bien longtempsdéjà.

Levotevirtuel,s’ilestfaitdemanière complètement désintéressé, n’est pas une victoire à lui seul pour la politique municipale. Les gens – moi y compris–connaissentmallesstructures du pouvoir et les divisions des responsabilités, qui détonnent avec le système électoral classique provincialetfédéral.Unemeilleureédu-

cation, par le biais des médias et des institutions académiques, ne pourrait qu’améliorerlacompétenceélectorale des citoyens. Ce n’est pas normal qu’après 16 ans de scolarité, aucun de mes cours obligatoires n’ai abordé le pouvoir municipal.

Si on est pas informé, on n'est pas intéressé. Et si on est pas intéressé, on ira pasvoter.

Etsionnevapasvoter,l’éternelplainte de la population ne cessera de prendre en ampleur, sans pour autant que son action citoyenne y fasse écho. Si les gensneveulentpassedéplacerous’informer, il faut prendre les rênes et préparernotredémocratieenamont.Ilfaut en prendre soin, sans quoi le système municipalcontinueradepériclitervers unsystèmerégiparlaminorité.

Sortezvoter,mauditsparesseux!̸

Antoine Proulx Éditeur Opinion

Mets épluchés

Difficile de passer à côté de la boisson tendance du moment : le matcha. De Montréal à Téhéran, en passant par Hambourg et Nashville, ce thé à la couleur verte prononcée captive les jeunes plus que jamais. Inondant autant les rues que les réseaux sociaux, sa popularité frénétique l’a élevé audelà de la simple boisson – c’est devenu la nouvelle coqueluche de notre génération. En conséquence, tous les commerces veulent saisir l’opportunité et prendre leur part du gâteau.Cettepopularitéestpourtant très récente : avant son ascension fulgurante, la boisson était avant tout associée aux cérémonies de thé japonaises. Alors que la demande pour ce nouvel « or vert » ne fait qu’augmenter, l'industrie japonaise peine à y répondre.

Unehistoiredetradition

Il y a encore dix ans, le matcha incarnait l’antithèse de la jeunesse numérique ultra connectée qu’elle reflète aujourd'hui. Omniprésent dans les cérémonies de thé japonaises, il était ancré dans un rituel méditatif inspiré de la philosophie zen et pratiqué depuis le 15e siècle. « Quand on parlait de matcha auparavant au Japon, les gens associaient ce mot à la cérémonie du thé, à la discipline et à quelque chose qui prenait beaucoup de temps (tldr) », explique Reina Sakao, fondatrice de la boutique Sakao Japanese Tea, qui offre une sélection de thés japonais.

Même s'il existe aujourd’hui des variations informelles, la cérémonie de thé traditionnelle représente un art millimétré. Ce rituel dure trois à quatre heures et va bien au-delà de la simple consommation d’un thé, incluantnotammentunrepas,unarrangement soigné de charbon et une composition florale. « En général, la cérémoniealieuaumoinsunefoispar saison », me dit Mme Sakao. « Le but, c’estd’apprécierchaquecycle,d’apprécierlemomentprésent ».

omnivore@delitfrancais.com

2025 : le brouhaha du matcha

Comprendre la frénésie mondiale autour cette boisson.

ries:cérémonial ou culinaire. D'après Mme Sakao, la différence est liée au temps de récolte : « Normalement, les premières feuilles sont plus tendres, plus vertes, avec plus d’umamietunevaleurnutritiveplusélevée », etcesontellesquiseboiventdepréférence.Lematchadequalitéculinaire, plus amer et apte à la cuisson, viendrait plutôt de la deuxième récolte.

Identitéentransformation

Dans Le Livre du thé, Okakura Kakuzō, un intellectuel japonais, décrit le thé comme « une religion de l’art de la vie ». On se demande bien si cette philosophie traverse l’esprit des jeunes personnes en attendant leur matcha à Starbucks. Ces temps-ci, on soulignerait plutôt ses qualités énergisantes:puisque le matcha est moulu et consommé entièrement dans le liquide, cela fait de lui une boisson bien plus concentrée en nutriments, notamment en caféine. Le matcha a également des bénéfices pour la santé : antioxydants, anti-inflammatoires, L-théanine (un acide aminé aux effets apaisants sur le cerveau), et autres.

Noyée dans le sucre

À Montréal, une hausse de demande a conduit à une vraie démocratisation du matcha. Les établissements spécialisés dans le matcha poussent comme des champignons autour de la ville, ainsi que, dans les cafés classiques, il est devenu incontournable. « C’est une boisson très demandée », me dit Ibrahim, barista chez Café Nocturne. « Comparémêmeàunlatteouàl’espresso, le matcha est probablement tout aussi populaire. » Une remarque surprenante, sachant qu’il y a seulement cinq ans, il était encore difficile de se procurer cette boisson.

Au Café Nocturne, comme dans la plupart des cafés typiques de la ville, le matcha est exclusivement

« Quand on parlait de matcha auparavant au Japon, les gens associaient ce mot à la cérémonie du thé, à la discipline et à quelque chose qui prenait beaucoup de temps »

Reina Sakao, fondatrice de la boutiqueSakao Japanese Tea

répondre entièrement à la demande croissante. En tenant compte d’autres facteurs, tels qu’une population vieillissante – l’âge moyen des fermiers étant de 69 ans –, une monnaie en pleine dévaluation et des conditions climatiques défavorables à la production, le marché du matcha subit de fortes contraintes. La conséquence directe est une augmentation record du prix du matcha : lors de la première vente aux enchères à Kyoto cette année, le prix d’un kilogramme de matcha a enregistré une hausse de 70 % par rapport à l’année précédente.

