Vanina Noël
Ma voisine est une sorcière
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Ă€ ma fille Rose, qui m'inspire chaque jour de ma vie... Maman
Il paraît qu’il existe, quelque part au nord de l’Inde, un village merveilleux niché au pied d’une énorme montagne. Dans la vallée coule une rivière aux reflets scintillants, et sur chacune de ses rives, les hommes ont construit leurs habitations. Ce sont de modestes maisons de bois, entourées de jardins sans clôtures, où les gens et les bêtes circulent librement. Des fleurs exotiques embaument l’atmosphère d’un parfum toujours frais, et les oiseaux viennent se percher sur les branches des baobabs afin de roucouler leurs douces mélopées. (Jeune lectrice, si tu étais plus attentive, tu saurais qu’il n’y a pas de baobabs dans le nord de l’Inde. Ni dans le sud. Les oiseaux dont je parle et qui chantent sur les branches des baobabs vivent en Afrique et n’ont jamais entendu parler de l’Inde. Ce n’est pas bien grave, car ce village est joli quand même. Mais sois plus attentive à l’avenir, Lucie, car il se peut que ce livre contienne d’autres erreurs géographiques.) De jeunes enfants courent les pieds nus sur les chemins de
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terre, tandis que les plus grands mènent paître les troupeaux. Au bord de la rivière se trouve une petite hutte, minuscule, tout juste assez grande pour contenir un homme seul. Dans cette hutte se repose souvent Tandgen, un jeune garçon d’une quinzaine d’années. Ce jour-là, Tandgen venait juste de sortir de sa hutte lorsqu’il entendit des cris d’enfants qui l’appelaient : – Tandgen, Tandgen, regarde, là-bas, c’est lui ! Le jeune homme ne comprit pas tout de suite ce dont il s’agissait. Et puis, en levant les yeux, il aperçut, sur le versant nord de la montagne, un vieil homme, seul, qui gravissait la roche avec une agilité impressionnante. – C’est lui, c’est Chewingom Tananda ! Chewingom Tananda ! Ce n’était donc pas un mythe ! Il existait bel et bien, ce vieux sage qui vivait seul au haut de cette montagne, cet homme à qui personne n’avait jamais parlé, et dont la légende disait qu’il s’était retiré loin des hommes pour apprendre la sagesse universelle. Chewingom Tananda avait fait vœu de silence de neuf heures du soir à huit heures du matin ; durant cette période, il ne parlait plus que le langage des oiseaux et celui du vent. Personne ne savait comment il trouvait de quoi se nourrir à une telle altitude, sur un mont aussi pelé que la montagne Pelée, ce qui n’est pas peu dire. Dans la vallée, il était un peu comme le yéti : tout le monde y croyait, mais personne ne l’avait jamais vu. Et voilà que pour la première fois, Tandgen avait aperçu la silhouette du grand sage (la vérité, c’est qu’il n’était une légende que sur un seul versant de la montagne ; sur l’autre versant, côté sud, tout le monde le voyait quotidiennement puisque c’est là qu’il allait faire son marché chaque matin). Chewingom Tananda arriva chez lui, déposa son sac de 9
courses sur la table de la cuisine, et se mit à réfléchir. C’est le moment que choisit l’auteur pour lui parler (oui, l’auteur c’est moi... j’aime beaucoup parler à mes héros, cela facilite les choses lorsqu’ils sont incapables d’agir tout seuls). – Chewingom, c’est moi qui te parle... – Qui ? Dieu, c’est toi ? – Pffff, mais non ! Arrête de regarder en l’air, tu ne me verras pas. Je suis l’auteur, et je t’ai choisi pour accomplir une importante mission. – Une mission ? Est-ce que le sort de l’humanité en dépend ? – Le sort de l’humanité... il ne faut pas exagérer, non. Mais il se pourrait bien que les héros de mon histoire aient besoin de ton aide. Tu auras un grand voyage à accomplir, tu ferais mieux de partir maintenant, avant que l’histoire ne commence... – Avant que l’histoire ne commence ? Mais, elle est déjà commencée ! – Non, ce n’est pas ton histoire que je vais raconter... C’est celle de Lucie, une jeune fille de Toulouse, et que tu ne connais pas encore. Toi, tu n’es qu’un personnage secondaire, pour l’introduction... Mais si tu t’engages à remplir ton rôle, je te promets qu’un jour je raconterai tes aventures ! Sans attendre davantage, Chewingom sortit un grand sac rapiécé, dans lequel il glissa quelques sandwichs et une gourde, car il se doutait que sa route serait longue (facile, je viens de le lui dire). Puis il ferma soigneusement la porte de sa maison, et s’en fut à l’aventure. Combien de continents devrait-il parcourir, combien de tempêtes allait-il essuyer ? Sans doute allait-il rencontrer de terribles brigands qui allaient piller son maigre bagage, et 10
des monstres sanguinaires qui tenteraient de le dévorer... Mais Chewingom était courageux. Il ne reculerait devant rien et accomplirait sa mission. Il parcourut le panorama de son regard d’aigle aiguisé, puis sortit sa boussole, et, sans se retourner, fila à travers la vallée. Et pendant ce temps-là... ...Pendant ce temps-là, à quelques dizaines de milliers de kilomètres de là, madame Mistruc reprisait ses chaussettes. – Zut, zut et rezut ! Je me suis encore piquée avec cette maudite aiguille ! gémit-elle en léchant son index blessé. Madame Mistruc vivait seule depuis de nombreuses années dans une petite maison à l’orée de la forêt. Jusqu’à présent elle y avait vécu bien tranquille, mais depuis peu elle commençait à s’y sentir seule, et s’ennuyait parfois. Elle s’adonnait régulièrement à la couture, qui était son occupation préférée, mais son grand âge commençait à lui jouer des tours, et dans le sombre salon de la sombre maison de cette sombre forêt, il n’était pas rare que retentisse le cri déchirant de la pauvre couturière qui se piquait invariablement les doigts. – Il n’y a pas assez de lumière dans ce salon ! Pas assez de lumière ! J’en ai assez, je déménage !
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– Lucie, s’il te plaît ma chérie !... Lucie déteste quand Maman l’appelle comme ça. En général, c’est qu’elle a quelque chose à lui demander. – Voyons, réfléchissons. Est-ce qu’elle veut encore que je range ma chambre ? Non je l’ai fait hier. Veut-elle que je fasse la vaisselle ? Non plus : nous n’avons pas encore mangé. Ça y est, je devine : elle va me faire sortir la p... Mais la voix de Maman interrompt sa réflexion : – Pourrais-tu sortir la poubelle, s’il te plaît ? Lucie lève les yeux au ciel : – Et voilà, j’en étais sûre ! J’ai deviné au troisième essai. La prochaine fois je ferai mieux. Lucie, comme une enfant bien élevée, s’acquitte de sa tâche (en traînant un peu les pieds quand même : c’est une enfant bien élevée, à ne pas confondre avec une enfant modèle). En passant devant chez ses voisins, un petit écriteau qu’elle n’avait pas remarqué avant retient son attention :
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« À louer » Ce qui signifie, en toute logique, que les voisins ont déménagé. Les parents de Lucie devaient bien le savoir... mais personne n’a daigné la prévenir. – Maman, tu savais que la famille Lenoir avait déménagé ? – Bien sûr, je te l’avais dit ! – Évidemment, pense Lucie, si je lui dis que ce n’est pas vrai, elle va soutenir qu’elle me l’a dit, et que je n’ai pas écouté... – Enfin Lucie, souviens-toi ! Je t’ai dit que monsieur Lenoir avait trouvé du travail dans une autre région ! Mais tu ne m’écoutes jamais quand je te parle ! Assise devant son assiette, les deux coudes sur la table, Lucie rêvasse, et l’on pourrait presque, en s’approchant bien, voir ses pensées défiler à travers ses beaux yeux bleus. Maman, qui l’observe en silence, ne peut s’empêcher de songer qu’elle est vraiment mignonne, avec son visage poupin et son nez parfaitement bien dessiné. Si seulement elle voulait bien arrêter de porter toujours ce même vieux pull à rayures blanches ! Elle paraît vraiment perdue dans ses pensées, et sous la tignasse blonde, c’est une tempête sous un crâne. Maman se dit qu’elle doit être en train d’inventer un truc génial qui va révolutionner le monde, elle est si intelligente ! Mais non, elle essaye juste d’imaginer ses futurs nouveaux voisins. – Ce serait bien s’ils avaient une fille de mon âge. Ou à la limite un garçon... s'il est beau, bien sûr. On pourrait jouer ensemble les mercredis après-midi. – Lucie, tu rêvasses ! Mange ta soupe, elle va refroidir ! Lucie soupire.
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– J’essaye d’imaginer les nouveaux voisins. – Que tu es impatiente ! Les Lenoir sont à peine partis que déjà tu veux les remplacer ! Tu sais, cela risque de prendre plus de temps que tu n’imagines. De nombreuses familles vont venir visiter le logement, puis il faut leur laisser le temps de quitter leur ancienne habitation avant de s’installer. Un déménagement ne se fait pas en un seul jour ! Pourtant, dès le lendemain matin, alors que Lucie s’apprête à partir pour l’école, l’écriteau « à louer » a disparu.
*** – Bonjour Blanche ! – Bonjour Lucie ! Les deux enfants se saluent dans la cour de l’école. Lucie semble agitée. – Tu sais quoi ? Je vais avoir de nouveaux voisins ! Viens chez moi en sortant de classe, on les verra peut-être ! La journée paraît incroyablement longue pour les deux écolières. Jamais les explications de Madame Sotto ne leur ont semblé aussi ennuyeuses. Elles sont tellement obnubilées par la famille qui remplacera les Lenoir, qu’elles ont bien du mal à se concentrer. Lorsque la sonnerie retentit, elles dévalent l’escalier et sortent de l’école en courant. Mais, comme l’avait prédit Maman, aucune agitation, pas le moindre camion de déménagement, pas le moindre visiteur, rien. – Il y a pourtant bien quelqu’un, s’exclame Blanche, regarde, il y a un nom sur la porte ! C’est pourtant vrai ! Sur la porte de bois vernis, quelqu’un a
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ajouté un horrible petit bout de papier tout racorni, qui indique le nom du locataire : Madame Mistruc. – Madame Mistruc ? Quel drôle de nom ! – Drôle, et pourquoi drôle, je vous prie ? s’offusque derrière la porte une affreuse voix nasillarde et aigrelette. – C’est que... c’est que... je ne connais personne de ce nomlà..., bafouille Lucie en termes d’excuses. Mais voilà que la porte s’ouvre, laissant apparaître la petite bonne femme la plus laide que la terre ait jamais portée. Elle est minuscule, voûtée, et vêtue de noir. D’horribles cheveux filasse encerclent un visage boutonneux, granuleux et antipathique. Tout au bout de son nez busqué trône, majestueuse, une pustule grosse comme une pièce de deux euros. Elle a l’air fâchée que l’on se moque de son nom. Tandis que Lucie essaye d’être polie et de réparer sa maladresse, Blanche scrute, par la porte entrouverte, l’intérieur du logement. – Tu as vu ? demande-t-elle un peu plus tard, une fois à l’abri dans la chambre de Lucie, son salon est déjà tout installé... je veux dire... on ne croirait jamais qu’elle a emménagé ce matin. Je me demande comment elle a pu faire aussi vite. – Tu veux mon avis ? C’est une sorcière ! – Pfffff, les sorcières n’existent pas, voyons ! – N’empêche que si elles existaient, c’est à madame Mistruc qu’elles ressembleraient ! Moi qui me faisais une joie d’avoir de nouveaux voisins ! Je sens que ma vie va devenir un enfer ! – N’exagère pas ! Tu n’auras qu’à l’ignorer et faire semblant de ne pas la voir. – Faire semblant de ne pas la voir ? Mais on la repère à trois cents mètres avec son énorme verrue ! 15
– Pour ça tu as raison. Il faudrait au moins un baobab pour la cacher ! Lucie sourit. – Tu es bête. Les baobabs, cela ne pousse qu’en Inde.
