Le Délit - Édition du 24 janvier 2024

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Publié par la Société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université Le Délit est situé en territoire Kanien’kehá:ka non cédé.

Mercredi 24 janvier 2024 | Volume 114 Numéro 3.2

Vive les tartines grillées au fromage depuis 1977.


INTERNATIONAL

Volume 114 Numéro 3.2

Actualités

Le seul journal francophone de l’Université McGill

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Yémen : Théatre d’une guerre d’influences Les États-Unis et le Royaume-Uni frappent le Yémen.

quant à l’opposition iranienne à Israël. « Il y a là un paradoxe, car tout le message de la vision géostratégique iranienne consiste à libérer la Palestine et à ramener Jérusalem sous le contrôle des musulmans. [...] Mais on ne peut pas libérer la Palestine si on lâche une bombe nucléaire sur n’importe quelle partie de ce territoire. Les radiations et les retombées empoisonneraient toute la terre et la rendraient pratiquement inhabitable. »

clement veysset | Le dÉlit

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epuis la nuit du 11 au 12 janvier, les États-Unis et le Royaume-Uni ont frappé des positions stratégiques des rebelles Houthis au Yémen. Ces frappes militaires conjointes constituent une réponse (principalement occidentale) au gouvernement rebel Houthis, qui peu après les attaques du 7 octobre 2023 perpétuées par le Hamas, avait commencé à cibler les navires de commerce naviguant sur la mer Rouge, liés directement ou indirectement à Israël. Le but de ces attaques est de protester contre l’État d’Israël et les actions posées à l’égard de Gaza. Ces interventions militaires s’inscrivent dans un climat géopolitique tendu au Moyen-Orient. Le Délit s’est entretenu avec Daniel Douek, professeur de sciences politiques à l’Université McGill. Changer d’échelle : l’influence de l’Iran Si l’entrevue avec le professeur Douek était initialement vouée à se focaliser sur les actions des Houthis en mer Rouge et la réponse récente des puissances occidentales, l’académicien nous a invité à prendre du recul sur la situation. Selon lui, on ne peut pas expliquer les actions récentes des Houthis en mer Rouge « sans les considérer comme un acteur mandataire travaillant pour l’Iran. Ils travaillent réellement pour le compte des objectifs stratégiques de l’Iran (tdlr) ». En effet, au cours des dernières décennies et en parallèle avec une série d’événements marquants au Moyen-Orient, notamment des guerres civiles ou conflits (par exemple, la guerre civile libanaise (1975-1990)), l’Iran a su projeter sa puissance et son influence sur une grande partie de la région au travers de proxies – des acteurs nationaux ou sub-nationaux faisant office de parties tierces intermédiaires qui permettent à une plus grande nation (en l’occurrence l’Iran), d’atteindre ses objectifs politiques ou militaires de manière indirecte. Le professeur Douek prend pour exemple le Hezbollah, que l’Iran a massivement soutenu (financièrement et politiquement) dans sa lutte contre l’État d’Israël. Il ajoute même que « les dirigeants du Hezbollah ont déclaré ouvertement par le passé, notamment lors de l’intervention du Hezbollah dans la guerre civile syrienne (...) qu’ils font ce que les Iraniens leur disent de faire ». Daniel Douek explique que c’est donc dans cette logique de subordination aux projets iraniens que les Houthis ont mené leurs opérations depuis décembre 2023, dans le but ultime d’accroître les pressions sur Israël et ses alliés.

Actualités

Vers une hausse des tensions? Professeur Douek explique que les actions des Houthis en mer Rouge et la réponse de la part de certains acteurs occidentaux comme les États-Unis et le Royaume-Uni font partie des potentiels chemins pouvant créer une escalade amenant le conflit actuel entre Israël et le Hamas à une échelle régionale. Pour le professeur, une telle escalade pourrait émerger directement des tensions entre le Hezbollah et Israël : « Ils échangent déjà des tirs depuis le 8 octobre, ils sont en quelque sorte déjà engagés dans une miniguerre. Si cela devait dégénérer en une guerre à plus grande échelle, l’Iran serait impliqué et il semblerait tout à fait plausible que les États-Unis interviennent eux aussi. Et qui sait quels autres acteurs pourraient être mobilisés, car l’Iran a des proxies dans toute la région. » « Mais ce que nous voyons ici [les tensions entre les Houthis et les Occidentaux, ndlr] est une autre voie d’escalade qui n’implique pas directement Israël [même si les attaques Houthis sont indirectement liées à la guerre de Gaza, ndlr]. Les tensions en mer Rouge s’intensifient et nous ne savons pas où cela va nous mener. » Pour illustrer la potentielle escalade que pourrait engendrer les actions des rebelles Houthis, professeur Douek ajoute que : « Si l’on se rappelle la guerre israélo-arabe de juin 1967, ou même la guerre arabo-israélienne d’octobre 1956, dans chacun des cas, l’un des éléments déclencheurs de la guerre a été le blocage par l’Égypte du détroit de Tiran, et par conséquent, de la navigation commerciale israélienne. » Néanmoins, l’académicien précise que si la volonté de l’Iran était de déclencher une guerre par ses proxies, alors le pays l’aurait déjà fait par le biais du Hezbollah. L’Iran au devant de la scène En revanche, si l’Iran n’a pour le moment pas directement provoqué, ni contribué à un conflit ouvert, le pays s’est montré engagé sur le plan militaire depuis le début de la guerre de Gaza. Le pays a notamment accéléré le rythme de sa production d’uranium enrichi, laissant planer la possibilité de se doter d’armes nucléaires au cours des prochaines années. Le professeur Douek explique qu’une telle possibilité « rendrait évidemment la situation plus dangereuse. Cela dissuaderait probablement, dans une certaine mesure, les États-Unis ». Néanmoins, Douek explique qu’une telle dotation n’impliquerait pas de si grands changements

Cette semaine, l’Iran a su montrer ses capacités militaires à plusieurs reprises. Le pays a mené des frappes en Syrie sur des cibles de l’État islamique, en Irak sur des infrastructures du Mossad (le service de renseignement israélien), et a échangé plusieurs frappes aériennes avec le Pakistan, son voisin. Professeur Douek explique qu’en réalisant ces frappes de longues portées, l’Iran a souhaité se rassurer, et réaffirmer sa posture et sa puissance après l’attentat meurtrier de l’État islamique à Kerman, qui a tué plus de 84 personnes lors de la commémoration du général Qassem Soleimani, le 3 janvier dernier. « L’Iran ne s’attendait pas à cela et je pense qu’ils [les dirigeants iraniens, ndlr] essayent de démontrer à leur propre population, à leurs alliés et à la région que l’Iran reste une grande puissance. » Conséquences actuelles et perspectives d’avenir Les actions des rebelles Houthis en mer Rouge ont eu un impact important sur le trafic maritime mondial. Les géants du transport maritime comme MAERSK ou CMA-CGM ont redirigé leurs navires pendant plusieurs jours. De telles mesures rallongent les trajets, et pourraient éventuellement impacter les prix et les approvisionnements des marchés mondiaux. Si les actions houthies sur le trafic maritime mondial n’ont pour le moment pas eu d’effets importants sur les marchés, plusieurs puissances occidentales et régionales se sont unies pour assurer la libre circulation des navires de transport commercial dans la région. Bien que les puissances occidentales soient historiquement présentes dans la région pour assurer leurs intérêts, cette présence s’est accrue depuis le début des tensions. Le 18 décembre, les États-Unis ont annoncé la constitution de l’opération Gardien de la prospérité, formée par une coalition multinationale regroupant dix pays, pour la majeure partie occidentaux. La constitution de cette coalition n’a néanmoins pas fait l’unanimité. Plusieurs puissances européennes ont refusé d’en faire partie, comme l’Italie, la France ou l’Espagne. Le professeur explique : « Je pense que certains pays craignent une réaction intérieure. Dans de nombreux pays occidentaux aujourd’hui, le sentiment prédominant dans une grande partie des populations est de ne pas participer, encore une fois, à une guerre au Moyen-Orient, et encore moins à une guerre d’une manière qui pourrait être interprétée comme un soutien à Israël. (...) Je pense qu’il y a aussi ce désir pour les puissances comme la France en particulier de ne pas se joindre à une opération militaire menée par les États-Unis, un peu comme une question de fierté nationale : “Nous ne nous contentons pas de faire ce que les Américains nous disent de faire”.» x vincent maraval

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campus

JDSP et McMUN : Rayonnement de l’engagement étudiant à McGill

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Portrait de deux initiatives étudiantes sur le campus.

ce qu’on aime dans ce domaine et quel type de responsabilité nous correspond le mieux : « Ça offre l’occasion de s’impliquer au sein d’un environnement bienveillant, au niveau qu’on le souhaite (si on veut juste participer pour la durée d’un week-end, ou vraiment à fond dès le mois de mars). Ça permet une grande flexibilité, de pouvoir tester si on aime être dans un environnement intense. Par exemple, quelqu’un peut être en charge des commanditaires, mais se rendre compte qu’il n’aime pas être en charge des gens. McMUN est une occasion de se découvrir! »

’Université McGill accueille plus de 40 000 étudiants, du baccalauréat jusqu’au doctorat. Il est souvent intimidant et difficile pour ces étudiants de rencontrer des individus avec des passions ou des intérêts similaires. Néanmoins, plusieurs initiatives étudiantes existent afin de rassembler les communautés, offrir des expériences enrichissantes et professionnalisantes aux étudiants au cours de leurs études. Le Délit vous offre dans cet article un portrait de deux initiatives étudiantes, les Jeux de la science politique et la simulation des Nations Unies, McMUN, qui rayonnent sur le campus mcgillois et ailleurs au Québec. Les Jeux de la science politique Law Games, Med Games, Jeux de la communication, Jeux du commerce, etc. : les jeux interuniversitaires ne se font pas rares au Québec. Ayant pour but de rassembler les étudiants d’un même programme une fois par année, les jeux interuniversitaires sont une expérience formatrice pour les étudiants et constituent une opportunité de réseautage. Lors de la fin de semaine du 12 au 14 janvier, la 13e édition des Jeux de la science politique du Québec ont eu lieu à l’Université de

emile phaneuf PHOTOGRAPHIE Le Délit s’est entretenu avec Jeanne Marengère, co-cheffe de la délégation de l’Université McGill, et l’a interrogée sur son expérience aux Jeux et ce qu’ils représentent pour elle au sein de son parcours universitaire. Questionnée sur ses motivations pour devenir cocheffe à l’édition 2024 des JDSP, Jeanne explique : « Je cherchais une opportunité de rencontrer des gens qui étudiaient dans mon domaine, et qui partageaient mes intérêts pour la politique. C’est exactement ce que j’y ai trouvé : une communauté jeune et flamboyante,

