Le journal du PDC suisse, avril 2013

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curiosita dimostrazione sensazione sfumato art e I scienza corporalita connessione INNOVATION

Magazine d’opinion. Numéro 2 / Avril 2013 / CHF 7.80 www.la-politique.ch


SOMMAIRE

TITRES

6 8 10 14 20 24 28 34

POURQUOI INNOVER ? LA FISCALITÉ SANS PEINE COUPER COURT À UNE LIMITE HUMAN BRAIN PROJECT MAÏEUTIQUE MODERNE LE TEMPS D’UN JOURNAL ALZHEIMER OGM

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IMPRESSUM

ÉDITEUR Association LA POLITIQUE ADRESSE DE LA RÉDACTION LA POLITIQUE, Case postale 5835, 3001 Berne, tél. 031 357 33 33, fax 031 352 24 30, courriel binder@cvp.ch www.la-politique.ch RÉDACTION Marianne Binder, Jacques Neirynck, Philipp Chemineau, Isabelle Montavon, Sarah McGrath-Fogal TRADUCTION Philipp Chemineau, Isabelle Montavon GRAPHISME, ILLUSTRATIONS ET MAQUETTE Brenneisen Theiss Communications, Bâle IMPRIMERIE Schwabe AG, Muttenz ANNONCES ET ABONNEMENTS tél. 031 357 33 33, fax 031 352 24 30, courriel abo@die-politik.ch, abonnement annuel CHF 52.–, abonnement de soutien CHF 80.– PROCHAIN NUMÉRO mai 2013

NOTE DE LA RÉDACTION : La Politique est l’édition latine du magazine d’opinion du PDC. La langue de Molière n’étant pas la seule langue romane (c’est-à-dire issue du latin vulgaire) à être parlée en Suisse, nous ne publions pas uniquement des articles en français. Vous les reconnaîtrez au fil des pages : l’italien a été publié en violet et le romanche en gris. La plupart de nos lecteurs étant malgré tout francophones, nous avons choisi de faire précéder chacun de ces textes par un résumé en français.


ÉDITO – Marianne Binder, rédactrice en chef

LÉONARD ET L’INNOVATION Je suis récemment tombée sur un test de personnalité très élaboré qui m’a permis de mesurer ma ressemblance avec Léonard de Vinci, avec une personne innovatrice. Le test était inspiré des sept principes de de Vinci : Curiosità, la curiosité, la recherche de la connaissance. Dimostrazione, la disposition (notamment à vivre de nouvelles expériences et à apprendre de ses erreurs). Sensazione, l’aiguisement de tous les sens en vue d’optimiser notre perception du réel. Sfumato, l’ouverture d’esprit vis-à-vis d’ambiguïtés, de paradoxes et d’incertitudes. Arte/Scienza, l’équilibre entre la logique et l’imagination, entre l’art et la science. Corporalità, la culture de la corporalité, de la grâce, de la vitalité, du rayonnement, de la condition physique. Connessione, la reconnaissance du lien profond qui unit toute chose et tout phénomène, la pensée systémique. Je ne vais certes pas publier ici dans quelle mesure je ressemble au célèbre génie universel, mais je transmettrai volontiers le test à qui le souhaite. Par ailleurs, je me réjouis de vous présenter cette nouvelle édition de notre magazine consacrée au thème de l’innovation et de la pensée innovatrice. Nous aborderons entre autres la place financière suisse, l’énergie et les défis démographiques, ainsi que les nouvelles formes d’études, la recherche sur la maladie d’Alzheimer et la simulation du cerveau humain. Et enfin, nous nous intéresserons aux mécanismes de l’innovation en Suisse ainsi qu’à l’analyse de ce qui la maintient ou la ralentit.

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Rudolf Hofer

INNOVATIONS CLÉS EN POLITIQUE Au XIXe et au XXe siècle, la Suisse traversa un impressionnant processus de modernisation. Dans les domaines tels que l’économie, l’éducation et le droit, les innovations chamboulèrent profondément la société. Ses bouleversements s’accompagnèrent d’un élargissement considérable de l’activité et de la productivité de l’Etat. Un phénomène qui ne distingue guère la Suisse des autres pays d’Europe. Cette modernisation incita certains milieux sociaux existants – tels que les agriculteurs – à intégrer la scène politique. De nouveaux milieux – tels que les ouvriers de l’industrie – exigèrent également un droit de participation. Une extension de l’activité de l’Etat qui ne fut pas sans créer des conflits. Ces nouveaux groupes durent être intégrés au système politique pour le rendre stable. Contrairement à ses Etats voisins, la Suisse put assurer cette stabilité dès 1848, et ce, grâce à cinq innovations politiques décisives introduites par les partis prédécesseurs du PDC.

Les associations populaires Les associations populaires telles que l’Association d’Oberegg ou de Ruswil unirent la population rurale en une force indé-

pendante. La population rurale n’était plus une masse dépourvue d’autonomie que les groupes urbains pouvaient mobiliser avec quelques slogans et qui déstabilisait généralement le système politique, comme ce fut par exemple le cas lors du Züriputsch (un renversement du gouvernement zurichois par la population rurale).

Le référendum : un instrument politique La Constitution fédérale fit du référendum facultatif une option juridique. De 1875 à 1891, les conservateurs s’en servirent pour créer un instrument politique. Il fallut organiser la récolte des signatures et la campagne de votation pour tirer un parti politique du référendum. Les voix des minorités furent ainsi entendues à l’échelon fédéral, des voix qui n’étaient jusqu’alors pas entendues à cause du droit électoral majoritaire. Un conseiller fédéral d’un parti minoritaire Jusqu’en 1891, le Conseil fédéral était composé exclusivement de la majorité radicale. Quel comportement un représentant de la minorité devait-il adopter ? Josef Zemp définit son rôle de membre actif au sein du gouvernement, montrant ainsi le fonctionnement d’un Conseil fédéral multipartis, et ouvrant aussi la voie à d’autres partis. L’élection du Conseil national à la proportionnelle Le parti conservateur populaire – qui deviendra le PDC – participera à faire adopter l’élection du Conseil national à la proportionnelle, principe toujours en vigueur aujourd’hui. La proportionnelle permit aux minorités de participer à l’échelon parlementaire et rendit la participation démocratique plus séduisante que la violence d’un coup d’Etat. La formule magique Le secrétaire général Martin Rosenberg est considéré comme le père de la formule magique : la représentation de tous les partis importants au Conseil fédéral, les intégrant au niveau de l’exécutif. ■ Rudolf Hofer est membre de la rédaction de La Politique.

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Yannick Buttet

LE PDC, MOTEUR DE L’AVENIR ÉNERGÉTIQUE DE LA SUISSE La décision du Conseil fédéral de sortir du nucléaire a bouleversé le paysage énergétique suisse et a posé de grands défis aux représentants de la politique et de l’économie. Aujourd’hui, la majorité de la population suisse reconnaît le bon sens de la décision de l’époque et attend des solutions et actions concrètes pour faire face aux besoins énergétiques futurs. Afin d’anticiper la stratégie énergétique 2050 et d’apporter sa pierre concrète à celle-ci, la Commission de l’environnement, de l’aménagement du territoire et de l’énergie du Conseil national (CEATE-CN) a proposé d’augmenter les moyens à disposition du système de la RPC (rétribution à prix coûtant de l’énergie renouvelable produite) et parallèlement de libérer les gros consommateurs du paiement du supplément RPC. Cette proposition, issue d’un consensus typiquement suisse, permet simultanément de promouvoir davantage les énergies renouvelables tout en soulageant les entreprises pour lesquelles le coût de l’électricité constitue un handicap en situation de concurrence internationale. Concrètement, le plafond de prélèvement de la RPC passera de 1 c./kWh à 1,5 c./kWh, ce qui doit permettre d’accélérer la réalisation d’installations de production d’énergie renouvelable, et de débloquer en partie la liste d’attente. Dans le même temps, les entreprises dont les coûts de l’électricité représentent 5 % et plus de la valeur ajoutée seront partiellement dispensées du payement de la RPC, totalement à partir de 10 %. Cette libération est conditionnée à des investissements de ces entreprises dans des améliorations dans le domaine de l’efficacité énergétique. En outre, les petites installations solaires bénéficieront d’aides à l’investissement directes et uniques à hauteur de maximum 30 %.

Sous l’impulsion du PDC, cette proposition de la CEATECN a même été propulsée au rang de contre-projet indirect à l’initiative dite « cleantech » du parti socialiste, irréaliste, en partie obsolète et décrite en franglais. En effet, cette proposition permet de favoriser les techniques durables bien plus rapidement que par la voie de l’initiative populaire sans en avoir les inconvénients. De plus, elle s’intègre parfaitement dans le projet de stratégie énergétique 2050 du Conseil fédéral et permet même la mise en œuvre anticipée de mesures centrales à cette stratégie. Si le Conseil des Etats suit les décisions du Conseil national lors de la prochaine session, ces modifications pourront entrer en vigueur en janvier 2014 déjà. Un rythme soutenu pour un projet essentiel à l’avenir énergétique de la Suisse. ■

Yannick Buttet est président de la sous-commission « RPC et allégement des gros consommateurs » et conseiller national VS. LA POLITIQUE 2 Avril 2013

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Philippe Roch

L’INNOVATION TECHNIQUE : ÉCOLOGIQUEMENT NÉCESSAIRE… … MAIS INSUFFISANTE L’empreinte écologique 1 montre que nos sociétés industrielles ont largement dépassé la capacité de la nature à les supporter : la population mondiale consomme déjà aujourd’hui l’équivalent de la production de 1,3 planète. Si l’ensemble des pays du monde vivaient sur le même pied que la Suisse, il faudrait trois planètes pour couvrir leurs besoins, et quatre s’ils vivaient sur le modèle américain. Ceci veut dire que nous ne vivons plus seulement des intérêts de la nature, mais que nous entamons son capital, un comble pour des sociétés capitalistes ! Chaque année les stocks de matières premières diminuent, les productions vivantes, comme les poissons de mer, n’arrivent plus à remplacer nos prélèvements, les forêts les plus précieuses sont coupées pour produire du soja et de l’huile de palme ; la pollution et les déchets empoisonnent les écosystèmes. Tout le monde proclame le droit à l’eau, mais presque tous oublient que l’eau douce dépend d’écosystèmes que nous détruisons et polluons : zones humides, forêts, sols naturels qui recueillent l’eau de pluie, la filtrent et la restituent propre dans les cours d’eau et les nappes phréatiques. Les perturbations climatiques, la fonte des glaciers, l’augmentation du niveau des mers, les ouragans et les inondations d’une part, et les sécheresses d’autre part, sont dus à l’augmentation du gaz carbonique et des autres gaz à effet de serre dans l’atmosphère, produits en excès par nos activités économiques. Malgré le fait que nous consommons déjà plus que ce que la terre peut nous fournir, beaucoup de sociétés humaines vivent dans des conditions misérables, dans un environnement dégradé. Si nous voulons que ces populations accèdent à une vie décente et puissent s’épanouir, il faut leur réserver une partie des ressources que nous consommons. La pression de l’humanité sur la nature est le résultat de deux facteurs : la démographie et le niveau de consommation par tête d’habitant. On peut agir sur ce dernier en augmentant l’efficacité de la production des biens de consommation. C’est là qu’intervient l’innovation technique. Par exemple une automobile capable de parcourir 100 kilomètres avec 3 litres d’essence aura un impact deux à quatre fois inférieur aux anciens modèles. Dans le domaine du bâtiment, l’isolation et une do6

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motique intelligente permettent de consommer jusqu’à dix fois moins d’énergie que les bâtiments des années 1960. L’innovation technique peut aussi améliorer l’efficacité de la production. Les énergies renouvelables pourront largement couvrir nos besoins en électricité. Le photovoltaïque est un exemple récent de réussite : la politique volontariste de certains gouvernements comme l’Allemagne et surtout la Chine, a permis une rapide augmentation de l’efficacité des panneaux, qui transforment aujourd’hui entre 15 % et 20 % de l’énergie solaire en électricité, et une forte diminution de leurs coûts : en Suisse le courant solaire coûtait encore 72 centimes en 2009 et approche aujourd’hui des 22 centimes le kWh. Pour que la Suisse rattrape le retard accumulé, il faudra soutenir au Parlement le projet de loi sur l’énergie que notre conseillère fédérale Doris Leuthard a mis en consultation (en corrigeant quelques défauts il est vrai !). L’innovation technique doit encore s’occuper de la gestion des déchets. La nature s’est organisée depuis des milliards d’années pour gérer des quantités inimaginables de matières, et produire des centaines de millions de tonnes de biomasse, et toute la diversité biologique, sans aucun déchet qui ne puisse réintégrer la nature. Nos techniques de production, de consommation et d’élimination doivent s’inspirer de la nature et faire de nos déchets des matières premières ou des résidus qui puissent réintégrer les cycles naturels sans dommage. L’innovation technique ne suffira toutefois pas à résoudre le problème de notre impact sur la nature, parce que nos modes de vie, et les valeurs sur lesquelles ils reposent, exigent toujours davantage de consommation. Lorsqu’un progrès technique permet d’économiser des ressources, et de l’argent, l’effet positif est immédiatement compensé par un surplus de consommation ; c’est ce qu’on appelle l’effet rebond. Ce n’est pas si étonnant lorsqu’on observe les valeurs qui sont affirmées par l’économie et la politique actuelles : la consommation, la croissance, l’augmentation du PIB sont en effet les principales valeurs portées aujourd’hui dans la publicité et les discours politiques. Nous nous sommes piégés dans ce système qui ne


semble pouvoir survivre que grâce à la croissance. Pour que l’innovation technique puisse être vraiment efficace, ou simplement utile, il faut repenser nos modes de vie et les valeurs qui les soutiennent. Le PDC, avec les valeurs chrétiennes dont il se réclame me semble particulièrement bien placé pour amorcer une telle réflexion. Quelles sont les valeurs auxquelles nous sommes attachés ? La consommation ? Certainement pas. La compétition, le gaspillage ? Pas non plus. L’apparence, la frivolité ? Hum ! La surexploitation de la terre, la destruction des beautés de la nature ? Nous devons réfléchir aux moyens de sortir du système infernal dans lequel nous nous sommes Bitte enfermés, et mettre en avant des valeurs essentielles comme l’épanouissement personnel, la sobriété, la solidarité, le respect, pour que nos sociétés, une fois leurs besoins matériels largement couverts, se consacrent à la recherche d’un bonheur simple et partagé qui ne dépende pas d’un saccage de la Création dont nous sommes les gardiens. Voici un programme certes audacieux, courageux, un peu fou dans ce monde de l’hubris, de la démesure ; n’était-ce pas la position des premiers chrétiens, qui ont osé réagir contre une société romaine corrompue, injuste et en pleine décadence ? ■ Dominique Bourg et Philippe Roch, Sobriété volontaire, en quête de nouveaux modes de vie, Labor et Fides, 2012 1

Philippe Roch est ancien député PDC au Grand Conseil de Genève et ancien directeur de l’Office fédéral de l’environnement.