*** – Lucie, ma chérie ! – Oh non ! gémit l’enfant avant même de savoir pourquoi on l’appelle. Je ne peux pas Maman, je fais mes devoirs ! – Tu ne sais même pas encore pourquoi je t’appelle ! Va à la boulangerie, s’il te plaît, et ramène-moi une baguette. – Mais j’ai une interro à réviser ! – Justement, il faut faire des pauses pour t’aérer l’esprit, cela te fera le plus grand bien. Ça, c’est tout à fait Maman. Chaque fois que Lucie est occupée ou lorsqu’elle paresse délicieusement devant la télé ou la console, elle décrète qu’elle doit s’aérer l’esprit. Par contre, quand il fait beau et qu’elle resterait bien à jouer dehors avec les copines, là, il faut rentrer. Pourquoi ne va-telle pas s’aérer elle-même, pourquoi ce qui fait le plus grand bien aux enfants ne semble pas fonctionner sur les grandes personnes ? Devant la boulangerie, elle croise Blanche. D’un air mystérieux, elle fait signe à Lucie et lui chuchote dans le creux de l’oreille : – J’allais justement venir te voir. Tu sais, j’ai réfléchi. Il se pourrait que ta voisine soit une sorcière, finalement. Personne au monde n’a le droit d’être aussi laid, cela cache quelque chose de maléfique.
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– Oui, mais comment en être sûres ? – Je pense qu’il faudrait mener une enquête. Viens avec moi à la bibliothèque, on trouvera certainement des informations au sujet des sorcières. – Une enquête ! Quelle bonne idée ! Voilà qu’il se passe enfin quelque chose d’intéressant ! Je vais prévenir ma mère. Lucie court chez elle, dépose le pain sur le coin de la table et annonce : – Je vais à la bibliothèque avec Blanche. – Non, n’oublie pas que tu as une interro à réviser ! – Justement, cela m’aérera l’esprit. – Ne rentre pas trop tard, je suis en train de préparer le repas, nous mangeons bientôt. Lucie renifle le fumet qui s’échappe de la casserole, et tandis qu’elle se désole d’un timide : « Je n’aime pas ... » sa mère l’interrompt joyeusement : – J’ai fait des frites ! Le rayon ésotérique de la bibliothèque regorge d’ouvrages étranges. – Regarde ça ! s’écrie Blanche, Mille et une recettes de magie noire qui fonctionnent presque ! et celui-là : Sortilèges et potions pas tout à fait magiques à base d’ingrédients impossibles à identifier ! – Non, ce n’est pas ce que nous cherchons ! Celui-là par contre... Lucie brandit un ouvrage dont la couverture noire et abîmée indique : Comment découvrir si votre nouvelle voisine est une sorcière. – Tu as raison ! C’est exactement ce qu’il nous faut !
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Avec excitation elles dévorent la préface. « Vous venez d’apprendre que vos voisins ont déménagé, et déjà un locataire mystérieux vient de les remplacer. C’est une femme, au nom étrange et à la laideur légendaire. Vous en déduisez (un peu rapidement) qu’il s’agit d’une sorcière. Mais méfiance, les apparences sont parfois trompeuses. Car, à n’en pas douter, cette femme EST une sorcière, mais vous ne disposez pas encore des éléments permettant de l’affirmer. Grâce à cet ouvrage, vous saurez POURQUOI c’en est une. » – Merveilleux ! s’exclame Lucie, exactement ce qu’il nous fallait ! On le prend ! Blanche ne peut toutefois s’empêcher d’emprunter au passage le grand livre des Potions pas tout à fait magiques à base d’ingrédients impossibles à identifier...
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Le lendemain, après l’école, Blanche raccompagne Lucie chez elle. Allongées toutes les deux au milieu de la chambre, entre les rollers qui traînent sur le parquet, les bandes dessinées de Loisel et les pièces éparses du jeu d’échec, les deux enfants inspectent le livre. Comme elles sont très prudentes, elles ont mis à fond « Ouesh ouesh » par Maitre Gims, pour que les parents de Lucie ne puissent pas entendre la conversation. – Regarde ça, tu vas rire ! « La première chose pouvant indiquer que votre voisine est une sorcière, c’est la présence, sur le bout de son nez, d’une verrue si énorme qu’il faudrait un baobab pour la cacher. Malheureusement, c’est bien connu, les baobabs ne poussent qu’en Afrique. » Mince alors ! Je croyais que c’était en Inde ! – Peu importe. Lis la suite. – « Elle doit aussi avoir un chat noir. » Est-ce qu’elle a un chat, madame Mistruc ?
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– Je ne sais pas. – C’est la première chose que nous devons découvrir. Comment savoir si quelqu’un a un chat ? Un chien encore, cela ne passe pas inaperçu, mais un chat ? A moins de l’entendre miauler... S’il miaule, évidemment, il y en a un, mais s’il ne miaule pas, cela signifie-t-il pour autant qu’il n’y a pas de chat ? – Ne t’inquiète pas, j’ai ce qu’il nous faut, déclare Blanche. Elle sort alors de son cartable son deuxième livre de bibliothèque, et l’ouvre, au hasard, à la page 1648. Potion n° 847 : comment savoir si votre voisine a un chat. Préparer une décoction de jus de lavantrine à la lymphe de léopanthère Concasser quelques ostibrios de lousfrac avec la première page de Twilight Mélanger le tout un soir de pleine lune à neuf heures moins deux Chanter à l’envers, et debout sur un pied, le chant patriotique des Astaminstropos. – Mince ! J’ai oublié la mélodie ! Mais Lucie a une autre idée, bien meilleure. – On n’a qu’à disperser des croquettes devant le palier. Le chat sentira leur odeur et grattera à la porte pour qu’on lui ouvre. Aussitôt dit, aussitôt fait. Quelques minutes plus tard, l’argent de poche de Lucie a servi à acheter un énorme sac de croquettes de qualité, approuvées par les consommateurs et recommandées par les vétérinaires. Une fois le sac
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entièrement vidé devant la porte de madame Mistruc, les enfants partent se cacher un peu plus loin en attendant la suite des événements. Quelques longues minutes plus tard, rien à faire, la porte ne s’est pas ouverte, et aucun animal ne semble gratter pour qu’on lui ouvre. – Je crois que l’affaire est réglée. Elle n’a pas de chat. Ou alors il n’a pas faim... et nous ne sommes pas plus avancées. Mais Lucie est rusée. Elle a compris que quelque chose cloche dans leur raisonnement. – Que nous sommes bêtes ! Les chats de sorcières ne mangent pas de croquettes, voyons ! Ils ne mangent que des animaux vivants, c’est bien connu ! – Tu as raison ! Et je sais exactement comment nous en procurer... Sortilège n°124 : comment faire apparaître un petit animal vivant pouvant servir de nourriture à un chat de sorcière qui n’aime pas les croquettes Râper une noix de mistoc avec une feuille de papier de verre pas trop épaisse Prendre un petit brin de laine, et y faire un nœud coulant Mélanger les copeaux de mistoc avec du tarsiflair liquide et un morceau d’étoffe découpée dans votre pull à rayures blanches Jeter le brin de laine (il ne sert à rien en fait) Attacher ensemble ses deux lacets... – ... mince alors, j’ai mis mes chaussures à scratch ! – Laisse tomber, il y a une animalerie pas loin, on n’a qu’à acheter une souris déjà toute faite.
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Cette fois, c’est Blanche qui met à profit son argent de poche. Le vendeur de l’animalerie les regarde avec de grands yeux. – Comment ? Vous voulez cette horrible souris grise ? Moi qui pensais que je ne la vendrais jamais ! Vous êtes sûres de ne pas préférer ces mignonnes petites souris blanches ? Regardez comme elles sont craquantes ! – Ce sont des croquantes que nous voulons..., ricane Blanche. Mais le problème demeure entier. Comment attirer madame Mistruc à l’extérieur et faire en sorte que sa porte reste ouverte le temps que la souris puisse entrer ? – Regarde ! s’écrie Lucie, la chance de notre vie ! Elle est en train de sortir sa poubelle, c’est maintenant qu’il faut agir ! Je vais la retarder, prends la souris, cours chez elle et jette-la à l’intérieur ! Et tandis que Lucie, un peu confuse depuis la fois dernière, présente mille politesses à la sorcière, Blanche, pas très rassurée, s’introduit chez elle et jette l’horrible souris grise au beau milieu du salon. Quelques minutes plus tard, un cri déchirant ébranle le quartier. Penaude, Lucie constate : – On dirait qu’elle a peur des souris... Pour une sorcière, ce n’est pas très naturel. – En tout cas, si elle a un chat, il ne doit pas être un bien grand chasseur... En effet, la petite bonne femme qui dévale l’escalier en retroussant sa jupe n’a pas le comportement d’une heureuse propriétaire de chat exterminateur de souris. En un éclair, elle est devant l’animalerie. – Bonjour monsieur. Il me faut un chat, de toute urgence, un chat vif, rapide, et excellent chasseur ! 23
– Eh bien, vous m’avez tout l’air d’avoir un sérieux problème, madame Mistruc... – Une souris ! Figurez-vous que je viens de trouver dans mon salon une énorme souris grise, laide comme un pou ! – Tiens tiens, voilà qui est étrange, songe le vendeur. Mais ne vous tracassez pas, j’ai exactement ce qu’il vous faut ! Regardez-moi ce chasseur sanguinaire ! L’animalier vient de poser sur le comptoir un sac d’os au poil hirsute et à l’œil méchant. Noir comme la nuit, le chat dispose de cinq paires de griffes aiguisées comme des sabres. Enfin, dix paires. Euh non... voyons, un chat a cinq doigts aux pattes supérieures, et quatre aux pattes inférieures (je le sais, j’ai vérifié... à moins qu’on ne nous mente sur Wikipédia), ce qui fait... dix-huit griffes, soit neuf paires... Enfin bref, il a l’air affreusement stupide, mais il est effrayant. – Mais qu’est-ce que c’est que cette horreur ? – C’est un chat voyons, et j’ajouterais même : le chat le plus rapide de l’ouest ! – Vous n’avez rien d’aussi efficace et d’un peu plus beau ? – Navré, c’est tout ce qui me reste. Lorsque la mégère rentre chez elle, les voisins sont bien surpris de la voir traverser le quartier avec, sous le bras, un monstre se débattant et sortant les griffes. Tout en parant les attaques, madame Mistruc se dit qu’un chat aussi laid était probablement destiné à être chat de sorcière, et qu’elle va l’appeler Salem, comme tous les chats maudits. Mais au vu de son caractère, j’ai préféré, moi, l’appeler Alain, pour des raisons personnelles qui me font beaucoup rire. –Tu vois, elle n’avait pas de chat, déclare Lucie, un peu déçue. – C’est vrai... mais maintenant, elle en a un ! 24
– Tu as raison ! Et pas n’importe quel chat, un vrai chat de sorcière ! – Donc, concernant les points un et deux, pour l’instant, elle correspond à la description du livre. – Passons au point trois. – Non, je suis en retard, mes parents doivent m’attendre. On se voit demain pour la suite. Madame Mistruc a eu une peur bleue, mais le vendeur n’avait pas menti : l’horrible chat n’a fait qu’une bouchée de la souris grise. Et c’est tant mieux, car la mégère vient de songer qu’à part cette souris, elle n’a rien pour nourrir Alain. – Et dire qu’il y a une heure à peine j’ai passé un temps fou à balayer un sac entier de croquettes que quelqu’un avait renversé juste devant ma porte ! Le chat somnole sur le canapé, et sa bouche entrouverte laisse entrevoir une sorte de petit sourire qui dévoile toute son insolence de chat qui s’appelle Alain. – Quel changement de vie, pense madame Mistruc. En deux jours j’ai changé de logement, et me voilà propriétaire d’un chat ! Après tout, un peu de compagnie ne pourra pas me faire de mal, et je suis sûre qu’on va bien s’entendre, hein Salem ? Madame Mistruc n’a pas lu ce livre, et ne sait donc pas encore que son chat s’appelle Alain. C’est donc sans se poser plus de questions qu’elle attrape sa boîte à couture et recommence à repriser ses chaussettes.