« C’est exactement ce que j’y ai trouvé : une communauté jeune et flamboyante, déterminée à faire rayonner le département de science politique mcgillois sur la scène francophone » Sherbrooke. L’Université McGill y a participé avec une délégation de 30 étudiants. Les Jeux de la science politique, communément appelés les JDSP, regroupent huit épreuves académiques et une épreuve sportive. Relations gouvernementales, coopération internationale, négociation, cas académiques, gestion de crise, journalisme politique, politique active et quiz : de nombreuses disciplines étaient mises en valeur afin de représenter les compétences des universités participantes. Mis à part le côté académique, les JDSP sont aussi un grand événement social permettant de rencontrer des étudiants en sciences politiques, venant de divers coins du Québec, et d’ailleurs au pays. Les JDSP sont exclusivement francophones, et rassemblent cette année neuf institutions universitaires à travers le Canada.

déterminée à faire rayonner le département de science politique mcgillois sur la scène francophone. » La communauté francophone à McGill est grande, mais nettement minoritaire comparativement à la population anglophone. Seulement 20% des étudiants mcgillois sont originaires d’un pays ou d’une région francophone. Pour Jeanne, les JDSP sont une opportunité incontournable d’offrir aux étudiants un sentiment de communauté au sein d’une grande université : « Les Jeux offrent aux étudiants francophones une opportunité de s’illustrer dans des épreuves conçues en fonction des préoccupations du milieu professionnel québécois. Les JDSP représentent un contexte extrêmement professionnalisant pour les étudiants francophones, chose qu’on croise rarement au sein des universités anglophones, comme McGill. »

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McMUN Une autre initiative étudiante qui mérite d’être mise en lumière au sein du campus mcgillois est The McGill Model United Nations Assembly (McMUN). Cette conférence, de simulation des Nations Unies, regroupera plus de 1 000 délégués provenant d’universités à travers l’Amérique du Nord, du 25 au 28 janvier. Ces simulations sont nombreuses et très populaires au sein des étudiants, tant au niveau collégial qu’universitaire. Au sein de ces conférences, chaque étudiant fait partie d’un binôme qui représente un pays ou un acteur et soutient une position ferme sur un sujet d’actualité décidé d’avance. Plusieurs comités symbolisant des enjeux importants sont présents à McMUN dont le Conseil économique et social (ECOSOC), les assemblées générales et les comités de crise. McMUN, l’une des conférences étudiantes les plus prestigieuses, se décrit comme étant un événement qui « inspire l’innovation chez les dirigeants de demain, renforce l’engagement et la sensibilisation des étudiants aux problèmes mondiaux et met nos participants au défi à travers des débats réalistes et créatifs (tdlr). » La véritable plus-value de cette conférence, c’est qu’elle est organisée de A à Z par des étudiants œuvrant dans différents domaines d’étude à McGill. Cette conférence s’organise pendant plusieurs mois et recrute plus de 250 étudiants mcgillois afin d’y travailler de manière bénévole. Elle est donc parfaite pour des étudiants désireux de s’impliquer à long terme dans un projet important. Le Délit s’est entretenu avec Julie Ferreyra, députée directrice des

relations publiques et adjointe aux réseaux sociaux de McMUN. Julie explique que, pour elle, l’engagement étudiant est au coeur de son expérience universitaire : « Après avoir expérimenté avec d’autres clubs et avoir eu plus de responsabilités au sein de ces clubs-là, j’ai compris que ce qui m’intéressait vraiment c’était la partie organisationnelle! Donc j’ai choisi de m’investir auprès de McMUN, puisque j’avais déjà eu l’opportunité au lycée de participer à des simulations des Nations Unies organisés par des universités. » McMUN, comme les autres initiatives étudiantes sur le campus, contribue non seulement à la création de liens entre les étu-

L’engagement étudiant est une partie importante d’une communauté universitaire. Certains s’y impliquent à fond, tandis que d’autres se concentrent sur des objectifs personnels ou tout simplement sur leurs études. Avec plus de 250 associations étudiantes, l’Université McGill aura toujours une association prête à accueillir les étudiants à bras ouverts. Cet article a mis en lumière seulement deux initiatives étudiantes, les JDSP et McMUN, plutôt liées au domaine des sciences politiques. Toutefois, chaque département à McGill a son association étudiante et son lot de comités portant sur son domaine d’étude, que ce soit la psychologie, la sociologie, l’histoire, la médecine, le droit, et bien plus encore. Des groupes étudiants plus ludiques,

« Ces opportunités comme McMUN, JDSP, SSUNS, c’est des moments de connexions » diants, mais aussi à l’Université elle-même, puisque ce genre d’événement est valorisant pour la communauté mcgilloise. Julie explique : « C’est important, je pense, de pouvoir avoir accès à ces occasions et de rencontrer des personnes qui ne font pas nécessairement partie de notre cohorte, ou qui ne sont pas dans notre environnement immédiat. J’entends souvent des gens se plaindre qu’être dans une si grande université peut vite devenir isolant, et je le comprends, mais des opportunités comme McMUN, JDSP, SSUNS, c’est des moments de connexions! » Julie explique qu’en plus des avantages sociaux, ce genre de simulation est une expérience formatrice qui permet de trouver

comme des troupes de comédies musicales, des groupes de ski ou d’escalade, sont aussi présents sur le campus. Il y a de tout, pour chacun ayant pour but de s’impliquer dans sa communauté et de rencontrer des gens tout autant passionnés. Dès ce soir, le 24 janvier, l’Association étudiante de l’Université McGill organise « La Soirée des Activités », une soirée qui a pour but de présenter les centaines d’associations étudiantes présentes sur le campus. Le Délit y sera présent afin de répondre à toute vos questions et pour connecter avec sa communauté mcgilloise. x LAYLA LAMRANI Éditrice Actualités

ACTUALITéS

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international

Israël devant la Cour internationale de Justice L’Afrique du Sud accuse Israël de génocide.

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Justice ne signifie pas que nous acceptons les prémisses de l’affaire portée devant la Cour par l’Afrique du Sud ». La position du Canada a été critiquée par beaucoup comme étant trop ambiguë, y compris par Iddo Moed, le nouvel ambassadeur d’Israël au Canada, qui affirme que le Canada ne devrait « laisser aucune place à une interprétation erronée » quant à sa position. Moed espère que le Canada prendra plus clairement position face à une accusation qu’Israël considère inadmissible : « Ce à quoi nous nous attendions, c’est un message clair alléguant qu’il n’y a pas de génocide, » a-t-il déclaré.

e 29 décembre 2023, l’Afrique du Sud a déposé une requête auprès de la Cour internationale de Justice (CIJ)- le tribunal de l’ONU chargé de régler les différends entre États - accusant Israël d’avoir violé la Convention sur la prévention et la répression du crime de génocide adoptée en 1948. Il est interdit à tous les parties ayant ratifié cette convention de commettre un génocide, et il leur est également obligatoire de prendre des mesures pour le prévenir et le réprimer. Selon le document légal de 84 pages présenté par l’Afrique du Sud à la CIJ, Israël aurait commis des actes à caractère génocidaire, car ceux-ci « s’accompagnent de l’intention spécifique requise […] de détruire les Palestiniens de Gaza en tant que partie du groupe national, racial et ethnique plus large des Palestiniens (tdlr) ». L’Afrique du Sud dénonce particulièrement la répression des Palestiniens par Israël comme étant des conditions « d’existence calculées pour entraîner leur destruction physique totale ou partielle », ainsi que les actes faisant atteinte à « leur intégrité physique ou mentale ». Face à ces allégations, le président israélien, Isaac Herzog, a déclaré qu’il n’y avait « rien de plus atroce et absurde » que les accusations présentées par l’Afrique du Sud. Selon lui, l’armée israélienne fait de son mieux « dans des circonstances extrêmement compliquées sur le terrain, pour s’assurer qu’il n’y aura pas de conséquences imprévues, ni de victimes civiles ».

ROSE CHEDID | Le dÉlit du droit international « particulièrement difficile » à déterminer et à prouver. « L’aspect distinctif de la Convention sur le génocide, c’est que c’est une infraction qui consiste d’actes ayant été commis avec une intention spécifique de détruire un groupe ethnique, national, racial ou religieux en tant que tel. Et c’est ce qui a été difficile à prouver historiquement. Pourquoi ? Parce que la Cour internationale de Justice soutient qu’il faut que les faits ne permettent pas d’en

« J’espère que la prochaine génération de Palestiniens sera celle qui n’aura pas à se battre pour sa liberté, mais celle qui en fera l’expérience » Ruqayya, étudiante palestinienne en développement international à McGill à dire des mesures pouvant être sollicitées par l’État demandeur, de manière provisoire, s’il estime que les droits qui font objet de sa requête sont menacés d’un péril immédiat – en ordonnant à Israël

« L’Afrique du Sud veut que la cour ordonne ce que le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale n’ont pas réussi à imposer : un cessez-le-feu » Professeur Frédéric Mégret Comprendre la Convention sur le génocide Interrogé sur les répercussions qui émanent d’une affaire fondée sur des accusations de génocide, Frédéric Mégret, professeur de droit à la faculté de McGill et titulaire de la Chaire Hans & Tamar Oppenheimer en droit international public , a expliqué que dans son ensemble, l’affaire juridique risque de s’étendre sur plusieurs années, la raison étant que l’intention de commettre un génocide reste un crime et surtout une violation

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conclure autrement. C’est-àdire que dans ce cas, il faudrait que la Cour déduise à partir des faits présentés par l’Afrique du Sud que les déclarations et actes commis par l’armée israélienne soient indicatifs d’une intention du gouvernement israélien d’éliminer les Palestiniens à Gaza. » Considérant cela, la résolution complète de l’affaire devant la CIJ pourrait prendre entre trois et quatres années. Cependant, l’Afrique du Sud a demandé à la Cour de prendre des mesures conservatoires c’est