« Lors de la première vente aux enchères à Kyoto cette année, le prix d’un kilogramme de matcha a enregistré une hausse de 70 % par rapport à l’année précédente »

Lorsdecescérémonies,deuxvariétés dethésontutilisées:l’usuchaetlekoicha. Le premier est plus fin, moins cher et peut être utilisé au quotidien. Le koicha, quant à lui, est un thé plus épaisauxnotespluscorséesetriches. D’une qualité supérieure et assorti d’un prix plus élevé, le koicha est réservé pour des occasions spéciales.

Malheureusement, cette distinction se perd une fois le matcha exporté dans les marchés étrangers, où il est souvent vendu en deux catégo-

disponible en latte. Servi avec du lait et un sirop sucré, il reste un choix de boisson très accessible, selon Ibrahim. « Je pense qu’il pourrait y avoir un lien avec le fait que le café soit trop amer, alors que le matcha, avec un sirop de vanille, a un goût juste assez subtil », explique le barista.

L’augmentation du prix

Au Japon, la production artisanal du matcha ne lui permet pas de

Pour les commerces, ce succès est à double tranchant. Peter Yuen est propriétaire d’Asiatica, une boutique de thé ouverte depuis 26 ans, qui fournit du matcha aux cafés ainsi qu’aux particuliers. « Avec le matcha, notre profit est beaucoup plus bas comparé à d’autres thés offerts », me confie-t-il. « Parce que le prix augmente trop vite, nous ne parvenons pas à suivre l’augmentation des coûts ». Malgré cela, il affirme que le matcha reste bon marché pour son magasin : « Quand tu vends

du matcha, tu ne vends pas seulement le thé – tu vends aussi tous les accessoires : le bol à matcha, le fouet, le chashaku (la petite cuillère). »

Les enjeux épineux

Alors que les agriculteurs et intermédiaires du matcha au Japon doivent composer avec un engouement considérable, il n’est pas surprenant que les pays voisins observent attentivement cette tendance. La Chine par exemple – l’endroit où le matcha est né pendant la dynastie Sung – a déjà accéléré sa production de matcha. « Ça fait déjà cinq à dix ans qu'ils en produisent », me dit M. Yuen. Néanmoins, il garde ses réserves : les Chinois ont beau importer des graines japonaises et embaucher des ingénieurs japonais, « il n’y a pas de comparaison », affirme-t-il.

« Un sol différent, une eau différente, une température différente:à quoi vous attendez-vous? »

Une autre menace réside plus localement au Japon, traditionnellement réputé pour la qualité de ses produits. « Il y a certains marchands avec qui nous communiquons et qui disent : “Je ne m’inquiète pas de la quantité, mais de la qualité maintenant” », indique M. Yuen. « Certains commerçants de thé se rendent compte que

la demande est tellement forte qu’il faut accélérer la production ». Au Japon, où l’on a tendance à prioriser la qualité par rapport à la quantité, notamment avec les fruits haut de gamme ou le bœuf de Kobe, le matcha ne fait pas exception. Une baisse de qualité pourrait endommager une industrie qui existe depuis des siècles.

Une relâche des prix?

Malheureusement pour les accros au matcha latte, le prix ne va pas s’équilibrer du jour au lendemain – il pourrait même encore augmenter. L’importante demande et les pénuries ne peuvent pas être résolues avant la prochaine saison de récolte, qui a lieu à la fin du printemps. Or, les réserves du matcha japonais, déjà limitées, risquent d’être soumises à une pression accrue. En fin de compte, M. Yuen voit cette tendance éventuellement se dissiper : « Toutes les modes ont une date d’expiration. Un jour ou l’autre, cela finira par passer. » ̸

Milan

TOSCANE RALAIMONGO I Le Délit

SCe midi, repas gratuit!

Les diners quotidiens de l’AÉUM, une mesure temporaire fructueuse.

ivousentrezdansleCentreuniversitaire de l’Association étudiante de l’Université McGill (AÉUM) entre 12h30 et 14h30, vous verrezunelonguefiled’étudiantsmunis de contenants. La raison de leur attente:unpetitkiosque,encadrépar deux grands panneaux affichant les mots « FREEDAILYLUNCHES » (dîners quotidiens gratuits, tdlr), derrière lequel s’affaire un employé du traiteur Bon Appétit

partements à temps plein de l’AÉUM ». Toutefois, l’association étudiante, conjointement avec l’Association étudiante de la Faculté des arts (AÉFA), a décidé de sous-traiter ces services à l’entreprise de traiteur montréalaise Bon Appétit, afin d’assurer une continuité du service dans l'attente d'une solution plus durable. Le président de l’AÉUM, Dymetri Taylor, explique qu’il ne s’agit que d’une

« À partir de janvier, le service de restauration reviendra sous la responsabilité directe de l’AÉUM »

Dymetri Taylor, président de l’AÉUM

Ce nouveau programme de repas gratuits quotidiens proposé par l’AÉUM a pour but de remplacer Midnight Kitchen (MK). Début d’octobre, l’AÉUM avait décidé, unilatéralement et sans préavis, de « réorganiser le service » de MK , évoquant une mauvaise gestion des fonds et la qualité jugée médiocre du service offert. L’AÉUM avait tout d’abord affirmé une volonté de « bonifier le programme [de MK] » en l’intégrant « aux dé-

mesure temporaire : « Le recours au traiteur se poursuivra uniquement jusqu’à la fin du semestre. » Il assure qu'il s'agit « de garantir que les étudiants aient accès à un service de dîner cinq jours sur cinq. À partir de janvier, le service de restauration reviendra sous la responsabilité directe de l’AÉUM. »

Le programme connaît un succès croissant auprès des étudiants. Beaucoup en ont entendu parler via

les réseaux sociaux, soulignant les efforts déployés par l’AÉUM pour rendre l’initiative visible et accessible. En plus de la campagne numérique, des affiches promouvant le service de dîner sont observables sur pratiquement chaque tableau d’affichage du campus.