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Chewingom Tananda essuyait avec application la lame de son couteau, tout en fredonnant le chant patriotique des Astraminstropos. Le tigre qu’il venait de découper lui avait donné bien du fil à retordre, mais il avait fini par le vaincre. Cela faisait plusieurs semaines déjà qu’il était parti, et, même s’il ne savait pas encore où il allait, chaque jour le rapprochait de l’aboutissement de son voyage. Il avançait fort vite d’ailleurs, puisqu’il avait posé le pied sur le continent africain la veille au soir. Il avait bravé des tempêtes, et fui des pirates, il avait combattu des... Attendez. Que la lectrice me pardonne... je n’avais pas vu qu’il venait de tuer un tigre. Or, chacun sait que les tigres ne vivent qu’en Inde (je t’avais demandé, Lucie, d’être attentive ! Mais je vois que tu ne suis pas...) – Ah bon ? s’étonna Chewingom Tananda. Je croyais qu’ils vivaient en Afrique, moi. – Pas du tout, Chewingom. D’ailleurs, la preuve : as-tu déjà vu un tigre faire une sieste sous un baobab ? Tu n’es donc pas en Afrique, mais bel et bien en Inde.
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– Ah non ! Je ne suis pas d’accord ! Voilà des semaines que je traverse le monde, que je brave des tempêtes, des pirates et des bêtes féroces, et juste quand j’arrive en Afrique, on me renvoie à mon point de départ ! –Dommage Chewingom, il fallait y réfléchir avant de tuer un tigre. Nous n’en serions pas là si tu avais tué un lion. » Chewingom, honteux et confus, jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus.
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– D’après ce qui est écrit dans ce livre, on aura la conviction totale que ta voisine est une sorcière si on la voit passer, un soir de pleine lune, à califourchon sur un balai volant. – Évidemment ! Je n’avais pas besoin d’un livre pour savoir cela ! Mais penses-tu qu’elle soit assez bête pour passer en balai devant nous ? – Non, c’est pour ça qu’il va falloir être malignes ! – Si seulement nous l’avions observée lorsqu’elle balayait les croquettes devant sa porte... – La voilà l’idée ! Il nous suffit de mettre un bazar terrible devant chez elle, de sorte qu’elle soit obligée de sortir avec son balai. Puis nous lui subtiliserons sans nous faire voir ! – Mouais... répond Lucie, sceptique. Lui voler son balai volant pendant qu’elle l’utilise pour balayer... et sans se faire voir, naturellement... C’est la maîtresse qui, brutalement, interrompt le bavardage des enfants : – Lucie, cela ne t’intéresse pas ce que je raconte ? – Euh... mais si, au contraire, Madame Sotto ! C’est 29
passionnant... – Dans ce cas, j’imagine que tu es en mesure de me dire qui, du lion ou du tigre, dévore généralement l’autre ? – Eh bien... mais... le lion, bien entendu ! C’est pour cela qu’il est le roi des animaux ! – Faux ! Le lion et le tigre ne se combattent pas entre eux, c’est impossible : l’un vit en Afrique et l’autre en Inde, comme je viens de le dire, pendant que tu m’écoutais attentivement en trouvant mes propos passionnants... Tu me copieras cinquante fois pour demain la phrase suivante : Le tigre et le lion ne vivant pas sur le même continent, il est fort improbable que ces animaux viennent un jour à se rencontrer. En effet, il n’y a pas de tigres en Afrique, et pas de lions en Inde. Madame Sotto paraît réfléchir, puis rectifie : – Non, copie plutôt : en effet, le tigre vit en Inde, et le lion en Afrique. Cela me semble plus clair. Cependant cela n’est pas tout à fait juste. Il conviendrait de préciser : ...évidemment, lorsqu’il s’agit d’habitats naturels. En effet, il arrive que les deux animaux se côtoient dans le cadre d’un cirque ou d’un parc zoologique, mais alors ils sont encadrés et enfermés, ce qui rend de toute façon toute confrontation hautement hypothétique. Sauf, bien entendu, si le dompteur omet de fermer la cage, ou si... La cloche annonçant la fin du cours délivre Lucie du monologue punitif de la maîtresse. – Tu viens chez moi ? propose Blanche. Comme les deux enfants passent devant l’animalerie, une voix les interpelle : – Eh, psst ! C’est le vendeur qui leur fait de grands signes à travers la vitrine. 30
– Sympa les enfants, j’ai vendu un chat grâce à vous. Il m’en reste deux aussi laids dont je n’arrive pas à me débarrasser. Vous croyez que vous pourriez glisser quelques souris chez les habitants du quartier ? – Je ne vois pas du tout de quoi vous voulez parler, répond Lucie, qui a toujours réponse à tout. Une fois éloignées du magasin, les deux amies n’en mènent pas large. – Comment sait-il ce qui s’est passé ? – Je pense que c’est madame Mistruc qui lui a tout raconté lorsqu’elle est venue chercher son chat. – Tu crois qu’elle sait que c’est nous qui avons jeté la souris dans son salon ? – C’est une sorcière, ne l’oublie pas ! Il va falloir nous faire plus discrètes, parce que si elle s’aperçoit que nous essayons de la démasquer, elle risque d’entrer dans une colère terrible ! – Même pas peur ! s’écrie Lucie sans conviction. La maman de Blanche a préparé des crêpes pour le goûter. Les deux enfants s’en donnent à cœur joie. Puis, consciencieusement, elles vont faire leurs devoirs. Mais il ne se passe pas cinq minutes sans qu’elles reviennent au problème qui les préoccupe : comment subtiliser le balai de madame Mistruc ? – J’ai peut-être une vague idée, commence Blanche. Sortilège n° 482 : Comment voler à une sorcière son balai volant pendant qu’elle l’utilise pour balayer... et sans se faire voir, naturellement !
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– Ah non ! Arrête avec ce livre ! J’ai une solution toute simple : je vais aller frapper à sa porte, lui raconter que Maman a cassé son balai, et lui demander qu’elle nous prête le sien, c’est aussi simple que cela ! – Alors là, pour une fois, on peut dire que tu as eu une idée géniale ! Nous irons la voir dès demain ! – Pourquoi attendre demain ? On n’a qu’à y aller tout de suite ! Blanche prend un air désolé. – Ce soir, j’ai bien peur que tu n’en aies pas le temps... N’oublie pas que tu as une longue punition à copier. – Pffffff, j’avais oublié ! Bon ben, à demain... Et Lucie rentre chez elle en traînant des pieds et en soupirant. Chez elle, sa mère est en train de faire la vaisselle en chantonnant malgré elle « I won’t do what you tell me » sans savoir vraiment pourquoi elle a cette chanson dans la tête depuis deux jours. Pendant ce temps, chez madame Mistruc, Alain ne fait rien. Allongé sur le canapé, étendu de tout son long, il rêve, les babines légèrement ouvertes et l’œil révulsé. Il a eu une journée bien remplie. Après un copieux petit déjeuner, il a sauté sur toutes les étagères de la cuisine, renversé les bocaux d’herbes aromatiques que madame Mistruc conserve précieusement, lacéré les rideaux, puis les draps, avant de s’en prendre aux coussins du canapé. Il goûte à présent au repos serein d’une sieste bien méritée. Madame Mistruc a délaissé ses chaussettes pour repriser ses rideaux, et tente de se faire la plus silencieuse possible afin de ne pas éveiller le monstre. Au cours de son raccommodage, elle s’est piquée trente-quatre fois l’index
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de la main droite. Rien à faire : elle n’est pas douée pour la couture. Alain ouvre un œil, se frotte le museau, puis, en regardant madame Mistruc droit dans les yeux, indique de la patte la direction de sa gamelle. La vieille femme fronce les sourcils : – Tu manges beaucoup trop. Si tu continues comme ça, tu vas devenir énorme. Je te nourrirai plus tard. Avec une arrogance rare pour un chat, Alain tend sa patte et sort l’une après l’autre quatre griffes aiguisées comme des rasoirs. Au moment où il va les planter dans ce qui reste du canapé, madame Mistruc s’écrie : – Non, ne fais pas ça ! C’est bon, tu as gagné, je vais te servir des croquettes.
*** – Papa, je te propose un jeu... – Je t’écoute. – Voilà : je vais te poser une question, et si tu y réponds mal, tu auras un gage : tu devras me copier cinquante fois un petit texte de mon invention... – Pari tenu. Quelle est ta question ? – Si un lion et un tigre se combattent, lequel des deux battra l’autre ? Le père de Lucie paraît réfléchir avec beaucoup de concentration. L’écolière est pleine d’espoir. – Eh bien, je dirais que cela ne peut pas arriver. Tout le monde sait que les tigres vivent en Inde, et les lions en Afrique. Cependant, il leur arrive aujourd’hui de se trouver réunis, dans les cirques notamment. Ils n’ont en général
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aucune raison de se battre, puisqu’ils sont relativement bien nourris. Mais seul le lion combat pour se nourrir ; le tigre, en revanche, est un animal cruel, qui attaque pour son propre plaisir. Pourtant, la cruauté suffit-elle à assurer la victoire ? Si le lion est une lionne, et qu’elle a des petits à défendre... – Laisse tomber, je vais me débrouiller toute seule. Merci Papa. Et Lucie passa une soirée bien triste, seule dans sa chambre à faire des pages d’écriture. Quand elle se coucha, elle avait des ampoules plein les doigts, et fit un horrible cauchemar dans lequel des sorcières lâchaient sur elle des tigres enragés qui se prénommaient Alain.