Interrogée à ce sujet, Ruqayya, étudiante palestinienne en développement international à McGill, a expliqué que la solidarité manifestée par l’Afrique du Sud envers les Palestiniens est «incroyable » et «admirable», notant qu’il est regrettable que des pays comme le Canada et les États-Unis n’aient pas pu faire preuve d’un soutien similaire : « J’ai le plus grand respect pour

de suspendre « immédiatement ses opérations militaires », afin de l’empêcher de continuer à infliger « des dommages extrêmes et irréparables aux Palestiniens dans la bande de Gaza ». Le professeur Mégret explique : « l’Afrique du Sud veut que la Cour ordonne ce que le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale n’ont pas réussi à imposer : un cessez-le-feu. » Interrogé sur les répercussions qui émanent du jugement, le professeur Mégret affirme : « […] Certes ce procès se penche avant

tout sur Gaza et Israël, mais la question est quand même plus large. Quelle Convention sur le génocide voulons nous avoir? Quelle compréhension du génocide l’emporte? Ce sont des questions qui nous concernent tous. » Des réactions mitigées Plusieurs pays et organisations ont soutenu la démarche de l’Afrique du Sud. Parmi eux, la Malaisie, la Turquie, la Jordanie, la Bolivie, les Maldives, la Namibie, le Pakistan, la Colombie et les membres de l’Organisation de la coopération islamique (OCI). Cependant, des pays comme le Canada et les ÉtatsUnis ne se sont pas joints à la cause portée devant la CIJ. À l’inverse des États-Unis qui ont pris le parti d’Israël, la position du gouvernement canadien au sujet de la procédure intentée par l’Afrique du Sud demeure floue. Mélanie Joly, ministre des Affaires étrangères, a déclaré que « le soutien indéfectible du Canada au droit international et à la Cour internationale de

l’Afrique du Sud. […] Voir un pays qui était sous l’apartheid et sous un régime colonial soutenir les Palestiniens est incroyable. […] J’espère que ceci se produira davantage et que nous tiendrons Israël responsables devant la justice. […] J’espère que la prochaine génération de Palestiniens sera celle qui n’aura pas à se battre pour leur liberté, mais celle qui en fera l’expérience. » La Cour devrait prononcer d’ici quelques semaines sa décision sur la question de savoir s’il existe des signes évidents qu’un génocide est en cours ou s’il existe un risque notable qu’il se produise. Si la Cour émet un jugement favorable à ceci, elle ordonnera des mesures conservatoires exigeant qu’Israël mette fin à ses opérations militaires. Toutefois, malgré le fait que les verdicts de la Cour soient juridiquement contraignants, elle ne dispose pas de moyens coercitifs pour forcer les pays à respecter ses décisions. x Sabrina Nelson Contributrice

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société POLITIQUE

societe@delitfrancais.com

Témoigner au milieu des ruines de Gaza Dans l’oeil du public : regard sur trois journalistes palestiniens.

L

e journalisme en temps de guerre joue un rôle crucial de par sa capacité à témoigner, informer et contextualiser les événements pour le public international. En temps de guerre, les journalistes de terrain deviennent les yeux et les oreilles du monde, transmettant au mieux de leur capacité des récits complexes qui transcendent les frontières géographiques. La récente situation en Palestine aurait dû en être gage, et bien que la manipulation des médias fasse souvent partie intégrante des stratégies militaires (coupure de réseau, limitation de l’accès à Internet dans les zones attaquées…) ; les choix de publications des journaux occidentaux n’offre une perspective que très limitée du conflit. En privant le public d’un point de vue, on limite sa capacité à prendre conscience des réalités vécues par les Palestiniens. Ainsi, en réponse à la couverture médiatique défaillante reçue par la cause palestinienne, plusieurs journalistes palestiniens se sont tournés vers des plateformes alternatives aux médias traditionnels afin d’exposer la réalité vécue par leur peuple. En soulignant l'importance du journalisme dans de telles circonstances, nous reconnaissons son pouvoir de façonner les perceptions, d'inspirer le dialogue, et de donner lieu à la pluralité des perspectives hors des médias traditionnels. Nous vous présentons donc trois profils de journalistes palestiniens qui ont su apporter une perspective complémentaire, mais pas moins vraie, durant les derniers mois. Bisan Owda Bisan Owda est une cinéaste palestinienne qui publie également du contenu sur les réseaux sociaux depuis quelques années. Elle travaillait également auprès des Nations Unies pour l’égalité des sexes. Avant le début des bombardements et des opérations terrestres israéliennes dans la bande de Gaza, le profil Instagram de Bisan était essentiellement composé de vidéos d’elle parlant de ses projets ou de ses engagements. Ses vidéos étaient divertissantes ou informatives : elle partageait sur sa vie mais aussi sur son statut de femme, sur la situation à Gaza, et plus généralement sur la

nement sur sa page, comme une forme de journal personnel. Sa communauté Instagram compte aujourd’hui 4,7 millions d’abonnés, qui suivent son quotidien où elle souligne fréquemment ses inquiétudes quant à la perpétuation des attaques contre Gaza, et demande constamment un cessez-le-feu. Sa page sert également pour plusieurs de ressource éducative, vers laquelle tous peuvent se tourner lorsqu’ils ont des questions concernant les différentes façons de venir en aide à la Palestine. Son profil compte parmi ceux ayant eu une croissance des plus rapides, en raison de son format qui réussit à capturer la réalité palestinienne de façon authentique. Elle se trouve présentement en Australie, ayant dû fuir les attaques quotidiennes sur Gaza. jade lÊ | Le Délit cause palestinienne. Les couleurs, le montage et les lumières de ses vidéos étaient travaillées, celles-ci étaient mêmes souvent écrites. Bisan a alors progressivement gagné en popularité, mais sa notoriété a réellement explosé à partir du moment où Israël a entamé ses interventions. Elle publie alors

bande de Gaza. Elle appelle régulièrement le monde occidental à la grève générale, rappelant qu’il s’agit pour elle du seul espoir. Elle explique aussi souvent qu’elle ne sait pas combien de temps elle survivra. Sa maison et son lieu de travail ont été détruits lorsque la ville de Gaza a été bombar-

famille en raison d’une frappe aérienne israélienne sur le camp de réfugiés Deir el-Balah, situé dans la bande de Gaza. C’est également là où Motaz a grandi. Le 7 janvier dernier, Motaz commémorait aussi sur sa page le décès de deux de ses collègues, Hamza Wael Dahdouh et

« En temps de guerre, les journalistes de terrain deviennent les yeux et les oreilles du monde, transmettant au mieux de leur capacité des récits complexes qui transcendent les frontières géographiques » tous les jours - parfois même plusieurs fois par jour - des vidéos sur les conditions dans lesquelles les gazaouis et elle-même évoluent. Elle parle souvent de son expérience personnelle, du manque d’eau, de nourriture, des conditions sanitaires dans lesquelles elle vit, de la mort et de la souffrance qui l’entoure, mais réalise aussi des entrevues avec d’autres palestiniens de la bande de Gaza. Le 14 octobre, elle publie notamment une vidéo d’une jeune palestinienne porteuse de trisomie, dont la maison a été détruite, dans le but de faire valoir les enjeux spécifiques que représentent des bombardements pour les personnes atteintes d’un handicap. Ses vidéos sont une source d’information précieuse qui est depuis peu compromise par la coupure d’Internet dans la

le délit · mercredi 24 janvier 2024 · delitfrancais.com

dée, emportant son matériel, ses chats et une partie de sa vie. Motaz Azaiza Motaz est un photojournaliste qui avait pour sa part déjà une certaine notoriété avant les événements du 7 octobre dernier, étant employé par l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA). Il est reconnu pour ses images prises à l’aide de drones représentant les paysages dévastés de la Palestine, qu'il partage avec son auditoire comptant aujourd’hui plus de 18 millions d’abonnés sur Instagram. Il est actuellement l’un des journalistes les plus suivis du réseau social. Motaz a perdu le 11 octobre dernier plus de 15 membres de sa

Mustafa Thraya, qui s'ajoutent à la longue liste de journalistes qui ont péri depuis le 7 octobre. Plestia Alaqad Plestia se démarque des autres journalistes puisqu’elle fait partie d’un grand mouvement émergent de journalisme citoyen. Cette forme particulière de journalisme consiste à véhiculer l’information uniquement par les plateformes numériques telles que les réseaux sociaux pour documenter, comme le font les médias plus traditionnels, les évènements de la vie quotidienne. Plestia a rapidement gagné en popularité sur Instagram lorsqu’elle a commencé à documenter sa vie à Gaza via des vidéos publiées quotidien-

Pensées à celles et ceux qui ne sont plus La guerre a causé la mort de plus de 100 journalistes palestiniens depuis son commencement, bien que ces derniers soient supposés bénéficier d’une protection particulière selon le droit international. Muhammad Abu Huwaidi, Hamza Wael Dahdouh, Mustafa Thraya, et bien d’autres encore, assassinés parfois même pendant qu’ils effectuaient leur travail, un travail essentiel et vital, celui du partage de l’information vraie. Ils sont les seuls yeux à travers lesquels nous pouvons voir ce qui se passe localement, les violences qui ébranlent douloureusement un peuple prisonnier de quelques kilomètres de terre. En tant que journal, ces morts nous touchent nécessairement, car nous ne pouvons imaginer que la volonté d’informer le monde, d’utiliser les mots pour changer les choses, d’imprimer le présent pour que tous puissent le comprendre, puisse mener à la mort. En plus de tenter de survivre, ils persistent dans leur travail afin que le monde puisse savoir et se souvenir. Pour cela, nous nous souviendrons d’eux. x MARIE PRINCE Rédactrice en chef JeannE Marengère Éditrice Opinions

SOCIéTé

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enquÊte

L’appétit du profit Comment l’industrie agroalimentaire nous rend-elle malade?

titouan paux Éditeur Enquête

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u cours de l’écriture de cet article, et souffrant d’un véritable manque d’inspiration, j’ai décidé de sortir de ma cave (comprenez mon bureau) et d’aller m’acheter un thé aux perles (bubble tea) dans une chaîne proche de chez moi. Dès la première gorgée, je me suis fait la réflexion que « quand même, c’est vachement sucré ». J’ai donc décidé d’aller me renseigner, et de trouver la quantité moyenne de sucre dans un thé aux perles de 500 ml, un format assez standard. Une étude réalisée à Singapour, commanditée par la chaîne de télévision CNA, révèle des faits plus qu’inquiétants : un thé aux perles typique, avec des perles, du sucre brun et du thé noir, contient jusqu’à 92,5 grammes de sucre, soit environ deux fois plus que dans une quantité équivalente de Coca-Cola. La limite fixée par l’Organisation Mondiale de la Santé pour les sucres ajoutés est 10% de l’apport calorique journalier, ce qui équivaut environ à 50 g par jour. Cette limite est déjà élevée selon d’autres organismes, et la dose recommandée (et non maximale) est seulement de 25 g de sucre. Ainsi, mon thé

de la réelle nature de ce produit m’a poussé à me questionner plus profondément sur les nondits de l’agroalimentaire. Le système de consommation moderne a tellement dénaturé notre façon de nous alimenter, à grands coups de processus industriels et d’expériences chimiques, que nos achats alimentaires ne satisfont plus un besoin, mais bien un désir. Au fond, la clé de tout ça c’est l’essor des supermarchés, soit d’une société consumériste à grande échelle. En quête de bon conseil, j’ai demandé à ma grand-mère, qui vit dans le Sud de la France, comment sa famille faisait les courses quand elle était adolescente, entre les années 50 et 60. Dans sa ville, il n’y avait qu’une petite épicerie, et quelques commerces spécialisés. Selon elle, la grande différence avec aujourd’hui, c’est la quantité de produits disponibles dans cette épicerie, ainsi que la diversité de produits. Des pâtes? Seulement une ou deux marques. Du fromage? Quelques variétés, souvent locales. Des yaourts? Que des petits suisses nature et du fromage blanc. Malgré le manque de choix en comparaison aux rayons bien remplis de nos supermarchés modernes,

