Mystère au Galop

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Mystère au galop

Vacances au Parc Fédéral.



Vanina Noël

Mystère au galop

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Ce livre raconte ma passion, j'espère qu'il vous plaira... Lucile


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Chère Lucile, Maman a réalisé ton histoire, une histoire formidable d’amitié, d’aventure, de complicité avec les poneys. Elle se passe au Parc équestre fédéral qui est la maison de famille de tous les cavaliers de France petits et grands. Je te souhaite beaucoup de plaisir à lire Mystère au galop. Je sais que tu passes de beaux moments de vie dans ton poney-club avec tes amis, tes poneys et Maureen, ta monitrice. Profite bien de tes années poney. 9


Elles te feront de beaux souvenirs d’enfance qui te réchaufferont le cœur toute ta vie. Bonne lecture et belles aventures à poney !

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Depuis une bonne demi-heure, une petite foule en ébullition piétine la cour du poney-club de Fretin. Pour les douze enfants réunis là, c’est une grande aventure qui commence. Joyeux malgré une petite appréhension, chacun essaie de dissimuler son excitation et de prendre un air détaché, mais on voit bien, à leurs gestes brusques, que ce n’est pas naturel. Parmi eux, une fillette de taille moyenne, aux cheveux blond vénitien coiffés en une queue de cheval et aux grands yeux gris, cherche du regard ses parents dans le groupe d’adultes un peu plus loin. Elle paraît plus angoissée que les autres. C’est que c’est la première fois que Lucile Carlier part de chez elle aussi longtemps sans ses parents. A part les vacances chez mamie, mais ça, ça ne compte pas. Mappy, c'est comme maman, en plus âgée et plus bavarde : c’est le bonheur. Quand elle commence à parler et qu’on sait que ça va durer des heures, on n’est pas obligé

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d’écouter ; elle se vexe un peu mais elle nous aime quand même. Et puis chez mamie, on connaît, Lucile a tous ses repères, depuis le temps. Elle adore les gâteaux, l'odeur du chocolat, et surtout, les chevaux. Elle sait à l’avance tout ce qu’elle va faire pendant ses vacances, alors elle ne s’ennuie jamais. Alors que là, rien à voir. Elle n’a qu’une vague idée de l’endroit où elle va, elle ignore à quoi cela ressemble, ni ce qu’elle va y faire. Elle a un peu peur de s’ennuyer le soir, après les entraînements, à l’heure où l’on se demande ce que font les autres, quand on se dit : « tiens, papa et maman doivent sortir de table à cette heure-ci ». Elle part pourtant avec tout son club, c’est-à-dire Maureen la monitrice et les onze jeunes cavaliers avec qui elle apprend, mercredi après mercredi, les joies de l’équitation. Maureen, c’est un peu comme une deuxième maman. La maman du mercredi. Elle est à l'écoute, passionnée, on peut presque tout lui dire. Et puis elle est unique aussi, avec ses cheveux lâchés, et son air de toujours avoir peur de faire une gaffe. Elle qui est pourtant si musclée, pleine de charme, raisonnable et attentionnée. Lucile regarde son groupe. Quelle fine équipe ! Dans le lot, il y a Maëlys-prend-la-tête, celle qui sait tout (mais vraiment tout, à se demander si elle ne mange pas des pages de dictionnaire au petit déj’– tiens, ce sera l’occasion de vérifier), Emma-la-gaffeuse (comme son nom l’indique), Marie-Morgane-laparfaite, Méline-la-pipelette, et Ambre… Ambre, quoi. Ah oui, il y a aussi Valentin.

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Valentin, c’est le nouveau. Il est arrivé il y a quelques semaines à peine, et il a tout de suite été adopté par l’ensemble du groupe, sauf peut-être par Loane, parce qu’elle a peur des chiens. Et Valentin a un chien, sans lequel il serait complètement perdu. Osiris est un magnifique labrador sable, incroyablement intelligent et un peu joueur. C’est un chien guide très efficace, mais surtout, c’est le meilleur ami de Valentin. Lucile ne sait pas pourquoi Valentin est aveugle, si c’est de naissance ou pas, elle n’a jamais osé demander. Et puis c’est sans importance. Parfois, elle se pose des questions étranges à son sujet. Comment est-ce qu’il perçoit le monde, est-ce qu’il rêve en couleurs ? Est-ce qu’il sait au moins à quel point il est beau ? Parce que, même en réfléchissant bien, la fillette ne pense pas avoir déjà croisé dans sa vie quelqu’un d’aussi beau. Peut-être un effet de ses cheveux bouclés, ou justement de ces yeux bleus qui ne regardent rien. Quoi qu’il en soit, Valentin a l’air d’être parfaitement maître de lui. Ses gestes sont lents et mesurés ((1) notes à la fin du livre), il n’hésite jamais. Il semble posséder une espèce de sagesse, cette sagesse qui manque à certains… Le car démarre enfin, tandis que sur le bord de la route, les parents des cavaliers font semblant d’être contents de se débarrasser d’eux pendant quelques jours (la vérité, c’est qu’ils sont vraiment contents, mais ce qu’ils ne savent pas encore, c’est qu’il leur faudra moins de vingt-quatre heures pour se rendre compte à quel point on s’ennuie quand on n’a pas

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l’habitude d’être tranquille). Sur leur siège, les enfants baillent. Même ceux qui ont réussi à dormir se sont levés trop tôt, et puis il a fallu préparer les poneys avant de les faire monter dans les vans, et c’est difficile de faire un pansage quand on a les yeux encore tout endommagés par le marchand de sable. – J’espère qu’il va faire beau toute la semaine ! s’exclame Loane. – Ça, je dirais que ça dépend de l’anticyclone (2), répond Maëlys. Si la compression adiabatique (3) de l’air subsiste (4), alors il va faire beau. Loane n’a pas compris, mais elle préfère ne pas demander d’explication, sinon Maëlys n’hésiterait pas à lui en donner, et ce serait dommage pour le reste du voyage. Lucile, le nez collé à la vitre, est songeuse. Ce qui la ravit le plus, c’est le temps qu’elle va pouvoir passer avec son poney Prince, un magnifique français de selle. C’est un peu comme si elle partait en vacances avec son meilleur ami. Tiens, Méline ne serait pas contente d’entendre ça. Parce qu’officiellement, c’est elle sa meilleure amie. Mais c’est différent. D’abord parce que Méline n’est pas un poney, mais surtout parce qu’avec elle, l’amitié a toujours été une évidence : les deux copines se connaissent depuis six ans et ont toujours été amies. Alors qu’avec Prince, cela n’a pas été tout de suite aussi simple. Au début, Lucile a eu besoin d’un peu de temps pour se sentir à l’aise, même si elle appréciait déjà beaucoup de

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prendre soin du poney. Elle aimait tendre la main vers ses naseaux (5), lui faire des gratouilles. Elle avait pris confiance en elle à panser (6) Prince, à lui prendre les pieds pour nettoyer ses sabots et à le seller. Puis petit à petit, elle avait pris de l’assurance en selle. C’est grâce aux conseils de Maureen qu’elle avait pu créer avec Prince ses premiers liens d’amitié, qui devenaient de plus en plus forts au fil du temps. Lucile sait qu’à force de se découvrir, ils pourront former un jour une équipe d’enfer. « Ce jour-là, je serai meilleure cavalière ! » soupire la fillette. Elle écoute les conversations de ses camarades surexcités. Ninon a apporté un jeu de petits chevaux miniature, avec de toutes petites pièces aimantées. Une partie miniature s’engage entre elle et Emma, quand une petite fille aux cheveux blond clair couverte de taches de rousseur quitte son siège pour venir s’installer juste devant elles. C’est Maëlys-prend-latête, qui ne pouvait quand même pas manquer une occasion d’expliquer l’histoire du jeu des petits chevaux ! – Ça vient des factions romaines (7) de courses de char. Les cavaliers faisaient sept tours de pistes comptabilisés au compteur à œufs. Personne n’a rien compris, mais personne n’ose demander. Parce que Maëlys, on la connaît, elle serait capable d’expliquer.

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« C’est beau la Sologne, en cette saison », se dit Lucile. Mais elle est déjà venue dans cette région, alors en réalité c’est sans doute beau tout le temps. Des forêts, de l’eau, une nature sauvage et omniprésente, des maisons en brique rouge et ocre ; ce lieu est une réserve de chasse réputée. Cela pullule (8) de châteaux et de vieilles histoires de rois de France. Ici, les prisons se transforment en maison de cavaliers, et même les tartes ratées se changent en plat national. Lucile, célèbre pour ses rêveries éveillées, croit apercevoir, en fermant à peine les paupières, des cavaliers surgissant des brumes. Bientôt (déjà ? Elle a dû s’assoupir…) un panneau surgit au détour d’une route, qui fait sursauter tout le monde, et Méline s’écrie : « Lamotte-Beuvron ! On y est ! » Lamotte-Beuvron ! Depuis le temps que Lucile en entend parler ! Le parc équestre fédéral, où se tient le Generali Open de France ! Ce que c’est excitant de

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penser qu’on va s’entraîner à l’endroit même où sont passés les plus grands champions ! Ce parc qu’on n’a jamais vu qu’à la télévision, il est là, à quelques centaines de mètres ! On a beau se dire que ce n’est qu’un parc, cela fait quand même un truc bizarre dans la poitrine, comme quand on rencontre enfin quelqu’un qu’on connaît sans le connaître, le gars qui parle à la radio par exemple, ou le gamin qui fait les pubs pour les desserts au chocolat. Le car s’engouffre dans une allée signalée par deux piliers surmontés chacun d’une tête de cheval en bronze (ou en cuivre, ou en plâtre, ou en… bref, ce n’est pas un stage d’arts plastiques que le club vient faire ici, alors l’important c’est surtout de remarquer qu’il s’agit de têtes de chevaux…). Au moins, pas de doute sur la nature du lieu ! Les enfants se pressent et se bousculent dans l’allée centrale du car pour apercevoir le château (« de Napoléon III » a précisé Maëlys), et certains s’amusent des nombreux petits toits pyramidaux qui chapeautent (9) la plupart des édifices. On s’arrête enfin dans une vaste cour délimitée par plusieurs rangées de box symétriques. On va enfin pouvoir se dégourdir les jambes ! Les enfants patientent déjà depuis quelques minutes quand enfin arrivent les vans qui transportent les poneys. – Mon beau Prince, viens, je vais t’installer. Dans le van, ça sent la paille, le crottin et la chaleur

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moite. Lucile colle son nez contre l’encolure (10) de Prince, et se sent immédiatement rassurée. Cette odeur, c’est celle de ses mercredis au club, c’est un morceau de ses habitudes qu’elle a emporté jusqu’ici. Elle se dit que c’est étrange, finalement, que ses plus beaux souvenirs soient associés à des fragrances (11) de terre, de bottes crottées et de sentiers boueux. Des odeurs de nature et cette sensation d'être en communion avec son poney. Chaque enfant fait sortir son poney du van, lui enlève ses protections et le fait marcher plusieurs minutes afin de le détendre. Les poneys sont heureux de se dégourdir les membres après leur voyage. Leurs sabots sont curés, on leur enlève la paille accrochée aux crins, on vérifie leurs membres, puis ils sont conduits dans leurs box. Là, ils sont tous abreuvés (12), brossés à l’étrille (13) et au bouchon (14). Les petits cavaliers les plus consciencieux (15) passent même quelques coups de brosse douce pour lustrer leur robe, le tout entre deux câlins et des paroles réconfortantes. Puis on s’achemine vers la cafétéria, où un autre groupe d’enfants est déjà installé. *** – Bon, d’accord, ce n’était pas prévu, mais après tout, pourquoi pas, hein ? Maureen, un peu mal à l’aise, bafouille et tourne autour du pot, tout en passant nerveusement la main dans ses mèches rebelles, ce qui a pour effet

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d’accentuer le désastre de sa coiffure. – Bon, je m’explique. Voilà : à table, avec les moniteurs des autres clubs, nous avons établi nos plannings de la semaine. Et d’un commun accord, nous avons pensé que ce serait dommage de se quitter sans faire une petite activité collective en fin de semaine. Aussi, on s’est dit qu’une petite compétition… – Oh non ! proteste Emma. On avait dit : stage nature. On devait faire des balades à poney dans la forêt, pas s’entraîner dur toute la semaine ! – Ne vous inquiétez pas, il n’y a aura rien de compliqué ! L’entraînement ne sera pas plus difficile, ni moins amusant. Nous utiliserons le parcours de cross que nous aménagerons dans la forêt et que nous découvrirons tout au long de la semaine. La seule différence, eh bien, c’est le chrono. Mais ne vous affolez pas, ce n’est rien de conventionnel, c’est juste histoire de partager un petit moment et de… Maureen s’approche d’Emma en chuchotant : – Comme on dit, ce qui compte, c’est de participer ! Et si vous perdez, promis, je ne vous abandonnerai pas sur l’autoroute au retour ! Les enfants ont l’air soulagé, mais sont quand même un peu bougons (16). Il faut bien avouer qu’au poneyclub des Hauts-de-France, on est surtout une bande de copains, et l’esprit de compétition gagnerait à être un peu stimulé. Mais bon, puisqu’il n’y a pas d’enjeu, c’est d’accord pour cette fois : Maureen aura sa fausse compétition, puisque ça lui fait plaisir.

