La maison du loch
Ann Morton
La maison du loch
CreerMonLivre.Com Histoires et livres personnalisĂŠs
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Joyeux anniversaire !
Chapitre 1
Emma n’en croyait pas ses yeux. Elle avait ouvert ses volets sur un paysage à couper le souffle. Face à elle, une prairie en pente douce descendait jusqu’à un lac aux reflets d’argent sous la lumière automnale. La vue portait loin et la ligne d’horizon n’était brisée que par un banc de bois blanchi par le temps qui faisait face au lac, à michemin entre ses berges et le cottage où elle logeait. Elle entendait des moutons bêler sans les voir. Elle inspira profondément. L’air vif et sec lui piqua les poumons, mais la sensation ne fit qu’amener un sourire à ses lèvres. La veille au soir, elle était arrivée trop tard pour voir ne serait-ce qu’au-delà de son paillasson. Son vol pour Edimbourg avait été retardé pour cause de brouillard – une condition climatique pourtant des plus banales dans cette région du globe – et le temps de récupérer bagages et voiture de location, il était plus de 20 heures. Elle avait roulé lentement, hésitante, mal à l’aise aux
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intersections avec la conduite à gauche. Les ronds-points, notamment, lui semblaient particulièrement difficiles à négocier. Pour couronner le tout, la pluie tombait sans interruption, noyant un peu plus le paysage et les maigres repères qu'Emma espérait trouver sur sa route pour arriver sans encombre à destination. Deux heures plus tard, elle s’engageait enfin sur le chemin menant au domaine où elle devait passer ses vacances. Elle avait été accueillie par les aboiements d’un chien de berger invisible et avait fini par découvrir scotchée sur la porte du cottage qu’elle avait loué une note détrempée et dans laquelle le propriétaire des lieux lui expliquait dans un français hésitant qu’il avait eu à faire et n’avait pas pu l’attendre. La porte était donc ouverte et elle trouverait la clé à l’intérieur. Elle avait bien un peu maugréé sur ce manque de délicatesse. Si David Douglas s’imaginait qu’elle arrivait aussi tard parce qu’elle s’était amusée à s’arrêter en route pour photographier le paysage, et bien, il se trompait lourdement ! Et puis, où était passé le reste de la famille ? Tous en train de traire les vaches ? Mais une fois la porte poussée, sa mauvaise humeur s’était immédiatement dissipée. Le cottage était tout simplement douillet à souhait et le charme qui se dégageait des lieux allait bien au-delà de ce à quoi elle s’était attendue. Un feu brûlait dans la cheminée de la pièce dans laquelle elle venait d’entrer, projetant une douce lumière et une agréable chaleur. Un grand sofa de cuir un peu avachi lui faisait face, un plaid écossais délicatement plié sur son accoudoir. Emma avait laissé tomber son sac à ses pieds. Elle s’était 9
retournée pour fermer la porte et avait retiré ses chaussures humides. Elle avait hâte de faire le tour du propriétaire. Elle n’avait pas été déçue. À sa gauche se trouvait la porte qui menait à une cuisine de bonne dimension. Sur la table de chêne, elle découvrit le trousseau de clés promis et une bouteille de vin rouge débouchée. Finalement, ce Douglas n’était peut-être pas un rustre, s’était-elle surprise à penser. Ou sa femme savait recevoir, elle. Emma était revenue sur ses pas. De l’autre côté de la grande pièce, elle avait découvert une nouvelle porte qu’elle s’était empressée de pousser. Derrière se trouvait une chambre des plus ravissantes et sa salle de bains. Le lit, de bonne dimension, croulait sous des oreillers de tailles et formes variées. Une douce couverture angora aux tons pastels recouvrait élégamment la couette blanche. Une petite lampe de chevet à l’abat-jour liberty était allumée. Dans la salle de bains, l’enchantement perdurait : une grande baignoire, des murs lambrissés aux chaudes couleurs du bois, des serviettes de toilette moelleuses et un immense peignoir blanc ne demandaient qu’à servir. La pièce sentait le pin. Heureuse des résultats de son inspection, Emma était retournée dans le séjour. Installée confortablement, un verre de vin à la robe vermillon à la main, elle avait passé un long moment perdue dans ses pensées à fixer le feu sans vraiment le voir. Vers minuit, le bruit d’une voiture qui roulait sur les graviers
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de l’allée l’avait tirée de sa rêverie. Les aboiements du chien avaient de nouveau retenti. Une voix d’homme avait imposé le silence, un ordre bref avait claqué sèchement. Le calme était immédiatement revenu. David Douglas était donc rentré chez lui. Emma s’était levée, soudainement frissonnante et était allée poser son verre dans l’évier de la cuisine avant de rejoindre sa chambre. Elle s’était rapidement débarbouillée et avait enfilé son pyjama avant de se glisser sous les couvertures en laissant échapper un soupir de bien-être. Deux minutes plus tard, elle dormait déjà, étendue sagement sur le dos, comme à son habitude. Le matin suivant, donc, elle découvrait, ravie, que le paysage qui s’offrait à elle ressemblait à s’y méprendre à celui d’une carte postale. Le ciel portait encore les traces de la pluie de la veille. Le bleu en était délavé, presque blanc, et de pâles nuages y cheminaient lentement comme fatigués par leurs excès. Sur les bords du lac, les arbres au feuillage or et pourpre se miraient dans l’eau comme dans un miroir, et on ne savait plus, au bout d’un moment, où se trouvait la terre, où se trouvait le ciel. Il était, pensa-t-elle, difficilement envisageable de trouver lieu plus agréable et plus propice au repos. Elle avait eu de la chance d’atterrir là. D’autant que seul le hasard pouvait en être tenu pour responsable !
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Chapitre 2
Emma avait passé une année éreintante. Rien, ou presque, ne s’était déroulé comme elle l’avait souhaité. La promotion que son patron lui avait promise avait de nouveau été repoussée. Pire, elle avait bien failli se retrouver sans emploi, et, la mort dans l'âme, avait dû accepter une réduction de salaire pour conserver son poste. Sur ce, son Audi avait commencé à montrer des signes de faiblesse et le diagnostic du mécanicien avait été sans appel : il valait mieux acheter un nouveau véhicule que de réparer celui-là. Puis, les vacances qu’elle avait planifiées avec sa meilleure amie avaient dû être annulées à la dernière minute. En effet, Sarah était tombée en jardinant et s’était fait une méchante foulure. Comme à son habitude, elle avait préféré ignorer le mal et continuer de vivre comme si de rien n’était. Son comportement faisait la preuve d’un certain courage et d’une grande obstination, mais le résultat avait été désastreux. La foulure, loin de se remettre, avait empiré et Sarah s’était retrouvée hospitalisée d’urgence. Les médecins lui avaient recommandé un repos absolu et surtout une immobilité
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totale. Plus question, donc, d’aller se promener en vélo le long du Canal du Midi comme les deux femmes l’avaient initialement prévu. Emma avait proposé à Sarah de maintenir malgré tout ses jours de congé et de rester chez elle pour lui tenir compagnie, mais cette dernière s’était fermement opposée à cette idée. Vivre comme une infirme la déprimait suffisamment elle-même pour qu’elle n’impose pas cela à qui que ce soit, fusse sa meilleure amie. Emma avait opiné. Elles avaient beau être proches, si ellemême s’était retrouvée à la place de Sarah, il y avait fort à parier qu’elle se serait passée des services de son amie. Elle avait donc renoncé à l’idée de pédaler tranquillement au fil des écluses. L’été avait été un rien morose, Emma allant travailler sous un ciel gris et une pluie presque quotidienne, jour après jour. Arrivée en septembre, elle n’y tenait plus, elle avait un affreux besoin de changer d’air. Elle passa quelques soirées à pianoter sur son ordinateur, à la recherche d’une destination au soleil. Mais ces dernières, même hors saison, restaient hors de portée financièrement. Elle envisageait de se résigner lorsqu’un matin, au supermarché, elle saisit les bribes d’une conversation animée entre deux jeunes femmes. L’une d’entre elles avait passé les vacances de la Toussaint l’année précédente en Écosse et avait déjà réservé pour cette année. Elle commença par expliquer qu’elle préférait toujours reprendre le travail en ayant déjà en vue l’objectif de nouvelles vacances. Puis, elle justifia son choix, son amie n’ayant pas l’air convaincue par l’intérêt que pouvait présenter cette destination. « Bien sûr qu’il pleut ! Et alors ? Dans les Caraïbes aussi il pleut ! Et cela n’empêche personne de trouver cela génial ! » 13
Sa compagne afficha une moue dubitative qui n’échappa pas à l’amoureuse des lochs. « Mais je t’assure ! Une fois que tu as vu des paysages pareils tu ne peux que vouloir refaire le voyage. C’est la nature à l’état brut, c’est à couper le souffle ! La lumière change à chaque seconde, les lochs apparaissent au détour d’une route, sans que rien ne laisse supposer qu’un bijou pareil se trouve derrière le virage suivant, les poissons… » Les deux femmes s'éloignèrent des caisses avec leur caddie et Emma perdit le fil de leur conversation. Mais ce qu’elle avait entendu suffisait. Une nature brute… des lacs… une lumière inoubliable… Le soir même, de retour chez elle, elle lançait ses recherches dans cette direction. Elle trouva très vite des vols à des prix défiant toute concurrence. Visiblement, peu de gens trouvaient charmante l’idée de se promener en bottes et en ciré en Écosse à la mioctobre. Louer un cottage se révéla tout aussi facile. Celui qu’elle avait choisi était installé dans les dépendances d’une ferme, expliquait-on sur le site Internet des lieux. David Douglas et sa famille vivaient là depuis le XVème siècle. Il allait de soi que les lieux avaient été maintes fois réhabilités depuis cette lointaine époque. En fait, du château d’alors il ne restait que des ruines. La famille occupait ce qui avait été un jour lointain l’annexe des domestiques. On pouvait pêcher (ce ne fut malgré tout pas ce détail qui fit pencher la balance en faveur de Chon Farm) et le lieu était si isolé que les téléphones portables ne passaient pas. « Exactement ce qu’il me faut ! » avait alors pensé Emma. Elle se voyait déjà, seule, une tasse de thé à la main, enroulée dans un cashmere confortable, regardant la brume 14
matinale se lever sur le loch depuis la fenêtre de sa cuisine. Puis, des chaussures de randonnée aux pieds, elle arpenterait les collines des Midlands, son pique-nique dans son sac à dos. Elle trouverait de petits salons de thé à la charpente basse et à la lourde porte de bois où des gâteaux aux noms étranges et au goût sucré n’attendraient qu’elle. Elle serait seule, certes, mais cette solitude était volontaire, salvatrice, réparatrice. Là-bas, elle pourrait enfin reprendre son souffle et se retrouver un peu elle-même. N’était-ce pas à cela que servaient d’ailleurs les vacances ? Le soir même, les réservations étaient faites. Sarah avait éclaté de rire lorsqu'Emma lui avait annoncé la nouvelle. « L’Écosse ! Tu n’as pas eu assez de pluie cet été ? Cela te manque déjà après deux jours de semi beau temps ? Non, tu es impayable ! L’Écosse ! Mais ma chérie, c’est la déprime assurée ton plan ! » Emma n’avait pas cherché à contredire son amie. Elle connaissait son tempérament raisonnable, mais pour autant savait qu’il ne servait absolument à rien de chercher à la convaincre. Elle l’avait donc laissée parler sans plus avancer aucun argument en faveur de son projet. Le temps avait semblé s’écouler bien lentement jusqu’à la veille du départ. Emma ne pensait plus qu’à cela. L’Écosse, son histoire, ses mystères, ses légendes, ses lochs, ses châteaux hantés… Elle avait acheté quelques guides, mais aucun ne répondait vraiment aux nombreuses questions
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qu’elle se posait sur le pays et ses habitants. Son impatience grandissait. Elle avait fini par mettre la main sur le livre que le romancier Stefan Zweig avait consacré à la reine d’Écosse Mary Stuart et avait décidé d’attendre d’être sur place pour commencer sa lecture. Elle était persuadée que les mots prendraient une autre résonance, découverts au coin d’un bon feu de cheminée depuis un cottage avec vue sur la lande. La veille du départ, tout s’était accéléré. Emma ne retrouvait plus son sac de voyage. Sa trousse de toilette était raide d’un séjour prolongé dans un placard de salle de bains humide et ses chaussettes de randonnée semblaient avoir mystérieusement disparu. Bref, rien n’allait et elle était à deux doigts de perdre complètement la tête. Heureusement, elle était rentrée plus tôt que d’habitude ce jour-là et avait donc eu le temps de se précipiter dans la grande surface la plus proche de chez elle pour y acheter tout ce dont elle avait besoin. À minuit, excitée comme une enfant la veille de Noël, elle n’arrivait toujours pas à trouver le sommeil et se retournait en tous sens sur son lit. Résultat, il était plus de deux heures lorsqu’elle ferma enfin les yeux. La sonnerie du réveil la tira violemment, quelques heures plus tard, d’un rêve profond où il lui semblait bien qu’elle s’exprimait en anglais avec un fort accent écossais. Elle était à l’aéroport avec plus de trois heures d’avance sur l’embarquement. Le lendemain, sa journée commença donc par la découverte du paysage de Chon Farm s’étalant impudiquement dans
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l’encadrement de sa fenêtre.
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Chapitre 3
Il est difficile de dire ce qu'Emma attendait exactement de ce voyage. À à peine trente ans, elle vivait avec ses enfants. Les membres de sa famille, Camille, Agathe et John, menaient tranquillement leur vie et Emma, quant à elle, s’était installée dans une routine qui lui convenait la plupart du temps et lui pesait parfois. Elle partait travailler le matin, déjeunait au bureau d’un en-cas préparé par ses soins et rentrait le soir vers 18h00 pour retrouver le calme de son salon, ses livres, sa télévision et les opéras de Mozart. Ses proches téléphonaient généralement le dimanche soir pour s’assurer qu’elle allait bien. Et c’était le cas. Elle avait des amis fidèles, sur lesquels elle pouvait compter. Elle passait fréquemment ses fins de semaine en compagnie de l’une ou de l’autre de ses amies. Ces dernières commençaient à être envahies par des enfants bruyants et teigneux, les cheveux ébouriffés et le nez coulant. Mais qu’ils étaient attachants ! Elle était aussi régulièrement invitée à des mariages, à des soirées, à des kermesses et que sais-je encore. Il n’était pas
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rare qu’on essaye de la présenter à un jeune divorcé en mal de tendresse. Une ou deux fois, elle avait accepté une invitation à dîner. Mais cela n’était pas allé plus loin. Le divorcé ne tardait pas, après quelques verres de vin, à s’épancher sur les raisons de son divorce, le caractère odieux de sa femme une fois la ménopause passée, le tempérament égoïste de sa maîtresse, et Emma, très vite, se sentait gênée et légèrement dégoûtée par ces confessions qui ne la regardaient pas vraiment. Voir ainsi dépeinte une femme qu’elle n’avait jamais vue et dont elle ne connaissait que le nom lui laissait une sensation de malaise.. Le divorcé se voyait donc opposer une fin de non-recevoir lorsqu’il rappelait quelques jours plus tard pour dire combien il avait apprécié le dîner et combien il serait ravi de poursuivre la conversation. La solitude ne pesait pas à Emma. Malgré tout, depuis quelque temps, elle avait le sentiment que les choses lui échappaient, qu’elle passait à côté d’une partie de sa vie. Elle était dans la peau d’une princesse endormie qui frémissait dans l’attente du baiser du prince charmant. Mais si Sarah ou une autre de ses amies s’était permis de lui en faire la réflexion, elle se serait probablement contentée de hausser les épaules et de ne pas tenir compte de leur remarque. Non, ce n’était pas une présence masculine qui lui manquait, c’était autre chose. La vie, décemment, ne pouvait se résumer à cela : aller travailler, faire les courses, rentrer chez soi, écouter France Culture le dimanche et recommencer le lendemain, le jour suivant, et celui d’après. Il devait bien y avoir quelque chose de plus, de mieux, de différent, d’autre, à vivre, à faire, à expérimenter pour pimenter ce cycle. Cette légère insatisfaction ne lui faisait pas perdre le 19
sommeil. Elle agissait plutôt sur ses nerfs comme la piqûre du moustique : elle est de l’ordre de la gêne plus qu’un réel désagrément. Emma se prenait parfois à imaginer d’autres vies, d’autres amours, d’autres rencontres. Mais très vite, son bon sens reprenait le dessus. Si, dans les magazines féminins, il était de bon ton de prétendre que la vraie vie commençait à tout âge, Emma quant à elle pensait que le corps ne s’arrange pas en vieillissant, que les rêves ne sont pas plus grands après 30 ans et que la seule chose qu’elle avait apprise de la vie pour le moment, c’est qu’en y traçant sa route, on acceptait implicitement de renoncer à toutes les autres qui auraient pu se présenter. Si on avait demandé à Emma comment elle se voyait, elle aurait sûrement répondu qu’elle considérait avoir de la chance, qu’elle était heureuse et n’avait pas de raison de se plaindre. Mais la gêne était là, installée, même si elle n’arrivait ni à la localiser ni à mettre un nom sur cette légère impression d’un malaise persistant. Les vacances donc, seraient des vacances pour soi et de soi.
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Emma avait hâte de découvrir Chon Farm et les environs. Elle referma vivement la fenêtre et se précipita dans la salle de bains, son thé fumant à la main. Sa douche expédiée, elle enfila un pantalon de velours et un tee-shirt à manches longues et son pull en polaire. Elle brossa ses cheveux châtain clair et attrapa au vol ses chaussures en chemin vers la porte de l'appartement. Emma était une femme naturelle. Elle sortait souvent sans maquillage et prenait soin, souvent, de s'appliquer un soin régénérant pour la bonne forme de ses cheveux, c'était tout. Elle les avait juste coupés un peu plus courts avant les vacances et était plutôt satisfaite du résultat. Sur le seuil, battant de la queue à tout rompre et langue pendante, l’attendait le chien de berger qui avait aboyé la nuit précédente. Il se précipita à sa rencontre pour lui souhaiter la bienvenue de la manière la plus affectueuse qui soit. « Oh ! Attention le chien ! Regarde ce que tu fais ! » Ses avertissements tombèrent dans l’oreille d’un sourd. Il était plus que probable que l’animal ne comprenait pas le français et que même si cela avait été le cas, il n’avait cure des avertissements d'Emma. Il continua donc à essayer de poser ses pattes trempées sur les cuisses de cette dernière dans le vain espoir de parvenir enfin à lui lécher le visage. « Spice ! » Le chien s’immobilisa au son de la voix de son maître. « Stop ! » Docilement, l’animal reposa ses pattes au sol. Débarrassée de l’encombrant animal, Emma épousseta ses vêtements maintenant tachés avant de relever la tête. David Douglas avançait dans sa direction à contre-jour. Emma fut frappée par sa stature. Il était bâti comme un roc. 21
De larges épaules, un torse qu’on devinait parfaitement dessiné, l’homme, visiblement âgé d'une trentaine d'années, dégageait un tel sentiment de puissance que cela en était presque inquiétant. Elle ne put s’empêcher de jeter un rapide coup d’œil aux muscles de ses cuisses qui se laissaient deviner sous la toile de son jean. Lorsqu’il arriva à sa hauteur, elle découvrit l’éclat incroyable de ses yeux bleus, sa barbe mal taillée et lorsqu’il lui serra la main, elle crut qu’elle ne retrouverait plus jamais l’usage de ses doigts tant sa poigne était ferme. « Bonjour, désolé pour hier soir. Je ne pouvais pas attendre plus. » Son français était parfait, avec juste une pointe d’accent qui lui donnait un charme supplémentaire, se surprit-elle à remarquer. Emma sourit. Sans pouvoir se l’expliquer, elle se sentait déjà à l’aise avec ce parfait inconnu. « Je comprends, j’étais terriblement en retard. Merci pour la bouteille de vin ! Mais peut-être devrais-je remercier votre femme ? » Le regard de l’homme se voila. « Il n’y a pas de femme à remercier. » Sans plus de cérémonies, il la planta là et tourna les talons. Emma était mortifiée. C’était comme si on venait de lui claquer une porte sur les doigts. Peut-être avait-elle involontairement blessé son hôte ? Mais après tout, le site web précisait bien que les Douglas habitaient là depuis… elle ne savait plus combien de siècles. Sa méprise était donc compréhensible. Soudainement, une pensée lui traversa l’esprit. Elle était donc seule, sur ce domaine isolé, avec cette force de la nature. Un frisson lui parcourut l’échine. Elle n’était pas 22
certaine de vraiment apprécier la situation. Elle se secoua. « Je suis ridicule, marmonna-t-elle entre ses dents. Que pourrait-il bien m’arriver ? » À son tour, elle s’éloigna du cottage et prit la direction du lac.
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Chapitre 4
Lorsqu’elle franchit de nouveau la porte du cottage, il était près de deux heures. Emma avait marché, marché, marché, envoûtée par les paysages qu’elle découvrait et par la lumière étonnante que le loch reflétait. Elle avait d’abord rejoint ce dernier avant de commencer à le longer. Ses berges étaient couvertes de fougères luxuriantes, d’arbrisseaux, d’arbustes dont elle ne connaissait pas le nom et il lui était alors parfois difficile de progresser. Elle choisit de s’éloigner un peu, découvrit un sentier et se retrouva finalement sur une route goudronnée. Elle supposa qu’il s’agissait de celle qu’elle avait empruntée la veille pour se rendre à Chon Farm. Il ne devait pas y en avoir énormément dans ce coin reculé, songea-t-elle. Il n’y avait pas une voiture, pas un son humain. On entendait juste les feuilles frémir sous le poids de l’eau qui les couvrait encore et la forêt semblait soupirer de bien-être. Emma hésita un moment, puis décida de continuer en direction d’Aberfoyle, prochain village distant malgré tout de près de 15 km.