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« Dans ma boisson, il y avait donc presque 24 cuillères à thé de sucre, un chiffre absolument astronomique. À la maison, dans un thé vert de mi-journée, vous les mettez, vous, ces 24 cuillères? » aux perles, que je ne pensais pas aussi sucré qu’un soda, explosait à lui tout seul les recommandations journalières de consommation de sucre. Pour vous donner une meilleure idée de ce que cela signifie, quatres grammes de sucre sont équivalents à une cuillère à thé. Dans ma boisson, il y avait donc presque 24 cuillères à thé de sucre, un chiffre absolument astronomique. À la maison, dans un thé vert de mijournée, vous les mettez, vous, ces 24 cuillères? Cette courte anecdote à laquelle bon nombre de lecteurs, je l’espère, auront pu s’identifier, représente parfaitement le but de cet article. Se rendre compte

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SOCIété

elle ne préfère pas ces derniers pour autant. Selon elle, « nous sommes en quelque sorte noyés sous la quantité. La multiplication des produits mis à notre disposition fait que l’on a beaucoup de choix, trop de choix. Nous n’avons pas besoin de tout

La mentalité « toujours plus, toujours mieux » a-t-elle donc été également appliquée à ce que nous mangeons? Il semble que non. Alors que la quantité de produits et leur diversité ne cessent de croître (on arrive quand même à nous vendre des

des consommateurs à ce sujet, de leur manque de temps disponible, et utilisant des techniques marketing visuelles toujours plus agressives pour stimuler la nostalgie ou l’idée de « qualité maison », les industriels de l’agroalimentaire ont réussi à bénéficier du système en place. Les aliments sont déconstruits, modelés, chauffés, surtraités, congelés et mélangés à un niveau extrême, si bien que pour de nombreux produits présents dans nos supermarchés, il est impossible de retrouver visuel-

« La multiplication des produits mis à notre disposition fait que l’on a beaucoup de choix, trop de choix. Nous n’avons pas besoin de tout ça pour nous nourrir. C’est de la nourriture conçue pour remplir un portefeuille, pas un estomac » ça pour nous nourrir. C’est de la nourriture conçue pour remplir un portefeuille, pas un estomac ».

croustilles goût « zombie »), la qualité des produits est en chute libre. Profitant de l’ignorance

lement l’aliment de base dans le produit final. La prochaine fois que vous allez en magasin, faites

le test vous-même, vous verrez que c’est surprenant. Sucre et alimentation moderne : un goût de « reviens-y » L’histoire de l’agroalimentaire ne peut pas être séparée de celle du sucre. Les industriels le savent, et ce depuis bien longtemps : le sucre est une substance fortement addictive. Elle suit un modèle similaire à d’autres types de substances addictives. Dans un article de Healthline, des médecins reconnaissent que « le sucre peut être aussi addictif que la cocaïne (tdlr) ». Le processus est très simple : « la consommation de sucre libère de la dopamine dans notre corps. C’est le lien entre les sucres ajoutés et les comportements addictifs. » Un produit addictif, c’est un produit que les consommateurs achèteront encore et encore. Le problème, c’est que le sucre est largement responsable de l’aug-

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enquÊte mentation des cas de surpoids, d’obésité, ou encore de diabète de type 2. Aujourd’hui, une alimentation plus saine pourrait prévenir une mort sur cinq à travers le monde, et le sucre y est évidemment pour quelque chose. Comme l’explique le docteur Anthony Fardet dans son livre Pourquoi tout compliquer? Bien manger est si simple : « le surpoids, puis l’obésité, le diabète de type 2 et la stéatose hépatique (maladie du foie gras non alcoolique) sont les portes d’entrée des maladies chroniques graves, souvent fatales, comme

ce qui correspondrait aujourd’hui à 50 000 $ – pour publier des travaux de recherche blâmant les problèmes cardiovasculaires uniquement sur le gras. » L’impact de cette véritable corruption agroalimentaire fut significatif : « La publication a influencé pendant des décennies la communauté scientifique, qui s’est concentrée sur le cholestérol et les gras saturés dans sa lutte contre l’obésité » et, par conséquent, a laissé de côté le sucre. Comme le raconte Christophe Brusset dans son livre La malbouffe contre-attaque,

un problème, les industriels de l’agroalimentaire ont sauté sur l’occasion. En effet, au lieu de réduire la quantité de sucre dans leurs produits, ou d’essayer de changer les recettes, ils ont découvert l’important filon marketing du « light » ou du « diet ». Ce marché est surtout important pour les boissons sucrées type soda, mais également dans d’autres produits, comme les gommes à mâcher sans sucre, les sirops ou les pâtisseries industrielles. C’est un raisonnement logique pour un industriel, un raisonnement qui conserve les

de certitude officielle reconnue par toute la communauté scientifique. Par exemple, certains colorants utilisés majoritairement en confiserie, comme la tartrazine, le « jaune orangé S » ou encore le « rouge allura AC » sont parfois suspectés de générer des réactions allergiques, ou encore de l’hyperactivité chez les enfants. Ces trois colorants font partie de la liste d’ingrédients des fameux bonbons Sour Patch Kids. Certains pays ont préféré prendre des mesures préventives et bannir ces colorants en se fiant aux doutes des scientifiques, sans attendre de preuves unanimes. Dans son livre Additifs Alimentaires : ce que cachent les étiquettes, Hélène Barbier du Vimont explique que le rouge allura AC « fait partie d’une réévaluation des additifs menée à Southampton en 20072008 », et qu’il est déjà « interdit au Danemark, en Belgique, en Allemagne, en Suisse, en Suède, en Autriche, en Norvège [et] autorisé sous certaines conditions en France ». Aliments ultra-transformés : un fantôme dans l’assiette Bien que beaucoup d’additifs ne soient pas réellement problématiques pour la santé, ils cachent quelque chose de bien plus profond : l’avènement des produits ultra-transformés dans nos assiettes depuis des décennies.

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certains cancers, les maladies cardio-vasculaires, l’insuffisance rénale, la stéatohépatite non alcoolique, et la cirrhose. » Malheureusement, la prévention a été insuffisante pendant de nombreuses années, au moment même où elle aurait été nécessaire pour éviter le développement d’habitudes alimentaires délétères. Encore une fois, l’industrie a ajouté son grain de sel, sans vouloir faire de mauvais jeu de mots. En guise d’exemple, un article publié dans le journal JAMA Internal Medicine en 2016 met en lumière le rôle de l’industrie du sucre dans le développement du paysage alimentaire mondial. Comme l’explique un article de Radio-Canada, qui relaie l’étude : « L’industrie du sucre est tombée dans le marketing au début des années 60, au moment même où la communauté scientifique s’interrogeait sur la responsabilité du sucre et du gras dans les maladies cardiovasculaires. En 1964, elle a payé trois scientifiques de l’Université Harvard 6 500 $ chacun –

c’est évidemment le côté addictif qui pousse les industriels à utiliser massivement le sucre, mais également le côté financier : « la principale raison pour laquelle ces sucres sont massivement utilisés pour faire de la malbouffe est qu’ils ne coûtent pratiquement rien. Le sucre de table, le saccharose, est côté à la Bourse de Londres et son prix évolue généralement entre 30 et 50 centimes d’euro le kilo [entre 45 et 75 sous en dollars canadiens, ndlr]. Le glucose est habituellement encore moins cher. »

profits du marché du sucre, tout en ouvrant un nouveau marché du sans sucre. La simulation du goût sucré, qui est réalisée grâce à des édulcorants de synthèse dont les plus connus sont sans doute l’aspartame et l’acésulfame-K, a donc connu un succès massif. Ces édulcorants font néanmoins l’objet d’un vif débat. Alors que certaines études ont démontré un lien de causalité possible entre leur consommation régulière et le développement de diabètes ou de

En réalité, cela convient bien à tout le monde. Prenons l’exemple des plats préparés : l’industriel peut augmenter sa marge de profit, car il a rendu un « service » en préparant le plat ; le distributeur peut proposer des produits très attirants pour les consommateurs ; et ces derniers font une précieuse économie de temps. Christophe Brusset inclut les aliments ultra-transformés dans son approche de la malbouffe, qu’il faut éviter à tout prix. Il explique : « Les chercheurs ont constaté que plus un aliment est transformé, moins il est sain. Les transformations successives détruisent la structure protectrice de l’aliment, ce que l’on appelle “la matrice”, et altèrent son équilibre nutritionnel. Fibres et nutriments sont éliminés ou dégradés, sucres et graisses sont concentrés, sel et additifs sont ajoutés, et certains toxiques sont générés. » Clara Butler, ingénieure diplômée de l’école de chimie de Toulouse, qui s’est renseignée pendant de nombreuses années sur les possibles origines des problèmes liés à la nutrition moderne et qui inter-

« Regarder au dos de l’emballage d’un produit afin de voir sa liste d’ingrédients est un réflexe rare parmi les consommateurs [...] Pourtant, cette liste est révélatrice des produits ultra-transformés. » Additifs alimentaires : une liste bien (trop) longue Quand le sucre a commencé à réellement être considéré comme

