Trésor de Pirates

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Julie Kyndt

TrĂŠsor de pirates !

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1760. Quelque part en mer... – Non, mon brave, vous ne me semblez vraiment pas fait pour la navigation. Et encore moins pour la vie de pirate ! Ainsi parlait Babov, capitaine de l’Écumeur, l’un des vaisseaux pirates les plus craints sur les mers. Cet homme à la carrure imposante et à l’impressionnante barbe tressée avait fait escale avec son équipage dans le port de Tortuga, île des Caraïbes qui tenait son nom de sa forme de tortue. Mais derrière ce nom apparemment inoffensif se cachait le plus célèbre repaire de pirates, brigands et autres loups de mer peu recommandables. Officiellement, Babov y était venu recruter de nouveaux membres d’équipage. Mais la réalité était toute autre. Il cherchait surtout une tête bien faite 8


pour l’aider à déchiffrer la mystérieuse carte au trésor dont il avait fait l’acquisition récemment. Dans quelles circonstances ? Et bien, hum, comment dire... Il y a une loi qui interdit de parler des trucs pas très légaux dans les livres destinés aux plus jeunes, donc on ne pourra rien vous dire. Mais bon, c’était un pirate, donc vous voyez l’idée ! En tout cas, s’il y avait bien une règle à retenir dans le monde cruel de ces brigands des mers, c’était celle-là : toujours garder secrets certains projets, sous peine de finir dépouillé de toutes ses affaires et abandonné sur une île déserte. Babov conservait donc sur lui en permanence le précieux parchemin. À présent, le capitaine renvoyait à tour de bras les prétendants à la vie sur l’Écumeur. Pas un ne semblait avoir un peu plus de jugeote que les autres. Et celui qu’il avait justement devant lui, avec son teint verdâtre, ses traits tirés et ses cheveux lissés en queue de cheval ne lui inspirait vraiment pas confiance. Voilà pourquoi il l’avait écarté sans même lui laisser le temps de parler. Et bien lui en avait pris ! Car derrière ce visage ne se cachait pas une graine de pirate mais Roselius, un dangereux amateur de magie noire. Ce dernier n’avait même pas eu besoin de philtre ou autre sort magique pour prendre connaissance de l’existence du parchemin. Quelques lampées de rhum avaient 9


suffi à faire oublier à Stinson, le quartier-maître de l’Écumeur, ses vœux de discrétion. Une vie de pirate n’avait pas suffi au second de Babov pour apprendre à tenir l’alcool et il avait révélé l’existence du parchemin sans même s’en rendre compte. Sans plus attendre, Roselius s’était présenté pour faire partie des nouvelles recrues. Mais ce rustre de capitaine ne voulait pas de lui à bord. Il allait falloir ruser. Voilà qui tombait à pic, c’était sa spécialité...

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Un dimanche pas comme les autres

Tortuga, les palmiers, les pirates et les chasses au trésor, tout ça c’est très bien, mais c’est un peu éloigné de ce qui nous amène à ce livre pour le moment. Qu’est-ce qui nous amène à ce livre ? Tu le sauras bientôt... Pour l’instant, quittons les Caraïbes et rapprochonsnous du continent. Car notre histoire débute au Mans, une charmante bourgade de Mayenne. C’est là que réside notre héroïne, une intrépide jeune fille. Elle habite avec son père. Sa bonne humeur, ainsi que celle de sa petite chienne Tao comblent de joie le bel appartement. Ça commence à faire beaucoup de points communs, non ? Bon, inutile de faire durer le suspense plus longtemps, il est temps de passer aux choses 11


sérieuses : oui, c’est bien de toi que parle ce livre, Julie, car tu en es l'héroïne.

*** Du haut de ses neuf ans, Julie était une fille drôle et réfléchie. Elle menait la vie tranquille des filles de son âge. Par un beau dimanche d’automne, elle était chez elle, allongée sur son lit dans la petite chambre violette et plongée dans la lecture d’un album de Titeuf. Évidemment, cela ne devait pas durer car, quoi qu’elle fasse, son père était toujours sur son dos : quand elle regardait la télé, elle s’abrutissait, quand elle jouait à la console, elle se désociabilisait, et quand elle allait jouer dehors, elle risquait de prendre froid. C’est peut-être vrai, en fait, que son père se prend trop la tête avec les trucs d’éducation et tout ça, non ? Bref, son père trouvait que les BDs n’étaient pas vraiment de la lecture. Et ce dimanchelà, de toute façon, il avait décidé d’aller faire un tour dans une petite ville pas loin de chez eux. – On va à l’animalerie ? demanda la jeune fille, les yeux plein d’espoir, en relevant le nez de sa BD. Et non, le programme s’annonçait bien moins réjouissant. Quelle est la sortie du dimanche la plus ennuyeuse qui puisse exister au monde pour un 12


enfant (à part la visite de courtoisie à la vieille voisine ennuyeuse) ? Non, tu ne vois pas ? Une BROCANTE ! Que des vieux qui regardent des trucs vieux pour les acheter et les rapporter dans leur vieille maison... Malgré les protestations de Julie, qui râla, souffla et pesta, notre héroïne dut enfiler ses baskets bleues et son blouson à capuche. Elle grimpa ensuite à l’arrière de la voiture en soupirant. C’était une Nissan Leaf, un véhicule largement plus voué au transport d’un chien que d’une commode bancale, non ? Ce dernier argument ne fonctionna pas plus que les précédents et la voiture prit la direction du vide-grenier. Le trajet se fit en silence. La voiture ne mit guère plus d’un quart d’heure à rejoindre la brocante. Ça ne devait pas rater : de la voiture, avant même d’en être descendue, Julie avait déjà repéré les meubles en chêne, les vases fleuris et les nains de jardin qui s’ébattaient sur le parking goudronné. Elle serra ses poings au fond de ses poches et attendit en grommelant que le temps passe. Son père s’émerveillait devant telle lampe en verre ou tel 45 tours poussiéreux. Les 45 tours, c’est l’ancêtre du CD, qui est lui-même l’ancêtre du mp3. C’est dire s’il était parti loin dans sa jeunesse. Julie, elle, traînait des pieds derrière sans même s’intéresser 13


aux étals. Elle eut soudain l’étrange sensation d’être observée. Se retournant, elle remarqua aussitôt un homme qui semblait tout maigre et tout fragile. Mais loin de faire pitié, ce physique lui donnait un aspect inquiétant. Les bras croisés au milieu de la foule qui semblait ne pas le voir, il fixait Julie de façon insistante. Gênée de croiser son regard, la jeune fille baissa les yeux et décida de poursuivre son chemin sans y prêter attention. Mais elle ne put s’empêcher de lui glisser quelques regards qu’elle pensait furtifs. À chaque fois, l’homme était en train de la dévisager. Plus Julie essayait d’être discrète, se cachant derrière une étagère ou se retournant brusquement, plus le regard de l’homme était insistant. Pendant ce temps, son père marchandait auprès d’un vendeur de cartes Pokémon, dont Julie faisait la collection. Même si elle était ravie de recevoir un petit cadeau, Julie espérait tout de même que cela ne durerait pas trop longtemps, car il lui tardait vraiment de s’éloigner. Sur une table, elle repéra alors un joli petit miroir de poche. Elle s’en empara pour observer ce qui se passait derrière elle dans le reflet. – Madame a fait un très bon choix, dit la femme à qui appartenait le miroir. Je le vends dix euros, huit pour une belle fille comme toi. Mais Julie n’eut le loisir ni d’entendre ce 14


compliment ni de discuter le prix du miroir. Alors qu’elle avait orienté le reflet en direction de l’inconnu, elle croisa son regard. Il lui faisait signe d’approcher de l’index. Julie sursauta si fort que ses pieds décollèrent presque du sol. Pourtant lorsqu’elle se retourna, l’homme avait disparu. Parmi ses nombreuses qualités, Julie avait la manie d’être très curieuse. – Je vais faire un petit tour de ce côté-là, dit-elle à son père en reculant. – D’accord, ne t’éloigne pas trop, Choupette. Julie se précipita dans les allées de la brocante. Qui était cet homme ? Désorientée au milieu des badauds, elle tourna la tête de tous les côtés pour le retrouver. C’était comme si le temps s’était arrêté. Le brouhaha de la brocante s’était tu et les odeurs de barbe à papa et grillades avaient disparu. Soudain, elle le vit qui s’éloignait d’un pas lent vers une sortie de la place. L’homme ne se retourna pas mais, au fond d'elle, Julie était sûre qu’il savait qu’elle le suivait. Julie déduisit que son père en avaient encore pour un bon moment dans leur négociation et s’élança à la poursuite de l’inconnu. Bon là, je dois à nouveau marquer une courte pause pour préciser, bien sûr, qu’il n’était pas dans les habitudes de Julie de suivre des gens qu’elle ne connaissait pas. Son père lui avaient bien appris et 15


