PubliĂ© par la sociĂ©tĂ© des publications du Daily, une association Ă©tudiante de lâUniversitĂ© McGill
Le DĂ©lit est situĂ© en territoire KanienâkehĂĄ:ka non cĂ©dĂ©.

PubliĂ© par la sociĂ©tĂ© des publications du Daily, une association Ă©tudiante de lâUniversitĂ© McGill
Le DĂ©lit est situĂ© en territoire KanienâkehĂĄ:ka non cĂ©dĂ©.
Avant lâexistence dâInternet, la presse Ă©crite et les bulletins de nouvelles tĂ©lĂ©visĂ©s consolidaient nos biais cognitifs en hiĂ©rarchisant les sujets selon leur degrĂ© dâimportance, en traitant lâactualitĂ© sous un certain angle, parfois mĂȘme avec une certaine intention de commercialiser lâinformation. La ligne Ă©ditoriale dâun journal sous-tend toujours son lot de croyances et de valeurs auxquelles le public adhĂšre ou non. Alors quâil serait probablement Ă©difiant de lire tous les journaux de MontrĂ©al pour les confronter entre eux, en avons-nous le temps, et sommesnous rĂ©ellement disposé·e·s Ă le faire? La plupart du temps, nous nous contentons de saisir une idĂ©e dans un article qui a Ă©tĂ© vĂ©rifiĂ©e par une autoritĂ©, qui confirme notre vision du monde ou la met au dĂ©fi. En ce sens, le phĂ©nomĂšne des chambres dâĂ©cho, selon lequel un mĂȘme type de contenu nous serait proposĂ© de maniĂšre rĂ©currente et renforcerait nos schĂšmes de pensĂ©e, sâest-il vraiment intensifiĂ© avec lâavĂšnement des mĂ©dias sociaux?
Il semblerait hĂątif de tenir les chambres dâĂ©cho pour responsables de notre renfermement sur des perspectives uniques. Plusieurs Ă©tudes montrent que le fameux phĂ©nomĂšne des chambres dâĂ©cho devrait ĂȘtre relativisĂ©, et non gĂ©nĂ©ralisĂ© Ă lâensemble des utilisateurs·rices : seulement 3 Ă 5% de la population serait vĂ©ritablement dans une chambre dâĂ©cho, selon le professeur de sciences des donnĂ©es Chris Bail Ă lâUniversitĂ© Duke. Judith Möller, spĂ©cialiste en communication politique et en journalisme de lâUniversitĂ© dâAmsterdam, avance pour sa part que les algorithmes de recommandation nous confronteraient Ă un spectre Ă©largi de rĂ©alitĂ©s sociales, politiques, et culturelles, permettant une diversification des voix.
Le phĂ©nomĂšne des chambres dâĂ©cho tend Ă rendre compte dâune vision des utilisateur·rice·s du web comme Ă©tant sous lâemprise des histoires leur Ă©tant fournies, dĂ©possĂ©dé·e·s de leur facultĂ© de jugement. Or, « lâexposition Ă des histoires incon -
grues ne conduit pas automatiquement Ă leur adhĂ©sion par le public ( tdlr ) », explique Mykola Makhortykh, chercheur Ă lâInstitut de communication et dâĂ©tude des mĂ©dias Ă lâUniversitĂ© de Berne. Ce nâest donc pas seulement lâalgorithme qui doit passer en revue notre profil et nous proposer du contenu en fonction de nos intĂ©rĂȘts. Nous devons Ă©galement garder un Ćil critique vis-Ă -vis des contenus en libre diffusion sur Internet et conserver la saine habitude de corroborer une information par plusieurs sources.
Au-delĂ de son application circonscrite, la thĂ©orie mĂ©diatique des chambres dâĂ©cho pose en filigrane la question de la distinction entre une information fiable et non fiable. Ce problĂšme se posait beaucoup moins avant lâavĂšnement du web, lorsque les journalistes bĂ©nĂ©ficiaient dâune tribune dans la presse papier, Ă la radio ou dans les chaĂźnes dâinformation en continu. Les informations journalistiques entraient alors beaucoup moins en concurrence avec dâautres types de contenus mĂ©diatiques et nâĂ©taient pas conçues dans une recherche constante de lâattention du public. Aujourdâhui, les informations journalistiques se retrouvent de plus en plus sur un pied dâĂ©galitĂ© avec des contenus mĂ©diatiques, potentiellement non vĂ©rifiĂ©s, du fait de leur prĂ©sence accrue sur les fils dâactualitĂ©s.
Et ce nâest peut-ĂȘtre pas une mauvaise chose. Il nous faut seulement garder Ă lâesprit que des discours de provenances hĂ©tĂ©rogĂšnes peuvent se mĂȘler les uns aux autres dans lâespace public, et que le risque de dĂ©sinformation est dĂšs lors accru. Tandis que notre attention sâĂ©parpille du fait de la dĂ©centralisation de lâinformation journalistique, notre maniĂšre de lire lâactualitĂ© est en pleine transformation. Nous sommes placé·e·s face Ă une profusion de diffĂ©rentes visions du monde qui contiennent leur lot de contradictions et qui complexifient notre rapport Ă la rĂ©alitĂ©. Il reste Ă savoir si la multiplication des sources dâinformation contribue ou nuit Ă une bonne comprĂ©hension des nouvelles. x
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AprÚs un premier vote sans quorum, la motion a été finalement approuvée par le Conseil législatif.
Vincent Maraval ContributeurLe 16 janvier dernier, lors de lâassemblĂ©e gĂ©nĂ©rale (AG) de lâAssociation Ătudiante de lâUniversitĂ© McGill (AĂUM), les deux Ă©tudiants Samuel Massey et Leo Larman Brown ont proposĂ© une motion concernant « les droits des ouĂŻghours et le dĂ©sinvestissement relatif au gĂ©nocide OuĂŻghours ». PassĂ©e sans quorum lors de lâAG, elle a finalement Ă©tĂ© adoptĂ©e le 19 janvier dernier lors du conseil lĂ©gislatif de l'AĂUM. La motion faisait partie de lâInitiative universitĂ©s propres (Clean Universities Initiative, CUI) du Projet de DĂ©fense des droits des OuĂŻghours (URAP).
Une initiative pour les droits Ouïghours et le désinvestissement du génocide
Il y a bientÎt un an, URAP a lancé sa campagne Initiative universités propres afin de pousser les universités canadiennes à retirer leurs investissements dans les entreprises impliquées dans le génocide des Ouïghours en Chine.
Dans un rapport appuyant la motion, les membres de lâURAP ont mis en avant la part de responsabilitĂ© qu'aurait McGill dans l'oppression du peuple ouĂŻghour Ă travers ses investissements.
Au total, lâURAP soutient que McGill aurait investi environ 115 millions de dollars canadiens dans 111 entreprises identifiĂ©es par lâorganisation comme participantes au gĂ©nocide.
Les OuĂŻghours sont une minoritĂ© musulmane de prĂšs de 25 millions dâindividus, dont 12 millions sont regroupĂ©s dans le Xinjiang, une province du Nord-Ouest de la Chine. Au dĂ©but des annĂ©es 2010, le gouvernement chinois a annoncĂ© se lancer dans une campagne de lutte contre le terrorisme dans cette rĂ©gion. NĂ©anmoins, selon plusieurs organismes dĂ©fenseurs des droits humains dont Human Right Watch, cette « lutte contre le terrorisme (tdlr) » sâest surtout exprimĂ©e Ă travers une oppression croissante du peuple ouĂŻghour, qui reprĂ©sente 45% de la population de la rĂ©gion.
Aujourdâhui, de nombreuses organisations non gouvernementales (ONG) comme Human Rights Watch ou Amnistie International accusent la Chine de crimes contre lâhumanitĂ© Ă lâencontre du peuple ouĂŻghour. Ces derniĂšres dĂ©noncent notamment lâexercice dâarrestations et de dĂ©tentions arbitraires, de tortures, et de surveillance de masse perpĂ©trĂ©s par la Chine contre le peuple ouĂŻghour depuis 2010.
Selon Leo Larman Brown, un Ă©tudiant reprĂ©sentant lâ Initiative universitĂ© propres Ă McGill et principal porteur de la motion, « le gĂ©nocide ouĂŻghour ne reçoit pas lâattention quâil mĂ©rite ». En effet, il soutient que les persĂ©cutions telles que dĂ©noncĂ©es par des groupes humanitaires sont relativement invisibilisĂ©es : ce gĂ©nocide ne reçoit quâune faible couverture mĂ©diatique. DâaprĂšs les recherches du DĂ©lit , seule une petite partie dâinstitutions, dont les assemblĂ©e canadiennes et françaises, ont reconnu les
actions du gouvernement chinois comme un « gĂ©nocide » et un « crime contre lâhumanitĂ© »
Dans le cadre de leurs recherches pour le rapport appuyant la motion prĂ©sentĂ©e Ă lâAĂUM, les membres de l'Initiative universitĂ© propres ont créé un algorithme Ă©valuant le niveau de complicitĂ© entre le gĂ©nocide et certaines entreprises dans lesquelles McGill investit.
Cet algorithme à recensé 111 entreprises qui seraient liées au génocide.
Au sein de ces 111 firmes, 67 sont considérées comme « faiblement complices  », soit des entreprises qui ne sont pas directement impliquées mais ayant des fournisseurs concernés, 18 sont considérées comme « moyennement complices », soit
auraient des partenariats avec lâentreprise Xinjiang Production and Construction Corps (XPCC), qui est une entreprise nationale chinoise connue pour son rĂŽle primordial dans lâorganisation de lâoppression des ouĂŻghours. DâaprĂšs le rapport, ces entreprises « hautement complices » ont aussi une prĂ©sence dans la rĂ©gion du Xinjiang, une participation au transferts de travailleurs forcĂ©s, ou encore des liens avec des entreprises qui ont Ă©tĂ© sanctionnĂ©es par lâadministration amĂ©ricaine.
Au cour de notre entretien, Leo Larman Brown a mis lâaccent sur la prĂ©occupation majeure que reprĂ©sente le lien entre 15 de ces firmes « hautement complices » et lâentreprise XPCC, considĂ©rĂ©e dans le rapport comme « créée pour supprimer et coloniser les peuples autochtones
« Puisque le génocide a été reconnu par le gouvernement , il est plus probable de convaincre McGill de retirer ses investissements »
Val Mansy, vice prĂ©sident e aux affaires externes de lâAĂUM
celles disposant dâune prĂ©sence dans la rĂ©gion du Xinjiang, et enfin, les entreprises dĂ©crites comme « hautement complices » dans le gĂ©nocide sont au nombre de 26.
Dans son rapport, lâURAP considĂšre ces 26 entreprises comme «  hautement complices » Ă cause de certaines caractĂ©ristiques quâelles regroupent. Selon lâorganisation, ces derniĂšres participeraient Ă la surveillance de masse des ouĂŻghours et
de la rĂ©gion ouĂŻghour ». Il a insistĂ© sur le fait que XPCC est une entreprise officiellement sanctionnĂ©e par le gouvernement canadien, et quâen finançant certaines de ces entreprises, McGill maintient un lien indirect avec XPCC.