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Marco Salvi

LE SYSTÈME FISCAL SUISSE : SURVOL CRITIQUE EN CINQ ÉTAPES Impôts écologiques, impôt fédéral sur les successions, réforme de la fiscalité des entreprises, forfaits fiscaux : rarement dans notre histoire on n’aura ouvert (ou menacé d’ouvrir) autant de chantiers fiscaux en même temps. Face à ces changements, quel est le signe distinctif – le code génétique – de notre système fiscal ? Quels acquis méritent d’être défendus ? Cet article présente un bref survol en cinq étapes – et révise au passage quelques mythes bien ancrés dans l’imaginaire des Suisses et de leurs voisins. ❶

Le niveau absolu d’imposition n’est pas moins élevé en Suisse que dans d’autres pays comparables Pour beaucoup la Suisse est synonyme de paradis fiscal. Mais, mis à part les quelques riches étrangers imposés au forfait et des entreprises au bénéfice de régimes fiscaux spéciaux, dans la grande majorité des communes suisses la charge fiscale n’est pas particulièrement faible. Si l’on fait les calculs comme il faut (par exemple en intégrant dans cette charge les primes pour l’assurance-maladie obligatoire), la Suisse se retrouve avec une quote-part de 42 % du produit intérieur brut (PIB) dans la moyenne des pays d’Europe continentale.

Pendant les dernières décennies, le niveau d’imposition global a augmenté En Suisse, il n’y a eu ni érosion de l’Etat social, ni « révolution néolibérale », bien au contraire : la quote-part fiscale a crû de plus de 12 points de pourcentage depuis 1965 – suivant un développement similaire à celui des pays du nord de l’Europe. Chez nous comme ailleurs, l’augmentation reflète surtout l’élargissement du système des retraites et l’augmentation des coûts de la santé.

Notre système fiscal est peu progressif Ce n’est pas seulement la charge fiscale moyenne qui détermine l’impact que peuvent avoir les impôts sur la création de richesse. Une imposition très progressive, avec des taux marginaux prohibitifs pour les hauts revenus, provoque une substitution du travail avec des activités non imposables (loisirs, production domestique, évasion fiscale). Cette substitution est d’autant plus dommageable qu’elle décourage les individus de s’engager là où ils seraient le plus utiles pour la société. 8

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Selon plusieurs études, la Suisse aurait un des systèmes fiscaux les plus « plats » de tous les pays de l’OCDE. Ce fait, aussi surprenant que méconnu du grand public, mérite une explication. Les très faibles disparités salariales dans notre pays (les plus basses du monde en ce qui concerne les salaires horaires,


inférieures même à celles des pays scandinaves) y sont pour beaucoup. En effet, grâce à cette distribution égalitaire des revenus du travail les besoins budgétaires de l’Etat peuvent encore être satisfaits de façon à ne pas trop modifier le comportement des classes les plus productives. Par ailleurs, une faible progressivité de l’impôt n’implique pas une faible redistribution des richesses. En Suisse, celle-ci ne se fait pas par le biais de l’impôt mais plutôt par celui des prestations. Par exemple, bien que les primes de l’assurancemaladie obligatoire ne dépendent pas du revenu, les réductions de primes sont accordées uniquement à ceux qui ne dépassent pas un certain seuil de richesse. Ainsi on évite d’entretenir une machine à redistribuer qui enlèverait l’argent d’une poche du contribuable pour le remettre dans l’autre. En contrepartie on risque un cumul de tarifications toutes dépendantes du revenu. Comme l’a montré une publication récente d’Avenir Suisse, les prélèvements implicites peuvent atteindre dans certaines villes jusqu’à 90 % du deuxième revenu. Ceci entrave la participation des femmes au marché du travail et constitue un obstacle considérable à l’ascension sociale.

La part de l’impôt sur le revenu est encore très importante en Suisse Contrairement à la France, où l’impôt sur le revenu (l’IRPP) ne représente plus que 6 % du total des prélèvements obligatoires, la Suisse est restée fidèle à cet impôt direct. Un bon tiers des revenus fiscaux engrangés par l’ensemble des collectivités publiques en découle. Néanmoins, la part des impôts indirects est en constante progression : de 9 % en 1995, au moment de l’introduction de la TVA, elle a passé à près de 13 % aujourd’hui. De plus en plus de réformes sociales, telle la récente révision de l’AI ou les propositions de réforme de l’AVS, prévoient un financement par la TVA. Ce faisant on évite de renforcer la progressivité du système fiscal, car le taux de TVA est égal pour tous. C’est bien pour l’emploi, mais moins pour la justice fiscale. C’est aussi pour cette raison qu’Avenir Suisse a proposé d’engager dans 44 Idées pour la Suisse une réflexion à très long terme sur un impôt progressif sur la consommation. Celui-ci cumulerait les avantages de la TVA sans contourner les exigences de justice fiscale.

Caractéristique fondamentale : le fédéralisme fiscal Tout système fiscal national n’est qu’un reflet des institutions du pays. Conséquence directe du fédéralisme, la part des entités sous-nationales aux recettes fiscales totales se monte en Suisse à presque 40 %. Les cantons peuvent fixer les taux de plus de la moitié des impôts qu’ils prélèvent, les communes même 60 %. Une concurrence fiscale si intense sur un territoire aussi restreint est unique au monde. Le fédéralisme fiscal (et la concurrence qui l’accompagne) représente sans doute la contribution la plus originale du système tributaire suisse. Mais comment l’évaluer ? De nombreux économistes de la fiscalité se sont penchés sur cette question. Leur conclusion est claire : l’Etat, quand il est mis au régime fiscal fédéral, garde plus facilement sa ligne et a plus recours au financement des tâches publiques par des prélèvements spécifiques et non par l’impôt. Au final, le système fiscal suisse semble mieux à même de régler les conflits incontournables entre les objectifs partiellement antinomiques d’équité et d’efficacité inhérents à une bonne imposition. Il démontre une capacité à redistribuer les richesses sans trop entraver la création de richesse. De ce point de vue, le fédéralisme fiscal représente sans aucun doute une particularité et, en même temps, un des grands atouts de la Suisse. Il mérite d’être bien défendu. ■ Marco Salvi est économiste et chef de projet à Avenir Suisse et co-auteur de Steuerpolitische Baustellen et de 44 Ideen für die Schweiz, parus chez NZZ-Verlag. LA POLITIQUE 2 Avril 2013

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Jérôme Cosandey

LE COUPERET DE LA LIMITE D’ÂGE EST CADUC Depuis l’introduction de l’AVS en 1948, l’espérance de vie a augmenté de 7 ans. De plus, les rentiers sont deux ans de plus en bonne santé qu’il y a vingt ans. Et pourtant, il n’y a pas eu de hausse de l’âge de la retraite, ce qui met le financement de notre prévoyance en danger. Les exemples étrangers montrent comment la Suisse peut augmenter l’âge de la retraite, voire même supprimer la limite d’âge.

La bonne nouvelle est que nous vivons plus longtemps. Et pourtant, la hausse de l’espérance de vie associée à une réduction du taux de natalité entraîne le vieillissement de notre société. Actuellement, il y a 3,4 personnes actives par retraité contre 6 en 1948. Si nous ne prenons pas de mesures pour mettre un frein à cette évolution, ce rapport de dépendance des personnes âgées passera à 2 environ d’ici à 2040. C’est pourquoi le financement de l’AVS par un système dit de répartition se retrouve face à un énorme défi. Les rentes de la prévoyance professionnelle sont également affectées si le taux de conversion reste inchangé.

Assurer le développement durable Trois mesures permettent d’assurer durablement le financement de la prévoyance vieillesse : réduire les rentes, économiser davantage ou sur une plus longue durée. Comme l’a montré la votation sur le taux de conversion en mars 2010, la réduction des rentes n’a guère de chance d’aboutir d’un point de vue politique. La mise en place d’une stratégie reposant sur des économies accrues aurait pour conséquence de diminuer le revenu dont dispose la population active. La hausse des cotisations prélevées sur le salaire augmenterait les charges sur les salaires et entraînerait une réduction de l’attrait de la place économique suisse. C’est pourquoi nous devons faire des économies sur une plus longue durée, ce qui équivaut à une hausse de l’âge de la retraite. 10

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Comparaison internationale de l’âge de la retraite Avec une espérance de vie moyenne de 82,3 ans, la Suisse occupe une excellente position. Au sein de l’OCDE elle n’est devancée que par le Japon (83,0 ans). Toutefois, les interventions politiques en faveur d’une hausse de l’âge de la retraite se heurtent à une forte opposition dans notre pays. Une tendance différente est observée dans 12 pays de l’OCDE (voir graphique) qui ont décidé, voire même déjà imposé, une hausse de l’âge de départ à la retraite à 67, respectivement à 68 ans. Dans ces 12 pays, l’espérance de vie est de cinq mois inférieure à celle enregistrée en Suisse. Et pourtant le pourcentage de la population active dans les secteurs de l’agriculture, de la construction et de l’industrie, qui provoquent une usure physique plus importante, est en général plus élevé. Dès lors, la prolongation de la période d’activité professionnelle en Suisse – de durée égale pour les hommes et les femmes – s’impose. Comment un projet politique délicat de ce genre peut-il être réalisé ? Un coup d’œil sur la situation à l’étranger permet de distinguer trois options. Augmenter l’âge de la retraite par étapes Tout grand voyage commence par un premier pas. Selon cet adage, l’Allemagne augmente chaque année l’âge de la retraite d’un mois jusqu’à la limite de 67 ans. Par conséquent les employés proches du départ à la retraite ne doivent prolonger leur période d’activité professionnelle que de quelques mois. Les employés plus jeunes ont plus de temps pour se préparer aux nouvelles conditions. Ce procédé par étapes relève non seulement d’une réflexion d’équité, mais il tient compte du fait que les citoyens âgés, directement concernés par les réformes, sont en proportion plus nombreux à participer aux votations. Associer la limite d’âge à l’espérance de vie Les automatismes inscrits dans la loi peuvent aider à anticiper les blocages paralysant la prise de décisions difficiles. Les milieux politiques sont en mesure de déterminer aujourd’hui déjà la façon dont il faudra adapter l’âge de la retraite aux changements démographiques. En conséquence, le Danemark associera automatiquement la limite d’âge à l’espérance de vie à partir de 2027. Les milieux politiques continuent à être l’instance de contrôle. Ils déterminent le moment et la façon de


réagir à ces changements. Ils se protègent toutefois des voix de sirènes qui réclament le statu quo dès que des changements surviennent.

Supprimer le couperet de la limite d’âge Les changements survenus au niveau des biographies professionnelles, une espérance de vie plus élevée en bonne santé et la pénurie de main-d’œuvre prévisible sur le marché du travail rendent le concept d’une limite d’âge fixée dans la loi obsolète. Il restreint les options proposées aussi bien aux employés qu’aux employeurs. La Suède en a tiré les conséquences en supprimant l’âge ordinaire de la retraite fixe. Seule une limite inférieure à été exigée par la loi pour la préretraite. Plus le départ à la retraite est tardif, plus la rente est élevée. Le système prévoit également des rentes partielles qui permettent de réduire progressivement le temps de travail.

Grace à ce modèle, chacun peut déterminer son départ à la retraite en fonction de ses propres préférences et de sa situation financière personnelle. Pour certains, le départ en préretraite est important. D’autres, préfèrent toucher une rente plus élevée. Ces derniers devraient avoir la possibilité de travailler au-delà de l’âge ordinaire de la retraite. La suppression d’un couperet arbitraire de la limite d’âge garantirait la flexibilité nécessaire. Chacun serait libre de choisir la limite d’âge puisqu’elle ne serait plus prescrite par l’Etat. Les employés conviendraient avec leurs employeurs, dans le cadre d’un dialogue d’égal à égal, du moment ainsi que des modalités de leur départ à la retraite. ■

Jérôme Cosandey, dr sc. techn., est chef de projet et membre du cadre chez Avenir Suisse.

Les 12 pays de l’OCDE, qui enregistrent à la naissance une espérance de vie inférieure à la Suisse, ont décidé, voire même déjà imposé, une hausse de l’âge de départ à la retraite à 67/68 ans. Age de la retraite 67/68 65 62

Espérance de vie à la naissance

84 82 80 78 76 74

Turquie

Hongrie

Estonie

Slovaquie

Mexique

Pologne

Tchéquie

Chili

Etats-Unis

Slovénie

Portugal

Danemark

Irlande

Finlande

Belgique

Grèce

Corée

Allemagne

Autriche

Grande Bretagne

Pays-Bas

Canada

Luxembourg

France

Nouvelle Zélande

Suède

Norvège

Islande

Israël

Espagne

Australie

Italie

Suisse

70

Japon

72

Source : OECD 2012, recherches par l'auteur

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Martin Candinas

REGIUNS MUNTAGNARDAS STON ESSER INNOVATIVAS

Le tourisme est la branche économique la plus importante dans les régions de montagne, un tourisme qui ne peut être délocalisé et où le client doit être conduit au fournisseur. Il faut donc de véritables entrepreneurs, des entrepreneurs qui entreprennent quelque chose. Souvent, ce ne sont pas les produits de qualité qui font défaut ; ils ne sont simplement pas connus, chacun travaillant pour son propre compte. Les réseaux n’ont jamais été aussi importants et Internet constitue un enjeu essentiel. Le client voudrait y trouver toutes les informations sans les chercher sur différents sites. Le prix n’est pas toujours un facteur décisif. Les organisations touristiques et les entrepreneurs ont beaucoup réalisé ces dernières années. Des efforts réjouissants à poursuivre avec la même volonté d’innover. Innovaziuns ein per la veta economica e per il surviver economic cunzun ellas regiuns da muntogna indispensablas. Il disavantatg topografic sto vegnir cumpensaus cun qualitad, efficienza e bunas ideas. Per quei intent drova ei interprendiders innovativs, interprendiders ch’interprendan enzatgei, che creian vid las fermezias dil liug, che vulan muentar enzatgei. La politica sa e sto procurar per ina buna basa economica e per in sustegn adattau per cumbensar ils disavantatgs dil liug. La nova politica regiunala dalla confederaziun ei per quei motiv da grond’impurtonza e sto survegnir dapli 12

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muntada egl avegnir. Il svilup demografic muossa claramein che las regiuns muntagnardas han da sbatter cun problems economics ed aschia consequentamein cun la depopulaziun. Il fatg che adina dameins giuvens san restar en lur regiuns e che mo paucs san turnar els giuvens onns anavos dat da patertgar. Las vischnauncas entscheivan a sentir las consequenzas pli e pli fetg. Adina dapli scolas ston fusiunar muort munconza da scolars. La devisa sto esser: La realisaziun ei caussa digl interprendider, il sustegn sto vegnir dalla politica.