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– Pas d’enjeu, c’est vite dit, se désole Lucile, pour qui sauver sa dignité est pourtant un enjeu de taille. Je ne suis pas capable de me mesurer à qui que ce soit, même pas à moi-même. Si je suis chronométrée, je vais perdre tous mes moyens ! – Tu exagères, répond Méline en souriant. Exagérer ? Bon, d’accord, elle exagère peut-être un peu. Si peu. Bon, réfléchissons. J’ai toute la semaine pour m’entraîner. Je devrais pouvoir sauver les meubles, non ? Toute la semaine… D’accord, cela fait quatre ans qu’elle s’entraîne ! Mais là, ce n’est pas pareil, on n’est pas dans les Hauts-de-France et peut-être… Peutêtre quoi, d’abord ? Peut-être qu’ici il y a des fées, et qu’il peut se produire un miracle, non ?

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– Prince, s’il te plaît ! murmure Lucile à l’oreille de son poney. Avance ! Tu ne peux pas me faire ça ! Lucile place les aides (17) de son mieux, se redresse, vérifie que les rênes soient bien tendues mais pas trop. Elle serre les jambes derrière la sangle, donne un petit coup de talon au poney, et tente de se faire obéir. Mais Prince n’en fait qu’à sa tête. Il s’arrête tous les deux mètres, piétine un peu, fait des mouvements inhabituels. Le parcours n’est pourtant pas des plus difficiles, il s’agit juste de faire un tour du parc, pour prendre connaissance des lieux. Rapidement, Lucile est distancée. Et bien sûr, ses amis ne se privent pas pour la rappeler à l’ordre : – Alors, Lucile, qu’est-ce que tu fabriques ? demande Ambre. – Lucile, tu dors, ton poney ne va pas assez vite ! chantonne Méline. Heureusement, Emma-la-gaffeuse prend sa défense : – Arrêtez de l’embêter, ce n’est vraiment pas gentil. Vous aimeriez, vous, qu’on vous rappelle sans arrêt que vous êtes trop nuls ? 22


Merci Emma, ça c’est une amie. Emma-la-gaffeuse, comme son nom l’indique. Finalement, Maureen fait demi-tour pour venir voir ce qui ne va pas. – Prince n’a pas l’air très en forme. Je vais en parler au soigneur, ne t’inquiète pas. Et arrête de faire cette tête, ce n’est pas de ta faute si il est fatigué. Le voyage a été épuisant pour tout le monde. Bien sûr. N’empêche que c’est sur lui que cela tombe, évidemment. Épuisant pour tout le monde… Pas pour Osiris en tout cas, qui saute comme un fou autour de Valentin et Balalaïka. Ni pour Freya, la ponette de Méline. Tandis qu’elle fait des efforts pour réduire l’écart qui la sépare des autres, Lucile aperçoit une vague agitation dans les fourrés qui bordent le chemin. En se contorsionnant un peu, elle arrive à distinguer la silhouette furtive d’un poney, un magnifique poney chocolat aux crins lavés (18). Un Palomino ! Sa longue crinière blonde vole derrière lui. Elle regarde de tous les côtés : personne. Sans doute un cavalier solitaire qui a fait faux bond à son club. Ou un autre poney qui a mal vécu le voyage et le fait savoir en conduisant son cavalier n’importe où… *** – J’ai une mauvaise nouvelle à t’annoncer. Assise sur le bord du lit de Lucile, Maureen ne sait pas comment formuler les choses. Mais Lucile se doute que quelque chose ne va pas, car en rentrant tout à

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l’heure, elle s’est aperçue que Prince boitait un peu. – Le vétérinaire a vu Prince. Il n’est pas simplement fatigué. Il souffre d’un abcès (19) au sabot arrière gauche. Il va être mis au repos, et il retournera au club dès demain. Lucile sent les larmes lui monter aux yeux. Comme chaque fois qu’un enfant se sent mal, Maureen commence par triturer ses cheveux avec anxiété, avant de prendre sur elle et de se transformer en super-héroïne-du-mercredi. Elle pose ses bras sur les épaules de Lucile et l’attire contre elle pour la consoler. – Ne t’inquiète pas, tout se passera bien, ils prendront soin de lui. En attendant, le moniteur d’un autre club a proposé de te prêter un poney. Tu verras, il est adorable, je suis sûre que vous allez bien vous entendre. Des pensées de toutes sortes se bousculent dans la tête de la fillette. D’abord, elle s’en veut terriblement de ne pas avoir senti que Prince avait mal. « C’est impardonnable, pauvre Prince. » Ensuite, elle repense à tous les efforts qu’elle a dû fournir pour se sentir en confiance, créer des liens avec son poney, et le temps et l’énergie que cela a pris. « Adorable ou pas, je vais devoir faire connaissance avec un nouveau poney. J’espère qu’il sera coopératif ! » Elle est désolée pour Prince, et un peu mélancolique à l’idée de continuer cette aventure sans lui. Ce soir, la fillette a le cœur un peu serré en suivant

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Méline dans les couloirs de la colonie. Elles se rendent à la bibliothèque, d’où elles pourront envoyer de leurs nouvelles à leur famille. Lucile avait tellement hâte de raconter à ses parents combien le parc était beau et grand, comme elle y était bien avec ses amis. Et puis voilà : elle n’a plus envie, elle a le cœur tellement gros qu’elle voudrait le poser sur son lit pour ne plus avoir à le porter. Méline, déjà, appuie sur « envoyer » et déconnecte son compte de messagerie pour passer la main à son amie. – J’ai demandé à mes parents de nous envoyer des chocolats, dit-elle en accompagnant ses mots d’un sourire espiègle. Lucile prend place devant le clavier. Papa, maman Vous me manquez beaucoup. Il est arrivé un petit accident à Prince, et il doit rentrer au club dès demain. Je vais devoir monter un autre poney. Je suis très triste. Heureusement que mes amis sont là pour me remonter le moral. Vous connaissez Méline, avec elle je ne serai pas triste bien longtemps, ne vous inquiétez pas. J’espère que tout se passe bien à la maison, et surtout que personne ne laisse mon frère entrer dans ma chambre (rappelez-lui qu'il n'a pas le droit de toucher à mon livre Harry Potter !)

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Maman, merci d’avoir glissé ma peluche Lali dans ma valise, je ne suis plus un bébé mais, je ne sais pas pourquoi, ça me fait plaisir de l’avoir, ça me rappelle un peu la maison. Je vous embrasse. A bientôt. Lucile

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– Alors là, vous voyez, ce sont des chênes, des charmes, des noisetiers… toutes ces forêts, on les doit à Napoléon III, qui a assaini la Sologne en plantant des arbres et en asséchant les marais, qui propageaient énormément de maladies. La région lui doit une fière chandelle, parce que… – Maëlys, coupa Méline, comment tu fais pour tout savoir ? – Eh bien, je suis hypermnésique. Je suis capable de me souvenir de beaucoup, mais vraiment beaucoup de choses. En fait, je me souviens de toute ma vie, depuis que je suis toute petite. Et donc de tout ce que j’ai lu ou appris et qui m’a intéressée. Et il se trouve que je m’intéresse à tout. – Ouah ! ça doit être fantastique ! Se souvenir de tout ! Raconte-nous ton tout premier souvenir ! – Eh bien, je… en fait… Vous savez que le Beuvron tient son nom du castor ? Beaucoup de cours d’eau se nomment ainsi, ça vient de « biber » : castor. L’air de rien, Maëlys tire un peu sur les rênes de Préciosa, et l’incite à s’éloigner de Méline et de 27


ses questions indiscrètes. Gentille, Méline, mais quelle curieuse ! Elle veut toujours tout savoir, et comme elle est très habile, elle finit toujours par arriver à ses fins. Cette balade, quel bonheur ! C’est vrai que la nature est superbe. Lucile, loin des cours de sciences naturelles dispensés par son camarade, tente juste de garder son calme sur Isidore, le poney qu’on lui a attribué ce matin. C’est un poney de type Dartmoor, plutôt sportif et généreux mais très attiré par les feuilles vert tendre qui bordent le chemin. Il s’arrête à chaque mètre ou presque pour brouter à sa convenance. – Lucile, noooon ! attentioooon ! Tu n’es pas dans le bon sens ! se moque Ambre. – Jojo l'escargot vient de te doubler ! – Allez, quoi, avance ! Tu ne vas pas nous dire que tu as peur ? Encore une fois, heureusement, Emma-la-gaffeuse prend sa défense : – Arrêtez, vous êtes lourds, à la fin ! ça vous plairait que tout le monde vous prenne pour le plus trouillard de la terre ? Et vous croyez que c’est sympa de lui faire remarquer que tous les escargots du chemin l’ont doublée ? Tiens, d’ailleurs là c’est une limace, pas un escargot… Merci Emma. Emma-comme-son-nom-l’indique. Lucile est tendue. Mais contre toute attente, Valentin fait demi-tour et vient se mettre à côté de la jeune fille. Il allonge la main, flatte un peu l’encolure d’Isidore, qui

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paraît apprécier. – Je peux te donner un conseil ? Ne te décourage pas. Redresse-toi et reprends tes rênes. Elles sont bien ajustées ? Lucile suit ses conseils. Mieux placée dans sa selle, les rênes tendues lui permettant de mieux sentir les réactions d’Isidore, elle se sent tout de suite plus en confiance. – Maintenant, fais-lui comprendre que c’est toi qui guides. Elle prend une grande inspiration, et serre avec assurance les jambes tout en claquant de la langue. Aucune réaction. Mais cette fois, Lucile ne se décourage plus, et recommence, un peu plus fermement. Isidore renâcle (20), mais se met au pas en suivant la trajectoire que lui indique la jeune cavalière. Lucile positionne ses mains comme Maureen le lui a appris, travaille son assiette (21), met les épaules en arrière et avance le bassin dans la selle. Isidore répond par un élan plein d’entrain et allonge le pas. – Tu vois, ce n’est pas très compliqué de se faire obéir. Tu dois chercher à créer un lien. – Merci, bredouille Lucile, ravie d’avoir réussi à créer un premier contact avec son nouveau poney. – Là, regardez ! s’écrie Ambre. Un castor ! Castor ou pas, en entendant brailler de la sorte, l’animal a fui sans demander son reste. Maureen fait les gros yeux : – Ambre, je t’ai déjà dit qu’il fallait respecter la nature,

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cela fait partie des valeurs défendues par les cavaliers ! Et respecter la nature, cela signifie aussi ne pas perturber l’existence des petits habitants de la forêt. Ambre est confuse. Elle baisse la tête. Comme MarieMorgane-toujours-aussi-parfaite la toise d’un œil réprobateur (22), Emma, toujours prompte (23) à défendre l’opprimé (24), commence : – Oh, ça va ! ça vous plairait, vous, … Mais elle est stoppée net par le reproche muet de Maureen, qui lui fait comprendre en une seconde que parfois, se taire, c’est bien aussi. Ils sont à quelques dizaines de mètres du pont qui les sépare de l’entrée du parc, lorsque Lucile le voit à nouveau : le poney solitaire, celui qu’elle a déjà aperçu la veille ! La jeune cavalière est partagée entre l’envie d’alerter les autres et l’envie de garder secrète la présence de l’animal. De toute façon si elle crie, elle va l’effrayer. Alors elle se tait, et se contente d’un signe discret de la main. N'empêche qu’elle ne peut penser à autre chose tandis qu’elle brosse Isidore, au point que le bouchon lui tombe des mains. – Lucile, réveille-toi ! Tu n’es pas avec nous ! Lucile se concentre. Après le pansage, elle glisse une main le long de la jambe d’Isidore pour lui curer l’antérieur droit. Isidore n’a visiblement aucune envie de lever le sabot mais Lucile pose son épaule contre lui, bascule son poids sur le poney en insistant pour lui

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saisir le pied. Ça y est, elle sent que le poney prend appui, avant de lui offrir le sabot pour la toilette du jour. Elle est ravie : elle commence à créer petit à petit une relation de confiance avec le Dartmoor. A l’aide du cure-pied (25), elle enlève soigneusement les petits cailloux agglomérés (26) dans le sabot et repose la jambe d’Isidore. Elle n’oublie pas de le caresser pour le remercier de sa confiance. Elle passe aux autres membres tout en écoutant les blagues d'Ambre et Emma qui pansent elles-mêmes leur propre poney. L’ambiance est toujours sympa dans les écuries et Lucile adore ces moments privilégiés après la balade.