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cancers, les preuves restent limitées et plus de recherches doivent être réalisées. Beaucoup d’études suggèrent que leur consommation pourrait générer des problèmes de santé, mais il n’y a bien souvent pas

vient occasionnellement en milieu scolaire en France afin d’y sensibiliser les enfants (et leurs parents par extension), explique lors d’un entretien avec Le Délit : « Lorsque vous allez faire vos courses au su-

permarché, prenez le temps de vous demander si vous auriez pu cuisiner ce produit vous-même, chez vous, en termes d’ingrédients et de transformation. Si la réponse est oui, c’est super, quelqu’un a cuisiné pour vous, profitez-en! Si la réponse est non ou « je ne sais pas trop », car la liste des ingrédients est très longue et contient des choses que vous ne comprenez pas, vaut mieux reposer le produit. » Regarder au dos de l’emballage d’un produit afin de voir sa liste d’ingrédients est un réflexe rare parmi les consommateurs, car cela ne leur passe pas par la tête, ou qu’ils estiment cela tout simplement inutile. Pourtant, cette liste est révélatrice des produits ultra-transformés. Par exemple, si la liste contient un nombre anormalement élevé d’ingrédients, ainsi que certains que vous ne connaissez pas, posez-vous des questions. Croyez-moi, j’ai fait le test, et on peut rapidement se retrouver avec des réponses surprenantes. Je suis personnellement assez fan d’une certaine catégorie de biscuits français, qui ont une fine couche de chocolat renfermant de la marmelade d’orange, le tout déposé sur un biscuit moelleux. Dans sa liste d’ingrédients, on s’attendrait donc à y retrouver de la farine, du sucre, des oranges, du chocolat, et peut être un conservateur. Pourtant, on y trouve des substances suspectes comme la gomme xanthane, le sirop de glucose-fructose, le pyrophosphate acide de sodium, l’amidon de blé, la lécithine de soja, ou encore du noyau de mangue! Quand même étrange pour un simple biscuit à l’orange, non? Même si ces additifs sont tous sans réel danger à petite dose, ces listes d’ingrédients à rallonge témoignent d’un traitement industriel ou chimique lourd. L’aliment a été déconstruit, puis reconstruit dans son entièreté. La précieuse « matrice » a été complètement détruite. Cette décomposition de la matrice a un fort impact sur la qualité nutritionnelle du produit final : les sucres deviennent « simples », et sont absorbés plus facilement par l’organisme, ce qui a des conséquences plus graves. Clara Butler ajoute que : « boire un jus d’orange et manger une orange, ce n’est pas du tout équivalent d’un point de vue nutritionnel. Lorsque vous mangez une orange, vous mangez toute la matrice du fruit, c’est-à-dire ses fibres, que votre estomac doit casser pour les assimiler. Alors que lorsque vous buvez un jus d’orange, pour lequel il a fallu presser quatre oranges en moyenne, celui-ci contient autant de sucre qu’un soda et est dépourvu de fibres et donc très facilement assimilable. Le jus a donc un fort impact sur votre glycémie [taux de sucre dans le sang, ndlr]» . Cette déconstruction alimentaire, et les « effets destructeurs » de ce processus sur le goût, l’apparence, la texture, doivent être compensés par des additifs, ce qui est le propre des aliments ultra-transformés, qu’il faudrait donc éviter de consommer, ou alors le faire très occasionnellement.x

société

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environnement au quotidien

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31 jours dans la peau d’un·e végane

adèle doat Éditrice Environnement eut-être avez-vous déjà vu circuler la tendance « Veganuary » sur votre fil Instagram ces derniers jours. De nombreux comptes culinaires ont décidé de participer à ce mouvement annuel du mois de janvier, en partageant une recette végétalienne par jour pour leurs abonné·e·s. Mais les créateur·rice·s des réseaux sociaux ne sont pas les seul·e·s à s’être lancé·e·s le défi. Pour débuter la nouvelle année, plusieurs se sont donné·e·s comme bonne résolution de manger moins de viande et de limiter leur consommation de produits d’origine animale.

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Veganuary, qu’est-ce que c’est? En 2014, au Royaume-Uni, Matthew Glover et Jane Land créent le concept Veganuary, contraction des mots anglais « vegan » et « January ». L’idée était d’encourager le plus de monde possible à adopter un régime végane pendant tout le mois de janvier. Aujourd’hui, Veganuary est une organisation à but non lucratif, qui joue aussi le rôle de porte-parole promouvant le mode de vie végane. Le Délit s’est entretenu avec Thomas Loeffler, chef végane, (aussi appelé The Chef Tomy), qui est ambassadeur de Veganuary cette année. Pour lui, Veganuary est « un mois de découverte qui permet aux gens de découvrir d’une façon ludique l’univers des possibles dans l’alimentation végétale, avec notamment la mise à disposition de beaucoup de ressources par de nombreuses personnes et associations, et de ceux qui sont à la base du mouvement végane, comme des livres électroniques, des vidéos, des recettes, des conseils nutritionnels, etc. » Le mouvement Veganuary a pour objectif principal de valoriser la nourriture végane et de la rendre plus populaire. Même si « la base du concept est de vraiment faire un mois complet en étant végane, [...] l’idée n’est pas de forcer les gens, ni de les juger », rappelle Thomas, avant d’ajouter : « Chacun tourne un peu la chose comme il en a envie. Par exemple, il y a des gens qui ne vont faire que quinze jours, d’autres qui vont faire un repas sur deux. Il y a aussi plein de personnes qui ont commencé à partir du 10 janvier parce qu’ils se sont rendu compte qu’ils avaient envie de le faire un petit peu tard, mais en réalité il n’est jamais trop tard. »

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Veganuary, le défi du mois de janvier.

Pourquoi y participer? Beaucoup de préjugés existent quant au régime végétalien. Veganuary a aussi pour but de se débarrasser des idées reçues, ainsi que de sensibiliser l’opinion publique au véganisme et à ses avantages. La principale philosophie du mouvement végane est de vivre sans exploiter les animaux. Le véganisme reconnaît le droit naturel des animaux à ne pas être maltraités, ni exploités par l’humanité. Plus qu’un régime alimentaire à base de plantes qui refuse la consommation de tout produit d’origine animale (œufs, lait, gélatine, etc.), le véganisme touche d’autres aspects du quotidien. Être végane, c’est aussi boycotter les produits qui ont été testés sur des animaux et refuser de porter des

concentration d’œstrogène qui ferait pousser des seins aux hommes, alors que scientifiquement, ce n’est pas vrai du tout », témoigne Thomas. Au contraire, l’alimentation végane a de multiples avantages, que ce soit au niveau de la santé, du bien-être animal ou encore de l’environnement. Adopter un régime végétalien, c’est réduire les risques de certaines maladies chroniques et être en meilleure santé. « C’est une alimentation qui est fortement anti-inflammatoire, principalement composée d’aliments complets comme des céréales, des légumineuses, des graines, des noix, des oléagineux. Ce sont des aliments très bons pour la santé, qui sont très riches, que ce soit en protéines, en fibres, ou en acides gras, qui sont insaturés, contraire-

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bone. En effet, selon le rapport de décembre 2023 de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), l’élevage de bétail dans le monde est responsable de 12,5% des émissions de gaz à effet de

serre d’origine anthropique. Par ailleurs, la production de viande consomme énormément d’eau et de céréales, afin de nourrir le bétail, ce qui occupe une grande quantité de terres. Lorsque ces dernières viennent à manquer, cela incite à la déforestation.

On pourrait se dire qu’adopter un régime végétarien en éliminant la viande et le poisson de son alimentation serait suffisant pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre. Pourquoi alors faudrait-il devenir végane?

Parmi les arguments contre l’adoption d’un régime végane, « ce qu’on entend vraiment souvent, c’est que les véganes vont avoir énormément de carences, ce qui n’est pas vrai si on s’alimente correctement. On entend aussi certains dire qu’on mange

ment à la viande, qui a beaucoup de graisses saturées, mauvaises pour la santé », nous explique Thomas. L’argument de défense de la cause animale est tout aussi convaincant : « Aujourd’hui, on produit une quantité incalculable de viande à l’échelle mondiale. L’agriculture intensive est de plus en plus présente parce qu’il y a une demande qui est énorme. Cette

Thomas nous répond : « Devenir végétarien, c’est déjà une très bonne chose en termes d’environnement, parce qu’on réduit fortement son impact. En termes de souffrance animale, c’est un peu plus compliqué parce qu’on sait que l’industrie du lait est l’une des industries les plus cruelles au monde, tout comme l’industrie des œufs. Chaque année, on broie des millions de poussins vivants, à peine sont-ils sortis de l’œuf. Donc à ce point de vue là, ce n’est pas forcément ce qu’il y a de plus idéal. Pour ce qui est des

« Selon le rapport de décembre 2023 de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), l’élevage de bétail dans le monde est responsable de 12,5% des émissions de gaz à effet de serre d’origine anthropique » de la viande depuis toujours, que c’est une tradition, alors pourquoi la changer? Ou encore que les véganes, notamment au niveau sportif, sont plus faibles et ont moins de capacités physiques, ce qui n’est pas vrai non plus. On parle aussi du soja, qui contiendrait supposément une

agriculture et cet élevage intensifs entraînent forcément des pratiques qui sont très cruelles envers les animaux », poursuit Thomas. Enfin, ne plus consommer de produits d’origine animale permet de considérablement réduire son empreinte car-

Pour cuisiner des recettes véganes et maintenir son apport en protéines, il n’est pas nécessaire de devenir expert·e en nutrition. « Il faut réapprendre à manger. Dans

« Adopter un mode de vie végane, ce n’est pas une décision éphémère qui se limite à un mois. Il s’agit d’un effort conscient que l’on décide de fournir à long terme »

Végétarisme VS véganisme

vêtements faits à partir de chair, de fourrure, de cuir, de laine ou de soie, par exemple.

« Réapprendre à manger »

émissions de gaz à effet de serre, c’est déjà une très bonne chose d’être végétarien, et chacun le fait à son rythme. Mais, il faut aussi savoir que le lait de vache a une empreinte carbone qui est beaucoup plus élevée que du lait végétal par exemple. »

notre culture actuelle, la viande représente la majeure partie des apports en protéines dans nos assiettes. Si on décide simplement de retirer la viande de nos assiettes en continuant de manger comme avant, on va avoir des carences en protéines. Il faut donc savoir remplacer cette viande qu’on va enlever de notre alimentation par autre chose, comme des noix, des légumineuses, ou des produits tels que le soja, les protéines de pois texturées, le thé, le seitan, etc. Il y a plein d’alternatives très riches en protéines végétales ». Bien qu’il soit centré sur le mois de janvier, l’objectif de Veganuary est d’encourager un changement durable dans les habitudes alimentaires des gens. Il ne s’agit pas simplement d’une tendance passagère et il est important d’en souligner les limites. Gabrielle, étudiante végane, nous partage ses appréhensions. « J’ai un petit bémol à apporter au concept de Veganuary, soit que cela peut par mégarde s’inscrire dans la culture des diètes, qui est extrêmement présente au mois de janvier. Les gens qui adhèrent à un nouveau régime ou une nouvelle tendance en début d’année vont souvent s’astreindre à des standards très élevés ou irréalistes, ce qui les empêchera de garder leurs résolutions de manière durable. Or, le véganisme, ce n’est pas une diète, ni une tendance, mais bien une prise de position éthique et politique. » Adopter un mode de vie végane, ce n’est pas une décision éphémère qui se limite à un mois. Il s’agit d’un effort conscient que l’on décide de fournir à long terme. Gabrielle le souligne : « Parce qu’en fait, ce qui pour moi est le plus important, ce n’est pas la vitesse à laquelle quelqu’un fait sa transition vers le véganisme. L’important, c’est qu’une personne fasse cette transition au rythme requis pour qu’elle soit capable de garder le cap et vivre en harmonie avec ses principes. »x

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Petit glossaire du défi climatique

rÉflexions

Comment différencier les changements climatiques du réchauffement climatique? Juliette elie Éditrice Environnement

L

es changements climatiques et le réchauffement climatique sont deux termes distincts, liés par une relation de causalité. Il est trop facile de ne pas se poser de questions et de considérer les deux concepts comme presque interchangeables. Pourtant, cette confusion des termes peut influencer la manière dont nous percevons la part de responsabilité de l’humain dans la crise climatique. Il est important de savoir les différencier pour mieux comprendre l’impact des activités humaines sur l’environnement, et afin de mieux interpréter les informations qui circulent au quotidien à propos de l’environnement.