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Par moments, la route rejoignait le lac. À d’autres, elle s’en éloignait. Emma suivait ses méandres, toujours curieuse de voir ce qui allait se passer après le prochain virage. Elle n’était jamais déçue. Là, une habitation se cachait au bout d’une allée d’arbres et seule sa cheminée fumante la trahissait. Ici, un cheval broutait, son haleine se transformant en une légère fumée à chaque respiration. Plus loin, elle aperçut un cerf au ramage majestueux qui s’enfuit à son approche. Emma poursuivait sa balade, le sourire aux lèvres, oublieuse de la distance parcourue. Elle finit par arriver à une sorte de tout petit hameau, un regroupement de maisonnettes plutôt. L’une d’elles, dotée d’une terrasse sur pilotis, tournait le dos à la route et concentrait toute son attention sur le loch. C’était exactement le genre de « tea shop » dont elle avait rêvé ! Et une fois de plus, la surprise fut heureuse. L’intérieur était charmant et sentait bon la cannelle. Une femme d’une quarantaine d’années semblait régner sur les lieux et trônait derrière un bar de bois couvert de gâteaux qui avaient l’air plus délicieux les uns que les autres. Le menu, écrit à la craie, promettait des scones, des œufs brouillés et des sandwichs variés, sans oublier la soupe du jour. Il était pratiquement impossible de faire son choix dans tout cela. On avait envie de goûter à tout, de sentir les parfums des douceurs exposées, de se repaître de leur vue avant de les attaquer enfin d’un coup de fourchette gourmand et définitif. Sentant l’hésitation d'Emma, la patronne quitta son comptoir et s’avança à sa rencontre. « May I help you ? » Emma parlait un peu anglais. Pas suffisamment pour faire de grands discours, mais elle pouvait sans problème 25
commander un repas et entretenir son hôtesse sur ses mérites culinaires. Elle opina donc. « Yes. - Oh, mais vous êtes de France ! Paris, la tour Eiffel… » l’accorte aubergiste était tout sourire. Emma aussi. « Vous parlez français ? - Un peu, couci couça… » dit-elle en imitant avec la main le tangage d’un bateau sur le point de sombrer corps et âmes. Les deux femmes se mirent à rire. Et dans un mélange d’anglais et de français entamèrent une discussion des plus sympathiques. Trisha avait les cheveux roux, des taches de rousseur, quelques kilos de trop, le regard franc et le sourire affectueux. Elle vivait depuis toujours dans ce coin de l’Écosse, dans la dernière maison à droite en sortant du « tea shop » pour être plus précise. Bien sûr, elle avait voyagé : Aberfoyle, Stirling et même une fois, Edimbourg. Mais pourquoi aller ailleurs quand on était si bien chez soi ? Il y avait les gâteaux à préparer, la petite boutique de souvenirs à tenir, les enfants, le bateau pour la pêche et tant d’autres choses encore ! Et puis, le monde venait à elle, n’est-ce pas, sans qu’elle ait besoin de partir à sa conquête. Aujourd’hui, Emma avait poussé sa porte. Hier, c’était un couple de jeunes Australiens en voyage de noces. Et allez savoir ce qui se passerait demain ! Emma approuvait, enchantée de la rencontre. Elle comprenait tellement Trisha. Quand un lieu, une personne, vous offrait tout ce dont vous aviez besoin, pourquoi courir voir ailleurs si l’herbe y était plus verte ? La patronne des lieux finit par se secouer dans un rire. 26
« Je moi papoter, mais toi n’as rien bu ! » Emma passa donc commande en suivant ses conseils. Un thé, un sandwich maison au concombre et un gâteau au chocolat ne tardèrent pas à faire leur apparition sur la table. Emma remercia chaleureusement sa nouvelle amie et cette dernière partit accueillir des clients qui venaient juste de franchir son seuil, visiblement ravis de trouver là un peu de chaleur. Emma échangea avec eux un sourire, puis mit la main dans la grande poche de sa veste pour en ressortir son livre. « Marie Stuart », de Stefan Zweig. Un nom, une époque, une histoire, dont elle ne connaissait rien. Elle avait acheté le livre un peu par hasard, en flânant à la librairie. Elle aimait beaucoup les romans et était curieuse de voir comment l’écrivain appliquait son talent à l’art de la biographie. Cet Européen avant l’heure, engagé, s’était intéressé à de nombreuses personnalités qui marquèrent leur époque. Emma l’avait découvert à cette occasion. De lui, elle avait lu Vingt-quatre heures de la vie d’une femme, qui l’avait complètement bouleversée et La confusion des sentiments. Son style, paraissait-il, était toujours précis et légèrement précieux, l’amour qu’il portait à ses personnages, sa capacité à trouver sa route dans les méandres des sentiments humains, tout cela avait littéralement séduit Emma. L’homme, derrière l’écrivain, ne l’avait pas non plus laissée indifférente. Cet Autrichien pour qui le mot d’humanisme n’était pas une coquille vide avait été très douloureusement affecté par l’arrivée au pouvoir des nazis. Dès 1934, il avait fui l’Autriche. Il s’était tout d’abord rendu à Londres avant de rejoindre le Brésil. Mais la blessure ne cicatrisait pas. Et en 1942, Stefan Zweig se suicidait avec sa 27
femme. C’était à Londres qu’il avait commencé à travailler à cette biographie de Marie Stuart dont Emma se promettait tant de plaisir. Marie Stuart avait été reine d’Écosse et reine de France au XVIème siècle. Cette lecture s’imposait donc pour ses vacances en solitaire. Cette femme était comme un pont entre les deux pays, pont qu'Emma se promettait de franchir avec plaisir. Sa tasse de thé fumant à la main, elle ouvrit l’ouvrage. « Alors, tu n’aimes pas ? » La réflexion de Trisha la fit sursauter. Plongée dans sa lecture, Emma en avait oublié son repas et ce manque d’appétit semblait inquiéter la tenancière des lieux. Elle jeta un coup d’œil au livre que sa cliente reposait précipitamment, comme prise en faute. « Oh, tu lis ? Marie Stuart ? What a life ! » Emma opina. Oui, quelle vie, pensait-elle en dégustant son sandwich, parfaitement bien préparé et à la saveur inégalable. Cette enfant, reine à huit jours, catholique dans un pays que la Réforme fait sien. Cette petite fille, emmenée à la cour de France pour y être mariée à 15 ans à un roi malingre et si jeune. Cette beauté qui fait chavirer le cœur des hommes. Cette romantique, en proie aux flammes de la passion, prête à tout pour assouvir ses désirs. Cette exilée dans sa propre vie… Emma avait du mal à reprendre pied dans la réalité. La vie de Marie Stuart lui semblait d’une telle actualité. Car, c’était
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bien de liberté dont il était question dans ce destin incroyable qu’elle découvrait au fil des pages. Liberté de choix, liberté d’aimer, liberté de religion, liberté de gouvernance. Marie Stuart avait toujours eu conscience de son rang et des obligations qui y étaient liées. Mais pour autant, elle n’avait jamais su se refuser à la passion. Darnley, son second mari, l’apprit même à ses dépens. Lorsqu’elle se lassa de lui, lorsqu’elle ouvrit les yeux sur l’homme qu’il était vraiment, lâche, veule et faible, elle s’en détourna, dégoûtée. Puis, son cœur royal s’enflamma de nouveau, pour Bothwell cette fois, son bras droit, un homme énergique, fort, violent même et qui ne s’encombrait pas de bons sentiments. Cet embrasement incontrôlable allait mener la reine à sa perte… Emma finit son gâteau, songeuse. Trisha s’ébattait en cuisine, on entendait l’eau couler à flots. L’Écossaise fredonnait une chanson qu'Emma ne connaissait pas. Elle finit par se lever et déposa la somme due pour son repas à côté de son assiette enfin vide. « Trisha, I’m leaving ! - D’accord, darling, take care ! » Et Emma reprit le chemin de son cottage, perdue dans un siècle qui n’était pas le sien. Cette fois-ci, le paysage la laissa indifférente. Marie Stuart occupait toutes ses pensées.
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Chapitre 5
À 14 heures, donc, elle était de retour « chez elle ». Le domaine semblait comme abandonné. Il n’y avait pas traces de David ni de son chien, pourtant toujours content de se faire entendre. Le 4x4 du maître des lieux était garé contre la maison. « Ils ne doivent pas être bien loin, » songea Emma, un peu mal à l’aise, comme si elle n’avait pas le droit de se trouver là hors de la présence de l’homme et de l’animal. Elle avait le sentiment de leur voler quelque chose, comme si chaque minute passée sur le domaine leur appartenait. Sentiment d’autant plus étrange qu'Emma était quelqu’un de pragmatique. Elle ne s’était jamais particulièrement intéressée aux esprits, à la voyance, aux tables qui tournent toutes seules, aux intuitions et aux rêves prémonitoires. Pour elle, les choses se nommaient, s’expliquaient rationnellement. Le reste, c’était des fariboles, des contes pour adultes en mal de sensations fortes. Les moutons, qu’elle n’avait pas vus la veille, s’ébattaient dans un champ plus loin. On entendait à peine leurs bêlements.
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Elle jeta un dernier regard autour d’elle avant de pousser la porte du cottage. Tout était comme elle l’avait laissé. Mais sur la table de la cuisine, elle découvrit une miche de pain et des œufs frais accompagnés d’une note de David. « Pour votre repas. David. » Elle sourit. L’homme était donc capable de délicates attentions. Elle mit la bouilloire en route, impatiente de s’installer dans son salon pour reprendre sa lecture. Cette Marie Stuart était vraiment quelqu’un. Lorsqu’elle releva les yeux, elle s’aperçut que la nuit était tombée. « Voilà pourquoi je n’y voyais plus assez ! » Elle s’étira et tendit le bras pour allumer la lumière. Un coup d’œil à sa montre lui confirma qu’il n’était pas tard du tout, à peine 17 heures. Mais la nuit tombait tôt en Écosse en cette saison. On lui avait expliqué qu’en février, c’était encore pire. Par contre, l’été, il pouvait faire comme jour toute la nuit. Les aboiements de Spice la sortirent de sa rêverie. « Tiens, voilà David de retour, » se prit-elle à penser. Immédiatement, une rougeur envahit son visage. David… comment pouvait-elle déjà penser à cet homme en l’appelant par son prénom ! Elle toujours si réservée, si soucieuse de garder ses distances. Enfin, elle l’avait entraperçu quelques minutes le matin même et voilà que par quelque réflexe étrange, elle était pratiquement prête à se ruer dans la cuisine pour lui préparer son thé, comme si c’était la porte du cottage qu’elle occupait qu’il allait franchir ! Etait-ce dû à la
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solitude qui les entourait ? Le domaine semblait comme coupé du reste du monde. Lorsqu’elle était dans sa maisonnette, elle avait le sentiment qu’il ne restait qu’eux seuls au monde. « Tu es ridicule ! » se sermonna-t-elle malgré tout. « Qu’estce que c’est que cette attitude de midinette ! » Mais elle ne put s’empêcher de s’approcher de la fenêtre pour y jeter un coup d’œil négligeant sur le passage de l’homme, se justifiant à ses propres yeux en prétendant que les rideaux avaient besoin d’être rajustés. Son geste fut interrompu net. David était sur son seuil, prêt à frapper à sa porte ! Elle était prise en flagrant délit de curiosité ! La rougeur s’étala jusqu’à sa gorge lorsque David lui lança un regard interrogateur à travers la vitre tout en lui faisant comprendre d’un signe de la main de lui ouvrir. « Vous m’avez entendu arriver ? » lui demanda-t-il. « Heu… non, en fait, je… » Il lui coupa la parole. « Je voulais m’assurer que tout allait bien pour vous. Si vous voulez, passez prendre un verre plus tard, vers 18h30. Cela vous irait ? » Emma était toujours écarlate. « Heu… oui, of course… » David sourit. « Je vous attends alors. Vous connaissez l’adresse. » Il eut un petit rire, s’amusant de sa plaisanterie facile et il disparut dans la nuit. Emma en tremblait presque. Mais quel enfantillage de se conduire ainsi ! Qu’est-ce qui
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lui arrivait ? La passionnée Marie Stuart devait lui insuffler un peu de son tempérament pour qu’elle réagisse ainsi à la présence de cet homme. D’ailleurs, qu’aurait fait Marie à sa place ? L’intrépide effrontée aurait sûrement sauté au cou de l’homme qui avait l’air de lui plaire. Ou elle aurait au moins commencé par lui consacrer des vers. Mais voilà, je ne suis pas Marie Stuart, se sermonna Emma. Et puis, se reprit-elle encore plus vite, je ne suis même pas vraiment sûre que ce David me plaise ! Elle regagna sa chambre. Certes, David était bel homme – elle avait définitivement renoncé à l’appeler Monsieur Douglas en elle-même, ce n’était plus la peine de lutter. Mais cela ne suffisait pas à expliquer son trouble. Elle haussa les épaules. Elle était ridicule ! Et il n’était pas question qu’elle cherche à se faire belle pour ce pseudo rendez-vous ! Elle n’était pas venue en Écosse pour cela. Elle était venue pour se reposer, respirer, faire un break comme on disait et non pas se casser les dents sur une histoire absolument ridicule. Histoire, qui plus est, qui n’existait pour le moment que dans son imagination, chauffée à blanc par un Stefan Zweig maître dans l’art de décrire les passions humaines. Elle ne connaissait pas cet homme ! Le trouver physiquement attirant ne suffisait pas. Si le berger ne savait parler que de son troupeau, le charme s’évanouirait vite. Finalement, tout cela lui prouvait, si besoin en était, combien elle avait besoin de repos. L’année qui venait de s’écouler avait été plus éprouvante, visiblement, qu’elle n’avait bien voulu l’admettre et son comportement juvénile, adolescent, ne pouvait s’expliquer que par l’apparition d’une légère dépression qui devait probablement l’affaiblir. 33
Rassurée, ou prétendant l’être, par cette analyse qui n’en était pas une, Emma décida de se faire couler un bon bain chaud aux huiles essentielles. Il n’y avait rien de mieux pour se détendre complètement, elle en avait l’expérience. Elle se déshabilla pendant que la baignoire se remplissait. Rien ne pressait, il n’était pas tard du tout. À 18h30 tapantes, elle frappait à la porte de David. Coiffée, légèrement parfumée, portant une grande robe de laine sous un châle aux couleurs automnales, elle était superbe et suffisamment naturelle pour laisser croire qu’elle s’apprêtait ainsi tous les jours de sa vie. David, lui, semblait égal à lui-même. Un jean, une épaisse chemise sans élégance, de chaudes chaussettes de laine, une barbe hirsute… C’était tout. Il lui ouvrit la porte en souriant et la guida vers le salon où brûlait un feu de cheminée des plus agréables. La pièce était grande, confortable mais sans l’effort de décoration qui se faisait sentir dans la petite maison qu’occupait Emma. Ici, tout était propre, fonctionnel. Masculin. Il manquait aux lieux le charme étrange, un peu désuet, qui régnait au cottage. Emma s’assit sur un vaste canapé de cuir, face au feu. « Merci pour votre invitation. - C’est tout naturel. Et c’est une tradition. Le soir de l’arrivée de nouveaux résidents, un verre est offert par la maison. Vous avez dû voir ça sur notre site. Mais vous êtes arrivée trop tard hier. Je ne fais donc que rattraper le temps perdu. » Une fois de plus, le rouge monta aux joues d'Emma. Mais
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cette fois-ci, elle rougissait de honte. Comment avait-elle pu croire un seul instant qu’elle était intéressante ? Ou différente de tous ces touristes qui défilaient ici, semaine après semaine ? Comment avait-elle pu penser que l’homme qui lui faisait face avait senti en elle quelque chose qu’il trouvait attirant et qu’il avait eu envie de mieux la connaître ? Elle n’était qu’une stupide petite dinde à qui la vie n’avait rien appris. Habituée à se dominer, et surtout, à garder le contrôle de ses émotions et de ses désirs, elle n’avait pas imaginé une seule seconde que l’on puisse s’adresser à elle ainsi : elle n’était plus Emma. Elle était devenue, en une phrase, l’archétype de « la touriste ». La gentillesse de David était juste commerciale. Il louait des cottages, il se devait d’être accueillant. Elle eut soudainement envie de lui jeter son verre de porto – boisson qu’elle détestait de toute manière et qu’elle n’avait acceptée que par pure politesse – à la figure. Mais elle se contint, prit sur elle et arriva même à sourire. « Oui, bien sûr, j’avais trouvé cela charmant. » Il lui sembla que sa voix avait grimpé d’un ton, qu’elle s’exprimait d’une manière bien peu naturelle. Mais David n’avait visiblement pas noté la différence. D’ailleurs, il semblait se détendre légèrement. D’un geste de la main, il invita Spice à le rejoindre sur le canapé. Tout à sa colère refoulée, Emma ne cherchait pas à entretenir la conversation. David, quant à lui, restait silencieux. Pour la Française, il ne faisait aucun doute qu’il n’avait juste rien à lui dire. Elle ne savait pas traire les vaches, ni pêcher, ni rien de ce qui faisait l’ordinaire de ce rustre. Que pourraient-ils bien partager, même cinq minutes sur un canapé ? 35
« Il doit trouver son chien plus intéressant que moi ! » se surprit-elle à penser, non sans une certaine amertume. Elle tournait son verre entre ses doigts, ne se résolvant ni à partir ni à rester. David fut plus rapide qu’elle. « Well… » Elle prit son geste pour une invitation à quitter les lieux et se releva brusquement. « Oui, je n’ai que trop abusé de votre gentillesse. Je suis sûre que vous avez un millier de choses à faire avec ce domaine, et toutes ces vaches, tous ces trucs-là, enfin, je veux dire, vos bêtes quoi, et… » Elle était pitoyable, ne trouvant plus ses mots. David leva un sourcil surpris. « Heu… Je voulais juste mettre de la musique, mais si vous préférez rentrer… » Était-il écrit qu’elle doive toujours se sentir aussi stupide à ses côtés ? Il était en tout cas trop tard pour faire marche arrière. Elle s’était suffisamment ridiculisée. « Oui, si cela ne vous ennuie pas. Je suis fatiguée, j’ai beaucoup marché aujourd’hui… » Il la coupa, le visage soudain animé. « Vraiment ? Où êtes-vous allée ? - Eh bien, j’ai commencé à longer le lac, puis j’ai repris la route… - Oh, il faut bien connaître ce coin ! Il y a un petit sentier qui permet de faire tout le tour du lac, mais il est bien caché ! Je vous montrerai si vous voulez. Mais pardon, je vous ai coupée. - Cela serait avec plaisir ! C’est tellement beau ici, et avec les couleurs de l’automne, c’est tout simplement merveilleux. » 36
Il acquiesça, un large sourire aux lèvres. « Oui, ici, la nature est magique, enchantée, même. Je ne devrais peut-être pas vous le dire, car beaucoup de gens craignent la présence des esprits, mais c’est ainsi… Nous sommes très exactement à la frontière des midlands et des highlands, et ce qui se passe ici ne se passe nulle part ailleurs, croyez-moi. » Sa physionomie changea de nouveau. Il avait maintenant l’air un peu lointain, songeur. Emma se fit la réflexion que son visage était comme une carte et que si l’on arrivait à déchiffrer cette dernière, elle conduirait sûrement à un trésor. Elle attendit un moment qu’il poursuive, mais il n’en fit rien. « Enfin… bon, je vais donc rentrer. » Sans ajouter un mot, il la précéda dans le couloir et lui ouvrit la porte. « Bonne soirée, Emma, et merci d’être passée me voir. » Elle lui répondit d’un bref signe de tête et s’enfonça dans la nuit en direction de son cottage. Elle préférait ne pas penser à la douceur de sa voix, au frôlement de sa main sur son coude quand elle avait franchi le seuil de la maison. Elle frissonna.
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Chapitre 6
Elle arriva au cottage essoufflée comme si elle avait dû courir pour attraper un bus. C’était stupide, il n’y avait que quelques mètres à franchir entre les deux maisons. Stupide, oui. Comme son comportement. Elle se laissa tomber sur le sofa. Mais que se passait-il, quel envoûtement la poussait-elle à se conduire ainsi ? D’une certaine manière, elle avait l’impression de connaître cet homme de tout temps, de l’entendre, de le comprendre, même dans ses silences. De l’autre, elle se sentait complètement perdue dans cet univers où la passion, la violence des éléments, la force des mystères paraient toutes choses d’une brume qui rendait tout insaisissable, fuyant, qui bouleversait toute certitude. Elle ne savait plus où elle en était. Elle se força à respirer lentement, calmement. Après cinq minutes, elle se releva pour aller se faire du thé. Elle n’avait pas faim. Il était à peine 19 heures, elle était vraiment restée bien peu de temps chez David. Elle secoua la tête, agacée. Elle n’avait pas envie de repenser à cela.
