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Parole d’expert Comment décider dans un climat d’incertitude

Comment décider dans un climat d’incertitude

Quand rien n’est sûr, vous, vous décidez comment? Dans le brouillard, il existe des stratégies pour savoir à quel moment aller de l’avant, prendre le temps de l’analyse, maintenir un axe ou en changer. Selon Arnaud Chevallier, professeur en Stratégie et théorie de la décision à l’IMD, nous pouvons tous améliorer la pertinence de nos choix.

TEXTE FANNY OBERSON FANNY.OBERSON@CVCI.CH PHOTO IMD

Faisons un saut dans l’Histoire… Imaginez la France, en 1944, dans un contexte de guerre mondiale. Les Alliés rassemblent leurs forces en vue de vaincre l’Allemagne nazie et de libérer les Français. Côté commandement allemand, la grande question est de savoir d’où va venir le danger. Le débarquement aura-til lieu à Calais, comme leur crainte du général Patton le fait penser aux Allemands ? Ou plus à l’ouest? Quand tout semble possible, il faut se préparer… à tout ! Ce qui est objectivement impossible. Ainsi, lorsque des mouvements inhabituels se précisent le 5 mai, l’Allemagne reste sourde aux demandes de renfort qui lui parviennent du terrain. Même le 6 juin, quand un contact visuel confirme l’arrivée des troupes alliées en Normandie, le Haut commandement nazi y voit une diversion… Et tout le monde connaît la suite.

Pour le professeur Arnaud Chevallier, l’exemple est parlant : « Dans ce cas historique, on constate à quel point la décision d’attendre a eu des conséquences, mais aussi combien les fenêtres d’opportunité peuvent se fermer rapidement. Bien sûr, quand l’incertitude est extrême, on avance dans le brouillard, et il est plus difficile de prendre une décision, mais les Allemands auraient pu être plus clairvoyants. »

Oui, mais de quelle façon? Pragmatiquement, pour améliorer votre prise de décision, l’expert conseille de cesser de penser de façon « déterministe » et d’opter pour une vision « probabiliste », puis d’observer comment les probabilités évoluent. « Sortir du carcan du tout blanc ou tout noir, en se montrant capable de changer d’avis, est le premier pas vers une décision plus pertinente, précise Arnaud Chevallier. Ensuite, il s’agit de penser à vos décisions comme si elles étaient des portes : à une voie quand le niveau de certitude est élevé, mais à deux voies quand l’incertitude est grande. Dans le second cas, il vaut effectivement mieux pouvoir revenir en arrière et bifurquer, avec peu d’efforts, si le contexte l’impose. Pour le dire autrement : il ne faut pas ‹suivre› votre intuition, mais plutôt ‹tester› votre intuition. »

À LA RECHERCHE DES INDICES CONTRAIRES

Puisque nous avons tous tendance à croire ce que nous voulons croire, nous devrions nous pencher sur les indices « contraires », ceux qui seraient à même de nous faire changer d’avis. «Cela peut se faire à l’intérieur de l’entreprise en construisant un groupe de challenging orders à qui l’on dit : ‹voilà mon raisonnement, aidez-moi à trouver les points faibles ou les failles›. Puis, sur cette base, on réévalue plus précisément ce que l’on ‹sait›, résume Arnaud Chevallier. Cela permet d’injecter de la flexibilité et de réellement tester notre intuition. Faciliter le processus en place aide, peu à peu, à gérer le brouillard. »

Dans un environnement géopolitique et économique instable, face à des défis complexes et inédits, conduire une entreprise n’est pas affaire de certitudes. Les crises récentes, la pandémie, la guerre en Ukraine et leurs effets collatéraux variés nous invitent clairement à mettre en place des outils pour améliorer chaque jour nos décisions. Comme Voltaire l’écrivait déjà en 1767 au roi de Prusse Frédéric II : « Le doute n’est pas une condition agréable, mais la certitude est absurde.» POUR EN SAVOIR PLUS :

Professeur à l’IMD à Lausanne, Arnaud Chevallier est notamment l’auteur de « Strategic Thinking in Complex Problem Solving » (Oxford University Press), et plus récemment de « Solvable: A Simple Solution to Complex Problems », co-écrit avec Albrecht Enders (Pearson Education Limited).