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Ce soir, c’est une surprise de taille qui attend les jeunes cavaliers après le dîner. Comme le jour commence à décliner, Maureen réunit tout le monde devant l’entrée de la colonie, et annonce que les enfants ont une demi-heure pour se changer et préparer leurs montures. – Dans une demi-heure exactement, nous partons ! Les enfants se ruent dans les dortoirs. Lucile partage sa chambre avec Méline. Il n’y a pas beaucoup de place, et il a fallu s’organiser : Méline a pris le lit du haut, Lucile celui du bas. Méline a mis ses affaires de toilette à gauche du lavabo, et un peu à droite aussi, et Lucile, où elle pouvait. Méline a rangé ses vêtements à gauche du placard, en haut, et aussi en bas, et un peu à droite en haut et en bas, et puis un tout petit peu (à peine) sur le bureau. Lucile a mis les siens… dans sa valise, près de son lit. De là à dire que son amie est envahissante… « Comme ça, tu auras moins de choses à ranger avant de partir » a annoncé Méline. Et Lucile a bêtement répondu « Oui, merci. » 32


Elle est drôle cette Méline, pense Lucile. C’est un sacré personnage. Heureusement qu’elle est là. *** Une balade nocturne en pleine forêt, ça c’est une vraie aventure ! Mais ce n’est pas cela, la surprise… – Regardez, crie Ambre, là-bas, des feux-follets ! – N’importe quoi, contredit Loane, c’est un départ d’incendie ! Marie-Morgane soupire bruyamment, avant de déclarer d’un ton sec : – C’est un feu de camp, tout bêtement. Maureen met pied à terre, et encourage les enfants à l’imiter. Les poneys sont installés dans un coin où tout a été prévu pour qu’ils soient bien, tandis que les cavaliers prennent place autour du feu. Soudain, quelques notes de guitare percent l’obscurité, et un musicien grimé (27) en on-ne-sait-pas-exactementquoi fait son apparition dans la nuit. Il porte un costume à peu près médiéval, avec de longs cheveux pas très bien coiffés et des oreilles pointues dont on espère qu’elles sont fausses. Un déguisement d’homme médiéval à l’époque où ils ressemblaient à des elfes mal coiffés. Sa musique est envoûtante, hypnotisante, à tel point que tout le monde sursaute quand apparaît une seconde créature en longue robe de princesse, de l’époque où les princesses portaient des robes en imitation feuillage et avaient les oreilles pointues, elles aussi. L’époque où elles étaient presque super belles,

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si elles n’avaient pas eu ces oreilles d’âne. Accompagnée par la mélodie à la guitare, la voix claire de la femme s’élève doucement dans les bois, et se met à raconter. « La légende raconte qu’il y a longtemps, très longtemps… » Elle accompagne son récit de longs gestes amples, et les flammes font danser des images dans ses yeux. Derrière elle, le musicien a sorti d’étranges instruments au son cristallin (28), sur lesquels il tape, et cela évoque à Lucile toutes sortes d’images qui lui parviennent confusément, à travers sa fatigue et ses paupières mi-closes. « La légende raconte… » des choses terribles, épouvantables. Elle parle d’un monstre qui, il y a plusieurs siècles, dévorait les paysans. Il attaquait la nuit, sans faire de différence entre ses victimes. Lucile croit en avoir déjà entendu parler. – La bête du Gévaudan ! s’écrie Maëlys. – Non ! répond sèchement la conteuse. Pas du tout. Mais alors, absolument pas. Maëlys est penaude. C’est la première fois qu’elle se trompe. La conteuse reprend. Et dans son histoire à elle, le monstre était un homme. Un homme avide de sang, d’une cruauté impensable. Un tyran sanguinaire, un abominable tueur… bref, aucun mot n’est assez fort pour le décrire. Mais le plus terrible, c’est que ce tyran avait en sa possession un objet magique grâce auquel il pouvait communiquer avec les animaux, les

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hypnotiser, et les convaincre de lui obéir. Et contrairement à ce qu’on pourrait croire, il n’ordonnait pas aux animaux de fabriquer des colliers de fleurs ou des flûtiaux en roseau, mais de massacrer des villageois ! Pendant dix ans, monté sur son cheval gigantesque, il battit la campagne, recrutant des armées d’animaux à qui il demandait, à la nuit tombée, de se glisser dans les maisons pour tuer tout le monde… Il y eut des centaines, des milliers de victimes ! Rien que cela. Lucile frissonne. Elle est terriblement fatiguée, et lutte pour ne pas s’endormir, mais chaque fois qu’elle se laisse aller, ses paupières se ferment, et des images terribles lui apparaissent. – Un jour, reprend la conteuse, un jeune et valeureux berger décide de se mesurer au tyran et de le déposséder de son objet magique, afin que les animaux redeviennent gentils et que les massacres cessent. La confrontation a lieu dans une forêt, à la tombée du jour. Lucile, à présent bien éveillée, est suspendue aux paroles de la jeune femme aux oreilles beurk. Et voici, à peu près, ce qu’elle raconte : le jeune berger, haut comme trois pommes, est seul face au tyran qui est évidemment un géant de trois mètres cinquante-deux, monté sur un cheval de cinq mètres dix-huit (si, si). Mais, comme dans tous les contes qui finissent bien, le berger est rusé, et le tyran aussi stupide que méchant. Le jeune berger, qui a remarqué que le tyran ne mettait guère pied à terre, a vite fait de comprendre

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que l’objet magique qu’il cherche se trouve non sur l’homme, mais sur sa monture, et que ce n’est autre que la magnifique bride (29) de cuir qui orne la tête de l’animal, et dont les rivets (30) étincellent d’une façon surnaturelle et un peu suspecte. « Une bride magique, ça c’est inattendu » se dit-il. Alors, n’écoutant que son courage, il se rue sous le cheval, s’accroche à son ventre, tend les bras et parvient à dérober la bride et à s’enfuir. Mais le tyran, vu sa taille, va forcément le rattraper, et cela risque de vraiment mal se passer ! – S’il vous plaît, interrompt Maëlys, je n’ai pas bien compris. Comment a-t-il pu détacher la bride en se trouvant sous le ventre de… La conteuse enchaîne comme si elle n’avait rien entendu. (Et puis d’ailleurs qu’est-ce qu’elle en sait ? Elle n’y était pas, elle, dans la forêt, en ce glorieux soir de l’an de grâce 1248 : elle ne fait que répéter bêtement les histoires à dormir debout que se racontent les conteurs de génération en génération.) Donc, la légende dit que le berger a réussi à enlever la bride et à s’éclipser vite fait bien fait. A ce moment de l’histoire, si l’on a un peu l’habitude des légendes tirées de la mythologie grecque, on s’attend à ce qu’un dieu (ou un truc du genre) transforme le berger en animal ou en fleur, pour le protéger. Le problème, c’est qu’on n’est pas en Grèce, et que dans nos forêts, les dieux ne font pas ce genre de choses, et les jeunes bergers doivent se débrouiller tout seuls. Heureusement, un dieu grec passait par là au même moment (si si, ça arrive), et voyant ce jeune homme en difficulté et surtout en grand danger, il décide, de façon très originale, de le 36


transformer en animal. Il pense à un castor, une loutre, une anguille, il réfléchit, hésite, puis, finalement, transforme le garçon en poney. Alors, on s’en doute, la bride magique lui tombe du sabot, et personne, jamais, ne l’a retrouvée. Le poney non plus, mais personne, à vrai dire, ne l’a jamais cherché. Dommage, un magnifique poney Haflinger. Quant au tyran, eh bien… rien. Il a arrêté de faire le mal. – Voilà pourquoi on raconte que cette forêt est magique. – Pourquoi ? demande Emma, qui n’a pas compris. – Parce qu’elle cache un objet magique ! – Mais quelle forêt ? – Mais celle-là ! Celle sur laquelle tu poses tes fesses en ce moment-même ! – Aaah ! L’histoire se passe ici ? Il fallait le dire ! – Je l’ai dit ! – Non. Vexée que son effet tombe à l’eau, la conteuse improvise une autre fin : – Et la même légende raconte aussi que l’âme du tyran erre éternellement en ces lieux à la recherche de sa bride enchantée… Un bruit non identifié dans les feuillages arrache aux enfants un cri d’effroi, et c’est en courant que chacun rejoint sa monture, sous les paroles apaisantes de Maureen. Le retour au pavillon est animé, chacun donnant sa version de ce qui est possible ou pas. – Moi, dit Marie-Morgane, je ne crois pas aux fantômes. Par contre, les objets magiques, pourquoi

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pas… De toute façon, la magie, c’est à nous de décider si on y croit ou pas. C’est exactement ce que pense aussi Lucile. Elle se dit même qu’avec une bride magique, elle pourrait communiquer avec les animaux, et ce serait la fin de tous ses ennuis. La tête sur l’oreiller, la jeune fille se laisse porter par un sommeil bienfaisant. Les images de la soirée se bousculent dans sa tête. Un poney Haflinger … et si c’était vrai ? Bien sûr que ça l’est, puisqu’elle l’a vu, elle ! Alors si le poney existe, pourquoi la bride n’existerait-elle pas ?

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Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’histoire de la veille a marqué les esprits. En tout cas, au petitdéjeuner, tout le monde en parle. Certains ont fait des cauchemars, d’autres de beaux rêves, mais pas pour les mêmes raisons. – Moi, j’ai rêvé qu’un castor attaquait les dortoirs pendant la nuit. – Et moi, que j’avais une bride à qui je pouvais demander : « qui est la plus belle ? » – Moi j’ai rêvé que j’avais des oreilles d’âne. – Lucile, c’est encore pire, elle rêve éveillée, elle dit qu’elle a vu le berger-poney ! Inévitablement, la fillette rougit jusqu’aux oreilles. Elle n’aurait pas dû se confier à Méline. Elle aurait dû se douter que la nouvelle se répandrait comme une traînée de poudre. Le jour où Méline sera capable de garder un secret ! Maureen, qui a entendu parler de l’histoire, suggère à Lucile de lui en apprendre un peu plus.

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– Tu sais, s’il s’agit d’un poney perdu, il faut que nous le sachions. Déjà parce que son propriétaire doit s’inquiéter, en plus parce qu’il a besoin de soins, ce n’est pas un animal sauvage ! Lucile est soulagée, parce qu’au moins, on la croit. C’est au moment de donner son signalement qu’elle se sent un peu penaude : – Oui, un poney alezan avec une crinière blonde. Un Haflinger. Comme dans la légende. Maureen ne commente pas, mais hausse un sourcil. Après quelques secondes de silence, elle déclare : – Bien. Je vais en faire part aux organisateurs, et aux différents clubs. Il s’agit de savoir si un poney a disparu récemment. Lucile a envie d’ajouter « très récemment », parce que vu comme il est propre et soigné, soit quelqu’un s’occupe de lui en cachette, soit… c’est un animal mythique. Lucile, redescends sur terre, voyons ! *** Dès la sortie du réfectoire, les enfants se réunissent devant les box. Maureen attend que chacun fasse silence, et cela prend un certain temps. Enfin, elle prend la parole : – Programme du jour : les choses sérieuses vont enfin commencer, finies les vacances ! Aujourd’hui, vous allez travailler sur des barres au sol (31), sauter des cavalettis (32) et traverser un gué (33). C’est parti !

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Mince, un gué ! Lucile a déjà mis un sabot dans l’eau. Enfin, disons qu’elle s’est déjà trouvée sur le dos d’un animal qui trempait les sabots dans l’eau. Mais elle sait que les poneys ne réagissent pas tous de la même façon lorsque cela leur arrive. Prince, lui, est un peu hésitant au début, et puis il s'habitue très vite. Mais Isidore, comment savoir ? Et voilà, c’est malin, ça y est, Lucile est morte de trouille ! Et bien entendu, Isidore va le sentir ! Les moniteurs ont bien travaillé. On ne sait pas trop quand ils ont eu le temps de faire tout cela, mais ils l’ont fait, et ils ont agencé un début de parcours assez intéressant et gentillet. Des barres au sol, des troncs à franchir, et le fameux gué. Le début se passe plutôt bien, et Lucile est contente de voir qu’Isidore est un vrai pro des cavalettis. – Allez, les enfants, qui veut patauger un peu ? A cette question, Marie-Morgane est la première à s’enthousiasmer. De toute façon, elle, elle sait tout faire, alors ce n’est pas un petit gué de rien du tout qui va lui faire peur. Marie-Morgane la très belle sur Plume la superbe s’approche, traverse comme si elle avait fait cela toute sa vie et retourne s’amuser avec ses obstacles comme si rien ne s’était passé. Alors que Maëlys arrive, à peine moins confiante, Lucile entend hennir dans les fourrés (34). Un coup d’œil en arrière ; elle a tout juste le temps de le voir, que déjà il file sur le sentier : le poney mystérieux ! Elle talonne un peu Isidore, et, ni une ni deux, se lance à

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sa poursuite… Rapidement elle s’enfonce dans les bois, et la voilà obligée de baisser la tête et de se pencher en avant, pour ne pas prendre de plein fouet les branches qu’elle sent lui frapper la tête à travers son casque. Consciente de faire une bêtise, Lucile est partagée entre l’envie de rejoindre le groupe et la curiosité qui la dévore. Isidore allonge encore l’allure… La jeune cavalière vit quelque chose de grisant (35) et de terrifiant à la fois. Grisant parce qu’elle découvre pour la première fois un sentiment de liberté unique, terrifiant parce qu’elle sait que son attitude est dangereuse et imprudente. Elle scrute la forêt pour retrouver la trace du poney, mais elle l’a perdu de vue. Elle suit les bruits qu’elle entend ou croit entendre, mais sans parvenir à identifier l’endroit d’où ils proviennent. Au bout d’un moment, elle se doute que le groupe s’est aperçu de son absence. Déjà, au loin, elle entend son prénom retentir dans tous les recoins de la forêt : tout le monde s’est lancé à sa recherche (malgré l’interdiction de Maureen, qui fait tout son possible pour rassembler les cavaliers imprudents) mais Lucile ne peut se résoudre à faire demi-tour : le poney est là, tout près, ce serait vraiment trop bête d’abandonner maintenant ! Alors, prudemment, patiemment, Lucile se perd dans la forêt. Elle n’y rencontre ni loup en train de cueillir des fleurs, ni petit poucet semeur de cailloux. Ni poney aux crins lavés. Ni rien d’autre, magique ou pas, à

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part quelques jolies fleurs et une espèce inconnue de hannetons. Lorsque Lucile réalise qu’elle est perdue, l’angoisse commence à l’envahir. Elle s’aperçoit du même coup qu’elle n’entend plus appeler son nom : les autres auraient-ils déjà abandonné les recherches ? Elle se met à appeler à son tour, à crier au secours, mais seule la forêt lui répond, par de petits bruissements de feuilles, de petits cris d’écureuils, des coassements. Isidore fait un écart, surpris par un bruit sourd, inattendu – un pic-vert peut-être, qui tape contre un tronc. Lucile sent son cœur battre très fort. Plus que pour elle, c’est pour Isidore qu’elle commence à s’inquiéter. Elle doit le ramener sain et sauf, et sent en elle une grande responsabilité. Elle le rassure, le guide, et pour cela elle s’applique à rester calme et à faire de son mieux. Tous deux, ils continuent à avancer.