répété qu’il ne fallait jamais parler à des inconnus. Mais cette fois-là, c’était différent. C’était comme une évidence. Elle devait aller lui parler. Lorsqu’elle le rattrapa, l’homme se trouvait debout derrière un baril. Alors qu’il lissait sa queue de cheval, un sourire énigmatique flottait sur son visage. Devant lui se tenaient retournés trois vieux gobelets en ferraille tout cabossés. D’un mouvement du menton, il fit signe à Julie d’approcher. La jeune fille s’exécuta, avec un sentiment très bizarre de peur et d’excitation. – Alors, ma grande, une partie de boneto, ça te dirait ? Comme Julie le regardait d’un air étonné, il poursuivit : – Regarde bien cette bague, dit-il en ôtant l’énorme anneau doré qu’il portait à la main droite. Julie y aperçut le motif d’un crâne et deux os entrecroisés. – Je la mets sous ce gobelet-là, au milieu, tu vois ? Ensuite, je les mélange, comme ceci, et tu devras me dire où est la bague. Tout en parlant, il commença à déplacer frénétiquement les gobelets. Ses mains virevoltaient au-dessus du baril. Dans l’air flottaient des senteurs étranges de bord de mer. Comme Julie semblait intimidée, il se lança dans une nouvelle démonstration. 16


– Et qu’est-ce que j’ai à y gagner ? demanda Julie. – Absolument rien. Mais je te mets au défi de retrouver cette bague... Il plaça à nouveau l’anneau sous l’un des gobelets et commença à les mélanger à toute vitesse. C’était vraiment très impressionnant, les gobelets semblaient véritablement voler au-dessus de la table. Julie, au maximum de sa concentration, luttait contre l’envie de cligner des paupières, elle sentait les larmes monter mais tint bon jusqu’à l’arrêt de la valse des gobelets. – Alors, où est la bague ? Julie était quasiment sûre qu’elle était sous le gobelet du centre. Elle n’avait pas quitté la table des yeux une seule seconde. Mais ce genre de manipulations était sûrement piégé. N’ayant rien à perdre ni à gagner, comme l’homme le lui avait à juste titre précisé, elle tenta tout de même sa chance et pointa de l’index le gobelet du milieu. – Dernier mot ? lui demanda l’homme. Julie hocha la tête gravement. – Es-tu prête à vivre une grande aventure ? dit-il en posant la main sur le gobelet choisi. Julie sourit. Ce monsieur n’avait pas dû connaître grand chose dans sa vie pour considérer ce jeu comme une grande aventure. Youpi ! Elle ne s’était pas trompée : la bague s’y trouvait bien ! 17


Encouragée par le regard de l’inconnu, Julie tendit la main pour s’emparer de la bague... « Bon voyage » furent les derniers mots qu’elle entendit.

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Un intrus à bord !

Même moi, l’auteur de ce livre, je serais bien incapable de raconter ce qui s’est véritablement passé ensuite. Cette partie-là du récit restera un grand mystère, car Julie elle-même ne saurait le décrire. Au moment où elle toucha la bague, le sol sembla se dérober sous ses pas et un immense tourbillon l’aspira. Comme un immense trou noir, le monde autour d'elle se mit à tourner et les images des personnes qui se trouvaient là s’estompèrent instantanément. Le visage de l’homme qui lui faisait face disparut et le sourire triomphant qu’il arborait fut la dernière image que Julie emporta avec elle avant de tomber dans un puits sans fond. Aucun autre souvenir, aucune autre sensation. Combien de minutes s’écoulèrent alors ? Lorsque Julie revint à elle et ouvrit les yeux, elle était allongée dans une pièce sombre. Elle fut

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soulagée d’avoir regagné sa chambre. Elle avait probablement fait un malaise et perdu connaissance. Bon, en vrai, ce n’était pas franchement rassurant de se dire qu’elle s’était évanouie. Mais le fait de se retrouver dans sa chambre l’était davantage : elle avait été secourue et son père l'avait ramenée à la maison, loin de cet inconnu malfaisant. Toutefois, le soulagement ne fut que de courte durée. Il y avait quand même quelque chose qui clochait dans cette pièce. Depuis quand sa chambre bougeait-elle ? Alors que ses yeux s’habituaient à la pénombre, elle commença à en distinguer peu à peu les contours. Très vite, elle dût faire face à un terrible constat : soit son père avait vraiment dévalisé la brocante et décidé de redécorer la maison tout en boiseries, soit ce n’était pas sa chambre... Où étaient passés la lampe avion sur son bureau et les étagères pleines de livres ? D’où venaient toutes ces lattes de bois, ces poutres et ces cordes ? Et pourquoi la chambre continuait-elle de bouger ? Julie se redressa dans son lit sous le coup de la surprise. La pauvre n’était pas au bout de ses découvertes. Ce qu’elle avait pris pour un lit s’avéra être une sorte de toile. Elle s’en aperçut à peu près au moment où elle s’étala de tout son long, quatre-vingts centimètres plus bas ! Un hamac... Voilà qui était de plus en plus invraisemblable. Et cette pièce qui tanguait 21


toujours... Julie dût se résigner à admettre la triste vérité. Elle n’était pas dans sa chambre. La jeune fille ne comprenait rien à ce qu’il se passait. Quelques instants auparavant, elle se trouvait sur un parking du vide-grenier. S’adossant au mur pour réfléchir, elle réalisa à cet instant seulement à quel point l’endroit était loin d’être silencieux. Peut-être était-elle tout simplement dans une sorte d’infirmerie, dans un abri près du lieu de la brocante ? Mais ces bruits... Des vagues... Il n’était plus question d’en douter, elle était dans la cale d’un bateau ! Comment avait-elle pu arriver là ? Il n’y avait pas trente-six solutions pour le savoir. Pour commencer, sortir d’ici. De toute façon, elle n’allait pas rester éternellement dans cette cale sombre. Et puis la perspective de tomber nez à nez avec des rats l’effrayait encore plus que ce qui pouvait bien l’attendre dehors. Elle bondit sur ses pieds et commença à suivre en tâtonnant le mur auquel elle s’était adossée. Julie découvrit rapidement une petite porte, qui s’ouvrit sans difficulté. Ouf ! Au moins elle n’était pas enfermée, se rassura-t-elle. La porte débouchait sur un escalier, qu’elle gravit lentement. Visiblement l’installation de rampe n’avait pas été prévue par le constructeur de ce bateau. Julie s’accrocha au cordage qui pendait au-dessus de sa tête et réussit 22


tant bien que mal à gagner le haut de l’escalier malgré les remous. Une nouvelle porte lui fit face, plus lourde que la précédente. Mais la lumière qui filtrait dessous était encourageante : la sortie était juste là ! Julie donna un grand coup d’épaule et força de tout son poids pour réussir à la pousser. La porte céda et la jeune fille se retrouva à l’air libre. Aveuglée par la lumière du jour et assaillie par les embruns, elle porta les mains en visière sur son front et resta un long moment les paupières plissées. Elle se trouvait bien sur le pont d’un bateau. Cela faisait déjà un premier point de réglé. Toutefois, à la mine des hommes qu’elle aperçut, elle réalisa qu’elle n’était pas sur n’importe quelle embarcation. Bottes, barbes plus ou moins taillées, tricornes et foulards ne laissaient planer aucun doute : Julie était à bord d’un authentique bateau de pirates ! C’était encore plus fou que dans les livres. Elle n’eut cependant pas le temps de se poser davantage de questions car un cri s’éleva soudain : – INTRUS À BORD ! En une fraction de secondes, Julie se retrouva encerclée par une dizaine de pirates, ne sachant ce qui prêtait le plus à paniquer : leurs mines patibulaires ou la bonne dizaine de sabres et de poignards en tout genre qu’ils brandirent sous son nez. 23


– Qui es-tu ? – Que veux-tu ? – Comment es-tu montée à bord de l’Écumeur ? Julie se retrouva assaillie de questions sans même avoir le temps d’y répondre. C’était encore pire que la dernière interrogation orale de Madame Roussely. Comme avant de réciter une poésie devant toute la classe, elle prit une grande inspiration et souffla lentement. Mais qu’y avait-il de plus intelligent à répondre, sachant qu'elle-même ignorait complètement comment elle était arrivée à bord de ce bateau ? Si elle laissait paraître sa peur, elle ne donnait pas cher de sa peau. Si elle tentait un peu d’humour ou d’insolence, ces pirates allaient penser qu’elle se moquait d’eux et là, elle donnait encore moins cher de sa peau ! C’était fou, ça, voilà qui montrait bien que l’école n’apprenait pas tout ! Pourquoi on n’a jamais des cours d’éducation pirate à l’école ? Madame Roussely, (encore elle), aurait pu leur apprendre des choses un peu plus utiles que les divisions avec des virgules. Tout le monde les fait à la calculette de toute façon. Heureusement, Julie avait toujours adoré les histoires et les films de pirates. Elle était parfaitement au courant que les corsaires avaient un code et qu’ils étaient tenus de le respecter. – Je demande à être entendue par le capitaine. 24