Que sont les changements climatiques? Selon la définition officielle des Nations Unies, les changements climatiques « désignent les variations à long terme de la température et des modèles météorologiques ». Il s’agit d’un terme plutôt général pour parler des évolutions du climat terrestre de l’échelle régionale jusqu’à l’échelle globale. Quelques exemples de changements climatiques sont l’augmentation de la quantité de feux de forêt, les sécheresses intenses, les inondations et la diminution des glaciers. Ces changements climatiques, bien que très variés, ont tous une cause commune, comme

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l’illustre si bien Jamy, animateur de l’émission de vulgarisation scientifique C’est pas sorcier (ici paraphrasé) : les changements climatiques sont les symptômes du réchauffement climatique. Qu’est-ce que le réchauffement climatique? On peut alors considérer le réchauffement climatique comme la « maladie » provoquant les changements climatiques. En d’autres termes plus scientifiques, le réchauffement climatique est une hausse de la température terrestre à une échelle globale, dûe à une quantité croissante de gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère. L’emprisonnement de la chaleur par les GES est un phénomène naturel, qui a pris des proportions démesurées à cause des activités humaines. Depuis l’ère industrielle, la quantité de GES (composés majoritairement de CO2 et de méthane) n’a cessé d’augmenter, à cause de l’utilisation de plus en plus répandue des énergies fossiles. On entend souvent parler dans les médias et les reportages scientifiques de la limite du 1,5˚C, établie

en 2015 par l’Accord de Paris, mais qu’est-ce que cela veut réellement dire? Pourquoi la limite n’est-elle pas

les changements climatiques, de la Faune et des Parcs du Québec, « au Québec, l’augmentation des

« Les changements climatiques sont les symptômes du réchauffement climatique » de 1˚C ou 1,75˚C? L’objectif est de limiter le réchauffement planétaire à 1,5˚C au-dessus de la moyenne préindustrielle (1850-1900), parce qu’il s’agit du « seuil critique au-delà duquel on augmente le risque de franchir des points de bascule ». Les points de bascule sont des changements climatiques irréversibles, comme la fonte totale des calottes glaciaires ou l’extinction en chaîne d’espèces. La surface de la planète est normalement – c’està-dire ne pas prendre en compte les activités humaines qui augmentent les quantités de GES – maintenue à une température moyenne de 15˚C. Si celle-ci augmente de 1,5˚C globalement, à certains endroits la température peut rester stable, mais à d’autres endroits, elle peut augmenter de près d’une dizaine de degrés. Selon le Ministère de l’Environnement, de la Lutte contre

GES pourrait se traduire, d’ici 2050, par une hausse des températures pouvant atteindre 5˚C au sud et 9˚C au nord, principalement en hiver ». Le réchauffement climatique et les changements climatiques sont des phénomènes naturels tout à fait normaux, lorsqu’ils se produisent sur des milliers, voire des milliards d’années. La vitesse exceptionnelle à laquelle ils évoluent aujourd’hui est ce qui les rend dangereux pour la vie terrestre et l’humanité telles qu’on les connaît. L’objectif du 1,5˚C est aujourd’hui considéré comme difficilement atteignable, selon plusieurs scientifiques, mais il est tout de même plus avantageux de viser haut et de continuer à s’améliorer plutôt que de stagner et laisser la situation se dégrader.x

au quotidien

Consommer sur la pointe des pieds

Comment réduire sa consommation d’électricité en période de pointes hivernales? juliette elie Éditrice Environnement

S

i vous prenez régulièrement le métro, vous aurez peut-être remarqué l’apparition d’annonces signées Hydro-Québec, qui invitent la population à réduire sa consommation d’électricité. L’hiver est la période de l’année durant laquelle les Québécois consomment le plus d’énergie, à cause des besoins en chauffage que les grands froids entraînent. Alors, Hydro-Québec sera-t-il en mesure de supporter la demande grandissante en énergie cet hiver? Probablement de justesse, en puisant dans ses réserves énergétiques, en concluant des ententes avec des entreprises, et en bénéficiant de la coopération de la population. Que sont les pointes hivernales? Les pointes hivernales sont des moments de surcharge du réseau électrique, qui surviennent lors des journées les plus froides de l’hiver, typiquement entre 6h

et 9h, et entre 16h et 20h. « Les réserves d’Hydro-Québec pourraient s’avérer insuffisantes en

mode « climat tropical » pour contrer le froid. Pourquoi ne pas profiter de la mode de la saison

« La meilleure énergie, c’est celle qu’on ne consomme pas » cas de conditions extrêmes, comme une période prolongée de froid intense », rapporte un article de La Presse, qui s’appuie sur le rapport de la North American Electric Reliability Corporation. Il est important d’apprendre à réduire efficacement sa consommation en électricité afin d’éviter les pointes hivernales, d’économiser et d’adopter de bonnes habitudes environnementales. Trucs pratiques pour économiser l’électricité Pour éviter de chauffer son chez-soi inutilement, il faut d’abord bien isoler! Les fenêtres et les portes mal calfeutrées sont les premiers suspects lorsqu’on sent un courant d’air froid nous glacer le dos. Il n’est pas nécessaire de mettre le chauffage en

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de se mettre à table. Et la touche finale, évidente, mais importante pour une consommation électrique responsable : éteindre la lumière lorsqu’on quitte une pièce.

dérangeantes pour le confort et la routine quotidiens, mais lorsqu’elles deviennent des réflexes, on ne les remarque plus. Après tout, une planète en santé est bien plus confortable. Pour

et parader sa collection de tricots? Puisqu’on parle de vêtements, parlons également lavage. Faire des grosses brassées moins fréquentes et à l’eau froide permet de réduire la consommation des électroménagers. On est (probablement) d’accord que les douches froides n’ont pas leur place lorsqu’il fait -16˚C dehors. Toutefois, on peut chanter sous la douche bien au chaud tout en économisant, à condition d’en limiter sa durée. Enlever les résidus dans les assiettes avant de dominika grand’maison | Le dÉlit les mettre dans le lave-vaisselle fait en sorte qu’on peut régler ce reprendre les mots du vulgariPour nuire le moins possible à dernier au programme « éco » ou sateur scientifique Jamy, anil’environnement, il faut réduire « rapide ». Faire cuire plusieurs mateur de l’émission télévisée sa consommation et éviter le plats ensemble dans le four et C’est pas sorcier, « la meilleure mettre un couvercle sur l’eau qui gaspillage, ce qui inclut l’élecénergie, c’est celle qu’on ne tricité. Les bonnes habitudes bout réduit les besoins énergéconsomme pas ». x tiques et le temps d’attente avant énergétiques peuvent sembler

environnement

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culture

Engagement collectif durant la pandémie La pièce Nos Cassandre au Théâtre Espace Libre.

J

’entre dans la salle de spectacle en ôtant mon badge d’hôpital et je perçois ces mots en lettres blanches projetés sur un écran noir. « Ce spectacle est dédié aux travailleuses et travailleurs humanitaires. » Une petite légion de spectateurs s’agite, produisant une vibration d’émerveillement et d’émotion avant même le début de la présentation. Cela préparait le terrain pour le déroulement de la pièce Nos

lement été présidente internationale de Médecins Sans Frontières pendant six ans. C’est durant cette période qu’elle identifie les lacunes des systèmes politiques, et en appelle à une solidarité sans faille. Elle décide alors de collaborer avec Frédéric Dubois pour raconter sous une approche artistique son parcours. Ainsi, la figure mythique de Cassandre apparaît : celle qui a prédit la chute de Troie, mais que personne n’a crue. Qu’en

« Deux drames se croisent et se répondent : la chute de Troie avec Cassandre l’oracle, et le récit biographique de Dre Liu » Cassandre à l’Espace Libre, écrite par Anne-Marie Olivier et mise en scène par Frédéric Dubois.

est-il aujourd’hui? Sommes-nous prêts à écouter les Cassandre de notre époque?

Cette œuvre, autant contemplative que documentaire, suit la vie de Dre Joanne Liu (interprétée par Jade Barshee), urgentologue pédiatrique. Dre Joanne Liu a éga-

Tout le long de la pièce, nous accompagnons la docteure dans des zones de guerre, ou régions détruites par des catastrophes naturelles, alors que des ques-

théâtre Florence Lavoie Contributrice

tions de solidarité, d’engagement collectif et de responsabilité citoyenne émergent. L’histoire commence en 1975, par une anecdote qui présageait déjà la prise de conscience de citoyenneté internationale de Dre Liu : alors enfant, Joanne déclare la pomme verte être son fruit favori. Lorsqu’elle apprend plus tard que ces dernières sont importées d’Afrique du Sud, alors aux prises avec l’apartheid, Joanne arrête soudainement sa consommation de pommes vertes, qui lui rappellent la

Le projet de Nos Cassandre est né de l’amour de l’art dans lequel Dre Liu reconnaît un puissant antidote aux moments lugubres. Cet antidote à la souffrance, qui n’est pas seulement la sienne, mais celle de huit milliards d’êtres humains, prouve l’existence d’une identité invisible, partagée. x

Afin de guérir la maladie, la pièce prescrit une prise de conscience collective. À travers la figure mythologique grecque de Cassandre, oracle qui intervient aux points d’inflexion

Yigu Zhou Contributrice

Ce que l’on redonne à la société

Q

u’est-ce que ça signifie, « aider la société »? Qu’estce que ça implique, individuellement et collectivement, « faire sa part »? Ce sont entre autres ces questions que pose la pièce Bénévolat, de Maud de PalmaDuquet, où Amaryllis (Stéphanie Arav), étudiante en sciences, rigide et travaillante, aide Anthony (Mathieu Richard), jeune homme badin détenu pour meurtre, à réussir son français de première secondaire. Amaryllis affirme vouloir redonner à la société, mais révèle plus tard que cette expérience lui permettra d’augmenter ses chances d’être admise en médecine. Anthony veut finir son se-

La pièce Bénévolat au théâtre La Licorne.