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Lucile prête l’oreille, est attentive au moindre bruit, prend conscience de la multitude prodigieuse de vie qui l’entoure, et pense à Blanche-Neige, perdue dans la forêt et guidée par de petits animaux. Ce que c’est agréable la vie dans les contes de fée ! Mais à Lamotte, étrangement, les oiseaux ne font jamais ça, et Lucile pense qu’elle va rester perdue toute sa vie. A moins qu’elle ne se souvienne miraculeusement des conseils que Maëlys a dû leur donner dans le car, mais qu’elle n’a pas vraiment écoutés… Par exemple, le truc, là, avec l’étoile du berger… « Non, ça c’est pour aller à Bethléhem ! » Et cette histoire de mousse sur les arbres… La mousse qui pousse du côté du nord, « mais attention, ce n’est pas toujours vrai parce que cela dépend de l’ensoleillement et… » pff, laisse tomber. Elle essaie de se rappeler ce qu’on lui a dit au sujet de la conduite à avoir dans ce genre de situation : ne pas bouger et tenter de signaler sa présence. Oui, voilà, elle va faire ça : ne pas bouger et fredonner une petite chanson qui donne du courage : « Un jour, j'irai à Tahiti, c'est là qu'j'vivrai ma meilleure 45


vie » Soudain, une voix toute proche la fait sursauter : – Lucile, je suis là, réponds-moi ! C’est la voix de Valentin ! Lucile se penche en arrière et tire un peu sur les rênes pour ralentir son poney. – Je suis là ! – Oui, j’ai entendu, arrête de chanter s’il te plaît ! – Euh, chanter ? bredouille Lucile en rougissant, non, ce n’est pas moi qui… enfin… A peine a-t-elle fini sa phrase qu’un superbe labrador sable vient lui faire la fête. Osiris ! Valentin ne tarde pas à la rejoindre sur son poney Connemara ; pourtant, un affreux doute saisit Lucile : et s’ils étaient perdus tous les deux ? Les deux poneys se reniflent les naseaux, puis Valentin ouvre les rênes en talonnant pour guider la troupe sur le chemin. – Ne t’inquiète pas, dit-il malicieusement. Tu sais, ce n’est pas parce que je ne vois pas que je ne suis pas capable de me repérer ! Cette remarque laisse Lucile perplexe. Il lui semble pourtant évident que le meilleur moyen de se perdre, c’est de ne rien voir ! Et pourtant… La suite des événements lui prouve rapidement le contraire. Car Valentin, contre toute attente, est doué d’un fabuleux sens de l’orientation ! On dirait qu’il a mémorisé tout le trajet qu’il avait fait à l’aller, au point d’être capable de le refaire en sens inverse les yeux fermés… sans mauvais jeu de mots. Ils allongent le pas de leurs poneys, passent au trot et

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font bien attention à rester sur la partie meuble (36) du chemin pour épargner les pieds des montures, comme Maureen le leur a appris. Lucile, qui observe Valentin en silence, est fascinée. Il guide son poney avec une aisance et une assurance qu’elle a rarement vues ailleurs. Osiris trotte fièrement à leurs côtés. La jeune fille n’avait jamais remarqué, mais Valentin, on dirait une espèce de dieu des animaux, ou quelque chose du genre. Il semble tout comprendre sans qu’on ait besoin de rien lui dire. Comme s’il avait un œil surpuissant à la place des deux qui ne fonctionnent pas. Bon, il faut reconnaître qu’Osiris a probablement sa part de mérite, car il pousse de discrets jappements lorsque Valentin ne s’engage pas sur le même chemin que lui, mais Lucile, qui ne voit que ce qu’elle veut bien voir, ne s’embarrasse pas de ce genre de détails… *** Quand Maureen a réalisé que Valentin avait disparu à son tour, elle a commencé à franchement paniquer. Heureusement, elle est parvenue à ramener tous les autres cavaliers au parc avant d’entreprendre les recherches. Mais le super pouvoir de Valentin (secondé par le flair d’Osiris) lui évite cette peine, et tout le monde voit arriver les deux cavaliers avec soulagement. Valentin est ovationné, c’est le héros du jour ! Quant à Lucile… hum, on dirait que c’est un tout autre

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son de cloche qui l’attend. Elle est convoquée immédiatement par une Maureen plus énervée que jamais, hirsute, qui maltraite ses mèches de cheveux de brusques mouvements du plat de la main. – Qu’est-ce qui t’a pris de partir comme ça ? – Je suis désolée, je ne me suis pas rendue compte… – Tu es inconsciente ! Tu sais combien d’hectares fait cette forêt ?! Lucile ne répond pas, mais comme Maureen n’en sait rien non plus, elle n’insiste pas. Elle se dit qu’à l’occasion il faudra qu’elle demande à Maëlys. – On s’est fait un sang d’encre ! Et si on ne t’avait pas retrouvée ? Qu’est-ce qui t’est passé par la tête ? Maureen pose des questions mais comme elle n’attend pas les réponses, Lucile a juste à attendre que l’orage passe. – Et qu’est-ce que j’aurais dit à tes parents, moi, si tu t’étais blessée ? Après un interrogatoire sans réponse d’une dizaine de minutes, Lucile peut enfin prendre la parole. – Je suis désolée, j’ai cru bien faire. J’ai vu passer ce poney errant, et j’ai voulu l’attraper pour le reconduire au club. Maureen fait une tête bizarre, à moitié sceptique (37), à moitié navrée. Quand elle se décide à répondre, sa voix s’est radoucie. C’est ça qui est bien avec elle : c’est qu’elle se calme aussi vite qu’elle s’énerve. – Tu sais, Lucile, j’ai interrogé tout le monde. Personne n’a perdu de poney. Aucun club ne connaît l’animal dont tu parles. Au parc fédéral, personne n’en a entendu parler non plus. Tu as rêvé.

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C’est au tour de Lucile d’être en colère. Elle ne dit rien, mais n’en pense pas moins. Elle s’en va déçue, vexée, et humiliée. Bien sûr, Maureen a raison, elle n’aurait pas dû partir seule au hasard dans la forêt. Mais ce qui la blesse par-dessus tout, c’est de voir que personne ne la croit. Ses pas la conduisent bientôt dans la sellerie. En poussant la porte, elle est saisie par cette odeur de bois, de graisse et de cuir, qui prend un peu à la gorge et enveloppe la jeune cavalière d’une atmosphère qu’elle connaît, qu’elle aime, et qui la rassure. C’est pour cela qu’elle apprécie autant cet endroit. Elle y retrouve les sensations du mercredi au poney club de Fretin quand, l’espace de quelques minutes, en allant chercher son matériel, elle joue à s’imaginer en cavalière professionnelle. Elle laisse ses mains caresser les selles, les harnais, en respirant à pleins poumons, et oublie un instant les réprimandes de Maureen. Oui, c’est vrai, elle n’a que douze ans ; à cet âge on ne nous permet pas de galoper seule dans les bois. Et pourtant, à aucun moment elle n’a pris de risques inconsidérés, elle a toujours été attentive à sa monture. Elle est désolée d’avoir inquiété tout le monde, et cependant, elle doit bien s’avouer qu’elle a vécu un moment de liberté qu’il lui tarde de retrouver, plus tard, quand elle sera grande et qu’on lui fera confiance. Elle a au moins compris une chose : l’équitation, c’est bien plus qu’une activité sportive du mercredi. C’est quelque chose qui est maintenant en elle, au point de

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la faire frissonner lorsqu’elle sent une odeur de cuir. Et des émotions pareilles, tout bien réfléchi, cela console largement d’une petite dispute de temps en temps…

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– Alors là, vous voyez, c’est une carte, et ça, c’est une boussole. – Il a l’air gentil ce moniteur, mais il nous prend un peu pour des benêts, non ? murmure Méline à l’oreille de Lucile. Le moniteur reprend : – Vous serez par groupes de quatre. Vous êtes deux clubs, de dix et douze enfants, ce qui nous fait vingttrois cavaliers, divisés par quatre, cinq groupes, ce qui nous fait cinq fois quatre, vingt enfants et il reste deux cavaliers, et qui… Pendant que le moniteur s’embrouille dans ses calculs, les groupes commencent à se former. Méline et Lucile sont d’office dans la même équipe, et Lucile suggère qu'elles prennent avec elles Valentin, pour les guider (« non Méline, je ne plaisante pas, je suis très sérieuse au contraire ») et Maëlys (« pour le truc avec la mousse sur les arbres, et le nombre d’hectares du parc… non mais laisse tomber, je me comprends »).

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Une fois les cinq groupes constitués, les deux enfants restant choisissent chacun le leur. Tout est prêt, Maureen donne à chaque capitaine d’équipe une carte et une boussole, ainsi qu’une pochette qui contient toutes les instructions. – Je sais ! s’écrie soudain le moniteur, que tout le monde avait oublié. Cela nous fait trois groupes de quatre et deux groupes de six ! – Hum, merci, enchaîne Maureen. Puis, à l’attention du groupe, elle déclare : Et maintenant, tous à vos poneys ! Car aujourd’hui, c’est jeu de piste ! Et on va s’amuser, c’est évident ! Les moniteurs ont prévu de supers ateliers, encadrés par des professionnels de la fédération. Méline inspecte les documents, et n’y comprend rien à rien. – Donne, dit Maëlys avec assurance. Méline tend les papiers à la jeune fille, et se sent un peu benête, elle, la grande gigue toute en jambes, à la merci de cette petite fille toute tachetée dont les cheveux paraissent en or à force d’être blond foncé. Après au moins dix secondes de réflexion, elle explique : – Regarde, on a le parcours rouge. Si on inspecte la carte, on voit le tracé des différents parcours. On n’a qu’à suivre le rouge, et chaque étoile marque l’emplacement d’un atelier. Le premier se trouve… là, plein nord ! – On va utiliser la mousse des arbres ! s’exclame Lucile, toute fière.

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– Non, la boussole, répond Maëlys. Les enfants ajustent leur bombe (38), mettent le pied à l’étrier, enfourchent leur monture, saisissent leurs rênes, et c’est parti ! … Enfin, sauf pour Isidore, qui a très envie de goûter la végétation qui borde le chemin. Méline trépigne un peu, Maëlys ne dit rien mais n’en pense pas moins, tandis que Valentin, gentiment, vient flatter l’encolure du poney et conseiller Lucile, qui s’affirme et donne un coup de talons assuré à Isidore. Celui-ci reprend son allure, un peu récalcitrant (39). Mais dix mètres plus loin, rebelote ! Cette fois, Isidore montre clairement qu’il a envie de brouter ! Lucile tente de le faire avancer, serre les jambes, et fait claquer sa langue. Rien à faire. Lucile sent le découragement l’envahir, elle a l’impression d’avoir perdu tout le bénéfice de la veille. Elle préfère prévenir les quolibets, et s’adresse à ses camarades : – Je sais ce que vous pensez : que je suis trop nulle, qu’avec moi vous n’avez aucune chance de gagner, parce que le parcours est chronométré et que je n’arrive pas à me faire obéir de ce poney que je ne connais pas bien, que je n’ai aucun sens de l’orientation, que je suis totalement inutile à l’équipe, et que… – Holà, doucement ! interrompt Valentin. Qui est allé te mettre dans la tête des idées pareilles ? Je ne sais pas si tu as remarqué, mais la seule personne à être convaincue de ta nullité, c’est toi-même !