Le silence se fit immédiatement sur le pont. On entendit les mouches, euh, les mouettes voler. – Très bien, je vais le chercher, dit alors un vieil homme en marmonnant dans sa moustache. Julie présuma qu’il s’agissait du second du capitaine. L’homme s’éloigna vers l’arrière du pont. Plusieurs minutes s’écoulèrent quand soudain... Poc, poc, poc... Le bruit d’une jambe de bois retentit sur le pont et Julie vit le vieil homme revenir en claudiquant près d’un individu impressionnant. Sa taille, sa barbe, son bandeau sur l’œil, tout en lui inspirait la crainte. Julie se demanda un instant si elle avait vraiment eu le meilleur des réflexes. Le capitaine tonna : – Qui donc ose venir troubler la sieste de Babov ? Avant que quiconque n'ait eu le temps de réagir, son visage se planta devant celui de Julie. Il ne semblait pas dans les meilleures dispositions. La jeune fille sentit qu’elle allait avoir intérêt à choisir les bons mots pour être convaincante. – Je m’appelle... – Jetez-moi ce rat de fond de cale à la mer, je n’ai pas besoin d’un demi-moussaillon à bord, encore moins si c’est une fille. Elle n’a rien à faire sur mon bateau ! Les pirates obéirent aussitôt : deux d’entre eux commencèrent à ligoter Julie à l’aide d’une grosse 25


corde. Quatre autres commencèrent à installer une planche par-dessus bord. C’était donc vrai, on faisait vraiment marcher les gens sur une planche avant de les jeter à la mer... observa Julie. Quoi qu’il arrive, elle n’était pas disposée à servir de goûter à des requins. Et surtout, ce livre serait un peu court si son héroïne se faisait jeter par-dessus bord dès le deuxième chapitre, non ? Alors qu’elle se débattait, quelque chose tomba au sol. La bague ! Sans s’en rendre compte, elle l’avait gardée serrée au creux de son poing depuis tout ce temps. Le capitaine fut frappé de stupeur en la voyant. Mais il se ressaisit très rapidement et rugit : – Où as-tu eu ça ?! – Je... je l’ai gagnée. À un jeu. – Tu l’as volée, oui ! Cet objet est à moi et je l’ai perdu à Tortuga il y a trois nuits de ça. – Mais non, je vous assure, je ne suis pas une voleuse. Peu convaincu, le capitaine récupéra sèchement sa bague et la remit à son doigt. Puis il se tourna vers son second : - Stinson, vous souvenez-vous avoir vu cette gamine à la taverne du Sabre d’Argent, l’autre soir ? – À dire vrai, je ne me souviens plus très bien de ce qui s’est passé ce soir-là... soupira le vieil homme. 26


Toutefois, si je puis émettre un avis, je dirais que cette petite pourrait bien nous être utile. Sauf votre respect, si elle est assez maligne pour voler une bague à votre propre doigt, elle le sera peut être assez pour déchiffrer le parchemin... Méfiant et inquiet, le capitaine baissa son regard vers Julie : – Tu sais lire ? – Oui oui, je suis même en CM1, dit Julie en hochant la tête avec vigueur. Stinson poursuivit : – Et depuis que vous avez fait passer par-dessus bord le mousse, ce navire manque un peu d’entretien. Une paire de bras en plus ne ferait pas de mal, aussi frêle soit-elle. Babov haussa les épaules et s’éloigna en soupirant. Julie était sauvée pour cette fois, mais la vie de moussaillon que lui réservaient les pirates risquait de ne pas être de tout repos !

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La vie en mer

C’est ainsi que Julie se retrouva mousse à bord d’un vaisseau pirate en moins de temps qu’il n’en faut pour dire : « Hissez la grand-voile ! ». À dire vrai, la jeune fille n’eut pas tellement l’occasion de réaliser ce qu’il lui arrivait. Comme elle savait lire, écrire et compter, Stinson lui colla instantanément un registre dans les mains et lui demanda d’aller faire l’inventaire de la soute à biscuits et à munitions. Ils se dirigèrent vers les cales arrières du navire et Julie compta des tonneaux, des paquets et des coffres par dizaines. Rapportant fièrement le livre des comptes au vieil homme, le seul commentaire d’approbation qu’elle reçut fut : – Bien, passons à l’avant du navire ! Julie baissa la tête et reprit son carnet. Apparemment la pause déjeuner n’était pas pour tout de suite. Son estomac semblait pourtant, lui,

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trouver qu’il était largement temps d’avaler quelque chose. Stinson la guida jusqu’à la soute aux cordages et voiles, où Julie dut se débattre parmi des mètres et des mètres de cordes, puis autant de voilages. Tout était entassé sens dessus dessous et Julie se surprit elle-même. Elle qui détestait en temps normal ranger sa chambre, eut à cœur de remettre en ordre toute la pièce. Elle démêla les cordes et les enroula soigneusement, plia les voiles comme son papa lui avait appris à plier les draps. Ces pirates n’étaient peut-être pas des pros du rangement, mais il leur tenait à cœur de connaître la quantité de vivres et de matériel qu’il leur restait à bord. Combien de temps Julie passa-t-elle au fond de cette cale sombre et humide ? Lorsqu’elle en ressortit, le soleil baissait déjà dans le ciel. Satisfait de son travail, Stinson l’autorisa à aller grignoter quelque chose dans la cuisine et lui indiqua où celleci se trouvait. Enchantée, Julie y courut, prête à dévorer tout ce qu’elle trouverait. Son estomac chantait plus fort que les mouettes. Mais elle déchanta vite en entrant dans cette cale où régnait une effroyable odeur de poisson et où s’entassaient des dizaines de bocaux au contenu peu ragoûtant : tortues, anguilles et autres crabes grouillaient. On était loin de Top Chef ! Écœurée, Julie ressortit précipitamment des cuisines. 30


- Déjà terminé ? commenta Stinson. Ça tombe bien, j’ai justement besoin de toi. Il lui colla dans les mains un seau d’eau savonneuse et une éponge. Julie ne put s’empêcher de sourire. C’était exactement avec ce genre de besognes ingrates que les livres et les films illustraient la vie du mousse. Mais ce à quoi ils ne se préparaient pas, en revanche, c’était à la difficulté de la tâche ! Ce n’était pas seulement long et rébarbatif, il fallait frotter fort évidemment, mais aussi travailler au rythme des remous du bateau et supporter les pirates qui passaient sans lui prêter attention et semaient ensuite leurs empreintes noires de crasse partout sur le pont, y compris là où Julie venait juste de nettoyer. Les ricanements qu’elle entendait dans son dos lui laissaient par ailleurs penser que c’était loin d’être innocent. C’était un travail si long et si fastidieux que Julie promit de ne plus jamais râler à l’idée de passer l’aspirateur dans sa chambre. Elle était surprise, cependant, de voir que derrière les rêves d’aventure qu’évoquait le mot « pirate », c’était surtout l’ennui qui régnait à bord. Les heures vides faisaient naître des bagarres entre les marins pour des petits riens. Malgré cela, ces heures passées à frotter lui donnèrent l’occasion de prendre un peu de recul sur la situation, ce qu’elle n’avait finalement pas pu faire depuis son « arrivée » sur 31


l’Écumeur. Bien sûr, elle se doutait bien que tout était lié à la bague et à l’inconnu. Mais, pour elle, tout ça relevait de la folie pure ! Depuis quand se retrouvait-on catapultée au pays du capitaine Crochet et consorts quand on touchait un truc ? Et surtout, où y avait-il moyen de trouver la notice pour le vol retour ? Très franchement, elle adorait les pirates et elle était ravie d’avoir vu en vrai la vie de ces loups de mer. C’était sympa sur une journée, mais là, les tâches ingrates, elle en avait son compte... Mais que faire ? Sauter à la mer et nager tout droit jusqu’à trouver une terre hospitalière ? Quand bien même, si elle parvenait à rejoindre le sol, il faudrait déjà qu’elle sache où elle était pour envisager de rentrer chez elle. Et en plus, à vue de nez, elle se trouvait surtout à un peu plus de quatrecents années de chez elle ! Julie était ainsi perdue dans ses pensées, lorsqu’elle fut tirée de ses rêveries par le Manchot, un pirate qui tenait son surnom de sa main gauche, qu’il ne détenait justement plus. Il venait la prévenir qu’elle était attendue pour faire le service dans la cabine du capitaine, où ce dernier et ses officiers prenaient chaque soir leur repas. À ce stade de la journée, elle ne rêvait que d’aller s’écrouler dans son hamac. Mais elle n’avait pas vraiment le choix de toute façon. Elle gagna donc la cuisine et attrapa la grosse soupière que lui tendit 32