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Son thé une fois prêt, elle décida de se replonger dans sa lecture. Marie Stuart n’était pas seule au monde, même si elle semblait être une âme solitaire, isolée face aux manoeuvres des uns et des autres pour s’approprier le pouvoir. Elle avait à ses côtés ses dames de compagnie. Elles se connaissaient depuis l’enfance. Et elles s’appelaient toutes Marie. Emma n’avait aucun mal à les imaginer, jeunes demoiselles, gamines encore, en route pour la cour de France, l’une des plus célèbres et puissantes du monde. Elle se les représentait, sur le bateau qui les emportait loin des rivages écossais, les cheveux rendus fous par de lourdes bourrasques de vent, le rire clair et sonore, courant sur le pont en se donnant la main. À ces âges-là, nulle contrainte ne vient entraver le plaisir de vivre l’instant présent que l’on soit reine d’Écosse ou fille de bourgeois. Ces moments de bonheur, de détente, comme ils semblaient rares dans la vie de la reine. Car elle devra toujours se mesurer à sa rivale la plus puissante et la plus dangereuse : la reine d’Angleterre. Elisabeth 1er craindra tout au long de son règne que sa cousine ne lui ravisse son trône sur lequel, il faut bien le reconnaître, elle a quelques prétentions. Derrière les échanges de courrier pleins de tendresse et d’affection des deux femmes se cachait en fait une rivalité qui conduira Marie à la mort. Sous la plume de Zweig, on aurait pu croire que l’une des reines n’était que le négatif de l’autre. Marie la catholique. Elizabeth la protestante. Marie l’amoureuse, la passionnée, la mère. Elizabeth la sans mari, la sans enfant. Marie, prompte à se décider. Elizabeth, craintive, hésitante. Marie, la vaincue. Elizabeth, la triomphante. Deux femmes, deux personnalités. 39
Emma était fascinée. Comment le monde avait-il pu porter en même temps ces deux rivales au pouvoir politique contesté ? Comment la vie pouvait-elle permettre cet affrontement entre deux pôles si étrangers l’un à l’autre ? Et puis, ses pensées prirent une nouvelle direction. Elle imagina Marie et sa cour, galopant dans la lande écossaise, à perte de souffle. La jeune femme était une cavalière émérite, n’hésitait pas à monter elle-même au combat lorsque la rébellion des lords protestants se faisait trop vive. Elle chevauchait, en tête de ses troupes, fière, altière, libre. L’image qu'Emma se forgeait de cette femme ne pouvait que forcer son admiration. Elle-même avait connu la lutte des femmes pour obtenir la pilule, le droit d’avorter, le divorce aux torts partagés… Marie semblait si en avance sur tous ces conflits qui allaient, des siècles plus tard, alimenter la guerre des sexes. La modernité de cette femme la rendait encore plus sympathique aux yeux de la lectrice. Ah Marie, avec ce profil austère qui illustrait la couverture du livre qu'Emma avait à la main… Malgré tout, qui, en la regardant, pourrait imaginer les passions qui l’habitaient et celles qu’elle suscitait ? Fallait-il être née sur cette terre écossaise pour en éprouver physiquement la violence et s’en nourrir ? Emma s’étira. L’Écosse était décidement bien étonnante. Et la touriste qu’elle était aurait aimé reprendre un peu pied dans sa propre réalité, se souvenir d’où elle venait. Pour cela, un coup de téléphone à Sarah aurait été le bienvenu. Mais voilà, ici, le téléphone portable ne passait pas. Et Emma n’avait pas d’autre choix que de se perdre un peu
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plus, que de se laisser aller à être, pendant un moment, quelqu’un d’autre, quelqu’un qu’elle ne connaissait pas. Le lendemain matin, les aboiements d’un Spice absolument déchaîné la sortirent d’un rêve étrange et terrifiant. Elle était l’une des quatre Marie qui, depuis leur enfance, avaient entouré la reine Marie Stuart. En fait, elle était les quatre en même temps. Marie Stuart dansait dans une des sombres salles de son château. Seule, sur un air de jazz complètement anachronique, fallait-il le préciser. Les Marie, elles, brodaient dans un coin pendant qu’un ménestrel déclamait des vers. Puis la scène était devenue confuse. Un homme avait fait irruption dans la pièce, hurlant qu’il était le roi et qu’il venait chercher sa reine. Il ressemblait à s’y méprendre à David Douglas, un David en kilt, une épée à la main, et éructant de rage. La reine s’était figée. Ses servantes criaient, terrifiées, appelant à l’aide. Les Marie se précipitèrent pour faire écran de leur corps. Il n’était pas question que cet homme, ce roi, s’empare ainsi de leur amie et reine. Sa brutalité n’augurait rien de bon. Sa rage était à son paroxysme. Emma-Marie, plus intrépide que ses amies, se plaça directement sur le chemin de l’homme. Leurs corps se touchaient presque. Leur respiration était haletante. Le regard du roi la transperça. « Pauvre femme », lui siffla-t-il au visage. « Tu ne sais pas qui est ton maître ? » Il leva son glaive. Leurs yeux ne se lâchaient pas. EmmaMarie pouvait lire dans le regard qui la dominait de la rage, du mépris, de la haine et une certaine admiration pour la
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bravoure dont elle faisait preuve. Et c’est à ce moment-là qu’elle fit une erreur fatale. Elle sourit. Le roi prit ce sourire pour une insolence et non pour de la connivence. Rendu fou, il n’hésita pas une seconde. Il abattit son glaive. D’un coup net, droit au cœur, il terrassa la femme. Les aboiements du chien la rappelaient donc d’entre les morts. Se dressant brusquement sur son lit, Emma cherchait à retrouver son souffle. Elle étouffait. Elle porta la main à sa gorge, puis à sa poitrine, cherchant à y trouver l’empreinte fatale laissée par le glaive. Bien sûr, son corps ne portait aucune trace de la bataille qu’elle venait de livrer. Son cœur battait à tout rompre. Puis, la mémoire lui revint. Le cottage en Écosse. Le livre de Stefan Zweig. David Douglas… Elle commença à se calmer. Spice, au contraire, semblait redoubler d’énergie. Il fallut un temps à Emma pour réaliser qu’elle n’entendait pas la voix de David. Un frisson la parcourut. Le regard qu’il avait eu pour elle dans son cauchemar la terrifiait encore. Elle n’était pas sûre d’être prête à lui faire face immédiatement. Il lui faudrait du temps, elle en était convaincue. Mais son absence était surprenante, tout comme son manque de réaction aux aboiements absolument hystériques de son chien. Ce dernier n’avait d’ailleurs pas l’air de se calmer. Elle finit donc par sortir de son lit en soupirant et enfila un gilet sur son pyjama avant de prendre le chemin de la porte d’entrée.
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Lorsqu’elle l’ouvrit, elle fut saisie par un froid mordant. Le soleil était là, certes, mais les champs étaient recouverts de givre et très vite, elle eut le sentiment que ses orteils gelaient sur la froide pierre du seuil. Elle frissonna. « Spice ! Spice ! Tais-toi ! » lança-t-elle, grelottante, à l’attention du chien. Ce dernier se retourna alors pour lui jeter un regard. Il sembla hésiter, une patte en l’air. Puis il se détourna et recommença d’aboyer comme un fou en regardant en direction du lac. Son poil était hérissé. Son comportement n’avait rien d’amical. Emma n’y connaissait pas grand-chose en chien de berger, mais elle se rendit malgré tout vite compte que quelque chose ne tournait pas rond. Un sombre pressentiment lui serra la poitrine. « Spice ! » hurla-t-elle avant de courir vers le chien, oubliant dans sa précipitation qu’elle était pieds nus . Arrivée à sa hauteur, elle comprit immédiatement la cause de son comportement anormal : David gisait, face contre terre, les bras en croix, un peu plus loin dans le champ qui menait au lac. Emma eut un cri. Elle dévala la pente vers l’homme inanimé. Elle ne sentait ni le froid, ni la peur qui lui tenaillait le ventre. Une force inconnue la poussait de l’avant. Elle agissait, comme en pilotage automatique, incapable de réfléchir et d’analyser ce qu’elle voyait, ce qu’elle éprouvait. Très vite, elle fut à la hauteur de l’homme. Sans chercher à savoir si ses gestes étaient ou non ceux autorisés pour sauver un blessé, elle retourna David brutalement. Son front saignait abondamment. Il respirait, mais faiblement. Elle cria encore. Avec la manche de son gilet, elle essuya 43
frénétiquement le visage du berger, essayant de se faire une idée de la profondeur de la blessure. Elle n’y arrivait pas. Le sang s’étalait et Emma ne trouvait pas la plaie. Elle ne se contint plus. Les aboiements de Spice lui vrillaient les oreilles. Elle se mit à claquer David en travers du visage, de lourdes claques qui produisaient un son mat sur le visage de l’homme. « David ! David ! Répondez-moi ! Répondez ! » Un gémissement s’échappa enfin des lèvres du berger. Emma resta figée, la main en l’air, soudainement consciente de son comportement hystérique. David bougea la tête doucement, les yeux toujours clos. Un nouveau gémissement se fit entendre. Emma, cette fois, passa doucement sa main sur la joue marbrée de rouge de l’homme. Elle chuchotait. « David, David, je vous en prie, dites-moi quelque chose. » L’Écossais ouvrit les yeux. Il avait encore le regard vague. Il finit par faire le point sur la femme qui lui faisait face. « Who are you ? You’re bleeding… » Elle saignait ? Elle ? Elle passa la main sur son visage et comprit la situation. Dans son trouble, elle avait repoussé ses cheveux avec sa main couverte du sang de David. La confusion de ce dernier était légitime. « Je suis votre touriste, la Française… » David fronça les sourcils. « Je ne vois pas… Ah si… Je ne sais plus… - David, vous vous êtes blessé. Vous avez dû tomber. Il faut aller à l’hôpital. » Il serait temps de se vexer plus tard pour cette absence de sa part. Et puis, qui sait, le traumatisme subi était peut-être plus 44
important qu’il n’y paraissait. David secoua la tête. Le mouvement lui arracha une grimace. « No need. Cherchez dans ma chemise, il doit y avoir une flasque de whisky et… - Vous n’allez pas boire à cette heure-là quand même ! Enfin David… » Il la coupa. « Non, c’est pour désinfecter la plaie… » Emma rougit. Quelle cruche elle faisait ! Une heure plus tard, ils étaient installés tous les deux dans le salon de la ferme, face au feu. Elle l’avait aidé à rentrer chez lui et il avait décliné une fois encore son offre de le conduire à l’hôpital. Il lui avait montré où se trouvait la cuisine, l’avait laissée se débrouiller pour préparer un bon thé chaud, et s’était rendu seul dans la salle de bains. Il en était ressorti au bout d’une demi-heure, le teint blafard, les yeux marqués de grands cernes noirs, mais un pansement sur sa plaie et le visage entièrement lavé du sang qui s’y était trouvé. Il sourit en voyant Emma poser le plateau du thé sur la table basse du salon. « Merci… - Vous devriez plutôt remercier Spice ! Ce sont ses aboiements qui m’ont sortie du lit. » En entendant prononcer son nom, le chien dressa l’oreille. Lui aussi semblait avoir besoin de temps pour se remettre de ses émotions. « Je ne comprends toujours pas ce qui a pu se passer. J’ai dû
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glisser sur une pierre du chemin. Elles étaient très humides ce matin. Et en tombant, ma tête a dû heurter l’une d’entre elles. » Emma n’ajouta rien. Elle tentait de réchauffer ses pieds, sans succès. David remarqua son geste. « Mon Dieu ! Ne me dites pas que vous étiez pieds nus ? » Elle haussa les épaules, prétendant que ce n’était rien. « Laissez-moi voir ça. » Et avant qu’elle n’ait pu esquisser un geste, David était à genoux devant elle. Une fois de plus, la rougeur envahit le visage d'Emma. David tenait ses pieds dans ses mains et les massait délicatement. « Vous sentez quelque chose ? » Elle fut bien obligée de reconnaître que non. La caresse devait être douce, elle n’en doutait pas, mais malheureusement, ses pieds étaient complètement insensibles à toute forme de contact. « Venez là. » David l’aida à se lever et la conduisit prudemment vers le feu. « Vous allez rester là dix minutes. Si vous ne sentez toujours rien, je vous conduirai à l’hôpital. » Elle eut un petit rire sans joie. « Comme on dit en France, c’est l’arroseur arrosé ! » David lui lança un regard interloqué. « Pardon ? - Oui, c’est une expression. Elle signifie que celui qui croyait faire une blague en est en fait la victime. En
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l’occurrence, je pensais venir à votre secours, et c’est exactement l’inverse qui se produit. Vous êtes celui qui me soigne. » David haussa les épaules, l’air gêné. « Oui, enfin, bon, pas vraiment non plus, je veux dire, c’est quand même vous qui m’avez sorti de mon champ. » Emma ne renchérit pas. Ils n’allaient pas passer la journée à se demander qui avait été le héros de l’autre. David quitta la pièce, la laissant seule avec ses pensées. Qui n’avaient rien de bien agréable. Elle se sentait brutalement déprimée, vide. Il y avait eu la peur devant la vision du corps de David allongé dans l’herbe, puis le besoin d’agir. Maintenant, son esprit lui repassait la scène en boucle et une véritable terreur rétrospective lui tordait les boyaux. Cela aurait pu être si grave. Dramatique. Définitif même. Son imagination partit à la dérive. Elle se revoyait secouer le corps inanimé du berger. Mais il ne répondait pas à ses cris, à ses claques. Elle hurlait, perdait tout contrôle sur ellemême, se penchait pour l’embrasser, espérant lui redonner ainsi un souffle de vie. Mais rien n’y faisait. David n’était plus. Spice, plus loin, hurlait à la mort, la truffe tournée vers le ciel. Ses pieds commençaient à la picoter. La sensation était plutôt gênante. Elle n’arrivait pas vraiment à remuer les orteils et ces picotements, comme des milliers de piqûres d’insectes, étaient terriblement désagréables. Elle gémit et se pencha pour se gratter. « Emma ? Ça va ? » David, sans qu’elle l’ait entendu entrer dans la pièce, se tenait derrière elle, l’air inquiet et concerné. Elle se força à reprendre contenance. 47
« Oui, merci. Je crois que ça va aller. Je sens mes pieds maintenant. - Cela va vous démanger un moment. » Elle eut un pauvre sourire. « Oui, je m’en rends bien compte… » David s’assit face à elle, sur la pierre chaude de la cheminée. Son dos semblait trop près des flammes, mais cette chaleur bienveillante n’avait pas l’air de le déranger. « Vos vacances ne commencent pas très bien. J’en suis sincèrement désolé. » Et c’était vrai qu’on aurait dit que cela l’ennuyait particulièrement. Emma se raidit, se forçant à se rappeler qu’elle n’était qu’une touriste de plus à passer en ces lieux et que la sollicitude de l’homme n’était due qu’à sa fonction. « Ne vous inquiétez pas. Je suis de toute manière déjà complètement conquise par le charme de la région, malgré le peu que j’en ai vu. - Alors dans ce cas, je me demande ce que vous direz lorsque vous découvrirez les lochs environnants ! » Il bondit sur ses pieds. « Je vous propose quelque chose : vous allez vous reposer chez vous et je passe vous prendre vers 13h pour un petit tour dans les Trossachs. Cela vous tente ? » La physionomie de l’homme avait de nouveau changé. Emma était fascinée par cette capacité qu’il avait à ainsi s’enflammer, à devenir autre, à s’ouvrir. Son visage reflétait ses émotions, sans malice. Il était comme un enfant incapable de dissimulation. Occupée qu’elle était à déchiffrer ses traits, à se laisser conduire sur ses rides d’expression pour en découvrir la source, elle ne pensait pas à lui répondre. « Alors ? » 48
Elle se ressaisit. « D’accord, David, avec plaisir. »
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Chapitre 7
Une fois rentrée chez elle, Emma ne tarda pas à s’endormir. Elle n’avait même pas eu le courage de rejoindre sa chambre et s’était juste confortablement installée sous le plaid, allongée de tout son long sur le sofa du salon. David l’avait raccompagnée, la portant presque. Ses pieds étaient encore comme ankylosés par le froid, mais visiblement, il y avait plus de peur que de mal. Elle ne perdrait pas d’orteils dans cette histoire, c’était déjà ça ! Elle se réveilla la bouche pâteuse, désorientée. Elle ne savait plus où elle était, ce qui lui était arrivée, si elle avait rêvé la chute de David ou si cette dernière s’était vraiment produite. Il lui fallut un moment pour reprendre ses esprits. Son corps était moulu, son esprit vide et elle sentait poindre une légère migraine. Bref, elle était loin d’être en forme et ne rêvait que d’une chose : un bon bain chaud, se couler sous la couette et plonger de nouveau dans le sommeil. Les événements du matin avaient décidément été bien déstabilisants. Un coup d’œil à sa montre lui apprit qu’elle n’aurait pas le temps de mettre ce programme pourtant bien tentant à
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exécution. Il était déjà plus de midi, dans moins d’une heure, David allait frapper à sa porte pour se transformer en parfait guide touristique. Elle se leva avec difficulté et se traîna jusqu’à la cuisine où elle mit la bouilloire en route. Pendant que cette dernière chauffait, elle se rapprocha de la fenêtre pour jeter un coup d’œil dehors. Le ciel s’était couvert et de gros nuages gris avançaient à un train d’enfer, venant de la colline pour se précipiter vers le lac. Elle grimaça. En plus, il allait se mettre à pleuvoir ! Malgré son manque d’entrain, il ne lui vint pas à l’idée d’appeler David pour lui demander d’annuler leur sortie. Elle avait accepté, elle n’imaginait pas revenir sur sa parole. Son thé à la main, elle rejoignit sa chambre. Vingt minutes plus tard, elle en ressortait douchée et de meilleure humeur. Elle avait repris ses esprits et se sentait d’attaque pour la balade promise. Elle s’en faisait même une joie. Elle avait enfilé un confortable pantalon de velours marron et un douillet col roulé en cashmere beige. En attendant David, elle se cala de nouveau dans le canapé, Marie Stuart à la main. Mais elle eut à peine le temps d’ouvrir son livre qu’on frappait. « Prête ? » lui demanda son guide, souriant, alors qu’elle attrapait sa veste. « Prête ! » David engagea le puissant 4x4 sur la route, lui faisant tourner le dos à Aberfoyle. Très vite, le paysage changea. Les fougères laissèrent la place à la lande, puis à des sapins aux couleurs un peu tristes sous ce ciel gris, plombé. Emma ne perdait pas une miette du paysage qui défilait sous
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ses yeux. David restait silencieux et le jazz d’Art Tatum qui s’élevait du lecteur de CD du véhicule accompagnait parfaitement bien leur balade sur cette terre sauvage, au charme brut. Le 4x4 avançait maintenant au milieu de la lande. Puis, il tourna à gauche, et la route dégringola jusqu’à un loch aux eaux d’un bleu étonnant. Emma ne put retenir un « ô » émerveillé. « Vous voulez descendre ? s’enquit David. Elle acquiesça. Le froid la saisit. Un petit vent glacé soufflait du nord et s’insinuait sous sa veste en mouton retourné qu’elle serra contre son corps en frissonnant. David sourit. « Frais, hein ? » Elle opina, souriante elle aussi. Ce froid était vivifiant. David lui montra le bâtiment qui était dans leur dos. « C’est un hôtel restaurant, celui d’Inversnaid. Si vous voulez un thé… - Non, ça ira, merci. Mais peut-être pourrions-nous marcher un peu ? » Il prit la direction de la jetée, non loin de là. Puis obliqua sur sa gauche, de manière à longer l’hôtel dont les baies ouvraient sur le lac. Derrière elles, on devinait des tables où des couples à la retraite dégustaient thé chaud et scones brûlants en profitant de la vue magnifique qui s’offrait à eux. Une cinquantaine de mètres plus loin, David lui désignait du doigt une cascade dont les eaux aux reflets verts se jetaient dans le loch. « On peut monter voir si vous voulez. - Bonne idée ! » 52
Elle enfonça un peu plus son bonnet de laine sur ses oreilles, ne regrettant plus de l’avoir emporté avec elle, et suivit son guide. Un escalier conduisait à une rambarde qui surplombait la cascade. « Nous sommes presque à l’extrémité nord du loch Lomond », lui expliqua David. « En cette saison, le trafic est pratiquement nul sur le loch mais dès le printemps, de nombreux ferrys permettent de relier les rives entre elles et de naviguer vers le sud. » Emma respirait profondément, laissant l’air glacé envahir ses poumons. Elle se sentait bien. David continuait de jouer au guide, lui donnant des indications sur la faune et la flore, mais elle n’écoutait plus vraiment. Elle avait le sentiment de se trouver en parfaite harmonie avec ce qui l’entourait. Ils sont rares, les moments d’une vie où l’on a une impression si vive d’être exactement au bon endroit, au bon moment. La minute présente en faisait partie et la vague de bonheur qui la submergea alors faillit lui couper le souffle. À ses côtés, David s’était tu. Lui aussi souriait en regardant le loch. Sans avoir besoin de dire un mot, ils reprirent en même temps le chemin de la voiture. David mit le contact et le 4x4 s’engagea sur la côte qu’il avait dévalée moins d’une demi-heure plus tôt. Une fois arrivés à l’embranchement qui menait à la ferme, David ralentit un peu, sembla hésiter et choisit finalement de l’ignorer pour poursuivre sa route. Emma se laissait conduire sans poser de questions, une certaine torpeur la gagnait dans l’habitacle de la voiture qui semblait surchauffé en comparaison du froid glacial qui l’avait saisie lorsqu’elle en était sortie. Le piano de Tatum donnait un rythme paisible à l’escapade. 53
Elle se détendait, se sentant moins gourde en compagnie du berger. Tout naturellement, ils se mirent à discuter de choses et d’autres. David la questionnait sur son quotidien. Elle répondait avec naturel, ne cherchant ni à minimiser ses occupations ni à les grandir. Il demandait parfois une explication plus poussée, le sens d’un mot lui échappant. Puis, à son tour, il se mit à lui parler de la ferme, des moutons, des vaches, des soins à apporter aux bêtes, de la manière qu’il y avait à constituer un troupeau équilibré, où chaque bête trouvait sa place. Il évoqua aussi la difficulté qu’il y avait à entretenir, seul, ce grand domaine. Le sujet semblait l’entraîner sur une voie qu’il ne tenait pas à prendre. Son débit se fit plus lent. Il n’acheva pas une phrase et finalement choisit de laisser le silence s’installer. Emma ne chercha pas à relancer la conversation. Il lui semblait qu’en se confiant ainsi, l’homme lui avait ouvert son cœur. Et son instinct féminin lui disait que cela ne devait pas lui arriver bien souvent. Ils cheminèrent ainsi pendant plusieurs kilomètres. Une fois à Aberfoyle, David prit une route sur sa gauche qui semblait grimper à l’assaut d’une colline de bonne taille. Le paysage changea encore. Ils grimpèrent et grimpèrent. Puis, soudainement, en contrebas, un nouveau loch se laissa deviner. « Voici loch Venacher », déclara David. Emma était sans voix. Le charme de la région, la variété des couleurs, des odeurs, des sensations, tout cela était indescriptible. Un château se laissait deviner, plus loin, sur une berge opposée du loch. Il paraissait comme abandonné. « La télévision a tourné une série ici. » 54
Cela ne l’étonnait pas. Le cadre était propice. L’eau s’irisait sous la caresse du vent. Un groupe de canards s’envola et traversa le loch, leurs ailes semblant caresser les vaguelettes. Leur formation était parfaite. On aurait dit un spectacle organisé par l’office de tourisme local, tant tout paraissait se dérouler sans aucune anicroche. David souriait en conduisant. Il aimait son pays, il aimait sa région. Et voir sa passagère réagir ainsi au charme des lieux lui faisait chaud au cœur. La route redescendait. Ils longèrent le loch un moment puis le quittèrent. Quelques minutes plus tard, ils entraient dans Callander. « Vous voilà au cœur des Trossachs » annonça David, de la fierté dans la voix. Il était plus de 18 heures lorsqu’ils rentrèrent à la ferme. La journée avait été tout simplement magique, de l’avis d'Emma. David s’était révélé être un homme cultivé, aimant le jazz dont il connaissait tout ou presque. En plus, l’amour véritable qu’il portait à sa région en faisait un guide des plus agréables. Pas une légende, pas une histoire qu’il ne connût. Il lui avait longuement parlé de Rob Roy, brigand écossais qui vécut au XVIIIème siècle, qui se battit contre les Anglais et qui mettait un point d’honneur à secourir les membres de son clan. Il lui expliqua aussi qu’ici les couleurs des kilts avaient une signification que personne n’ignorait. Elles marquaient l’appartenance à une famille, à un clan. D’ailleurs, lors de leur promenade, Emma avait bien remarqué dans les rues des hommes ainsi vêtus et qui n’avaient rien de ridicule. Leurs hautes chaussettes blanches qui leur arrivaient presque aux genoux, leurs solides
