Françoise, par Laure Adler - Un prénom

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LIVRES

Un titre, un prénom Dans une biographie dense, Laure Adler dresse un portrait sans retouches de Françoise Giroud, une pionnière du 20e siècle

David Kanner

I

l y a comme un étourdissement, mêlé de tristesse et d’admiration lorsque l’on referme ce livre, cette biographie que Laure Adler, historienne, journaliste, écrivain, consacre à Françoise Giroud. Femme aux identités multiples. Femme journaliste, cofondatrice et directrice du magazine L’Express, secrétaire d’Etat à la Condition féminine puis à la Culture, écrivain, chroniqueuse, pleinement témoin et actrice de son temps, une “féline”, forte et rusée. A travers toutes les fonctions d’exception incarnées par cette pionnière, il y a un parcours humain que Laure Adler retrace par petites touches, sans retouches, imperceptiblement tout au long de ces presque 500 pages et d’un travail d’enquête minutieux de sept ans étayé par des

faits, des témoignages précieux, une bibliographie précise, des archives denses, des lettres exhumées. Bref, le livre invite à une plongée dans l’histoire sociale, politique du 20e siècle mais aussi à une traversée pour se rapprocher de la vérité intime d’une femme. Une énigme qui peu à peu s’estompe mais où résident failles et zones d’ombres. Laure Adler ne prétend pas découvrir. Juste relater, certes la trajectoire, mais aussi les contradictions, les déchirements, les questions sans réponses. La première est le mystère de la non-révélation de sa judéité. Une judéité cachée, enfouie, avec laquelle Laure Adler choisit d’ouvrir et de presque clore son ouvrage. C’est le petit-fils de Françoise Giroud, aujourd’hui rabbin à Strasbourg, Nicolas Eliacheff, qui a accepté de transmettre à l’auteure la correspondance qu’il entretient avec sa grand-mère, lorsqu’au moment de se lancer dans ses études talmudiques, il la harcèle pour savoir s’il est juif. Elle refuse de répondre. Jusqu’à avouer, à la veille de son mariage. Oui, il est juif, les parents de Françoise Giroud, née Gourdji, en Turquie, le sont aussi.

Laure Adler. guerre du côté de la Résistance, est emprisonnée, risque la déportation, à l’instar de sa sœur Djénane qui reviendra des camps.

La première est le mystère de la non-révélation de sa judéité. Une judéité cachée, enfouie avec laquelle Laure Adler choisit d’ouvrir et de presque clore son ouvrage.

Une vie d’exception. Un destin Françoise Giroud commence à travailler très tôt pour faire vivre sa famille. Elle est scripte dans le cinéma. Rigoureuse, organisée, pleine d’énergie, elle fait les bonnes rencontres : Jean Renoir, Louis Jouvet, Fernandel. Françoise Giroud traverse la

Mais là encore, Laure Adler dresse un tableau nuancé de ses actions pour se rapprocher au plus près de la vérité, et surtout suivre le fil directeur : la volonté farouche, un formidable désir de se battre pour vivre.

22 – DU 8 AU 14 MARS 2011 – f r. j p o s t . c o m

Hélène Lazareff, fondatrice du magazine féminin Elle, l’engage. Mais c’est surtout sa rencontre déterminante avec Jean-Jacques Servan-Schreiber qui façonne le livre. Ensemble, ils créent L’Express et c’est un autre engagement, dans tous les sens du terme. Pour Pierre-Mendès France, contre la guerre en Algérie, pour dénoncer les actes de torture. Ensemble, c’est aussi et surtout une histoire d’amour. Impossible et glorieuse. Tragique, puisqu’elle marque la tentative de suicide de Françoise Giroud, sauvée de justesse. Il y a aussi la politique, l’entrée dans le gouvernement de Giscard, ses actions en faveur du droit des femmes, l’éviction brutale, la sortie de L’Express, où elle a tout donné, sa carrière d’écrivain, de chroniqueuse, son engagement dans l’humanitaire, son analyse avec Jaques Lacan, la sérénité retrouvée, puis la vieillesse, le mal de vivre, la solitude, ou encore la joie et les amis. C’est cela peut-être qui marque. Une vie d’exception. Un destin. Mais le malheur toujours au coin, avec notamment un passage déchirant sur la mort de son fils. Une vie qui s’illumine tellement, et puis, dans les dernières années, des chutes à répétition, le corps qui ne suit plus. Des deuils impossibles. En 2002, un an avant sa mort, dans Les Taches du léopard, son dernier livre, elle avait créé le personnage d’une femme juive, comme pour s’accorder avec ellemême, finalement, et à quel prix. ■ Françoise, par Laure Adler. Biographie, éditions Grasset, 2011.


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