Fillmore, un pirate un peu grassouillet dont les vêtements étaient couverts de taches de gras. Julie traversa le pont en tâchant de ne rien renverser et entra dans la cabine du capitaine. Six hommes y étaient attablés. Julie reconnut Babov et Stinson. Elle avait eu l’occasion d’apercevoir les autres au cours de l’après-midi mais ne les connaissait pas. En écoutant les conversations, elle comprit que se tenaient devant elle le charpentier, le maître canonnier, le maître de manœuvre et le maître voilier. La discussion semblait houleuse entre ces hommes. Ils se penchaient tour à tour sur un parchemin en émettant des théories hasardeuses. Julie avait toujours été curieuse et tendit le cou pour apercevoir l’objet de ces débats passionnés. Semblant soudainement remarquer sa présence, le capitaine la fit venir. – Et toi alors, voyons voir si tu es aussi maligne que tu prétends l’être. Viens donc jeter un œil làdessus ! Julie s’approcha craintivement et se pencha sur le parchemin. Julie était habituée à ce genre de codes, elle en voyait souvent dans les jeux de ses magazines préférés. Elle plaisanta : – Comme s’il y avait vraiment un endroit qui 33


pouvait s’appeler la Baie des Singes ! Babov et Stinson la dévisagèrent, interloqués. La jeune fille ne se démonta pas et poursuivit spontanément et du tac au tac : – On dirait que ce message me pose moins de problèmes qu’à vous ! Regardez, il suffit de lire de bas en haut et de droite à gauche. Tous les caractères avaient, en effet, non seulement été inversés, mais en plus retournés. Ce qui donnait, de façon plus lisible : LE COFFRE EST CACHÉ AU PIED DU COCOTIER À DEUX TRONCS DE LA BAIE DES SINGES Dans un moment d’égarement, le capitaine souleva Julie à bout de bras et la porta en triomphe. Grâce à elle, il allait pouvoir trouver le trésor qu’il cherchait depuis si longtemps. Pendant une fraction de seconde, la jeune fille crut qu’elle avait finalement réussi à trouver grâce à ses yeux. Mais c’était un pirate et on ne change pas un pirate comme ça ! Il la reposa brusquement au sol et étala sa carte de navigation sur la table. À l’aide de son compas et de sa boussole, il prit des mesures, que le maitre voilier lui confirma. Il sortit en hâte et hurla à l’entrée de l’escalier qui donnait sur le faux-pont : 34


– Tous à vos postes, marins d’eau douce ! Nous partons pour la Baie des Singes. Et que ça saute !

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Cap sur la Baie des Singes !

Lorsque le capitaine donna l’ordre de prendre la direction de la Baie des Singes, un véritable chœur de pirates s’éleva pour protester. Entre autres parce que le début de soirée avait été arrosé à grandes lampées de rhum et de chants de contrebandiers. Personne n’était contre l’idée de naviguer en pleine nuit, ce ne serait ni la première ni la dernière fois, mais la quasi impossibilité de distinguer les étoiles dans le ciel était loin de les rassurer. Tout d’abord, parce qu’il serait difficile de se repérer. Ensuite, parce qu’un ciel ainsi chargé ne laisse, en général, rien présager d’autre qu’une tempête. Les pirates préféraient donc ne pas se mettre en danger inutilement et attendre un peu de voir ce qui s’annonçait avant de lever l’ancre. Babov piqua une colère noire. – Je promets d’utiliser le chat à neuf queues sur le

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premier qui ferait mine de ne pas se mettre à son poste sur le champ ! Qu’est-ce que le chat à neuf queues ? C’est plutôt bon signe de ne pas le savoir, car c’est un fouet fait des neuf brins d’une corde. Julie remarqua avec amusement que, finalement, d’ici ou d’ailleurs, le monde tournait toujours de la même manière : avec des menaces de punition. Un peu comme quand son père la menaçait de la priver de sortie si elle n’obtenait pas une bonne note à un contrôle. Sans plus attendre, l’Écumeur mit donc les voiles en direction de la Baie des Singes. Pourquoi cette île portait-elle ce nom ? Nous ne tarderons pas à le savoir. La lune peinait à filtrer à travers les nuages et les marins se guidaient seulement à l’aide d’une boussole. Plus personne ne parlait, plus personne ne chantait. Seul le raffut des vagues qui venaient claquer contre le bois de la coque se faisait entendre. Ce bruit omniprésent se fit de plus en plus fort, de plus en plus oppressant. Une tempête se levait, comme tous l’avaient redoutée. – Capitaine, nous ne pouvons pas prendre le risque de nous rapprocher trop près des côtes. Les rochers nous briseraient plus vite que le Kraken* (créature à tentacules dans l’imaginaire scandinave) ! Mais Babov ne l’entendait, pas plus que la fois précédente, de cette oreille. Il avait cherché ce 38


trésor depuis de longues semaines déjà, et rien ni personne, pas même une tempête, ne saurait le faire renoncer à ce voyage. – Il me semblait que je commandais à la fine fleur des pirates. Mais peut-être me suis-je trompé ? Que ceux qui ne sont pas d’accord avec mes décisions sautent dans la première chaloupe ! Je n’ai pas besoin de marins de pacotille à bord de mon bateau, et encore moins de marins qui ignorent ce qu’est un ordre ! À ce moment précis, un éclair traversa le ciel et la tempête se déchaîna. Julie se mit à l’abri. Mieux valait ne pas valdinguer par-dessus bord : pas sûr que le capitaine aurait rebroussé chemin pour tenter de la repêcher dans la noirceur des flots ! De l’autre côté du pont, une clameur monta alors. D’autres pirates avaient besoin d’aide. N’écoutant que son courage et bravant les trombes d’eau qui lui fouettaient le visage, Julie rejoignit l’avant du bateau. Le clinfoc était en train de se défaire de son mât ! Sans cette petite voile, s’orienter sur les mers deviendrait carrément impossible. Autrement dit, c’était un ticket gratuit pour foncer dans les rochers. Il fallait la refixer avant qu’elle ne devienne complètement incontrôlable. Le Manchot donna une bourrade dans l’épaule de Julie : – Eh b’en v’là, tu vas avoir l’occasion de faire tes 39


preuves ! À ses côtés, un autre pirate répondant au nom de Lux ne put s’empêcher d’en rajouter une couche : – Comme je dis toujours, le mot pirate vient du grec ancien peiratês que l’on peut traduire par « celui qui tente sa chance ». Voilà une définition de circonstances... Terrifiée, Julie s’exécuta. Elle avait certes toujours eu goût pour le sport, mais son truc à elle, c’était plutôt la danse, pas l’escalade sur mât glissant ! Après s’être encordée, elle se hissa sur le beaupré, ce grand mât oblique à l’avant du navire, et commença à avancer prudemment. Le mât était plus glissant qu’une sardine huilée. De plus, le vent ne cessait d’envoyer de violentes bourrasques qui la déséquilibraient. Centimètre après centimètre, Julie parvint enfin au niveau du clinfoc et entreprit de se redresser. Si ses Nike montantes avaient fait l’admiration et éveillé la curiosité de la part des pirates jusqu’alors, ici, elles étaient carrément un handicap ! Pas résolue à les abandonner pour autant, elle les enleva prudemment et en attacha les lacets autour de son cou le temps d’escalader. Pieds nus, elle adhèrerait mieux au mât. Lorsqu’elle parvint à trouver son équilibre, elle entreprit de refixer la voile et fit plusieurs nœuds solides. Julie ne connaissait rien aux nœuds de marin mais 40


quelques doubles ou triples nœuds feraient bien l’affaire. Ne restait qu’un problème qu’elle n’avait pas anticipé, et pas des moindres ! Regardant sous ses pieds, elle aperçut les flots déchainés et fut pris d’un violent vertige. Comment avait-elle pu grimper si haut ? Elle était bien incapable de redescendre maintenant. Seule, bloquée en haut d’un mât, sans personne pour prêter attention à sa détresse, Julie sentit les larmes lui monter aux yeux. Une petite voix en elle lui murmurait que, si elle restait sur ce mât, elle allait continuer à se faire secouer comme un cocotier. Mais une autre petite voix lui disait aussi que si elle bougeait, elle allait s’écraser quelques mètres plus bas dans les vagues noires. Complètement paniquée, Julie commença à appeler au secours. Mais la tempête qui faisait rage couvrait sa voix et aucun des autres pirates ne l’entendit. Tous étaient par ailleurs bien occupés à d’autres tâches par la tempête. Bon, c’est peut-être le moment que moi, l’auteur de ce livre, j’intervienne. Ce livre t'a été offert pour Noël, et je m’en voudrais de gâcher la fête par une impressionnante scène de plongée dans les eaux glacées de l’Atlantique. Et hop, en trois coups de touche « effacer » sur le clavier, voilà notre héroïne délicatement déposée sur le pont du navire ! Julie n’avait qu’une envie, se mettre au sec et 41


attendre que le temps passe. On ne s’improvise pas pirate du jour au lendemain ! Elle fonça dans la soute à biscuits et se roula en boule derrière des tonneaux. Se pelotonnant pour se réchauffer comme elle pouvait, elle attendit que le bruit des vagues et le tumulte du bateau s’apaisent. De longues minutes s’écoulèrent, peut-être des heures... Combien de temps resta-t-elle prostrée ainsi ? Les éléments finirent par se calmer petit à petit. Épuisée par toutes les émotions de cette journée, Julie s’endormit sans même s’en rendre compte.