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– C’est vrai, ajoute Maëlys. Une chose est très claire : si tu crois savoir lire dans la tête des gens, arrête tout de suite car c’est vrai que tu es trop nulle. Tu veux savoir ce que je pense vraiment ? Que la journée est magnifique, que ce type de jeu est le meilleur moyen de découvrir plein de petites choses de la forêt que nous ne verrions même pas si nous allions plus vite, et que c’est l’occasion de passer un super bon moment avec des amis, humains ou équidés. Et chacun doit avoir son lot de satisfaction. Moi je veux profiter du paysage, Valentin de la balade, et Isidore de l’herbe. Eh bien laisse-le manger de l’herbe, enfin ! Mais arrête de te gâcher la journée ! Lucile n’en croit pas ses oreilles. Elle a envie de pleurer, mais de joie, et c’est avec un large sourire qu’elle s’écrie : – Regardez, sur le tronc, une enveloppe rouge ! C’est notre première énigme ! Sur le tronc est scotchée une pochette dans laquelle se trouvent un carnet, un crayon, et une question : Qu’est-ce qui a donné son nom au village de LamotteBeuvron ? Les deux filles se regardent, perplexes. – Pff, facile ! répond Maëlys. Le Beuvron, c’est à cause des castors. Et Lamotte, ça fait référence au monticule (40) qui avait été érigé pour y mettre une petite tour en bois pour surveiller l’ennemi qui venait par la rivière, au Moyen-âge. Lucile prend un air impassible, un air de ouais-tuparles-même-pas-impressionnée, et se contente

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d’un : – Ben oui c’était facile. Bientôt, leurs pas les mènent au premier atelier. Dans une petite clairière (41), cinq cibles ont été dressées. Du tir à l’arc ! Méline, un peu gênée, demande : – Mais… Et Valentin ? Le moniteur montre du doigt une cible un peu à l’écart. En face, une étrange installation : il s’agit d’une potence, munie de repères au sol pour positionner correctement les pieds. En haut de la potence, une petite balle fixée sur une baguette flexible permet au sportif non-voyant de positionner sa main face à la cible. Quand on explique cela à Valentin, il s’écrie : – Je connais ! J’ai pratiqué le tir à l’arc pendant trois ans avant de choisir l’équitation. Et j’étais bon. Valentin met pied à terre et confie son Connemara à Méline, qui le regarde, sceptique. Il se dirige vers son poste et commence sa démonstration. Quelques tirs pour se rappeler les gestes, rectifiés par le moniteur qui l’aide à réajuster sa position. Au bout de quelques essais, l’exploit a lieu : en plein dans le mille ! Pour les autres, qui sont absolument novices au tir, l’adaptation prend un peu plus de temps, d’autant que pour eux, l’épreuve se déroulera à poney. Ils commencent par quelques essais au sol, juste le temps de se familiariser avec la manipulation de l’arc. Puis chacun fait plusieurs fois le parcours avec sa monture.

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– Vous êtes prêts ? Chacun a eu ses cinq essais ? Alors c’est parti, Méline, vas-y ! Prestation moyenne de Méline. Enfin moyenne… disons passable. Ou plutôt, médiocre. – Nulle, archi-nulle ! Archi-méga-trop-trop-nulle ! rectifie Lucile pour taquiner son amie. Cible un : zéro. Cible deux : zéro. Cible trois : zéro. Cible quatre : zéro. Cible cinq : zéro. Au moins, pas de problème de comptage des points. C’est à présent Maëlys qui s’avance. Cible un : trois points ! Cible deux : deux points, cible trois : idem, et puis, trop sûre d'elle peut-être, elle enchaîne deux cibles à zéro. Quand arrive le tour de Lucile, elle n’est guère rassurée. Et pour cause. Cible un : zéro. Cible deux : zéro. Lucile sent la honte l’assaillir. Puis elle pense à Méline et son score abominable, se dit que personne ne lui en voudra si elle n’accomplit pas d’exploit. Elle pense aux mille et une façons de se sentir bien avec un poney, et qui ne nécessitent pas d’être un champion toutes catégories. Elle se remémore les instants qu’elle a déjà partagés avec Isidore, lui parle, sourit malgré elle et décoche sa flèche dans la troisième cible : trois points ! Confiante, cette fois, elle se concentre plus longtemps, fait ralentir encore le pas d’Isidore, s’aperçoit à peine que ses doigts ne tremblent plus ; cible quatre : trois points. Cible cinq : quatre points ! Rouge de plaisir, Lucile se fait ovationner, sans doute pour la première fois de sa vie.

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C’est à présent au tour de Valentin. Il reprend sa place près de la potence, se concentre. « Qu’il est beau ! songe Lucile. Avec ses flèches et son arc, on dirait un preux chevalier de l’épopée du Roi Arthur ! » Incroyable ! En plein dans le mille ! Sur cinq cibles, deux rapportent quatre points ! Une rapporte deux points, et les deux autres zéro. Méline est plus que bouche bée. En fait, on dirait que sa mâchoire s’est décrochée et qu’elle n’arrive plus à la remboîter. – Premiers : Valentin, ex aequo avec Lucile, annonce l’intervenant. Total du groupe : vingt-sept points. Lucile n’en revient pas : première ex aequo ! Comme ils vont continuer leur parcours, l’intervenant les rappelle : – Pas si vite ! Voici votre deuxième énigme.

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Qu’y avait-il autrefois à la place du parc fédéral ? – Fastoche, même moi je sais ! s’écrie Méline. Le château de Napoléon ! – Pff, se désole Maëlys. Si seulement les gens m’écoutaient jusqu’au bout quand je dis quelque chose ! Non seulement le château n’était qu’une des résidences de Napoléon III, mais surtout, l’activité principale du domaine, c’était la prison. – La quoi ? – La colonie Saint-Maurice était, de 1872 à 1957, une prison pour enfants. Une espèce de bagne, quoi. Peu à peu, c’est devenu une sorte d’école spécialisée. Lucile n’en revient pas. Une prison pour enfants ? Mais c’est épouvantable ! Elle ferme les yeux ; abracadabra, la prison sordide devient l’endroit magique où elle découvre peu à peu qu’elle a de vrais amis. Bon, la suite, vite. Et voici l’épreuve du… (roulement de tambour) passage du gué ! Et revoilà l’angoisse, avec

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ses gros sabots. Lucile se ronge les ongles. – Non, lui dit Méline, arrête de stresser comme ça, c’est toi qui as peur, ce n’est pas Isidore ! Tu t’es convaincue que cela se passerait mal, parce que tu n’en sais rien, et tu pars du principe que… Mais Lucile n’a pas le temps d’écouter les sages paroles qui cette fois sortent de la bouche de Méline. Isidore, sous les talonnades de sa cavalière, bifurque à gauche et s’engage à travers bois. – Oh non, elle s'échappe encore ! se désole Maëlys. Cette fois il faut la suivre, et vite ! Histoire de ne pas perdre trop de points, Maëlys arrache au passage l’enveloppe rouge qui contient la question et s’engage, à la suite de Méline et Valentin, sur le petit sentier par lequel Lucile a disparu. Ils ont vite fait de la rattraper. Mais alors qu’Isidore commence à ralentir, Lucile s’écrie : – C’est lui, là, regardez ! … et repart au galop dans la direction opposée. Cette fois, c’est sûr, elle va l’avoir, et ils vont bien voir, tous ceux qui la croient folle, s’il existe ou non, ce poney Haflinger! Pendant le quart d’heure qui suit se déroule une scène surréaliste durant laquelle les enfants, sur des poneys lancés au galop, croisent tour à tour toutes les équipes adverses et les moniteurs qui n’y comprennent rien. Ils filent tous les quatre avec, à leur tête, Lucile qui suit un poney imaginaire, et, en bout de file, Maëlys qui arrache au passage toutes les

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enveloppes, rouges, vertes, bleues, jaunes, qui sont scotchées aux troncs. S’il fallait trouver un moyen de qualifier la scène, on dirait simplement que c’est du gros n’importe quoi. Finalement, Isidore ralentit dans une clairière et se met tranquillement à goûter les fraises des bois qui bordent le sentier. – C’est malin, remarque Méline, nous sommes perdus. Mais personne ne l’écoute. Valentin a levé la main droite, et cherche à sentir d’où vient le vent. Maëlys est occupée à lire les questions les unes après les autres et à noter proprement ses réponses sur le petit carnet prévu à cet effet. De temps en temps elle murmure un « trop facile ! » qui énerve Méline, qui sait très bien que les questions doivent être super difficiles. Lucile, elle, est à l’affût. Elle met pied à terre et cherche de tous les côtés, en vain. Soudain, Osiris semble remarquer quelque chose dans la mousse. Quelque chose qui brille un peu grâce au timide rayon de soleil qui l’éclaire. Lucile s’approche et ramasse un objet métallique un peu lourd, couvert de terre. Elle gratte un peu. – Regardez ce truc, qu’est-ce que ça peut bien être ? C’est un magnifique objet en fer ouvragé. Lucile le tourne et le retourne dans sa main. Il ne sert à rien, mais elle pense le garder, rien que pour sa beauté. On dirait un gros bouton. Un bouton, ou plutôt… un rivet, oui, c’est cela, un gros rivet qui a été travaillé et sculpté, une vraie petite merveille. De chaque côté

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pendent des lambeaux de cuir rongés par le temps. On dirait qu’il y a une inscription dessus, de vieilles lettres, comme on en trouve sur les parchemins ou les grimoires, des lettres incompréhensibles parce qu’impossibles à déchiffrer. Et c’est là que Lucile comprend : – C’est un morceau de bride ! Une très vieille bride ! Une bride magique ! Maëlys l’examine avec attention. C’est un morceau de métal, en effet, fiché dans du cuir. Oui, pas de doute, c’est un fragment de bride. Lucile danse sur place en répétant : – Une bride magique ! – Du calme, du calme, tempère Maëlys. A quoi vois-tu que c’est magique ? Lucile ne répond pas. Elle s’approche d’Isidore, met sa tête tout contre celle du poney et lui chuchote quelque chose à l’oreille. Puis elle le caresse un peu, l’embrasse, et se remet en selle. – Suivez-moi. J’ai demandé à Isidore de nous reconduire au parc. Il n’y a plus qu’à lui faire confiance. Méline se penche vers Maëlys et lui chuchote à l’oreille : – C’est n’importe quoi, tu es d’accord avec moi ? – Si ça lui fait plaisir… répond la jeune fille, résignée. De toute façon ne t’inquiète pas, Osiris veille. Et Osiris est malin. Lucile, qui ne se rend pas compte qu’elle le suit, retrouve le chemin du premier coup… A la sortie de la forêt, c’est le moniteur de l’autre club

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qui les attend. – Ah, vous voilà enfin ! Allez vite à la tribune de remise des prix, on vous attend ! Lucile est plus sereine que jamais. Le rivet serré dans sa main, elle sent la confiance la submerger. Est-il vraiment magique ? Droite dans sa selle, souriante, elle accompagne avec souplesse les mouvements du poney. Elle sent pour la deuxième fois une véritable communion entre elle et Isidore. Ils forment maintenant une équipe ! Quand le groupe arrive à la tribune, personne ne peut ignorer qu’il s’est passé quelque chose : Lucile est soudain si gracieuse ! Qu’elle a fière allure sur son poney ! Le soleil de cette fin de journée ravive l’or de ses cheveux, et c’est une apparition que les autres cavaliers croient voir arriver. Maëlys, en catastrophe, va remettre son carnet au jury. De toute façon, c’est fichu, leur temps ne sera même pas enregistré tellement il est mauvais. Alors que l’équipe de Marie-Morgane s’apprête à monter sur le podium, le moniteur en charge de la correction des livrets fait un geste de la main : – Stop ! Il faut recompter les points. C’est incroyable, mais je crois que, rien qu’avec leur score au tir à l’arc et les réponses aux questions, l’équipe au parcours rouge l’emporte haut la main ! Je n’en reviens pas moi-même : toutes les réponses sont justes et précises ! Moi qui me suis donné tant de mal pour trouver les questions ! Et c’est une Lucile transformée qui reçoit, avec ses amis, une médaille en chocolat et un sachet de chocolats.

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Isidore, lui, a droit à un pansage en règle. Lucile lui passe les membres au jet d’eau pour le rafraîchir, lui cure et lui graisse les sabots. Enfin, il reçoit, en prime, des caresses telles qu’il n’en a jamais eues, et du foin délicieux parfumé aux frites et à la pizza royale. Non, ce n’est pas vrai, j’exagère. Il a du foin… du foin, quoi. Mais du bon. En s’endormant, Méline revoit les images de la journée. Un détail la réveille en sursaut. – Lucile ? Tu dors ? Oh, oh ! Lucile ! Tu dors ? – Je dormais, oui. Plus maintenant. – Tant mieux. J’avais peur de te réveiller. – Qu’est-ce que tu veux ? – Je me demandais… Tu sais, tout-à-l’heure, dans les bois, quand tu as chuchoté à l’oreille d’Isidore… – Oui, eh bien ? – Je crois que c’était la première fois que je te voyais lui parler. Je veux dire… Tu avais déjà parlé à un animal avant de trouver la bride, enfin le rivet, le… truc, là… ? Lucile ne voit pas où Méline veut en venir. Bien sûr qu’elle l’avait déjà fait, enfin… sûrement. Qu’est-ce que ça change, puisque de toute façon ils ne l’écoutaient pas ? – Je veux dire… Rien que le fait que tu lui parles, cela prouve que quelque chose a évolué dans ta façon de voir les choses. Tu as l’air tellement changée depuis quelques jours, comme si jusqu’à présent tu avais toujours cru que tu étais nulle, et que tu venais de te raccrocher à un espoir, enfin, tu vois… Parce que,

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même si je ne te l’ai jamais dit, tu n’imagines même pas à quel point je t’admire. Tu ne baisses jamais les bras ! Et puis, tu as fait tellement de progrès en si peu de temps, et on dirait que tu ne t’en aperçois même pas ! Je crois que tu es trop dure avec toi-même, et que… Lucile est un peu gênée : elle ne s’attendait pas à recevoir tant de compliments. Surtout que les compliments, d’habitude, à Méline, ce n’est pas son truc. C’est ce qui les rend si précieux. Quoi de plus réconfortant que les encouragements de sa meilleure amie ? Et puis, il faut reconnaître que ce n’est pas toutà-fait exagéré : c’est vrai que Lucile a progressé, elle s’en rend compte à présent. – Merci Méline, c’est pour ça que tu es ma meilleure amie. Parce que tu sais toujours les mots qu’il faut dire… enfin non, pas toujours. Mais là oui. Et c’est le sourire aux lèvres que les deux amies s’endorment pour un repos bien mérité.