La sparta economica la pli impurtonta ellas regiuns da muntogna ei il turissem. Il turissem ei dependents dil liug. Quel sa buc vegnir dislocaus. Quei ei nies bien cletg. Denton sto il client vegnir carmalaus tier il «furnitur», pia tier nus. El vegn buc da sez, cunzun buc cun la mobilitad hodierna. La concurrenza internaziunala ei carschida ils davos onns marcantamein. Il cumbat per clients ei gronds. Per quei intent drova ei medemamein interprendiders. Interprendiders che vulan mantener il success ni mussar ch’ins sa reussir en nossas muntognas. Savens ein buns products sin fiera. Els ein denton buc enconuschents. Mintgin lavura per sesez e sesprova da far il meglier ord la situaziun. Quei tonscha buc pli, silmeins buc egl avegnir. La colligiaziun cun il mund digital ei aunc mai stada da tala muntada. Oz ha la fiera adina dapli liug ella reit digitala. Il client vul il luverdi sco la dumengia, da di e da notg, survegnir las informaziuns giavischadas ella reit e saver retrer la purschida giavischada a moda nuncumplicada dad in «furnitur». Il client vul in pachet cumplein cun ina persuna da contact. Il prezi gioga buc adina la rolla principala. Organisaziuns turisticas ed interprendiders han fatg ils davos onns dabia en quella direcziun. Lur sforzs corrispundan denton aunc buc cumpleinamein allas pretensiuns dil client hodiern. En quella sparta stuein nus agir ils proxims onns. Nus havein bein mess ensemen biaras organisaziuns turisticas. Il spért communabel vegn denton per gronda part aunc buc vivius. Biaras sinergias pusseivlas vegnan buc nezegiadas. En ina destinaziun astga ei dar mo in patertgar. E quel secloma: Co vegnin nus da mantener nos hosps en nossa regiun e recaltgar novs hosps per nossa destinaziun? Quei sto esser la devisa e per tala eis ei da luvrar. Lein vender nossa destinaziun cun plascher e perschuasiun. Mintga vendider sa che buc mo il product quenta, mobein era las emoziuns. Vender cun success ei ina damonda dil cor. Buns vendiders ch’ein autentics e da bien cor drovan nossas regiuns muntagnardas. Nus havein tals. Jeu sundel perschaudius da quei. Emoziuns ed ideas innovativas ein dumandadas per haver success el turissem. Ina idea vala denton pér lu enzatgei, cu ella ei realisada. Mo engaschi muenta! Lein pia agir cun spért innovativ e cun plascher per nossa patria. ■

Anti-Grincheux « Qui vit content de rien possède toute chose. » disait déjà Boileau. Il faut croire que la « grinche-attitude » existe depuis longtemps. Cette citation pousse à la réflexion, l’être humain râle-t-il vraiment 15 à 30 fois par jour ? Oui, sans aucun doute ! Faisons honnêtement ce simple exercice de s’observer pendant une journée, et estimons le pourcentage de phrases entrant dans la catégorie « jérémiades » (environ 40 % pour l’auteur de ce texte). Probablement que certaines d’entre elles ne répondent pas à un besoin vital ! Les addicts de la grinche que nous sommes devraient se soumettre à des cures de désintoxications : essayons la pensée positive ! Ne faut-il pas commencer par faire l’effort d’être heureux pour vivre heureux dans ce monde imparfait ? Arrêter d’être grincheux, d’après le Dr David Servan-Schreiber, c’est aussi améliorer son confort émotionnel et par là même sa santé. J’ajouterais qu’ainsi nous arrêterions aussi de polluer l’environnement émotionnel des autres ! (pc)

Martin Candinas ei dapi 2011 cusseglier naziunal dil Grischun e commember dalla cumissiun da traffic e telecommunicaziun dil cussegl naziunal. LA POLITIQUE 2 Avril 2013

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Emmanuel Barraud

UN PROJET, DE MULTIPLES DÉFIS

Au début de l’année, la Commission européenne de la recherche a choisi le Human Brain Project, piloté par l’EPFL, comme l’un des projets technologiques phares de la prochaine décennie. Plusieurs centaines de millions d’euros lui seront octroyés. Les retombées scientifiques et économiques seront considérables.

Un superordinateur capable de simuler un cerveau humain, dans toute la complexité de ses quelque 100 milliards de neurones. Le Human Brain Project, piloté depuis l’EPFL par le professeur Henry Markram, ne manque pas d’ambition. Les 120 équipes de recherches impliquées dans ce projet, en Europe et au-delà, y croient pourtant dur comme fer. « Si nous parvenons à construire un modèle informatique du cerveau qui soit suffisamment complet et précis, alors il pourra se comporter de la même manière qu’un cerveau biologique », estime Henry Markram. 14

LA POLITIQUE 2 Avril 2013

De premiers résultats sont là pour lui donner raison. L’automne dernier, l’équipe du Blue Brain Project – antécédent du Human Brain – avait pu démontrer que les connexions entre les neurones d’un modèle généré intégralement par un ordinateur correspondaient très précisément à la façon dont ces cellules d’un cerveau biologique s’organisent ellesmêmes. Cette avancée majeure a été réalisée en utilisant les résultats de plusieurs décennies d’observations et d’expériences menées sur des cellules du cerveau. Mais elle ne concernait « que » 10 000 neurones – une infime fraction de ce qu’il s’agira de mettre ensemble pour parvenir à la modélisation du cerveau humain. Aux yeux des chercheurs, cela démontrait toutefois que l’approche choisie était valable. Maintenant que le Human Brain Project est sur les rails et que son financement sur dix ans est assuré, il est temps de passer la vitesse supérieure. Mais avant d’arriver à modéliser un cerveau humain entier, beaucoup d’étapes doivent encore être franchies. « L’un des grands intérêts de ce projet, c’est qu’il implique de nombreuses disciplines et devra résoudre de nombreux défis », reprend Henry Markram.


Une encyclopédie des neurosciences L’un d’eux touche à la récolte de données. Aux quatre coins du monde, des neuroscientifiques font des recherches, des expériences, obtiennent des résultats qu’ils publient dans diverses revues scientifiques. Cela représente plusieurs milliers d’articles par année, qu’il serait illusoire de vouloir dépouiller manuellement. Des informaticiens développent donc des algorithmes capables de repérer toutes les informations pertinentes, de les traduire dans un langage commun et de les agréger dans une gigantesque base de données qui rassemblera au jour le jour l’ensemble des connaissances scientifiques sur le cerveau.

Nouvelle ère pour l’informatique C’est dans cette base que les informations servant à la construction du modèle seront puisées. Mais générer un cerveau virtuel demandera une énorme puissance de calcul informatique. Pour que les superordinateurs de demain puissent atteindre les performances requises sans pour autant engloutir des quantités astronomiques d’énergie, un volet important du projet vise au développement d’une nouvelle sorte d’informatique, dite neuromorphique, qui s’inspire précisément du fonctionnement particulièrement économique du cerveau. Celui-ci ne consomme en effet que 20 watts, l’équivalent d’une ampoule économique, alors qu’un superordinateur aussi puis-

sant aurait besoin, avec les technologies actuelles, de six fois l’énergie des centrales nucléaires suisses…

La médecine du futur Les recherches menées dans le cadre du Human Brain Project seront donc utiles bien au-delà de la seule modélisation d’un cerveau entier. Mais l’objectif final permettra lui-même l’émergence d’un tout nouveau type de médecine. « Une fois que vous avez votre modèle de cerveau, vous pouvez l’utiliser pour observer l’évolution des maladies neurodégénératives, modifier certains gènes et mesurer les conséquences, introduire des molécules thérapeutiques et étudier leurs effets, en obtenant des résultats infiniment plus vite que s’il faut recourir à toute une chaîne d’expérimentation in vitro, animale puis humaine », détaille Henry Markram. Les perspectives scientifiques et économiques ouvertes par le Human Brain Project dépassent donc de loin la mise de départ octroyée par Bruxelles. Elles confirment aussi que la Suisse a largement pris sa place dans l’Europe de la connaissance, et que les moyens octroyés au développement de l’excellence scientifique portent leurs fruits. ■ Emmanuel Barraud est rédacteur scientifique à l’EPFL. LA POLITIQUE 2 Avril 2013

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ENQUÊTE… … sur les innovations qui ont révolutionné le monde. Quels désirs avons-nous et quelles sont les inventions qu’il aurait mieux valu ne pas inventer ?

Quelle est la meilleure invention ? Pourquoi ?

Le feu ! L’être humain ne pourrait pas survivre sans feu (sécurité, alimentation, chaleur, lumière, etc.).

L’électricité !

Elle a non seulement apporté énormément de sécurité dans les ménages, en remplaçant le feu ou le gaz, mais elle a littéralement révolutionné le monde.

LA ROUE

qui a changé la face du monde aussi bien dans le domaine des transports que dans celui de l’énergie. Elle symbolise de manière idéale la transformation.

INTERNET, la réponse à ma curiosité insatiable. Quelle est la meilleure invention ? – Pourquoi ? Les langes pour bébé ! Ils permettent d’économiser beaucoup de temps.

les grands pieds et passionne bien souvent les femmes (quoique de nombreux hommes avouent avoir développé aussi une certaine fascination pour cet objet).

Le lave-linge, parce qu’il nous simplifie vraiment la vie.

La radio : elle est informative, instructive et distrayante. Elle peut également agir sur mon humeur ou me donner de l’énergie.

Le lave-vaisselle, parce que je ne déteste rien de plus que de devoir faire la vaisselle après avoir savouré un bon repas !

Quelle est la pire invention ? – Pourquoi ?

Les horaires de travail flexibles, non seulement parce qu’ils permettent de concilier vie de famille et activité professionnelle, mais parce qu’ils facilitent la vie de façon générale. Le vélo, rapide, respectueux de l’environnement et peu encombrant, maintient non seulement en forme mais il peut être utilisé pour presque tous les transports de marchandises. Si l’on a quelques notions de mécanique on peut même le réparer soi-même. Pour les handicapés on peut ajouter une troisième roue. En ce qui concerne l’équipement, on peut donner libre cours à son imagination, sauf si l’on rencontre un policier sévère. La chaussure qui transporte, protège et embellit les petits comme 16

LA POLITIQUE 2 Avril 2013

Les armes de manière générale – surtout celles qui sont employées contre la population civile. Les mines antipersonnelles, car ces armes ne visent souvent pas à tuer les personnes, mais à les blesser gravement, voire à les mutiler. Le téléphone portable, car nous sommes joignables partout et en tout temps, même si je dois avouer qu’il est très pratique dans nombre de situations ! La bombe atomique : en tant qu’arme de destruction massive elle n’a au fond pas de valeur militaire, mais ne sert que de menace ou à tuer les civils par milliers. Si l’on recourt une fois de plus à cette


Quelle est la pire invention ? Pourquoi ?

LES ARMES.

L’être humain est l’un des seuls êtres vivants suffisamment bêtes pour fabriquer un outil leur permettant de tuer leur propre espèce.

Off-Roader Les voitures tout-terrain.

Un monde sans réveil ! Imaginer que je puisse me réveiller naturellement, sans réveil qui me tire brutalement de mes plus beaux rêves, ce serait génial… DES HOMMES EN MESURE D’ALLAITER. CE SERAIT GÉNIAL, CAR CELA PERMETTRAIT D’ALTERNER LES NUITS ENTRECOUPÉES. (MAIS NE SERAIT-CE PAS UN PEU PERVERS ?)

Un ordinateur qu’on alimente en pédalant :

ce serait génial de pouvoir pratiquer du sport tout en travaillant !

LA TÉLÉPORTATION,

Car elles sont une plaie dans le trafic urbain.

uv mo em

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tuel. pé

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La dictature. Les gens doivent être libres pour pouvoir s’épanouir. Pour ce faire, un droit de participation aux décisions s’impose.

car cela faciliterait les relations à distance de longue durée (dans mon cas : 7 ans).

Qu’est-ce qui reste encore à inventer ? – Pourquoi ?

technologie, la guerre atomique mettra l’existence de l’humanité en péril.

Un compartiment de fitness dans les trains : au lieu de rester assise et de m’ennuyer, je ferais volontiers un peu de fitness.

Les bombes à fragmentation et à sous-munitions parce qu’elles causent uniquement de la souffrance.

Plus de temps. La conciliation entre vie familiale et activité professionnelle dépend grandement du temps à disposition. Jusqu’à un certain point, c’est une question d’organisation et d’efficacité, mais en fin de compte on manque toujours de temps pour l’un ou l’autre de ces domaines d’activité…

Les collants qui grattent. Le fer à repasser : que c’est barbant de repasser ! La cigarette.

Des médicaments pour le SIDA, le cancer, etc. ou un réplicateur permettant p. ex. de multiplier la nourriture.