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Le trésor !

Lorsque Julie se réveilla, elle mit quelques instants à retrouver ses esprits. Une douce lumière filtrait à travers les lattes de bois. Elle eut un pincement au cœur en réalisant où elle se trouvait : tout ça n’était finalement pas un simple cauchemar... Néanmoins, elle eut la consolation de voir que la tempête s’était calmée. Sans enthousiasme, Julie se mit sur pied et gagna le pont. Elle dut mettre ses mains en visière pour ne pas être aveuglée par le soleil qui inondait les flots. La tempête semblait bien loin à présent, comme si rien ne s’était jamais passé ! Mais les traces de son passage étaient quand même bien visibles sur le bateau... Voiles à rapiécer, navire à regréer, les pirates étaient déjà à l’œuvre pour remettre l’Écumeur en état. Au sommet du mât principal, la vigie cria soudain : – Terre ! Terre !

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Jaillissant de sa cabine, Babov braqua sa longuevue vers l’horizon. Ce qui n’était au départ qu’une simple ombre se transforma peu à peu, et les contours d’une île commencèrent à se dessiner. Julie n’en croyait pas ses yeux. Plus le bateau se rapprochait des côtes, plus apparaissait une végétation dense et luxuriante : de grands palmiers et d’immenses arbres exotiques dont elle n’aurait même pas soupçonné l’existence bordaient la plage. Jamais à court d’anecdotes, Lux commenta à ses côtés : – C’est la Baie des Singes, une île découverte en 1748 par d’intrépides explorateurs qui cherchaient une nouvelle terre où s’établir... Mais Julie ne l’écoutait déjà plus, pressée d’aller explorer cette île sauvage. Babov était d’une humeur étrangement joyeuse. L’ancre fut jetée à proximité de la plage et les pirates mirent les chaloupes à la mer pour aller accoster sur un rivage de sable blanc. Quel soulagement ce fut pour les pirates de mettre le pied à terre pour la première fois depuis de longues semaines. Surtout après la nuit qu’ils venaient de passer ! Mais le plaisir fut de courte durée car, malgré sa bonne humeur, Babov restait un capitaine pure souche : – Qu’est-ce que vous attendez pour vous mettre au travail ? Trouvez-moi ce cocotier à deux troncs ! 45


Tels une volée d’oiseaux effrayés par un bruit, les pirates s’éparpillèrent sans demander leur reste et commencèrent à chercher l’arbre dont le mystérieux parchemin codé faisait mention. Julie accompagnait Fillmore et Le Manchot. Mais les explorateurs réalisèrent rapidement qu’ils étaient loin d’être seuls sur cette île. De chaque arbre et de chaque bosquet surgissaient d’intrépides petits singes. Malicieux, ces farceurs suivaient les pirates sans perdre une miette de l’exploration et se cachaient précipitamment dès que l’un d’eux faisait mine de tourner la tête dans leur direction. L’île était vaste et le cocotier à deux troncs risquait d’être difficile à repérer parmi toute cette végétation. Resté sur la plage, le capitaine bouillait d’impatience : ce maudit arbre se trouvait forcément quelque part ! Il touchait au but... Julie scrutait de tous côtés. Cette chasse au trésor était de plus en plus intrigante et excitante. Un singe plus curieux que les autres bondit brusquement sur ses épaules en poussant des cris stridents. Il trépignait et semblait vouloir lui montrer quelque chose. Julie lui donna une petite tape affectueuse sur la tête et se laissa faire en riant. Cette boule de poils était vraiment tordante. L’animal sauta à terre, fit quelques bonds et se retourna en criant. – On dirait b’en qu’la bestiole veut que tu la suives, 46


dit Le Manchot. Julie fit mine d’avancer. Aussitôt, le singe fila comme une flèche à travers la jungle et s’arrêta quelque mètres plus loin en se retournant vers elle. Oui, le primate semblait vouloir conduire Julie vers quelque chose, mais quoi ? N’écoutant que son instinct, la jeune fille s’élança derrière le singe. En chemin, elle décida de l’appeler Tao. Agile et preste, le singe bondissait et voltigeait entre les arbres, tandis que Julie soufflait et peinait à tracer son chemin au milieu des branches et des ronces. Ils avaient distancé depuis longtemps Fillmore et le Manchot et Julie n’était pas sereine. La dernière fois qu’elle avait suivi seule un inconnu, ça ne lui avait pas franchement réussi, et elle avait l’impression de s’enfoncer toujours plus loin au cœur de la jungle. Elle n’entendait plus le ramdam des autres pirates. Au détour d’un rocher, elle tomba brusquement nez à nez avec Tao. Pendu par la queue, la tête en bas, le petit macaque roux affichait un air triomphant lorsqu’il colla son visage à cinq centimètres de celui de Julie. En relevant la tête, la jeune fille aperçut alors le cocotier à deux troncs. Le singe venait de la mener tout droit à l’arbre tant convoité. – Tu es drôlement futé, toi, dit-elle, en gratouillant l’animal derrière les oreilles. 47


Puis elle mit les mains en porte-voix autour de sa bouche et cria aussi fort qu’elle le pouvait : – PAR ICI ! J’AI TROUVÉ LE COCOTIER ! Au loin, des cris de joie s’élevèrent. Les pirates ne tardèrent pas à affluer vers l’endroit d’où la voix de Julie leur était parvenue. Le capitaine Babov menait le cortège. Lorsqu’il vit l’arbre, il donna aussitôt l’ordre de creuser sans ménagement. Écrasés par la chaleur tropicale, les pirates commencèrent à retourner le sable avec ferveur. La pelle de l’un d’eux heurta soudain quelque chose de dur. Le coffre ! Sous le regard amusé des singes, le capitaine chassa aussitôt tous les pirates et se précipita sur le précieux coffret. Dégageant le reste de sable qui maintenait encore prisonnier le coffre, il s’en empara avec une joie semblable à celle qu’avait éprouvée Julie lorsque ses parents lui avaient offert son VTT ! L’empressement fit trembler les doigts de Babov. Venait-il enfin de mettre la main sur le trésor que tout bon pirate qui se respecte passe sa vie à chercher ? Mais alors qu’il débloquait les verrous et soulevait le couvercle, son regard s’assombrit aussi soudainement qu’il s’était allumé. Son sourire retomba et se transforma en un rictus crispé. Le coffre de bois ne contenait rien d’autre qu’un morceau de papier. Avec rien d’écrit dessus, en 48


prime ! Le capitaine chiffonna cette feuille et serra le poing de toutes ses forces. Il traita son équipage de tous les noms et jeta le coffre au loin, ivre de rage. Les singes, terrorisés, s’éparpillèrent dans tous les sens en hurlant. La décence m’empêche de reprendre ici les termes qu’employa le capitaine. Julie ne put s’empêcher de penser : « Dire que moi je me suis fait gronder quand j’ai dit C'est naze... ». Babov laissa tomber le parchemin et ordonna le retour au bateau. Dépités, les pirates rebroussèrent chemin jusqu’aux chaloupes. Sur la plage, Tao sauta sur les épaules de Julie. Le singe tenait entre ses pattes le parchemin froissé que le capitaine avait jeté. La jeune fille le fourra dans sa poche et se dépêcha de remonter à bord d’une chaloupe. Le singe semblait décidé à prendre la mer lui aussi car il ne quitta pas les épaules de Julie. Cette présence était rassurante. La remontée à bord de l’Écumeur s’effectua dans le silence le plus total, en contraste absolu avec les chants pirates qui avaient accompagné le débarquement à la Baie des Singes. Le capitaine était d’une humeur noire. Les pirates, découragés eux aussi, savaient parfaitement que le premier qui ferait un pas de travers serait pour Babov le moyen idéal de se passer les nerfs. Stinson demanda à Julie d’aller nettoyer les ponts inférieurs, ce qu’elle accepta presque avec soulagement. Se 49