En rĂ©alitĂ©, la motion nâa pas Ă©tĂ© adoptĂ©e directement par lâassemblĂ©e gĂ©nĂ©rale, mais plutĂŽt par le Conseil lĂ©gislatif. En effet, pour pouvoir adopter une motion lĂ©gitimement, lâassemblĂ©e gĂ©nĂ©rale de lâAĂUM nĂ©cessite de rassembler un quorum de 350 personnes. Or, lors du vote, seules 50 personnes Ă©taient prĂ©sentes, rendant lâapprobation de la motion uniquement consultative. La responsabilitĂ© de dĂ©cider lâadoption du texte a donc Ă©tĂ© transfĂ©rĂ©e au conseil lĂ©gislatif, qui a votĂ© son adoption Ă 17 voix contre une le 19 janvier dernier.
Lors de lâassemblĂ©e gĂ©nĂ©rale et du Conseil lĂ©gislatif de lâAĂUM, des questions ont Ă©tĂ© soulevĂ©es quant Ă la possibilitĂ© de voir la motion bloquĂ©e par lâadministration de
McGill comme cela avait Ă©tĂ© le cas pour la motion de solidaritĂ© avec la Palestine en mars dernier. Lors du Conseil lĂ©gislatif, Val Mansy, vice-prĂ©sident·e aux affaires externes de lâAĂUM, a prĂ©cisĂ© que lâAĂUM avait Ă©tĂ© « indĂ©pendante dans la dĂ©cision Ă prendre », et sâest montré·e confiant·e : « Puisquâil [le gĂ©nocide (ndlr)] a Ă©tĂ© reconnu par le gouvernement, il est plus probable selon moi de convaincre McGill [de retirer ses investissements] ».
Au cours de lâassemblĂ©e gĂ©nĂ©rale, un participant a fait part de ses prĂ©occupations quant Ă lâimpact rĂ©el de cette motion : « Nous savons que pendant de nombreuses annĂ©es, McGill a ignorĂ© tout ce que lâAĂUM a acquis dans la direction du dĂ©sinvestissement ». InterrogĂ©e par Le DĂ©lit sur les politiques dâinvestissement de McGill, FrĂ©dĂ©rique Mazerolle, agente des relations avec les mĂ©dias de lâUniversitĂ©, nous a affirmĂ© que « McGill a un engagement de longue date envers la durabilitĂ© et la responsabilitĂ© sociale », notamment exprimĂ© dans lâapprobation en 2020 « des modifications de l'Ă©noncĂ© de la politique d'investissement du fonds de dotation afin d'y inclure des CritĂšres environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). »
Lâabsence de quorum lors du vote de cette motion a Ă©tĂ© source de dĂ©ception pour Leo Larman Brown, qui constate que le manque de participation des Ă©tudiant·e·s est devenu un problĂšme rĂ©current au sein de lâassemblĂ©e gĂ©nĂ©rale. En effet, en naviguant sur le site internet de lâAĂUM, Le DĂ©lit a pu constater que depuis le 25 fĂ©vrier 2019, il nây a eu quâune seule assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale rĂ©guliĂšre dans laquelle le quorum Ă©tait reprĂ©sentĂ©.
Vers la fin de lâentrevue, Leo Larman Brown semblait nĂ©anmoins confiant aprĂšs lâadoption de cette motion. Pour lui, mĂȘme sâil est clair que McGill ne peut pas dĂ©sinvestir du jour au lendemain, lâadoption reprĂ©sente dĂ©jà « une premiĂšre Ă©tape trĂšs importante ». LâĂ©tudiant souligne : « Nous (Clean Universities, ndlr) nâavons pas lâintention de devenir ennemis de McGill ». Il affirme ĂȘtre « impatient de travailler main dans la main avec lâadministration pour faire avancer les choses ». x
AprĂšs 50 ans dâactivitĂ©, la Foire aux livres annuelle de McGill aura tenu sa derniĂšre Ă©dition Ă lâautomne 2022, ont annoncĂ© les coordinatrices de lâĂ©vĂ©nement dans une publication partagĂ©e sur Facebook.
« Avec un mĂ©lange de tristesse, de fiertĂ© pour la tradition de 50 ans de la Foire aux livres et dâapprĂ©ciation pour le dĂ©vouement de tant de personnes au fil des dĂ©cennies, nous avons le regret dâannoncer que la Foire nâaura pas lieu en 2023, ni dans un avenir prĂ©visible (tdlr) », peut-on lire dans le communiquĂ©.
La fin de lâĂ©vĂ©nement est causĂ©e par une combinaison du dĂ©part Ă la retraite des deux coordonnatrices, Anne Williams and Susan Woodruff, et de la fermeture de la bibliothĂšque Redpath. En effet, le complexe bibliothĂ©caire McLennan-Redpath sera rendu inaccessible au public pour au moins trois ans Ă compter du mois de mai 2023 pour ĂȘtre rĂ©novĂ© dans le cadre du projet FiatLux. Les locaux de la Foire seront Ă©galement affectĂ©s par la fermeture.
Ă chaque automne depuis 1972, le hall de la bibliothĂšque Redpath se pare pendant quelques jours de dizaines de milliers dâouvrages, DVD, disques vinyles et partitions. Une
salle entiĂšre est rĂ©servĂ©e aux livres anciens et rares. Tout au long de ses 50 ans dâexistence, la Foire aux livres de McGill est devenue un incontournable des amateur·rice·s de livres dans la province et mĂȘme au-delĂ . Les ouvrages sont obtenus grĂące Ă des dons, et les livres invendus sont mis gratuitement Ă la disposition des Ă©tudiant·e·s sur le campus ou donnĂ©s Ă lâorganisme Renaissance, partenaire de lâĂ©vĂ©nement. LâĂ©vĂ©nement est organisĂ© et gĂ©rĂ© par des volontaires.
Lâinitiative est nĂ©e de la collaboration entre LâAssociation des
Femmes DiplĂŽmĂ©es de McGill et lâAssociation des femmes de McGill. LâentiĂšretĂ© des revenus provenant de la vente des livres sert Ă financer des programmes de bourses pour les Ă©tudiant·e·s mcgillois·es. En 50 ans dâexistence, la Foire a permis de lever prĂšs de deux millions de dollars en bourses Ă©tudiantes. Entre 2009 et 2010,
trois bourses ont Ă©tĂ© Ă©tablies grĂące Ă ses revenus, soit la bourse Jane B. Hood destinĂ©e Ă un·e Ă©tudiant·e en littĂ©rature anglaise, une bourse Ă la FacultĂ© de musique Schulich, et une bourse pour un·e Ă©tudiant·e de premier cycle. Ces derniĂšres continueront dâĂȘtre attribuĂ©es malgrĂ© la fin de lâĂ©vĂ©nement « afin de servir comme legs
de la Foire aux livres  », peuton lire dans le communiqué partagé sur Facebook.
Au cours de la derniÚre décennie, la Foire aux livres de McGill a vu son existence menacée à plusieurs reprises.
En 2018, les organisatrices avaient annoncĂ© que la Foire tiendrait sa derniĂšre Ă©dition en 2019, avant de faire un grand retour post-pandĂ©mique en 2022. En 2012, lâĂ©vĂ©nement avait Ă©tĂ© annulĂ©, faute de volontaires, puis avait Ă©tĂ© annulĂ© Ă nouveau en 2013 Ă cause de rĂ©novations Ă la bibliothĂšque Redpath. En 2014, lâĂ©vĂ©nement avait eu lieu, mais nâavait reçu que trĂšs peu de visiteur·euse·s.
MalgrĂ© la fin un peu abrupte quâa connue lâĂ©vĂ©nement, les organisatrices se montrent satisfaites du projet de longue haleine quâa reprĂ©sentĂ© lâorganisation de la Foire. « Toutes les personnes impliquĂ©es sont fiĂšres de notre contribution Ă notre communautĂ©. Nous remercions toutes les personnes qui ont supportĂ© la Foire aux livres au cours de sa longue histoire », concluent Anne Williams et Susan Woodruff.x
LâĂ©dition de 2022 aura Ă©tĂ© la derniĂšre.
«La Foire aux livres de McGill est devenue un incontournable des amateur·rice·s de livres dans la province et mĂȘme au-delà »
McKinsey, « un gouvernement fantÎme »?
Mercredi 18 janvier, une enquĂȘte en comitĂ© parlementaire a Ă©tĂ© lancĂ©e pour faire lumiĂšre sur les 101,4 millions de dollars de contrats octroyĂ©s par le gouvernement Trudeau au cabinet de conseil multinational McKinsey depuis 2015. Le DĂ©lit sâest entretenu avec Daniel BĂ©land, directeur de lâInstitut dâĂ©tudes canadiennes de McGill (IĂCM), pour mieux comprendre les enjeux de cette enquĂȘte.
La montĂ©e des consultants dans le domaine de lâadministration publique date des annĂ©es 19801990. Elle coĂŻncide avec ce que lâon a appelĂ© la nouvelle administration publique ( New public management ) : la modernisation de lâĂtat par lâintroduction de stratĂ©gies et dâapproches empruntĂ©es au secteur privĂ©. Visant lâefficacitĂ© et la responsabilisation des hauts fonctionnaires, ces nouvelles mĂ©thodes ont dĂ©mocratisĂ© le recours aux consultants privĂ©s au sein de lâadministration publique. Lâexpertise et le prestige de ces derniers ont servi Ă lĂ©gitimer et appuyer les dĂ©cisions dâacteurs publics. Selon le professeur Daniel BĂ©land, lâemploi de plus en plus frĂ©quent de consultants externes dans le secteur public est liĂ© à « lâidĂ©e que lâĂtat ne peut pas toujours se fonder sur lâexpertise interne des fonctionnaires ». « De plus en plus, on a fait appel Ă des consultants pour aider lâĂtat Ă gĂ©rer des crises ou Ă rĂ©former certains secteurs », souligne-t-il. Cette pratique soulĂšve selon lui plusieurs questions notamment « au niveau de la sĂ©curitĂ© nationale, mais aussi sur le plan fiscal ».