Qu’est-ce qui reste encore à inventer ? – Pourquoi ? Un ordinateur qui résout lui-même les problèmes techniques qu’il génère, comme par magie ! Cela permettrait de gagner du temps, de ménager ses nerfs et d’économiser du temps pour se consacrer à des activités créatrices. Un logement autonettoyant, parce que, de façon générale, je n’aime pas nettoyer et que j’ai parfois l’impression que la vie ne consiste qu’à ranger et à nettoyer. Et : parce qu’il y a tant de choses plus belles et plus importantes à faire que de nettoyer son logement ! LA POLITIQUE 2 Avril 2013

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COLONNE LIBRE

L’homme n’est ce qu’il était La première réaction face à ce titre est d’attribuer la transition de la société à la technique. L’homme plus un téléphone mobile, plus Internet, plus un téléviseur, plus un frigo, une voiture et du courant électrique n’a plus rien à voir avec son ancêtre de 1900. Son confort matériel est malheureusement compensé par une dégradation morale, selon l’opinion courante. L’homme n’est plus ce qu’il était ! C’est surtout vrai pour ceux à qui l’on contestait – ou l’on conteste encore – la qualité d’être humain à part entière. Les Juifs pendant deux millénaires de chrétienté, les homosexuels, les handicapés, les aliénés et même la moitié de l’humanité constituée par les femmes, sans droits politiques, sans accès à la formation supérieure, sans participation au pouvoir politique. Toutes les discriminations, cela est en principe aboli. Avant tous les hommes étaient inégaux, maintenant en théorie nous sommes tous égaux. Mais bien sûr certains sont plus égaux que d’autres. Les banquiers à dix millions pièce qui mènent la banque à la faillite en s’engageant dans des spéculations risquées ou même dans des opérations carrément illégales, en ruinant leurs clients et leurs actionnaires, en détruisant des emplois. Ce qui a changé, c’est le jugement qui est porté sur ces actions. Jadis on fermait les yeux, maintenant on les ouvre. Notre société évolue et, souvent, on dit que c’est pour le pire. Ceux qui le disent sont précisément ceux qui perdent leurs privilèges, leurs rentes de situation, leur pouvoir, leur autorité. Vaille que vaille, clopin-clopant la société s’améliore. Parfois elle trébuche mais elle continue d’avancer. Aujourd’hui, du moins dans les pays civilisés, plus personne n’est exclu de la formation, n’est privé de soin, n’a pas de toit, ne mange pas à sa faim. Il y a de temps en temps des exceptions, mais la règle est la solidarité. Il y a encore des femmes battues et des enfants violés, mais de moins en moins et jamais sans que cela soit réprimé. L’homme n’est plus ce qu’il était voici un siècle à peine. Il se préparait alors une Grande Guerre avec des vingt millions de morts, suivie par une crise qui entraînerait une seconde 18

LA POLITIQUE 2 Avril 2013


plus guerre à soixante millions de morts. Aujourd’hui les Européens se disputent encore mais c’est pour savoir qui paiera les dettes de l’autre. La Suisse est privilégiée : peu de chômage, le niveau de vie le plus élevé du continent, des universités parmi les meilleures du monde, un système de santé performant tel que l’espérance de vie a augmenté de dix ans sur le dernier demi-siècle. Et cependant on entend plus de plaintes que de louanges. Car une transition apporte aux uns ce qu’elle enlève forcément aux autres. Le pater familias du bon vieux temps qui claustrait sa femme à la maison, qui lui faisait trop d’enfants parce que la contraception n’avait pas été inventée, qui l’empêchait d’avoir une vie professionnelle, cela n’existe plus qu’au passé. Les homosexuels vivent ouvertement en couple plutôt que d’être mis au ban de la société. Et, certes les églises se remplissent de moins en moins tandis que les séminaires se vident. Le pouvoir et l’autorité des Eglises ont diminué. Peut-être est-ce parce que l’humanité a tellement progressé qu’elles sont moins nécessaires. Et non parce que les hommes sont devenus de plus en plus mauvais. La Suisse n’est pas un pays parfait, parce qu’un idéal n’existe jamais. Sa transition est plus lente que celle des pays voisins, mais plus sure, davantage garantie sur une longue durée. Nos ministres et notre président font moins de bruit qu’ailleurs, mais ils travaillent avec plus d’efficacité. Nous attirons une foule d’immigrants hautement qualifiés qui se pressent pour travailler dans nos usines, nos chantiers, nos laboratoires, nos universités. Nous nous plaignons parfois de l’encombrement des routes et des trains. Ce sont des maladies de la croissance.

IL Y A 50 ANS… 15 janvier : dernier gel complet du lac de Constance, appelé « Seegfrörni » en allemand. La même année, le terme d’origine helvétique est adopté par le Duden. 22 janvier : le chancelier allemand Konrad Adenauer et le président français Charles de Gaulle signent le traité d’amitié franco-allemand, dit traité de l’Elysée. 11 avril : l’encyclique Pacem in Terris est la première dans laquelle le Saint-Père ne s’adresse pas uniquement à l’ensemble des catholiques et des croyants, mais également « à tous les hommes de bonne volonté ». 16 juin : Valentina Vladimirovna Terechkova est la première femme dans l’espace. 26 juin : John Fitzgerald Kennedy fait devant l’hôtel de ville de Schöneberg à Berlin un discours qui restera célèbre : Ich bin ein Berliner. 11 juillet : Nelson Mandela est arrêté ; s’annoncent 27 années d’emprisonnement et un prix Nobel de la paix. 28 août : Martin Luther King junior tient à l’occasion de la Marche vers Washington pour le travail et la liberté un discours qui est resté dans les annales : I have a dream. 22 novembre : l’assassinat de JFK est la première information télévisée à être transmise au Japon outre-pacifique via satellite. (pc)

Il y a enfin ceux qui voudraient revenir au bon vieux temps. Mais celui-ci n’a jamais existé que dans leur imagination. Nous sommes en transition, nous devons être fiers de réussir, sans trop d’inconvénients. L’homme n’est plus ce qu’il était et c’est tant mieux. ■ –Jacques Neirynck

LA POLITIQUE 2 Avril 2013

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Martin Vetterli

DE SOCRATE À L’UNIVERSITÉ EN LIGNE « L’université est un endroit où les notes de cours du professeur passent aux notes de cours de l’étudiant, sans passer par le cerveau ni de l’un ni de l’autre. » Mark Twain (attrib.)

Socrate n’aimait pas les livres. En tout cas pas pour enseigner ! Il préférait la méthode que l’on nommera « socratique » : la discussion argumentative avec les élèves afin de faire émerger la vérité. Son disciple favori, Platon, violera pourtant la règle du maître en publiant les dialogues, qui deviendront les piliers de la pensée occidentale moderne. Au Moyen Age, la diffusion de cette pensée par le biais des livres est un processus chronophage. Les manuscrits sont transcrits un par un, notamment par des moines copistes dans les monastères afin d’alimenter les bibliothèques d’Europe. Avec l’invention de l’imprimerie par Gutenberg apparaît une transition dans la diffusion du savoir, car des centaines, voire des milliers, de copies peuvent être réalisées aisément. Et cette diffusion démocratise l’accès au savoir, donc à l’éducation à une plus large frange de la population. Dans les universités, les livres deviennent les sources et les supports de cours, une tradition qui se perpétue jusqu’à nos jours. Pourtant, du XVe au XXe siècle, il n’y a pas eu de transformation majeure. De manière anecdotique, en Europe au début du XXe siècle, il y avait encore des crieurs publics déclamant le journal pour la population ! Le saut quantique dans la diffusion de l’information arrive avec les médias élec20

LA POLITIQUE 2 Avril 2013

troniques. Toutefois, leur impact sur le monde de l’éducation est étonnamment limité, l’innovation consistant à passer de la craie et du tableau noir au pointeur laser et à la dia « Power Point ». Et le cours ex cathedra reste la norme, avec le professeur d’université régnant en maître, à sens unique, sur une salle remplie de centaines d’étudiants. Les supports de cours passent des feuilles volantes aux ouvrages de référence, souvent standard et écrits, en particulier dans le monde anglosaxon, par une des sommités du domaine. La graine d’une vraie révolution est, comme pour bon nombre d’autres domaines, l’invention du web en 1989. Internet démocratise définitivement l’accès au savoir. Le succès d’une encyclopédie en ligne comme Wikipédia en est la démonstration. Cependant, l’impact sur le monde de l’éducation prend du temps. On assiste finalement, vingt ans plus tard, à une révolution en marche. Pour la réaliser, on pourrait mettre le doigt sur toute une série de technologies, comme la vidéo en ligne, Skype et autres réseaux sociaux. Mais le pionnier est probablement Salman


découvrez 2013

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so c i é t é

Un essai de Martin Vetterli

Ingénieur, doyen de la Faculté informatique et communications de l’EPFL et, dès janvier 2013, président du Conseil national de la recherche.

De Socrate à l’université en ligne courtes vidéos, avec des explications griffonnées sur une «tablette» et une pédagogie attrayante font de la Khan Academy un succès planétaire. Plusieurs milliers de vidéos sur des sujets divers ont déjà été vues près de 200 millions de fois. En 2011, des universités américaines, dont Stanford, se jettent à l’eau en offrant des cours en ligne gratuits simiSocrate n’aimait pas les livres. En tout cas pas pour enseigner! laires aux cours donnés sur le campus. La réussite est, là aussi, fulguIl préférait la méthode que l’on nommera «socratique»: la discussion rante, avec des centaines de milliers d’étudiants inscrits de par le monde. argumentative avec les élèves afin de faire émerger la vérité. Son disciple John Hennessy, président de Stanford, parle d’un tsunami qui déferle favori, Platon, violera pourtant la règle du maître en publiant Les dialo- sur le monde de l’éducation, avec des conséquences imprévisibles. gues, qui deviendront les piliers de la pensée occidentale moderne. Dans le plus pur style californien, les start-up poussent comme des Au Moyen Age, la diffusion de cette pensée par le biais des livres est un champignons, offrant des douzaines de cours donnés par les professeurs processus chronophage. Les manuscrits sont transcrits un par un, des plus prestigieuses adresses académiques. Et tout cela gratuitement. notamment par des moines copistes dans les monastères afin d’ali- Si leur business model n’est pas clair, le grand nombre d’étudiants ne menter les bibliothèques d’Europe. Avec l’invention de l’imprimerie par ment cependant pas: le potentiel est là. Une initiative parallèle, basée Gutenberg apparaît une transition dans la diffusion du savoir, car des sur un modèle de fondation à but non lucratif, edX, est développée par centaines, voire des milliers, de le MIT, Harvard et Berkeley. Bienvecopies peuvent être réalisées aisénue dans le monde des «Massive ment. Et cette diffusion démocratise Open Online Courses» ou MOOCs, l’accès au savoir, donc à l’éducation à un acronyme un peu barbare dont il une plus large frange de la populane faudrait pas sous-estimer la puistion. Dans les universités, les livres sance. deviennent les sources et les supL’EPFL, plutôt que d’observer passiports de cours, une tradition qui se vement une révolution en cours, a tenté le pari de la participation: le perpétue jusqu’à nos jours. Pourtant, du XVe au XXe siècle, il n’y a pas eu premier cours en ligne, donné par le de transformation majeure. De professeur d’informatique Martin Odersky sur le langage Scala, a manière anecdotique, en Europe au e début du XX siècle, il y avait encore conduit à près de 50 000 inscriptions des crieurs publics déclamant le et 20 000 étudiants ont terminé les journal pour la population! sept semaines de cours et d’exercices. Socrate et SeS diScipleS Le philosophe a commencé à enseigner dans la rue, les stades, Le saut quantique dans la diffusion les gymnases, les échoppes, au gré des rencontres. Il n’a laissé aucune œuvre écrite. Une initiative de l’EPFL pour donner de l’information arrive avec les des MOOCs en français, particulièremédias électroniques. Toutrefois, ment pour l’Afrique francophone, a leur impact sur le monde de l’éducareçu le support de la DDC, défi que les tion est étonnamment limité, l’innostart-up californiennes ne vont probablement pas relever. vation consistant à passer de la craie et du tableau noir au pointeur laser et à la dia «Power Point». Et le cours Ce mouvement est-il bien raisonex cathedra reste la norme, avec le nable? Et qu’en est-il alors de l’offre professeur d’université régnant en sur campus à l’EPFL? L’expérience, maître, à sens unique, sur une salle quoique récente, démontre que la remplie de centaines d’étudiants. Les préparation d’un cours en ligne, très supports de cours passent des feuilles volantes aux ouvrages de réfé- laborieuse, améliore évidemment aussi le cours en classe. De surcroît, rence, souvent standard et écrits, en particulier dans le monde anglo- l’enseignant peut se concentrer sur l’interaction à forte valeur ajoutée saxon, par une des sommités du domaine. avec les étudiants, en mettant en ligne l’information statique qui en forme La graine d’une vraie révolution est, comme pour bon nombre d’autres la toile de fond. De l’avis des élèves, à l’EPFL comme ailleurs, le principe domaines, l’invention du web en 1989. L’internet démocratise défini- offre une façon plus efficace d’appréhender la matière. Plus naturelle tivement l’accès au savoir. Le succès d’une encyclopédie en ligne comme également, pour des jeunes qui passent une partie substantielle de leur Wikipédia en est la démonstration. Cependant, l’impact sur le monde temps en ligne. de l’éducation prend du temps. On assiste finalement, vingt ans plus L’un des potentiels les plus intéressants de la méthode est le suivant: tard, à une révolution en marche. en segmentant les cours en «atomes pédagogiques» de plus petites tailles (typiquement des vidéos de 10 à 15 minutes) avec la possibilité Pour la réaliser, on pourrait mettre le doigt sur toute une série de de vérifier la maîtrise de l’élève par des questions bien ciblées, tant technologies, comme la vidéo en ligne, Skype et autres réseaux sociaux. l’élève que l’enseignant améliorent leur interaction avec la matière Mais le pionnier est probablement Salman Khan. A ses heures perdues, enseignée. L’élève vérifie pas à pas sa compréhension, et l’enseignant en 2006, il enseigne les mathématiques à ses cousins sur l’internet, en peut voir, en se basant sur les réponses de milliers d’étudiants et donc combinant la palette des outils en ligne à disposition aujourd’hui. De de statistiques fiables, que la manière d’exposer le sujet est bien adapSchütze|rodeman akg-ImagEs

«L’université est un endroit où les notes de cours du professeur passent aux notes de cours de l’étudiant, sans passer par le cerveau ni de l’un ni de l’autre.» Mark Twain (attrib.)

L’EnSEIGnEMEnT En LIGnE POUr DES MILLIErS D’éTUDIAnTS EST POTEnTIELLEMEnT PLUS PErSOnnALISé.