Parmi la dizaine de personnes interrogées par Le Délit pendant leur attente devant le kiosque du Centre universitaire, aucune n’avait déjà fréquenté MK. Lorsqu’on lui pose la question, Mia Valderrama-Lopez, étudiante à McGill, a l’air confuse. « Midnight Kitchen? Non, je n’en ai pas entendu parler», répond-elle, « Je suis l’AÉUM sur Instagram et c’est comme ça que j’ai découvert le service de dîners ».

Le budget 2024 de MK allouait 25 000 $ (soit 7,41 %) de son budget à la nourriture, pour un à deux repas par semaine. Le nouveau service, dont le budget est porté à 36 000 $, permet désormais de fournir des repas cinq jours sur cinq. Bien que cela marque une progression en termes de régularité des repas proposés aux étudiants, il ne faut pas perdre de vue les limita-

Mets Épluchés L’AÉUM remplace **Midnight Kitchen**.

RALAIMONGO I LE DéLIT

tions liées aux moyens matériels et humains rencontrées par MK, ce que ces dernières dénoncent sur les réseaux sociaux.

Elisha-Grace King, étudiante mcgilloise et ancienne habituée de MK ces dernières années, partage son ressenti : « J’étais très impressionnée que l’AÉUM soit capable de mettre en place un projet aussi grand en si peu de temps, et j’espère – au nom de tous les étudiants – que cela reste un succès. » Elle nuance toutefois : « MK était important, non seulement pour leur service de re-

pas, mais aussi pour la communauté en général, notamment dans les milieux de justice sociale et dans le quartier de Milton-Parc. Peu importe l’ampleur du nouveau programme de l’AÉUM », ajoute-t-elle, « je crois qu’il ne pourra jamais remplacer complètement MK. » ̸

héloÏse DURNING Éditrice Omnivore

Quand chaque bouchée est risquée

Mieux

comprendre les dangers cachés dans

notre alimentation.

Qui n'aime pas manger? Pour beaucoup c’est l’occasion de prendre son temps, de découvrir de nouvelles saveurs, de partager et de profiter. Mais il ne faut pas non plus oublier les risques que l’on peut encourir en mangeant des aliments ultratransformés. Si je vous parle de butylhydroxytoluène, de carboxyméthylcellulose ou encore de polysorbate 80, il se peut fort bien que vous n'en ayez jamais entendu parler. Vous en mangez

rations aromatiques naturelles, ni avec les produits chimiques agricoles. Si certains additifs sont inoffensifs, beaucoup suscitent des inquiétudes pour la santé. Par exemple, certains colorants artificiels ont été associés à des troubles développementaux chez les enfants, tandisquecertainsagentsdeconservation sont suspectés d’avoir des effets cancérigènes. De plus, plusieursadditifssontreconnuscomme des perturbateurs endocriniens, ce

troubles gastro-intestinaux, des crises d’asthme et des effets négatifs sur le système nerveux. Malgré ces risques, les additifs sont encore largement utilisés pour prolonger la durée de vie des produits et répondre aux exigences esthétiques des consommateurs.

Il ne faut cependant pas croire en une ignorance généralisée du public vis-à-vis de ce problème ; il s’agit plutôt d’une question économique

« Beaucoup de personnes, notamment les étudiants, n’ont pas la capacité financière de privilégier systématiquement des aliments sans additifs potentiellement dangereux. »

pourtant très souvent, puisqu’il s'agit d'additifs répandus. Aujourd’hui, il est important de se poser des questions sur la qualité de nos aliments ainsi que sur le potentiel risque auquel nous nous exposons en les consommant. Mais alors, quels sont-ils exactement? Et comment peut-on mieux se protéger?

Les additifs alimentaires sont des substances ajoutées intentionnellement aux aliments pour en améliorer la conservation, le goût, la texture ou l’apparence. Il ne faut pas les confondre avec les épices, assaisonnements ou autres prépa-

qui signifie qu’ils peuvent déséquilibrer le système hormonal et entraîner des problèmes reproductifs. Ces substances peuvent donc affecter la fertilité, le développement fœtal ou encore augmenter le risque de certaines maladies chroniques.

Prenons une canette de Canada Dry. Cette dernière contient un additif à risque élevé pour la santé:du benzoate de sodium, un agent conservateur. Cet additif est suspecté d’avoir des effets néfastes sur la reproduction et le foie ; il peut aussi provoquer des réactions d’intolérance, telles que des

mêlée à une forme de fatalisme. Beaucoup de personnes, notamment les étudiants, n’ont pas la capacité financière de privilégier systématiquement des aliments sans additifs potentiellement dangereux. En effet, de manière générale, plus un produit est transformé, moins il est cher. Talia Moses, étudiante mcgilloise, explique la manière dont elle choisit quels aliments acheter : « Je fais attention à ce que mes aliments soient bons pour ma santé, surtout en regardant leur valeur nutritive. Par contre, », ajoute-t-elle, « je ne prête pas vraiment attention aux additifs

– ni aux microplastiques d’ailleurs. C’est presque impossible de tout éviter, alors je ne me prends pas trop la tête avec ça ». Pour d’autres, c’est plus une question de déni volontaire : pas question de culpabiliser en mangeant leur collation favorite, alors ils préfèrent ne pas lire la liste d’ingrédients.