faire discrète était tout ce qui lui importait pour le moment. Elle se dirigea donc vers les escaliers. Mais alors que la vigie signalait la présence au large d’un galion marchand, le capitaine, toujours fou de rage, décida de s’en prendre à ce navire pour se passer les nerfs. Piller un bateau, pour un pirate, c’est un peu comme aller faire du sport pour un humain normal, ça défoule. Toutes voiles dehors et gouvernail braqué sur le navire marchand, les pirates retrouvèrent aussitôt leur entrain naturel. Julie astiquait imperturbablement le pont inférieur, préférant rester à l’abri. En se contorsionnant pour atteindre le dessous d’une rampe, elle sentit quelque chose qui la gênait dans une poche. Elle plongea la main et en ressortit le parchemin trouvé sur l’île. C’était effectivement un simple morceau de papier qui, une fois déplié, se révélait vierge. L’Écumeur, entretemps, gagnait du terrain sur le navire marchand. – Sortez les canons ! hurla Babov. Une horde de pirates descendit aussitôt sur le pont inférieur pour préparer les canons. Julie se recroquevilla dans un coin, Lux passa près d'elle avec sa torche sans la voir. Un peu trop près, même. La jeune fille sursauta, surprise par la chaleur de la flamme qui venait de passer si près de son visage. Elle pesta après le pirate, qui l’ignora 50


complètement. Mais lorsque Julie reporta son attention sur le parchemin, elle constata avec surprise que le morceau de papier avait réagi à la chaleur de la flamme. Des courbes orangées commençaient à apparaître. De l’encre sympathique ! Comment avait-elle pu ne pas y penser ? C’était pourtant un procédé vieux comme le monde. Elle avait vu ça des dizaines de fois dans ses magazines : pour écrire des messages secrets, utiliser du jus de citron permettait de rendre invisible le message. Seule la chaleur d’une flamme pouvait ensuite en révéler les lignes. Julie bondit sur ses pieds et courut vers Lux. Alors que le pirate s’apprêtait à enflammer la mèche du premier canon, la jeune fille lui arracha la torche des mains et se précipita vers les escaliers pour regagner le pont supérieur. Babov s’y trouvait, la mine sombre et les bras croisés, attendant les tirs des canons. Se plantant devant lui, Julie passa délicatement la flamme de la torche sous le parchemin, en prenant bien garde de ne pas brûler le papier ! C’aurait été dommage, non ? Des arabesques orange se dessinèrent et le texte apparut bientôt. La surprise faillit décrocher la mâchoire du capitaine. Il arracha le parchemin des mains de Julie et stoppa immédiatement l’attaque en cours. Saisissant la jeune fille par l’épaule, il la guida jusqu’à sa cabine 51


sous les yeux ébahis des autres pirates... et des passagers du navire marchand, qui faisaient leur prière à peine quelques minutes avant ! Julie était soulagée d’avoir pu épargner à des innocents la colère du capitaine. Dans la cabine, son attention se reporta rapidement sur le parchemin. C’était un nouveau message codé. Une énigme dans l’énigme ! Voilà qui laissait à penser que le trésor devait finalement être très important ! Encore mieux que la carte Pokemon Argent n°84 ! – Tu peux déchiffrer ça ? demanda le capitaine avec inquiétude. – Ça n’a pas l’air trop compliqué, répondit Julie, en se concentrant sur le parchemin. Julie se doutait bien que chaque lettre était remplacée par une autre, mais elle ne parvenait pas à comprendre le mécanisme du code. Elle se frappa soudain le front avec la paume de sa main. La solution était sous ses yeux depuis le début. Hisse et oh devait se lire « I c’est O ». Et tous les I devaient être remplacés par des O, les J par des P, les K par des Q, et ainsi de suite. Avec un peu de gymnastique mentale, elle parvint alors à déchiffrer le message.

Hisse et oh ! 52


MUGOYF VLUWIHHC WIMNU XYF MIF Le capitaine la regardait réfléchir en silence depuis de longues minutes. Julie lui fit part de sa découverte avec fierté. Il fallait lire : SAMMY BRACCONI COSTA DEL SOL Babov sortit aussitôt sur le pont et hurla : – Tous à vos postes, marins d’eau douce ! Nous partons pour Costa del Sol. Et que ça saute ! Julie soupira, elle avait comme une sensation de déjà-vu...

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Incognito

Costa del Sol était à une journée de navigation. Le voyage fut donc l’occasion pour Julie de passer une nouvelle nuit à bord de l’Écumeur, pas forcément plus calme que la précédente cependant ! Pas de tempête au programme, cette fois, mais une effervescence incroyable à bord du bateau. Les pirates passèrent une bonne partie de la nuit à préparer leur débarquement. Ils abaissèrent le pavillon noir et, comme il n’est jamais facile pour des flibustiers d’arriver dans une ville sans y semer panique et pagaille, ils entreprirent également de se faire propre et de se déguiser en « hommes respectables » avec les moyens du bord. Le style loup de mer n’était en effet pas du meilleur effet, lui non plus. Tous les bandeaux, foulards, anneaux et poignards aux oreilles furent donc rangés dans les coffres. Avec un bloc de savon, ils se récurèrent et

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lavèrent leur blouse dans la mer. Cordages et mâts devinrent au petit matin de véritables étendoirs à linge. Julie en profita pour faire de même, son tshirt méritait bien une petite trempette après toutes ces aventures ! Pour terminer leur relooking, les pirates se peignèrent et se rasèrent, ce qui les rendit complètement méconnaissables pour certains. Le navire approchait des côtes de Costa del Sol lorsque les « marchands » furent enfin prêts. Le capitaine donna l’ordre d’accoster au port. Ses consignes étaient particulièrement claires : trouver Sammy Bracconi, ou ils seraient considérés comme fautifs et abandonnés sur une île déserte. La mer dissuadant de toute évasion et les chances d’être délivrés de l’exil étant plutôt faibles, la motivation était au plus haut chez les pirates lorsqu’ils débarquèrent à Costa del Sol ! Mais comme dit le proverbe : « Chassez le naturel, il revient au galop ». À peine avaient-ils mis un pied en ville qu’ils commencèrent à reluquer avec avidité les bijoux que portaient les femmes et à insulter quiconque osait les regarder avec un peu trop d’insistance. Évidemment, ils gardaient bien à l’esprit qu’il leur fallait retrouver Sammy Bracconi au plus vite : à bord du navire, le capitaine faisait déjà les cent pas. Mais tous débarquaient sans prévenir à l’intérieur des bâtiments en hurlant : 56


– Où est Sammy Bracconi ?! Qui peut nous renseigner ? Interloqués pour certains, terrorisés pour d’autres, les habitants ne répondaient que par des hochements de tête négatifs ou s’éloignaient rapidement en baissant la tête. Avec des pirates aussi bruts de décoffrage, crois-moi, même le vrai Sammy Bracconi allait se faire discret plutôt que de se risquer à suivre ces lourdauds ! Julie soupira et décida de mener l’enquête de son côté. Après tout, elle n’avait rien à se reprocher, elle. N’étant pas vraiment pirate, elle pouvait bien circuler comme bon lui semblait dans la ville ! Elle commença à interroger tous ceux qu’elle rencontrait sur son chemin. Certes, Julie s’y prenait de manière moins rustre que ses acolytes, mais sa tenue à elle, avec son jean et ses baskets, n’était pas du grand effet camouflage non plus. Les passants n’avaient pas peur d'elle, mais l’observaient plutôt comme une bête de foire. C’est alors qu’elle croisa le regard d’un jeune enfant qui lui indiqua du doigt une maison dans les hauteurs. Julie fit un signe de tête en remerciement et s’élança vers la petite colline où se tenait la bâtisse. En dehors de son isolement, cette demeure de brique et de bois était assez similaire aux autres bâtiments de la ville basse et ne dégageait rien de particulier. Julie n’était pas sûre 57