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Ce matin il fait extraordinairement beau. Un vrai temps de grandes vacances. Et, cela tombe bien, c’est les vacances ! Pas encore les grandes, mais des vacances tout de même. Plusieurs jours ont passé depuis l’emménagement de madame Mistruc, et les enfants n’en ont pas appris plus sur elle. Elles sont tellement terrifiées à l’idée de sonner à sa porte, qu’elles n’ont pas encore eu le courage de lui emprunter son balai. Comme elles redoutent toutes les deux ce moment, elles essayent de ne pas trop en parler, évitent le sujet et s’occupent à autre chose. Là, en l’occurrence, elles jouent à faire des tours de vélo. – Gagné ! – Non ! Tu as mal vu. – Pfff, Blanche, tu es vraiment mauvaise perdante ! – Pas du tout. On recommence si tu veux. Mais Maman vient de se mettre à la fenêtre. – Oh non, s’exclame Lucie. Je suis sûre qu’elle va me demander un service ! – Lucie ! J’ai un service à te demander ! Je viens de casser 36
mon balai, voudrais-tu aller demander à madame Mistruc de me prêter le sien ? Les deux enfants se regardent, livides. – Qu’est-ce qu’on fait ? – On y va, nous n’avons pas le choix. Du terrain de jeu improvisé jusqu’à la porte, Lucie se répète : « les sorcières, ça n’existe pas ». Mais plus elle pense à madame Mistruc, moins elle en est sûre. – Je frappe, tu parles. – Non, JE frappe, TU parles ! – Non, toi ! Après tout c’est ta mère qui nous envoie ! Je n’étais même pas obligée de venir. Finalement, personne ne frappera, car elles ont fait un tel raffut, que madame Mistruc se tient sur le seuil de la porte et les observe d’un œil étonné. – Qu’est-ce que vous faites là ? demande-t-elle. – C’est elle qui parle, bredouille Blanche en pointant du doigt son amie. – Eh bien... euh... ma mère vient de casser son balai et voudrait savoir si, par hasard, vous accepteriez de lui prêter le vôtre... – C’est tout ? Bien, attendez-moi. Elle disparaît quelques instants et revient avec un vieux balai en paille de riz avec un manche confectionné avec une branche de bois brut. Les enfants remercient et s’enfuient. – Ça alors ! Je n’aurais jamais cru que ce serait aussi facile ! Testons-le immédiatement ! – Tu oublies un détail : ce n’était pas un mensonge, ma mère en a vraiment besoin. Nous l’examinerons après. Et, tandis que Maman fait le ménage, les deux enfants, sages comme des images, la regardent faire. Au bout d’un moment, Maman, surprise, leur demande : 37
– Vous n’avez rien de plus intéressant à faire qu’à me regarder balayer ? – J’attends mon tour, répond Lucie sans se déconcerter. Moi aussi j’ai ma chambre à nettoyer. Lucie n’est pas une menteuse, pas du tout. Mais elle aime bien, parfois, embellir la vérité, pour faire plaisir à sa mère. D’ailleurs, c’est efficace : Maman tombe des nues. C’est bien la première fois, en neuf ans, que Lucie demande ellemême à faire sa chambre. Cela semble la mettre de bonne humeur. Elle tend le balai à sa fille, qui s’en empare et court dans sa chambre, suivie par son amie. – Je n’arrive pas à y croire ! Un vrai balai de sorcière ! On va l’essayer ! Mais les enfants ont beau se mettre à califourchon sur le manche, pousser sur leurs pieds, le balai ne décolle pas. – C’est qu’on ne connaît pas la formule ! déclare Blanche. Lucie, qui connaît Harry Potter (enfin, pas personnellement, mais c’est tout comme) tente un tonitruant : « Wingardium Leviosa »... sans succès. – Pffff, n’importe quoi ! se moque Blanche. Laisse-moi trouver la bonne formule. Elle court ramasser son sac, en sort son livre préféré. Sortilège 145 : Comment faire voler le balai que votre voisine sorcière a prêté à votre mère qui a cassé le sien Enduire le manche de pâte de colcorastum confite et macérée trois jours et quatorze nuits dans du chlorudrure de lécimonathe Jeter contre le mur très violemment votre cd de Maitre Gims (juste pour rendre service à votre mère)
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Mastiquer un asticbar de girofle pendant huit heures, tête en bas Lorsqu’il est bien mâchouillé, le mélanger à du calcitrofède de lustine Prononcer la formule : Wingardium Leviosa – Tu vois, ce n’est pas très compliqué ! – Tu oublies un détail : la lustine ne pousse que l’hiver, et il est impossible de s’en procurer au printemps ! Un peu impatientée, Lucie ouvre grand la fenêtre, attrape le balai et, le tenant sur l’épaule comme un javelot, prend ses trois pas d’élan, détend le bras, et propulse l’objet dans les airs en hurlant : « Vole ! » Le balai flotte une seconde dans les airs... avant de s’écraser au sol avec fracas. – Non ! bredouille Blanche qui n’en croit pas ses yeux. Pourquoi tu as fait ça ? Il est sûrement en miettes maintenant ! – Il faut aller le chercher. En sortant de la chambre précipitamment, elles manquent de bousculer Maman. – Tu as fini de balayer ta chambre ? – Euh... oui ! Mais n’entre surtout pas, ça te ferait un choc de la voir aussi propre, tu n’as pas l’habitude ! La maman de Lucie sourit et retourne à ses occupations, tout en se disant qu’elle a de la chance d’avoir une fille aussi sage. Dans la rue, le balai, visiblement pas magique du tout, a pris un vilain coup, et le manche est brisé en deux morceaux. La punition de madame Mistruc risque d’être terrible ! À moins que... à moins... Lucie a une idée : elle sait où Papa cache
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son tube de super-glu. La super-glu est une colle très puissante, et les publicités des années 80 affirmaient qu’elle était capable de coller un homme au plafond avec seulement quatre gouttes disposées géométriquement sous ses semelles. On voyait deux hommes soulever le volontaire, le coller tête en bas au plafond, puis ils le lâchaient et l’homme restait collé. C’était très embêtant pour sa cravate, qui pendait à l’envers, mais comme il était malin, il avait tout de suite pensé à la coincer entre ses bras croisés et tout allait bien. On n’a jamais su pourquoi il avait fait cela, ni combien de temps il avait tenu. Nous ne savons pas s’il y est encore. Peut-être qu’il est mort. La seule certitude qu’avait Lucie à cet instant, c’est que cette colle surpuissante devait bien suffire à coller un manche à balai le temps de le rendre à sa propriétaire. Subtiliser le tube de glu ne fut pas bien difficile. Recoller le balai ? un jeu d’enfant. Frapper à la porte de la voisine pour lui rendre l’instrument en espérant qu’elle ne se rende compte de rien... plus difficile. – Cette fois JE frappe, et TU parles. – Non, ce n’est pas juste : la dernière fois je n’ai pas eu le temps de frapper ! Cette fois encore, madame Mistruc, qui veille, a entendu les voix des enfants et leur a ouvert. Un peu tremblante, Lucie lui rend son balai en bafouillant un « merci » intimidé. La journée aura été riche en émotions finalement. Blanche doit rentrer chez elle. – On n’a qu’à se donner rendez-vous demain devant l’école, on ira à la bibliothèque. Je dois rendre mes livres.
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– On n’a pas eu le temps de découvrir ce qu’on voulait savoir ! Nous irons les rendre, puis nous les reprendrons directement ! – C’est vrai, tu veux continuer l’enquête ? Chic alors, je croyais que tu abandonnais ! – Blanche, sache que je n’abandonne jamais ! Madame Mistruc est une sorcière, et c’est notre devoir de le prouver !
*** Depuis une heure, Papa tourne en rond dans le salon. – Lucie, tu n’as pas vu mon tube de super-glu ? – Euh... non, pourquoi ? – J’en ai besoin, là, tout de suite. J’ai un ami qui doit percer des trous tout en haut d’un mur. – Percer des trous ? Je ne comprends pas. – Enfin Lucie, à quoi sert la super-glu à ton avis ? Nous allons lui coller les semelles de ses chaussures au plafond, afin qu’il puisse accéder au haut du mur ! Il coincera sa cravate dans sa ceinture pour avoir les mains libres pour travailler, et lorsqu’il voudra descendre, il n’aura qu’à défaire ses lacets !
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– Du haut de cette pyramide, quarante-deux siècles me contemplent ! pensa Chewingom, et il fut un peu intimidé. Chewingom avait fait un rêve : il savait qu’au pied de l’une des Pyramides d’Égypte il rencontrerait un grand sage (un peu plus petit que lui en taille, mais plus grand par la sagesse) qui devait lui remettre un objet déterminant pour la suite de sa quête. – Je n’ai jamais fait de tel rêve ! – Chut ! J’ai dit cela pour ajouter un peu de mystère à ton personnage ! Tu m’agaces à la fin à intervenir dans mon récit ! Si tu n’es pas heureux, je t’envoie faire de la figuration dans un roman de Stephen King, le roi de l’horreur ! – D’accord, d’accord... Maintenant que j’y réfléchis, j’ai fait un rêve étrange cette nuit : j’ai rêvé que j’allais rencontrer un sage au pied d’une pyramide d’Égypte, et qu’il allait me remettre un objet ! – Et bien ça alors ! Quelle coïncidence ! Tu es justement au pied d’une pyramide !
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Bref, je reprends. Chewingom avait fait un rêve. C’est donc avec patience et détermination qu’il avait parcouru à pied et à la nage les quelques petits milliers de kilomètres qui séparent l’Inde de Gizeh. Il avait bien sûr bravé des tempêtes, défié des pirates, etc., mais on ne vous raconte pas tout parce que c’est bien trop long. Il était très impressionné par le paysage qui s’étendait devant lui, et bien surpris par l’humidité qui y régnait. Soudain, il crut apercevoir un homme qui lui faisait de grands signes depuis l’angle de la pyramide. Il s’en approcha. – Bonjour, dit Chewingom en regardant l’homme de la tête aux pieds (il était bien plus petit que lui en effet). Je suis venu depuis le nord de l’Inde pour te rencontrer. Il paraît que tu as un objet sacré à me remettre, afin que je puisse poursuivre ma mission. – Oui, ô grand sage, j’ai cet objet en ma possession. Ce que je ne comprends pas, c’est que la prophétie disait que l’homme qui devait venir chercher le Quetzalcóatl venait d’Europe et m’apportait la fortune. – Tu as dit le Quetzalcóatl ? C’est l’objet que tu dois me remettre ? De quoi s’agit-il ? Le Quetzalcóatl... aïe aïe aïe... Je pense que je me suis trompée de pyramide...Chewingom, ne m’en veux pas... Tu n’es pas devant la Pyramide de Gizeh, mais à Chichén Itzá, au Mexique. Le Quetzalcóatl est une figure mythologique maya, représentée par un serpent à plumes... – Oui, enchaîna l’homme inconnu, et j’en ai de très beaux spécimens en ma possession.
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Cela dit, il ouvrit une malle posée à ses pieds, et découvrit une importante collection de statuettes de serpents à plumes, en bois, en toc, en plastique, autocollants ou porte-clés. Une foule de touristes européens se ruèrent alors vers lui. Il les reçut avec un large sourire. – La prophétie avait dit vrai ! L’homme européen m’apportera la richesse. Quant à toi, ami indien, je te conseille de changer de boussole. J’en ai d’ailleurs une très belle à te vendre, à l’effigie de Kinich Ahau, le dieu du soleil. Chewingom, découragé, et un peu en colère, tourna les talons et reprit son voyage, après avoir glissé au fond de sa poche un authentique porte-clés olmèque coloré au calcitrofède de lustine.
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Blanche attend depuis dix minutes devant l’école, mais rien à faire : Lucie ne vient pas. Blanche commence à s’inquiéter : ce n’est pas son genre d’être en retard. Elle fait les cent pas devant l’école, cherche une explication. Peut-être que sa mère s’est rendue compte qu’elle n’avait pas rangé sa chambre, et qu’elle est en train de la forcer à le faire. Peut-être qu’elle a oublié le rendez-vous. Peut-être... L’idée qui vient de traverser l’esprit de Blanche lui glace le sang : quand madame Mistruc s’est aperçue que son balai était cassé, elle a dû entrer dans une colère noire, c’est sûr ! Elle a dû s’en prendre à Lucie... Il faut aller vérifier. Mais comme elle s’apprête à se mettre en route, Blanche, en baissant les yeux, découvre la chose la plus abominable qui pouvait arriver : là, par terre, juste devant la porte de l’école, il y a ... un escargot ! Blanche est épouvantée. – La sorcière ! Elle a transformé ma meilleure amie en gastéropode ! (elle est très fière de connaître ce mot, alors elle le répète plusieurs fois) En gastéropode ! Même pas en batracien, non, en gastéropode !
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Elle ramasse avec précaution sa pauvre amie, et rentre chez elle. Elle n’ira pas à la bibliothèque finalement, car les animaux y sont interdits, même tenus en laisse. Et de toute façon elle n’a pas de laisse. Arrivée dans sa chambre, elle pose son amie sur le bureau et se replonge dans la lecture du livre qui, peut-être, apportera une solution. Sortilège n°25 : Que faire lorsque ma meilleure amie vient de se faire transformer en escargot par une sorcière qui n’a pas supporté qu’elle casse le balai qu’elle lui avait prêté pour remplacer celui de sa mère qui avait cassé le sien Prendre avec précaution l’amie transformée La mettre en lieu sûr, à un endroit où elle ne pourra pas être écrasée Lui donner quelques feuilles de laitue Blanche essaie d’être courageuse, mais c’est plus fort qu'elle, elle se met à sangloter. Elle va jusqu’à la cuisine, trouve dans le bas du frigo quelques feuilles de salade verte qu’elle dispose dans une assiette. En entrant dans sa chambre, elle entend un désagréable « scratch » sous sa chaussure... Cette fois elle pleure de sincères larmes de désespoir : elle vient d’écraser sa meilleure amie. Au même moment, Lucie descend de la voiture et court aussi vite qu’elle peut chez Blanche. Lorsqu’elle frappe à la porte, c’est elle qui lui ouvre. Elle manque fondre en larmes sous le coup de l’émotion. – Lucie, tu es en vie, tu es ressuscitée ! C’est un miracle !