Amaryllis et Anthony apprendront à créer un lien. L’attention est portée sur les acteurs, une table et deux chaises, ainsi qu’une fenêtre derrière laquelle on peut distinguer le temps qu’il fait. L’allure des personnages révèle d’emblée leur caractère : le coton ouaté d’Anthony est couvert de divers dessins et griffonnages. Amaryllis porte un tricot par-dessus une chemise, un pantalon propre et des loafers. Anthony pose des questions personnelles, fait des blagues, et remet en question les règles de grammaire. Amaryllis, quant à elle, est carrée, stricte, et veut faire le

« Si le jeu de Richard semble plus naturel, l’aspect plus saccadé de celui d’Arav montre le côté droit et intransigeant de son personnage »

condaire pour améliorer son dossier carcéral. Dans une mise en scène de Rose-Anne Déry, se déploient en huis clos les ateliers de français, qui se déroulent au pénitencier sur plusieurs semaines, lors desquels

10 culture

jade lê | Le dÉlit

du tracé des évènements, Dubois et Olivier tentent de nous mettre en garde contre la tragédie de Troie de notre génération. Deux drames se croisent et se répondent : la chute de Troie avec Cassandre l’oracle, et le récit biographique de Dre Liu. L’un distant et oublié, l’autre proche et actuel, qui nous signale l’urgence de la demande de changement. « Si tu crois que t’y arrives pas, t’y arrives », lance Dre Liu à son amie d’enfance Annie (interprétée par Phara Thibault) ainsi qu’au public pour encourager notre « [refus] de s’habituer à la mort », en citant Albert Camus.

souffrance d’un pays lointain. L’envie de Dre Liu de travailler au service de ceux qui sont exploités s’est imposée comme une mélodie de basse soutenant la symphonie de tout un cheminement en interventions humanitaires, inspirée par la lecture de l’ouvrage Et la Paix, docteur? du Dr Jean-Pierre Willem. Dans plusieurs monologues biographiques, Dre Liu réalise un examen clinique des plaies de l’humanité : cruautés, conflits, exploitation, hypocrisie, incohésion sur des continents lointains et chez nous en même temps. En parallèle, seule face au spectateur, l’oracle Cassandre décrit la situation en Libye, la perduration de ces champs de bataille où c’est « chacun pour soi, et tant pis si c’est toi » et nous signale ainsi que l’humanité est malade.

travail pour lequel elle est venue. On a devant nous deux personnages archétypaux, aux antipodes l’un de l’autre, qui servent à merveille le propos de la pièce et le fil narratif qui se dessine. Amaryllis, qui vient

d’une famille privilégiée, souhaite, comme son père, devenir médecin, mais souffre depuis l’enfance d’anxiété de performance, ce qui la pousse à consacrer chaque heure de sa vie à ses études. Lorsqu’Anthony lui demande pourquoi elle veut devenir médecin, Amaryllis ne sait pas quoi lui répondre. Quant à Anthony, il vient d’une famille plus précaire. Élevé seulement par sa mère, résolue à mettre de la nourriture sur la table, Anthony a décroché avant d’avoir fini son secondaire, en proie à un problème de toxicomanie . À 19 ans, pour rembourser une dette de dope, il menace un commis de dépanneur avec un fusil et le tue. Tout sépare ces personnages : leur classe sociale, leurs repères, leur vision du monde. Ils s’apprivoisent malgré tout pendant la pièce, se révèlent graduellement l’un à l’autre, et trouvent bien davantage que ce à quoi ils s’étaient engagés. Le texte de Maud de PalmaDuquet allie moments humoristiques et passages profondément puissants et émotifs, dans un équilibre tout à fait habile. Si la majeure partie de la pièce est construite au

sylvie-Anne paré

théâtre

artsculture@delitfrancais.com

fil des échanges entre les personnages, chacun se trouve à révéler son intériorité par des monologues. Amaryllis raconte au public des scènes ayant lieu hors de la prison, tandis qu’Anthony laisse des messages téléphoniques à sa mère. Les premiers échanges sont plutôt rapides et ne laissent pas beaucoup de place à la tension, mais l’actrice et l’acteur livrent tout de même leur texte avec virtuosité ; si le jeu de Richard semble plus naturel, l’aspect plus saccadé de celui d’Arav montre le côté droit et intransigeant de son personnage. La grande force de la pièce se trouve dans l’importante leçon humaine qu’elle porte

et dans les questions qu’elle pose sans jugement. Deux personnes se rencontrent et apprennent à se connaître au-delà des apparences, au-delà de ce qui auparavant les séparait, au-delà de leurs origines. Elles apprennent à reconnaître leurs biais, leurs préjugés, leurs angles morts, et arrivent à ressentir de l’empathie l’une pour l’autre. Ce huis clos déjoue les stéréotypes et, avec sensibilité, oriente le regard du spectateur sur des enjeux majeurs, comme la justice et le système carcéral, l’éducation et son élitisme, ainsi que les relations entre hommes et femmes et les dynamiques qu’elles impliquent. x

le délit · mercredi 24 janvier 2024 · delitfrancais.com


exposition

Exploration artistique : au-delà du monde visible Exposition Outre de SMITH au Centre VOX.

jade lê Éditrice Culture

L

’exposition Outre de l’artiste SMITH se révèle être une exploration audacieuse et immersive au-delà des conventions artistiques, invitant le public à remettre en question la binarité du genre et à sonder son univers à travers différents médiums, tels que la photographie, la danse, la vidéo, et même la sculpture. La singularité de cette exposition réside dans le refus délibéré d’attribuer des descriptions à chaque œuvre – les détails tels que les dates, les lieux et les noms – forçant les visiteurs à s’éloigner de l’histoire personnelle de l’artiste et à explorer une réalité alternative, plus vaste. Cette absence crée une sensation de flottement, renforcée par de nombreuses photos floues, comme de la fumée, évoquant une vision de l’art en tant que flux continu et non défini. SMITH cherche à déstabiliser nos modes de pensée et pousser notre imagination à aller au-delà, bouleversant toutes notions intériorisées. L’exposition s’ouvre sur une salle obscure dans laquelle une vidéo est projetée. Celle-ci explique la démarche de l’artiste et soulève des questions identitaires ainsi que la

cinéma Malik Ramjee-Chouzy Contributeur

A

afin de transmettre sa vision du monde au public, son environnement à travers la lentille de la caméra. Il y a également une réelle concentration sur le corps humain. En plus des photographies qui présentent des corps non-genrés, on peut retrouver des petites sculptures disposées au milieu de la pièce, qui sont également celles de corps. Certaines se tiennent seules, d’autres sont à dominika grand’maison | Le dÉlit

volonté de comprendre l’inintelligible. SMITH ne souhaite pas être un artiste qui se conforme à nos réalités binaires. Il se décrit comme « outre »: il existe entre deux opposés, entre l’humain et le non-humain, le visible et l’invisible, le masculin et le féminin. Il dit n’appartenir à aucun côté, et vivre à la frontière. C’est ainsi que ces questions d’identité se retranscrivent dans chacune des œuvres, avec des modèles androgynes. Au cœur de cette exposition : l’utilisation innovante de caméras thermiques. Les photographies sont

dominées par des tons de jaune, orange, rose, rouge, et bleu. Ces caméras permettent de rendre visible l’invisible, mettant en lumière l’énergie thermique, persistante malgré le temps qui passe. Cette traversée lumineuse est symbole de prise de conscience, révélant des aspects de notre monde qui échappent généralement à notre perception. La salle principale expose de nombreuses photographies de tailles variées, comme des vignettes d’un quotidien. SMITH photographie ses proches, des lieux anonymes, des animaux, et même un bureau mal rangé,

« SMITH ne souhaite pas être un artiste qui se conforme à nos réalités binaires » deux et ont l’air de s’enlacer. La matière transparente utilisée, ainsi que la lumière qui provient du socle donne l’impression que ces sculptures sont faites en glace et évoquent cette idée de fusion et d’absence de frontière. Cette idée se poursuit dans une seconde vidéo, dans laquelle un groupe de danseurs semble se fondre les uns dans les autres,

Napoléon : ombre et lumière

dans une chorégraphie libre en flux constant. On y observe aussi un médecin qui injecte une puce électronique dans la peau de l’artiste. Une opération qui permet à sa conscience d’accéder à un autre univers. Une question s’impose : qu’est ce que notre réalité? SMITH s’intéresse aussi aux états de corps secondaires que permettent les avancées technologiques. Que ce soit les traitements hormonaux utilisés pour la transition de genre ou même les vols paraboliques. En effet, il a été inspiré par ces avions qui recréent l’état d’apesanteur, qui permettent au corps de flotter, de ne plus rien ressentir, comme si nous n’étions plus soumis à la réalité. L’exposition Outre de SMITH offre une expérience artistique immersive qui transcende les normes, invitant les visiteurs à explorer de nouveaux imaginaires et à remettre en question notre perception du monde. L’artiste offre une vision audacieuse du monde, qui déstabilise nos modes de pensées, incitant chacun à embrasser la non-conformité. x L’exposition Outre est accessible gratuitement au Centre VOX jusqu’au 3 février.