que le petit garçon l’ait réellement mise sur la bonne piste, mais c’était la seule qu’elle avait. Un peu essoufflée, elle parvint sur le perron et frappa à la porte résolument. Comme personne ne fit mine de répondre ou de venir ouvrir, elle actionna la clenche et pénétra dans une pièce sombre. Tous les rideaux étaient tirés. Les meubles étaient recouverts d’une épaisse couche de poussière et l’on n’entendait pas un bruit hormis le tic-tac entêtant d’une grosse horloge. – Bon... Bonjour ! lança Julie avec hésitation. – Qui va là ? répondit une étrange voix fluette. Julie ne put identifier d’où venait la voix. Cette dernière semblait sortir de tous les murs à la fois. – Je... je suis à la recherche de Monsieur Bracconi. – Qui le demande ? répondit à nouveau la voix. – Je m’appelle Julie. J’ai trouvé un parchemin codé dans un coffre. Il disait de venir ici, à Costa d... La jeune fille n’eut pas le temps de terminer sa phrase. Un homme était instantanément apparu devant elle. Il devait avoir au moins trois cents ans ! Malgré cela, il était incroyablement vif et avait bondi devant Julie en une fraction de seconde sans même que la jeune fille puisse savoir d’où il avait surgi. – Ainsi, tu as trouvé le premier coffre, dit l’homme. C’est bien ! Cela faisait longtemps que j’attendais 58


ce moment... Comme il n’ajoutait rien d’autre, Julie demanda : – Et... et donc ? – Tu es bien pressée, jeune chasseuse de trésor. Voici l’indice que je peux te donner : pour trouver le trésor, sois prête à t’appuyer sur les fondations et à buter sur de nombreux obstacles. Julie se pinça l’arrête du nez entre le pouce et l’index et prit une longue inspiration. Elle avait besoin de réfléchir. Et surtout, elle était à dire vrai, plutôt déçue de se retrouver ENCORE face à une énigme. Pas décidée à se laisser embobiner par ce Père Fourras avant l’heure, elle ouvrit la bouche pour rétorquer quelque chose. Mais lorsqu’elle releva les yeux, Sammy Bracconi avait disparu. Julie eut beau appeler et explorer la maison de fond en comble, il n’y avait plus nulle part trace du vieil homme. Comme si les lieux avaient toujours été déserts. Elle se retrouvait donc seule avec une énigme incompréhensible à résoudre... Qu’est-ce que c’était que cette histoire de fondations et d’obstacles ? Alors qu’elle était plongée dans ses pensées, un bruit la fit bondir. C’était Tao. Le petit singe était venu toquer à la fenêtre pour la prévenir de quelque chose. Une clameur montait en effet depuis la rue. Plus bas en ville, la présence des pirates avait été 59


démasquée. L’un d’eux n’avait rien trouvé de plus malin à faire que de déclencher une bagarre générale dans une taverne pour une histoire de verre vide. Et comme si ça ne suffisait pas, pour être sûr d’être tout à fait démasqué, il avait ensuite sorti de sa botte un poignard terrifiant. Aussitôt, la panique s’était déclenchée dans la taverne et répandue dans la ville : – Des pirates ! Démasqués, les pirates n’eurent plus à résister à la tentation. Sans plus attendre, ils commencèrent à remplir leurs poches de bibelots et de richesses. Certains firent même un petit tour dans les cuisines pour y embarquer quelques tonneaux de victuailles. « Chassez le naturel, il revient au galop », disaisje... La cloche d’alerte fut sonnée. Les miliciens n’allaient pas tarder à arriver, il fallait lever le camp. Les prisons de Costa del Sol n’étaient pas réputées pour laisser leurs résidents en ressortir si facilement et les brigands durent se résigner à prendre leurs jambes à leur cou avant d’être rattrapés par la milice. Direction : le port ! Avertie par Tao, Julie assista à la scène depuis la fenêtre du bâtiment dans lequel elle se trouvait. Elle vit avec effarement tous les pirates qui cavalaient pour rejoindre l’Écumeur. Allaient-ils l’attendre en constatant qu’elle n’était pas remontée à bord ? Ça 60


n’avait pas l’air parti pour. Ces brigands étaient bel et bien en train de l’abandonner là, sans un regard en arrière. Il avait bon dos, le code d’honneur dont on nous rebat les oreilles... Eh oui, en tant qu’auteur, je peux confirmer que ce que l’on lit dans les livres n’est pas toujours vrai. Mais là n’est pas notre sujet. Peut-être en ferais-je une thèse quand je serai vieille et que je n’aurai plus besoin d’aider une jeune héroïne à résoudre une énigme, trouver un coffre et courir vers un bateau, le tout en soixante secondes chrono avant que ce dernier ne lève l’ancre sans elle... Alors qu’elle paniquait à l’idée de se retrouver abandonnée dans cette ville, Julie se précipita vers la porte de sortie. En courant, elle buta dans un rocking chair, ce qui provoqua un bruit étrange dans son dos. Tout en pestant contre le genou qu’elle venait de cogner, elle vit en se retournant qu’une trappe venait de s’ouvrir dans le mur. L’obstacle ! La fondation ! C’était la clé de l’énigme de Sammy Bracconi, et elle venait de la résoudre involontairement. À l’intérieur de la trappe, sa main rencontra un coffre. Hourrah ! Pas le temps de s’autocongratuler ni même de l’ouvrir, alors que ce n’était pas l’envie qui lui manquait. Elle cala le précieux objet sous son bras et fonça vers la porte. Pour l’heure, tout ce qui lui importait, c’était de 61


rejoindre le port. Courant aussi vite que ses jambes pouvaient la porter, Julie atteignit le bateau alors que les pirates étaient en train de relever la planche d’embarquement. Elle sauta à bord juste à temps, avec la milice sur les talons. Ouf !

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On touche au but !

À ce stade de notre histoire, je ne surprendrai plus personne en disant que Babov s’empressa de féliciter Julie, tout en lui arrachant sans subtilité le coffre des mains pour l’ouvrir. L’éclat des rubis, émeraudes, pièces d’or et autres richesses qu’il contenait se refléta sur son visage. Un trésor ! Un vrai de vrai... Tous les pirates laissèrent éclater leur joie. Ils sautèrent, chantèrent, dansèrent, et portèrent Julie en triomphe autour du pont. Mais la jeune fille n’était plus tout à fait dupe : ces mêmes pirates étaient prêts à l’abandonner à Costa del Sol quelques instants plus tôt ! La fillette avait bien compris leur façon de faire : ils semblaient ne tolérer sa présence à bord que lorsqu’ils avaient besoin de son aide. Malgré la joie qui régnait à bord, Julie n’arrivait pas vraiment à savourer cette liesse générale. Sa

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« vraie » vie lui manquait. Avec toutes ces émotions et toutes ces aventures, tout cela lui était presque sorti de la tête. Le souvenir de ses amis et de sa famille venait brusquement de refaire surface. Allaitelle les revoir un jour ? Depuis combien de temps était-elle dans ce monde ? Tels des flashs, les images de sa vie se succédaient devant ses yeux. Un dimanche avec sa famille lui semblait à présent la meilleure chose au monde. Il FALLAIT qu’elle rentre, et tout de suite. Mais comment faire ? À ce moment-là, un bourdonnement assourdissant immobilisa tout le monde sur le bateau. Il provenait de la bague que Babov avait à son doigt. LA bague. Celle qui avait mené Julie jusqu’à l’Écumeur. Elle vibrait si fort que le capitaine dût utiliser son autre main pour tenter d’immobiliser son bras. Peine perdue ! La vibration se transforma en tourbillon et Babov fut projeté en arrière. Quelque chose venait de jaillir de l’anneau. Quelque chose ? Non, quelqu’un ! Lorsque le tourbillon se dissipa, Julie reconnut l’homme du boneto qui époussetait tranquillement ses vêtements. – Merci de m’avoir mené jusqu’au trésor ! s’exclama ce dernier en s’emparant du coffre, sous les yeux éberlués de tous les pirates. Babov mit un court instant à se remémorer où il avait déjà vu cet homme. Soudain, toute la scène lui 65


revint. La taverne de Tortuga ! C’était l’un des hommes qu’il avait écarté sans ménagement et qui s’était montré particulièrement insistant. – Rosélius, pour vous desservir, dit le voleur. Projetant avec force une petite fiole à ses pieds, il disparut dans un nuage noir, aussi soudainement qu’il était apparu. Le silence retomba sur le bateau. Rosélius s’était envolé, et le trésor avec lui. Les pirates, complètement abasourdis, mirent longtemps à sortir de leur torpeur. Tao entama alors une étonnante danse, bondissant partout et se frappant la poitrine de ses petits poings. Comme personne ne comprenait, le singe fila vers la cabine du capitaine et en ressortit avec sa carte de navigation. Se plantant devant les marins, il montra la Baie des Singes. Ce Tao n’était définitivement pas un animal comme les autres. – Je crois qu’il essaye de nous dire de retourner làbas, dit Julie. C’est sûrement là que se cache Rosélius. Allons-y ! Ce cri du cœur lancé par Julie fit émerger de leur torpeur tous les pirates et tous coururent à leur poste. Toutes voiles dehors, le navire fendit bientôt les vagues. Le vent était fort et favorable, voilà qui devait permettre aux pirates d’atteindre leur destination rapidement. 66