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Celle-ci la regarde avec de grands yeux. – Tu es folle ou quoi ? Je suis désolée pour mon retard : Papa m’a obligée à l’accompagner au magasin de bricolage pour acheter un nouveau tube de super-glu pour son ami qui doit percer des trous dans le mur. – De la colle pour percer des trous ? – Oui, c’est un peu compliqué. Mes parents ont de drôles d’idées parfois. Puis, sans perdre une seconde, les enfants retournent dans la chambre et reprennent leur enquête. – D’après le livre Comment savoir si votre nouvelle voisine de palier est une sorcière, le fait que son balai ne vole pas n’est pas une preuve. Au contraire, il existe des sorcières très modernes qui se déplacent sur leur aspirateur. Je propose qu’on laisse tomber cette histoire de balai et qu’on passe au point suivant. Toujours d’après le livre, les sorcières, comme tous les hérétiques, sont polyglottes. – Attends, je ne te suis plus. Tu utilises des mots un peu compliqués. – Eh bien, pour simplifier, les hérétiques sont des gens qui croient en des choses qui ne sont pas religieuses. On raconte qu’au Moyen-âge il y avait beaucoup de sorcières et d’hérétiques. Et ils parlaient un langage bizarre composé de morceaux de plusieurs langues différentes, car ils parlaient presque toutes les langues. – Trop cool ! Ils en avaient de la chance ! – Pas tellement, si on considère qu’ils étaient brûlés vifs en place publique. – Ah oui, en effet. – Donc, si madame Mistruc est une sorcière, elle doit parler toutes les langues, et ça, c’est facile à vérifier.
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Sortilège n° 445 : Comment savoir si votre voisine est polyglotte Trouver trois cailloux blancs de même forme et les peindre en bleu au moyen de silicate de dromur Tailler deux allumettes en pointe de flèches et les planter dans une pomme de terre originaire du pays de Knout et rapportée par l’oncle Albert Disposer les trois cailloux de sorte à former un carré, et mettre en son centre une figurine du Quetzalcóatl achetée au pied d’une pyramide du Mexique – N’importe quoi ! Les pyramides, c’est en Égypte ! – J’ai une meilleure idée ! On va collecter tous les mots étrangers que l’on connaît, et on va lui écrire une lettre anonyme. On verra bien si elle la comprend. Et les enfants, munies d’une feuille blanche et d’un crayon, font le bilan de leurs connaissances. – Moi je sais me présenter en anglais ! My name is Blanche ! – Non, il vaut mieux éviter, sinon elle saura qui tu es. – Ah oui, tu as raison. – Moi je connais le mot parka. C’est un mot esquimau qui signifie : parka. – Et moi, ketchup. C’est un mot anglais qui signifie : ketchup. – Bien joué. Ich liebe dich, c’est « je t’aime » en allemand. – À cette vitesse, on aura vite fait de lui écrire une belle lettre ! Une heure plus tard, la lettre était glissée, sans signature évidemment, dans la boîte aux lettres de madame Mistruc,
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tandis que les enfants, cachées dans un coin, attendaient qu’elle relève son courrier. Lorsqu’elle ouvrit sa boîte, elle déchira sans attendre cette étrange enveloppe qui ne portait pas de timbre, et lut avec étonnement : My name is parka. Ich liebe dich ketchup. Spaghetti all dente, sayonara. Hasta la vista – Qu’est-ce que c’est que ces âneries ! s’écrie-t-elle avant de froisser le papier et de le fourrer dans sa poche. – Tu vois, chuchote Lucie, elle n’a rien compris. – Elle n’est pas polyglotte. – Oh, arrête un peu de crâner avec tes grands mots ! Madame Mistruc rentre chez elle. Elle n’a pas de temps à perdre : il lui reste à réparer toute la vaisselle qu'Alain a cassée en son absence. Munie d’un tube de super-glu, elle passe une bonne heure à recoller entre eux tous les morceaux de porcelaine. Puis elle reprise les coussins du canapé, se pique quinze fois l’index droit et vingt-quatre fois le majeur gauche, soupire et finit par aller s’allonger dans sa chambre. Elle soupire une nouvelle fois lorsqu'Alain, perché sur la commode, lui fait comprendre, d’un moulinet de patte menaçant, qu’il ne va pas tarder à s’en prendre à son linge de corps si sa gamelle ne se remplit pas. Résignée, madame Mistruc se lève, se traîne dans la cuisine, et prépare à l’attention de son chat un énorme plat de spaghettis al dente. Avec du ketchup.
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– Bon, récapitulons. Elle a un chat et une verrue, mais son balai ne vole pas et elle ne comprend rien aux langues étrangères. Ils disent quoi, dans ton livre, sur ce genre de cas ? – Voyons voir... Si votre voisine ne répond qu’à deux des quatre critères, il y a deux possibilités. Soit il s’agit d’une sorcière très maligne, suffisamment intelligente pour dissimuler son identité, et dans ce cas elle peut être fort dangereuse. Soit elle est une personne normale, juste un peu plus laide que la moyenne, et dans ce cas parfaitement inoffensive. Comme de toute façon les sorcières n’existent pas, il semblerait que cette femme soit une personne normale et que l’auteur se soit juste un peu moqué de vous. La seule chose qui vous reste à faire est de rendre bien vite cet ouvrage à la bibliothèque, car vous avez dépassé le délai de prêt. – Mince, la bibliothèque ! Dépêchons-nous tant que c’est encore ouvert !
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Chewingom, tu as pris du retard ! Il serait peut-être temps que tu arrêtes de flâner en chemin... – Quoi, moi ? Flâner en chemin ? Je n’ai pas arrêté de marcher, j’ai parcouru le monde, au bout de quelques semaines j’étais déjà en Afrique, mais vous m’avez renvoyé en Inde pour un détail zoologique. Quelques semaines plus tard j’étais arrivé au pied des pyramides, et vous avez décidé qu’il s’agissait de pyramides mayas, tout cela pour quoi ? Pour faire fonctionner le commerce local... et aujourd’hui me voilà perdu dans un désert, je ne sais même plus où je suis, et si je ne trouve pas d’eau très rapidement, je sens que je vais manquer de forces avant la fin du récit. – Mais non, ne t’inquiète pas, je ne suis pas un monstre, et je ne laisse pas mourir mes personnages. Je t’envoie quelqu’un qui pourra te fournir de quoi t’abreuver. Et en effet, après quelques minutes de marche, Chewingom put distinguer un avion, posé au sol et visiblement en panne. Un homme en tenue de pilote maculée de cambouis était en train de tenter de réparer l’appareil. – Bonjour, dit Chewingom. Vous êtes en panne ? D’où venez-vous ? – Je n’ai pas le temps de vous faire la conversation, je suis désolé, répondit l’homme sans même tourner la tête. – C’est une grande personne, vous savez, il est très occupé, dit alors une voix d’enfant claire comme un ruisseau. 53
Chewingom tourna la tête et découvrit un étrange petit bonhomme aux cheveux d’or, affublé d’une tenue vert d’eau et d’une longue écharpe jaune. – Qui es-tu ? questionna le sage. Mais cet enfant ne répondait jamais aux questions qui lui étaient posées. Aussi répondit-il : – Tu as soif ? Tu n’as qu’à fermer les yeux et suivre ton chemin en direction de l’est, sans t’arrêter. Lorsque tu seras arrivé, tu le sauras. – Mais si je ferme les yeux, je ne verrai pas si ma boussole m’indique l’est... – Ne t’occupe pas de ta boussole. Ferme les yeux. On ne voit bien qu’avec le cœur. – Je vais suivre tes conseils. Comment te remercier ? Veuxtu que je te dessine un mouton ? – Un mouton ? Quelle drôle d’idée ! Et qu’est-ce que j’en ferais ? – Je ne sais pas, c’était une idée, comme ça... Chewingom ferma les yeux et partit au hasard. C’est ainsi qu’il fonça droit sur l’appareil et en fut quitte pour une grosse bosse. Pas déconcerté, il se releva et marcha toujours tout droit. Au bout d’un moment, il sentit près de lui la fraîcheur d’une eau pure ; il ouvrit les yeux et découvrit un puits. Derrière le puits, à quelques centaines de mètres, s’élevaient les silhouettes gigantesques des glorieuses pyramides de Gizeh. Comme il était mal élevé, Chewingom ne remercia même pas l’auteur. J’aurais bien aimé, moi, qu’il me dessine un mouton...
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La vie de madame Mistruc, peu à peu, devient infernale. Ces petites pestes de Lucie et Blanche lui ont joué quelques tours dont elle se serait bien passée, et elle a bien fini par comprendre que ce sont ces deux chenapans qui sont à l’origine de la présence de cet insupportable chat. Elle avait rêvé d’une vie tranquille, calme, à paresser des journées entières dans un salon lumineux et toujours bien rangé, à faire de menus travaux de couture comme elle les aime. Et voilà qu’elle se retrouve à supporter de petites voisines bruyantes, qui jouent à faire des tours de vélo sous sa fenêtre, quand elles ne viennent pas se moquer d’elle, jacasser devant sa porte ou déverser des kilos de croquettes sur son paillasson ! Elles l’effraient avec d’horribles souris, lui envoient des courriers anonymes... Et ce chat, cette horreur de chat, qui vide son frigo et saccage son intérieur ! C’en est trop, cela ne peut plus durer ! Madame Mistruc a décidé de ne plus se laisser faire. Et, cela tombe bien, elle vient d’avoir une idée lumineuse. Elle en rit à l’avance.