L’Hebdo 20 décembre 2012

tée. Comparez cette méthode avec le cours ex cathedra devant plusieurs centaines d’étudiants dans un auditoire bondé. Le professeur professe, et l’étudiant surnage, démontrant qu’il existe peu de feed-back de l’étudiant au professeur, sauf bien sûr à la fin du semestre, lorsque l’examen final rend la sanction! Aussi paradoxal que cela puisse paraître, l’enseignement en ligne pour des milliers d’étudiants est potentiellement plus personnalisé et produit plus de réactions que le traditionnel cours en grand auditoire. Utiliser les forums qui s’organisent autour des cours en ligne pourrait aussi apporter un autre développement. De par le grand nombre d’étudiants, les plateformes de discussion sont très actives. Si un étudiant se perd et lance une question, il ne faut en général que quelques minutes pour que l’aide arrive. Et cela 24 heures sur 24! Les résultats pédagogiques sont loin d’avoir été analysés et leur compréhension prendra du temps. néanmoins, il est déjà clair que dans des sujets quantitatifs, il sera possible de suivre le progrès de l’étudiant de près, donnant à celui-ci accès à des informations ciblées pour améliorer sa compréhension avec une finesse impensable aujourd’hui.

Ne nous méprenons pas: ces démarches ne remplacent pas le

séminaire de petite taille, où les questions fusent, où l’enseignant développe la matière en interaction avec son auditoire, où, ensemble, les étudiants découvrent et l’enseignant explore le sujet enseigné. Et ne sous-estimons pas non plus les risques liés à la segmentation de la matière. Les grandes questions philosophiques ne se découpent pas forcément en particules élémentaires, et ce qui fonctionne pour l’apprentissage de l’algèbre ou de la programmation ne s’étend pas forcément à toutes les matières. La tendance à la productivité en toute chose, au travail à la chaîne au sens de Ford, atteindra probablement ses limites quand on décidera d’éduquer un être humain plutôt qu’un travailleur. Et quiconque a vu le merveilleux documentaire Etre ou Avoir sur une école primaire à classe unique en Auvergne saura qu’on ne remplacera jamais le maître par YouTube! revenons à nos MOOCs, qui font la une des journaux, et observons la boule de cristal. La prédiction est que le cours en ligne va remplacer le livre de cours. Ce qui signifie aussi que, sur un sujet donné, il ne restera que quelques cours dominants. Le cours en lui-même évoluera pour devenir une collection d’éléments d’information à disposition et se complétant pour créer une expérience éducationnelle nouvelle. Cela passera par la «tablette électronique», avec des exercices interactifs, des expériences «en ligne», etc. Le monde se divisera alors, comme pour beaucoup de domaines, en entreprises à buts lucratifs qui souhaiteront développer un marché, comme les maisons d’édition l’ont fait pour le livre de cours, et en institutions à buts non lucratifs qui travailleront – tout ou partie – pour le bien de l’humanité. Si l’on prend Wikipédia comme indicateur, les «humanistes» gagneront peut-être sur les «commerçants»! Que dirait Socrate de cette évolution? De fait, l’enseignant pourra se concentrer sur les éléments essentiels de son activité face aux élèves, c’est-à-dire la discussion, l’interactivité et le débat. En un mot: l’enseignement créatif. Un retour, en quelque sorte, à la méthode socratique!√

20 décembre 2012 L’Hebdo

Khan. A ses heures perdues, en 2006, il enseigne les mathématiques à ses cousins sur Internet, en combinant la palette des outils en ligne à disposition aujourd’hui. De courtes vidéos, avec des explications griffonnées sur une « tablette » et une pédagogie attrayante font de la Khan Academy un succès planétaire. Plusieurs milliers de vidéos sur des sujets divers ont déjà été vues près de 200 millions de fois. En 2011, des universités américaines, dont Stanford, se jettent à l’eau en offrant des cours en ligne gratuits similaires aux cours donnés sur le campus. La réussite est, là aussi, fulgurante, avec des centaines de milliers d’étudiants inscrits de par le monde. John Hennessy, président de Stanford, parle d’un tsunami qui déferle sur le monde de l’éducation, avec des conséquences imprévisibles.

L’EPFL, plutôt que d’observer passivement une révolution en cours, a tenté le pari de la participation : le premier cours en ligne, donné par le professeur d’informatique Martin Odersky sur le langage Scala, a conduit à près de 50 000 inscriptions et 20 000 étudiants ont terminé les sept semaines de cours et d’exercices. Une initiative de l’EPFL pour donner des MOOCs en français, particulièrement pour l’Afrique francophone, a reçu le support de la DDC, défi que les start-up californiennes ne vont probablement pas relever.

Dans le plus pur style californien, les start-up poussent comme des champignons, offrant des douzaines de cours donnés par les professeurs des plus prestigieuses adresses académiques. Et tout cela gratuitement. Si leur business model n’est pas clair, le grand nombre d’étudiants ne ment cependant pas : le potentiel est là. Une initiative parallèle, basée sur un modèle de fonda-

Ce mouvement est-il bien raisonnable ? Et qu’en est-il alors de l’offre sur campus à l’EPFL ? L’expérience, quoique récente, démontre que la préparation d’un cours en ligne, très laborieuse, améliore évidemment aussi le cours en classe. De surcroît, l’enseignant peut se concentrer sur l’interaction à forte valeur ajoutée avec les étudiants, en mettant en ligne l’infor-

tion à but non lucratif, edX, est développée par le MIT, Harvard et Berkeley. Bienvenue dans le monde des « Massive Open Online Courses » ou MOOCs, un acronyme un peu barbare dont il ne faudrait pas sous-estimer la puissance.

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mation statique qui en forme la toile de fond. De l’avis des élèves, à l’EPFL comme ailleurs, le principe offre une façon plus efficace d’appréhender la matière. Plus naturelle également, pour des jeunes qui passent une partie substantielle de leur temps en ligne. L’un des potentiels les plus intéressants de la méthode est le suivant : en segmentant les cours en « atomes pédagogiques » de plus petites tailles (typiquement des vidéos de 10 à 15 minutes) avec la possibilité de vérifier la maîtrise de l’élève par des questions bien ciblées, tant l’élève que l’enseignant améliorent leur interaction avec la matière enseignée. L’élève vérifie pas à pas sa compréhension, et l’enseignant peut voir, en se basant sur les réponses de milliers d’étudiants et donc de statistiques fiables, que la manière d’exposer le sujet est bien adaptée. Comparez cette méthode avec le cours ex cathedra devant plusieurs centaines d’étudiants dans un auditoire bondé. Le professeur professe, et l’étudiant surnage, démontrant qu’il existe peu de feed-back de l’étudiant au professeur, sauf bien sûr à la fin du semestre, lorsque l’examen final rend la sanction ! Aussi paradoxal que cela puisse paraître, l’enseignement en ligne pour des milliers d’étudiants est potentiellement plus personnalisé et produit plus de réactions que le traditionnel cours en grand auditoire. Utiliser les forums qui s’organisent autour des cours en ligne pourrait aussi apporter un autre développement. De par le grand nombre d’étudiants, les plates-formes de discussion sont très actives. Si un étudiant se perd et lance une question, il ne faut en général que quelques minutes pour que l’aide arrive. Et cela 24 heures sur 24 ! Les résultats pédagogiques sont loin d’avoir été analysés et leur compréhension prendra du temps. Néanmoins, il est déjà clair que dans des sujets quantitatifs, il sera possible de suivre le progrès de l’étudiant de près, donnant à celui-ci accès à des informations ciblées pour améliorer sa compréhension avec une finesse impensable aujourd’hui.

qui fonctionne pour l’apprentissage de l’algèbre ou de la programmation ne s’étend pas forcément à toutes les matières. La tendance à la productivité en toute chose, au travail à la chaîne au sens de Ford, atteindra probablement ses limites quand on décidera d’éduquer un être humain plutôt qu’un travailleur. Et quiconque a vu le merveilleux documentaire Etre ou Avoir sur une école primaire à classe unique en Auvergne saura qu’on ne remplacera jamais le maître par YouTube ! Revenons à nos MOOCs, qui font la une des journaux, et observons la boule de cristal. La prédiction est que le cours en ligne va remplacer le livre de cours. Ce qui signifie aussi que, sur un sujet donné, il ne restera que quelques cours dominants. Le cours en lui-même évoluera pour devenir une collection d’éléments d’information à disposition et se complétant pour créer une expérience éducationnelle nouvelle. Cela passera par la « tablette électronique », avec des exercices interactifs, des expériences « en ligne », etc. Le monde se divisera alors, comme pour beaucoup de domaines, en entreprises à buts lucratifs qui souhaiteront développer un marché, comme les maisons d’édition l’ont fait pour le livre de cours, et en institutions à buts non lucratifs qui travailleront – tout ou partie – pour le bien de l’humanité. Si l’on prend Wikipédia comme indicateur, les « humanistes » gagneront peut-être sur les « commerçants » ! Que dirait Socrate de cette évolution ? De fait, l’enseignant pourra se concentrer sur les éléments essentiels de son activité face aux élèves, c’est-à-dire la discussion, l’interactivité et le débat. En un mot : l’enseignement créatif. Un retour, en quelque sorte, à la méthode socratique ! ■ Source : L’Hebdo (décembre 2012)

Ne nous méprenons pas : ces démarches ne remplacent pas le séminaire de petite taille, où les questions fusent, où l’enseignant développe la matière en interaction avec son auditoire, où, ensemble, les étudiants découvrent et l’enseignant explore le sujet enseigné. Et ne sous-estimons pas non plus les risques liés à la segmentation de la matière. Les grandes questions philosophiques ne se découpent pas forcément en particules élémentaires, et ce 22

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Martin Vetterli est ingénieur, doyen de la Faculté informatique et communications de l’EPFL et, depuis janvier 2013, président du Conseil national de la recherche.


SUGGESTION DE LECTURE

Sebastian Haffner

HISTOIRE D’UN ALLEMAND, ACTES SUD, 2002 Traduction de Geschichte eines Deutschen, Deutsche Verlags-Anstalt, 2000

Jeune magistrat stagiaire à Berlin, issu d’une bonne famille bourgeoise, Haffner a vécu la Première Guerre mondiale comme enfant et l’intervalle précédant la prise de pouvoir des nazis comme jeune adulte. En 1938, il s’est exilé volontairement en Angleterre durant la Seconde Guerre mondiale. Le texte du livre fut commandé par l’éditeur Warburg mais ne fut pas publié. C’est après le décès de l’auteur que le manuscrit fut retrouvé. Il s’agit d’un témoignage unique par la qualité de l’interprétation donnée au glissement d’une démocratie parlementaire vers une dictature absolue. Au fond, le peuple allemand était le moins prédestiné du monde à cette régression, car il s’agissait de la société la plus policée, la plus créative, la plus civilisée du monde. Ainsi des adultes en pleine santé succombent parfois à une maladie foudroyante que rien ne laissait prévoir.

avec le passage de Christoph Blocher au Conseil fédéral. La stratégie d’un parti populiste consiste à utiliser les institutions existantes afin de les vider de leur contenu et, finalement, de les abolir. L’initiative qui sera votée en juin sur l’élection du Conseil fédéral par le peuple est exactement dans cette ligne. Certes l’histoire ne se répète pas. Mais souvent elle bégaie, elle retombe lourdement dans les mêmes ornières par suite de l’aveuglement des acteurs. La lecture des mémoires de Haffner constitue donc une bonne façon d’ouvrir grand les yeux sur ce qui se passe actuellement en Europe et spécialement en Suisse. ■ Jacques Neirynck

L’ascension d’Hitler s’est naturellement appuyée sur l’amertume de la défaite de 1918, que les Allemands attribuèrent à une trahison des élites. Dès lors un agitateur avait toutes les chances de créer un parti populiste qui finit aux dernières élections libres par collecter 44 % des suffrages. A partir de là, Haffner décrit comment l’Etat fut investi, comment les partis traditionnels, catholique, socialiste, communiste ne parvinrent pas à résister à la fascination des grandes liturgies nationalistes des nazis. En particulier, il est intéressant d’épingler l’argument qui fut utilisé à l’époque pour accepter les nazis dans les exécutifs : on en attendait une atténuation de leurs discours et une intégration avec les visées des partis démocratiques. C’est un argument couramment utilisé aujourd’hui en Suisse pour suggérer qu’un partisan de l’UDC s’alignera au contact du pouvoir avec la gouvernance traditionnelle : on sait ce qu’il en est advenu LA POLITIQUE 2 Avril 2013

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Pierre Veya

L’AVENIR D’UN MÉDIA DE QUALITÉ Les médias, en particulier les groupes de presse écrite, traversent une période de changements sans précédent dans l’histoire moderne. C’est une chance pour ceux qui font le pari de la pertinence et de la qualité (quels que soient les publics visés). Le Temps, né il y a tout juste quinze ans de la fusion du Journal de Genève et du Nouveau quotidien, titre que l’on situe dans le haut de gamme des médias d’information, aborde ces changements avec confiance, en dépit des difficultés inhérentes à toute évolution. Il vient tout juste de procéder à des choix, en recentrant son offre éditoriale sur ses domaines de compétences-clés. Il s’agit de la politique nationale/régionale, de l’actualité internationale, de l’économie/finance, de la science/technologie, de la société/culture et plus généralement de l’analyse (opi24

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nions/débat). Courageusement, il abandonne l’actualité sportive, qui migre de plus en plus vers des sites et chaînes TV spécialisés. Pour prendre une image, Le Temps recentre son offre éditoriale, au même titre qu’un magasin évalue la pertinence de son assortiment. L’époque où un média pou-


vait prétendre être compétent en toutes matières est révolue. Le lectorat, et c’est un fait très important, est de mieux en mieux informé par ses propres sources, accessibles comme jamais. C’est une révolution de la société du savoir que trop peu de médias ont encore intégré, voulant conserver une couverture très élargie mais sans plus être compétent. Au sein du Temps, nous sommes convaincus que la qualité d’une production journalistique ne se mesure pas au nombre de nouvelles diffusées, mais bien davantage à la qualité des approches qui préside à ses choix. Les médias, comme tant d’autres branches, n’échappent pas à la règle de la spécialisation. Pour prendre une autre image, les grands magasins ont disparu au profit de centres commerciaux plus spécialisés et de marques ou boutiques. Pour les groupes de presse, cette transformation est douloureuse car l’histoire récente les avait incités à étoffer leur offre pour capter un lectorat aussi large que possible. Cette rupture de tendance est intervenue avec l’émergence spectaculaire d’Internet, qui a d’un coup multiplié les domaines de concurrence. En quelques années, les groupes de presse ont perdu le monopole de l’information. Dans la même veine, la publicité qui finance en Suisse aux deux tiers leurs revenus s’émancipe des médias traditionnels. Les bases économiques en sont fragilisées et imposent des choix alors même que les lecteurs exigent de pouvoir être informés en tout temps et en tous lieux. C’est un fait, nous assistons sans doute à une nouvelle segmentation des lectorats, en fonction de leurs intérêts et pratiques socioculturelles. Ne pas faire des choix, tenter de tout conserver par peur de perdre des lecteurs pourraient bien s’avérer la stratégie la plus risquée, même si elle est probablement la plus confortable à court terme. Pour un média comme Le Temps l’avenir est une formidable opportunité. La différence, la singularité et la spécificité sont des valeurs qui fondent notre démarche journalistique. L’innovation est pour nous une condition de survie. Innover dans le journalisme, c’est se donner les moyens d’interroger son époque en encourageant l’investigation, l’analyse et la critique. C’est développer sur les supports numériques des formats et compléments à l’information traditionnelle, telles que la vidéo, infographie animée, des galeries images et sons qui permettent de dire davantage que la seule narration écrite. C’est renforcer le rôle de l’information qui doit débusquer son ennemie, la communication qui ne dit qu’une partie des vérités mais avec un aplomb qui peut convaincre celui qui ne dispose pas d’outils critiques. C’est réaffirmer que le rôle premier du journaliste est de révéler des faits que tout pouvoir ne souhaiterait pas rendre publique. C’est construire des passerelles entre les savoirs, créer et stimuler le débat.