Face Ă un gouvernement libĂ©ral minoritaire, les trois partis dâopposition, le Nouveau Parti dĂ©mocratique, le Parti conservateur et le Bloc QuĂ©bĂ©cois, se sont entendus pour forcer une enquĂȘte en comitĂ© parlementaire sur lâoctroi, la gestion, et le fonctionnement des contrats accordĂ©s par le gouvernement fĂ©dĂ©ral au cabinet de conseil McKinsey. En prĂ©sentant sa motion commissionnant la tenue dâune enquĂȘte, adoptĂ©e le mercredi 18 janvier dernier, la dĂ©putĂ©e conservatrice StĂ©phanie Kusie a qualifiĂ© McKinsey de « gouvernement fantĂŽme » avant de demander : « Qui dirige vĂ©ritablement le Canada? » Au cours
de lâenquĂȘte en comitĂ© parlementaire, sept ministres devront rĂ©pondre aux questions des Ă©lus du comitĂ©, ainsi quâun haut directeur de McKinsey Canada et Dominique Barton, ancien directeur de la multinationale et ambassadeur du Canada en Chine de 2019 Ă 2021. Les membres du comitĂ© parlementaire se pencheront sur lâefficacitĂ©, la gestion et le fonctionnement des contrats octroyĂ©s Ă McKinsey depuis 2011. Au total, 23 contrats totalisant 101,4 millions de dollars auraient Ă©tĂ© donnĂ©s Ă la multinationale sous le gouver-
« Il y a des théories du complot qui entourent McKinsey. Politiquement parlant, le nom McKinsey est source de controverses »
Daniel BĂ©landnement Trudeau depuis 2015. Sur ces 23 contrats attribuĂ©s, seuls trois lâont Ă©tĂ© dans le cadre dâun processus concurrentiel, reprĂ©sentant cependant plus de la moitiĂ© de la valeur totale des contrats octroyĂ©s Ă McKinsey.
Le 4 janvier dernier, RadioCanada rĂ©vĂ©lait dans une enquĂȘte lâinfluence croissante de McKinsey sur la politique dâimmigration canadienne. 24,5 millions de dollars canadiens en contrats ont Ă©tĂ© octroyĂ©s Ă la firme amĂ©ricaine par Immigration, RĂ©fugiĂ©s et CitoyennetĂ© Canada (IRCC) depuis 2015, sans pour autant prĂ©ciser la nature de ces conseils. Le pouvoir de suggestion de McKinsey sur lâimmigration canadienne ne sâarrĂȘte pas Ă ces contrats. LâenquĂȘte de Radio-Canada rĂ©vĂšle aussi lâinfluence probable de la firme amĂ©ricaine sur le plan dâimmigration du gouvernement annoncĂ© en novembre dernier. Les objectifs et propos de ce dernier reprenaient en effet de maniĂšre quasi-similaire les recommandations dâun comitĂ© Ă©conomique dirigĂ© par Dominique Barton, alors directeur de McKinsey. Lâinfluence de la firme amĂ©ric-
marie prince | Le Délit
aine de conseil en politique a aussi fait scandale rĂ©cemment en France, oĂč un rapport du SĂ©nat publiĂ© en mars 2022 concluait Ă un « phĂ©nomĂšne tentaculaire » du recours aux consultants et soulevait la question de la « bonne utilisation des deniers publics » et de la « vision de lâĂtat et de sa souverainetĂ© face aux cabinets privĂ©s. » Trois enquĂȘtes ont Ă©galement Ă©tĂ© ouvertes en novembre dernier par la justice française sur lâimplication de McKinsey dans les campagnes Ă©lectorales dâEmmanuel Macron en 2017 et 2022. InterrogĂ© sur ces scandales, le professeur Daniel BĂ©land confie : « Il y a des thĂ©ories du complot qui entourent McKinsey. Politiquement parlant, le nom McKinsey est source de controverses. [...] On met lâaccent sur McKinsey Ă cause de ce quâil sâest passĂ© Ă lâinternational, notamment en France ». Cependant, le professeur sâest montrĂ© sceptique face aux thĂ©ories selon lesquelles McKinsey agirait comme un « gouvernement fantĂŽme » selon les mots de la dĂ©putĂ©e conservatrice StĂ©phanie Kusie. « Est-ce quâil y a une idĂ©ologie derriĂšre ces firmes de conseil? McKinsey me semble ĂȘtre trĂšs pragmatique, mais en mĂȘme temps, ça peut ĂȘtre dangereux aussi. » Selon lui, « les consultants suivent les orientations de base du gouvernement et lâaident Ă atteindre ses
objectifs. Mais si les objectifs du gouvernement sont de tromper la population, McKinsey va sans doute les aider. Ils sont payés pour servir le gouvernement ».
« McKinsey nâest que la pointe de lâiceberg »
Alors que Radio-Canada rĂ©vĂ©lait que McKinsey avait Ă©tĂ© utilisĂ© trente fois plus sous le gouvernement Trudeau que sous celui de Harper, le professeur Daniel BĂ©land relativise la situation : « McKinsey est utilisĂ© davantage par les libĂ©raux que par les conservateurs de Stephen Harper, câest certain. [...] Mais est-ce que les conservateurs avaient dâautres consultants? »
« Si câest seulement une enquĂȘte partisane dans un comitĂ© parlementaire, on fait une erreur, parce quâon met lâaccent sur un acteur seulement alors quâil y en a plusieurs »
Daniel Béland
En effet, McKinsey nâest quâun cabinet de conseil parmi dâautres opĂ©rant au niveau fĂ©dĂ©ral, avec notamment Deloitte, PricewaterhouseCoopers (PwC) et Accenture. Dans un communiquĂ© de presse publiĂ© peu aprĂšs que les partis dâopposition aient annoncĂ© leur dĂ©cision de lancer une enquĂȘte, McKinsey se dĂ©fendait, soutenant « ĂȘtre un acteur relativement modeste », ne dĂ©tenant que 5% des parts du marchĂ©.
Selon le Pr BĂ©land, McKinsey ne reprĂ©sente que « la pointe de lâiceberg » : « Je pense que ça (le recours aux consultants, ndlr) pose un risque en matiĂšre dâespionnage, de sĂ©curitĂ© nationale, donc je pense que ça devrait ĂȘtre mieux encadrĂ© en gĂ©nĂ©ral, pas seulement McKinsey. »
LâenquĂȘte actuelle reprĂ©sente selon lui lâoccasion de remettre en cause une « pratique qui existe depuis des dĂ©cennies ». « Si câest seulement une enquĂȘte partisane dans un comitĂ© parlementaire, on fait une erreur, parce quâon met lâaccent sur un acteur seulement alors quâil y en a plusieurs », soutient-il. Pour le professeur BĂ©land, le vĂ©ritable enjeu de cette enquĂȘte sera de dĂ©passer les divisions partisanes pour mieux encadrer le recours aux consultants privĂ©s en gĂ©nĂ©ral. x
hugo vitrac Ăditeur ActualitĂ©s
Je ne suis pas habituĂ©e Ă Ă©chouer. La semaine derniĂšre, quand jâai postulĂ© pour un club Ă McGill auquel je rĂȘvais dâappartenir, je ne mâattendais pas au refus que jâai reçu. Cette dĂ©sillusion a brisĂ© mon ego et a bousculĂ© ma confiance en moi. Cette fois, je nâĂ©tais pas assez bonne, et peu importe combien je mâĂ©tais battue, cela ne suffisait pas. Jâai 20 ans, et Ă cet Ăąge,
digĂ©rer et il mâa amenĂ© Ă questionner mes capacitĂ©s, ce que je voulais pour ma vie, ce quâil rĂ©vĂ©lait de mon futur et de la personne que je suis. Il mâa mis dans un Ă©tat dâhyper-conscience de ma matĂ©rialitĂ©. Mon Ă©chec mâa heurtĂ© presque physiquement, me faisant rĂ©aliser ma fragilitĂ©. Ne suis-je vraiment quâhumaine?
Jâai rĂ©alisĂ© ma vulnĂ©rabilitĂ© face Ă lâĂ©chec, face Ă mon incompĂ©tence et face au jugement dâautrui. Les Ă©tudiants·es se mettent
dĂ©sillusions amoureuses. La vie professionnelle et sentimentale est parsemĂ©e dâobstacles sur lesquels nous sommes tous·tes condamné·e·s Ă trĂ©bucher. Mais est-ce vraiment une mauvaise chose? Pourquoi et comment mon Ă©chec a-t-il rĂ©veillĂ© en moi une adrĂ©naline jouissive? Comment vivre lâĂ©chec et surtout comment le surmonter?
«
Personne nâapprĂ©cie de se prendre une Ă©norme claque, et personne de rationnel ne demanderait de se prendre 700 claques dâaffilĂ©e. Edison Ă©tait-il fou? »
«
Au moment de lâĂ©chec, un sentiment de culpabilitĂ© nous envahit, nous regrettons nos nuits, nos repas, nous nous en voulons dâavoir respirer alors quâil aurait fallu travailler »
lâĂ©chec, on apprend seulement Ă le connaĂźtre, sans savoir quâil accompagnera notre vie sentimentale, notre carriĂšre et chacun de nos pas. Et je crois quâil sera maintenant le fantĂŽme qui hante mes nuits, mais aussi, un ami. Cet Ă©chec a Ă©tĂ© difficile Ă
constamment Ă nu, prĂȘt·e·s Ă recevoir les coups rudes des refus pour des stages, des cours Ă©chouĂ©s, des mauvaises notes, de la recherche de sens et de projets inaboutis ; il y a aussi les dĂ©ceptions amicales, les problĂšmes familiaux et, bien sĂ»r, les
Ăchouer rend malade. Lâestomac se tord, lâego se recroqueville et les espoirs sâĂ©vaporent. Un tas de questions nous vient alors Ă lâesprit : Suis-je assez douĂ©e? Quâest-ce qui ne va pas chez moi? Pourquoi les autres rĂ©ussissent et pas moi? Quâont-ils·elles de plus que moi? Ces questions nous paralysent bien souvent, mais celle qui revient le plus est : Nâai-je donc pas assez travaillĂ©?
Au moment de lâĂ©chec, un sentiment de culpabilitĂ© nous envahit, nous regrettons nos nuits, nos repas, nous nous en voulons
dâavoir respirĂ© alors quâil aurait fallu travailler. Ă lâĂ©cole, on nous fait comprendre depuis toujours quâĂ©chouer est souvent le synonyme dâun manque de travail. On nous fait presque intĂ©grer que notre bien ĂȘtre devrait passer au second plan. Les bon·ne·s Ă©lĂšves sont recompensé·e·s pour leur assiduitĂ©, et les mauvaises notes sonnent lâalarme de la dĂ©faillance, dâun manque de volontĂ© et de tĂ©nacitĂ©. Lorsque le travail se rĂ©sume Ă apprendre des poĂšmes par coeur ou Ă faire des additions, câest peut-ĂȘtre vrai, un travail acharnĂ© ne devrait pas nous tenir trop longtemps Ă©loigné·e·s de la rĂ©ussite. Pourtant, on peut se demander si cet Ă©tat dâesprit tient toujours la route pour le reste de la vie. Ă lâuniversitĂ©,
dĂ©jĂ , les choses se corsent : les heures passĂ©es sur une dissertation ne garantissent pas un A, et les bonnes notes ne nous assurent pas non plus de trouver le stage de nos rĂȘves. En grandissant, les enjeux se compliquent, la toile des possibles sâĂ©largit et il faut bien souvent de nombreux essais avant dâarriver au rĂ©sultat souhaitĂ©.