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Elle fouille son cagibi et finit par y trouver une grande boîte en carton. À l’intérieur, elle dispose une poignée de croquettes, pose la boîte sur le sol et attend. Il faut moins de deux minutes à Alain pour renifler l’odeur de nourriture et se précipiter dans le piège. Madame Mistruc bondit avec une rapidité excessive pour son âge, referme le couvercle, et glisse autour de la boîte un joli ruban qu’elle noue avec soin. Puis, son colis sous le bras, elle va frapper chez ses voisins. C’est Maman qui ouvre la porte. – Oh, bonjour madame Mistruc ! – Bonjour madame Dubois Coupry. – Je n’ai pas eu l’occasion de vous remercier pour le balai... – Ce n’était pas grand-chose, voyons. Entre voisins, il faut s’entraider. D’ailleurs j’ai cru remarquer que vous aviez une charmante petite fille... – Lucie ? Oui, j’ai beaucoup de chance de l’avoir, c’est une enfant très sage et bien élevée. Bien sûr, elle ne range pas toujours sa chambre, et rechigne parfois à faire ses devoirs ; quand je veux qu’elle reste au chaud elle veut sortir, et préfère rester quand je voudrais qu’elle sorte, mais c’est une enfant, voyez-vous, c’est normal pour son âge. À côté de cela, elle est adorable, polie, gentille, et... – Je sais, je sais... Et c’est pour cette raison que j’ai tenu à lui faire un petit cadeau. Madame Mistruc tend sa boîte enrubannée. – Oh, que c’est gentil ! Il ne fallait pas ! – Mais si, mais si, j’y tiens beaucoup... Une fois le paquet déposé sur la table du salon, madame Mistruc disparaît sans demander son reste. Maman appelle
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Lucie. – Lucie, viens vite, il y a une surprise pour toi ! Lucie se rue dans le salon, voit le paquet, et, toute excitée, va tirer sur la ficelle, lorsque Maman précise : – C’est de la part de madame Mistruc ! Lucie hésite. Elle a beau savoir qu’il n’y a aucun danger, elle se méfie quand même un peu. Avec précaution, elle soulève le couvercle... – Mon dieu, quelle horreur ! Maman, est-ce que je suis obligée de le garder ? – Voyons ce n’est pas très gentil Lucie ! Bien sûr que tu es obligée de le garder, un cadeau, cela ne se refuse pas ! Et puis, je sais que tous les enfants rêvent d’avoir un animal. Maman jette un coup d’œil au chat hirsute et aux griffes acérées. Elle ne l’admettra jamais devant sa fille, mais elle le trouve hideux. – Je pense que je vais l’appeler Salem, dit Lucie, comme tous les chats maudits. – Si j’étais toi, renchérit Maman soudain très inspirée, je l’appellerais Alain. Pour des raisons personnelles qui me font beaucoup rire. – Tu as raison. – Par contre, sois gentille, prépare-lui un panier dans ta chambre. Je ne veux pas le voir traîner au salon, il me salirait tout. – Ah, tu vois ! Toi aussi tu reconnais qu’il est laid et que tu ne veux pas le voir ! – Peut-être... mais moi j’ai le droit de ne pas l’aimer : ce n’est pas à moi qu’on l’a offert ! Madame Mistruc, victorieuse, fait quelques pas de danse
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dans son salon en chantonnant : « C’est la mère Mistruc qui a donné son chat... » Pourtant, son euphorie retombe vite. C’est qu’elle ne sait pas trop si elle doit être fière ou si elle doit avoir honte. Certes, elle est très heureuse d’avoir trouvé le moyen de se débarrasser de ce chat Alain, mais elle a aussi conscience d’avoir fait une très mauvaise action. Elle le sait... et elle n’est pas la seule à le savoir... Soudain un grésillement la fait sursauter. Ce bruit, elle ne le connaît que trop bien, même si elle ne l’a plus entendu depuis de nombreuses années, et elle espérait bien ne plus jamais l’entendre. Les jambes tremblantes, elle se dirige vers sa chambre. Une lumière blanche phosphorescente filtre de sous son lit. Madame Mistruc se penche, sort l’étrange boîte d’où jaillit la lumière. À l’intérieur, quelque chose vibre et grésille. Elle court au salon, ferme soigneusement les rideaux, et ouvre sur la table la boîte d’où elle sort... une énorme boule de cristal scintillante. Dedans, en regardant bien, on peut distinguer l’image d’un vieil homme, qui paraît en colère, et qui s’adresse à madame Mistruc d’une voix caverneuse. – Miriel ! Tu as mal agi, et je suis très en colère ! Madame Mistruc se prosterne devant le personnage. – Excuse-moi Merlin, je ne voulais pas ! – Je t’ai donné la permission, il y a de nombreuses années, de te retirer de l’Ordre des Sorcières, et d’abandonner tous tes pouvoirs, mais c’était à la condition de ne plus jamais faire le mal autour de toi... – Je sais, Merlin, je te prie de bien vouloir m’excuser ce moment de faiblesse ! – ... Or, aujourd’hui tu as commis une très mauvaise action, en faisant don de ce monstrueux animal à une charmante enfant innocente ! 58
– Alors là, je t’arrête tout de suite ! Il ne faut pas se fier aux apparences, cette fillette est un vrai petit parasite qui... – Tu devrais avoir honte de parler comme cela d’une malheureuse enfant ! Tu mérites une sanction pour ton inconduite. À compter d’aujourd’hui, ton nom sera réinscrit sur la liste de l’Ordre des Sorcières ! Madame Mistruc est atterrée. Elle ne voulait pas, elle le jure, mais ces enfants et ce chat l’ont poussée à bout. La voilà obligée de se remettre à la sorcellerie et de commettre de mauvaises actions. Mais surtout (et c’est ce qui la chagrine le plus) elle va redevenir aussi laide qu’avant ! Elle qui était tellement heureuse de sa nouvelle apparence... Lucie, de son côté, est au désespoir. Elle se souvient du jour où madame Mistruc avait rapporté ce chat, et comme il avait l’air agressif. Elle n’a pas envie d’être l’esclave de cet animal. Il lui faut trouver tout de suite un moyen de s’en débarrasser. Elle se dit que peut-être, si elle laissait la porte entrouverte par inadvertance, le chat s’enfuirait et retournerait chez sa propriétaire. Après tout, ça ne coûte rien d’essayer. Lucie se glisse dans le salon, atteint la porte d’entrée, en ayant bien pris soin de laisser ouverte celle de sa chambre. Elle ouvre en grand, et pousse le vice jusqu’à laisser tomber sur le paillasson un petit morceau de poisson chipé en douce dans la cuisine. Alain se lève lentement, se traîne jusqu’au poisson... tandis que Lucie referme la porte violemment derrière elle, en espérant que le chat disparaîtra bientôt. Malheureusement, sitôt son repas avalé, le chat se met à pousser d’horribles miaulements en griffant avec violence le bas de la porte. Maman lui ouvre, le recueille, et sermonne
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Lucie : – Fais un peu attention ! Le chat a failli s’enfuir. Et regarde dans quel état il a mis la porte ! Dorénavant, si par hasard il fait des bêtises, tu en seras tenue pour responsable ! On pense, à tort, que les chats ne peuvent pas sourire. Pourtant, lorsque Maman a proféré sa menace, Lucie a clairement vu le visage du chat s’éclairer en un hideux rictus qui en disait long. Car l’enfant l’a bien compris : cette fois, sa vie va vraiment devenir un enfer !
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Cette fois, c’est la bonne ! La bonne pyramide, cela va de soi. Chewingom retrouve un regain d’énergie, et s’avance vers l’homme coiffé d’un turban qui l’attend patiemment depuis des mois. – Enfin, te voilà ! – Pas de reproche s’il te plaît, j’ai fait aussi vite que j’ai pu ! – J’ai l’objet que tu es venu chercher. – J’espère bien ! L’homme soulève un pan de sa tunique, et en sort une petite boîte carrée fermée par un cadenas. – Voilà l’objet qui t’aidera à accomplir ta mission. Surtout, ne l’ouvre sous aucun prétexte ! Tu dois la remettre à quelqu’un qui en a grand besoin. – Très bien, mais qui est cette personne, et où vit-elle ? – Tu le découvriras en te rendant en Italie, à Rome plus exactement. – C’est là-bas que prendra fin mon voyage ? – Non, c’est là-bas que te sera révélée l’identité de la
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personne à qui tu dois remettre cet objet. – Que de mystère ! J’espère au moins que c’est important ! Oui c’est important, Chewingom, je te le confirme. Et même si cela ne l’était pas, au moins, tu auras vu du pays. Et puis, l’Italie, tu verras, c’est très beau en cette saison.
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– Bon sang, mais où ai-je bien pu la mettre ? Agacée, Miriel Mistruc fouille les placards, retourne les tiroirs, vide les boîtes. Enfin, elle s’écrie : – Je la tiens ! Elle brandit à bout de bras une vieille baguette toute tordue. Elle va pouvoir reprendre du service. Sans plus attendre, elle se dirige vers les rideaux du salon, lacérés du haut en bas par les griffes du chat Alain et s’écrie, en pointant sa baguette : – Raccommodum prestum ! Hélas, la baguette n’a pas servi depuis longtemps, elle est un peu engourdie. Sans compter que madame Mistruc, qui souffre d’arthrose à cause de ses séances de couture intensives, n’a plus la main aussi leste qu’avant. Bref, on l’aura compris, le mince éclair vert qui jaillit à grand peine de la baguette manque sa cible, traverse la fenêtre et foudroie au passage un pauvre passant qui se retrouve changé... en escargot. – Oh non, qu’ai-je fait ! se lamente la sorcière. Pour s’excuser, elle file chercher deux feuilles de salade qu’elle envoie au passant avec un sourire compatissant. Puis
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elle se souvient qu’après tout... elle est une sorcière ! Elle a le droit, maintenant, de commettre de mauvaises actions, elle y est même obligée ! Alors, sortant en trombe de chez elle, elle court jusqu’à l’escargot et lui arrache les feuilles de salade, qu’elle remet bien vite à leur place en bas du frigo. Mais son problème n’est pas résolu : il faut qu’elle retrouve ses pouvoirs, et vite. Et elle sait bien que cela implique quelques sacrifices... Assise devant son miroir magique, elle implore : – Miroir, mon beau miroir, peux-tu me redonner mon apparence de sorcière et me rendre aussi laide qu’avant ? – Hélas, répond le miroir, je ne peux te rendre plus laide que tu ne l’es déjà. – Mais fais un effort, bon sang, ou je te brise ! Le miroir pousse un long soupir, et murmure : « soit ! » Un nuage vaporeux s’échappe alors du cadre et emplit la pièce. Madame Mistruc manque s’étouffer tant la fumée est dense. Lorsque la vapeur se dissipe, Miriel scrute son visage avec angoisse. Sur le coup, elle a un peu envie de pleurer, tant elle se trouve hideuse. Puis elle suppose que c’est la condition nécessaire pour retrouver ses pouvoirs, et cela suffit à la consoler. À présent plus d’excuses ! Elle passe les jours suivants à tenter de retrouver les bases de la sorcellerie, depuis la transformation des princes en crapaud jusqu’au sortilège d’invisibilité. – Bonjour madame Dubois Coupry, est-ce que je peux entrer ? – Bien sûr Blanche, entre vite. Va voir Lucie dans sa chambre, elle a une surprise...