Au Temps, nous avons été les pionniers en introduisant un site Web payant qui devient aujourd’hui la norme des marques de presse de qualité dans un nombre grandissant de pays. Nous avons noué des partenariats avec des médias, non pas pour diminuer nos coûts, mais pour enrichir notre offre dans des domaines que nous jugeons essentiels. Si notre avenir se jouera dans le développement du numérique qui ouvre des possibilités nouvelles et quasi infinies, nous ne quittons pas pour autant le papier qui, selon nous, conservera des qualités irremplaçables, tels son confort de lecture et sa hiérarchie immédiate dans la présentation de l’information. Enfin, tout aussi important, et peut-être même essentiel, la rédaction du Temps fait le pari de la pertinence des contenus, d’une originalité assumée et considère a priori son lecteur intelligent et cultivé. Notre modèle, pour autant qu’il ne transige pas sur la qualité, a un avenir assuré. Mais il existe une menace, indépendante des contenus que nous produisons : la concurrence déloyale des médias dits de service public, soit le groupe SSR. En développant des sites Internet identiques à ceux des médias privés mais en bénéficiant d’un subventionnement massif par la redevance, ils exercent une concurrence à l’audience sur Internet de plus en plus intolérable. Plus grave, ces médias publics demandent à accéder au marché de la publicité, la première source de revenus des groupes privés. C’est un peu comme si les CFF se lançaient dans la création de chaînes de restaurants et d’hôtels en finançant leur développement par une taxe sur les titres de transport. La crise que traverse la presse est sérieuse mais, par bien des aspects, n’est guère différente de celle subie par d’autres secteurs, à la différence près que l’existence de médias de qualité a valeur d’une assurance pour le bon fonctionnement de la démocratie. La transformation du modèle économique de la presse pourrait devenir dramatique si les conditions de concurrence devaient demeurer déloyales. L’histoire économique a amplement démontré que l’innovation et la qualité ne pouvaient exister que dans un marché libre donnant à chacun des chances égales de grandir. La responsabilité intellectuelle des journalistes est engagée. Il leur appartient de défendre la pertinence des contenus. La responsabilité politique, elle, engage ses élus à défendre un cadre juridique et économique qui favorise la plus grande liberté et des conditions de concurrence loyales. ■

Pierre Veya est rédacteur en chef du journal Le Temps. LA POLITIQUE 2 Avril 2013

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Christine Bulliard-Marbach

RECHERCHE ET INNOVATION : LES VERTUS DE LA DÉCENTRALISATION

La récente révision de la loi sur l’encouragement de la recherche et de l’innovation nous permet de revenir sur les fondamentaux du succès de la place suisse de l’innovation : la décentralisation et l’encouragement selon le principe de bas en haut. Le fait que la Suisse est championne de l’innovation est connu : année après année, les classements européens et internationaux nous confirment l’excellente capacité d’innovation de nos entreprises et de nos hautes écoles réunies. Ce qui est moins connu en revanche – et à vrai dire à l’heure actuelle en partie inexpliqué – ce sont les raisons de cette bonne performance. La raison principale tient dans le fait que les dépenses des entreprises dans la recherche et le développement sont très importantes. Mais au niveau des conditions-cadres, une des forces importantes de notre pays est la décentralisation : nous savons que nous sommes plus forts quand nous cumulons nos atouts plutôt que d’essayer de les concentrer. Le débat sur la révision de la loi sur l’encouragement de la recherche et de l’innovation (LERI), qui s’est achevé en décembre 2012, l’a prouvé avec éclat. La grande nouveauté introduite par cette révision est la création d’un parc suisse d’innovation. Après plusieurs mois de débats, les deux chambres sont tombées d’accord sur le fait 26

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que ce parc devait voir le jour sur plusieurs sites dès le début, ces sites étant en réseau et collaborant avec les hautes écoles. Cette version décentralisée, que j’ai défendue tout au long des débats, est loin de la version initiale du Conseil fédéral, qui prévoyait la création du parc sur un seul site. Elle a subi les vives critiques des centralisateurs qui souhaitaient créer ce parc sur un seul site, arguant qu’une concentration sur un site permettrait une plus grande capacité d’innovation. Je suis convaincue que c’est faux et que le Parlement a pris une sage décision en impliquant les régions. Pour mieux briller au niveau international, le parc suisse d’innovation doit avoir des jambes solides et se reposer sur tous les territoires où la recherche et l’industrie collaborent déjà actuellement ensemble. La clé de l’innovation est de garantir la proximité entre recherche et entreprise. S’il avait vu le jour sur un seul site, le parc se serait distancié de moteurs d’innovation qui ne seraient pas implantés dans son environnement immédiat. Car chaque région innovante de ce pays à un profil particulier : les biotechnologies et les medtechnologies dans l’Arc lémanique, la pharma dans la région de Bâle et la microtechnique dans la région de Neuchâtel, pour ne prendre que ces exemples.

Les cantons garants de la décentralisation Les cantons sont maintenant chargés d’élaborer un concept de parc suisse d’innovation. C’est une excellente chose, car ce sont les acteurs les mieux placés pour garantir la décentralisation nécessaire au succès du parc. Le danger existe de


confondre l’approche décentralisatrice avec l’approche régionaliste. Mais les cantons semblent vouloir éviter cet écueil, en prévoyant de doter l’entité de deux poumons principaux autour des écoles polytechniques fédérales, chaque poumon étant entouré de satellites et j’espère bien que mon canton, Fribourg, sera l’un des satellites à graviter autour de l’EPFL de Patrick Aebischer.

humeurs du Parlement et son statut ne lui permet pas la même liberté d’action que le Fonds national suisse (FNS). La révision de la LERI n’a pas permis de remédier à ce problème. Les petites et moyennes entreprises innovantes de ce pays auraient pourtant clairement besoin d’une CTI plus forte et plus constante. C’est notre prochain défi. ■

Une autre clé du succès de la Suisse au niveau de l’action publique, c’est l’encouragement de la recherche fondamentale tel que pratiqué par le Fonds national suisse (FNS). Là, c’est le principe de bas en haut qui prévaut : le FNS ne dicte pas aux chercheurs leurs thèmes de recherche, mais il les soutient dans les projets de leur choix pour autant que l’excellence scientifique soit assurée. Cela garantit que les groupes de recherche soient passionnés par leur sujet et ne travaillent pas en service commandé. Et la passion, au même titre que l’excellence scientifique, est un moteur d’innovation incontournable. La révision de la LERI a confirmé la place centrale dévolue au FNS.

Prochain défi : la CTI De la recherche fondamentale à l’industrie, il y a toutefois un vaste espace que l’on appelle parfois la vallée de la mort. Car on ne compte plus les projets de recherche fondamentale qui ont échoué à ouvrir les portes de l’industrie. Il faut, pour survivre à cette vallée de la mort, arriver au bon moment avec la bonne idée et avec les bonnes personnes, si possible avec les ressources financières nécessaires. Et c’est là qu’intervient la Commission pour la technologie et pour l’innovation (CTI). Elle favorise les échanges entre scientifiques et entreprises, elle finance des projets communs et elle encourage l’entreprenariat. Mais notre politique est trop inconstante à l’égard de la CTI. Son budget varie en fonction des

Christine Bulliard-Marbach est conseillère nationale et membre de la Commission de la science, de l’éducation et de la culture. LA POLITIQUE 2 Avril 2013

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Theres Lüthi

MALADIE D’ALZHEIMER : PAS DE PROGRÈS À L’HORIZON La maladie d’Alzheimer est la forme de démence la plus répandue. D’après Alzheimer’s Disease International, la fédération internationale des associations qui se consacrent à cette maladie, 36 millions de personnes en souffrent dans ce monde, et la tendance est fortement en hausse (voir encadré). Déjà aujourd’hui, les cas de démence entraînent d’énormes coûts qui se montent à environ 1 % du PIB global. Cela représente donc un des plus grands défis du XXIe siècle, tant sur le plan de la santé, du social que de l’économie.

A ce jour, il n’y a pas un seul médicament capable de ralentir la maladie, et encore moins de la guérir. Jusqu’ici la recherche s’est focalisée sur un agrégat appelé bêta-amyloïde, considéré comme suspect n° 1 dans la pathogénèse de la maladie d’Alzheimer. Le bêta-amyloïde est un dérivé d’une protéine naturellement présente dans le cerveau. Des mécanismes encore inconnus conduisent à une dégradation anormale de cette protéine qui dès lors s’agrège et forme des plaques inertes d’amyloïde autour des neurones. Selon l’hypothèse en cours, le bêta-amyloïde est impliqué dans la réduction du volume du cerveau et responsable des déficiences cognitives y étant associées. De multiples indices parlent pour cette hypothèse dite de l’amyloïde. Par exemple, 5 % des cas de maladie d’Alzheimer sont héréditaires. Ces patients, atteints de la forme familiale de la maladie d’Alzheimer, révèlent des modifications dans le 28

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gène codant pour la protéine amyloïde, ce qui cause une formation exagérée de bêta-amyloïde. Dans ces cas, la maladie d’Alzheimer se déclare précocement, même souvent dès 45 ans. Les individus atteints du syndrome de Down présentent aussi un risque plus élevé de développer la maladie d’Alzheimer nettement plus tôt que la moyenne de la population. Cela s’explique par le fait que leurs cellules contiennent trois au lieu de deux exemplaires du chromosome 21 où se trouve le gène codant pour l’amyloïde. Ce surdosage conduit donc à une formation exagérée de bêta-amyloïde.

De nombreuses études sans succès Presque tous les médicaments qui se trouvent actuellement dans une phase avancée de développement ciblent ce fragment de protéine. Ils visent à réduire la production de bêta-amyloïde ou à éliminer les plaques inertes du cerveau. Malheureusement, jusqu’ici, ces études cliniques ont échoué l’une après


l’autre. Plusieurs tentatives de traiter des patients Alzheimer avec des substances attaquant les plaques d’amyloïde ont dû être interrompues. Certes ces substances permettaient d’éliminer ces plaques d’amyloïde des cerveaux malades mais elles ne pouvaient corriger d’autres anomalies biochimiques. Les fonctions cognitives de ces patients n’étaient pas meilleures que celles de ceux qui avaient reçu un placebo, c’est-à-dire une préparation sans substance active. Aucune amélioration ne distinguait le comportement journalier de ces deux groupes de patients.

Epidémie d’Alzheimer Alzheimer-Epidemie Die Veränderungen in der Bevölkerungsstruktur führen Les dazu, changements dass die Zahl dans derlademenzkranken structure de la pyramide Menschendes in âges Zuengendreront kunft stark wachsen une fortewird. augmentation Das Risiko, desan casAlzheimer de démence. zu Le erkranken, risque d’être steigt victime mit dem de laAlter maladie an.d’Alzheimer Über 95 Prozent augmente der avec Patienten l’âge. Plus sind de bei95Beginn % des patients der Erkrankung ont plus de über 65 ans65lorsque Jahre la alt.maladie Von dense70déclare. bis 74-Jährigen Le pourcentage sind etwa de patients 3 Prozent augmente betrofselon fen, von les den classes 80-d’âge, bis 84-Jährigen 3 % parmi etwa ceux 12 âgés Prozent de 70 àund 74 ans, von 12 den%90entre bis80 94-Jährigen et 84 ans, etüber plus25 deProzent. 25 % entre 90 et 94 ans. Dans Szenario: le monde, doppelt 36 millions so de viele personnes in 20souffrent Jahrende la maladie Weltweitd’Alzheimer. leiden rund 36 Aujourd’hui, Millionen Menschen presque la an moitié der Alzheid’entre elles mer-Demenz, vivent dans fastdes diepays Hälfte riches, davon 39 % lebt dans heute desinpays denàreichen revenu moyen Ländern, et seulement 39 Prozent14in%Ländern dans desmit paysmittleren pauvres. Einkommen Vu l’amélioration und nur du14niveau Prozent deinvie armen et duLändern. vieillissement Infolgededer la wirtschaftpopulation qui lichen en Entwicklung résulte, on prévoit und der que damit le nombre einhergehenden de patientsAlterung atteints der Gesellschaften wird sich die Zahl der Alzheimerkranken voraussichtlich etwa alle 20 Jahre verdoppeln:

Agir plus tôt contre la maladie ? Il y a deux possibilités d’interpréter ces résultats négatifs. Quelques experts considèrent que l’on devrait pouvoir commencer le traitement à un stade nettement plus précoce de la maladie. En effet, il est maintenant établi que les plaques d’amyloïde n’apparaissent pas du jour au lendemain. Il s’agit en fait d’un processus insidieux. On admet aujourd’hui que les agrégats inertes peuvent commencer à se former dans le cerveau déjà 25 ans avant l’apparition des premiers symptômes. Au moment où la maladie se déclare, le processus de dégrada-

2030 66 Millionenva sein, 2050 sollen es dann de la dürften maladieesd’Alzheimer environ doubler tous bereits les 20 115 :Millionen Laut 115 Schätzungen Schweizerischen ans 66 millionssein. en 2030, millions ender 2050. Selon les estiAlzheimervereinigung in der Schweiz etwa 110 000 mations de l’associationleben Alzheimer suisse 110 000 personnes Menschen mit Demenz. Bisdezum Jahr dans 2030 notre werden es vosont actuellement atteintes démence pays. On raussichtlich 200 000 sein. prévoit qu’elles seront 200 000 d’ici 2030.