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Après le petit entraînement de la veille, la compétition, cela devrait être du pipeau. C’est du moins ce que répète Loane depuis le petit déjeuner, même si elle n’en croit pas un mot. D’ailleurs, c’est étrange, il y a des enfants qui sont très à l’aise d’habitude, et qui s’angoissent dès qu’est prononcé le mot « compétition ». On dirait que c’est le cas de Méline. Et d'Ambre. En fait, la seule qui ait l’air vraiment à l’aise, contre toute attente, c’est Lucile ! Sa bride magique dans son gilet, la jeune fille n’a peur de rien et, le cœur léger, elle suit le groupe pour la reconnaissance. Et rien ne l’impressionne. Elle compte consciencieusement les foulées entre les obstacles, et essaye même de repérer les endroits où elle pourrait gagner du temps. Les quelques ridicules troncs posés au sol ? Tu parles ! Isidore pourrait en sauter des trois fois plus hauts. L’espèce de rivière qui arrive à mi-mollets ? Ouah, c’est qu’on pourrait s’y noyer, attention ! Elle repense aux conseils de Maureen : accompagner le mouvement d’Isidore, l’encourager avec la voix et le poids du corps et tout

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ira bien. Les cibles de tir à l’arc ? Lucile a déjà prouvé qu’elle n’en faisait qu’une bouchée. Ses concurrents ? Pff, ils vont pleurer quand ils me verront à l’œuvre ! Bon, ça c’est le discours de laLucile arrogante qui veut avoir l’air d’une pimbêche pour ressembler à Marie-Morgane. Mais le fond de son cœur, c’est à Isidore qu’elle le livre, et à lui seul : – Tu vas voir, mon petit Isidore, j’ai confiance en toi. À nous deux on forme une super équipe, et on va leur prouver, à tous, ce qu’on peut faire avec un peu de magie et beaucoup de complicité. Puis, après mûre réflexion, elle ajoute : – Bon, si on perd, ce n’est pas très grave, en même temps… Dans l’autre club, les enfants ont de chouettes teeshirts, avec le nom du club imprimé dessus. Dans celui de Lucile, pour financer leur stage au parc fédéral, les enfants ont dû s’organiser pendant des mois pour vendre des gâteaux et des jus de fruits sur toutes les places de villages des Hauts-de-France : au videgrenier de Lille, à la fête de la Courge de Ronchin, et au marché aux arts de Fretin. Et même à la journée portes ouvertes du collège Jean Mermoz, que fréquentait Lucile il n’y a pas si longtemps. Bêtement, Lucile pense à cela en regardant la belle équipe toute de bleu vêtue. Et c’est étrange, mais cela lui inspire des tas de réflexions sur la vie, des réflexions sur le monde, des réflexions pas vraiment de son âge. – Maëlys ? Dis-moi, cela fait combien de temps qu’on

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se connaît ? – Deux ans, non ? Je ne sais plus. J’ai l’impression que cela fait très longtemps. Pas toi ? – Si, justement. En fait, j’ai l’impression que je connais les gens du club de Fretin depuis plus longtemps que les amis qui sont dans ma classe depuis la maternelle, c’est curieux, non ? Et tu sais quoi ? Je me disais que c’était à cause des gâteaux. Maëlys est perplexe. – Des quoi ? – Des gâteaux, des boissons, tous ces petits investissements qu’on a dû faire ensemble pour réaliser notre objectif : ce stage. Parce qu’on s’est tous impliqués, et pas une fois on ne s’est disputés, pas une fois on ne s’est moqués des biscuits en béton de Méline, ni de la charlotte aux fraises liquide de Loane… – Ni de tes trucs immangeables, là… c’était quoi au juste ? – Mes cookies ? Tu plaisantes, là ? – Moi j’ai une idée plus précise des liens qui nous unissent. Ce n’est pas très compliqué. C’est que, quelles que soient les raisons qui nous poussent à faire de l’équitation, nous trouvons tous un moyen de nous épanouir au contact des poneys. Et c’est notre passion qui nous réunit, contrairement à nos camarades de classe. C’est pour cette raison qu’on s’apprécie, parce qu’on a tous au moins un truc en commun. – Ne change pas de sujet : tu parlais de mes cookies ?

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A table, l’ambiance est joyeuse. On parle, on plaisante, on chante même un peu. Les autres tables sont aussi animées, comme si tout le monde avait conscience qu’il fallait bien profiter de cet avantdernier repas avant le retour à la maison. Avant que les différents clubs rejoignent leurs dortoirs respectifs pour aller se changer, tout le monde s’encourage, se félicite de loin, et se donne rendez-vous sur le terrain de cross. Assise sur son lit, Lucile regarde Méline se préparer. Qu’est-ce qu’elle est belle ! Tiens, elle n’avait jamais remarqué à quel point ses cheveux étaient longs. Une question lui vient soudain : – Dis, Méline, sincèrement, tu les as trouvés comment, toi les cookies que j’avais préparés pour la vente ? – Les quoi ? Aaah, c’étaient des cookies ! Je me suis longtemps demandé ! Ah ben oui, quand on le sait, c’est évident : c’était du chocolat les trucs noirs plantés dedans, Maëlys disait que c’étaient des mouches ! Lucile est un peu vexée. Et dire qu’elle s’était justement gardée de poser la question à Emma ! *** – Hum, hum. Le moniteur s’éclaircit la gorge. – Il y aura plusieurs épreuves : obstacles au sol, parcours de cross et tir à l’arc. Le tout, évidemment, chronométré. Nous alternerons les équipes à chaque passage de cavalier.

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C’est un cavalier bleu qui commence. Enzo, il s’appelle. Et il est très fort. Pas très bon au tir à l’arc, mais imbattable au chrono. – En somme, on peut dire que son poney est meilleur que lui, puisque son unique mauvais score, c’est lui qui l’obtient au tir. Non ? C’est Méline qui dit cela, c’est elle tout craché ! pense Lucile en souriant. Et en effet, Méline n’est pas la meilleure sur son parcours ! Les flèches qu’elle décoche tombent à ses pieds, elle se débrouille pour ne pas voir le premier tronc à sauter, et doit faire un demi-tour qui lui vaut le pire chrono de l’histoire du monde. Mais c’est sûrement son arc qui est responsable. Heureusement, Méline est bonne joueuse, et pour elle, rien n’est vraiment grave : elle se fiche d’être mauvaise, du moment qu’elle s’amuse. Et un rien l’amuse. Bien sûr, elle ronchonne un peu, pour la forme, mais en passant la ligne d’arrivée, son sourire magnifique a le pouvoir magique d’effacer tous les reproches qu’auraient pu faire ses coéquipiers. Et Lucile se sent réconfortée, car la compétition devient tout de suite moins solennelle, l’instant moins dramatique. Il faudrait qu’elle se lance maintenant, dans le sillage (42) de Méline, pour profiter du mouvement de sympathie installé par son amie. Mais c’est au tour de l’autre équipe. Le deuxième concurrent bleu est identique à l’autre. C’est-à-dire… identique. Mêmes exploits, même chrono, même chemise, même tête, même coupe de

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cheveux… – Ils sont jumeaux, chuchote Loane, au cas où les autres n’auraient pas remarqué. Durant toute la performance du jumeau, Lucile trépigne en se répétant : après j’y vais, après c’est mon tour ! J’y vais, c’est à moi, allez ! Elle est prête, et déjà s’approche d’Isidore, lorsque Maureen demande : – C’est à qui ? Un volontaire, tout de suite, ou je le désigne d’office ! Alors Lucile, ainsi qu’elle l’avait décidé, se met bien en vue près de Maureen… et attend sagement qu’on la désigne. Mais une voix se fait entendre : – Moi ! s’écrie Maëlys. Mince, se dit Lucile, je n’ai pas eu le temps…

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Maëlys est assez moyenne en tout. Pas franchement bonne, pas franchement mauvaise. Elle heurte un obstacle au sol, essuie un refus de Préciosa qui n’a pas envie de sauter le premier tronc, atteint trois cibles sur cinq. Maëlys fidèle à elle-même, qui obtient un chrono moyen, mais explique au passage l’histoire de la cible hongroise. Lucile décide de laisser passer un autre camarade avant de se lancer. Et le prochain sera… MarieMorgane ! Pff, et voilà ! Comment se sentir à l’aise après une telle démonstration de grâce et d’élégance ! On se croirait à l’élection de Miss France Equestre, et on se demande quand est-ce qu’elle va danser en maillot de bain. Et voilà comment Lucile (qui s’était jurée de passer dans les premiers pour être enfin soulagée et pouvoir profiter du spectacle sans avoir les mains moites et le cœur qui bat la chamade) se retrouve parmi les derniers à entrer en piste. Et voilà le stress qui arrive petit à petit, fait des nœuds avec son estomac, monte

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encore et vient se ficher là, juste à la base de la gorge, précisément à l’endroit que personne ne peut nommer parce que personne ne sait comment ça s’appelle. Une idée lui traverse l’esprit : et si, tout à coup, elle simulait un violent mal de tête, ou un évanouissement ? Non, très mauvaise idée. Elle doit vaincre son angoisse et puis, de toute manière, elle ne se sent pas capable d’abandonner son équipe. Allez, comme on dit, l’important c’est de participer, non ? Même si cela ne paraît pas être la devise de l’autre équipe. Car il faut bien avouer que côté chemises bleues, ils sont très forts. A part au tir à l’arc, où on sent qu’ils sont novices, ils ont une assurance qui trahit leur haut niveau d’entraînement. Au saut d’obstacles ils sont imbattables, et obtiennent tous de très bons temps. Côté chemises-n’importe-comment, c’est plus disparate (43). Quelques bons éléments remontent le niveau, comme Marie-Morgane, Valentin, Emma et Loane au saut d’obstacles. Le reste est très, mais alors très moyen. Et c’est le moins que l’on puisse dire. Lucile voudrait repousser encore un tout petit peu sa prestation, mais… pas de chance, il ne reste qu’elle. Alors Maureen, pour ne pas lui mettre la pression, lui explique les yeux dans les yeux que seul un sans faute peut leur apporter la victoire in extremis (et encore, ce n’est pas certain, parce que c’est le moniteur nullos qui compte les points). Lucile, qui ne peut plus reculer, décide de faire un

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effort sur elle-même, et s’isole quelques secondes avec Isidore. Tout en caressant avec affection la crinière de l’animal, elle lui chuchote on ne sait quoi à l’oreille, et Isidore a presque l’air de lui répondre, tellement il paraît concentré. Lucile décide ensuite de mettre en pratique les conseils de Maureen lorsque l’on perd un peu ses moyens : faire le vide, prendre de longues inspirations, avec le ventre, puis relâcher l’air tout doucement, en fermant les yeux… Allez Isidore, on peut le faire… Le couple entre en piste, après avoir salué le jury non officiel. Lucile sent son cœur battre très fort dans sa poitrine. Elle n’a jamais été aussi concentrée de sa vie. D’une main de maître, elle encourage Isidore en flattant son encolure, tout en le menant vers la première épreuve : le saut d’obstacles. Lucile a bien étudié le parcours pendant la reconnaissance, elle sait exactement ce qui l’attend pour commencer : trois obstacles de moins d’un mètre. Je peux le faire. Maureen lui a expliqué longuement comment anticiper ce genre d’obstacles. De la théorie à la pratique, elle s’est beaucoup exercée depuis le début du stage. C’est le moment ! Lucile lance Isidore, qui avance à belles foulées sur une cinquantaine de mètres, jusqu’au moment où elle lui indique de sauter par une pression des talons sur les flancs. Allez Isidore, allez mon beau ! Isidore saute tout en douceur et continue élégamment sa course. Le premier obstacle passé, il se rend au suivant sans