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chaussures de marche, leurs barbes hirsutes en faisaient des personnages d’un autre temps, d’un autre monde. On aurait dit qu’ils ne faisaient que traverser celui-là. Elle n’avait pas pu s’empêcher de demander à David comment lui-même vivait aujourd’hui tout cela et si cela avait encore une si grande importance. « Je suis un membre du clan Douglas. Et oui, ici, cela veut dire quelque chose. Les clans ne sont plus en guerre entre eux ni même alliés face à l’envahisseur britannique mais malgré tout, notre sentiment d’appartenance reste très fort. » En parlant, il avait redressé le buste et levé fièrement le menton. Elle n’avait pas de mal à l’imaginer, la cornemuse à la main, un fin poignard à la hanche, lors d’une fête familiale. Elle n’avait pas pour autant osé l’interroger plus sur sa famille proche. Avait-il des enfants ? Était-il veuf, divorcé ? Sa solitude ne semblait pas lui peser outre mesure, mais Emma était néanmoins curieuse de savoir s’il avait un jour vécu en couple. À leur retour, Spice leur avait fait la fête, trop heureux de les voir revenir. Emma se sentait tellement bien en compagnie de David, qu’elle n’avait pas pensé une seule seconde qu’il faudrait le quitter et finir seule la journée. Ce fut pourtant ce qui se passa. « Emma, j’ai passé une très bonne après-midi grâce à vous. Merci. » Ce fut tout. Ayant dit cela, David tourna les talons, siffla son chien, et partit en direction de la grange, laissant sa locataire figée sur place à côté du 4x4. Elle finit par se secouer et prit le chemin de son cottage. Elle
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se sentait soudainement seule et triste. Elle aurait trouvé naturel de dîner avec lui pour poursuivre la conversation. « Je suis stupide, se sermonna-t-elle. Il a des choses à faire quand même ! Il faut nourrir les bêtes, s’en occuper, fermer certains champs pour la nuit. David ne peut pas se prélasser dans mon salon pendant des heures en écoutant Sonny Rollins ou Dee Dee Bridgewater. C’est un homme de la campagne. » Mais malgré tout, elle ne pouvait s’empêcher de l’imaginer détendu sur le canapé, devisant avec elle de choses et d’autres pendant qu’elle préparerait le dîner, une bonne bouteille de vin rouge débouchée. Elle se secoua. « De toute manière, il n’y a rien dans mon frigidaire ! » Et elle mit la clé dans la porte. Deux heures plus tard, elle ne regrettait absolument plus d’avoir été ainsi abandonnée sur le seuil de son cottage. La fatigue avait vite eu raison d’elle. À peine rentrée, elle avait avalé deux œufs à la coque accompagnés de grandes tranches de pain et d’un thé noir bien chaud avant de rejoindre sa chambre. Il n’était pas vingt heures qu’elle se lovait sous les couvertures, son Marie Stuart à la main. Elle était bien, au chaud, installée confortablement sur une pile d’oreillers et elle ne demandait finalement rien de plus. La journée avait été fertile en événements inattendus, le calme de la soirée lui permettait de se délasser. Elle avait découvert dans un placard un petit lecteur de CD, des enceintes et une pile de disques et avait avec bonheur mis à jouer une compilation de Maria Callas dont la voix se mariait parfaitement au
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caractère passionné de Marie Stuart. Emma tenait à relire un passage de l’ouvrage qui l’avait particulièrement frappée. Marie est alors enceinte, probablement de six mois, et la brouille avec son deuxième mari, Darnley, a atteint un point de non-retour. Au château d’Holyrood, le couple a du mal à sauver les apparences et leur relation apparaît comme de plus en plus tendue. Henry Darnley, jeune époux arrogant, veut plus de pouvoir. Marie le lui refuse et s’appuie sur David Riccio pour gouverner. Ce dernier, d’origine piémontaise, a vite fait de grimper les échelons auprès de la reine, et de simple chantre, est devenu son plus proche conseiller. La situation fait grincer bien des dents, les lords appréciant très moyennement l’influence de ce freluquet, considéré, qui plus est, comme un agent de la papauté. Un complot se prépare pour que ce Riccio soit retiré de la circulation. Et pour atteindre leur but, les lords vont concevoir l’inconcevable : impliquer le roi dans le meurtre du conseiller en lui promettant un plus grand pouvoir. Le roi, lâche, aigri et plein d’une ambition démesurée, va se laisser tenter. Et prendre la tête des conjurés. La nuit du 9 mars est celle du drame. La reine a ses appartements au-dessus de ceux du roi. Ce dernier se présente donc par le petit escalier particulier qui sépare les deux étages. Même si personne ne l’attendait, Marie ne refuse pas sa place à table à son époux. Mais à sa suite, voilà que les lords s’introduisent sans y être invités. Leur cible ne fait pas de doute : les minutes de Riccio sont désormais comptées. La mise à mort du pauvre homme est abominable. Il tente de se réfugier derrière Marie, qui est menacée d’être coupée en 58
morceaux. Il est alors entraîné dans la chambre royale où son corps sera transpercé de plus de cinquante coups de couteaux. Marie, impuissante, assiste avec horreur au meurtre sanglant de son conseiller. Une fois leur soif de sang assouvi, les lords se retirent, emportant avec eux le cadavre de l’Italien. Ils maintiennent la reine prisonnière. Marie est en état de choc. Mais elle ne tarde pas à se ressaisir. C’est toujours dans les périodes les plus troubles, lorsque le danger se fait le plus présent qu’elle sait donner le meilleur d’elle-même. Connaissant le caractère faible de son mari, elle décide de le manipuler, et y parvient. Elle prétend passer outre l’odieux assassinat. Elle feint un retour de flamme pour le père de son enfant. Elle lui promet monts et merveilles, le caresse et lui murmure les doux mots qu’il est avide d’entendre. Elle l’enchante, au sens propre du terme. Darnley est comme toujours incapable de résister à son charme. Il donne tous ses complices et aide sa femme à s’enfuir, notamment grâce à l’aide de Bothwell. Zweig écrit : « Sans hésiter un instant, cette femme grosse de cinq mois monte à califourchon derrière Arthur Erskine, le fidèle capitaine de sa garde du corps. Elle se sent plus sûre près de cet étranger que près de son époux, qui, du reste, désireux de se mettre à l’abri, prend les devants sans l’attendre. Sur le cheval d’Erskine, cramponnée à lui, elle fait vingt et un milles au galop et arrive au château de Lord Seton ». À la lecture de ces lignes, Emma sent le vent s’engouffrer dans ses propres cheveux. Comme celui de Marie, son cœur crie vengeance. Elle croit sentir le poids de l’enfant à naître 59
en elle, elle éprouve de violentes montées de haine pour l’homme qui la précède sur le chemin, ce mari vil et veule. Très vite, Marie Stuart va réussir à rétablir la situation. Elle rentrera à Edimbourg la tête haute et les félons seront punis. Nombreux sont ceux qui prennent alors le chemin de l’exil et trouvent refuge en Angleterre. Parmi eux, le comte de Morton. C’est à cause de lui qu'Emma voulait relire ce passage du livre. Le comte Jacques de Morton, du clan des Douglas. L’un des plus farouches opposants à Marie Stuart. Protestant. Brutal, avide, ambitieux. Il est à la tête des conjurés qui décident de l’assassinat de David Riccio. Emma ne pouvait s’empêcher de se demander si ce Morton n’avait pas un lien de parenté avec David. Après tout, tous les deux appartenaient au clan Douglas. Certes, les ramifications de ce dernier étaient nombreuses, mais son imagination romanesque s’enflammait déjà. Peut-être logeaitelle sur les terres d’un descendant de Morton, l’homme qui avait été prêt à se rebeller contre sa reine. Elle ferma le livre, un peu essoufflée, comme si elle se remettait difficilement de sa fuite d’Holyrood. Passant la main dans ses cheveux, elle s’attendait presque à y découvrir des brindilles que les arbres croisés sur sa route y auraient déposées. Évidemment, il n’en était rien. Emma soupira, un léger sourire aux lèvres. Décidément, ce séjour était plein de surprises ! Dieu seul savait ce qui pouvait bien l’attendre le lendemain. Voilà donc ce que la
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terre d’Écosse réservait à des cartésiennes de sa trempe. C’est sur cette pensée qu’elle éteignit la lumière, adopta sa position préférée pour dormir et se laissa glisser dans le sommeil. Il était déjà tard lorsqu'Emma ouvrit enfin les yeux. Contrairement à son réveil du matin précédent, c’était cette fois-ci le silence qui l’avait poussée à sortir du sommeil. Elle s’étira et regarda l’heure à son réveil de voyage. « Quoi ! Dix heures ! Mais quelle honte ! » Elle sauta du lit et s’engouffra directement sous la douche. Une heure plus tard, elle était au volant de sa petite voiture de location et roulait en direction d’Edimbourg. Elle était partie plus tard qu’elle ne l’aurait voulu. Tant pis ! Elle tenait à tout prix à voir la ville et son séjour en Écosse ne serait pas éternel. Elle dépassa Aberfoyle, essaya une fois encore de ne pas se tromper de sens sur les ronds-points et prit la direction de la capitale écossaise. Cela ne faisait pas deux heures qu’elle était partie que, déjà, elle apercevait au loin les tours du château. Ce dernier dominait la ville, semblant veiller sur elle. Grise, austère, Edimbourg lui sembla d’abord sans charme. Elle se perdit un peu, manqua un embranchement, revint sur ses pas, longea le fleuve, puis trouva enfin la bonne direction. Elle ne tarda pas à atteindre l’objet de toutes ses attentions : le château. Là, son impression fut toute autre. Quelle grandeur ! Quelle magnificence ! Et quelle froideur ! Un frisson de plaisir la parcourut : « Et dire que je marche
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sur les pavés même qui ont résonné du bruit des sabots de la monture de Marie Stuart ! » Car c’était bien la reine d’Écosse qu’elle espérait découvrir un peu mieux à travers cette visite. Ne jetant pas un regard aux magasins pour touristes, ne remarquant pas les boutiques de cartes postales de mauvais goût, Emma avançait tête baissée, fixant chaque pavé comme s’il allait pouvoir lui raconter une histoire. Et c’est ainsi que se déroula toute sa journée. Emma fuit tout ce qu’Edimbourg pouvait avoir de moderne. Elle ignora les cafés et les restaurants, les centres commerciaux et les visites en bus à toit ouvert. Elle snoba les pubs. Elle renifla de dégoût devant tout bâtiment construit après le XVIème siècle. Elle ricana à l’idée qu’on pouvait visiter le Britannica, bateau de la reine d’Angleterre amarré au port et qui attirait bien des curieux. Le bâtiment se louait aussi pour des fêtes d’entreprise ou des mariages et elle trouva très triste que la monarchie britannique en soit arrivée là. Et que dire du fait que le fameux château d’Holyrood ne soit plus maintenant que le lieu de garden parties et autres mondanités lorsque la reine d’Angleterre daignait venir y passer quelques jours par an, notamment au début de l’été ? Pauvre Marie Stuart ! Pauvre Écosse ! Holyrood, protégé par ses hautes grilles, faisait face au parlement écossais, un bâtiment moderne, clinquant et monstrueux aux yeux d'Emma qui ne comprenait pas comment on pouvait ainsi dénaturer tant de beauté. Elle marchait en dodelinant de la tête, comme une vieille femme un peu gâteuse qui menait des conversations imaginaires avec des amis qui ne l’étaient pas moins. Ce n’est qu’une fois revenue à sa voiture qu’elle se rendit 62
compte de l’étrangeté de son comportement. Ce fut comme si elle se réveillait d’un enchantement. « Mais… je suis ridicule ! Que m’arrive-t-il donc ? » Et histoire de retrouver pleinement ses esprits, elle décida de partir en quête d’un cybercafé d’où elle pourrait donner des nouvelles à Sarah, et surtout, en recevoir ! Un peu plus tard, douillettement installée dans une officine bourrée d’ordinateurs et d’imprimantes qui tous diffusaient une agréable chaleur, elle gloussait à la lecture des mails que son amie lui avait envoyés depuis son départ. Elle n’était pourtant en Écosse que depuis trois jours, mais Sarah avait le chic pour inonder sa boîte de courriers plus ou moins intéressants : chaînes à ne pas rompre sous peine de ne pas connaître le bonheur pendant les 20 années à venir ; blagues plus ou moins osées ; photos truquées ; nouvelles de la famille ; et bien d’autres choses encore ! Dans cet amoncellement, il fallait rester vigilant afin de ne pas rater le message important qui relaterait les dernières péripéties vécues par son amie. Cette dernière avait un véritable talent pour rendre absolument fascinantes les moindres nouvelles sans intérêt. Emma apprit ainsi que la chatte du président albanais venait d’avoir des petits, qu’un dragon en Indonésie avait attaqué le gardien d’un parc naturel et lui avait coupé les testicules, que si à 50 ans on n’avait pas une Rolex, on avait raté sa vie selon un publicitaire bronzé toute l’année et qui en portait fièrement une à son poignet, qu’il avait fait près de 22° la veille à Paris et que les mainates comptaient parmi les plus intelligents des volatiles. Cette affluence de nouvelles lui donna presque le vertige !
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Elle se trouva d’ailleurs fort démunie lorsqu’elle appuya sur le bouton répondre et qu’il lui fallut à son tour raconter quelque chose à Sarah. Lui parler des amours de Marie Stuart ? Lui expliquer que les ancêtres de son logeur avaient très probablement tenté d’éliminer leur reine ? Lui narrer par le détail comment elle avait sauvé ce dernier lors d’une chute qui aurait peut-être pu lui être fatale ? Emma fronçait les sourcils face à l’écran. Elle se décida enfin : « Chère Sarah, Ici, tout va bien. Comme tu l’avais prévu, il pleut beaucoup. Mais malgré cela, je profite pleinement de mes vacances. Je dors, je lis, je me promène et je mange de bonnes choses. Je t’embrasse, À bientôt, Emma. » La platitude du message ne lui échappa pas. Mais, tout d’abord, elle n’avait pas le talent de plume de son amie. Et puis, le reste lui semblait trop compliqué à expliquer. On verrait bien au retour. Elle prit le temps de consulter quelques sites d’information et allait fermer sa boîte mails lorsque par acquis de conscience, elle vérifia si de nouveaux messages lui étaient parvenus. Sarah n’avait pas perdu de temps pour lui répondre : « Chère Emma, À ton âge, il serait bon que tes messages perdent leur ton de dissertation de CM2 ! Ici aussi, figure-toi, nous mangeons, dormons, lisons et nous promenons. Si c’est cela l’Écosse, ce n’était pas la peine d’aller aussi loin ! Alors, dis-moi plutôt comment il s’appelle et à quoi il 64
ressemble ! Vite ! Et ne rougis pas en lisant ce message, tu sais que je te connais mieux que ta propre mère ! J’espère donc qu’en plus de toutes ces activités fascinantes auxquelles tu te livres, tu vas aussi accepter de succomber au romantisme des lieux, embrasser ton beau berger à la douce peau de mouton, et te promener en barque sur les lochs ! À très vite, Sarah. » Lorsqu’elle éteignit l’ordinateur, Emma était écarlate. Elle se fit d’ailleurs la réflexion que ces rougeurs revenaient un peu trop souvent sur son visage et qu’elle ferait mieux de contrôler plus ses émotions. À son âge ! Mais la question restait posée : comment Sarah pouvait-elle toujours avoir une longueur d’avance sur les événements ?
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Chapitre 8
Il n’était finalement pas si tard que cela quand Emma reprit le chemin du cottage. Elle se sentait mieux que le matin même et appréciait la beauté des paysages écossais. Autour d’Edinburgh, ils étaient évidemment bien différents que dans les Trossachs. La région était plus peuplée, plus industrialisée. Mais très vite, la route se trouva longer des champs où des moutons paissaient tranquillement. Il émanait un calme étrange de cette vision. L’Écosse semblait envoyer un message de paix et de sérénité à ses habitants et aux touristes de passage. Le temps n’est rien, ce sont les saisons qui comptent, apprenait-on à son contact. L’histoire se fait, les reines vivent, aiment et meurent et pourtant, nous les plaines et les coteaux ; nous, les rivières et les landes ; nous, les lochs et les montagnes, nous sommes toujours là. Emma, sans même s’en rendre compte, ralentit son allure. Elle se repaissait de tant de beauté et les lumières de l’automne offraient à la moindre scène bucolique des tons d’or et d’argent. Elle fut à Aberfoyle avant même de s’en rendre compte. Une courte halte au supermarché lui permit de
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s’approvisionner. Elle ne pouvait quand même pas espérer que David lui fournirait tous les soirs de quoi ne pas mourir de faim ! Elle en profita aussi pour acheter la presse locale. Son anglais n’était pas merveilleux, mais elle aimait feuilleter les journaux étrangers, s’intéresser aux photos, aux titres, survoler les pubs et les programmes télé. Cela lui donnait toujours une idée des sujets qui pouvaient intéresser les habitants. Elle s’offrit aussi un pack de bière rousse et ainsi équipée rejoignit sa voiture. Elle n’avait pas vraiment envie de rentrer. Ou plutôt, elle n’avait pas vraiment envie de se retrouver seule dans le cottage. Elle aurait aimé partager ses découvertes et ses impressions avec quelqu’un. Elle soupira. Voilà où se trouvait le problème lorsqu’on se targuait d’indépendance. On ne pouvait partager ces merveilleux instants qu’avec soi-même. Certes la technologie vous permettait de ne jamais trop vous éloigner de vos proches, et c’était déjà quelque chose, mais qu’y avaitil de commun entre un message, forcément réducteur, sur vos vacances et le fait d’arpenter la lande au bras d’une amie, d’un enfant, d’un compagnon ? Pas grand-chose, avait tendance à penser Emma. Elle chercha à se souvenir avec précision d’une phrase lue sous la plume d’Olivier Frébourg et qui lui avait particulièrement plu. « Tout éloignement d’avec les siens n’est qu’une tentative de suicide ratée ». Ou quelque chose d’approchant. Elle avait trouvé la formule un peu choc, un peu lapidaire, mais, en y réfléchissant, très juste. Se couper des siens revenait bien souvent à s’amputer d’une partie de soi-même. Un nouveau soupir s’échappa de sa poitrine alors qu’elle tournait la clé de contact de sa voiture. Certes. 67
Mais de toute manière, avec qui aurait-elle pu partir en vacances ? Sarah, malheureusement, s’était blessée. Et puis, il fallait reconnaître que c’était aussi la vie qu’elle avait choisi de mener. Si elle ne faisait pas autant la difficile, à l’heure qu’il est, elle serait probablement accompagnée par un charmant divorcé de son âge qui serait ravi de conduire sur les routes écossaises pour qu’elle puisse pleinement profiter des paysages ! Le soir tombait déjà et l’humeur d'Emma commençait à sérieusement s’en ressentir. Entre sa perte de contrôle à Edinburgh, la nuit qui gagnait du terrain et ses réflexions moroses sur la solitude, elle était proche de sombrer dans l’apitoiement sur soi-même. L’heure bleue, ce moment entre chiens et loups, ne lui avait jamais vraiment réussi. C’est alors qu’elle aperçut sur sa gauche l’allée qui menait au « tea shop » de Trisha. Elle n’hésita pas une seconde, et dans un même geste mit son clignotant et tourna son volant pour s’engager sur le petit chemin qui conduisait à la boutique de la sympathique Écossaise. Trisha était seule lorsqu'Emma poussa la porte et elle aussi semblait plongée dans une rêverie mélancolique, perdue dans la contemplation des eaux immobiles du lac. « Oh ! Emma ! » Le sourire revint immédiatement aux lèvres de la jolie rousse à la vue de sa cliente. « Trisha ! Je ne vous dérange pas ? - Not at all ! Come in and take a seat. » Tout en parlant, Trisha était sortie de derrière son comptoir et tirait une chaise vers la Française.
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« Brrr… Il fait froid dès que la nuit tombe ! - Yes ! And suddenly, on se sent un peu triste, non ? » Trisha avait parfaitement résumé les sentiments qui animaient Emma. Elle opina donc à plusieurs reprises, se sentant comprise. « Tout à fait ! Mais je suis sûre que vous avez un remède contre ça ! A magical potion ? » Trisha fit un clin d’œil complice à la Française. « Of course ! » Et elle disparut dans sa cuisine. Pendant un bon moment, Emma n’entendit plus que le bruit de casseroles qui se heurtent, de l’eau qui coule, des cuillères qui frappent des pots d’étain. Puis la patronne réapparut. « Et voilà ! » Elle tenait dans ses mains un plateau sur lequel se trouvait une théière et deux tasses de belle taille. Sur une assiette, des scones encore fumants étaient entourés de beurre et de confiture. « Oh Trisha, c’est un véritable festin ! - Not at all ! Et puis, c’est l’heure du thé ! Nous pouvons quand même profiter un peu des bonnes choses, non ? » Elle éclata de rire. Il ne faisait pas de doute que Trisha n’était de toute manière pas du genre à se priver. Elle servit le thé, dont l’arôme n’était pas sans rappeler le fumet d’un thé de Noël, puis fit passer les scones et, sans plus de façons, s’installa aux côtés de sa cliente. « Alors, racontez-moi tout ! » Et il n’en fallut pas plus pour qu'Emma confie à sa nouvelle amie son obsession toute nouvelle pour Marie Stuart, sa curiosité à l’égard de son logeur, son errance dans Edinburgh en quête des traces d’un passé pourtant bien lointain. 69
Trisha l’écouta sans l’interrompre et plus d’une fois, le regard doux et bon de son interlocutrice faillit faire pleurer Emma, sans qu’elle comprenne bien d’où venaient ces larmes. Arrivée à la fin de son récit, elle se tut, épuisée. Trisha se pencha alors vers elle et lui tapota la main. « Poor little thing ! Vous voilà prise par l’enchantement de l’Écosse. Cela n’arrive pas toujours, pas souvent, mais ceux qui sont touchés sont perdus à jamais ! Ne luttez pas, cela ne sert à rien. Ce pays vous a lancé une flèche qui vous a atteinte en plein cœur. D’une certaine manière, vous êtes devenue Écossaise ! » Emma se redressa. « Mais enfin Trisha, tout cela n’a aucun sens ! On peut être émue par un pays sans pour autant se comporter comme une adolescente fan d’une pop star ! » Trisha s’adossa confortablement à son dossier. « Tsst, tsst, tsst… Il y a plusieurs manières de succomber au charme d’un pays. On peut avoir un coup de cœur pour son histoire, ses paysages, sa culture. Et on peut aussi tomber en amour de ses habitants ou plutôt devrais-je dire, de l’un de ses habitants… » Immédiatement, Emma sentit une fois de plus le rouge lui monter aux joues. « Je ne vois pas… - Moi je crois que si ! Vous voyez très bien ce que je veux dire ! David a tout pour faire chavirer un cœur comme le vôtre. - Enfin Trisha ! Ne soyons pas ridicules ! J’ai plus de 30 ans, je ne me livre pas à ce genre d’amourettes de vacances quand je voyage ! - Emma, qui vous parle d’amourettes ? Vous savez, dans 70
mon métier, on a souvent l’occasion d’observer les gens. Et lorsqu’on tient un « tea shop » depuis aussi longtemps que moi, l’âme humaine n’a plus vraiment de secret. Mentezvous à vous-même autant que vous le voulez. Mais je sais ce que je sais. » Emma prit un air digne pour touiller son sucre dans son thé. Mon Dieu, comment tout cela pouvait-il arriver ? Chaque voyage est un déséquilibre, chaque rencontre le début d’une aventure, mais là, c’était presque trop. « Dites-moi, comme nous parlons d’aimer la culture d’un pays et son histoire, la famille de David est-elle liée aux Morton, ceux qui participèrent au meurtre de Riccio, le trop proche conseiller de Marie Stuart ? » Trisha sourit. Elle n’était pas dupe. Parler de la reine d’Écosse n’était finalement qu’une manière détournée de glaner quelques informations sur David et sa famille. Elle comprenait la curiosité d'Emma. Elle-même, un temps, s’était crue amoureuse du berger. Avec son regard d’un bleu intense où l’on ne demandait qu’à se noyer, avec cette espèce de distance qu’il imposait naturellement à ses interlocuteurs, David avait tout pour intéresser le beau sexe. Trisha, très vite, avait compris que cet homme et ce mystère sur lequel il semblait jalousement veiller n’étaient pas pour elle. Elle avait épousé John et n’avait jamais eu à regretter son choix. Mais qu’allait-elle bien pouvoir confier à cette Française solitaire à laquelle les esprits de la lande semblaient avoir jeté un sort ? Elle n’aimait pas mentir. Pour autant, il n’était pas bon que cette femme poursuive trop avant dans cette direction. Non, rien de bon ne pourrait venir de là. Il y a des secrets qui méritent de le rester. David s’était suffisamment acharné à garder le sien jusqu’à aujourd’hui. 71
« Je vois que vous avez bien avancé votre lecture ! N’oubliez pas que Zweig est au départ un romancier. Si mes souvenirs sont bons, il dresse un tableau un peu trop flatteur de Marie et pas toujours exact des lords qui l’entourent. Les Morton n’étaient pas si mauvais que cela. Replacez-vous aussi dans le contexte de l’époque. Les temps étaient rudes. Le XVIème siècle n’est pas celui des Lumières. Les gens avaient faim. Les châteaux qui aujourd’hui vous semblent si romantiques étaient sombres, humides, froids. On mourait jeune. Guerroyer était presque aussi naturel que de chasser. Les alliances se faisaient, se défaisaient tout aussi vite. Le royaume n’était pas vraiment uni et la question de la religion n’aidait en rien. Vivre était une lutte permanente… » Trisha se tut. Emma resta silencieuse. Elle espérait que l’aubergiste reprenne son récit. On aurait pu croire qu’elle avait ellemême vécu à cette époque éloignée qu’elle décrivait avec tant de coeur. Mais Trisha ne lui fit pas ce plaisir. « Bon Emma, il est tard maintenant, il va falloir que je ferme. - Oh oui, pardon ! Excusez-moi, je n’avais pas vu l’heure passer. - Ce n’est rien ma chère, c’est naturel de perdre ses repères lorsqu’on est à l’étranger. Vous devriez plutôt profiter de votre temps libre pour faire les boutiques. Il y a de beaux pulls en cashmere à acheter à Aberfoyle. » Le conseil de Trisha résonna presque comme une menace aux oreilles d'Emma : laissez tomber les Douglas et reprenez votre petite vie touristique, semblait lui dire une Trisha que, soudainement, elle ne trouvait plus sympathique du tout.