Si vous êtes curieux de connaître les risques encourus, ou si vous souhaitez être plus au courant de ce qui se trouve dans votre assiette, l’application mobile Yuka permet de balayer le code-barres de vos aliments et produits cosmétiques et leur attri-

bue une note selon leur qualité. Mieux connaître les additifs qui s’immiscent dans notre alimentation est un premier pas essentiel pour faire des choix éclairés.̸

héloÏse DURNING Éditrice Omnivore

TOSCANE RALAIMONGO I LE DéLIT
TOSCANE

culture

littérature

Lire, c’est snob

Réflexion sur le canon littéraire et la place qui lui est accordé au Québec.

Ppendant longtemps, les livres les plus vendus ont été considérés comme de la « paralittérature ». Aujourd’hui, on appelle cette catégorie de livres la littérature « de genre ». Si le changement d'appellationapaiselesdébats,laplacede la littérature de genre est toujours contestée.Lirelesnouveautésdesauteurs à succès, est-ce une perte de temps? Devrait-on privilégier les grands auteurs classiques? Et qu’en est-ildesdivergencesentreleQuébec et l’Europe?

Une vision tunnel

Tout le monde connaît Balzac, Proust et Hugo. Souvent, lorsqu’on parle de littérature, ce sont leurs noms qui nous viennent à l’esprit en premier. Les grands classiques ont faitleurchemindansleslistesdelecture obligatoires des cours depuis longtemps et contribuent encore aujourd’huiàfaçonnerl’imagequenous avonsdelalittérature.DeLaComédie humainedeBalzacà Àlarecherchedu temps perdu de Proust, en passant biensûrparLesRougon-Macquartde Zola, certaines œuvres impressionnent par leur ampleur et leur architecture complexe. Sans aucun

pressionnante visait à donner une basecommuneauxétudiantsentrant dans le domaine. Avec le temps, la liste a été remisée et le catalogue de lectures universitaires est beaucoup plusinclusif:onytrouvedelalittérature de genre, des auteurs et autrices de communautés marginalisées desquelles on valorise enfin la voix.

Or, ce n’est pas la même histoire en Europe, tout particulièrement en France.Sileslistesdelecturedesuniversités québécoises se diversifient, celles de France montrent plus de rigidité. À la licence, l’équivalent du baccalauréatquébécois,lesétudiants doivent lire davantage ces auteurs classiques. Pourquoi la France ne suit-elle pas le vent de changement qui souffle sur le Québec?

« Depuis des siècles, tout groupe marginalisé est automatiquement exclu des “grands” auteurs »

doute, ces légendes de la littérature méritent l’admiration qu’on porte à leur labeur.

Toutefois, le canon littéraire francophone formé par ces grands noms a un défaut non négligeable : il est très peuinclusif.Unrapidecoupd'œilaux noms des « grands » permet de constaterqu’ilssontmajoritairement des hommes blancs. Il est à noter que quelques femmes blanches s’y taillent une place, comme Madame deSévignéouGeorgeSand,maiselles restent globalement exclues. Depuis des siècles, tout groupe marginalisé est automatiquement exclu des «grands»auteurs.Exitlespersonnes racisées,exitlesauteursappartenant à la diversité sexuelle ou de genre.

Le vent de changement qui souffle sur le canon littéraire

Bien établi, le canon littéraire a fait sa loi dans les universités. En remontantauxannées1990,l’Université de Montréal fournissait une liste delectureàsesétudiantsenpremière année de littérature. En un an, ils devaientliredesoixanteàquatre-vingts œuvres, le nombre prescrit différant selonlesannéesdescohortes.Laplupart de cette liste était consacrée à desécrivainsclassiques,del’antiquité jusqu’au 20e siècle. Cette liste im-

Selon Michel Biron, professeur titulaire à McGill, spécialiste de littérature québécoise et belge, «l’Amérique et l’Europe n’ont pas évolué de la même manière. Le Québec est aligné sur une démocratisation de la culture, une ouverture et une contestation du canon. Cet argument est très fort en Amérique, c’est ce qui fait que les corpus et les programmes accordent plus de place à desfemmesetàdesgenresminorisés, desformesquinesontpasclassiques oureconnuespardesinstitutions.En Europe, on adhère encore à la vieille formuledeRolandBarthes,quidisait “lalittérature,c’estcequis’enseigne”. Poureux,ladéfinitiondelalittérature passe par l’institution scolaire ».

Uncanonquifaitlafierténationale

Les auteurs du canon francophone sont presque tous français. Cette canonisation serait-elle une fierté nationale, d’où l’importance que l’on continue à lui accorder aujourd’hui? « La France a été au cœur de l’évolution de la littérature au 19e siècle. C’est à partir de Paris qu’on mesure si on est en avance ou en retard sur les autres écrivains. Il y a donc une centralité qui est exceptionnelle dans le monde entier », explique M. Biron. Il ajoute que la France,trèsfièredecethéritage,peut montrer une certaine résistance, mais qu’elle fait preuve de plus en plus d’ouverture.