Le problĂšme, câest que notre vision de lâĂ©chec, elle, nâa pas Ă©voluĂ©e. Ceux·elles qui se chargent de notre Ă©ducation nous crient tout au long de notre vie que parce que tomber est douloureux, il nous faut Ă©viter Ă tout prix de trĂ©bucher, et donc Ă©viter les chemins aventureux. Quand notre entourage a de grandes attentes, il nous rĂ©pĂšte inlassable -
ment quâil faut bien travailler Ă lâĂ©cole pour avoir un bon mĂ©tier, comme si le chemin Ă©tait prĂ©destinĂ©, que le travail garantissait une rĂ©ussite sans embĂ»che. Pourtant, il a fallu plus de 700 essais infructueux Ă Thomas Edison pour inventer lâampoule Ă©lectrique, qui a littĂ©ralement rĂ©volutionnĂ© le mode de vie de
la peur de tomber pour pouvoir avancer, car rien ne sert dâemprunter une route si nous ne la finissons jamais. Personne nâaime Ă©chouer car on nous apprend Ă chasser lâĂ©chec de notre vie, Ă le haĂŻr et Ă en faire notre fardeau. Notre sociĂ©tĂ© cĂ©lĂšbre ceux·elles qui rĂ©ussissent, câest tout.
« Il est difficile dâarrĂȘter dâĂȘtre une machine de guerre, il est difficile dâassumer sâĂȘtre trompĂ©, difficile de prouver sa valeur sans ses trophĂ©es et symboles auxquels tout le monde croit fidĂšlement »
lâHumanitĂ©. Je rĂ©pĂšte, la seule raison pour laquelle les Ă©tudiants peuvent rester travailler dans une bibliothĂšque Ă©clairĂ©e jusquâĂ 5h du matin, et sauver un semestre de procrastination, est quâun ĂȘtre humain a acceptĂ© de rĂ©essayer 700 fois de faire passer un courant Ă©lectrique par un filament de carbone. Bien des aspects de notre vie auraient Ă©tĂ© diffĂ©rents si un ĂȘtre humain nâavait pas eu la rĂ©silience et le cran nĂ©cessaires Ă lâinvention de lâampoule. Quand jâai entendu cette histoire, je me suis dit : « Heureusement que lâavenir de lâĂ©lectricitĂ© ne repose pas sur mes Ă©paules, car vu le temps que je mets Ă me remettre dâun Ă©chec, lâĂ©lectricitĂ© verrait le jour dans plus de 1000 ans. » Cette douleur ressentie aprĂšs la dĂ©faite nâest pas originale et elle est bien souvent la cause dâune paralysie difficile Ă soigner. Comment vouloir postuler une nouvelle fois Ă lâuniversitĂ© de nos rĂȘves quand la douleur du premier refus fut presque fatale? OĂč trouver le courage de mettre une rĂ©elle tĂ©nacitĂ© dans lâĂ©criture dâune rĂ©daction pour une matiĂšre dans laquelle on nâarrive pas Ă avoir de bonnes notes? Personne nâaime Ă©chouer. Personne nâapprĂ©cie de se prendre une Ă©norme claque, et personne de rationnel ne demanderait de se prendre 700 claques dâaffilĂ©e. Edison Ă©tait-il fou? Faisait-il partie de ces gens qui ne ressentent pas la douleur? Edison Ă©tait humain pourtant. Humain comme je suis humaine, et comme jâai rĂ©alisĂ© lâĂȘtre aprĂšs mon Ă©chec. NĂ©anmoins, Thomas Edison avait trouvĂ© le remĂšde Ă la peur de lâĂ©chec, câest certain, et sâil existe un remĂšde, cela veut bien dire que cette peur tĂ©tanisante nâest le rĂ©sultat que dâun conditionnement. La sociĂ©tĂ© occidentale nous apprend quâil faut Ă©viter de tomber car tomber fait mal, quâil faut Ă©viter les voies inconnues, avoir des bonnes notes, aller dans une bonne universitĂ© pour sâassurer un avenir. Or, nâest-ce pas inĂ©vitable? Peut-on toujours fuir la chute? Ne vaudrait-il pas mieux apprendre Ă se soigner pour pouvoir se relever et continuer de marcher? Nous avons besoin de nous affranchir de
Thomas Edison a dit : « Je nâai pas Ă©chouĂ© mille fois, jâai dĂ©couvert mille cas dans lesquels lâampoule ne pouvait pas fonctionner. » Entreprendre quelque
des risques. TrĂ©bucher nous approche inexorablement dâune destination, mĂȘme si elle nâest pas la destination attendue, mĂȘme si le chemin empruntĂ© nâest pas le chemin espĂ©rĂ©. La plupart des Ă©tudiant·e·s, dont moi, ne sont pas prĂ©paré·e·s Ă cela. Dâautant plus Ă McGill oĂč la culture du travail et de lâexcellence rĂšgne, oĂč le GPA et les stages font loi. Il est difficile dâarrĂȘter dâĂȘtre une machine de guerre, il est difficile dâassumer sâĂȘtre trompĂ©, difficile de prouver sa valeur sans ses trophĂ©es et symboles auxquels tout le monde croit fidĂšlement. Pourtant, un Ă©chec nâest pas seulement une nĂ©gation, il ne nous enlĂšve pas seulement quelque chose. LâĂ©chec est un Ă©lĂ©ment Ă part entiĂšre, porteur de ses propres bonnes nouvelles, quelque chose de plein, quâil nous est possible de recevoir, dâouvrir et dâaccepter. Comme le dit Tal Ben-Shahar dans son livre, notre sociĂ©tĂ© devrait nous apprendre Ă cĂ©lĂ©brer nos dĂ©faites,
doit de nous prĂ©parer Ă la vie, elle ne devrait pas seulement nous apprendre Ă rĂ©ussir, elle devrait aussi nous apprendre Ă Ă©chouer. Jâaurai aimĂ© sourire aprĂšs la claque que je me suis prise. Elle Ă©tait certes douloureuse, et jâaurai probablement fini par pleurer dans tous les cas, mais elle a soulignĂ© la force et la passion que jâavais mises dans ce que jâavais entrepris. Et maintenant, je me rends compte que ce nâĂ©tait pas si difficile Ă surmonter, et essayer dâautres choses sera probablement plus facile la prochaine fois. Mon Ă©chec mâa appris Ă essayer.
Au XXIĂšme siĂšcle, nos sociĂ©tĂ©s occidentales, avec lâavĂšnement des auto-entrepreneurs et des cĂ©lĂ©britĂ©es parti·e·s de rien, ne voient la valeur dâactions entreprises que dans le rĂ©sultat. Pourtant, la vie est avant tout lâopportunitĂ© de construire
quâil faut persĂ©verer, Ă nous de choisir.
LâĂ©chec nous apprend des choses sur nous et nous offre lâopportunitĂ© de nous questionner. Il est aussi un tremplin. Si lâon sait lâexploiter et tirer de lui ce quâil est vraiment, alors lâĂ©chec nous apporte aussi de la force. Une force qui rend presque invincible parce quâelle apporte au chaos une espĂ©rance. Une fois quâon est tombĂ©, la chute fait moins peur. Pour les gymnastes par exemple, le premier essai est toujours le plus effrayant, car une fois que lâon a expĂ©rimentĂ© la chute, on apprend Ă la dompter pour finalement la contrĂŽler. On apprend Ă comprendre lâĂ©chec pour lui donner une direction, et quand on parvient Ă le faire, et que le recul permet de lâintĂ©rioriser, alors chaque Ă©chec devient une opportunitĂ©.
LâopportunitĂ© dâĂȘtre diffĂ©rent·e.
Si Thomas Edison nâavait jamais dĂ©couvert lâampoule Ă©lectrique, ses recherches lâauraient probablement amenĂ© Ă dĂ©couvrir autre chose. Et mĂȘme si ce nâavait pas Ă©tĂ© le cas, peut-ĂȘtre que cela aurait fait de lui une personne merveilleusement inĂ©branlable en amour, qui donnerait tout pour ses proches et serait ainsi toujours bien entourĂ©. Si lâon fait abstraction de sa rĂ©ussite, Thomas Edison sera dans tous les cas mort avec le repos dâavoir sincĂšrement tout essayĂ©. Ăchouer est inĂ©vitable, donc autant apprendre Ă ĂȘtre rĂ©silient·e le plus tĂŽt possible, pour apprendre Ă apprĂ©cier le chemin que nous devrons prendre quoi quâil arrive. JK Rowling a reçu des refus de la part de 12 Ă©diteurs diffĂ©rents avant de parvenir Ă faire publier Harry Potter. Elle raconte que cette rĂ©silience sâexplique en partie par le fait quâelle Ă©crivait dĂ©jĂ Harry Potter alors quâelle Ă©tait au plus bas dans sa vie. Ces exemples nous montrent combien nos Ă©checs ne disent en fait que de belles choses de nous, ou nous apportent un espoir dâamĂ©lioration
chose de compliquĂ©, avoir des objectifs inatteignables, câest se mettre Ă nu, la chair prĂȘte Ă recevoir les coups. Se rĂ©signer Ă lâĂ©chec, câest difficile. Accepter dâĂ©chouer, dâĂȘtre sensible Ă cela, câest accepter dâĂȘtre humain·e.
Thomas Edison ne percevait pas ses Ă©checs comme tels, il les voyait comme des leçons qui le rapprochait de son objectif. Si Edison nâavait pas dĂ©couvert lâampoule, peut-ĂȘtre nâaurait-il jamais Ă©tĂ© cĂ©lĂ©brĂ©. Pourtant, mĂȘme sâil sâĂ©tait arrĂȘtĂ© Ă la 600 Ăšme tentative, le chemin parcouru aurait Ă©tĂ© bien plus immense que celui parcouru par son successeur qui aurait alors dĂ©couvert lâampoule. Tal Ben-Shahar Ă©crit dans Lâapprentissage de lâimperfection que les Ă©lĂšves devraient ĂȘtre fĂ©licité·e·s pour leurs Ă©checs, car ce sont les symboles quâil·elle·s ont essayĂ©, relevĂ© des dĂ©fis et pris
Ă voir en elles ce quâelles sont rĂ©ellement. Les Beatles ont Ă©tĂ© confrontĂ©s Ă de nombreux refus de maisons de disque car leur style de musique Ă©tait diffĂ©rent. Ils ont fait de cette diffĂ©rence leur identitĂ©. Et quel Ă©tait leur Ă©chec? Un symbole dâinnovation, de diffĂ©rence quâil fallait peut-ĂȘtre exploiter. Les Ă©checs nous donnent aussi parfois du temps libre, dont il faut savoir profiter et quâil faut savoir exploiter, pour se dĂ©velopper et prendre le temps dâĂȘtre mieux prĂ©paré·e·s pour la prochaine tentative, ou tout simplement pour changer. Plus la chute est grande, plus elle est le symbole que quelque chose de grand a Ă©tĂ© entrepris. Si nos sociĂ©tĂ©s, nos Ă©coles ne nous apprennent pas cela, alors avancer continuera dâĂȘtre aussi difficile pour la majoritĂ© des gens. Si lâĂ©cole se
« Si lâon sait lâexploiter et tirer de lui ce quâil est vraiment, alors lâĂ©chec nous apporte aussi de la force. Une force qui rend presque invincible parce quâelle apporte au chaos une espĂ©rance. Une fois quâon est tombĂ©, la chute fait moins peur »
notre histoire. Nos expĂ©riences forment la toile de notre identitĂ©, complexe et unique. Chaque expĂ©rience nous dĂ©veloppe et nous apporte quelque chose en elle-mĂȘme, quel que soit le rĂ©sultat, et je dirais mĂȘme que celui-ci nâa en rĂ©alitĂ© pas tant dâimportance. Ne pas ĂȘtre pris pour un certain stage est peutĂȘtre le symbole dâune incompatibilitĂ© avec le stage oĂč les gens qui y travaillaient, ou le signe
et de changement. Finalement, je regarde mon Ă©chec, et je me dis quâil mâa permis dâĂ©crire cet article, quâil mâa aussi rendu plus forte et moins peureuse face Ă la difficultĂ©. En fait, jâadore tomber. x
Le DĂ©lit a enquĂȘtĂ© auprĂšs de la communautĂ© française queer mcgilloise.