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Chapitre 9
À son arrivée en vue du domaine, il faisait nuit noire. La route était d’ailleurs tellement sombre qu’elle faillit manquer l’embranchement. Elle freina à la dernière minute et dans la lumière des phares, il lui sembla éclairer une pierre tombale. Les poils de ses bras se hérissèrent de peur. Emma était quelqu’un de pragmatique et n’avait jamais particulièrement craint la mort. Celle des autres lui apparaissait comme plus difficile à tolérer que la sienne propre, c’était tout. Malgré tout, se retrouver face à face avec une tombe à un endroit où on n’aurait jamais pensé qu’elle puisse se trouver, et cela par une nuit noire après une conversation sur les esprits, avait de quoi susciter un sentiment de malaise. Elle avait déjà dépassé le lieu et ne se sentait pas de faire demi-tour pour vérifier si ce qu’elle avait entraperçu était bien un tombeau. « Je perds complètement la tête ! » se sermonna-t-elle. « Je suis déjà passée par là et n’ai rien remarqué de la sorte. La conversation avec Trisha a dû plus me bouleverser qu’il ne le faudrait. Je deviens vraiment complètement ridicule ! » Elle se gara devant son cottage et éteignit les phares de la
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voiture. Le domaine était entièrement plongé dans le noir. Il n’y avait pas un bruit. Emma soupira. « Moi qui croyais être faite pour la solitude ! Il faut croire que je me trompais ! Non seulement je passe mes journées à m’inventer des histoires, mais en plus, voilà que maintenant j’ai peur du noir ! » Elle descendit de son auto et le claquement de la portière lorsqu’elle la referma lui sembla résonner sinistrement dans la nuit. Une fois chez elle, elle alluma toutes les lumières, monta le chauffage central puis se mit à ranger ses commissions dans la cuisine. Elle n’avait plus vraiment faim, après le thé copieux dégusté chez Trisha. Elle décida donc d’attendre avant de cuisiner quelque chose. Elle ouvrit une bière, fit une grimace en dégustant la première gorgée, amère, et rejoignit le salon. Le silence l’oppressait. Elle avait comme un sentiment de malaise, l’envie de bousculer tout cela. Elle n’arrivait pas à rester en place. Elle finit par dénicher un vieux CD de Sting et le fit jouer. Dans l’humeur dans laquelle elle se trouvait, il lui semblait inconcevable d’écouter de la musique classique ou du jazz. Il lui fallait entendre une voix humaine, des paroles, des mots, des histoires autres que la sienne. Après deux titres, elle finit par retrouver un peu de son calme. « Je me conduis comme une vraie idiote ! Heureusement que Sarah ne me voit pas ! » Le souvenir de sa meilleure amie lui rappela qu’elle devait dès le lendemain se mettre en quête d’une carte postale.
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Depuis des années, Sarah et elle-même menaient le concours de la carte la plus cucul du monde. Il s’agissait donc de trouver des paysages avec des commentaires stupides en surimpression, des animaux racontant des inepties, des recettes de cuisine illustrées de photos ne donnant absolument pas envie de se lancer dans ce genre d’aventures culinaires, etc, etc. L’idée amena un sourire aux lèvres d'Emma. Elle se souvenait encore de celle qu’elle avait reçue de Malte : la photo, mal cadrée, d’un trottoir avec un réverbère. En arrièreplan, on devinait une plage. Sur l’image, un simple « Welcome to Boujiba ! ». Il fallait bien reconnaître que la carte donnait tout sauf envie de se rendre là ! Elle termina sa bière en se disant que Trisha avait probablement raison : se mettre en quête d’un beau cashmere ou d’un plaid de laine pourrait agréablement lui changer les idées et occuper une partie de la journée du lendemain. Qu’elle s’intéresse à l’histoire de l’Écosse et à Marie Stuart était une chose. Que cela l’amène à en perdre la raison en était une autre. Il lui fallait se ressaisir. Qu’importait, finalement, de savoir ce qu’il était advenu des assassins du conseiller de la reine, ce Riccio ? Que ce fameux Morton soit lié ou pas à David, cela changeait-il quelque chose ? Se prenait-elle pour Miss Marple ou l’héroïne d’Arabesque ? Non, vraiment, elle ferait effectivement mieux de faire du shopping. La curiosité est un vilain défaut, sa mère le lui avait assez souvent répété. Lorsqu’elle éteignit sa petite lampe de chevet, David n’était pas encore rentré.
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Elle dormit d’un sommeil agité. Vers quatre heures du matin, il lui sembla entendre comme un grattement à la fenêtre de la salle de bains. Réveillée en sursaut, les yeux grands ouverts dans le noir, elle n’osait faire un geste. Le bruit reprit puis cessa. Pour se faire de nouveau entendre une poignée de secondes plus tard. Et s’arrêter de nouveau. Recroquevillée sous les couvertures, Emma attendait qu’il se passe quelque chose de plus, ou que ce bruit s’arrête définitivement. Finalement, elle n’entendit plus rien. Elle commençait à replonger dans le sommeil quand un bruit sourd résonna contre le mur, suivi d’un bêlement plaintif. Cette fois-ci, elle n’hésita plus, alluma sa lumière et sauta hors du lit. Lorsqu’elle ouvrit la fenêtre de sa salle de bains, elle fut giflée par une forte bourrasque de pluie. Etonnée, trempée, elle recula vivement. Mais elle avait quand même eu le temps de remarquer le mouton qui avait trouvé refuge sous cette même fenêtre et qui se frottait au mur pour s’abriter du mieux qu’il le pouvait. Le bruit qui avait réveillé Emma n’était autre que son sabot grattant les fondations de pierres de la maison. Elle referma la fenêtre, s’essuya rapidement les cheveux avec une serviette et retourna se coucher. « Bon, la solitude ne me réussit pas et la nature m’effraie ! J’ai vraiment choisi la bonne destination ! » se dit-elle, se moquant d’elle-même. Elle ne tarda pas à se rendormir, bercée par le bruit de la pluie qui frappait maintenant les carreaux. Malgré les événements de la nuit, elle se réveilla en pleine forme le lendemain matin.
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« Shopping me voilà ! » lança-t-elle à son reflet dans la glace, avant d’entrer dans la douche. Une heure plus tard, elle se garait à Aberfoyle. Elle décida de commencer la journée en s’octroyant un véritable petit-déjeuner écossais : thé, saucisse, bacon, œufs brouillés… toutes choses qu’elle ne mangeait pratiquement jamais en France et dont le taux de cholestérol cumulé aurait fait frémir d’angoisse la grande majorité des cardiologues de sa ville. Elle avait bien pensé s’arrêter chez Trisha, mais la manière dont elles s’étaient quittées la veille lui avait laissé un sentiment de malaise et elle n’avait pas envie de revoir la belle Écossaise aussi vite. En plus, elle se sentait un peu honteuse de s’être ainsi laissée aller à des confidences, déplacées pour la plupart. Qu'est-ce qu'il lui avait pris de parler de David ? On aurait dit une midinette de 14 ans parlant de l’acteur de série télévisée dont elle est amoureuse ! D’un pas décidé, elle franchit donc le seuil du pub qui faisait face au petit supermarché. L’obscurité des lieux la prit par surprise, et elle marqua un temps d’arrêt une fois le seuil passé, hésitante. « Emma ! » David se trouvait dans un box sur sa droite et lui faisait de grands signes de la main, un franc sourire aux lèvres. Et elle qui pensait justement à lui ! Quelle coïncidence ! Elle sourit à son tour et prit la direction de sa table. « Bonjour David ! Comment allez-vous ? - Très bien, merci ! Que faites-vous là ? On s’encanaille ? » Emma secoua la tête en riant. « Non ! Enfin, oui, peut-être un peu ! Je venais goûter au petit-déjeuner local. - Alors, vous ne pouviez pas mieux tomber ! Ils servent ici le meilleur de toute la région. Installez-vous et laissez-moi 77
aller commander pour vous. » Joignant le geste à la parole, David s’éloigna en direction du bar. Il se retourna : « Thé ou café ? - Thé. Noir, s’il vous plaît. » Quelques minutes plus tard, le beau berger était de retour. En l’observant un peu mieux, Emma se rendit compte qu’il avait les traits tirés. « Mal dormi ? » questionna-t-elle. Elle espérait ainsi apprendre où il avait bien pu passer la nuit. Sa question, soidisant innocente, lui donnerait peut-être l’occasion d’assouvir sa curiosité. Mais David ne semblait pas se soucier de lui être aimable, une fois de plus. « Oui, cela se voit ? » Il eut un sourire désarmant et elle ne put que détourner son regard en espérant qu’il ne remarquerait pas la rougeur qui montait à son visage. Il soupira. « En cette saison, c’est difficile. Il faut s’occuper d’absolument tout avant l’arrivée de l’hiver. Le bateau doit être réparé, toutes les clôtures du domaine vérifiées, les bêtes parquées dans certaines zones, le bois rentré… et j’en passe ! Il m’arrive de ne pas réussir à dormir en pensant à tout ça. Dans ces cas-là, je vais bien souvent me réfugier sur le lac ou, comme hier, je roule vers les highlands une bonne partie de la nuit. » Il but une gorgée de son thé. « En fait, j’arrive à peine et je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. » Elle fut tentée de poser sa main sur la sienne, dans un geste d’apaisement, comme on caresse un animal inquiet. Mais
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elle sentit ce que cela aurait de déplacé. David pouvait mal interpréter cette simple marque d’intérêt. La serveuse qui apportait son petit-déjeuner fut une diversion bienvenue. « Thank you ! - You’re welcome, » sur un sourire, elle s’éloigna. David explosa de rire devant la mine de gourmande coupable qu’affichait Emma. Il faut dire que devant elle se tenait le plus copieux petit-déjeuner qu’il lui ait été donné de voir. L’assiette croulait littéralement sous les saucisses, les haricots blancs à la sauce ketchup, les œufs brouillés et les toasts. « Mais il y a de quoi nourrir une famille entière ! » s’exclama Emma. « Ou un berger affamé ! - Nous allons partager, alors ? - Merci beaucoup Emma, mais j’ai déjà déjeuné. En fait, » ajouta-t-il en jetant un coup d’œil à sa montre, « je ferais mieux de filer. Il est déjà tard. » Elle n’essaya pas de le retenir, elle savait d’instinct que cela ne servirait à rien. « Très bien ! Je ferai mon possible pour venir à bout de cette tâche inhumaine ! Mais, si vous aviez le temps un peu plus tard dans l’après-midi, je serais ravie de faire le tour de la propriété pour mieux en comprendre le fonctionnement. » Comme toujours lorsqu’il était question de son domaine, le visage du berger s’illumina. « Avec plaisir ! Le mieux est que nous nous donnions rendezvous à la grange, vers 15h30. Cela vous irait-il ? - Parfait, marmonna Emma, la bouche déjà pleine. À tout à l’heure. Et elle se replongea derechef dans son petit-déjeuner 79
pantagruĂŠlique.
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Chapitre 10
Une fois rassasiée, il avait fallu tout son courage à Emma pour ne pas se laisser aller à une douce torpeur dans la pénombre du pub. Elle était bien, repue, et ses inquiétudes de la veille l’avaient complètement abandonnée. Elle finit par se secouer et par sortir du pub. Le froid qui régnait dehors acheva de la tirer de sa léthargie. « Trisha a raison ! Il me faut vraiment un cashmere ! » Elle commença par remonter la rue principale et entra dans un magasin qui faisait face au pub. De nombreux articles étaient annoncés en promotion, mais Emma ne trouvait rien qui soit vraiment à son goût. Elle erra d’un présentoir à l’autre, fouillant parmi les pulls et les cardigans en les trouvant tous un peu vieux jeu. Elle imaginait mal s’affubler d’un col roulé couleur rose bonbon. Elle finit par quitter la boutique et revint sur ses pas. Sur le trottoir opposé se trouvait un grand centre d’informations pour touristes. Emma y entra. Et ne le regretta pas : livres, brochures, romans et bien d’autres choses encore étaient là pour satisfaire sa curiosité sur l’Écosse et ses habitants. Dans un ouvrage consacré aux clans, elle découvrit les couleurs de
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celui de David. Dans un autre, elle apprit que Rob Roy, qui vécut dans cette même région au XVIIIème siècle, était bien une sorte de Robin des Bois local, un héros, sûrement, qui avait plus d’une fois donné bien du fil à retordre aux Anglais. Le livre regorgeait d’anecdotes, mais son niveau d’anglais ne lui permettait pas d’en goûter tout le sel. Elle reposa donc le livre. Il y avait au mur une immense carte de la région en relief qui lui permit de mieux se repérer. Et puis, à défaut d’un pull, elle réussit à mettre la main sur une carte postale où un cerf bramait à la lune un « misssuuuuuu » légèrement ridicule. Elle n’hésita pas longtemps et acheta la carte, un timbre et un guide bilingue sur les rois et reines d’Écosse. Munie de ses emplettes, elle prit le chemin du centre commercial pour touristes qui se dressait non loin. Il ne serait pas dit qu’elle remettrait les pieds en France sans plaid ! Emma rentra absolument ravie de son escapade ! Elle passa devant le tea shop de Trisha sans même y jeter un coup d’œil et continua fièrement sa route jusqu’au cottage. Il était plus de 14 heures lorsqu’elle en franchit le seuil, des sacs plein les bras. Il y avait tout d’abord ses lectures. Puis, un sac rempli de confiseries en tout genre : les Écossais étaient célèbres pour leurs gâteaux au beurre et Emma n’avait pas hésité à en prendre de plusieurs sortes : longs, ronds, au chocolat, dans de jolies boîtes de métal… Elle avait des réserves pour l’hiver entier ! Enfin, dans un autre sac, se trouvaient les achats dont elle était la plus fière : un magnifique pull de cashmere gris souris, un plaid dont les couleurs n’étaient pas sans rappeler le tartan des Douglas et un gros gilet de laine
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tricoté main pour Sarah. Elle avait hésité à s’offrir un kilt, puis s’était souvenue de ce Français d’un certain âge croisé un jour à Roissy et qui portait santiags et chapeau de cowboy pour son voyage au Texas. Elle l’avait trouvé émouvant, mais néanmoins un peu ridicule. Le kilt, donc, avait été repoussé sur son présentoir. Elle avait envie de se faire belle pour cette nouvelle promenade au bras de David. Elle enfila donc un pantalon noir qui mettait en valeur ses jambes élancées et son nouveau pull. Le résultat l’enchanta. Pour ajouter une touche de couleur à l’ensemble, elle agrippa son foulard où de grosses fleurs rouges étaient imprimées sur un fond paille. Elle adorait ce foulard. Certes il était un peu voyant, mais plié de la bonne manière, il égayait n’importe quel ensemble un peu strict et lui apportait une petite touche de folie. Ainsi vêtue, elle sortit devant le cottage pour finir sa tasse de thé. Elle avait encore quelques minutes à elle avant d’aller rejoindre David. Son regard se porta vers le loch. Une barque y flottait paresseusement. De là où elle se trouvait, elle ne pouvait distinguer si quelqu’un se trouvait à bord. Elle distinguait l’amarre qui se tendait au gré des mouvements de l’embarcation. Dans la distance, on aurait dit le fil si mince et si résistant d’une toile d’araignée. La lumière jouait dessus, le dotant de jolies couleurs argentées. Il faisait encore froid, mais le soleil avait décidé de jouer le grand jeu et sortait ses plus beaux rayons. Le paysage, sous cette lumière, étalait une insolente beauté. Emma ne se lassait pas de cette vue, des reflets sur l’eau d’un bleu sombre, des ombres mouvantes des arbres à sa surface. Elle aurait pu passer ses journées à cela. 83
Elle pourrait même y passer sa vie, s’avoua-t-elle avec surprise et dans un sourire. L’idée était un rien folle mais elle ne se sentait pas le cœur de combattre cette folie-là. Elle inspira profondément, riant du froid qui lui piquait les yeux, la gorge, le nez. Il était temps de rejoindre David. Elle claqua la porte du cottage derrière elle et prit le chemin de la grange, les mains au chaud dans les poches de son pantalon. Elle avançait en sifflotant, se prenant à imaginer qu’elle vivait là, que le domaine était sien et qu’elle allait rejoindre son amant, son mari, son âme sœur dans la grange pour l’aider à mettre le bétail à l’abri pour la nuit. Elle aurait été incapable d’affirmer avec précision si le bétail devait effectivement être rentré ou pas pour la nuit, mais cela n’avait pas vraiment d’importance. Elle s’imaginait, arpentant la lande, une houppelande sur le dos, le vent balayant ses cheveux. Spice, le chien, la précéderait sur le chemin, se retournant à intervalles réguliers pour s’assurer qu’elle était bien là. La montagne serait sublime. Emma marcherait d’un bon pas. Elle serait allée vérifier que les arbres avaient été correctement taillés, que les clôtures étaient en place. La balade serait longue mais elle aurait pris avec elle de quoi déjeuner et un thermos de thé. Et puis, la nuit tombant tôt en cette saison, elle devrait rentrer avant 16h pour rejoindre David, parti à Callander acheter leurs pâtisseries préférées. Ils recevraient des amis le soir même, un couple d’Anglais qui avaient tout plaqué pour venir s’installer sur les rives du loch Lomond et qui venaient d’ouvrir une chambre d’hôtes bio, où tout, absolument, répondait aux critères écologiques les plus
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stricts : matériaux utilisés pour la rénovation des lieux, moyens de chauffage, mobilier, linge de maison... Il n’y avait pas un domaine que le bio n’ait envahi. Toute à sa rêverie, elle n’avait pas remarqué que la grange se dressait déjà devant elle. Spice, allongé sur le seuil et maintenant habitué à sa présence, se contenta de remuer amicalement la queue en la voyant arriver. Elle entendait de l’eau couler à l’intérieur. Elle s’approcha. David lui tournait le dos. Penché au-dessus d’un abreuvoir, torse nu, il s’aspergeait le haut du corps. Sa chemise était négligemment posée sur une botte de foin proche. Emma resta sur le seuil de la grange, n’osant plus faire un geste. Il lui semblait assister à une scène d’une intimité incroyable et voler ces instants où l’homme, moitié nu, renonçant à toute pudeur, était sûrement sacrilège. Pour autant, elle était incapable de détacher son regard des muscles, du dos, du torse du berger. L’eau ruisselait le long de son corps parfait sans qu’il ne manifestât le moindre signe de froid. Son attitude, ses mouvements offraient l’image d’un équilibre entre une force contrôlée et une douceur qui se laissait deviner dans ses gestes précis et lents. Elle mesura alors la puissance de son désir pour lui. Elle mourait d’envie de s’avancer pour caresser ce dos, pour essuyer tendrement l’eau qui dévalait du corps de ce mystérieux Écossais. Elle voulait se coller contre lui, embrasser sa poitrine robuste. Elle aurait tout donné pour qu’il la prenne dans ses bras, qu’elle puisse reposer sa tête sur son épaule et qu’il la serre fort, suffisamment fort pour ne plus jamais la laisser partir. Son besoin de lui fut si intense qu’il la laissa étourdie. Elle trébucha. 85
Un bref jappement la ramena à la réalité. Dans son mouvement, elle avait marché sur l’extrémité de la queue de Spice. Le bruit fit se retourner David. « Oh, vous êtes déjà là ? » Sa nudité ne le gênait visiblement pas. Emma, elle, était bien moins à l’aise. « Oui, j’arrive à peine » , mentit-elle. Sans plus de cérémonie, David agrippa sa chemise et l’enfila sur son torse encore mouillé. « Bon, alors mettons-nous en route ! » Le berger commença par emmitoufler Emma dans une chaude veste de chasse fourrée. « Votre pull est superbe, mais je crains qu’il ne soit pas suffisant pour vous protéger du froid ! » lui dit-il en lui tendant la veste. Il lui passa un épais pull et enfila un coupe-vent, au cas où la pluie se mettrait à tomber, ce qui risquait fort d’arriver à en croire les nuages qui se déplaçaient maintenant à une allure folle au-dessus de leurs têtes. Le temps n’en finissait plus de faire des siennes et de changer en permanence. On ne pouvait jamais deviner ce qui allait se passer dans le quart d’heure suivant. Puis, David grimpa sur son quad en faisant signe à la Française de s’installer derrière lui. Emma se retrouva donc collée au dos du berger et malgré les nombreuses épaisseurs de vêtements qui les séparaient, ce contact la fit frissonner. « Vous avez froid ? » s’enquit David avec sollicitude. « Non, non ! Tout va bien, ne vous inquiétez pas. » Il démarra et l’engin s’ébranla bruyamment. Il n’était pas question de poursuivre une conversation dans ces conditions. 86
Emma se laissa donc porter, les vibrations de la machine la poussant un peu plus contre son chauffeur à chaque instant. Spice leur ouvrait la route, courant langue pendante devant le quad, heureux de l’exercice. Ils entrèrent dans un premier champ, les moutons les regardant passer sans manifester plus d’intérêt que cela à leur présence. Puis, ils franchirent une nouvelle barrière et la route se mit à grimper vers la forêt de sapins qui s’ouvrait un peu plus haut. En prenant ainsi de la hauteur, Emma découvrait de nouveaux points de vue sur le domaine. Le loch semblait maintenant bien loin, une oasis inatteignable. On n’arrivait plus à distinguer la barque qui, plus tôt, avait attiré son regard. Les moutons, en s’éloignant, se transformaient en petits points blancs sur une mer verte. Emma souriait devant tant de beauté et d’harmonie, fermement agrippée à David. Ils finirent par s’arrêter juste avant d’entrer dans la forêt et descendirent de leur monture. « Voilà, d’ici, vous vous faites une meilleure idée de la taille du domaine. Il court jusqu’à la route, que vous apercevez face à nous. Le lac est une autre de ses frontières. De l’autre côté, il est bordé par cette clôture, qui se trouve à quelques distances de la grange. Et puis, derrière nous, il s’étend jusqu’en haut de la colline. » Emma en était bouche bée. « Jusqu’en haut ? Jamais je n’aurais cru cela ! Je pensais que la limite en était marquée par l’endroit où nous nous trouvons. » David sourit. « Non. Le domaine est vraiment très étendu. D’où la difficulté, d’ailleurs, de s’assurer que tout va bien partout ! 87