Lesprixlittéraires:reconnaîtrele talent hors de la France

Lesprixlittérairessontunefaçon de reconnaître le caractère unique d’une œuvre, son importance dans le mondedelalittérature.Plusieursprix

québécois sont décernés chaque année, comme le Prix littéraire des collégien·ne·s ou le Prix du Gouverneur général. Toutefois, force est d’admettrequelesprixlesplusprestigieux sont ceux qui viennent de France. Bien souvent, les reconnaissances québécoises ou canadiennes accordéesàunlivrenelefontpasrayonner à l’international, comme le prix Médicis, Goncourt ou Femina le font.

De temps à autre, c’est une œuvre québécoise qui gagne la palme, comme Kev Lambert en 2023 avec son roman Que notre joie demeure ou Éric Chacour qui, la même année, a remporté le prix Femina des lycéens. Deux Québécois gagnants de prix littéraires français : les journaux ont parlé d’un tel exploit pendant des semaines. Depuis quelque temps, la littérature québécoise est devenue populaire en France, ce qui n’est pas pour déplaire. Les prix littéraires français commencent à s’ouvrir de plus en plus sur le monde, et pas seulement sur le Québec. En 2003, le prix Femina est décerné à Dai Sijie, un auteur chinois d’expression française. La tendance se poursuit en 2013, où Léonora Miano, première lauréate camerounaise, rafle le prix, suivie en 2014 de la première lauréate haïtienne, Yanick Lahens. De plus, des prix français offrent une dimension internationale, comme le prix Médicis étranger, qui récompense chaque année depuis 1970 un roman étranger paru en traduction française. Nous sommes face à une décentralisation de la France dans la littérature

francophone, ouvrant donc possiblement la porte à une diversification du canon littéraire.

Une perte de compétences garantie?

« Les étudiants ne veulent plus être seulement passifs et lire des textes qui sont déjà bien reconnus, ils veulent que la littérature soit liée à une forme d’expérience de la lecture et de l’écriture »

Michel Biron, professeur titulaire à McGill

Le canon littéraire semble peu à peu se déconstruire, bien que ce soit à des rythmes différents qui dépendent des continents. Des littératures qui y sont moins attachées, comme celles du Québec, des Antilles, du Maghreb, de l’Afrique subsaharienne, se rebellent de plus en plus et créent leur propre éventail de grands écrivains. Les grands auteurs français ne sont pas près d’être détrônés, mais un vent de changementsoufflesurlalittérature pour en faire un domaine vivant et représentatif de ses adeptes. ̸

ROSE langlois

Certains s’inquiètent, estimant que si l’on ne met plus les grands piliers de la littérature de l’avant, il y aura forcément une perte de connaissances, de qualité, de compétences. M. Biron s’y oppose en expliquant que les nouvelles générations revendiquent d’autres valeurs. Bien qu’il y ait une perte de références communes, cela ne signifie pas une perte de compétences, mais bien une transformation de l’horizon de la culture. Selon lui, ce changement apporte une nouvelle dimension à la littérature : « Ce qui me frappe et que je trouve passionnant, c’est que la connaissance de la littérature par la lecture de textes canoniques s’accompagne aujourd’hui d’une pratique de la littérature, d’un intérêt pratique. C’est tout à fait nouveau. Les étudiants ne veulent plus être seulement passifs et lire des textes qui sont déjà bien reconnus, ils veulent que la littérature soit liée à une forme d’expérience de la lecture et de l’écriture. Je trouve que c’est très vivant. Il y a un gain du côté de l’expérience de l’écriture, un vase communicant entre les deux, qui était très peu présent auparavant. »

Éditrice Culture

Eileen davidson I LE DéLIT

Le confort et l’indifférence

Retour sur les acquisitions récentes du MAC exposées au MBAM.

Après 1+1=1 en 2014, le Musée d’art contemporain de Montréal (MAC) et le Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) unissent à nouveau leurs forces pour présenter Le confort et l’indifférence, un projet qui met en lumière les acquisitions du MAC effectuées entre 2020 et 2025. Cette exposition apporte au grand public 37 œuvres par 22 artistes du Québec.

Le confort et l’indifférence emprunte le titre du documentaire de Denys Arcand (1981) consacré au référendum de 1980 sur l’indépendance du Québec, tout en élargissant le regard : de la passivité d’un électorat attaché au confort matériel individuel, elle s’étend aujourd’hui à une indifférence collective face aux crises mondiales.

Le confort et l’isolement

Parmi les œuvres présentées, certaines explorent « la mémoire, le territoire ou les gestes de soin », tandis que d’autres abordent « les effets de la violence, de la surveillance ou des inégalités structurelles », explique Mark Lanctôt, commissaire de l’exposition et conservateur de la collection du MAC. Si chacune propose une perspective qui lui est propre, ensemble, elles tournent autour du même sujet:«l’aliénation et la division. »

On peut notamment penser au portrait à l’huile One hit wonder horse town (2022) de Chloe Wise. Une jeune femme se repose la tête sur un paillassondejute,unwelcomemat,et semble perdue dans ses pensées, figéedansunmomentd’introspection. Cereplientreencontrasteavecl’univers de la représentation publique. L’artiste, dans la notice accompagnant l’œuvre, évoque d’ailleurs une critique de la culture de l’image et de lamiseenscènedesoisurlesréseaux sociaux. Souvent, il faut s’accommoder aux attentes sociales du getting along (s’entendre, tdlr) pour préserver l’illusion d’un confort collectif –au prix d’un certain vide affectif.