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perdre une seconde. Lucile empoigne les rênes de son poney, corrige son assiette et lance Isidore sur l’obstacle. Elle sent le pied du poney frôler la barre, retient son souffle une seconde… c’est passé ! Pas le temps de s’attarder, la jeune cavalière s’élance sur le dernier obstacle. Son cœur bat de plus en plus fort, son souffle s’accélère. Lucile et Isidore sont sur le point de franchir ce dernier rempart… Et c’est une réussite ! Lucile termine l’épreuve sourire aux lèvres, sous les encouragements de ses amis, fous de joie. Elle lance au passage un regard à Méline et se dit que, si elles avaient un signe de reconnaissance bien à elles (à elles seules), ce serait le moment de le faire. Comme dans les films. Mais bon, elles n’en ont pas. Dommage. C’est fou comme, une fois l’obstacle passé, l’angoisse disparaît ! A présent, Lucile a le cœur léger, elle est soulagée et a une pierre de moins sur l’estomac. Elle a l’impression de respirer un peu mieux, mais doit toutefois rester concentrée, car c’est loin d’être terminé ! Elle se dirige vers la seconde épreuve. Le passage de gué tant redouté la laisse un peu perplexe : de quoi avait-elle peur au juste ? Elle ne se souvient plus vraiment. Isidore n’a pas l’air de craindre spécialement de patauger dans la boue, au contraire, il a même l’air d’apprécier ça ! Dire qu’elle s’en faisait toute une montagne… n’importe quoi ! Concentrée comme jamais, le dos droit, souple, elle invite Isidore à poursuivre sur sa lancée. Le poney avance confiant, les oreilles en avant, attentif aux moindres injonctions de Lucile. Il accélère doucement et parvient de l’autre 76


côté, sous les encouragements de l’équipe. Lucile pousse un profond soupir de soulagement. Il ne lui reste plus qu’à faire ses preuves au tir à l’arc. Et ce n’est pas une mince affaire, car malgré son entrée brillante dans la discipline, elle sait que le moindre manque de concentration peut tout faire échouer. Elle se dirige vers les cibles. Maureen lui tend son arc, ses flèches, la gratifie d’un sourire et d’un signe d’encouragement qui semble dire : « vas-y, on compte sur toi ! » Lucile glisse trois flèches dans sa ceinture, maintient fermement les autres dans la main. Elle fait prendre à Isidore un pas régulier, se concentre, vise la première cible… En plein dans le mille ! Lucile se prépare à son deuxième tir, mais Isidore avance un peu trop vite, et la jeune cavalière peine à garder son équilibre tout en maintenant les mains sur son arc. Pas de panique Lucile, concentre-toi. Elle est déjà devant la deuxième cible. Elle ajuste sa flèche et, sans prendre le temps de réfléchir, tire ! Dans le jaune ! Joli score ! Ses amis trépignent ; Lucile est en train de se surpasser ! Elle est appliquée, mais pas assez rapide, et ne parvient pour cette épreuve qu’à décocher quatre flèches, mais toutes les quatre dans une cible. La dernière dans le mille ! Pénélope Leprevost n’aurait pas fait mieux (enfin si, mais elle n’était pas là de toute façon) ! Chrono ? Parfait. C’est mieux qu’un sans faute (enfin non, car mieux qu’un sans faute ce n’est pas

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possible, mais c’était tellement bien qu’on peut le dire quand même). Lucile enlace son poney tendrement. – Merci Isidore ! Lorsqu’elle rejoint l’équipe, la jeune fille est ovationnée. Elle si timide, se sent un peu mal à l’aise de recevoir tant de compliments ! C’est incroyable ce qui lui arrive : elle et Isidore viennent de mener leur équipe à la victoire !

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Ce soir, après le dîner, on a organisé une veillée à l’orée du parc. Au programme : petits jeux de questions, énigmes, chansons. Le moniteur rigolo a apporté sa guitare et fait découvrir au groupe des chansons de scouts, des refrains qui donnent envie de marcher, des mélodies qui donnent envie d’être amis pour la vie, et d’autres qui nous rappellent que la maison commence à nous manquer un peu. Entre deux chansons, il pose une question à laquelle il faut répondre le plus vite possible. Alors Maëlys répond et on enchaîne avec une autre chanson. Au début il était convenu que si la réponse était fausse, les enfants avaient un gage. Mais comme aucune n’est fausse, on décide de donner des gages au moniteur chaque fois qu’il fait une fausse note. C’est beaucoup plus amusant. Et beaucoup plus fréquent. La soirée touche à sa fin. Malgré les signes de fatigue qui l’assaillent, Lucile souhaiterait que cela ne se termine jamais. Sa tête trop lourde est appuyée contre l’épaule de Méline, qui la soutient sans s’en rendre compte. Comme toujours. De temps en temps, un

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éclair orange aveugle les deux amies : c’est le flash de Maureen, qui a pris des photos toute la soirée pour immortaliser ce grand moment de bonheur. En rentrant se coucher, Lucile fait un détour vers les box. Elle chemine lentement, comme si elle prenait bien le temps de s’imprégner de chaque endroit du parc, pour tout faire entrer dans sa mémoire. L’entrée de la colonie, les totems en forme de chevaux, à moins que ce ne soient des chevaux en forme de totems. Les deux anciens corps de ferme, et les bêlements des moutons qu’on entend parfois quand le soir tombe. Et puis, au loin, le squelette atypique de ce château qui a appartenu à un empereur, et qui, dans l’imaginaire de Lucile, mêle son fantôme à celui de ces centaines d’enfants prisonniers, qui ont usé leurs souliers sur ce même chemin. Lucile frissonne. Quel concentré d’émotions hante cet endroit ! Et des émotions, la jeune fille en a plusieurs qui se battent en duel dans sa tête. La joie d’avoir remporté une vraie victoire sur ellemême, le sentiment du travail accompli, et puis, en même temps, une tristesse que ses camarades n’éprouvent pas. Car elle est la seule qui, demain, devra repartir sans sa monture. Elle s’approche d’Isidore, le caresse, puis, émue, étouffe ses sanglots dans sa crinière. – Isidore, mon cher petit Isidore ! On a vécu des choses fabuleuses tous les deux ! Je ne t’oublierai jamais ! Elle est stoppée dans ses confidences par des pas qui

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résonnent un peu dans la nuit. C’est Maureen qui vient la rejoindre. – Lucile, je comprends ta tristesse, c’est toujours difficile de quitter un ami. Je dois te dire que je suis très fière de toi. Si une personne ici a beaucoup appris de cette semaine de stage, c’est bien toi. Tu as fait des progrès exceptionnels, et tu as acquis une aisance incroyable. Lucile hésite une seconde, puis sort délicatement de sa poche un bout de tissu sombre, qu’elle ouvre avec précaution. Au centre brille un objet métallique, magnifique, serti sur un vieux morceau de cuir. – Je vais t’avouer un secret. J’ai découvert un morceau de la bride magique ! Grâce à lui, je peux communiquer avec les animaux. Et c’est comme cela que j’ai pu faire la connaissance d’Isidore et faire les progrès dont tu parles. Maureen sourit et inspecte l’objet avec admiration. – C’est magnifique ! Quel dommage que ce ne soit pas magique ! – Mais si, ça l’est ! C’est un rivet de la bride que portait le cheval du tyran qui… – Oui, je sais de quoi tu parles. C’est une jolie légende. Puis Maureen réfléchit à ce qu’elle vient de dire : – Enfin, non, c’est une légende épouvantable ! Et heureusement qu’elle n’est pas vraie ! – Mais si, justement ! J’ai trouvé ce reste de bride, et depuis, j’ai amélioré mes performances ! Ce rivet n’est pas maléfique, c’est juste un objet qui détient un grand pouvoir, et ce pouvoir, libre à nous de bien l’utiliser ! 81


– Oui, tu as découvert un bel objet, et en même temps, une autre chose, beaucoup plus précieuse : la confiance en soi ! Parce que tu as cru qu’il était magique, tu as eu le courage de faire des choses que tu ne fais pas habituellement. A commencer par t’exprimer ! Tu as accepté de lâcher prise en parlant aux animaux, et ce que tu as été prête à leur dire t’a libérée d’un grand poids. Tu viens de comprendre malgré toi que l’une des bases fondamentales, c’est la confiance et la complicité que tu accordes à ton poney. Et cette confiance, tu dois lui inspirer toi aussi. Avec ou sans objet magique. Car ces ressources, c’est en toi qu’elles se trouvent. Et l’autre chose que tu négliges, c’est le travail extraordinaire que tu as accompli depuis que tu es ici ! Le travail… Oui, c’est vrai, Lucile a travaillé dur, et pas seulement durant ce stage. Méline avait raison. C’est drôle, elle y prend tellement de plaisir, malgré les courbatures des adducteurs, qu’elle ne s’était pas aperçue que c’était du travail. Lucile est un peu déstabilisée quand elle rentre au dortoir. Elle ne veut pas croire ce que vient de dire Maureen. Comme elle approche du bâtiment, un hennissement bien connu retentit dans l’obscurité : c’est lui ! Elle regarde au loin : même si on y voit mal, elle reconnaît, sans erreur possible, la silhouette élégante du poney Haflinger, la forme de sa longue crinière blonde. Non, elle n’a pas rêvé, non cette bride n’est pas qu’une légende, et elle va en avoir le cœur net !

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Malgré la fatigue de la journée, la jeune cavalière court à perdre haleine, sans quitter des yeux l’animal qui ne bouge pas d’un poil. Bientôt, elle n’est plus qu’à quelques pas de lui. Elle ralentit ; ce serait dommage de l’effrayer maintenant. Et ça y est, elle n’a plus qu’à tendre la main, mais… Ses doigts rencontrent une surface dure, rugueuse, inanimée : c’est une souche. Une vieille souche, toute bête, toute nulle, même pas recouverte de mousse. Une souche qui ne sert à rien, sinon à se faire passer pour un poney mystérieux et décevoir les enfants. Un peu penaude, Lucile traîne les pieds pour rentrer. « Tu as rêvé » se répète-t-elle en boucle dans sa tête.

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Ce matin, le petit déjeuner a un goût d’au revoir et de vacances qui se terminent. « C’est marrant, songe Lucile, c’est comme quand je rentre de chez Mappy. Je ne sais pas bien pourquoi, mais ça fait tout drôle. Je suis contente de rentrer à la maison, et triste de partir. » Elle regarde autour d’elle, scrute ces grandes baies vitrées au travers desquelles elle observe les pièces qui lui sont interdites, par exemple ce bar très classe qui paraît tout droit sorti d’un film. Un bar qui doit sentir le cuir, le whisky et le gros cigare. « N’importe quoi, se dit-elle à elle-même. Arrête de regarder des films ! et surtout, de t’en faire. » Le ciel est un peu gris ; peut-être que le soleil est allé les attendre chez eux. C’est Maëlys qui la sort de ses rêves en lui tendant la panière à pain. – Au fait, Lucile, pourquoi tu fais de l’équitation, toi ? Lucile se trouve toute bête. Elle croit qu’elle n’en sait rien. Heureusement, et comme souvent, Méline répond à sa place :

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– Moi, au début, ce n’était pas mon idée. Ma mère a dit un jour que ce serait super pour elle si on trouvait un endroit où me caser le mercredi. Elle pensait qu’une activité de plein air me ferait du bien. Elle a ajouté que cela me serait profitable d’apprendre à m’occuper de quelqu’un d’autre que moi-même. Et voilà. – Et ça t’a plu ? – A ton avis ? Ma mère avait raison sur toute la ligne. Qu’est-ce que ça fait du bien de s’occuper de quelqu’un d’autre ! Freya est ma meilleure amie ! Enfin, après Lucile, mais ce n’est pas pareil, tu comprends, Lucile ? Bien sûr, à la maison cela n’a rien arrangé, parce que quand je rentre le soir, j’ai tellement de choses à raconter ! Et toi, Valentin, comment tu en es venu à l’équitation ? – Pour moi, c’est une évidence. Osiris, c’est un peu mes yeux, mais je dois quand même lui dire où aller, et cela demande une grande concentration, une vigilance perpétuelle. Avec Balalaïka, c’est différent. Elle est le prolongement de mon corps. Je peux lui faire une confiance absolue, et je peux vraiment profiter des balades sans réfléchir où mettre les pieds, sans avoir peur de tomber. Je suis dans un état de sérénité absolue. Je me sens libre. Je ne sais pas comment cela se passe pour vous, mais entre les animaux et moi, il n’y a pas de rapport de force, j’ai bien trop besoin d’eux. Nous sommes d’égal à égal. Et on se comprend. « Ça, on avait remarqué, pense Lucile » – Et toi Maëlys ? La jeune fille se fige instantanément. 85


– Moi ? Je… enfin non. Je… J’aime beaucoup les chevaux. Méline soupire. – Fais un effort, s’il te plaît. Pourquoi tu ne veux jamais parler de toi ? Ah, pour saouler tout le monde avec tes histoires de bidules romains ou grecs et ta météo, on peut te faire confiance, mais dès que ça devient un peu personnel, il n’y a plus personne ! Maëlys hésite, tente de parler, se retient, recommence. Visiblement elle souffre. Enfin, elle commence, sans presque bégayer. – C’est mon psychologue qui m’a conseillé l’équitation. Vous savez, c’est très difficile d’être hypermnésique, contrairement à ce que vous croyez. Imaginez : je me souviens de chaque détail de mon existence, et je passe mon temps à ressasser (44), sans arrêt, et j’ai du mal à vivre le moment présent. Eh bien, croyez-moi si vous voulez, mais quand je galope, je me sens libre, aussi bien de corps que d’esprit. C’est magique ! Magique, a dit Maëlys. Il y a bien quelque chose de magique dans cette histoire finalement, mais cela ne ressemble pas à une bride. C’est quelque chose d’irrationnel, une ambiance, une fusion avec les animaux, c’est… – Et toi Lucile, alors ? – Moi ? Je crois que je cherchais quelque chose. De la confiance en moi. De l’amitié. Des belles histoires à raconter. – Et tu nous as trouvés.