Le 10 janvier dernier, le journal français Le Monde publiait un article intitulĂ© « Pour les jeunes Français LGBTQIA+, MontrĂ©al, âun havre de paixâ ». Ă travers les tĂ©moignages de trois jeunes Français·es de la communautĂ©, le QuĂ©bec y Ă©tait dĂ©peint comme une « terre promise » pour la communautĂ© 2SLGBTQIA+ française. La rĂ©putation de MontrĂ©al auprĂšs des jeunes Français·es est-elle mĂ©ritĂ©e, ou est-elle idĂ©alisĂ©e? Le DĂ©lit a enquĂȘtĂ© auprĂšs de la communautĂ© 2SLGBTQIA+ de lâUniversitĂ© McGill, et les rĂ©ponses obtenues ont dressĂ© un portrait un peu plus complexe de la situation.
Depuis une dizaine dâannĂ©es, des vagues dâĂ©tudiant·e·s français·e·s dĂ©ferlent sur MontrĂ©al. Entre 2005 et 2018, le nombre de jeunes français·e·s venu·e·s poursuivre leurs Ă©tudes au QuĂ©bec a plus que triplĂ©. Ă lâUniversitĂ© McGill, on compte actuellement un peu plus de 2000 Ă©tudiant·e·s français·e·s, ce qui reprĂ©sente environ 5% de la population Ă©tudiante et 15% du nombre total dâĂ©tudiant·e·s Ă©tranger·Úre·s.
En effet, beaucoup de jeunes Ă©tudiant·e·s français·es qui souhaitent quitter le nid familial se tournent vers le QuĂ©bec, qui, en plus dâoffrir des frais de scolaritĂ© avantageux, apparaĂźt comme un exemple de tolĂ©rance et dâouverture auprĂšs de la jeunesse française. InĂšs, Ă©tudiante queer Ă lâUniversitĂ© Paris 1 PanthĂ©on Sorbonne, affirme que MontrĂ©al reprĂ©sente pour elle un endroit « oĂč la sexualitĂ© est plus libĂ©rĂ©e et oĂč les lois sont plus avancĂ©es, ou du moins plus pointilleuses, concernant les discriminations envers les minoritĂ©s sexuelles et de genre. »
En ce qui concerne la communautĂ© 2SLGBTQIA+, plusieurs mĂ©dias français ont fait Ă©tat dâune vague dâimmigration queer vers MontrĂ©al en 2013 Ă la suite des nombreuses manifestations contre le mariage pour tous·tes en France. MalgrĂ© les avancĂ©es scientifiques et lĂ©gales notables de ces derniĂšres annĂ©es, notamment avec la lĂ©galisation de lâapplication de la ProcrĂ©ation mĂ©dicalement assistĂ©e (PMA) aux couples de mĂȘme sexe en 2021, il persiste toujours en France une forte opposition au mariage homosexuel et Ă lâhomoparentalitĂ©.
En comparaison, le QuĂ©bec, oĂč le mariage homosexuel est lĂ©gal depuis 2004, semble avoir une longueur dâavance sur le plan lĂ©gislatif.
« Ici, je peux ĂȘtre qui je veux »
Pour plusieurs jeunes Ă©tudiant·e·s français·es passé·e·s en entrevue, le fait de venir Ă©tudier Ă MontrĂ©al reprĂ©sentait une opportunitĂ© dâexplorer plus librement leur orientation sexuelle et leur identitĂ© de genre.
RaphaĂ«l, un français venu Ă©tudier le gĂ©nie informatique Ă McGill, compare lâarrivĂ©e Ă MontrĂ©al Ă un Ă©veil pour beaucoup dâĂ©tudiant·e·s français·es par rapport Ă leur identitĂ© 2SLGBTQIA+. Pour lui, partir vivre Ă MontrĂ©al a Ă©tĂ© lâopportunitĂ© de faire son « coming out ». « En France jâĂ©tais pas âoutâ, mais je le savais depuis longtemps. [...] DĂšs que je suis arrivĂ© Ă MontrĂ©al, je me suis aperçu que jâaimais les filles et les garçons et je nâai jamais vraiment eu de problĂšmes liĂ©s à ça. Je ne ressens pas de jugement des autres, et câest bien mieux acceptĂ© par les gens en gĂ©nĂ©ral », tĂ©moigne-t-il. RaphaĂ«l, qui vient dâun milieu rural en France, mentionne que
plusieurs facteurs entrent en jeu dans le sentiment dâacceptation quâil a ressenti Ă MontrĂ©al. Selon lui, le monde urbain offre plus de reprĂ©sentation Ă la communautĂ© 2SLGBTQIA+ que dans
questionnements relatifs Ă lâorientation sexuelle et Ă lâidentitĂ© de genre sont beaucoup plus ouverts au QuĂ©bec quâen France : « Câest bien plus facile dâexplorer son genre et sa sexua -
son village natal. LâĂ©tudiant cite en exemple le Village gai de MontrĂ©al et ses nombreux drapeaux de la fiertĂ©. « Ici, (Ă MontrĂ©al, ndlr) je peux ĂȘtre qui je veux », affirme-t-il. RaphaĂ«l souligne Ă©galement avoir trouvĂ© au sein de la vie associative queer de lâUniversitĂ© McGill des ressources ainsi quâun sentiment de communautĂ© bienveillante.
Aubrey est un Ă©tudiant français queer diplomĂ© de lâUniversitĂ© McGill en 2022. Pour lui, les
litĂ© Ă MontrĂ©al par rapport Ă la France, oĂč la question queer nâest clairement pas suffisamment abordĂ©e publiquement (tdlr) », souligne-t-il. Pour Aubrey, le tabou et les idĂ©es prĂ©conçues sur le genre et la sexualitĂ© sont beaucoup moins prĂ©sentes dans la plus grande ville francophone canadienne quâen France. Il dĂ©crit MontrĂ©al comme un endroit regroupant une multitude de « safe spaces  » ( espaces sĂ©curisĂ©s ). « Il y a diffĂ©rents clubs, diffĂ©rents bars de drag,
« DĂšs que je suis arrivĂ© Ă MontrĂ©al, je me suis aperçu que jâaimais les filles et les garçons et je nâai jamais vraiment eu de problĂšmes liĂ©s à ça. Je ne ressens pas de jugement des autres, et câest bien mieux acceptĂ© par les gens en gĂ©nĂ©ral »RaphaĂ«l, Ă©tudiant en gĂ©nie Ă McGill Marie Prince| Le DĂ©lit
des ââkiki ballsââ; il y a des Ă©vĂ©nements queer pour des identitĂ©s spĂ©cifiques comme Black&Queer, des open mics saphiques ou lesbiens, ou encore des groupes arabes non conformes au genre  ».
Pour lui, câest cette diversitĂ© au sein mĂȘme de la communautĂ© 2SLGBTQIA+ qui aide les jeunes queers Ă dĂ©couvrir leur genre et identitĂ©. « Une fois quâils dĂ©couvrent ces cercles, un nouveau monde sâouvre Ă eux », ajoute-t-il.
Emma est Ă©tudiant en sociologie Ă lâUniversitĂ© McGill. Elle a fait son « coming-out » non-binaire quelques annĂ©es aprĂšs son dĂ©mĂ©nagement Ă MontrĂ©al. Comme plusieurs Ă©tudiant·e·s passé·e·s en entrevue par Le DĂ©lit , elle critique un climat de conformisme en France et dĂ©crit la pression sociale qui y est associĂ©e. « Je pense que si jâĂ©tais restĂ© en France, je nâaurais pas Ă©tĂ© dans un climat propice pour me poser ces questions (sur mon identitĂ© de genre, ndlr). Je me demande mĂȘme [...] si je serais arrivĂ© Ă un â coming out â non-binaire », explique-t-elle. « LĂ oĂč jâai grandi, il y avait des personnes qui se faisaient tabasser dans la rue parce quâelles Ă©taient queer », se rappelle-telle. Bien quâelle souligne que ce ne soit pas la rĂ©putation de « tolĂ©rance » du QuĂ©bec qui lâait attirĂ© Ă McGill, elle note plusieurs facteurs qui ont aidĂ© Ă son
t-il. InĂšs, Ă©tudiante Ă Paris 1 Sorbonne, dĂ©nonce un manque de proactivitĂ© au sein des institutions françaises. « Toutes les mesures dâinclusion Ă©manent des revendications Ă©tudiantes », souligne-t-elle.
avoir Ă©tĂ© victime dâau moins un incident homophobe Ă MontrĂ©al.
Elle exprime mĂȘme de lâinquiĂ©tude face Ă ce discours : « Jâai peur quâon se donne cette mĂ©daille dâhonneur qui dit : â MontrĂ©al, câest la ville des queersâ, et quâon arrĂȘte de faire des efforts. » Elle remet Ă©galement en question lâutilitĂ© dâune telle discussion : « Pourquoi on ne questionne pas plus la maniĂšre dont on traite la communautĂ© LGBT en France? »
«
questionnement, notamment lâĂ©loignement familial, lâutilisation quotidienne de la langue anglaise, moins genrĂ©e que le français, ainsi que le soutien de ses proches Ă MontrĂ©al. « Quand jâai commencĂ© Ă questionner mon genre, jâen ai parlĂ© Ă des amis autour de moi. Et jâai notamment un ami qui mâa dit : âEst ce que tu veux que jâessaye dâutiliser dâautres pronoms pour toi et voir toi comment tu te sens ?â
[...] Je nâai pas Ă©tĂ© accueilli avec du jugement, mais avec Ă©normĂ©ment de bontĂ© et beaucoup de patience [...], et je pense que ça a Ă©tĂ© vraiment dĂ©terminant », se rappelle-t-elle.