La frontière où se croisent tous les regards

Au-delà de l’individu et de ses masquessociaux,l’expositionfaitégalement résonner des préoccupations à une échelle sociopolitique. Tiré de

la série Roxham de Michel Huneault, « Sans titre 1 » (2017) illustre des silhouettes de demandeurs d’asile à la

contrasteentrelaprésencehumaine, le paysage et la figure de l’agent de la Gendarmerie royale canadienne.

« La malléabilité du verre donne à chaque vase une forme irrégulière, comme notre existence au sein de la société : unique et non reproductible »

frontière canado-américaine, le célèbre chemin Roxham. Ce lieu, fermé defaçondéfinitiveàlasuited’uneentente entre Ottawa et Washington sous le gouvernement Trudeau en mars2023,étaitautrefoisunpointde passageimportantpourdenombreux migrants.Danscetteœuvre,Huneault recouvre les silhouettes de tissus superposés, voilant volontairement leurs identités et accentuant le

Silaphotoportedéjàenelleunesymbolique incontournable, son empla-

exagérée en écho à l’absence physionomique des migrants de Huneault.

L’air du lien humain

L’exposition poursuit la réflexion sur les liens qui unissent les gens et leur milieu avec les œuvres de Bauer et Lozano-Hemmer. D’abord, cette idée traverse la série en verre soufflé de Lorna Bauer, ...air is where effort goes…once our effort is spent…this crowded air… (2021). L’oeuvre témoigne à la fois de la recherche continue de l’artiste sur la matérialité du verre et une réflexion quant à «l’em-

cementstratégiquedanslasalleoffre unnouveauregardsursonsujet.L’œil exorbité de A Room is a Thing (2019) de Marlon Kroll, situé en diagonale de « Sans titre 1 », semble planer audessus de la tête des demandeurs d’asile. Ce tableau semi-abstrait évoque une certaine « présence corporelle », comme une complétion

prise de l’humain sur la nature et les contraintes imposées aux corps». La malléabilité du verre donne à chaque vaseuneformeirrégulièredanslesarmatures métalliques, comme notre existenceauseindelasociété:unique etnonreproductible.Notreunicitéfait denousdesêtresvulnérablesmaisré-

silients, aptes au changement malgré l’inconfortquecelui-cipeutapporter.

À la fin du parcours, les visiteurs font face à la Thermal Drift Density Map (2022) de Rafael LozanoHemmer, une plateforme numérique interactive. Grâce à une caméra thermique, l’installation projette sur l’écran la dispersion des particules de chaleur qui viennent de nous et qui nous entourent. Parfois, les particules de l’un se confondent à celles de l’autre, nous rappelant ainsi que nos liens avec le reste du monde persistent même si on n’y pense pas.

En somme, le commissaire Lanctôt souligne que toutes les œuvres de la collection ne sont pas liées aux thèmes du confort et de l’indifférence. Néanmoins, l’exposition les utilisecomme«matièrespremières» et propose au public un regard nouveausurelles.Del’imageindividuelle à la scène collective, le confort ne se trouve jamais vraiment dans l’indifférence ; c’est dans l’inconfort, au contraire,queselogelapossibilitéde faire une différence.

Le confort et l’indifférence : acquisitionsrécentesduMACestexposéjusqu’au 3 mai 2026. L’entrée au Musée des beaux-arts de Montréal est gratuite pour les 25 ans et moins ̸

Chloe wise
Jiayuan cao | le délit
Michel Huneault
Marlon kroll

Tout ce qu’il faut savoir sur Wicked : Pour de bon

Spéculations sur la venue de la deuxième partie du film de Jon M. Chu.

La magie du film Wicked dépasse l’écran : la bande-annonce de la deuxième partie est visionnée par 113 millions de personnes en seulement 24 heures!

Inspiré de la comédie musicale du même nom, Wicked : Pour de bon reprend l’histoire de Glinda (Ariana Grande) et Elphaba (Cynthia Erivo) au pays d’Oz. Certaines personnes chanceuses auront l’opportunité de voir le film en avantpremière le 17 novembre lors d’un événement organisé par Amazon Prime, avant sa sortie en salles le 21 novembre au Canada.

La première partie de Wicked a connu un succès international, générant plus de 756,4 millions de dollars au box-office. Il s’agit du meilleur démarrage pour un film adapté d’une comédie musicale, dépassant Dans les bois (Into the Woods) de Rob Marshall, qui n’avait rapporté que 31 millions de dollars en comparaison. Wicked 1 a également reçu plus de 210 nominations dans diverses cérémonies de récompenses, notamment aux Oscars, aux Golden Globes et aux Grammy Awards.

On a vu plusieurs costumes du duo magique de Glinda et Elphaba cette

Réflexion

Il me semble que chaque semaine, je vois passer une nouvelle annoncedebalado(podcast)surl’alimentation, l’astrologie, le dating, le jardinage. Faits par des associations étudiantes, des humoristes ou encore des ex-candidats de téléréalité, ils deviennent une forme de travail universitaire, voilà ce qui est nouveau. Les plateformesaudioensontinondées;il s’agit d’un véritable raz-de-marrée de discussions. Pourquoi ce format de contenu est-il aussi populaire? Pourquoi ai-je l’impression de me faire assaillirdeconversationsenregistrées?