Critique du dernier film de Ridley Scott.

vec Napoléon, sorti en rose chedid | Le dÉlit novembre dernier, le réalisateur britannique Ridley Scott se donne 158 minutes pour mettre en scène l’ascension et la chute de l’empereur des Français, incarné par Joaquin Phoenix. Bien que Scott et ses acteurs parviennent à captiver l’audience, davantage de rigueur dans les faits historiques aurait permis de Puis, affaibli par la campagne de la donner une image plus complète Russie, les défaites s’enchaînent de Napoléon. jusqu’à l’effondrement définitif de la Grande Armée et de son chef en Un homme au cœur de l’his1815. Les reconstitutions de batoire française tailles, dont Austerlitz et Waterloo, occupent une place importante Scott opte pour une approche chronologique en retraçant, malgré dans le film. Scott parvient à rendre compte de la violence extrême qui certaines omissions, les grands caractérise les guerres napoléoévénements de la Révolution française et de l’Empire. Le film s’ouvre niennes. Ces scènes sont parfois empreintes de symbolisme. Ainsi, en pleine révolution : en 1793, la dans la mise en scène de la bataille reine Marie-Antoinette monte à d’Austerlitz, un cavalier de la coalil’échafaud, la foule gronde dans tion anti-française tente de battre les rues de Paris. Après l’instabien retraite, sans lâcher l’étendard lité politique de la Terreur et du à l’aigle bicéphale qu’il porte à la Directoire, Napoléon Bonaparte main. Le cavalier tombe à l’eau s’empare du pouvoir en 1799 par et se noie, laissant sombrer avec un coup d’État. Il rétablit l’ordre et lui l’étendard du Saint-Empire redonne à la nation française son romain germanique. Avec cette unité. Devenu empereur en 1804, scène, Scott parvient à représenter Napoléon accumule les conquêtes.

le délit · mercredi 24 janvier 2024 · delitfrancais.com

Un portrait incomplet

des acquis de la Révolution figure pourtant parmi les principaux reproches adressés à Bonaparte aujourd’hui. L’impasse faite sur cet événement souligne un décalage majeur par rapport aux enjeux sociétaux actuels. Le réalisateur fait également le choix de taire les réformes instaurées par Bonaparte. C’est lui qui fait rédiger le Code Civil qui uniformise le droit français et réduit le pouvoir interprétatif des juges. Cet ouvrage aura une influence internationale. Notons cependant que le Code Civil consacre l’inégalité hommesfemmes, et ne revient pas sur l’esclavage. Par ailleurs, Bonaparte crée les lycées, la Banque de France, ou encore le Conseil d’État, qui existent toujours. Finalement, le film contient une scène dans laquelle Bonaparte fait feu sur les pyramides de Gizeh durant la campagne d’Égypte… Il s’agit là d’un fait non avéré.

On notera cependant des omissions et inexactitudes de taille dans ce film. Premièrement, il est à regretter qu’aucune mention ne soit faite du rétablissement de l’esclavage en 1802. Cette trahison

La figure de Napoléon est un sujet hautement politique. Au vu des controverses actuelles sur certains personnages historiques, notamment la polémique en France autour de la commémoration de

symboliquement la fin du SaintEmpire, qui survient à l’issue de la bataille d’Austerlitz. Si Scott s’intéresse au chef de guerre, il s’efforce également de dépeindre un Napoléon humain. Une attention particulière est accordée à sa vie affective, dans laquelle Joséphine de Beauharnais, sa femme, incarnée par Vanessa Kirby, occupe une place prépondérante. Scott tente également de dépeindre les traits de caractère de l’Empereur. Il en ressort le portrait d’un homme rustre, ayant une piètre opinion de la femme. Le Napoléon de Scott est aussi un personnage qui appréhende les grands moments, et qui se bouche les oreilles d’une manière caricaturale pour ne pas entendre le feu de ses canons. Cet aspect comique du personnage fait redescendre la légende parmi le commun des mortels.

l’Empereur à l’occasion du bicentenaire de sa mort en 2021, on ne saurait surestimer l’importance de la rigueur dans la représentation historique. Ces maladresses sont navrantes, mais aussi surprenantes, car en revanche, une grande attention est accordée au détail des costumes et dans la reconstitu-

« L’impasse faite sur cet événement souligne un décalage majeur par rapport aux enjeux sociétaux actuels »

tion de tableaux, dont Le Sacre de Napoléon de Jacques-Louis David. Lors d’une entrevue accordée à Letterboxd, Scott affirme ne pas avoir eu l’ambition de donner une « leçon d’histoire », mais plutôt de décrire le personnage de Napoléon. Or, entre raconter Napoléon et raconter l’Histoire, l’écart est-il si grand? Une version longue du film devrait bientôt sortir, laissant au cinéaste l’opportunité de rectifier le tir. x

culture

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création littéraire

«Parfums étrangers» Un poème de Jonas Sultan.

O

uvre ce carnet, ses pages vierges et douces, Qui sentent tout ce qui sent bon : De la rosée de roses en émulsion de mousse, Aux copeaux de cèdre aux pieds du bûcheron.

Du crayon grossier de l’enfant qui joue, À la plume tendre du poète de saison, Que ta prose mérite de se lire debout, Et se vaille tant de forme que de fond.

Puis, lorsque le génie passe, que la fougue s’enfuit Quand le soleil remplace la lumière des bougies, Scelle d’un regard ces vers inachevés Dans ce grimoire aux parfums étrangers.

Jonas sultan Contributeur jade lê | Le dÉlit

exposition

Terrorisme de velours : la Russie des Pussy Riot Immersion dans un art protestataire percutant.

célia martin Contributrice

O

rganisée par la galerie islandaise Kling&Bang et présentée au Musée d’art contemporain de Montréal (MAC) grâce au conservateur d’art John Zeppetelli et à la chargée de projet et d’expositions Marjolaine Labelle, Terrorisme de velours est une exposition à ne pas manquer. Du 25 octobre 2023 au 10 mars 2024, elle transporte ses visiteur·euse·s à travers l’histoire de la Russie par le biais des interventions activistes et artistiques du groupe punk-féministe Pussy Riot. Par son caractère authentique, percutant et éducatif, l’exposition révèle avec brio la portée d’un art engagé.

conséquences que celui-ci a entraîné sur le groupe. L’une des fondatrices du groupe, Maria (Masha) Alyokhina, nous ouvre la porte à son vécu par ses écrits explicatifs dispersés sur les murs du musée. Ainsi, chaque image et chaque vidéo

Riot ont comme mission de se servir des outils de répression de l’État, autant comme cible que comme canevas. Par exemple, en 2018, lors de la finale de la Coupe du monde de soccer, quatre des membres déguisé·e·s en policier·ère·s

clément veysset | Le dÉlit

Des œuvres audacieuses Terrorisme de velours s’ouvre et se clos sur une œuvre qui incarne tout ce que représentent les Pussy Riot : la protestation obstinée, sans honte et sans limites. Taso Pletner, membre du groupe depuis 2022, est filmée dans l’atelier de l’artiste islandais Ragnars Kjartanssonar alors qu’elle urine sur le portrait de Vladimir Poutine. Cette œuvre, qui peut paraître choquante à première vue, semble tout à fait appropriée à notre sortie de l’exposition, après avoir été informé·e·s de toutes les atrocités qu’ont vécues et que dénoncent les Pussy Riot. En parcourant les murs colorés du musée, nous apprenons à connaître les membres du groupe et leur résilience. Nous découvrons leurs tenues colorées et leurs balaclavas emblématiques, leur art de protestation unique et les

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laura tobon est accompagnée de textes qu’elle a écrits à la main, à la manière d’un journal intime ou

s’étaient précipité·e·s sur le terrain. Après coup, comme nous l’explique Masha, le groupe

l’exposition est chronologique. Ainsi, parmi les actions protestataires des Pussy Riot, on retrouve des bribes d’histoire de la Russie ; des dates importantes, des politiques adoptées, ainsi que des illustrations et des explications de la réalité des habitants de ce pays et de ceux et celles qui osent s’en indigner. Parmi leurs expériences les plus choquantes, on découvre le séjour de trois des membres dans des colonies pénitentiaires de la Russie, à la suite d’une performance punk dans une cathédrale orthodoxe à Moscou en 2012. Cette performance, nommée Prière Punk, dénonçait les injustices perpétrées par Vladimir Poutine ainsi que le brouillement de la frontière entre l’État et l’Église que celui-ci orchestrait. Par leurs récits poignants, elles lèvent le voile sur le peu de liberté d’expression que permet l’État russe ainsi que sur les horreurs que vivent les détenu·e·s des colonies pénitentiaires. Des photos ponctuants l’espace illustrent, entre autres, les trois (seules) toilettes col-

« En effet, l’extravagance et la diversité de ses mésaventures, à l’image excentrique du collectif, forment un tout authentique et fascinant » d’un scrapbook punk. Malgré la densité du contenu, Masha réussit à nous garder captivé·e·s. En effet, l’extravagance et la diversité de ses mésaventures, à l’image excentrique du collectif, forment un tout authentique et fascinant. On comprend rapidement que le travail artistique des Pussy Riot est réfléchi. Il ne s’agit pas simplement d’être punk pour provoquer. Les Pussy

s’était attribué le mérite de cette action et avait précisé que celle-ci visait à dénoncer la manière brutale, soudaine et injuste dont les forces de l’État s’immiscent dans la vie des citoyen·nes russes. Un cours d’histoire éclectique Sur les murs du musée sont dessinées des dates et des flèches qui nous indiquent que

lées auxquelles ont droit les quelques 60 détenu·e·s par bâtiment, les chambres au confort atroce, et bien plus. Quoique par instants difficile à suivre (les quatre murs de chaque pièce du musée sont exploités et les dates ne sont parfois indiquées qu’à la fin d’une section), le cours d’histoire qu’offre l’exposition reste extrêmement pertinent, surtout dans le contexte actuel. En effet, il

nous permet de mieux comprendre ce qui a pu mener à la guerre en Ukraine. Par ailleurs, la confusion face à la ligne du temps contribue à l’esthétique d’album de l’exposition et rend en quelque sorte l’expérience plus intime et personnelle : on a l’impression d’écouter une amie raconter son histoire. Ce n’est pas toujours linéaire, parfois elle se trompe dans ses mots (Masha étant russe, elle a tout écrit en anglais), mais on finit par comprendre l’essentiel. On finit aussi par mieux la connaître, et surtout, par avoir envie de se garder informé·e·s sur la suite des choses. Espace cacophonique Si j’ai une critique négative à faire, c’est que l’espace est un peu trop cacophonique. En effet, malgré les dizaines d’écrans mettant en scène diverses performances, chansons, et entrevues, pas une fois l’exposition ne nous laisse la chance d’entendre réellement le groupe. On les lit, mais on ne les entend pas, ou plutôt, on les entend trop. Toutefois, je me dois de lever mon chapeau à l’espace de détente offert par le MAC (l’Espace M) en cas de sur-stimulation, de fatigue, ou tout simplement de désir discursif. Malgré le chaos sonore de l’espace, qui était sans doute intentionnel, les visiteur·euse·s ont l’option de prendre une pause. Somme toute, Terrorisme de velours est une exposition à voir parce qu’elle présente un groupe d’activistes qui font de l’art politique, authentique et audacieux en confrontant l’autorité pour dénoncer des injustices. C’est une exposition instructive qui nous laisse sur notre faim en s’éparpillant un peu trop, mais en demeurant fidèle à sa direction artistique de journal punk.x

le délit · mercredi 24 janvier 2024 · delitfrancais.com


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