Betreuung Forschung En Suisse, sur leund plan national, deux organisations sont acIn derdans Schweiz sind aufdenationaler Ebene zwei Organisatiotives le domaine la maladie d’Alzheimer. L’associanen Alzheimer im Bereich Alzheimer aktiv: Die Schweizerische tion suisse s’engage pour améliorer la situation de Alzheimervereinigung engagiert für dieetVerbesserung toutes les personnes atteintes desich démence soutenir les der Lebenssituation allerpar Betroffenen und unterstützt proches qui s’en occupent de multiples prestations. La Menschen Synapsis mit Demenz betreuenden Anfondation – par leund biaisdiede sie Recherche Alzheimer gehörigen zahlreichen Dienstleistungen. Die Stiftung Suisse RASmit – a pour but du soutenir la recherche fondamenSynapsis – Alzheimer Forschung sich tale et la recherche clinique dans leSchweiz domaineAFS de lasetzt maladie zum Ziel, dieetGrundlagenforschung und die klinische Ford’Alzheimer d’autres maladies neurodégénératives. schung auf dem Gebiet von Alzheimer und anderen neurodegenerativen Erkrankungen zu unterstützen. LA POLITIQUE 2 Avril 2013

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tion est déjà en pleine expansion et il n’est plus possible d’empêcher la perte de masse cérébrale. Il faudrait donc pouvoir agir plus tôt pour avoir des chances d’enrayer l’effet nocif des plaques d’amyloïde. C’est donc ce qui devrait être maintenant testé cliniquement. Ce n’est cependant pas évident car il n’est pas encore possible d’identifier avec certitude les patients qui se trouvent à un stade précoce de la maladie. Pire, aujourd’hui seules des analyses du cerveau après la mort permettent un diagnostic absolument certain de la maladie d’Alzheimer.

tats préliminaires indiquent par exemple que des altérations liées au vieillissement des vaisseaux sanguins ou que des réactions inflammatoires du cerveau peuvent jouer un rôle à l’origine et dans la progression de la maladie d’Alzheimer. On envisage également une corrélation entre le diabète et la maladie d’Alzheimer. En effet, certaines études indiquent que les diabétiques courent un risque deux fois plus élevé de développer la maladie d’Alzheimer. D’autres spécialistes considèrent qu’il faut prêter plus d’attention au fonctionnement et à la pérennité des synapses, les points de contact entre les neurones.

Il est aussi pensable que l’hypothèse amyloïde admise jusqu’ici soit fausse. Il est possible que la formation d’agrégats de plaques d’amyloïde ne soit pas une cause mais plutôt une manifestation secondaire à un processus pathologique encore inconnu. La relation de causalité entre les plaques d’amyloïde et la maladie d’Alzheimer est remise en question par le fait qu’une analyse post mortem ait révélé l’absence de ces plaques dans le cerveau de certains patients. Un autre argument infirmant l’hypothèse amyloïde est fourni par la démonstration que certaines substances capables d’éliminer les plaques n’altèrent cependant pas la progression de la maladie. Plusieurs spécialistes reconnaissent aujourd’hui s’être focalisés trop tôt sur une seule hypothèse, et avoir ainsi découragé des chercheurs talentueux de considérer d’autres mécanismes susceptibles de causer la maladie.

Afin d’évaluer tous ces nouveaux axes de recherche, la promotion de la recherche biomédicale doit être renforcée, y compris en Suisse. C’est une condition sine qua non pour avoir de meilleures chances de comprendre la maladie d’Alzheimer et d’autres maladies neurodégénératives, de les diagnostiquer assez tôt et de pouvoir envisager des possibilités de traitement. Par le biais de son programme Recherche Alzheimer Suisse RAS, la fondation Synapsis soutient la recherche fondamentale et la recherche clinique dans le domaine de la maladie d’Alzheimer et d’autres maladies neurodégénératives en Suisse. Elle encourage avant tout les travaux de jeunes scientifiques talentueux dans les universités et autres institutions de recherche de notre pays. ■

Alzheimer et le diabète A ce jour, la plupart des spécialistes sont d’accord qu’il est nécessaire de promouvoir d’autres axes de recherche. Des résul-

Theres Lüthi, Synapsis Foundation, est biologiste et membre de la rédaction scientifique de la NZZ am Sonntag.

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Ida Glanzmann-Hunkeler

Cinq motifs

pour une révision de la loi sur l’asile

Dysfonctionnement de la politique d’asile en Suisse En Suisse, il faut prendre de toute urgence des mesures en matière de politique d’asile. La durée moyenne d’une procédure d’asile s’étend sur plusieurs années, le taux de reconnaissance se situait entre 11 % et 23 % ces dernières années et l’année dernière le nombre de demandes a atteint avec 28 631 (+27 %) un chiffre record depuis la guerre du Kosovo en 1999 : la situation serait différente si la politique d’asile fonctionnait bien. C’est pourquoi il y a lieu de prendre des mesures ciblées afin de mettre de l’ordre dans la politique d’asile en Suisse.

Facilitation de la recherche de centres d’hébergement pour requérants d’asile Désormais, la Confédération peut utiliser sans autorisation ses installations et bâtiments à des fins d’hébergement des requérants d’asile pendant un maximum de 3 ans. Il est ainsi possible d’éviter de longues procédures d’autorisation liées à la réaffectation de bâtiments et de faciliter la recherche de centres d’hébergement pour requérants d’asile dont nous avons un urgent besoin. En contrepartie, les cantons concernés recevront à l’avenir un montant de 110 000 francs par 100 habitants, les incitant ainsi à mettre à disposition leurs terrains.

Accélération des procédures d’asile Le Conseil fédéral se voit accorder le droit de tester de nouvelles procédures d’examen des demandes d’asile, ceci dans le but de traiter les demandes d’asile dans le cadre d’une procédure rapide, pour autant qu’elles ne requièrent pas de clarification complémentaire. Il ne serait dès lors plus nécessaire de commencer par attribuer les requérants d’asile aux cantons. Cette démarche permettrait de centraliser les enquêtes. Les spécialistes seraient réunis dans les centres fédéraux pour requérants d’asile (avec le projet pilote de Zurich) pour examiner les cas d’asile, ce qui permettrait de prendre des décisions rapides. En outre, les délais de recours seraient raccourcis – en contrepartie, les requérants d’asile auraient droit à une assistance judiciaire gratuite.

Renforcement de la sécurité Le projet contient trois éléments qui accroissent la sécurité aux alentours des centres d’hébergement pour requérants d’asile. Premièrement, les cantons reçoivent de la part de la Confédération un forfait de sécurité qui leur permet de renforcer la présence policière pour garantir à la population locale une meilleure protection. Deuxièmement, les programmes d’occupation offrent aux requérants d’asile une activité appropriée, améliorant ainsi l’ambiance dans les centres d’hébergement et réduisant la criminalité. Troisièmement, des centres spécifiques sont mis en place pour les requérants d’asile récalcitrants. La marge de manœuvre de ces derniers est réduite à l’extérieur de ces centres, afin de ne pas compromettre la sécurité du voisinage. L’hébergement séparé profite avant tout aux requérants d’asile qui se comportent correctement, dans la mesure où ils ne sont plus victimes de d’agressions, de menaces, d’harcèlements sexuels ou de bruits.

Diminution de l’attrait de la Suisse comme terre d’asile L’année dernière, les demandes d’asile déposées en Suisse ont atteint le chiffre le plus élevé depuis treize ans. Cette montée en flèche est notamment imputable à la forte hausse des demandes d’asile émanant des ambassades ainsi que des objecteurs de conscience issus d’Erythrée. Tous les Etats européens interdisant le dépôt de demandes d’asile dans les ambassades, la Suisse veut faire de même dans le cadre de l’actuelle révision de la loi sur l’asile. Celle-ci précise en outre que l’objection de conscience ne constitue plus, à elle seule, un motif d’asile. Les personnes dont la vie et l’intégrité corporelle sont réellement menacées peuvent continuer de compter sur le soutien de la Suisse. ■

Ida Glanzmann-Hunkeler, conseillère nationale LU. LA POLITIQUE 2 Avril 2013

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LA CITATION

« Tout parti vit de sa mystique et meurt de sa politique. » Charles Péguy, Notre jeunesse

Ailleurs, Péguy revient sur cette idée en la formulant de façon encore plus radicale : « Tout commence en mystique et finit en politique. » Cette idée pesa lourd sur le destin du PDC : inventé sous le nom de catholique conservateur au XIXe siècle pour défendre la minorité catholique affrontée au monopole du parti radical, porteur des idées libérales de ce siècle de contestation, inséré dans la population réformée. Un siècle plus tard, le PDC avait deux conseillers fédéraux et partageait le pouvoir avec trois autres partis. Comme il n’avait plus de connexion ouvertement confessionnelle, il subit un déclin explicable. L’électeur suisse ne votait plus en fonction de sa religion, en partie parce qu’il ne la pratiquait plus avec la même fidélité. Il restait à substituer les valeurs chrétiennes à la confession : ce fut fait, sinon avec des résultats électoraux, du moins avec beaucoup de cohérence intellectuelle. Les succès à venir du PDC dépendront de sa fidélité à ces valeurs conjointes de responsabilité et de solidarité. Le danger résidera dans la nécessité de faire de la politique, d’adopter des positions tranchées dix ou douze fois par an sur des votations contestables et contestées. Le PDC, parti de valeurs, ne vivra que dans la mesure où il s’inscrit dans la mystique de celles-ci et ne succombera pas à la politique politicienne. Jacques Neirynck 32

LA POLITIQUE 2 Avril 2013


Franz A. Saladin

LE MANQUE DE MAIN-D’ŒUVRE DANS LES DOMAINES MINT AFFAIBLIT L’INNOVATION La Suisse doit sa prospérité en grande partie à sa capacité d’innovation. Si les cerveaux sont les levains de l’innovation, la formation en est le catalyseur. Cette analyse rend le manque de main-d’œuvre qualifiée dans les secteurs scientifiques et techniques préoccupants. La demande en spécialistes des domaines MINT (mathématiques, informatique, sciences naturelles et technique) a fortement augmenté depuis les années 1950 à cause d’un changement structurel profond de l’économie suisse vers une société du savoir axée sur la technologie. Une évolution que les hautes écoles et la formation professionnelle n’ont pas réussi à suivre.

A peine 10 % En Suisse, les étudiants ont tendance à préférer les sciences un peu moins exigeantes. Les personnes en formation penchent plutôt pour des métiers qui ne font pas partie des sciences naturelles ou de la technique. Seul un bon tiers des diplômes sont décernés dans les domaines MINT et la part des enseignantes (noter le féminin) pour une matière des sciences naturelles ou de la technique au collège ou au gymnase s’élève à tout juste 10 %. Il est donc de plus en plus difficile de trouver des candidats ayant le niveau scolaire requis pour pourvoir une place d’apprentissage dans le domaine exigeant des professions MINT. Bref, le système dual de formation et le secteur MINT des hautes écoles souffrent tous deux du fait qu’en Suisse trop peu de jeunes s’orientent vers les domaines des sciences naturelles et des techniques. Besoin urgent de relève La place scientifique et industrielle suisse connaît un besoin urgent de relève si elle compte demeurer un modèle à succès. Les sciences naturelles et la technique doivent par conséquent redevenir plus attractives pour les diplômés talentueux, un intérêt qui peut être suscité par l’industrie (par le biais de campagnes) ainsi que par des mesures de politique d’enseignement. La chambre de commerce de Bâle-Ville et de Bâle-Campagne s’est emparée de ce sujet brûlant et a lancé avec succès une initiative d’encouragement de la relève dans les domaines des sciences naturelles et de la technique : la présentation spé-

ciale « tunBasel » dans le cadre de la Muba 2010. Venues de toute la Suisse, des initiatives d’encouragement réputées ont présenté des projets interactifs ; les élèves ont ainsi pu faire l’expérience passionnante de la formation et du travail scientifiques et techniques. Environ 150 classes et un nombre fort réjouissant de parents ont visité les 25 stands consacrés aux expériences.

Promouvoir les sciences naturelles Ce type de mesures doit cibler les jeunes élèves du primaire, car la phase déterminante pour le choix d’un métier se situe entre cet âge-là et la 15e année. En raison des échos particulièrement favorables rencontrés par la « tunBasel » lors de la Muba 2012 auprès des exposants, des élèves et de leurs parents ainsi que des médias, la chambre de commerce de Bâle-Ville et de Bâle-Campagne prévoit d’organiser une nouvelle édition de la « tunBasel » à la Muba 2014. ■ Vous trouverez plus de renseignements sous → www.tunbasel.ch (uniquement allemand) Franz A. Saladin est directeur de la chambre de commerce de Bâle-Ville et de Bâle-Campagne. LA POLITIQUE 2 Avril 2013

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Doris Bühler

LE DÉBAT SUR LES OGM DANS L’AGRICULTURE SUISSE EST OUVERT

Au niveau mondial, la superficie des cultures d’OGM augmente constamment : en 2012, 170 millions d’hectares étaient cultivées avec des OGM. En Suisse, un moratoire en interdit la culture jusqu’à fin 2017. Récemment, le Conseil fédéral a ouvert la consultation sur un régime de coexistence : le débat est relancé. Depuis qu’il existe, c’est-à-dire depuis les années nonante, le débat sur l’utilisation du génie génétique dans l’agriculture a toujours été émotionnel. Dans d’autres domaines, tels que la médecine ou l’industrie, il n’en a pas été ainsi. Le fait que l’insuline que s’injectent les diabétiques soit produite grâce à des microorganismes transgéniques n’engendre ni débats enflammés au Parlement ni actes de vandalisme par des activistes anti-OGM. Mais pourquoi tant de méfiance lorsqu’il s’agit de l’agriculture ? Il semblerait qu’au-delà du côté sacré de la nourriture, la peur d’une invasion par des plantes transgéniques de notre environnement est encore très répandue. Le programme national de recherche (PNR) 59 (www.nfp59.ch) sur l’utilité et les risques liés à la dissémination d’organismes génétiquement modifiés a conclu que les plantes génétiquement modifiées ne sont pas fondamentalement plus dangereuses, ni pour l’être 34

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humain, ni pour l’environnement, que des variétés de plantes traditionnelles. Par ailleurs, il a aussi conclu que même si les OGM actuellement sur le marché ne présentent pas d’avantages flagrants pour l’agriculture suisse, des variétés transgéniques pourraient un jour contribuer à sa durabilité.