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Qui a dit cela ? Méline, Loane ? Lucile regarde ses camarades un à un et, avec son plus beau sourire, répond, avec une sincérité qui vient du cœur : – Oui, je vous ai trouvés. Les cavaliers aux chemises bleues sont eux aussi en train d’installer les chevaux dans les vans. Ils emmènent Isidore et leur moniteur rigolo qui ne sait pas compter mais sait à peu près jouer de la guitare. Sûr que dans le car ils vont chanter des chansons de scouts. « Amis, faut nous quitter, le cercle magique du feu se rapetisse peu à peu… » Voilà, le moment de se dire au revoir est arrivé. On échange quelques mots avec les enfants de l’autre club, on leur serre la main, on les embrasse et en voiture. Peut-être à une prochaine fois. Dans le car, les enfants se remémorent leurs exploits. Chacun rappelle aux autres ce qu’il a accompli durant le jeu de piste et la compétition, et il semble à Lucile qu’elle n’a pas assisté aux mêmes épreuves, parce que les douze points de Méline en tir à l’arc, elle n’en a aucun souvenir… Dans le fond du véhicule, on échange des recettes de cuisine : – Ah oui, excellente idée ! Comme ça, en faisant de grosses parts, on peut les vendre deux euros ! – De quoi est-ce que vous parlez ? se permet Maureen. – On se disait qu’aux prochaines vacances, si on arrive à vendre assez de tartes, on pourrait rester deux

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semaines ? – Holà, doucement ! Moi j’ai d’autres plans pour vous… Puisque vous êtes une si bonne équipe de potes, pourquoi ne pas mettre vos capacités en commun, et créer une véritable équipe, au sens sportif du terme ? Visiblement, personne n’a compris. Mais personne ne dit rien, au cas où ce soit Maëlys qui explique. – … pour, par exemple, tenter de se qualifier pour le Generali Open de France ! Ambre écarquille tellement les yeux qu’on dirait qu’ils vont tomber. – Ouah ! Génial ! ça c’est une idée ! Une équipe ! et on s’appellerait les Invincibles ! Un cri de joie général éclate dans le car ; le chauffeur, qui fait une embardée, devra désormais vivre sans tympan droit. Une équipe, oui, une vraie… Lucile s’y voit déjà, avec sa chemise bleue, ou verte, peu importe, travaillant d’arrache-pied pour avoir la chance, un jour, de monter sur le podium. Puis son esprit rebelle se remet à vagabonder, fait un bond dans le temps, quand elle aura, elle aussi, enfin, son cheval à elle ! Elle le voudra bai, non palomino, ou…bon, on verra. Il sera gentil, intelligent, obéissant mais joueur, il sera… ce qui est sûr c’est qu’il sera son ami, pour toujours. Voilà que le voyage touche à sa fin, et le panneau « ville de Fretin » qui marque l’entrée de la ville a

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quelque chose de tellement familier qu’on a déjà l’impression d’être à la maison. Les parents sont là, dans la cour du poney club. En se jetant dans leurs bras, Lucile réalise seulement à quel point ils lui ont manqué ! Et, tandis que Maureen demande à leur parler, la fillette en profite pour filer voir Prince. Le poney semble être en pleine forme. Il porte un chausson médical et marche avec moins de difficulté. Lucile le fait sortir du box, l’étreint longuement en lui disant sa joie de le retrouver. Puis elle en profite pour le brosser un peu et lui tresser la queue. Enfin, elle le reconduit au box, lui fait quelques caresses et, tout en s’éloignant, promet : – Je reviens te voir demain, tu peux compter sur moi ! – A demain, alors ! Lucile s’immobilise. Est-ce qu’elle a bien entendu ? Elle se retourne ; personne. En revenant sur ses pas, elle sort de son sac le fragment de bride peut-être magique… – Prince, tu m’as dit quelque chose ? Prince, impassible, soupire nonchalamment (45). – J’ai rêvé, se dit Lucile, résignée. De toute façon, la magie, ça ne fonctionne que si on y croit. Et c’est à nous de décider si on y croit ou pas. Alors, on y croit ou pas ?

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1 Être mesuré : ne pas dépasser les limites lorsque l’on parle ou que l’on agit. Faire attention.

6 Panser : faire la toilette d’un animal domestique et plus particulièrement d’un cheval ou d’un poney.

2 Anticyclone : endroit dans l’atmosphère où se situe un centre à hautes pressions.

7 Faction romaine : groupe de concurrents qui s’affrontaient lors de courses de chars dans l’Antiquité Romaine.

3 Compression adiabatique : transformation de différents fluides (gaz ou liquide), suite à une modification de la pression. 4 Subsister : continuer. 5 Naseaux : narines de certains animaux, tels que les chevaux, les poneys etc.

8 Pulluler : exister, en très grand nombre. 9 Chapeauter : se situer tout en haut, dans le contexte de Mystère au galop !. 10 Encolure : le cou du cheval, du poney.


11 Fragrance : une odeur agréable. 12 Abreuver : donner à boire aux animaux domestiques. 13 Étrille : accessoire utilisé pour panser les chevaux, constitué de petites lames de fer dentelées. 14 Bouchon : brosse utilisée pour panser un cheval. 15 Être consciencieux : faire son travail, accomplir une tâche avec attention, minutie, concentration. 16 Être bougon grincheux.

:

être

17 Aides : éléments qui permettent de communiquer avec un cheval. Ces aides peuvent être naturelles (le regard, le son de la voix) ou artificielles (les rênes, les éperons…). 18 Crins lavés : un cheval ou un poney dont les crins

(crinière, queue) sont plus clairs que la couleur de sa robe. 19 Abcès : infection très douloureuse, qui créé une boule sous la peau. 20 Renâcler : ne pas avoir très envie de faire quelque chose. 21 Assiette : manière dont un cavalier se tient sur sa monture. 22 Toiser d’un oeil réprobateur : regarder quelqu’un en lui faisant comprendre que l’on n’est pas d’accord avec lui ou elle. 23 Prompt : dans ce contexte, il s’agit ici d’agir sans hésitation. 24 Défendre l’opprimé : défendre les personnes qui n’arrivent pas à le faire ou qui ne le peuvent pas. 25 Cure-pied : accessoire


permettant de nettoyer les pieds des chevaux et des poneys. 26 Cailloux agglomérés : cailloux artificiels. 27  Être grimé : être déguisé. 28 Son cristallin assez aigu.

: son

29 Bride : pièce du harnais que l’on place sur la tête d’un cheval, comprenant les mors, les montants, la têtière, la sous-gorge, la muserolle, et les quatre rênes. 30 Rivet : sorte de petit clou qui sert à fixer deux parties ensemble. 31 Barres au sol : exercice pratiqué à cheval, qui consiste à faire faire à sa monture un parcours constitué de barres directement posées au sol. Le poney doit passer au-dessus des barres.

32 Cavalettis : obstacles posés au sol pour entrainer le cheval ou le poney au saut d’obstacles mais aussi pour le maintenir en forme. 33 Traverser un gué : traverser la partie d’un cours d’eau, peu profonde, à pied ou à cheval. 34 Fourrés : endroit où la végétation est très généreuse. 35 Être grisant : qui suscite l’intérêt, dans le contexte de l’histoire. 36 Partie meuble : partie qui peut être déplacée, qui peut bouger. 37 Sceptique : qui doute. 38 Bombe : le casque que porte un cavalier lorsqu’il monte à cheval.


39 Récalcitrant : comportement d’un animal qui ne veut pas obéir aux ordres.

43 Disparate : qui est composé d’éléments qui ne sont pas identiques.

40 Monticule : petite élévation du sol.

44 Ressasser : se rappeler sans arrêt un événement, le plus souvent, désagréable.

41 Clairière : dans une forêt il s’agit d’un endroit dépourvu d’arbres. 42 Sillage : chemin qu’une personne vient de faire.

45 Nonchalamment : avec une lenteur naturelle.




Trouve les mots en rapport avec le monde ĂŠquestre dans la grille ci-dessous. Attention, une lettre peut ĂŞtre utilisĂŠe pour plusieurs mots.

V E T E R I N A I R E T E R O S E T A L O N R E F B R R I B

A E M A S G P S R O M O E N S B V L X R A N L E I O T I N T

O C O L S L M A H N B A R E A T B L I E O A V S E O F R H C E U R C N P N E R S U A A J L

N L R O B E E H Y S C T C U E T C P L A S G C E O H E R M E C A S Q U E E R N R O L I E L

E U E U Q N L E O B N I N N B R E I R T E F R P E N F I T A E A U E E R O V I B R E H R S M O N I T E U R E T T E N O P


• • • • • • • • • • • • •

Avoine Bombe Bouchon Box Brosse Carrière Casque Cheval Club Crin Eau Étalon Étrier

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Fer Filet Foin Galop Hennir Herbivore Jument Licol Manège Moniteur Mors Pas Obstacle

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Orge Ponette Poney Queue Renes Robe Sable Sabot Sangle Selle Son Trot Vétérinaire

À la fin, il te restera 26 lettres qui, dans le sens de la lecture, formeront le nom de deux métiers très importants dans un centre équestre. 1er métier : _ _ _ _ _ _ _ _ - _ _ _ _ _ _ _ 2e métier : _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _


Il est à présent temps pour toi de savoir à quoi ressemble ce fameux poney mystérieux que tu as vu à plusieurs reprises lors de ton séjour à Lamotte Beuvron. Voici sa description :

Ce poney appartient à la famille des Alezans. Ce poney a le crin noir et sa queue est coiffée en une jolie tresse en épi. Il n’a pas de balzanes.


Alors, l’as-tu trouvé ?


Réponds à chaque question en choissisant une réponse et ,de et de obtenus. comptabilise le nombre de Reporte-toi aux solutions pour découvrir ton résultat.

1 En allant rendre visite à ton poney, tu te rends compte que ce dernier à l’air triste et mal en point. Il n’a rien mangé !Tu décides : D’aller prévenir le vétérinaire attitré de ton poney, pour qu’il l’examine tout de suite. Tu le laisses se reposer, ça arrive de ne pas avoir faim ! Si demain, rien n’a changé, tu demanderas conseil au personnel du club. Tu te dis que tu verras bien dans deux ou trois jours s’il n’a toujours rien mangé.


2 Tes amis t’ont préparé une surprise et souhaitent t’emmener voir un concert ! Misère, tu avais prévu d’aller rendre visite à ton poney… Que fais-tu ? Tu sors avec tes amis et iras voir ton poney demain. Pour compenser, tu lui donneras deux fois plus à manger ! Tu appelles le poney club pour les prévenir de ton absence et leur demander s’ils peuvent exceptionnellement sortir ton poney. Tu préviens tes amis que tu auras un peu de retard, il faut que tu ailles sortir ton poney et que tu le panses !

3 Lorsque l’on a un poney, on ne passe pas à côté du

pansage ! Qu’en penses-tu ?

Le pansage est un moment de complicité durant lequel ton poney et toi êtes en parfaite harmonie. Tu adaptes le pansage aux saisons pour qu’il soit toujours propre et soigné. Cela te prend beaucoup de temps, et tu le fais parfois par obligation… Cependant, tu sais qu’il faut le faire pour le bien de ton animal, alors tu t’y tiens et très sérieusement ! C’est uniquement avant les concours que tu décides de panser ton animal. Il doit être beau pour gagner les épreuves !


4

Tu vas rendre visite à ton poney : Tous les jours sans exception, c’est ton meilleur ami. Il a besoin de toi mais toi aussi tu as besoin de lui, si tu ne lui rends pas visite, tu te sens très triste ! Une fois par semaine, seulement pour les entraînements. Plusieurs fois par semaine, et quand tu ne peux pas y aller, tu demandes toujours à quelqu’un de s’occuper de lui. Tu es triste de ne pas pouvoir y aller tout le temps, mais tu fais tout pour qu’on s’occupe bien de lui quand tu ne le peux pas.


Métier 1 : Maréchal-Ferrant Métier 2 : Palefrenier


Compte maintenant le nombre de que tu as et découvre les résultats.

Tu as plus de

, de

, et de

: tu es un cavalier dévoué !

Ton poney et toi, vous êtes un duo. Tu le considères d’ailleurs comme ton meilleur ami. Hors de question de passer plus d’une journée sans vous voir… Tu as énormément besoin de lui, et tu te sens triste quand il n’est pas là. Tu es aux petits soins pour lui et tu serais prêt à tout pour qu’il soit heureux et en bonne santé, quitte à faire des pieds et des mains pour qu’on le fasse passer avant tous les autres poneys du club ! Ton poney te le rend bien alors profite aussi de ton entourage, ton poney club veille sur lui lorsque tu n’es pas là !

Tu as plus de

: tu es un cavalier aux petits soins

Tu aimes ton poney, et s’occuper de lui est pour toi une partie de plaisir. Tu fais toujours ce qu’il faut pour lui, sans trop en faire non plus ! A l’écoute, tu le comprends tout de suite et n’hésite pas à demander de l’aide lorsque quelque chose ne va pas. Tu peux passer quelques jours sans le voir, mais tu t’assureras toujours que quelqu’un veille sur lui.


Tu as plus de

: tu es un cavalier passionné

Être cavalier est pour toi une chance énorme de montrer de quoi tu es capable. Ton poney représente beaucoup pour toi, notamment lors des entraînements et des concours durant lesquels vous êtes en totale harmonie. Tu ne vois d’ailleurs ton poney qu’à ces occasions. Et si tu allais lui rendre visite plus souvent ? Il serait très content de partager plein de merveilleux moments à tes côtés !


Cet ouvrage est imprimé dans un atelier respectueux de l’environnement sur un papier certiÞŽ issu de forêts gŽrŽes durablement.

Mise en page : CreerMonLivre.Com Loi n°49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse, modiÞŽe par la loi n¡2011-525 du 17 mai 2011 2018 DŽp™t lŽgal : Mars octobre 2017 ISBN ISBN :: 978-2-917570-39-5 9-78-2-917570-39-5

Imprimé enAlain France ImprimŽ en France, par Atlanmac, 15 rue Barbe Torte, 44200, Nantes


1000065124-429402

RJCoul-C-1000065124-429402

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