Plusieurs Ă©tudiant·e·s dĂ©noncent Ă©galement le fait que les discussions sur le genre et lâorientation sexuelle semblent avoir un train de retard dans les Ă©coles et les universitĂ©s françaises en comparaison avec celles du QuĂ©bec. « Câest toujours un peu tabou », note RaphaĂ«l. « Si un·e professeur·e français·e mentionne ses pronoms en se prĂ©sentant, câest super rare! Alors quâĂ McGill, câest assez courant », remarque-
Si tous·tes sâaccordent pour dire que le climat montrĂ©alais est beaucoup plus favorable aux questionnements sur lâidentitĂ© de genre et lâorientation sexuelle que le climat français, certain·e·s se montrent sceptiques quant Ă la reprĂ©sentation de MontrĂ©al comme une sorte de « terre promise » pour les jeunes français·e·s 2SLGBTQIA+.
Plusieurs Ă©tudiant·e·s se montrent Ă©galement critiques vis-Ă -vis de lâUniversitĂ© McGill et son apparente ouverture. Pour Aubrey, McGill demeure un Ă©tablissement hĂ©tĂ©ronormatif et conformiste. LâĂ©tudiant dĂ©nonce « un systĂšme dinosaure », soulignant un « sous-financement » des associations Ă©tudiantes queer et du DĂ©partement dâĂ©tudes de genre, sexualitĂ© et justice sociale. « Le corps administratif est trĂšs dĂ©connectĂ© de ses Ă©tudiants, et lâAssociation Ă©tudiante de lâUniversitĂ© McGill (AĂUM) nâa presque pas de reprĂ©sentants queer », dĂ©plore-t-il.
Emma formule des critiques similaires vis-Ă -vis de lâUniversitĂ©, exprimant notamment sa colĂšre quant Ă la tenue rĂ©cente Ă la FacultĂ©
Emma, étudiant en sociologie à McGill
nautĂ©, dĂ©crivant des regards de passant·e·s curieux·euses. MalgrĂ© tout, elle se sent aussi confortable dâĂȘtre « out » Ă Paris quâĂ MontrĂ©al. MĂȘme si elle remarque que beaucoup de jeunes français·e·s idĂ©alisent la mĂ©tropole quĂ©bĂ©coise, elle demeure pour sa part rĂ©ticente Ă employer les termes du Monde : « Havre de paix, je ne sais pas⊠Je crois que câest une des meilleures villes pour la communautĂ© LGBTQ, mais il y a encore beaucoup de travail Ă faire. »
Emma,
« Est-ce quâon est rĂ©ellement ici au paradis des personnes queer? Je trouve quâil faut tempĂ©rer », souligne Emma. « Est-ce quâun endroit oĂč tu ne te fais pas tabasser parce que tu es queer, câest un âhavre de paixâ? », demande lâĂ©tudiant, qui souligne au passage
de droit dâune confĂ©rence dĂ©crite comme transphobe par de nombreuses associations Ă©tudiantes. « Câest des moments dans lesquels jâai lâimpression de faire partie dâun coup de publicitĂ© (de lâUniversitĂ©, ndlr). [...] Et moi, je refuse dâĂȘtre utilisĂ© comme ça », affirme-t-elle. De lâautre cĂŽtĂ© de lâAtlantique,
Au Canada, une enquĂȘte de 2018 rĂ©vĂ©lait que les personnes issues de minoritĂ©s sexuelles â câestĂ -dire toute personne ayant une orientation sexuelle autre que lâhĂ©tĂ©rosexualitĂ© â Ă©taient trois fois plus susceptibles dâĂȘtre victimes de violences sexuelles ou physiques que les personnes hĂ©tĂ©rosexuelles. Une enquĂȘte de TransPulse Canada menĂ©e auprĂšs de plus de 2000 personnes trans ou non binaires Ă travers le Canada en 2019 rĂ©vĂ©lait Ă©galement que 40% dâentre eux·lles avaient rĂ©flĂ©chi au suicide au cours de lâannĂ©e prĂ©cĂ©dente. De plus, un sondage menĂ© par la Fondation Ămergence en 2019 dĂ©montre quâun tiers des quĂ©bĂ©cois seraient « rĂ©ticents » Ă embaucher une personne trans.
en matiĂšre dâouverture Ă la communautĂ© 2SLGBTQIA+. En revanche, au-delĂ des promesses du QuĂ©bec aux Ă©tudiant·e·s français·es queer, les institutions universitaires telle que McGill comportent toujours plusieurs lacunes quant Ă la reprĂ©sentation des personnes queer et leurs organisations respectives au sein du processus administratif, notent les Ă©tudiant·e·s. Au final, si la mĂ©tropole quĂ©bĂ©coise et ses universitĂ©s offrent des avantages indĂ©niables Ă la communautĂ© queer qui cherche Ă fuir le climat français, le portrait qui se dessine est un peu plus nuancĂ©.
Les personnes de la communautĂ© 2SLGBTQIA+ qui cherchent du support peuvent contacter les organismes QueerMcGill ou TransPatientUnion, ou encore la ligne dâĂ©coute Interligne 24h sur 24 (1 888 505-1010). Pour signaler de la discrimination, les Ă©tudiant·e·s peuvent contacter le Bureau de mĂ©diation et de signalement de McGill. x
Câest bien plus facile dâexplorer son genre et sa sexualitĂ© Ă MontrĂ©al par rapport Ă la France »Aubrey, diplĂŽmĂ© de McGill en 2022
« Est-ce quâun endroit oĂč tu ne te fais pas tabasser parce que tu es queer, câest un âhavre de paixâ? »
étudiant en sociologie à McGill
« Pourquoi on ne questionne pas plus la maniÚre dont on traite la communauté LGBT en France? »
RĂ©flexion sur lâart scĂ©narisĂ© dans Dix quatre.
Julie Tronchon Contributrice LĂ©onard smith RĂ©dacteur en chefDix quatre , piĂšce « coup de poing » Ă©crite par le dramaturge canadien Jason Sherman, traduite par Jean Marc DalpĂ© et mise en scĂšne par Didier Lucien, se compose comme un long apartĂ© entre quatres scĂ©naristes rĂ©uni·es autour dâune mĂȘme table pour ficeler lâintrigue dâune sĂ©rie policiĂšre au rythme haletant. LâĂ©quipe doit obtenir lâaccord dâune productrice carriĂ©riste ayant un droit de veto sur lâintĂ©gralitĂ© de leur projet avant dâavoir les droits pour la distribution. Créée au Tarragon Theatre Ă Toronto en 2019, Dix quatre confĂšre un grand pouvoir au processus de scĂ©narisation, qui influence les reprĂ©sentations mentales dâune sociĂ©tĂ©, ses fantasmes, ses travers. Façonnons-nous la tĂ©lĂ©vision, ou est-ce elle qui nous façonne? Quâest-ce que le besoin de rebondissements et la consommation dâimages chocs rĂ©vĂšlent sur notre propre rapport au divertissement, utilisĂ© comme un prĂ©texte pour nous dĂ©tourner de nos vĂ©ritables problĂšmes?
Un tableau sombre de lâindustrie audiovisuelle
La premiĂšre rĂ©ussite de Jason Sherman consiste Ă faire rire Ă travers des enjeux aussi graves que brĂ»lants, du racisme systĂ©mique au sexisme au travail. DĂšs la scĂšne dâouverture, le ton satirique et hybride de lâoeuvre est annoncĂ© jusquâĂ Dix quatre est marquĂ©e par une oscillation constante et maĂźtrisĂ©e entre les registres comique et dramatique. Dâun cĂŽtĂ©, Jason Sherman multiplie les procĂ©dĂ©s comiques, entre gestes grossiers
racontent eux·lles-mĂȘmes? La piĂšce interroge en profondeur lâapport du rĂ©el dans la crĂ©ation. La dĂ©cision de Colin de sâemparer de son expĂ©rience personnelle de victime de profilage racial comme matiĂšre premiĂšre pour la sĂ©rie en cours dâĂ©criture se heurte Ă lâexhortation dâun de ses collĂšgues de se « dĂ©tacher » de son vĂ©cu. Peut-on vraiment sĂ©parer le crĂ©ateur·rice de son vĂ©cu? Ou la fiction est-elle condamnĂ©e Ă nâĂȘtre que le reflet dĂ©formĂ©, voire romancĂ© de nos rĂ©alitĂ©s? Ces interrogations rĂ©sonnent dans un nouveau contexte de remise en cause des rĂ©cits dominants, considĂ©rĂ©s comme « neutres » vis-Ă -vis de ceux dâindividus longtemps marginalisĂ©s.
des acteurs·rices, quiproquos, caricatures, jeux de mots. De lâautre, la mise en scĂšne est celle dâune trame dramatique tournant autour dâun acte violent de profilage racial subi par Colin, lâun des personnages principaux. La piĂšce est caractĂ©risĂ©e par une tension palpable, parfois appuyĂ©e par une musique en crescendo.
LâambiguĂŻtĂ© persiste aussi entre la fiction et la rĂ©alitĂ©. Au fur et Ă mesure quâon assiste aux sĂ©ances dâĂ©criture et aux rĂ©cits de vie des scĂ©naristes, les frontiĂšres entre ces deux sphĂšres apparaissent brouillĂ©es et poreuses. Ă travers leurs scĂ©narios, nâest-ce pas finalement les crĂ©ateurs·rices qui se
DĂšs la scĂšne dâouverture, le ton et le rythme sâoffrent comme une course effrĂ©nĂ©e, Ă la cadence des sĂ©ances enchaĂźnĂ©es de brainstorm. Tout en multipliant les effets de suspense, les rebondissements impromptus de lâintrigue apparaissent comme le double du scĂ©nario de la sĂ©rie policiĂšre que nous anticipons de voir apparaĂźtre sous nos yeux. Des panneaux transparents, qui font figure dâĂ©crans entre le public et la scĂšne, servent Ă disposer les diffĂ©rents Ă©pisodes dâune sĂ©rie qui nâexiste alors quâĂ travers les Ă©changes entre les scĂ©naristes. Se crĂ©e alors peu Ă peu lâimpression que le public peut se reprĂ©senter, Ă travers la scĂ©nographie et la voix des personnages, la sĂ©rie tĂ©lĂ©visĂ©e projetĂ©e. Ce pouvoir dâimagination se fait Ă©galement le reflet du pitch de sĂ©rie devant convaincre la productrice, ou des premiĂšres minutes dâun Ă©pisode dâune sĂ©rie devant immĂ©diatement accrocher le public.