Les défis de l’agriculture et de la filière alimentaire Aujourd’hui, la Suisse produit environ 55 % des calories qu’elle consomme. Notre agriculture ne nous permet donc pas de nous nourrir et nous dépendons, dans une large mesure, de la possibilité d’importer de la nourriture de pays étrangers. De plus, les buts de durabilité que l’agriculture suisse doit remplir sont ambitieux. Comment produire plus avec moins d’engrais, moins de produits phytosanitaires, en émettant moins de CO2


tout en préservant le sol de l’érosion ? La quadrature du cercle ne s’arrête pas là : le terrain à disposition de l’agriculture continue de diminuer, les incertitudes climatiques vont s’accentuer et l’Office fédéral de la statistique prévoit, pour la Suisse, une augmentation de 1,5 millions d’habitants d’ici 2050. Il est cependant clair que ni le génie génétique, ni aucune autre technologie, ne permettra à elle seule de résoudre les problèmes posés. Toutefois, l’accès à des variétés performantes, qu’elles soient conventionnelles ou génétiquement modifiées, sera une condition cruciale pour relever le défi. Des variétés transgéniques capables d’utiliser plus efficacement l’eau et les nutriments contenus dans le sol sont en développement et pourraient présenter des avantages intéressants pour les agriculteurs suisses. De même que des espèces résistantes à des ravageurs contribueraient à la diminution de l’utilisation de produits phytosanitaires dans les cultures. A la question légitime des risques, s’ajoutent donc celles des bénéfices offerts par le génie génétique et des coûts d’opportunité de son interdiction.

Le cadre fixé par la Constitution Au-delà de ces considérations, il convient de rappeler que l’interdiction d’une technologie n’est pas un acte anodin aux yeux de notre Constitution. La Constitution protège les êtres humains et leur environnement des abus du génie génétique. Dès lors, une interdiction du génie génétique dans l’agriculture dépasserait largement le cadre fixé par la Constitution et exigerait, le cas échéant, une modification de la Constitution.

tances d’isolement ou l’obligation d’annoncer sa culture aux autorités. Comme la loi le règle déjà, les OGM disponibles à la culture doivent avoir passé le filtre de l’autorisation, c’est-àdire que leur sécurité d’un point de vue de santé humaine et de préservation de l’environnement doit avoir été vérifiée. Afin d’intégrer un élément reflétant certaines voix en présence, le projet prévoit la possibilité de créer des régions sans OGM. Cette possibilité serait notamment envisageable lorsque dans une région donnée, les mesures de coexistence serait difficilement réalisables et que cela correspondrait à la volonté des producteurs de la région concernée. En prolongeant le moratoire jusqu’à fin 2017, le Parlement se donne un temps de réflexion supplémentaire quant à une décision sur l’utilisation des OGM dans l’agriculture. Avec la publication des résultats du PNR 59 l’an dernier, la base de discussion requise est désormais à disposition. En mettant un régime de coexistence en consultation, le Conseil fédéral signifie que la culture des OGM doit faire l’objet d’un débat de société dès aujourd’hui, dans le but d’apporter des réponses avant l’issue du moratoire. Il propose que si un OGM remplit les critères de sécurités définis, il conviendrait de laisser à chaque agriculteur la liberté d’évaluer, en tant qu’entrepreneur responsable, les risques et les bénéfices et de décider librement de son choix de culture. ■

Le régime de coexistence Sur la base d’un mandat défini par le Parlement, l’Office fédéral de l’agriculture et l’Office fédéral de l’environnement ont élaboré, en très étroite collaboration, un régime de coexistence qui se base sur les exigences sécuritaires déjà fixées dans la loi sur le génie génétique. Le paquet de réglementation proposé comprend une révision de la loi sur le génie génétique et une nouvelle ordonnance sur la coexistence. Les dispositions proposées permettraient la culture d’OGM tout en protégeant la filière de production sans OGM et en garantissant le libre choix du consommateur. Ainsi, un cultivateur qui souhaiterait planter des OGM serait tenu de respecter un certain nombre de mesures telles que des dis-

Doris Bühler, dr ès sc. EPFZ, est collaboratrice scientifique à l’Office fédéral de l’agriculture, spécialiste dans le domaine du génie génétique. LA POLITIQUE 2 Avril 2013

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Fabio Regazzi

ADATTARSI PER SOPRAVVIVERE:

LA FONDAZIONE AGIRE AL SERVIZIO DELL’INNOVAZIONE IN TICINO Plus de 55 000 frontaliers travaillent au Tessin qui ne compte guère plus de 336 000 habitants. Une nécessité et une ressource pour notre économie, mais également un risque pour certaines catégories professionnelles, confrontées au phénomène du dumping salarial et aux conséquences qui en résultent. Le Tessin ne saura faire face à la concurrence venant de l’Italie que grâce à sa capacité de favoriser l’innovation. Depuis quelques années est active la Fondation AGIRE (www.agire.ch), plateforme de partenariat public-privé pour le transfert des connaissances et des technologies, ainsi que pour la promotion de l’entreprenariat. La Fondation AGIRE est un instrument précieux à disposition de toute entreprise qui a l’envie et la nécessité de relever le défi de la concurrence par le biais de l’innovation.

Secondo le statistiche ufficiali nel Cantone Ticino entrano oltre 55 000 frontalieri. Un numero importante di persone per un cantone di poco più di 336 000 abitanti. Una necessità e una risorsa, da un lato, per la nostra economia, ma anche un rischio per alcune categorie professionali costrette a confrontarsi con il fenomeno del dumping salariale e le conseguenze che ne derivano.

La Lombardia: una sfida per il Ticino Per i ticinesi, al di là di talune sirene che invitano alla politica barricadiera, occorre da un lato difendere gelosamente la dignità professionale, lavorativa e anche salariale della nostra manodopera, ma anche fare di necessità virtù. Il Cantone Ticino, unico Cantone della Svizzera situato a Sud delle Alpi, rappresenta la porta d’ingresso verso il nord dell’Italia e si trova in posizione geografica strategica, crocevia del traffico commerciale europeo sull’asse Nord-Sud. La compenetrazione delle due realtà, quella ticinese e quella lombarda, sono ineluttabili e costituiscono tutto sommato anche un’opportunità se si raccoglie la sfida con ingegno e spirito imprenditoriale. Imprenditori e innovatori agli antipodi dei funzionari Da imprenditore attivo in politica, che ha oramai varcato la fatidica soglia dei 50 anni, sinonimo di esperienza, maturità e (per chi li ha…) anche di capelli grigi, è fondamentale poter continuare a confrontarsi con la comunità con cui passo una buona parte della mia vita professionale: quella degli innovatori e degli imprenditori, da sempre la forza propulsiva della nostra economia. Mi colpisce costatare quanto siano sempre più giovani questi nuovi capitani d’industria e quanto nel contempo il loro lavoro appaia distante dalle attività dei funzionari governativi chiamati a volte a regolare le loro attività. Trovandomi al pun-

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to d’intersezione tra l’amministrazione pubblica e gli imprenditori, penso sia necessario avvicinare gli uni agli altri.

«AGIRE», fondazione per l’innovazione regionale Appare sempre più chiaro che il Ticino saprà reggere la concorrenza italiana solo grazie alla sua capacità di supportare e dare spazio all’innovazione. È l'innovazione che può immettere nuova energia nella macchina dei nostri sistemi economici. Il Ticino lo fa da qualche anno anche per il tramite della fondazione AGenzia per l’Innovazione REgionale del Cantone Ticino (AGIRE), la piattaforma cantonale per il trasferimento delle conoscenze e delle tecnologie e per la promozione dell’imprenditorialità del Cantone Ticino. Gli attori sono il Cantone Ticino, l’Università della Svizzera Italiana (USI), la Scuola Universitaria Professionale della Svizzera Italiana (SUPSI), l’Associazione Industrie Ticinesi (AITI), la Camera di commercio del Cantone Ticino (Cc-TI), gli Enti Regionali di Sviluppo e la città di Lugano.

Diffusione delle conoscenze e dello spirito imprenditoriale a più livelli Tra i suoi scopi AGIRE persegue in particolare la diffusione nelle imprese e nel territorio del Cantone Ticino delle conoscenze e delle tecnologie per promuovere i processi innovativi che portano alla creazione di nuovi prodotti o servizi, di nuovi sistemi produttivi e di nuove modalità organizzative e di collaborazione, lo sviluppo di un più marcato spirito imprenditoriale, sostenendo la creazione di nuove aziende e favorendo la creazione di posti di lavoro qualificati e il sostegno allo sviluppo economico cantonale. Un esempio interessante di collaborazione fra enti a diversi livelli, che uniscono le forze e le competenze per stimolare la ricerca e l’innovazione. Nel mondo economico di oggi dobbiamo aggiornare le osservazioni di Charles Darwin e ammettere che non è il più forte della specie a sopravvivere, ma chi più si adatta al cambiamento. Una sfida questa che può essere vinta solo grazie alla capacità di innovazione e la Fondazione AGIRE costituisce lo strumento adatto per raccogliere questa sfida. ■ → www.agire.ch Fabio Regazzi è consigliere nazionale TI. LA POLITIQUE 2 Avril 2013

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Elisabeth Schneider-Schneiter

LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE : MOTEUR DE L’INNOVATION Le succès de l’industrie exportatrice suisse repose sur l’innovation. Une innovation qui est le résultat de longues années de recherche et de développement forts coûteux. Il va donc sans dire que les entreprises de notre pays dépendent d’un système bien conçu en vue de la protection de ce résultat : la propriété intellectuelle. Les récentes négociations sur un nouvel accord de libre-échange remettent en question cette protection. L’enjeu est considérable. Le but affiché de la politique extérieure suisse est de fournir à l’économie suisse un accès stable et sans obstacle ni discrimination aux marchés étrangers pertinents en dehors de l’UE. Les accords de libre-échange permettent l’élargissement ciblé de ce réseau et garantissent à l’économie suisse un accès au marché sans aucune discrimination dans tous les domaines pertinents. Actuellement plusieurs accords de libre-échange sont en négociation, y compris avec l’Inde. L’Inde a bien conscience de son importance pour l’économie mondiale et de son économie sans cesse croissante. Elle tente également de renforcer sa position dans le domaine de la propriété intellectuelle de manière à amenuiser la protection des brevets de notre industrie pharmaceutique au point de la rendre pratiquement inefficace.

Protéger le secteur dans le propre pays L’Inde justifie son attitude en affirmant que la population indienne indigente n’a pas accès aux médicaments à cause de la hausse des prix engendrée par les brevets. Une affirmation cousue de fil blanc. En réalité, ce pays asiatique émergeant cherche à protéger son propre secteur pharmaceutique. En effet, une grande partie du pays n’a toujours pas accès aux médicaments, bien que 38

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l’Inde dispose d’une forte industrie des médicaments génériques.

Le droit au brevet Il faut espérer que lors des négociations la Suisse ne transigera pas sur la protection de la propriété intellectuelle. Cette dernière inclut notamment que les droits des brevets s’appliquent à tout produit : qu’il ait été importé ou fabriqué localement. Elle inclut également la protection des données cliniques. L’absence de toute forme de protection des données cliniques constitue dans un grand nombre de pays une lacune flagrante dans la législation censée protéger la propriété intellectuelle. On observe cependant quelques tendances positives, la Chine et la Russie ayant adopté des réglementations dans ce sens. On sait aussi que dans 20 ans au plus tard la Chine profitera du résultat de sa propre recherche et de son propre développement. On peut s’attendre à ce que la Chine exigera alors le respect de sa propriété intellectuelle. Au fur et à mesure que l’Inde investira dans la recherche et le développement, ce pays se rendra compte que le moteur de l’innovation n’est pas gratuit. ■

idee

Elisabeth Schneider-Schneiter, conseillère nationale BL.


Yannick Buttet

2000 ANS D’EXISTENCE, L’ÉGLISE DOIT-ELLE (SANS CESSE) SE RÉINVENTER ?

L’élection d’un Pape est toujours un moment particulier, celui où l’ensemble de la planète attend la fumée blanche avec impatience, interrogation et espoir. L’élection de Jorge Mario Bergoglio, archevêque de Buenos Aires et cardinal, a, comme c’est souvent le cas dans le choix des Papes, surpris tant les croyants que le reste du monde. Le 266 e Pape a déjà prouvé sa simplicité et sa proximité avec le peuple tant dans le choix de son nom, François, faisant référence à St François d’Assise, que dans ses premières paroles et ses premiers actes. Le fait que le Pape François soit issu d’Amérique du Sud jouera aussi un rôle important dans ses choix et permettra une ouverture importante aux divers courants de l’Eglise.

2000 ans d’existence et une constance à toute épreuve L’Eglise a fait face à de nombreux défis et devra encore y faire face. Elle doit évidemment s’adapter à chaque époque en fonction des évolutions sociales et techniques mais elle a toujours su maintenir sa ligne. Elle saura aussi le faire avec François, prendre en compte l’air du temps sans y succomber. Personnellement j’espère aussi que l’Eglise jouera encore plus son rôle d’aiguillon et continuera à oser prendre des positions qui dérangent et interrogent. Finalement à nous renvoyer à nous-même, à nos valeurs et à notre manière de les vivre. ■ Yannick Buttet est conseiller national VS.

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btc

Magazine d’opinion. Numéro 9 / Novembre/Décembre 2010 / CHF 7.80 www.la-politique.ch

Input. www.la-politique.ch

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PASSÉ PRÉSENT FUTUR


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