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Le hurlement que pousse Blanche en découvrant le chat ne fait pas vraiment songer au cri de joie d’une enfant qui découvre une surprise. – Mais c’est affreux ! Qu’est-ce que tu fais avec ce chat ? – C’est madame Mistruc qui me l’a offert ! C’est une catastrophe ! – En parlant de madame Mistruc..., je viens de la croiser. Figure-toi qu’elle s’est embellie, je ne sais pas ce qui s’est passé. – C’est normal, moi aussi je la trouve plus jolie qu’avant. C’est que jusqu’à présent, nous étions tellement convaincues qu’elle était une sorcière, qu’on la voyait plus laide qu’elle n’est en réalité. À présent que nous savons que les sorcières n’existent pas, nous la voyons telle qu’elle est vraiment. – Tu as sans doute raison. D’ailleurs, nous n’avons pas été très gentilles avec elle... nous devrions peut-être aller nous excuser. Les enfants sortent de la chambre, et Lucie prévient sa mère : – Maman, je n’ai pas eu le temps de remercier madame Mistruc pour son cadeau. J’y vais tout de suite. Maman sourit. – Excellente initiative, je suis fière de toi ! Porte-lui donc la tarte au citron que je viens de sortir du four. – Ça, c’est un peu dommage quand même, murmure Blanche. Cette fois, c’est avec le cœur léger des enfants qui n’ont rien à se reprocher que Lucie et Blanche attendent sur le palier de la voisine. Celle-ci leur ouvre, un peu contrariée, et compte bien s’en débarrasser le plus vite possible. – Qu’est-ce que vous voulez ? 66
– Et bien... on voudrait vous remercier et vous offrir cette bonne tarte que Maman a fait exprès pour vous. Madame Mistruc hésite. Comme toute sorcière qui se respecte, elle est un peu rancunière, et profiterait bien de l’absence des parents pour les fiche dehors et leur claquer la porte au nez. Mais l’idée qui vient de surgir dans son sinistre cerveau est plus amusante, et plus sadique. Elle prend sur elle pour esquisser un semblant de sourire, puis répond de la voix la plus mielleuse dont elle soit capable : – Oh, que c’est gentil ! Mais entrez donc, mes chères enfants ! Venez vous asseoir dans la salle à manger. Les enfants sont un peu impressionnées par l’état des rideaux, des coussins, et par le désordre qui règne dans la pièce. Madame Mistruc, pour éviter tout soupçon, commente : – Mon chat me manque beaucoup, vous savez... mais j’avais tellement envie de vous faire plaisir, que je vous ai offert ce que je possédais de plus précieux au monde ! – S’il vous manque tant que ça, vous pouvez le reprendre, vous savez, nous n’avons pas encore eu le temps de nous y attacher. – Certainement pas ! Un cadeau est un cadeau ! Lucie est déçue, mais au moins elle aura essayé. La sorcière s’absente quelques minutes dans la cuisine, en emportant la tarte. Lorsqu’elle revient, elle tient entre ses mains deux assiettes qui contiennent chacune la moitié du gâteau. – Mangez, mes chères petites ! Je n’en veux pas : à mon âge je ne mange plus tellement de sucreries. Prenez, et régalezvous ! Ce que les enfants ignorent, c’est que madame Mistruc a saupoudré sur chacune des parts du manganèse de limace 67
macéré dans une décoction de bave de crapaud. La tarte n’en est que meilleure, et Lucie remarque que sa mère n’en a jamais fait d’aussi bonnes. Les enfants passent un agréable moment, et s’en veulent un peu d’avoir pris cette gentille vieille dame pour une sorcière. – Pourvu qu’on puisse revenir très vite la voir, se disentelles en partant. – Pourvu qu’elles ne reviennent jamais m’enquiquiner ! pense Miriel en claquant la porte. De retour chez Lucie, les deux amies sont prises de nausées et de violents vomissements. – Malheur ! s’écrie Maman. Ce doit être la tarte : mes œufs ne devaient pas être frais ! – Je ne te le fais pas dire, répond Lucie. Heureusement que cette pauvre madame Mistruc n’en a pas mangé ! Elle aurait été bien malade ! Pendant ce temps-là, la voisine, repensant au mauvais tour qu’elle vient de jouer aux enfants, ricane tout en cherchant dans ses vieilles malles laquelle contient ses grimoires. Elle finit par retrouver un vieil exemplaire des Sortilèges et potions pas tout à fait magiques à base d’ingrédients impossibles à identifier. Oui, c’est le même que celui de la bibliothèque. Mais elle, elle sait l’utiliser. Son premier essai consistera évidemment à raccommoder ses rideaux sans se piquer les doigts. Potion N°12 : La potion qui répare les rideaux, les draps, et même les chaussettes, lorsque ceux-ci ont été lacérés à coups de griffes de chat
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Plonger au préalable le linge abîmé dans une solution de bave de charançons et de liniments de topinambours qui ne poussent qu’à Gizeh Les faire égoutter sur une corde à linge un soir de pleine lune un 31 février Puis les repasser en ayant empli le fer de jus de betterave aigre-douce – Mince, je n’ai pas de betterave ! Qu’importe, je vais bien me débrouiller : Potion N°18 : Fabriquer du jus de betterave avec de l’eau, de la lessive, et du linge troué Utiliser l’eau et la lessive pour laver le linge Puis recoudre un à un tous les trous présents dans le linge Enduire le linge rapiécé de betterave aigre-douce Égoutter Récupérer le jus – Je ne sais pas ce qui me fait dire cela, gémit Miriel Mistruc, mais j’ai comme l’impression désagréable que l’auteur se moque de moi !
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Plusieurs jours ont passé. L’école a repris, avec son lot de bêtises et de punitions, et les parents de Lucie sont inquiets. Pas à cause des pages d’écriture que leur fille doit faire tous les soirs, non : après tout, comme dit Papa, ça l’occupe. Leur sujet d’inquiétude est tout différent, et ils doivent en avertir leur enfant, mais ils ne savent pas comment lui en parler. Ils ont remarqué que depuis quelque temps il se passe des choses étranges chez la voisine, et ils ont presque envie d’interdire à Lucie de sortir. Ils finissent, après en avoir longuement discuté tous les deux, de la convoquer autour de la grande table de la cuisine pour une réunion de crise. – Lucie, nous avons quelque chose de grave à t’annoncer, commence Papa. Nous avons toutes les raisons de croire que notre charmante voisine, madame Mistruc... Papa s’interrompt. Il n’a pas le courage de continuer. C’est Maman qui termine sa phrase. – Nous pensons que c’est une sorcière. Lucie éclate de rire. – Enfin, vous avez passé l’âge de croire à ces bêtises ! 71
Mais Papa ne rit pas. – Tu sais, depuis quelques jours il se passe chez elle des choses vraiment bizarres. On voit à travers sa fenêtre des éclairs de couleurs jaillir un peu dans tous les sens, et on l’entend parfois parler une langue étrange. – Il y a pire, dit Maman. La maîtresse, Madame Sotto, a été transformée en escargot. La pauvre... Voilà trois jours qu’elle essaie de traverser la cour. Je lui jette des feuilles de salade de temps en temps. – Et puis, il y a ce chat... enchaîne Papa. Je crois que c’est typiquement un chat de sorcière. Lucie tourne la tête. Alain, à ce moment-là, se trouve sur un coin de meuble. Il a devant lui un saladier dans lequel il a versé un mélange bizarre d’aromates et de substances inconnues, qu’il mélange énergiquement avec un bout de patte. Lucie ne sait plus quoi penser. – Il va falloir nous croire, Lucie. Nous devons intervenir pour calmer cette sorcière, et tu vas devoir nous aider. – Vous aider ? mais qu’est-ce que vous voulez faire au juste ? Sans un mot, Maman se lève et sort de la pièce. Elle revient quelques secondes plus tard avec une vieille boîte, grande comme une boîte à chaussures, mais d’un aspect un peu étrange. Elle semble très vieille, un peu abîmée, avec des renforts de cuir sur les arêtes. Maman la dépose sur la table et dit à Lucie : – C’est à toi de l’ouvrir...
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Dans la chambre à coucher de madame Mistruc, quelque chose se met à grésiller, d’abord faiblement, puis de plus en plus fort. – Mince, se dit Miriel, j’ai un appel. Alors, comme elle l’avait fait la première fois, elle va chercher la grosse boule de cristal et attend de voir apparaître en son centre l’image de Merlin. – Good morning bretzel ! Graffiti moderato carbonara ! – Quoi ? interroge madame Mistruc. – N’oublie pas, répond Merlin, que nous sommes polyglottes... Je te contacte pour t’inviter solennellement au prochain sabbat, qui aura lieu demain soir, au lieu dit « la Ronde des elfes » dès le lever de lune. – La « Ronde des elfes » ? Qu’est ce que c’est ? Est-ce que c’est un de ces endroits mystérieux apparus par enchantement à l’orée d’une forêt, où des cailloux aux formes étranges dessinent des symboles secrets sur le sol ? Merlin soupire. – Enfin Miriel, la « ronde des elfes », c’est un bar ! Les consommations y sont moins chères le vendredi, et on peut y consulter les résultats du loto ! L’image du sorcier disparaît dans un nuage de fumée. Le sabbat... Cela fait si longtemps qu’elle n’y est pas allée, que madame Mistruc ne se souvient même plus ce qui s’y passe. Elle doit être présentable, il s’agit pour elle de retrouver son costume officiel et tous les accessoires. La baguette, c’est fait. Tout ce qu’elle espère, c’est qu’elle n’aura pas à l’utiliser. Elle retrouve sans peine sa vieille robe noire effilée et son chapeau, dont la pointe cassée forme un angle droit au-dessus de sa tête. Ses vieilles chaussures percées sont à leur place dans la malle, et elle accroche à son châle, pour l’occasion, sa vieille araignée Sabrina qu’elle croyait 73
morte depuis longtemps et qu’elle vient de retrouver au fond de son soulier. Tout est prêt. Enfin... il lui reste à réapprendre à conduire son balai. À califourchon sur le manche, elle s’écrie : « Wingardium Leviosa ! » Le balai sursaute, se met à trembler doucement comme si un courant électrique l’animait. Puis, lentement, il prend de la hauteur, et se propulse directement droit dans le mur du salon. Madame Mistruc en est éjectée et tombe lourdement sur le sol, tandis que le balai continue à voler n’importe où, fonçant dans les meubles, et cassant tout sur son passage, avant de retomber juste sur le crâne de la sorcière. C’est à cette occasion qu’elle remarque qu’il a été cassé et recollé, ce qui le rend inutilisable. En colère, elle sort de chez elle et fonce à l’animalerie.
*** Lucie prend une inspiration profonde et soulève délicatement le couvercle de la boîte. À l’intérieur elle découvre, côte à côte, trois morceaux de bois. Papa explique : – Nous avons un lourd secret à t’avouer. Vois-tu, ta mère et moi... sommes également des sorciers. Ce qui signifie... Mais Lucie n’attend pas la fin de la phrase pour fondre en larmes. – J’ai compris ! Cela signifie que vous m’avez adoptée, et que durant toutes ces années vous m’avez nourrie pour m’engraisser et pouvoir me dévorer ! Maman est interloquée. – Mais n’importe quoi, voyons ! Où vas-tu chercher des
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idées pareilles ? Cela signifie simplement que toi aussi tu es une sorcière ! Nous avons caché ces baguettes à ta naissance, et t’avons élevée comme une enfant ordinaire, car tu étais beaucoup trop jeune pour utiliser la magie, et nous avions peur que tu en profites pour faire des bêtises... – Comme si c’était mon genre, pense Lucie. – ... Nous savons que ce n’est pas ton genre, continue Maman, mais on n’est jamais trop prudents. Papa reprend la parole. – Vois-tu, nous sommes des sorciers du bien. Nous n’utilisons nos pouvoirs qu’en cas de nécessité absolue. La dernière fois, c’était il y a vingt ans, contre Voldemort. Mais aujourd’hui la situation est grave, et nous voilà obligés de reprendre du service. Sauf que cette fois, tu vas nous aider. Lucie commence à comprendre. Alors elle était dans le vrai depuis le début : les sorcières existent, et madame Mistruc en est une méchante qu’il faut combattre. Ce qu’elle a plus de mal à croire, c’est qu’elle ait elle-même des pouvoirs. – C’est Blanche qui va en faire une tête ! murmure-t-elle. – Non, Blanche ne doit surtout rien savoir ! Personne ne doit savoir qui nous sommes ! Mais nous allons t’en apprendre un peu plus sur Miriel Mistruc. C’est une sorcière très puissante qui a pris sa retraite il y a bien longtemps, en jurant de ne plus jamais faire le mal. Malheureusement, il semblerait que ces derniers temps, pour des raisons que nous ignorons, elle soit entrée dans une grande colère, et qu’elle ait commis une mauvaise action. Elle est ainsi redevenue sorcière sans le vouloir vraiment. Notre but n’est pas de la faire disparaître, mais de trouver un moyen pour qu’elle obtienne de Merlin le droit d’être à nouveau gentille. Une dernière chance si tu préfères. – Et comment allons-nous faire ? 75
– Nous allons commencer par essayer de discuter. Mais au cas où cela tournerait mal, il est plus prudent d’emporter nos baguettes.
*** – Bonjour madame Mistruc ! s’écrie le vendeur de l’animalerie. Vous avez meilleure mine ces derniers jours, on dirait que vous avez changé d’apparence, et... oh ! que vous avez un grand nez ! – C’est pour mieux te sentir, mon enfant. – Et, madame Mistruc, que vous avez de grandes oreilles ! – C’est pour mieux t’entendre, mon enfant ! – Et... que vous avez de grandes dents ! – Allons allons, vous vous trompez d’histoire, mon cher ami, je n’ai pas de temps à perdre avec ces bêtises. J’ai besoin d’un véhicule, car mon balai est devenu fou. En tant qu’animalier officiel de l’école de sorcières, vous aurez bien un petit dragon à me dépanner. – Eh bien... vous avez de la chance : il se trouve que je viens d’en recevoir un. Il est assez bête, mais devrait faire l’affaire. Le vendeur disparaît quelques secondes à l’arrière de la boutique, et revient avec un dragon souriant, à la langue pendante, aux dents écartées et à l’air stupide. – Voilà voilà, cela vous fera soixante euros (on fait des prix en ce moment sur les dragons, c’est une bonne affaire) désirez-vous autre chose ? – Eh bien, tant que j’y suis, mettez-moi donc un bocal de chauve-souris et une livre d’araignées.