D’abord,lesbaladossontuneformede contenuassezpassif.Ilsnedemandent pas de s’arrêter pour les consommer ; on peut facilement les écouter en accomplissant d’autres tâches, souvent un peu désagréables, comme le ménage, le lavage ou le voyage en transports en commun. Nous vivons dans uneèreoùlesilencesefaitrare–jediraismêmequ’ilnousparaîtcollectivementinconfortable.Ilyaunbesoin,du moinsdanslagénérationZ,detoujours

année pour l’Halloween. Target, LEGO, Dunkin Donuts et plusieurs autres compagnies ont fait un partenariat avec le film. Il existe plus d’une dizaine d’ensembles LEGO de Wicked , et Dunkin Donuts vient tout juste d'annoncer de nouvelles boissons thématiques, comme le WickedPinkRefresher ou le Wicked Green Matcha. Ce ne sont là que quelques exemples qui démontrent que l'adaptation cinématographique de Wicked est devenue un réel phénomène culturel, comme Barbie et Oppenheimer

À quelques semaines de la sortie, à quoi peut-on s’attendre de Wicked:Pour de bon? Voici les réponses aux questions qui font parler le Web!

Est-ce que Fiyero et Glinda se marient?

Dans la première partie, on découvre la relation naissante entre les deux personnages. Glinda se confie à Elphaba avant la fameuse scène de la chanson « Popular » que Fiyero et elle se marieront, mais qu’il ne le sait pas encore. Ceux qui ont vu la bande-annonce remarqueront plusieurs plans de Glinda en robe de mariée. Le prince l’a-telle demandée en mariage? Dans la

comédie musicale originale, Mme Morrible, directrice de l’Université Shiz, annonce les fiançailles de Fiyero et Glinda afin de rallier le peuple d’Oz à sa cause. Cela dit, le prince ne veut pas marier la jeune femme. Alors, est-ce que le nouveau film modifie l’intrigue? Fiyero se marie-t-il avec Glinda de plein gré? Le fait-il pour oublier Elphaba? Plusieurs admirateurs pensent qu’il s’agit d’une séquence non réelle, d’un rêve. Une chose est certaine : il faut voir le film pour confirmer cette théorie!

Le magicien d’Oz est-il réellement mauvais?

On se rappelle, à la fin du premier film, la révélation est que le magicien d’Oz (Jeff Goldblum) est en fait un escroc qui ne sait pas lire le Livre des Ombres. L’homme utilise des inventions et des projections pour maintenir son autorité sur Oz, sans réels pouvoirs. Dans la même optique, il souhaite opprimer les animaux pour assurer son règne. Alors oui, même s’il paraît impuissant, il est une grande figure de manipulation.

Dans la deuxième partie, Mme Morribleetluivontpoursuivreleurquête depouvoir,toutenjetantleblâmesur

Eileen davidson | le délit

Elphaba. Le magicien d’Oz sera-t-il démasqué? Les admirateurs de la comédie musicale peuvent nous le dire, mais pas de divulgâcheurs!

Dorothée apparaît-elle dans la deuxième partie?

Oui! Dans la bande-annonce, on ne voit que des plans de dos ou de ses fameux souliers rouges, sans voir son visage. Sa petite apparition ne sert qu’à faire un lien avec l’histoire du film mythique le Magicien d’Oz, tout en gardant l’atten-

tion sur Glinda et Elphaba. Jon M. Chu, le réalisateur, révèle dans une entrevue avec People qu’il « nevoulait pas changer l’idée que le spectateur se fait de Dorothée. Après tout, il s'agit toujours du voyage d'Elphaba et de Glinda, et Dorothée n'est qu’un pion au milieu de tout cela (tdlr)».

Wicked : Pour de bon sera en salle dans tous les cinémas du Canada dès le 21 novembre.̸

Laurence Drouin

Contributrice

Un océan de balados

Comment expliquer leur popularité grandissante?

avoir quelque chose pour s’occuper l’esprit. Peut-être est-ce lié au fait que le monde dans lequel nous vivons nous semble de plus en plus désagréable,alorsmieuxvautnepasypenser. Ou encore peut-être parce que nous sommes si habitués à être exposés à du contenu qu’avoir une distraction injectée dans nos oreilles est presquecommeunedeuxièmenature.

Danslamêmeveined’idée,lessilences sontsouventliésàdesmomentsdesolitude. Les podcasts ont ce pouvoir de nous faire sentir moins seuls, comme sinousétionsentreamis.Nousvivons uneépidémiedesolitude;lespodcasts donnent l’impression d’accompagner notrequotidien.

« les algorithmes encouragent la polarisation en popularisant les publications provocantes »

Ce qui est intéressant dans les podcasts,c’estqu’ilscombattentlephénomène TikTok du contenu de courte durée. Ils durent souvent de 30 minutesàdeuxheures.Aumilieudutourbillondecontenuinstantanéd’uneFor YouPage, les balados bougent en sens contraire, en prônant le long format,

bien qu’il s’agisse encore de contenu, donc pas nécessairement d’une pause de consommation médiatique. Leur montée en popularité traduit une fatiguefaceaucontenudecourtedurée.