En haut, les rennes, s’ils deviennent trop nombreux, peuvent faire d’énormes dégâts lors de la saison des amours. Il y a tout un équilibre à préserver entre la faune et la flore pour que tout aille bien. La forêt a été ici plantée par l’homme et n’en déplaise à certains écolos des villes, elle prend maintenant trop de place. Elle grignote sur les terres agricoles ou sur les pâturages. Là aussi, il faut veiller à ce que cela n’aille pas trop loin. » David parlait, parlait, parlait, montrant du doigt à une Emma fascinée telle plante qui poussait au pied d’un sapin ou telle trace presque invisible, preuve du passage d’un petit rongeur. Le vent s’était encore renforcé et balayait les cheveux de la vacancière. David, tout à son discours, eut un geste pour retirer une mèche qui lui barrait la joue. Ses doigts effleurèrent la peau d'Emma et cette dernière eut l’impression qu’ils laissaient une trace brûlante après leur passage. Elle frémit. David ne s’était pas rendu compte du trouble qu’il avait provoqué. Tournant maintenant le dos à Emma, il continuait ses explications. Mais elle ne l’écoutait plus. Elle brûlait de se pendre à son cou et de l’embrasser. Rien d’autre ne comptait. Elle sentait encore les doigts de l’homme sur sa joue. David finit par se taire, les yeux toujours fixés sur le loch. Puis, il reprit, à voix si basse qu’elle eut du mal à l’entendre. « Oui, cette terre est mienne et appartient à mon clan depuis des siècles. Elle mérite les sacrifices qu’elle a exigés de nous. Oui, elle les mérite amplement. »
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Ils convinrent tous deux qu’il faisait maintenant trop froid pour s’aventurer plus loin. Les nuages se faisaient menaçants, noirs, colériques. Le couple reprit donc le chemin de la maison. Tout naturellement, David proposa à Emma de venir prendre le thé chez lui et elle accepta. Le froid de la course lui avait remis les idées en place. Elle trouvait encore l’homme séduisant, prétendre le contraire serait mentir, mais elle ne retrouvait pas trace du trouble qui l’avait habité plus tôt. C’était comme si elle avait rêvé ce moment-là, comme si une autre qu’elle s’était alors rendue maître de son corps et de ses pensées. Elle en souriait presque. Mais toute l’expérience lui laissait quand même un goût étrange dans la bouche. Elle n’aimait pas perdre ainsi le contrôle de ses sentiments. Cela ne lui ressemblait pas. Ils s’installèrent au coin du feu. David rit en évoquant la dernière fois qu’ils s’étaient ainsi trouvés là : « Vous, les orteils gelés, moi, le front ouvert ! Quelle histoire ! Quelle équipe ! » Emma sourit. Oui, comme tout cela semblait loin soudainement. Elle avait vraiment réagi comme une idiote. « Vous n’avez pas de séquelles de cette aventure ? » s’enquit son hôte. « Aucune ! J’ai juste l’impression d’avoir été complètement stupide ! En règle générale, je ne perds pas aussi rapidement la tête ! » David eut une lueur amusée dans le regard. « La magie de l’Écosse, Emma… Il ne faut pas sous-estimer sa force qui nous pousse à des actes stupides ou de bravoure, ce sont bien souvent les mêmes ! »
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Elle opina, soufflant sur son thé chaud. David n’avait pas oublié d’y rajouter deux cuillerées de sucre, comme elle aimait. Il s’en était souvenu sans qu’elle ait besoin de le lui repréciser. « Oui, je commence vraiment à accepter l’idée de cette magie. Je dois reconnaître que je ne me reconnais plus depuis que je suis arrivée ici ! » « Vraiment ? » « Je vous assure ! Par exemple, je suis entièrement fascinée par Marie Stuart ! Certes, c’est un personnage historique intéressant, mais quand même ! Je suis obsédée par elle, il n’y a pas d’autres mots ! » David plissa des yeux. « Ah oui ? » Si Emma avait été plus attentive, elle aurait remarqué que le ton de voix du berger avait changé. Mais elle n’y prit pas garde. « Oui ! La mise à mort atroce de son conseiller, Riccio, m’obsède. Tout comme sa passion pour Bothwell ! Je n’ai pas terminé la lecture de sa biographie par Zweig, donc, mes connaissances historiques étant ce qu’elles sont, je ne sais pas comment tout cela va finir… Et d’une certaine manière, je ne tiens pas à le savoir ! J’ai trop peur que son tempérament ne la pousse à commettre une folie irréparable. » David resta un moment silencieux. « Et le vôtre vous poussera-t-il malgré tout à tourner les pages de votre livre ? » Emma sourit. « La curiosité d’une femme est plus forte que tout ! Bien sûr, je vais me replonger dans ma lecture et probablement être horrifiée par ce que le destin lui réserve. » 90
Sans la regarder, David confirma. « Il y a de fortes chances, oui. » Puis, il se leva, lui faisant ainsi comprendre que la conversation avait assez duré. « Je vais devoir vérifier les bêtes pour la nuit. Je vous raccompagne ? » Emma acquiesça. « Avec plaisir. Et merci pour le thé. »
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Chapitre 11
Une fois au cottage, sa bonne humeur ne la quitta pas. Comme la veille au soir, elle alluma toutes les lumières, monta le niveau du chauffage central et chercha un disque qui pourrait lui plaire. Elle opta pour une compilation d’Aretha Franklin. Elle était sûre que la voix divine saurait accompagner à merveille les méandres qu’empruntait la vie de la reine d’Écosse. Elle mit de l’eau à bouillir et attendit dans la cuisine qu’elle soit chaude pour se faire un nouveau thé. Les petits sandwichs et gâteaux qu’avait servis David lui avaient fait passer l’envie de dîner plus copieusement. Un thé, peut-être une tartine un peu plus tard et le livre de Zweig : elle n’en demandait pas plus pour la soirée ! Elle avait toujours autant de mal à se faire à ces nuits qui tombaient si tôt, si vite. Il n’était pas 21h qu’elle avait le sentiment de devoir aller se coucher. Elle luttait mais ne tardait finalement pas à rejoindre son lit. Ce soir-là, elle ne faillit pas à la règle. La demie de neuf heures sonnait à peine qu’elle était sous les couvertures, au chaud, son livre à la main.
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Mais ce soir-là, le sommeil ne la gagna pas. Absorbée comme elle l’était par la vie de Marie Stuart, il lui était impossible d’arrêter sa lecture. La reine, donc, succombe au charme sauvage de Bothwell, son nouveau bras droit. Et va jusqu’à ourdir un plan des plus monstrueux : faire assassiner Darnley, son mari, pour pouvoir être libre d’épouser l’homme qu’elle aime passionnément. Le plan est mis à exécution. Darnley meurt. La reine est libre. Mais son geste une fois accompli, elle semble sombrer dans une mélancolie étrange, comme si sa volonté en avait été brisée. Et elle laisse s’exprimer à voix haute le soupçon qui se murmure dans toute l’Écosse : la reine a tué le roi. Et Bothwell est sa main armée. Sur la porte même du palais royal, des affichettes sont collées qui proclament ainsi le nom du meurtrier : Bothwell. La reine semble ignorer tout cela. Avant même la fin de sa période de deuil, elle quitte Edimbourg et va s’installer dans le château d’un lord. Où la première visite qu’elle y reçoit est celle de Bothwell. Mais le père de Darnley, le comte de Lennox, ne compte pas en rester là. Sous sa pression, un procès est organisé. Bothwell et ses complices devront y répondre de leurs actes. Le meurtre de Darnley ne peut rester impuni. Bothwell et ses troupes n’envisagent pas d’arriver au palais de justice la tête basse et dans une attitude de pénitents. Au contraire ! Bothwell caracole dans toute la capitale écossaise tête haute et y fait régner un régime de terreur. Le jour même où Bothwell doit faire face à ses juges, c’est en compagnie de 4 000 hommes qu’il fait son entrée dans le
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palais de justice ! Il en ressort acquitté. Zweig écrit : « Armé jusqu’aux dents, il cavalcade à travers la ville en brandissant son épée et en provoquant bruyamment en duel quiconque oserait encore l’accuser du meurtre du roi ou de complicité ». Emma frissonna en lisant ces lignes. Quel horrible personnage ! Comment Marie Stuart avait-elle pu se soumettre à un homme pareil, qui n’avait visiblement ni sa classe, ni son éducation ? Pire encore, comment avait-elle pu se laisser convaincre de lui donner sa main après lui avoir accordé sa confiance pour la gouvernance du royaume ? Car c’est ce qu’il advient. Marie Stuart accepte de suivre Bothwell aussi sur ce chemin-là. Mais a-t-elle vraiment le choix ? Comment expliquer une telle attitude de la part de cette reine si fière, parfois même arrogante ? Pourquoi s’abaisse-t-elle ainsi face à Bothwell ? Comment peut-on expliquer la dépendance dans laquelle il la tient ? Zweig, romancier avant tout, sait maintenir le suspense. Emma retenait son souffle. Au détour d’une page, la vérité lui sauta au visage : Marie précipite son mariage car elle est enceinte ! « Mais ce n’est pas un fils posthume du roi Henry qu’elle sent remuer dans ses entrailles, c’est le fruit d’une passion criminelle. » Emma frissonna. Marie Stuart enceinte ! De son amant ! Elle reposa le livre à ses côtés sur la couverture. Il lui fallait du temps pour assimiler la nouvelle. Enceinte… Quelles folies cette femme n’aura-t-elle pas commises !
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La lectrice haletait légèrement sous le coup de l’émotion, comme si c’était elle que le temps pressait. Elle comprenait mieux maintenant la mélancolie de la belle Écossaise, ses marches lentes dans le château désert, la nuit, comme si elle en hantait les pièces vides et mal chauffées. Elle comprenait ses crises de larmes, sa fatigue, son manque d’entrain. Marie… ah Marie, femme si seule, finalement. Héroïne d’un monde masculin, rude, violent. Amoureuse qui ose poser aux pieds de l’homme qu’elle aime son cœur, sa couronne, son honneur. Emma hésita. Poursuivre ? En rester là ? Elle était fatiguée. Elle aurait aimé, surtout, s’endormir sur d’autres images que celles d’une femme meurtrie, grosse d’un enfant non désiré. Elle se leva et se rendit dans la salle de bains chercher un verre d’eau. À travers la fenêtre, elle pouvait voir les champs baignés par la lumière de la lune. Étrangement, on aurait dit un décor en noir et blanc. Le givre recouvrait la prairie, en effaçant son vert si cru. Les moutons étaient pour la plupart couchés. Ils ressemblaient à de petites boules de laine qui laissaient comme une tache sur tout ce givre. La forêt, quant à elle, paraissait grise plus que noire, à l’arrière-plan. Tout était silence. De là où elle se trouvait, elle ne pouvait pas voir la maison de David. Une fois encore, leur isolement la frappa. Mais cette fois-ci, elle réalisa que cet isolement, dans le cas de David, ne se doublait pas d’un sentiment de solitude. Le berger semblait se suffire à lui-même, comme si ses terres, son loch, son bétail, lui racontaient une histoire qu’ellemême était incapable d’entendre malgré l’amour violent qui l’avait prise pour cette région, pour ce domaine. Appuyée au lavabo, les yeux perdus dans le vague, elle était 95
plongée dans ses pensées. Elle ne remarqua donc pas immédiatement la silhouette qui semblait s’éloigner sur le chemin. L’ombre avançait plutôt vite, tête baissée. Emma se redressa. Mais qui cela pouvait-il bien être ? Les poils se hérissèrent sur ses bras. Pourtant, l’ombre ne présentait aucun caractère menaçant : elle s’éloignait. Sur une impulsion, Emma sortit de la pièce en courant, attrapa au vol sa veste la plus chaude et enfila sans les lacer ses chaussures de marche. Elle passa rapidement devant chez David. Spice ne sembla pas s’émouvoir à son passage et resta silencieux. Elle marchait sur les traces de l’ombre qui avançait d’un bon pas, sans se retourner. Elle avait pris le chemin qui conduisait à la route. Mais juste avant d’atteindre cette dernière, elle bifurqua brutalement sur la gauche. Emma accéléra le pas. Elle avait peur de perdre sa cible. Mais cette dernière ne s’imaginant pas suivie ne prit aucune précaution en marchant dans le sous-bois. Malgré cela, Emma s’arrêta, hésitante. Si l’ombre faisait autant de bruit en écrasant les feuilles mortes, il n’y avait pas de raison pour qu’elle-même arrive à se déplacer silencieusement. Elle serait vite repérée. Et que pourrait-elle dire pour justifier son comportement ? De plus, l’ombre n’était peut-être pas animée des meilleures intentions. Comment savoir ? Alors qu'Emma se tenait là, ne sachant que faire, une lumière, soudainement, perça les ténèbres. Dans son halo, une pierre tombale se dressait fièrement.
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Chapitre 12
Emma ne sut jamais vraiment comment elle avait réussi à rentrer chez elle. Mais ce n’est qu’une fois en sécurité, au chaud, le souffle court, qu’elle s’autorisa à penser à ce qu’elle avait vu. Une tombe ! Elle n’avait donc rien inventé ! Il y avait bien là un tombeau, au milieu des fougères et des arbustes. Il était suffisamment dissimulé pour que personne n’y prête vraiment attention, à moins de connaître son emplacement. Mais qui pouvait avoir des raisons de se rendre si tardivement, en se cachant, sur ce tombeau comme pour s’y recueillir ? Elle reprit son souffle, enleva chaussures et manteau et rejoignit la cuisine. Il n’était plus question de dormir maintenant. Elle avait besoin d’un bon thé fort et chaud pour se remettre de ses émotions. Une fois le thé prêt, elle se recroquevilla, la tasse à la main, sur un sofa du salon. Pour une raison qu’elle n’arrivait pas à s’expliquer, elle répugnait à l’idée de retourner dans son lit. Petit à petit, elle parvint malgré tout à se calmer. Elle revoyait la scène, l’ombre se déplaçant à bonne allure devant
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elle. Puis disparaissant dans le sous-bois avant que la tombe n’apparaisse, immense dans la nuit. Qui était cette ombre ? Et qui dormait sous cette pierre tombale pour l’éternité ? Elle se brûla la lèvre en portant sa tasse à sa bouche et gémit. Elle n’était pas faite pour mener ces enquêtes stupides ! Elle était venue en Écosse pour se reposer, pour en apprendre plus sur le pays, sûrement pas pour se transformer en Hercule Poirot féminin. Mais la curiosité était la plus forte. Qui était enterré là ? Et pourquoi aller rendre visite à cette sépulture en se cachant ? Elle soupira. De toute manière, elle n’aurait pas la réponse cette nuit. Elle ferait mieux de retourner se coucher et de repenser à tout cela tranquillement le lendemain matin. À la lumière du jour, ces événements lui sembleraient sûrement bien moins dramatiques qu’en pleine nuit noire. Elle se leva lentement, alla déposer sa tasse dans l’évier de la cuisine puis revint s’allonger sur le canapé. Remontant le plaid jusqu’à son menton, elle grommela pour elle-même : « En tout cas, il n’est pas question que je retourne dans ma chambre ! Non, pas question ! » Elle s’y sentait bien plus seule que dans le salon. Et allez savoir ce qu’elle pourrait encore voir apparaître à sa fenêtre ! Elle ferma les yeux. Le néant l’engloutit. En se réveillant, la première pensée d'Emma fut de se demander ce qu’elle faisait dans le salon au lieu de se trouver dans son lit. Puis les souvenirs de la nuit lui
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revinrent brusquement à la mémoire. Elle se redressa, rejeta le plaid qui lui couvrait encore les jambes et sauta sur ses pieds. « Mon dieu, la tombe ! » Sans plus perdre une minute, elle courut sous la douche. Elle était prête en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Il n’était pas question d’attendre pour se lancer à la découverte de ce mystérieux tombeau. Tant pis pour le petitdéjeuner, elle le prendrait à son retour. Tous ces secrets commençaient à lui peser ! D’un pas décidé, elle franchit le seuil du cottage. Dehors, il faisait encore très froid. Le soleil se levait à peine et le givre n’avait pas eu le temps de disparaître. Emma manqua tomber, les deux marches de son perron étant à peu près aussi accueillantes qu’une patinoire. Elle effectua un rétablissement de dernière minute, reprit contenance et se mit en marche. Chez David, constata-t-elle en jetant un bref coup d’œil au passage, tout semblait encore dormir. « Étonnant, pensa-t-elle, pour un berger ! Je ne savais pas que la profession s’autorisait des grasses matinées ! » En fait, il était bien plus tôt qu’elle ne le croyait. Et il arrivait effectivement qu’à 7 heures, en cette saison, David soit encore couché ou profite pleinement de son petitdéjeuner en regardant les informations à la télévision. Mais Emma ne s’intéressait à ce moment-là ni à David ni à ses supposées activités matinales. Elle n’avait qu’un but, retrouver la tombe, découvrir l’identité du gisant et comprendre ce qui se passait sur ce domaine finalement bien étrange. Elle se disait que cela serait facile. Ce fut loin d’être le cas. 99
Elle eut d’abord beaucoup de mal à reconnaître le virage précis où l’ombre avait bifurqué. Le paysage dans la lumière du jour n’avait pas grand-chose de commun avec celui de la nuit précédente. À chaque instant, elle pensait être arrivée à destination. À chaque fois, elle se trompait. Malgré le froid, elle commençait à transpirer. Ses efforts vains l’enrageaient. Après plus de 45 minutes passées ainsi, elle finit par renoncer et s’assit sur une pierre qui bordait le chemin. Sous son poids, cette dernière bascula et dans un cri, Emma se retrouva cul par-dessus jambes. C’est en se redressant qu’elle remarqua comme une tache grise sur le vert des fougères. Elle s’avança, écartant les branches des arbustes qui lui barraient le passage. Elle retenait son souffle. Une dernière branche, un dernier pas. La tombe se dressait devant elle. Emma avança lentement. Elle avait automatiquement adopté l’allure de ces gens un peu âgés qui se promènent parfois dans les allées calmes des cimetières des grandes villes, l’été, pour y trouver ombrage. Courbée, comme recueillie, elle s’arrêta devant la lourde pierre grise. Elle semblait nue. Mais en se penchant un peu, Emma put y discerner les traces d’une inscription que le temps avait lavée. Elle déchiffra en suivant le contour de chaque lettre du doigt : « Ann – June 1567 RIP Pour luy j’ay hazardé grandeur et conscience, Pour luy tous mes parents j’ay quitté et amys…»
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1567… juin 1567…. N’était-ce pas quelques semaines après le mariage de Marie Stuart et de Bothwell ? Et ces deux vers ? Ne seraient-ils pas de Marie Stuart elle-même ? Emma n’en était pas sûre, mais… Il lui faudrait vérifier. Mais alors, si ces vers étaient de Marie, que faisaient-ils gravés dans la pierre grise de cette tombe et qui était Ann ?… Emma sentit un vertige la prendre. La tête lui tournait. Elle recula d’un pas, fit un rapide signe de croix et se détourna enfin de la vieille tombe. Une folle envie de courir la prit au ventre. Courir, échapper à l’histoire, à l’Histoire, arrêter de passer ainsi d’un siècle à l’autre… Courir, rejoindre la réalité, le plaisir d’un scone chaud, d’un thé fumant. Retrouver l’humour de Sarah, le sourire de Trisha et ses boucles rousses. Entendre Spice aboyer. Entendre Spice… Oui, Spice aboyait bien ! Et à en croire le bruit qu’il faisait, il ne devait pas être très loin. Emma se ressaisit. Elle devait rejoindre la route au plus vite. Il n’était pas question que David la trouvât là, à fouiner, à se mêler de ce qui ne la regardait pas. Son intuition lui soufflait qu’il apprécierait moyennement cette intrusion dans son monde secret. C’était d’ailleurs peut-être lui qui venait se recueillir la nuit, discrètement, sur cette tombe. Il n’était pas temps de se poser ces questions. Elle réfléchirait à tout cela plus tard. Essoufflée, elle se retrouva sur le chemin qui menait au cottage au moment-même où David apparaissait au coin du virage précédent. « Emma ! Déjà dehors ? » Il souriait, l’air frais et dispo. « Vous avez fait une chute ? » Son ton révélait une soudaine inquiétude. 101
« Oui, enfin, non, enfin, oui, rien de très grave… » Emma arrivait à sa hauteur, les genoux couverts d’herbe, des brindilles dans les cheveux, les joues rosies par la course. D’un geste naturel, David enleva une feuille qui s’était coincée dans le col de sa veste. Une fois encore, le contact de ses doigts sur sa peau, sur son cou, la fit frissonner et l’enflamma. « Mais où donc êtes-vous allée traîner ? » s’amusa le berger devant sa mise désordonnée. « Eh bien, je cherchais le fameux sentier dont vous m’aviez parlé pour faire le tour du lac, mais je me suis égarée dans les ronces et les racines. - Cela ne m’étonne pas ! Il ne prend pas du tout par ici. Écoutez, là, je n’ai vraiment pas le temps, un voisin m’a appelé car une de mes vaches a été retrouvée errant sur la route, je dois y aller. Mais plus tard, si vous voulez, je vous montrerai. - Oh cela serait avec plaisir ! Mais je ne veux pas que cela vous dérange ! » Emma était sincèrement ravie. Elle tenait vraiment à se promener sur ce sentier et à découvrir d’autres points de vue sur le loch. Et puis, elle aurait ainsi l’occasion de parler encore un peu avec David. Elle avait beau avoir le sentiment d’être complètement avalée par l’Écosse, elle n’avait pas oublié que son séjour tirait pratiquement à sa fin. Dans à peine plus de 24 heures, il lui faudrait reprendre le chemin de l’aéroport. - Très bien ! Je passe vous prendre en fin de matinée alors. - Parfait ! Je serai prête. » Ils se séparèrent, Emma reprenant le chemin de son cottage comme si de rien n’était, David, lui, se dirigeant vers la route.