Julie, à l’avant du bateau, avait hâte de remettre la main sur ce vil personnage. Elle était furieuse contre cet homme qui s’était servi d'elle pour parvenir à ses fins. Il n’était pas question de le laisser s’évaporer dans la nature. D’autant plus que, si elle avait pu voyager entre les époques pour mener à bien son projet, c’était sûrement lui aussi qui détenait le moyen de la faire rentrer chez elle. La Baie des Singes fut en vue à la tombée du jour. Le soleil déclinant s’avéra un bon moyen d’accoster en toute discrétion. Plus remontés que jamais, les pirates partirent à la recherche de l’amateur de magie noire sitôt le pied posé à terre. Ils ne mirent guère longtemps à le retrouver : comme il se pensait en sécurité, Rosélius avait baissé sa vigilance. Le tintement des pièces du trésor qu’il brassait avec allégresse s’entendait de très loin ! En s’approchant, Julie découvrit l’entrée d’une grotte, dont les parois étaient illuminées par les reflets d’un feu de camp. – Il est là, murmura-t-elle à ses camarades. Les pirates entrèrent à pas de loup dans la grotte. Mais les ombres projetées par leurs torches alertèrent Rosélius. Tao se précipita vers lui et bondit vers son visage. Pas question de le laisser s’échapper à nouveau. Rosélius se débattait mais ne parvenait pas à se défaire du singe. Fou de rage, il regarda Julie et les pirates et, tendant sa main dans 67


une contorsion indescriptible, hurla : – Transforma simiaaaAAAaa ! Aussitôt, tous les marins furent métamorphosés en singes et la grotte pullula de ouistitis, chimpanzés, orangs-outans et macaques, hurlant tous plus fort les uns que les autres. Julie elle-même poussa un cri d’effroi en constatant qu’elle avait des pattes à la place des bras et des jambes. C’était donc là le secret de la Baie des Singes ! Tous ceux qui avaient tenté de s’opposer à Rosélius et de mettre fin à ses fourberies s’étaient vus transformés en primates... La situation devenait quand même catastrophique pour Julie. Être coincée dans un monde de pirates n’était déjà pas très rassurant mais être en plus transformé en singe, là, ça tournait franchement à l’impossible. Elle se força à garder son calme et à ne pas paniquer. En observant Tao, Julie comprit que, dans son malheur, elle était devenue plus rapide et plus agile qu’avec son corps d’humain. Elle bondit à son tour sur Rosélius, et commença elle aussi à essayer de le déséquilibrer. Elle fut vite imitée par les autres singes, qui se ruèrent à leur tour sur le brigand. À eux tous, ils parvinrent à lui faire mordre le sable. Dans sa chute, Rosélius heurta un rocher et s’assomma. Mais sa tête ne fut pas la seule chose à être cognée. Une autre fiole, dissimulée sous ses vêtements, se brisa ! La caverne 68


fut aussitôt envahie par une vapeur blanche et cotonneuse. Lorsqu’elle se dissipa, Julie et les pirates eurent la joie de constater qu’ils avaient retrouvé leur apparence normale. La jeune fille était soulagée de retrouver elle aussi sa forme humaine, un peu moins velue qu’en ouistiti ! Et juste à côté d'elle, Tao avait laissé place à... Paula ! Comment aurait-elle pu soupçonner que son amie avait été victime elle aussi d’un magicien ?! Elles tombèrent dans les bras l’une de l’autre et Babov tomba... le nez dans son trésor ! Au sol, Rosélius était toujours inconscient. Le Manchot entreprit de le dépouiller et s’écria soudain : – Qu’est-ce que c’est que ça ? La bague de Rosélius ! Comme une évidence, Julie sut que la clé de son retour dans son monde était cet anneau. Elle se précipita vers le Manchot et lui arracha l’objet des mains. – Ça, c’est mon billet retour pour chez moi ! dit-elle malicieusement. Tous les pirates sortirent doucement de la grotte, non sans avoir consciencieusement ligoté Rosélius, toujours inconscient. Qu’il se repose encore un peu ! Eh oui, le magicien ne le savait pas encore, mais il venait de gagner son pass pour prendre la relève de Julie comme mousse à bord de l’Écumeur. En chemin vers la plage, une incroyable surprise 69


attendait les pirates. Partout sur l’île, les singes étaient redevenus humains ! Des navigateurs, des marchands et même d’autres pirates jaillissaient des bois et s’aggloméraient un peu partout sur la plage, l’air hagard. Combien de personnes Rosélius avaitil donc ensorcelées ? Grâce à Julie, en tout cas, ce mauvais sort avait enfin été conjuré ! Tous allaient pouvoir reprendre le cours de leur vie. Dans le ciel, la lune était magnifique et laissait flotter une douce lumière bleutée. La jeune fille serra chacun des pirates dans ses bras. Même si ça n’avait pas été facile tous les jours, elle avait au cours de cette aventure tissé des liens forts avec eux. Même Babov se fendit d’une tape affectueuse sur le dessus de sa tête. Ce qui, en étude comportementale des capitaines pirates, était le summum du geste de tendresse. Julie adressa un clin d’œil à Paula. Les deux amies allaient à présent pouvoir rentrer chez elles. Et avec un dernier regard pour ses amis pirates, Julie passa la bague à son doigt...

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Julie se retrouva subitement dans sa chambre. Elle se toucha les bras, la tête pour vérifier qu’elle était bien entière. À nouveau, en dehors de l’immense tourbillon, elle n’avait aucun souvenir de la façon dont les choses s’étaient passées. Elle était bien de retour dans sa chambre et rien n’avait bougé. Tout était comme dans son souvenir. La bague, elle, avait disparu et il ne semblait subsister aucune trace de son aventure. Elle se précipita alors vers la porte de sa chambre pour courir voir sa famille. Une crainte la retint. Dans quel état allait-elle les trouver ? Combien de temps avait-elle disparu ? Depuis combien de temps la cherchaient-ils ? Julie se força à se calmer et décida de sortir tranquillement de sa chambre. Elle ne tenait pas à avoir l’évanouissement de son père sur la conscience ! Elle le trouva dans le salon, en train de chercher une 72


idée de sortie sur internet. Il leva la tête en entendant sa fille entrer dans la pièce, lui adressa un sourire affectueux et... replongea dans ses recherches ! Julie vint se placer derrière lui et plaça ses bras sur ses épaules, ce qui surprit son père. – Et bien, championne, on n’a plus l’habitude de te voir si câline ! Julie ferma les yeux et savoura ces retrouvailles en famille. Ce n’est qu’en regardant l’écran qu’elle comprit ce qui était en train de se passer ! Elle était revenue exactement au moment qui avait précédé le départ à la brocante. Son père en train de repérer cet événement sur Internet et il n'allait pas tarder, d’une part, de décider d’y aller ; d’autre part, de demander à Julie de venir avec lui. Amusée, mais un peu étonnée quand même, elle alla s’asseoir dans le canapé en attendant le moment fatidique et accepta l’invitation de son père avec plaisir, au grand étonnement de ce dernier. Il faut dire qu’elle avait tellement cru ne jamais le revoir qu’elle n’aurait pour rien au monde souhaité être séparé de lui tout de suite. Et surtout, pour « boucler la boucle » elle avait besoin de retourner là-bas pour croiser le vendeur. Une petite voix en elle lui murmurait que ce n’était pas possible, mais elle devait être sûre que Rosélius ne ferait plus jamais de mal à personne. Elle sauta dans la voiture et trépigna d’impatience 73


jusqu’à être arrivée au vide-grenier. Une fois sur place, Julie prétexta avoir vu un stand avec des bandes dessinées pour s’éclipser et foncer près de l’endroit où elle avait aperçu pour la première fois l’homme mystérieux. Elle constata avec soulagement qu’il n’était pas là. Malgré une pointe de déception, elle fut soulagée de constater que toute cette histoire était bel et bien terminée. Elle rejoignit son père.

*** À la fin de la journée, alors que le soleil déclinait, que les marchands remballaient et que la petite famille s’apprêtait à quitter les lieux, Julie aperçut sur un stand une maquette de bateau pirate qui ressemblait trait pour trait à celui à bord duquel elle avait vécu cette grande aventure. Elle décida de se l’acheter avec son argent de poche, en souvenir...

Alors Julie, la prochaine fois que tu vois un joueur de boneto, méfie-toi, tu es peut-être sur le point de vivre la plus incroyable des aventures !

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