Jason Sherman livre donc un tableau trĂšs sombre de lâindustrie audiovisuelle, rĂ©gie par des contraintes de financement qui dĂ©naturent la qualitĂ© de la crĂ©ation. Les scĂ©naristes doivent composer avec des dĂ©lais limitĂ©s, conduisant souvent Ă une homogĂ©nĂ©isation et Ă une simplification des rĂ©cits. Ce processus de crĂ©ation ne laisse pas non plus de place Ă lâimprovisation, Ă la rĂȘverie ou Ă la rĂ©flexion longue. La nĂ©cessitĂ© de cadence et de productivitĂ© forcenĂ©es montrent bien lâaspect industriel de la production audiovisuelle. Dâun autre cĂŽtĂ©, Dix quatre se prĂ©sente comme une rĂ©flexion sur le passage de lâĂ©crit Ă lâaction en temps rĂ©el par les acteurs·rices. Colin, aprĂšs son litige violent avec des policiers, revient en boitant auprĂšs de ses collĂšgues, sorte dâĂ©lĂ©ment prĂ©monitoire de lâintrigue qui avait dĂ©jĂ Ă©tĂ© mentionnĂ© lors de
la conception du scĂ©nario. Cette actualisation du boitement crĂ©e un effet de recul, de distanciation, comme si la suspension de lâeffet de surprise mettait en Ă©vidence les ressorts dramatiques du spectacle et rappelait au public quâil assistait Ă un texte prĂ©alablement Ă©crit.
Rendre compte dâune voix qui nâest pas la sienne
Plus gĂ©nĂ©ralement, la piĂšce pose la question de la diversification des voix dans les productions audiovisuelles, un enjeu dont la piĂšce rĂ©vĂšle lâaspect Ă©minemment politique : « Câest tout ce quâon a dans la vie, nos rĂ©cits », dit Colin dans une scĂšne poignante. DerriĂšre la simple intention de produire du « divertissement », tel que formulĂ© par lâun des scĂ©naristes, se cache le pouvoir des productions dâinfluencer nos rĂ©alitĂ©s, en forgeant nos maniĂšres de penser le monde. Dans cette perspective, le dramaturge prend le parti de rĂ©vĂ©ler les clichĂ©s persistants dans les reprĂ©sentations des personnes racisĂ©es Ă lâĂ©cran. Ainsi, Dany, lâun des scĂ©naristes, dĂ©nature le texte initial de Colin
Ă travers une version Ă©dulcorĂ©e, stĂ©rĂ©otypĂ©e et empreinte de racisme. Cela nous met aussi face Ă nos propres biais et privilĂšges : se sentir reprĂ©senté·e, pouvoir sâidentifier parmi des personnages variĂ©s et complexes... Une rĂ©flexion qui pose aussi en filigrane la question de la lĂ©gitimitĂ© de sâemparer de rĂ©cits qui ne nous concernent pas, dans un contexte oĂč la production de rĂ©cits a souvent Ă©tĂ© fait par des groupes ayant le plus de pouvoir, les voix des minoritĂ©s plus marginalisĂ©es Ă©tant relĂ©guĂ©es Ă une contre-culture. La piĂšce fait dâailleurs Ă©cho Ă la situation rĂ©elle dâune industrie appelĂ©e Ă se rĂ©former, qui tente de sâadapter aux revendications politiques actuelles pour plus de diversitĂ© au sein des Ă©quipes.
On ressort de la piĂšce avec lâimpression dâune industrie verrouillĂ©e, oĂč chacun·e est contraint·e de se plier aux rĂšgles dâun systĂšme brutal. Sâadapter en renonçant Ă ses aspirations et ses valeurs, ou sâen Ă©chapper : telle est la morale, un brin manichĂ©enne, de Dix quatre x
« Ce processus de crĂ©ation ne laisse plus de place Ă lâimprovisation, Ă la rĂȘverie ou Ă la rĂ©flexion longue »Suzanne oâNeill Suzanne oâNeill Suzanne oâNeill
« Façonnons-nous la télévision ou estce elle qui nous façonne? »
DĂšs le dĂ©but de la piĂšce, Vous ĂȘtes animal , prĂ©sentĂ©e au Théùtre de Quatâsous, mâa intĂ©ressĂ© par lâuchronie quâelle propose ; elle imagine ce qui se passerait si Charles Darwin avait publiĂ© sur LâOrigine des espĂšces en 2022. La piĂšce, qui se joue du 17 janvier au 11 fĂ©vrier, est une crĂ©ation de JeanPhilippe Baril-GuĂ©rard. En se prĂ©sentant lui-mĂȘme sur scĂšne, il partage avec nous ses enquĂȘtes sur cette publication « rĂ©cente » de Darwin, suivi par les rĂ©actions controversĂ©es du public contemporain sur les rĂ©seaux sociaux, dans les mĂ©dias, et dans le public mĂȘme du théùtre. Dans un style de théùtre documentaire, la piĂšce combine dialogues rĂ©alistes et brĂšves projections vidĂ©os. Vous ĂȘtes animal est un grand
succĂšs qui porte un message assez provocateur et sombre sur lâhĂ©ritage de Darwin et des pseudo-scientifiques qui ont repris son travail.
La piĂšce prĂ©sente un message compliquĂ© Ă propos de la responsabilitĂ© que LâOrigine des espĂšces tient dans lâhistoire de lâidĂ©e des races et sur lâorigine du racisme scientifique. Câest aussi lâhistoire dâun homme qui doit se dĂ©fendre contre les mĂ©dias qui lâattaquent de tous cĂŽtĂ©s et dĂ©naturent ses idĂ©es dâune façon grotesque et dĂ©sastreuse. Les paroles que BarilGuĂ©rard prononce au dĂ©but du spectacle forment la thĂšse pour tout le spectacle : « jusquâoĂč peut-on aller pour dĂ©fendre des
idĂ©es? ». La mise en scĂšne de la piĂšce est aussi trĂšs originale. Des camĂ©ras portatives sont utilisĂ©es par les six acteurs, qui se filment eux-mĂȘmes et se projettent en direct sur un Ă©cran au milieu de la scĂšne. Ă dâautres moments, ils apportent les camĂ©ras jusque dans les coulisses et jouent la scĂšne Ă distance. Cette utilisation dâune narration partiellement enregistrĂ©e dans une piĂšce de théùtre montre lâhypocrisie dâun peuple moderne, prĂ©fĂ©rant
communiquer en ligne que de discuter les enjeux face Ă face, notamment sur Instagram. Ce qui mâa vraiment impressionnĂ©, câest la maniĂšre dont seulement six acteurs et actrices peuvent habiter la trentaine de
personnages qui apparaissent sur scĂšne. MĂȘme les reprĂ©sentations des personnages anonymes sur les rĂ©seaux sociaux, qui ne sont parfois sur la scĂšne que pour une douzaine de secondes, se distinguent par quelques petits changements de corps et de voix. Cette attention aux dĂ©tails participe au rĂ©alisme de
la mise en scĂšne, et Ă la terreur de voir cette uchronie se rĂ©aliser. Lyndz Dantiste mĂ©rite une ovation pour son interprĂ©tation de Darwin. Au cours des quatrevingt dix minutes du spectacle, on le voit progressivement se transformer dâun homme de peu de mots en un ĂȘtre vĂ©ritablement tyrannique.  x
Margaux THOMAS ContributriceSimone Veil. Nous avons tous dĂ©jĂ entendu son nom, mais il ne se limite pas Ă la lĂ©galisation de lâavortement. Peu de personnes connaissent son passĂ© et le reste de ses combats pour la dignitĂ© humaine. Certes, ce fut une femme politique, mais ce fut surtout une femme courageuse qui a su dĂ©museler la parole au sujet des atrocitĂ©s de la Shoah. La dignitĂ©, une qualitĂ© qui se manifeste dĂšs ses 16 ans lors de sa dĂ©portation Ă Auschwitz, lui servira de ligne de conduite pour le restant de sa vie. Comme mentionnĂ© au cours de plusieurs entrevues, la dĂ©shumanisation de la dĂ©portation, le travail forcĂ© et la violence quâelle a subis dans les camps dĂ©clenche une sensibilitĂ© et un besoin vital de garantir Ă tous le mĂȘme droit Ă la dignitĂ©, y compris les orphelins, les prisonniers et les malades.
RĂ©alisĂ© par Olivier Dahan, Simone, le voyage du SiĂšcle retrace la vie de Simone Veil en sâinspirant de quatres livres autobiographiques ; Mes combats, Les hommes aussi sâen souviennent, Une jeunesse au temps de la Shoah et Une vie. Le rĂ©alisateur français sâattaque Ă sa troisiĂšme figure
fĂ©minine cĂ©lĂšbre, aprĂšs avoir abordĂ© les vies dâEdith Piaf et de Grace Kelly. Au commencement de son engagement politique, Simone Veil est incarnĂ©e par Elsa Zylberstein, Ă©galement coproductrice. Lâactrice dit vouloir rendre hommage Ă son pĂšre et sa grand-mĂšre juive qui ont tous deux subi lâhorreur de la Shoah. Le rĂ©alisateur a choisi de mettre en avant des facettes de Simone Veil encore trop mĂ©connues du public comme sa dĂ©fense du droit Ă lâĂ©ducation avec la mise en place de bibliothĂšques en prison et du respect des enfants en pouponniĂšres, le tout montrant le caractĂšre actuel de ces combats aujourdâhui. La scĂšne qui mâa particuliĂšrement touchĂ©e, mais qui mâa surtout montrĂ©e la sincĂ©ritĂ© de Simone Veil, est sa visite Ă un malade du SIDA au centre hospitalier. Au lieu de faire semblant de parler aux malades - comme cela lui Ă©tait demandĂ© par la chaĂźne tĂ©lĂ©visĂ©e - elle sâindigne et demande Ă passer du temps avec le malade. On la voit parler en toute simplicitĂ©, Ă©mue et outrĂ©e par le non-respect accordĂ© aux personnes sĂ©ropositives. La maigreur, la mise Ă lâĂ©cart par la sociĂ©tĂ© semble lui rappeler son passĂ© en tant que juive dans les camps et elle prononcera plus tard une rĂ©ponse au SIDA qui sera
« humaniste ou ne sera pas. »
Elle sâest rendue proche de ceux qui souffraient, les discriminĂ©s.
Simone, le voyage du siĂšcle est un film plus accessible quâune sĂ©rie de livres biographiques, qui permet dâen savoir plus sur une femme dont nous avons encore beaucoup Ă apprendre.