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Emma était encore toute étourdie par les événements vécus ces dernières heures lorsqu’elle poussa la porte du cottage. Tout finissait par s’embrouiller dans son esprit. La tombe, Marie Stuart et Bothwell, David, les Douglas, le château d’Holyrood, celui de Stirling… Elle ne savait vraiment plus où elle en était. Elle se laissa choir sur le sofa, sa veste encore sur les épaules. « Mais quelles vacances ! » Elle se releva d’un bond. Elle avait peur d’oublier les vers trouvés sur la pierre tombale, ainsi que les dates qui y étaient inscrites. Elle mit la main sur un bloc de papier posé sur la table basse du salon et y inscrivit : « Ann – June 1567 RIP Pour luy j’ay hazardé grandeur et conscience, Pour luy tous mes parents j’ay quitté et amys… » Ce fut seulement ensuite qu’elle se rappela qu’elle n’avait pas mangé avant de sortir. « Emma, reprends-toi ! Une douche, un copieux petitdéjeuner, voilà ce qu’il faut pour te remettre les idées en place ! Ensuite seulement, tu seras capable de réfléchir correctement. On ne pense bien que le ventre rempli, comme disait ma grand-mère. » Ayant le sentiment de reprendre un peu de contrôle sur ellemême, elle finit par retirer sa veste avant de prendre la direction de sa chambre et de la salle de bains. Vingt minutes plus tard, c’était une femme neuve qui faisait sa réapparition dans le salon. Elle s’était même légèrement maquillée, plus pour ellemême que pour David, même si le fait de partir se promener avec lui n’était pas étranger à ce besoin soudain qu’elle avait de prendre soin d’elle. 103
Emma avait revêtu une longue jupe de laine, couleur sable, qui se portait aussi bien avec des bottes de ville qu’avec ses chaussures de marche. Son pull, dans des tons plus foncés que la jupe, mettait en valeur ses cheveux châtain clair. Elle se sentait femme, élégante. Et avait l’impression d’être ainsi plus maîtresse de la situation. Elle traversa le salon d’une démarche assurée, enclencha la radio juste pour le plaisir d’écouter des gens parler dans une langue étrangère et se rendit dans la cuisine. Là, elle mit la bouilloire en route et des toasts à griller. Une fois le tout prêt, elle retourna dans le salon et installa son plateau sur la table basse. « Bon, bon, bon. Soyons méthodique ! » Elle reprit son bloc note et écrivit. « - 1567 - Marie Stuart - Ann, juin 1567 --- Un fantôme ? - Le mariage de Marie et de Bothwell - L’enfant ? » Elle hésita un moment et ajouta à sa liste le nom de David. Tout en dévorant à belles dents un toast, elle se relut. Puis éclata de rire en arrachant la feuille du bloc. « Non mais n’importe quoi ! Mais qu’est-ce qui me prend !? Je ne suis ni spécialiste du XVIème siècle ni détective privé ! Et cette histoire de fantôme ! Comme si la personne que j’ai vue hier, une torche électrique à la main, revenait du royaume des morts ! Ah ça, Sarah se moquerait bien de moi si elle était là ! » Emma finit ses toasts et son thé de bien meilleure humeur. Il faut dire que le soleil qui brillait au même moment sur le loch avait de quoi redonner le sourire. La nature semblait s’étirer pour offrir le plus de prise possible à ses doux 104
rayons. Les couleurs étaient plus éclatantes que jamais. On aurait vraiment cru vivre dans une carte postale. Les températures avaient bien remonté depuis le matin même. Emma décida donc de poursuivre sa lecture sur le perron du cottage. Elle vérifia que la pierre n’était plus humide et s’installa, lunettes de soleil sur le nez, son livre à la main. Mais elle avait à peine parcouru quelques lignes que ces mots la frappèrent : « Pour luy depuis j’ay meprisé l’honneur, Ce qui nous peust seul pourvoir de bonheur. Pour luy, j’ai hazardé grandeur et conscience, Pour luy tous mes parents j’ai quitté et amys… » Les mots mêmes qui se trouvaient sur la tombe cachée ! Elle n’arrivait pas à en croire ses yeux ! Ces mots, gravés dans la pierre, étaient donc bien des vers de Marie Stuart ellemême ! Comment était-ce possible ? Fébrile, Emma poursuivit sa lecture. Une date, alors, s’imposa à elle : celle du 15 mai 1567. Ce jour-là, le mariage de Marie et de Bothwell est célébré dans des conditions étonnantes pour une reine : « On ne dit aucune messe, les orgues ne retentissent pas, la cérémonie est bâclée rapidement. Les témoins de cette solennité étrange semblent assister à des funérailles » raconte Zweig. Il poursuit en expliquant qu’à peine le mariage prononcé, de profonds désaccords surgissent entre les deux époux. Marie est brisée et plus d’un témoin rapporte que toute joie l’a quittée. Elle ne veut qu’une chose : mourir. « Cette amère lune de miel dure en tout trois semaines qui ne sont que peur et agonie. »
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Bothwell sent le vent tourner. Il connaît les lords : il les a trahis, ils l’ont trahi… Personne ne peut faire confiance à personne alors que le règne de la reine est de plus en plus sujet à caution. Bothwell, donc, prévoyant, recrute des mercenaires. Mais cela ne suffit pas à le rassurer. Le couple est alors à Holyrood. Bothwell préfère quitter ce château pour celui de Borthwick, fortifié. Le 5 juin, il y emménage avec la reine. Les lords se sentant en force marchent sur Edimbourg. La ville est prise, Holyrood tombe entre leurs mains. C’est une armée de mille à deux mille hommes qui avance alors en direction de Borthwick dans l’espoir de s’emparer de l’époux de la reine. Mais ce dernier ne se laisse pas prendre : il s’enfuit, laissant sa femme au château. Les lords, face à leur souveraine, baissent les armes et tentent de la convaincre qu’il faut s’emparer de Bothwell. Mais la reine ne les entend pas. La nuit venue, elle se déguise en page et trompant ainsi toute surveillance, elle saute en selle pour rejoindre son amour, son époux, le maître de sa destinée, qui a trouvé refuge dans son château de Dunbar. Emma reposa son livre. La reine quitte Borthwick pour Dunbar… Elle n’a donc rien à voir avec la tombe mystérieuse du domaine, ce dernier ne se trouvant absolument pas sur le chemin qui mène de l’un à l’autre. Rien à voir… Non ! Il y a quand même ces vers. Les siens. Et les dates. Ce tragique mois de juin. L’enfant de Marie serait enterré ici ? Mais pourquoi ? Comment cela serait-il possible ? Et pourquoi la tombe serait-elle ainsi dissimulée au regard de tous ? Qu’y a-t-il de
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honteux dans la tombe d’un enfant ? Emma n’eut pas le loisir de pousser plus loin ses réflexions. David était là devant elle, sans qu’elle l’ait entendu venir, absorbée qu’elle était par sa lecture. Spice se précipita pour lui lécher le visage. « Non ! Spice ! Non ! » Elle riait, renversée par l’attaque du chien démonstratif. « Spice ! » gronda David. Mais lui aussi souriait. Il appréciait le naturel dont savait faire preuve cette étrange et solitaire Française. Il aperçut alors le livre qu’elle tenait dans la main. « Vous lisez ? » Elle se troubla. « Oui… J’essaie de mieux connaître votre merveilleux pays. C’est le livre de Zweig sur Marie Stuart dont je vous parlais. » Emma était dominée par des sentiments contradictoires. Prise le nez dans le livre, elle avait l’impression désagréable de se trouver forcée d’avouer à David qu’elle aimerait fouiller dans ses tiroirs. D’un autre côté, elle était curieuse de voir comment il allait réagir. Si Marie Stuart était effectivement liée au domaine, comme elle le supposait maintenant, elle ne devrait pas tarder à le savoir. Elle n’avait pas été assez attentive à l’humeur du berger lors de leur dernière conversation à ce sujet. Mais la réaction de David ne lui apprit rien. « Marie Stuart ? Vraiment… Oui, vous m’en aviez parlé…» Il se détourna pour regarder en direction du lac. « Nous y allons ? » Et ce fut tout.
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Chapitre 13
Ils prirent le chemin où ils s’étaient rencontrés le matin même. Ils marchaient en silence. Emma était perplexe. Il lui semblait impossible que Marie Stuart ne soit pas liée au domaine. Et si elle l’était, il était plus qu’improbable que David n’en sache rien. Quelque chose ne tournait pas rond… Pourquoi le berger mentait-il avec tant d’aplomb ? Quel terrible secret se cachait derrière la présence de la reine en ces lieux ? Elle choisit de ne pas pousser plus loin dans cette voie. Après tout, il y avait bien d’autres choses qu’elle rêvait de savoir sur David. Et toutes, à la minute présente, lui semblaient plus intéressantes que de connaître l’identité du cadavre enterré sur ses terres au XVIème siècle. Elle brisa le silence. « Vous avez grandi ici ? - Oui. Ce domaine appartenait à mon père, et avant lui à son père et je pourrais remonter comme cela sur des siècles ! » Il rit. « Vous savez, dans ces cas-là, la question ne se pose pas vraiment de savoir ce que vous aimeriez faire ou pas. Il faut
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assurer la succession. Et c’est ce que je fais. » Elle brûlait d’envie de lui demander ce qu’il adviendrait après lui mais se retint. Elle-même ne supportait pas les gens qui posaient des questions trop directes. Elle ne lui imposerait pas sa curiosité. David reprenait de lui-même. « Mon père m’a envoyé en pension pendant la plus grande partie de ma scolarité. Puis je suis ensuite allé à l’université à St Andrews. À ses yeux, l’éducation n’était pas quelque chose d’optionnel. Il était fondamental d’être bien formé pour pouvoir faire face à tout ce que la vie pouvait vous offrir… et pour tous les coups qu’elle ne manquait pas non plus de vous asséner. » Il eut un sourire triste. « Malheureusement, je ne crois pas que les formations universitaires vous aident à faire face à toutes les circonstances ! Cela serait trop beau. » Emma opina. Elle partageait pleinement son point de vue. Rien, par exemple, ne pouvait vous aider à affronter la mort d’un proche. Et même lorsque cette mort frappait des personnes âgées, votre sentiment de perte n’était pas moindre. Les pensées de David semblaient avoir suivi le même chemin. « Lorsque mon grand-père est décédé, être titulaire d’un doctorat ne m’a été d’aucune utilité. Je ressentais juste un grand vide, comme si on m’avait ouvert le ventre pour en retirer tout ce qui s’y trouvait. Mon père et son père ne s’entendaient pas très bien. Je crois que mon grand-père compensait avec moi les liens qu’il n’avait pas su tisser avec son fils. Nous chassions ensemble, nous pêchions ensemble, nous partions pour des virées en montagne ensemble. J’ai 109
toujours connu mon grand-père veuf et j’aimais cela, le savoir seul maître à bord de sa destinée. Il semblait régner sur toutes choses, tout contrôler. Cela me semblait merveilleux. Du coup, à sa disparition, j’ai pensé que finalement, il ne s’en tirait pas mieux qu’un autre. Il n’était pas immortel, comme je l’avais toujours cru. Et pendant longtemps, je n’ai plus eu goût aux balades dans les highlands, aux sorties sur le loch… » David n’ajouta plus rien. Emma resta elle aussi silencieuse. Elle avait écouté, émue, les confessions du berger, et découvert une nouvelle facette de sa personnalité. L’enfant influençable et solitaire qu’il avait été un jour avait grandi dans l’ombre d’hommes imposants, forts. Des modèles qu’il devait être difficile de contenter. Elle l’imaginait, dans une barque avec son grand-père, fasciné par les récits que ce dernier devait lui faire de l’histoire de l’Écosse, le nourrissant de la vie de personnages comme Rob Roy, cette figure légendaire des Trossachs qui avait frappé l’imagination d’écrivains comme Sir Walter Scott. Quelle enfance cela avait-il dû être ! David avait reçu bien plus qu’un domaine en héritage. On lui avait aussi confié une histoire, des valeurs, des principes. Toutes choses qui faisaient de lui l’homme qu’il était aujourd’hui. « Cet univers est décidément bien masculin, » songeait Emma. « David n’a pas dit un mot sur sa mère ou sur sa grand-mère, à supposer qu’il l’ait connue. C’est quand même troublant… » Ils venaient d’arriver à l’endroit d’où partait le chemin menant à la tombe. David ralentit. « C’est là qu’il faut vraiment bien connaître les lieux. Nous 110
ne sommes pas éloignés du tout de la route mais il suffit de prendre le mauvais chemin pour se retrouver perdu. Et ici, les téléphones portables ne passent pas, dois-je vous le rappeler ! » David avait un ton enjoué mais Emma ne put s’empêcher d’entendre dans sa voix comme une menace : ne vous perdez pas ou vous serez perdue à jamais… Le berger s’engouffra dans le sous-bois. Le chemin sur lequel il s’aventurait était à peine dessiné. Seule une personne familière des lieux pouvait remarquer son existence. « Oh ! » Emma était saisie par la beauté des lieux. Le sentier serpentait, dévoilant puis cachant tour à tour le lac qui scintillait plus loin. On avait l’impression de pouvoir le toucher, puis le voilà qui se dérobait aux yeux. Il faisait frais dans le sous-bois, et humide. Mais la marche était absolument délicieuse. Emma regretta de ne pas avoir pris son appareil photo pour immortaliser les lieux. Elle n’aurait que sa mémoire une fois de retour en France pour raconter à Sarah les merveilles que l’Écosse lui avait dévoilées. David souriait, heureux de voir sa locataire ainsi éblouie. Lui-même ne se lassait pas de ces paysages, de leurs lumières, de leurs changements au fil des jours, des saisons. Tout semblait encore si sauvage qu’on n’avait aucune peine à imaginer Rob Roy – qui, bien sûr, avait été le héros de son enfance – en train de caracoler avec les hommes de son clan dans les Trossachs. On pouvait même croire qu’il allait apparaître au prochain coude que ferait le sentier. Enfin, ils arrivèrent devant le lac. Soudainement, il était là, s’offrant dans toute sa splendeur à leurs regards. 111
« Mon Dieu, c’est vraiment superbe ! » David acquiesça. Oui, c’était superbe, cela ne faisait pas de doute. Il ressentit une bouffée de fierté, comme s’il était pour quelque chose dans cette beauté. Ils restèrent ainsi un bon moment, chacun perdu dans ses pensées, heureux, tout simplement. David fut le premier à bouger. « Aller jusque chez Trisha vous tente ? » Emma eut un moment d’hésitation. Elle ne se rappelait que trop bien leur dernière rencontre. En même temps, l’idée de voir la tête de Trisha lorsqu’elle franchirait la porte de l’établissement au bras de David ne manquait pas de charme. « D’accord ! Mais j’avais l’impression que sa boutique était assez loin à pied. - Pas lorsqu’on connaît les raccourcis, faites-moi confiance ! »
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Chapitre 14
Effectivement, moins d’une heure plus tard, ils étaient en vue du « tea shop ». « Quelle magnifique promenade ! Un grand merci à vous pour prendre le temps de me faire découvrir toutes ces merveilles. - Je vous en prie, Emma ! C’est toujours un plaisir d’avoir une bonne excuse pour passer la journée à marcher dans la lande ! » Il ouvrit la porte et la laissa entrer la première. Trisha était en train de servir une table de touristes et ne remarqua pas tout d’abord leur présence. Ce n’est qu’une fois de retour derrière son comptoir qu’elle les vit. « Emma ! David ! Quelle bonne surprise ! » Elle ne put s’empêcher de remarquer qu’ils formaient un couple superbe. Leurs mouvements étaient harmonieux, accordés. On aurait dit qu’ils vivaient dans un monde empli d’eux seuls. Et pourtant, la fine femme doutait qu’il se soit passé quoi que ce soit entre eux. Leur aisance était naturelle. Ils ne le savaient peut-être pas encore, mais ils étaient à l’évidence faits l’un pour l’autre.
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Elle les installa à une table tranquille, dans un recoin du magasin. Ils auraient tout loisir de poursuivre leur discussion ou de se perdre dans la contemplation du lac. « Vous déjeunez ? - Avec plaisir ! Tu as quoi de bon aujourd’hui ? » Elle conseilla à David une « Jack potatoe » au saumon et à Emma de goûter son « haggis», plat traditionnel écossais à base de panse de brebis farcie. À cette simple évocation Emma plissa du nez. « Je ne suis pas sûre Trisha… - Fais-moi confiance, c’est délicieux ! Avec une purée maison… » David s’amusait de sa moue dubitative. « Emma, vous ne pouvez pas vraiment avoir succombé au charme de l’Écosse si vous ne vous livrez pas à quelques excentricités culinaires ! Et Trisha fait le meilleur haggis du monde. Laissez-vous faire. » Les arguments de David portèrent et Emma s’inclina. « Très bien ! Je vous fais confiance ! Mais je compte bien déguster un peu de ce superbe gâteau au chocolat là-bas lorsque j’en aurai fini avec votre brebis ! » Elle pointait du doigt la production du jour qui trônait fièrement sur le comptoir de Trisha. Le gâteau au chocolat comptait trois étages épais et était recouvert d’un nappage dans lequel on distinguait des éclats de noisettes. « Quelle gourmande tu fais ! Ah ces touristes ! » s’exclama Trisha, faussement choquée, en reprenant le chemin de sa cuisine. David et Emma sourirent, complices. En attendant leurs plats, ils discutèrent de tout et de rien. Emma, à son tour, se mit à parler de sa scolarité à l'école de la Fosse Cornue, de Lieusaint, ville où elle avait grandi. 114
David n’y était jamais venu. Les descriptions qu'Emma lui faisait de ses professeurs l’amusaient. Savoir, surtout, que l’uniforme n’était pas obligatoire à l’école le surprit. « Partout au Royaume-Uni les enfants portent un uniforme à l’école. C’est comme cela, c’est tout. Cela ne nous viendrait pas à l’idée de faire autrement ! » La discussion s’orienta alors sur les différences entre leurs deux pays. Trisha déposa leurs plats devant eux sans même qu’ils s’en rendent compte, absorbés comme ils l’étaient par la conversation. Emma se mit donc à déguster son haggis sans plus y prêter attention que ça. Mais après deux coups de fourchette, elle s’immobilisa. « David… » Ce dernier interrompit l’analyse dans laquelle il s’était lancé sur le système de santé britannique. « Oui ? Quelque chose ne va pas ? - Vous plaisantez ! Ce plat est absolument merveilleux ! C’est fou ! Comment peut-on réussir une chose aussi parfaite ! » Son enthousiasme était tel que David éclata de rire. « Emma, vous êtes vraiment charmante ! » Si la déclaration avait le mérite d’être spontanée, elle ne plongea pas moins le couple dans un silence gêné. Emma avait rougi sous le compliment et ne savait pas comment y répondre. Elle se contenta donc de marmonner un inaudible « merci » et se replongea immédiatement dans la dégustation de son plat. David ne chercha pas à briser le silence. Il mangeait lentement, prenant le temps d’apprécier chaque bouchée. Ses gestes avaient quelque chose d’immuable. À le 115
voir, on imaginait sans peine les générations de paysans qui s’étaient succédées sur cette terre, tous accomplissant les mêmes tâches, aux mêmes heures, avec cette sorte de calme, de sérénité qui semblait les mettre à l’abri des tourments éprouvés par le commun des mortels. Il était redevenu l’homme inaccessible du début de son séjour, celui qui se cachait derrière son rôle de maître de maison d’hôtes pour ne rien donner de lui-même. Il finit, après une dernière bouchée, par poser sa fourchette. Emma avait elle aussi terminé son haggis. David lui sourit. « Alors, prête pour le gâteau au chocolat ? » Elle se détendit et lui rendit son sourire. « Je crois que je vais exploser ! N’y aurait-il pas un peu d’alcool dans ce plat ? Je me sens légèrement étourdie. » David acquiesça. « Effectivement. Du whisky ! - Mon Dieu ! Je vais avoir besoin d’une sieste ou vous allez devoir me porter sur le chemin du retour ! - Ne vous inquiétez pas, rien ne nous presse. Je n’ai pas fini mon thé. Nous pourrions acheter du gâteau au chocolat et l’emporter avec nous si cela vous tente ? - Quelle bonne idée ! Je vais commander un café, choisissez le gâteau qui vous plaît et nous goûterons une fois rentrés ! » David ne put se retenir de rire devant son enthousiasme. On aurait dit une enfant à qui on viendrait d’annoncer que Noël se fêterait deux fois cette année ! Ils burent tranquillement leur thé et leur café. Trisha n’osait les rejoindre, briser leur intimité. Elle connaissait suffisamment David pour savoir qu’il se livrait rarement à ce genre de déjeuner en tête à tête avec les touristes qui passaient le seuil du cottage. Il y en avait eu plus d’une, 116
comme Emma, à être attirée par lui et à le lui faire comprendre. Il avait toujours repoussé leurs avances, gentiment mais fermement. Trisha trouvait elle aussi qu'Emma était différente des autres. Elle essayait sincèrement de comprendre comment les choses fonctionnaient ici et elle était visiblement tombée complètement sous le charme du pays. Le couple discutait, Trisha était trop loin pour savoir de quoi il était question. Elle se contentait d’observer leurs gestes, leurs regards. On sentait chez l’un comme chez l’autre une grande peur de blesser et d’être blessé. Leur attitude parlait du respect mutuel dont ils faisaient preuve l’un pour l’autre. Trisha se demandait juste si David avait vraiment tout dit du passé à Emma. Et si ce n’était pas le cas, cela changerait-il leurs rapports lorsqu’elle découvrirait la vérité ? Elle soupira. Une vague d’inquiétude venait de lui serrer le cœur. Oui, David méritait d’être heureux, enfin. Elle espérait juste que rien ne vienne troubler ce bonheur.