Jordan Theresa, une créatrice de vidéosdetype«essai»surlaculturepopulaire et les réseaux sociaux (@jordanatheresa sur Instagram), expliquesouventquelesréseauxsociaux sontl’endroitoùlanuances’envamourir. Le sensationnalisme et les extrêmes y ont le plus de succès, et les algorithmes encouragent la polarisation en popularisant les publications provocantes, puisqu’elles suscitent le plus de clics. Les balados, qui opèrent leplussouventsouslaformed’unediscussion, permettent à leur créateur d’organiser ses pensées de façon plus cohérente et nuancée, surtout s’il est face à un interlocuteur qui alimente son discours. Bien évidemment, ce ne sont pas non plus des paradis de la nuance et du discours sensé ; les balados animés par des masculinistes aux propos dégradants envers les femmes à la Andrew Tate ou Lucide Podcast sont un bon cas de figure d’absence de raisonnement logique. Puis, les extraits les plus réactifs des balados se retrouventsouventsousformedeclip surTikTok,enlevanttoutcontexteautour de ce qui est dit… La frontière

Eileen davidson | le délit

entrecontenudecourteduréeetbalado n’est pas infranchissable ; les deux s’alimentent l’un et l’autre, que ce soit de façon positive ou négative. Tout de même, il faut noter que les balados peuvent être un repos agréable face aux dialogues de sourds mis en scène surlesréseauxsociaux.

J’explique donc ce phénomène sous quatre axes : le besoin de stimulation constante,lafatiguedel’instantané,la solitude grimpante et la crise de la nuance.Nousavonslafâcheusehabi-

tude d’abuser de ce qui est à la mode. Je me demande donc si, dans cette course à la création de discussions enregistrées, nous perdrons de vue le côté organique de la conversation, au profit d’enregistrements rapides, vides de sens, et superficiellement gratifiants. ̸

Julia Couture Contributrice

Exposition

Repeindre l’histoire

L’Histoire est dépeinte par les vainqueurs de Kent Monkman.

«Souvenez-vous que vous êtes de ce monde, des étoiles, des rochers, de l’eau, de la terre et du ciel. Vous êtes le remède dont vous avez besoin ». Cette citationestinscritesurlesmursdel’exposition de Kent Monkman au Musée des beaux-arts de Montréal. Intitulée

L’Histoire est dépeinte par les vainqueurs, cette dernière agit précisémentcommeceremède–uneguérison symbolique appliquée à une mémoire tourmentée, celle de la colonisation d’uncontinentetd’unpeuple.

L’artiste bispirituel et membre de l’ocêkwi sîpiy, Nation crie de Fisher RiverauManitoba,yrenverselesrécits historiquesdelacolonisationpourrecentrer la perspective autochtone. À

travers des toiles monumentales, Monkmannousrappellequel’histoire n’est jamais neutre. Elle est écrite, peinte, racontée par ceux qui détiennentlepouvoir–etsouventauprix dusilencedespeuplesautochtonesde l’île de la Tortue. Là où la peinture de paysagenord-américainealongtemps glorifié les vastes territoires « découverts»etconquis,Monkmanréinscrit laprésencehumaine,lesvieseffacées, les résistances oubliées. Ses tableaux proposent de nouvelles façons d’envisagerlepasséetd’informerleprésent.

MissChiefEagleTestickle

Pour nous guider à travers ce processus de réécriture de l’histoire, Monkmannousprésentesonalterego,

calendrier

MissChiefEagleTestickle–êtresurnaturelmétamorphecapabledevoyager dans le temps. Personnage au genre fluide, Miss Chief incarne une dimension essentielle des identités autochtonesdel’îledelaTortue,longtemps réprimée par l’oppression occidentale : la pluralité de genres, des sexualités et des liens de parenté. DansArtisteetmodèle(2012),Monkman propose une inversion des rapports de domination entre artiste occidental et modèle autochtone. MissChiefyreprendlecontrôlecréatif et le photographe, dans la pose classique de Saint Sébastien – mains liées et corps transpercé de flèches –devient un sujet passif, érotisé.

Perché sur ses Louboutins, le personnage bouleverse les codes de la peinture d’histoire européenne en y insérant des références contemporaines. Son caractère anachronique, empreint d’ironie et de provocation, incarne la résilience autochtone à travers les époques et nous rappelle que déconstruire l’histoire officielle est un processus continu – une responsabilité commune, un dialogue auquel l’audience est elle aussi conviée. Dans Le chant d’adieu (2024), le regard perçant des enfants d’un pensionnat en Saskatchewan, obligés d’assister à la pendaison de huit hommes cris et

assiniboines, renvoie au spectateur sa propre responsabilité.

Un travail collectif, une mémoire partagée

Certaines des peintures sont gigantesques. On les regarde des minutes durant, découvrant et redécouvrant à chaque détour du regard un nouveau micro-détail saisissant : une croix, un rat, un tatouage. Et pour offrir une telle expérience visuelle dans chacun des quelque quarante tableaux exposés, Monkman a mobilisé une équipe de peintres. L’Histoire est dépeinte par les vainqueurs est l’abou-

tissement d’une réflexion à plusieurs voix sur ce que signifie raconter – et se réapproprier –l’Histoire.

L’Histoire est dépeinte par les vainqueurs est exposée jusqu’au 8 mars 2026 et l’entrée au Musée des beauxarts de Montréal est gratuite pour les moins de 26 ans. ̸

EUGÉNIE ST-PIERRE

Éditrice Actualités TOSCANE RALAIMoNGO Photographe

Vos prochaines sorties

Photo mbam, Denis farley
KENT MONKMAN

L’Histoire est dépeinte par les vainqueurs

Le Délit vous propose un avant-goût de l’exposition de Kent Monkman.

mistikôsiwak (peuple aux bateaux en bois) : la résurgence du peuple, 2019

L’Histoire est dépeinte par les vainqueurs, 2013

Mort de la femme, 2014
The Prophecy, 2021
L’orage, 2021
Protéger les plantes médicinales, 2023
KENT MONKMAN I musée des beaux-arts de montréal

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