Câest avant tout un film inspirant, qui partage une force, qui prend aux tripes pour dire aux spectateurs « rĂ©veillez-vous! ». En parlant de son passĂ©, de la Shoah, des horreurs humaines, elle laisse une empreinte profonde sur la sociĂ©tĂ© française. Ce film est un voyage de combats qui dĂ©passent les frontiĂšres : câest un voyage Ă travers les gĂ©nĂ©rations, toutes marquĂ©es par lâĂ©loquence, le courage, la persĂ©vĂ©rance et lâempathie de Simone Veil. Elle a Ă©tĂ© un exemple pour nos grands-mĂšres et nos mĂšres et câest cette transmission intergĂ©nĂ©rationnelle qui mĂ©rite dâĂȘtre notĂ©e. Jâai trouvĂ©
le jeu de Rebecca Marder particuliĂšrement touchant lorsque, juste aprĂšs son accouchement, elle annonce Ă son mari son dĂ©sir de poursuivre ses Ă©tudes et de devenir avocate malgrĂ© lâarrivĂ©e au monde de leurs enfants. Sa tĂ©nacitĂ© dans sa vie professionelle et son dĂ©vouement Ă sa famille ne manquent pas, elle montre un modĂšle de femme, de mĂšre capable de mener une grande carriĂšre Ă une Ă©poque oĂč lâon nây croyait pas encore. Ayant regardĂ© ce film aux cĂŽtĂ©s de ma mĂšre, cet exemple de fĂ©minisme et dâhumanisme a provoquĂ© chez moi de puissantes Ă©motions, une sorte de courage mĂ©langĂ© dâespoir. Pendant 20 ans aprĂšs le retour de Simone Veil en France, il Ă©tait impossible de parler de lâHolocauste. Câest ce
silence, ce dĂ©ni de la douleur qui est reprĂ©sentĂ© Ă lâĂ©cran afin de faire passer un message : ne pas nĂ©gliger le rĂ©cit des rescapĂ©s. Mais quâavons-nous rĂ©ellement retenu? En observant de loin le gĂ©nocide des Ouighours en Chine, la montĂ©e de lâantisĂ©mitisme de Kanye West, les dĂ©bats sur lâavortement au Ătats-Unis ou encore en subissant le pouvoir totalitaire de Vladimir Poutine, pouvons-nous affirmer avoir tirĂ© les leçons du 20 Ăšme siĂšcle?
Ce film apporte une rĂ©flexion nĂ©cessaire, il aborde des sujets lourds, durs, mais cette transmission en image est indispensable. Câest une maniĂšre accessible de rentrer dans lâhistoire, peu importe la gĂ©nĂ©ration face Ă lâĂ©cran. x
Le théùtre de Quatâsous met en scĂšne un scandale scientifique dĂ©sastreux.
« La piĂšce prĂ©sente la responsabilitĂ© que LâOrigine des espĂšces tient dans lâorigine du racisme »
La traversée intergénérationnelle de Simone
Les enjeux mémoriels de la nouvelle biofiction de Simone Veil.
« Ce film est un voyage de combats qui dépassent les frontiÚres »
Avec LâOrigine du mal, Marnier fait mal sans originalitĂ©.
agathe nolla Ăditrice Culture
Ălâaffiche depuis le 13 dĂ©cembre dernier, LâOrigine du mal est une comĂ©die noire et un thriller qui sâorganise autour dâune dispute dâhĂ©ritage. Au dĂ©but du film, StĂ©phane, interprĂ©tĂ© par Laure Calamy, reprend contact avec son pĂšre et dĂ©couvre le train de vie opulent menĂ© par une famille dont elle ne se doutait mĂȘme pas de lâexistence. AprĂšs avoir passĂ© cinquante ans de sa vie dans un milieu ouvrier, elle dĂ©couvre de nouveaux membres qui viennent renverser son avenir : sa demi-sĆur Doria Tillier, sa belle-mĂšre Dominique Blanc, sa niĂšce CĂ©leste Brunnquell et la bonne, VĂ©ronique Ruggia. Toutes souhaitent faire ouvrir le coffre-fort et fermer le cercueil de Serge, lâhomme qui dirige leur vie, interprĂ©tĂ© par Jacques Weber.
Le troisiÚme long-métrage du réalisateur franco-canadien Sébastien Marnier est rythmé par de fréquents retournements de situation. Mensonge aprÚs mensonge, aucun des points de vue des personnages ne semble
suffisamment fiable pour nous permettre de saisir lâintrigue dans toute sa complexitĂ©. Marnier a recours aux mĂȘmes procĂ©dĂ©s cinĂ©matographiques que dans IrrĂ©prochable (2016) et LâHeure de la sortie (2018) : il laisse une place considĂ©rable aux effets musicaux qui transportent le spectateur dans une atmosphĂšre de thriller comique. ComposĂ©e par le chef dâorchestre quĂ©bĂ©cois Philippe Brault et lâauteur-compositeur interprĂšte quĂ©bĂ©cois Pierre Lapointe, la bande originale est constamment en suspension,
en attente dâaboutissement pour empĂȘcher le spectateur de penser quâil a enfin rĂ©solu lâĂ©nigme.
Le spectateur est face Ă une intrigue classique dâhĂ©ritage : les hommes ĂągĂ©s dĂ©pourvus de pouvoir se voient entourĂ©s de femmes plus jeunes assoiffĂ©es dâargent. Dans le choix de rĂŽles fĂ©minins, SĂ©bastien Marnier se montre peu moderne en utilisant les archĂ©types de femmes tyranniques, parfois trop superficielles pour engendrer une quelconque sympathie de la part de lâaudi-
ence. La belle-mĂšre dĂ©pensiĂšre, la demi-sĆur ambitieuse, et la bonne cachotiĂšre : toutes sont braquĂ©es
dit : «âSi on veut que tout se passe bien, il faut se dire les choses.â» DĂ©bordantes de mensonges et
« La belle-mĂšre dĂ©pensiĂšre, la demi-sĆur ambitieuse, et la bonne cachotiĂšre : toutes sont braquĂ©es contre un vieil homme qui semble pourtant innocent »
contre un vieil homme qui semble pourtant innocent. Le jeu de Laure Calamy, rĂ©compensĂ©e aux CĂ©sars 2021 pour son rĂŽle dans Antoinette dans les CĂ©vennes, nâest pas Ă la hauteur de la complexitĂ© de son personnage qui passe de la manipulation Ă la mythomanie. Lâactrice montrĂ©alaise, Suzanne ClĂ©ment, vole la vedette en incarnant un personnage lucide, bouleversĂ© par le monde chimĂ©rique dans lequel sâagitent les autres protagonistes.
Lors des repas de famille, SĂ©bastien Marnier utilise la mĂ©thode de screen-split en filmant chaque personnage individuellement et en crĂ©ant ainsi cinq petits mondes isolĂ©s dans leur fenĂȘtre mitoyenne. Ce montage fait Ă©cho Ă lâironie de la belle-mĂšre, qui
de rebondissements quelque peu prévisibles, les répliques suivent le rythme palpitant de la musique tout en accueillant un certain essor humoristique propre à la comédie noire.
Cet ensemble crĂ©e pourtant des lacunes : dans le jeu des acteurs, dans lâintrigue trĂšs convenue, et dans un montage prudent du troisiĂšme film de SĂ©bastien Marnier. Ainsi une certaine dĂ©ception qui ne satisfait ni les fanatiques de thriller ni les amateurs de comĂ©die noire envahit le spectateur. De plus, LâOrigine du Mal semble ombragĂ©e par le succĂšs de films du le mĂȘme genre, notamment Sans filtre (titre original : Triangle of Sadness , 2022) de Ruben Ăstlund. x
La premiĂšre fois, je suis restĂ©e bouche bĂ©e, comme enchantĂ©e par Cate Blanchett. La deuxiĂšme fois, je souriais devant lâĂ©cran, trĂ©pidante, jubi- lante, LydĂa TĂĄr sâest agrippĂ©e Ă moi jusque sous ma douche oĂč, au lieu de chanter, je dĂ©battais avec moi-mĂȘme de toutes les strates de son ĂȘtre. Je lâai revu deux autres fois, urgeant mes amies de mâaccompagner dans cette interminable fascination. Lydia est une cheffe dâorchestre originaire de la ville de New York. Nous la rencontrons au sommet alors quâelle sâapprĂȘte Ă enregistrer la cinquiĂšme Symphonie de Gustav Mahler avec la Philharmonie de Berlin quâelle dirige, et que son livre, modestement intitulĂ© TĂĄr on TĂĄr, est sur le point dâĂȘtre publiĂ©. Au mĂȘme moment, elle apprend le suicide dâune certaine Krista Taylor, une homologue dont elle aurait empĂȘchĂ© la carriĂšre de dĂ©marrer. Ce pouvoir que dĂ©tient LydĂa est le sujet du film, tout comme la corruption qui lâanime, les petites faveurs quâelle accorde Ă celles qui rĂ©pondent Ă ses demandes, et son monde façonnĂ© par les mensonges qui la plonge dans le dĂ©lire. Alors que nous sommes complĂštement immergé·e·s dans son esprit, que nous voyons LydĂa tituber du piĂ©destal sur lequel il avait Ă©tĂ© placĂ©. Nous oscillons entre le rĂȘve et le cauchemar. La rĂ©alitĂ© est complĂštement dĂ©formĂ©e, elle nous pose des questions sans y apporter de rĂ©ponses. Les nuances pren- nent la forme de son assistante Francesca, jouĂ©e par NoĂ©mie Merlant, de Shannon, sa compagne, jouĂ©e par Nina Hoss, et de leur fille Petra. Le son fait entiĂšrement partie de cette rĂ©flexion, la musique est le noyau de LydĂa, elle berce la vie de chaque personnage, les rĂ©unit et les sĂ©pare.
Mon commentaire sur Letterboxd : « ce film est une drogue »
Note : 5/5
cinéphile Célia Pétrissans présente deux coups de coeur.
Les annĂ©es Super 8 â par Annie Ernaux et David Ernaux-Briot (2022)
Annie Ernaux apparaĂźt sur lâĂ©cran. On est au dĂ©but des annĂ©es 70, câest la premiĂšre fois que je vois une vidĂ©o dâelle, une scĂšne intime, familiale, capturĂ©e par cet objet si violent quâest la camĂ©ra. Lâappareil interrompt la tranquillitĂ© domestique et nous offre, Ă 50 ans de distance, un aperçu de la vie dâune future Ă©crivaine, aujourdâhui Prix Nobel. Je crois avoir pleurĂ© toute la sĂ©ance, je lui disais merci, je la regardais dans les yeux. Elle mâavait dĂ©jĂ vue il y a deux ans quand pour la premiĂšre fois jâai entendu, et non pas lu, une phrase Ă©crite de sa main, restĂ©e dans ma mĂ©moire jusquâĂ ce que jâachĂšte enfin ce livre, le fameux La Place. Les images filmĂ©es avec une Kodak Super 8 montrent les vacances en famille, les rires, et la distance sâinstallant au sein du couple. Annie Ernaux dĂ©crit en off ses souvenirs de moments qui nâont pas Ă©tĂ© racontĂ©s dans ses livres. Elle parle de ses sentiments, de sa posture par rapport aux autres, tou- jours en retrait, toujours un pied Ă lâextĂ©rieur, lâĂ©crivaine observant le monde. Jâaurais voulu passer toute la journĂ©e en compagnie de sa voix, mâaccrocher Ă cette tendresse que lâon retrouve dans lâuniversalitĂ© de ses Ă©vĂ©nements. Mon commentaire sur Letterboxd : « Je regarde ma collection de ses livres, mes notes, mes larmes sĂ©chĂ©es sur le papier. Je nâai mĂȘme pas Ă me demander pourquoi ses histoires me touchent autant, je le sais, elles sont en quelque sorte aussi les miennes. »
Note: 4/5 x
Célia petrissans Coordinatrice des réseaux sociaux marie prince | le délit
laura tobon | le délit