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Chapitre 15
Emma et David finirent par quitter l’établissement pour reprendre le chemin du domaine. Ce déjeuner les avait rapprochés, toute gêne ayant maintenant disparu de leurs rapports. Spice les avait attendus sagement sous l’auvent du magasin. Il frémit de joie à leur vue, jappa, et partit en courant sur le chemin, les précédant. Tout naturellement, David fit glisser son bras sous celui de sa compagne. Ils marchaient du même pas, un sourire aux lèvres, dans l’après-midi d’octobre. Le ciel s’était légèrement couvert pendant leur déjeuner, mais les températures restaient malgré tout agréables. La promenade passa trop vite au goût d'Emma. Avant même qu’elle puisse s’en rendre compte, ils étaient arrivés devant la porte de son cottage. Elle eut un rire : « Prêt pour le goûter ? » David acquiesça. « Ne croyez pas avoir le monopole de la gourmandise, Emma ! »
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Elle ouvrit sa porte et ils entrèrent. Emma avait l’impression de marcher dans un rêve. C’était comme si elle avait de tout temps vécu avec cet homme et que cette journée exceptionnelle ne soit qu’un dimanche comme les autres. Au fond d’elle-même, elle savait bien qu’il n’en était rien. David avait une vie radicalement différente de la sienne, et où, visiblement, il n’y avait pas de place pour une femme. Elle-même repartait le lendemain en début de soirée et allait retrouver son appartement, ses amis, sa vie. Tout cela, pourtant, lui semblait si loin. Sa place, à la minute présente, était aux côtés de cet homme et toute sa vie trouvait là un aboutissement qui lui paraissait des plus naturels. Elle ne voulait plus se poser de questions. Elle savait du plus profond de son être que David lui plaisait. Il était intelligent, cultivé, prévenant. Elle aimait parler avec lui, apprendre des choses de lui. Chaque minute en sa présence était précieuse. Y aurait-il plus entre eux ? Était-ce d’ailleurs nécessaire ? Elle n’en savait rien et ne tenait pas à le savoir. David l’avait suivie à la cuisine pendant qu’elle préparait le thé. « Vous vous êtes plue au cottage ? - Énormément ! Ce lieu est vraiment magique. La vue est incroyable mais il n’y a pas que ça. On s’y sent bien. Personnellement, je trouve qu’il apporte tout le confort nécessaire à un séjour réussi, et même plus encore. J’ai le sentiment que la personne qui l’a décoré l’a fait avec beaucoup d’amour pour le lieu. » Elle s’arrêta et rougit. « Excusez-moi, je suis stupide ! Je m’imagine toujours que les objets ont une âme et que, s’ils vivent dans un environnement qui leur convient, ils sont heureux. Leur 119
bonheur est la cause du bien-être que l’on peut ressentir chez certaines personnes. C’est un peu idiot comme vision des choses… en tout cas, sûrement très enfantin ! » Elle eut un petit rire. David s’approcha d’elle. « Pas du tout, je trouve que vous avez complètement raison. » Il était face à elle et la regardait droit dans les yeux, comme s’il y cherchait une réponse à une question qu’il n’avait pas encore posée. « Emma… » Elle retint son souffle. « Oui ? » murmura-t-elle. Il posa sa main sur sa joue. « Emma… » Cette fois, elle ne dit plus rien. Elle plongeait dans le bleu de ses yeux, rêvant de s’y noyer. Il se rapprocha encore d’un pas. Elle pouvait sentir son souffle sur ses cheveux. Elle se sentait défaillir. Puis, la bouche de David fut sur la sienne, murmurant son prénom, encore et encore, entre deux baisers. Emma se laissa couler entre ses bras, se nichant contre lui, perdue, éperdue, heureuse, ne sachant plus où elle était. Sans cesser de l’embrasser, David l’entraîna vers le canapé du salon où il l’allongea. Il était sur elle, puissant, fort, montagne de tendresse et d’amour. Il se recula un peu pour mieux la regarder. « Oh, Emma… » Dans sa voix résonnait tant de bonheur, de désir, d’impudeur qu’elle ne put retenir une larme. « David… » À son tour, elle osait prononcer son nom, l’appeler à elle. 120
Il souriait. Il allait replonger vers elle, vers sa bouche qui se tendait vers lui lorsque son regard fut attiré par le bloc-notes qui traînait sur la table basse. « Ann – Juin 1567 RIP… » David se redressa brutalement et agrippa le carnet. « Pour luy, j’ai hazardé grandeur et conscience, Pour luy tous mes parents j’ai quitté et amys… » Il était blême soudainement. Emma eut peur. « David ? » Elle-même essayait de reprendre contenance. « Où avez-vous trouvé ça, siffla-t-il, qui vous autorise à fouiner dans la propriété ? » Toute trace de tendresse s’était effacée de sa voix. Emma trembla. « Mais… » Il jeta le bloc à terre et quitta la pièce sans plus lui accorder un regard. La porte du cottage claqua dans son sillage. Emma n’avait même pas eu le temps de s’asseoir. Anéantie, elle sentit les larmes qui roulaient sur ses joues.
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Chapitre 16
Emma passa le reste de la journée à errer dans le cottage. Elle n’avait pas tardé à entendre le 4x4 démarrer après l’éclat de David. Depuis, elle n’espérait qu’une chose : le voir revenir pour pouvoir s’expliquer. Mais les heures passaient et le berger ne se montrait pas. La mort dans l’âme, elle commença à préparer ses bagages. Le nouveau plaid, ses livres… Elle entassait les choses machinalement dans sa valise sans y prêter attention. Tout fut assez vite rassemblé. Elle aimait voyager léger et ne se chargeait jamais outre mesure. Elle s’assit dans le salon et sans prêter attention à ce qu’elle faisait, elle se mit à lisser sa jupe, encore et encore. Le dos droit, le regard fixé sur la porte, elle ne voyait pas passer le temps. Elle revivait en boucle le film des dernières heures. La tombe dans la lumière du matin, l’inscription, la promenade, le haggis, le baiser… Puis, un trou noir et le film repartait. Le baiser… Le baiser…. Les larmes inondaient ses joues sans qu’elle cherche à les retenir.
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David étendu saignant dans le chemin… David à moitié nu dans la grange… David sur le quad, sa chaleur qui la réchauffait… David, David, David… La douleur était trop forte. Elle se leva. Il fallait faire quelque chose. Ce fut alors qu’elle aperçut le livre responsable de son malheur : Marie Stuart. Sa première impulsion fut de l’attraper et de le jeter. Mais elle se reprit. Fébrilement, elle se mit à en tourner les pages. Peut-être la solution à ce mystère se trouvait-elle là ? Si le livre lui avait déjà appris tant de choses, peut-être cachait-il entre ses pages d’autres révélations. Marie a donc rejoint son mari à Dunbar. Elle n’y trouve rien qui sied à son rang. Mais qu’importe, il faut maintenant se battre. Elle emprunte donc à une paysanne du cru des vêtements : un kilt, une blouse, un chapeau de velours noir. Ces vêtements sont ceux d’une femme prête à mourir aux côtés de son époux. Ce dernier a levé une armée de mercenaires. Il veut prendre les lords à contre-pied et marche avec ses hommes sur Edimbourg. C’est le 15 juin 1567 que les deux armées se font face, à Carberry Hill. D’un côté, Bothwell a l’avantage du nombre. Mais face à lui se dresse toute la noblesse écossaise, sans laquelle la reine ne peut compter régner. Car le message des lords est clair : ils veulent la tête de l’assassin du roi Darnley. Des pourparlers s’engagent. Les troupes, finalement, renoncent au combat. Celles de Bothwell, fatiguées
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d’attendre, s’en vont, tout bêtement. Ce que voyant, les lords poussent leur avantage et coupent toute retraite au couple royal. Un émissaire, Kircaldy of Grange, est alors envoyé à la reine à laquelle est faite cette dernière proposition : laisser Bothwell aller où bon lui semblera pendant qu’elle s’en retournera à la tête des lords à Edimbourg. La reine accepte. Bothwell l’embrasse – cela sera la dernière fois – et part à brides abattues. Là prend fin leur tragique romance. Emma perdait patience. Rien de tout cela ne concernait le domaine, ne pouvait être relié à David. Le destin de Marie lui semblait odieux, terrible. Mais il n’était plus temps de pleurer sur le sort d’une femme morte des siècles plus tôt. Mais la reine est huée par ses sujets. Et c’est en prisonnière qu’elle entre dans Edimbourg. Les lords décident que la situation, avec elle emprisonnée en ville, est intenable. « Ils décident de conduire la reine en un lieu plus sûr : on choisit le château de Lochleven, situé au milieu d’un lac ; celle qui y commande est Marguerite Douglas. » Emma en était bouche bée. Voilà le lien qui lui manquait… Le château de Lochleven n’est pas très éloigné du domaine de David… et ce nom… Marguerite Douglas… Cela ne pouvait être une simple coïncidence. Son cœur battait à se rompre. Elle devait continuer sa lecture, elle savait que la vérité n’était plus loin maintenant. C’est donc le 17 juin que la reine est enfermée à Lochleven.
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Zweig est formel : à ce moment-là, elle ne souhaite pas se séparer de Bothwell car elle ne veut pas que l’enfant qu’elle attend de lui soit un bâtard. Emma sentit des frissons lui parcourir le dos. L’enfant… L’enfant, est-ce possible ? Elle tenta de se concentrer sur les lignes, sur les pages… Marie s’entête. Mais voilà qu’un nouvel incident va la blesser profondément. Bothwell, qui jouit d’une relative sécurité, envoie un de ses serviteurs à Edimbourg pour récupérer une cassette où il serre des documents qui lui sont précieux. Mais ce dernier le trahit et la cassette atterrit dans les mains… du Comte de Morton ! Lorsque la cassette est ouverte, on y découvre la correspondance de la reine avec Bothwell, et ses sonnets. Dont celui qui orne la tombe du domaine… Emma laissa tomber son livre. Elle claquait des dents, pressentant l’horrible vérité. Marie avait dû perdre son enfant avant terme, ou à la naissance de ce dernier. Et les Douglas-Morton avaient dû s’assurer que le corps ne soit pas retrouvé. Pourtant, il lui fallait une sépulture décente. Il s’agissait malgré tout de l’enfant de la reine d’Écosse. Voilà probablement comment la tombe s’était retrouvée sur les terres de la famille tout en étant malgré tout assez éloignée de Lochleven. Et pour qu’aucun doute ne subsiste sur l’identité de l’enfant, on avait gravé les vers de sa mère sur la pierre grise. Peut-être même les rebelles à leur souveraine avaient-ils tué cet enfant, menace certaine sur l’équilibre déjà fragile du
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pays… Emma faisait les cent pas dans son salon, comme un lion dans sa cage. Mais pourquoi, pourquoi des siècles plus tard fallait-il garder un tel secret ? Quel mal la mort de l’enfant de Marie Stuart pouvait-elle encore faire ? Elle n’arrivait plus à réfléchir. Il lui manquait sûrement un lien, une information. Elle se replongea dans le livre de Zweig. Mais la lecture ne lui apprit plus rien. Une solide migraine battait à ses tempes lorsqu’elle reposa enfin le livre. Il était près de 3 heures du matin et David n’était toujours pas rentré. Alors, Emma perdit tout contrôle sur elle-même. Il n’était pas dit que le fantôme d’un enfant se mettrait entre elle et l’homme qu’elle aimait. Qu’importe ce que ses ancêtres avaient pu faire, il en avait suffisamment payé le prix. Elle enfila sa veste d’un geste rageur et se précipita dehors. Elle devait trouver David, elle devait lui parler. La lune éclairait les champs comme en plein jour. Elle se précipita d’abord à la grange, mais il n’y était pas. Elle ne prit pas le temps de se perdre en conjectures et courut en direction du lac. Elle criait son nom, se moquant d’être entendue des moutons, de troubler leur repos. Les premiers voisins étaient trop loin pour qu’elle réveille qui que ce soit. Elle tenta, sans succès, de retrouver le chemin qu’ils avaient emprunté le matin. Elle fit aussi chou blanc avec celui qui
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menait à la tombe. Elle sanglotait en marchant, s’arrachant les cheveux aux branches basses des arbres. Puis, soudainement, elle s’arrêta. Le peu de raison qui lui restait prit le dessus. Elle ne devait pas se perdre. Égarée, elle regarda autour d’elle, plus bien sûre de savoir où elle se trouvait. Trop tard, il était déjà trop tard. Les sapins se ressemblaient tous, chaque fougère n’était que la copie conforme de la précédente. Emma ne savait pas où elle était. Résignée, elle se mit en boule au pied d’un arbre, priant pour que l’aurore ne soit pas loin alors que le froid s’insinuait sous sa veste, sous son pull, comme des milliers de piqûres d’abeille. Une aube pâle et jaune la trouva là, claquant des dents, collée au tronc de l’arbre. Elle ne se ressemblait plus, avait même cru perdre la vie lors de cette terrible nuit. À la lumière du jour, elle découvrit qu’elle n’était en fait pas éloignée de la route. Elle avait dû tourner en rond un bon moment, comme il est fréquent dans ces cas-là. Épuisée, elle se traîna jusqu’au chemin qui menait au cottage. Au loin, elle put voir que le 4x4 était garé à sa place. C’était comme si les dernières heures n’avaient été qu’un violent cauchemar, comme si rien de tout cela n’avait existé, la tombe, les vers de Marie Stuart, le visage pâle de rage de David au-dessus du sien. C’était trop. Emma poussa un petit cri et s’écroula, évanouie.
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Chapitre 17
« Emma, Emma… » Elle ne voulait pas ouvrir les yeux. Elle devait être encore en train de rêver. Une main, dont elle connaissait maintenant bien la chaleur, lui caressait la joue. Il lui fallait revenir à la vie, revenir à la réalité. Son esprit était encore confus. Elle tentait de rassembler ses idées avant d’affronter le regard du berger. « Emma, je t’en prie… » C’était la première fois qu’il la tutoyait et son cœur fit un bond. Ses paupières battirent et elle ouvrit enfin les yeux. « David ? - Chut ! Ne dis rien, tu es encore faible. » Il continuait de lui caresser la joue. Il n’était pas rasé, avait l’air épuisé. La nuit avait laissé de grands cernes noirs sous ses yeux. Elle y porta un doigt et en dessina les contours. « David… » Leur baiser fut le plus doux, le plus tendre qu’ils aient
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jamais échangé. « Ma chérie… » David semblait avoir tout oublié de son éclat de la veille. Mais Emma tenait à en avoir le cœur net. « David, il faut que tu me dises maintenant, je veux savoir. J’ai appris pour Lochleven et l’enfant de Marie… » David la coupa d’un baiser. « Tu ne sais rien. Aucun livre n’a jamais mentionné cette histoire. » Il se tut un moment, songeur. « C’est Spice qui t’a découverte. Lorsque je t’ai vue ainsi, j’ai cru que tu étais morte. » Il soupira. « Je n’ai jamais eu aussi mal de ma vie. » L’aveu fit frémir Emma. Aimer était donc possible. Aimer et être aimé. Le reste, finalement, avait-il quelque importance que ce soit ? « J’ai compris que je n’avais gardé le silence que trop longtemps. » Il l’aida à s’asseoir et lui tendit une tasse de thé chaude. « Bois ça, et je te raconterai tout. » Elle obéit sagement. « Je crois que tu as deviné une partie de l’histoire. Oui, James Douglas, comte de Morton et Marguerite Douglas étaient liés. Et surtout, unis dans leur haine de la reine et de sa foi. Je te rappelle qu’elle était catholique ! Marie n’attendait pas un mais deux enfants. Le premier, Ann, n’a pas survécu. Mais son frère jumeau, Andrews, si. Marguerite et Morton sont tombés d’accord pour faire croire le contraire à la reine. Il était impensable qu’elle élève cet enfant. À la naissance des jumeaux, ils les ont donc subtilisés. Marie 129
était tellement épuisée qu’elle n’a pas demandé à voir les enfants lorsqu’on lui a annoncé leur mort. Elle n’a pas non plus souhaité assister à leur enterrement et jamais plus elle ne les a mentionnés. C’était alors une femme brisée. Sa passion pour Bothwell l’avait poussée à faire des choses horribles, abominables, et à trahir tous les préceptes que lui enseignait sa foi. Ann a donc été enterrée sans chichis dans le domaine des Morton, où tu te trouves aujourd’hui. Et son frère a grandi chez les fermiers. Mais en vieillissant, Morton n’arrivait pas à oublier ces enfants. C’est lui qui avait mis Ann en terre. Il était derrière la porte de la reine, les enfants dans les bras, lorsqu’on annonça à cette dernière que sa progéniture n’avait pas survécue. Il n’arrivait pas à chasser de sa mémoire le bruit des déchirants sanglots qu’il entendit alors s’échapper de la poitrine royale. Il prit donc soin de faire établir une stèle au nom d’Ann, stèle qui comportait les vers de sa mère. Et il s’intéressa de plus près au sort d’Andrews. Ce dernier n’avait pas eu beaucoup de chance. Il était mort à l’âge de 17 ans de la tuberculose. Mais il avait eu le temps d’avoir un fils. Fils que Morton recueillit et éleva comme l’un de ses propres petits-enfants. » David se tut. Il se pencha pour embrasser Emma. « Je pense que tu as compris maintenant. Je suis un descendant direct de Marie Stuart. »
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Epilogue
L’avion décolla et amorça son virage sur la Firth of Forth dont les eaux sombres reflétaient les ailes de l’appareil. Emma, le front collé au hublot, regardait s’éloigner sous elle la terre écossaise. Elle n’était pas triste. Les dernières heures passées au domaine de Chon Farm avaient tout simplement été magiques. Elle ne pourrait jamais les oublier, jamais. David avait encore comblé quelques trous de l’histoire. Ce lourd secret, c’était la première fois qu’il le partageait. Le destin de son aïeule lui avait toujours semblé trop tragique pour pouvoir être raconté. C’était aussi la raison pour laquelle il ne s’était jamais marié, n’avait jamais offert les clés de son cœur et de son domaine à aucune femme. Emma l’avait laissé dire. Elle lui tenait la main pendant qu’il évoquait les Morton et Marie Stuart comme s’il les avait vus la veille encore. Elle écoutait. Il n’y avait rien d’autre à faire. Puis, il avait été l’heure de partir pour l’aéroport. David avait tenu à venir avec elle. Il se débrouillerait pour rentrer, cela n’avait pas d’importance. Ils avaient trop peu de temps
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à être encore ensemble pour en gâcher la moindre seconde. Elle ne refusa pas. Elle n’arrivait pas à le quitter. Ils firent la route en silence. David avait tout dit, déjà. Elle n’avait rien à ajouter. Ce fut ensuite le bruit et l’agitation propres à un aéroport. De grands blocs de béton protégeaient les abords de celui-là depuis que, quelques années auparavant, un attentat avait ravagé celui de Glasgow. Ils rendirent la voiture de location, prirent un bus et se retrouvèrent brutalement dans l’univers un peu ouaté de l’aérogare. Le silence ne leur pesait pas. Il les isolait du reste du monde. Ils enregistrèrent le bagage d'Emma puis se retrouvèrent de nouveau dans le hall, désoeuvrés. « Emma, je vais y aller maintenant. » Elle opina. Elle n’aimait pas les au revoirs qui s’éternisent, les adieux larmoyants sur les quais de gare. Elle préférait garder ses émotions pour elle-même. Il la prit dans ses bras et la serra fort contre lui. Elle retrouva d’un coup son odeur, où se devinait la fragrance de la terre en octobre, et elle crut défaillir. Elle s’arracha à son étreinte et s’éloigna sans plus se retourner. Elle savait qu’autrement, elle ne pourrait jamais trouver la force de monter à bord de l’avion qui l’attendait pour la ramener à sa vie quotidienne. Les contours de l’Ecosse s’effaçaient sous les nuages et la nuit qui tombait. Emma ferma les yeux. L’avenir leur appartenait. Toutes les fibres de son corps le savaient, le lui confirmaient.
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L’avion l’éloignait de David. Son cœur, lui, ne l’avait pas quitté.
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Note de l’auteur
L’histoire de Marie Stuart a inspiré de nombreux passages de ce roman. La reine d’Écosse a fait couler beaucoup d’encre, de son temps comme du nôtre. Les faits avancés ici sont historiquement prouvés et s’appuient sur de solides lectures dont la liste vous est proposée dans les pages suivantes. Il faut malgré tout reconnaître que la fiction se mêle à l’Histoire dans les dernières pages du roman. Les historiens ne peuvent s’accorder sur cette grossesse supposée de Marie Stuart et sur la mort du ou des nouveaux-nés. Là, la romancière a pris le pas et a choisi, pour le bon déroulement de l’intrigue, d’offrir une descendance à cet enfant disparu de tous les livres d’histoire. Les Morton existent bien. Et j’appartiens à leur famille. Ironie du destin, une de leur branche est aujourd’hui catholique, après avoir ainsi tant lutté pour que cette religion disparaisse de l’Écosse. En ce qui concerne les lieux évoqués en ces pages, tous existent bel et bien, aujourd’hui encore.
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À vous, un jour, de partir à la découverte de ces paysages, qui, j’en suis sûre, vous enchanteront comme ils enchantent ceux qui n’ont pas peur de se laisser aller à les aimer. Ann Morton.
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Notes bibliographiques
Le livre de Stephan Zweig, Marie Stuart, a fortement inspiré ce roman. La version originale a été publiée pour la première fois en 1935, à Leipzig. Les citations sont tirées de l’édition française de poche, traduction de l’allemand par Alzir Hella. Les recherches ont également amené l'auteur à consulter les ouvrages de Michel Duchein Elisabeth Ier d’Angleterre et Marie Stuart, publiés aux éditions Fayard. Pour ceux qui sont fascinés par la vie et l’œuvre de Marie Stuart, nous vous conseillons le livre de Didier Course, « En ma fin est mon commencement », écrits religieux et moraux de la reine Marie Stuart suivis des réactions et commentaire sur sa vie, son emprisonnement et sa mort, aux éditions de l’Harmattan.
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Derniers ouvrages du même auteur : Le magicien d'Oz, CreerMonLivre.Com, 2020 Peter Pan, CreerMonLivre.Com, 2020 Le fantôme de Canterville, CreerMonLivre.Com, 2020 Orgueil et Préjugés, CreerMonLivre.Com, 2020 Le Tour du Monde en 80 jours, CreerMonLivre.Com, 2020
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