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Chewingom, voyageur infatigable, a quitté l’Égypte, emportant, précieusement caché au fond de sa poche, l’objet mystérieux qu’il doit remettre à un personnage mystérieux. Il a pris la direction de l’Italie. – Pas de blague cette fois, hein ? demande-t-il à l’intention du narrateur. – Non, promis : l’Italie, je sais où ça se trouve. Ainsi, après quelques heures de marche à peine (Chewingom marchait vraiment très vite) il arriva en terre romaine. – Ave ! s’écria un homme en le voyant. Tu es venu pour accomplir une quête ? – Oui, c’est bien cela. Es-tu l’homme qui doit me donner des informations ? – Non, pas exactement. Moi je dois juste te livrer ton déjeuner, dit-il en lui tendant une grande boîte en carton. Et je te donnerai le nom et l’adresse exacte de la personne que tu recherches si tu profites de ta présence dans ce livre pour annoncer à Lucie que la Pizza Pianissimo est la meilleure pizza du monde ! Chewingom Tananda alors s’adressa directement à la 78
lectrice, ce qui est plutôt rare pour un héros de roman. Brandissant une part de pizza entamée, il déclara haut et fort : – La pizza Pianissimo est la meilleure pizza du monde ! – Merci, dit l’Italien. À présent, suis-moi. Ils firent des tours et des détours dans les vieux quartiers de la ville, admirèrent un immeuble datant de la Renaissance italienne, du haut duquel six siècles les contemplaient. Puis l’homme s’absenta quelques instants, le temps de sortir de sa poche un exemplaire d’un livre intitulé « Ma voisine est une sorcière », et d’en lire rapidement la fin. Puis il retrouva Chewingom et s’adressa à lui en ces termes : – L’homme que je devais te présenter est absent, aussi c’est moi qui, finalement, te livrerai l’information dont tu as besoin. La personne que tu recherches et à qui tu dois livrer cet objet mystérieux se nomme Miriel Mistruc, de Toulouse, route de Seine Port. – Je te remercie, étranger. Puis, dès que l’homme eut tourné les talons, Chewingom ajouta, toujours à l’attention de la lectrice : – Méfie-toi : les pizzas Pianissimo sont les plus infectes que j’aie jamais goûtées de toute ma vie ! Mais comme chacun sait que les pizzas ne vivent qu’en Italie, il est probable que Chewingom n’en ait jamais goûté avant. Aussi, je te demande de ne pas le croire.
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Si Lucie avait eu encore l’ombre d’un doute concernant l’identité de sa voisine, le dragon sagement garé dans l’allée, qui s’occupe en grillant de ses flammes les quelques mouches qui passent, aurait suffi à la convaincre. La petite famille, en sortant, n’a pas vu que l’horrible Alain les a suivis. Aussi, quand Miriel ouvre la porte et aperçoit le chat, elle croit qu’ils sont venus le lui rendre. Et la voilà qui entre dans une colère noire. Avant même que ses voisins aient le temps de s’expliquer, elle attrape sa baguette et tente de les foudroyer. Lucie a juste le temps de faire un bond de côté, et c’est Alain qui reçoit en pleine tête les foudres de la sorcière. Après un moment d’égarement, ou plutôt, pour appeler les choses par leur nom, après quelques minutes de mort profonde, l’animal se relève en songeant « heureusement que les chats ont neuf vies ! » Lucie est un peu déçue de le voir ressusciter, mais elle ne perd pas espoir de s’en débarrasser pour de bon. Le combat qui se prépare s’annonce rude. D’un côté : une
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sorcière, qui n’a pas pratiqué la magie depuis au moins dix ans. De l’autre : des adultes qui ne l’ont jamais vraiment pratiquée qu’en cas de grande nécessité, et une enfant qui n’avait jamais vu de baguette magique en vrai avant ce jour. Les premiers échanges de sorts sont des entraînements : Miriel envoie un éclair qui fait un trou dans un mur, Papa colmate bien vite le trou à la super-glu magique, et Maman claque la porte, sans magie, juste avec le pied. Trop forte. Pendant ce temps-là, Alain, qui connaît bien les lieux et a une revanche à prendre sur la sorcière, bondit sur un meuble et projette sur le sol un vase d’une valeur sans doute inestimable. L’objet s’écrase sur le sol tandis que Maman hurle : – Lucie ! – Qu’est-ce que j’ai fait ? demande l’enfant, interloquée. – Je t’avais prévenue qu’à la moindre bêtise de ce chat tu serais tenue pour responsable. – Mais ce n’est pas juste ! – Je suis parfaitement d’accord avec toi, mais je n’ai qu’une parole, et puisque je l’ai dit, tu es responsable. – Mais enfin, tu as bien vu que je n’y suis pour rien, et qu’il l’a fait exprès ! – Je sais, je sais, mais tu pourrais mieux le surveiller. Après tout, c’est ton chat, tu ne devrais pas l’autoriser à casser des objets qui ne lui appartiennent pas. La sorcière, qui commence à s’impatienter, met un terme à la conversation : – Ce n’est pas grave, madame Dubois Coupry, je vous assure. Je ne me servais jamais de ce vase, et de toute façon je n’aime pas les fleurs. Pourrions-nous reprendre le combat maintenant, si vous le voulez bien ? Elle a tout juste le temps de finir sa phrase, que monsieur 81
Dubois passe à l’attaque, et tente de l’immobiliser. Preste comme une anguille, elle lui échappe et fuit dans la cuisine, d’où elle revient avec un énorme chaudron fumant entre les bras. Elle tente de jeter sur Papa l’horrible potion, mais elle manque sa cible, et c’est Alain qui se retrouve tour à tour transformé en escargot par la potion, puis écrasé par le chaudron qui vient de lui tomber dessus. Lorsqu’il retrouve son apparence de chat, il se dit que, fort heureusement, les chats ont neuf vies. Sauf lui, naturellement, qui n’en a plus que sept. Lucie, qui n’a rien perdu du spectacle, voudrait essayer sa baguette et tenter une attaque surprise. Mais pour s’entraîner, elle décide d’essayer directement sur Alain. Visiblement, ça marche. Alain, qui vient de perdre trois vies en deux minutes, trouve prudent de se mettre un peu à l’écart. Il avise sur un fauteuil le châle de madame Mistruc et se dissimule dessous. – Rends-toi, Miriel ! hurle Maman. – Jamais ! C’est votre faute si j’en suis là aujourd’hui ! Les éclairs jaillissant des quatre baguettes fusent en tous sens, et de temps en temps l’un d’eux passe par la fenêtre et transforme un passant. La baguette de Maman les change en crapauds, celle de Papa en ouistitis, celle de Miriel en escargots, et celle de Lucie en tomates cerises. « C’est nul ! » pense Lucie, un peu déçue. Maman, en voulant transformer Miriel en crapaud, se prend le pied dans le tapis, perd l’équilibre, et casse l’épaisse vitre qui servait de table basse. Confuse et rouge comme une pivoine, elle bafouille : – Je suis désolée, madame Mistruc, je... Si vous voulez, on peut vous la rembourser... Peut-être avez-vous un ticket de
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caisse... – Ne vous occupez pas de cela, nous réglerons nos comptes plus tard ! Soudain un miaulement déchirant se fait entendre : Alain, en se glissant sous le châle, a dérangé le sommeil de Sabrina, l’araignée venimeuse, qui vient de se venger en lui injectant un poison mortel. Lorsqu’il s’éveille, Alain se dit que, vraiment, c’est super super cool d’avoir neuf vies. Enfin six... enfin... c’est mieux que rien. Le combat fait rage. Les rideaux ne sont plus déchirés, ils sont en lambeaux, le canapé est en miettes, la boule de cristal vient d’exploser, et le balai vient de s’animer tout seul pour frapper tout le monde à tour de rôle. C’est en essayant de lui échapper que le chat Alain meurt une cinquième fois, en mettant par inadvertance sa queue dans la prise murale 220 volts. Au-dehors, une foule de curieux s’est massée sous la fenêtre de la sorcière. De temps en temps, une tomate cerise est dévorée par un crapaud, lui-même dévoré par un ouistiti, et, petit à petit, il y a de plus en plus de ouistitis et de moins en moins de passants. Mais au milieu de tout ce tapage, on entend soudain retentir la sonnette de la porte d’entrée. Madame Mistruc propose une trêve le temps d’aller ouvrir. – Bonjour madame, je m’appelle Chewingom Tananda, et j’ai fait un long voyage pour vous rencontrer. – Que voulez-vous ? Vous ne voyez pas que je suis occupée ? – Je dois vous remettre un objet qui doit vous rendre heureuse à jamais. À ces mots, madame Mistruc se radoucit et l’invite à entrer. – Asseyez-vous, je termine d’abord quelque chose. Je suis à 83
vous dans un instant. Puis elle ressort sa baguette et recommence ses attaques. Après un rapide calcul, elle s’aperçoit qu’en frappant le lustre, il devrait tomber juste sur le crâne du papa, le mettant K.O. Aussi, elle ne comprend pas pourquoi c’est Alain qui vient de se faire écraser. Mauvais calcul apparemment. Alors que Papa va riposter, Chewingom intervient. – Il y a un problème, madame Mistruc. Je vois que vous êtes une sorcière maléfique, et je n’ai plus tellement envie de vous rendre heureuse... Personne ne m’avait prévenu que vous étiez méchante, et mon but est de faire le bien sur cette terre, non d’aider les mauvaises personnes. – Mais enfin, supplie Miriel, je ne demande pas mieux que d’être bienveillante ! C’est cette enfant qui m’a poussée à bout et m’a fait commettre une mauvaise action. Depuis, Merlin m’a réinscrite sur la liste des sorcières, et je n’ai plus le choix. Mais au fond, moi, qu’est-ce que je demande ? Je ne suis venue vivre en ville que pour avoir un logement plus lumineux afin de pouvoir me consacrer à la couture. Hélas, je suis mauvaise couturière, je ne cesse de me piquer les doigts. Aussi, j’ai dû abandonner, et rien n’est pire au monde que de ne pas avoir d’activité. Si j’ai accepté de reprendre du service, c’est aussi parce que, si je ne peux plus jamais coudre, alors je ne sais plus quoi faire de mon temps. Chewingom réfléchit. – Si je demande à Merlin d’effacer votre nom de la liste, vous promettez de ne plus faire le mal ? – Il n’acceptera jamais. Chewingom ramasse sur le sol un des morceaux de la boule de cristal qui a explosé. Puis il tente une connexion. Au bout d’un moment, une moitié du visage de Merlin apparaît dans 84
le morceau de cristal. – Bonjour Chewingom ! Cela fait bien plusieurs siècles que je ne t’ai pas vu ! Que puis-je faire pour toi ? – J’ai un service à te demander, Merlin. Serais-tu prêt à accorder une seconde chance à Miriel Mistruc ? – Hum... je ne sais pas trop... Il faut qu’elle choisisse sa voie une fois pour toutes. Soit elle est sorcière et elle fait le mal, soit elle ne l’est plus, et alors cette fois il faut qu’elle promette de ne faire que de bonnes actions. – Regarde l’état de son logement... Penses-tu réellement qu’elle soit douée pour la magie ? – Hum... non, tu as raison sur ce point. Dans ce cas, confisque-lui sa baguette et n’en parlons plus. Madame Mistruc n’est toujours pas heureuse, mais elle est soulagée. C’est vrai, la magie, ce n’est pas son truc. Elle tend sa baguette à Lucie, qui la casse en deux et enfile les morceaux dans sa grande poche. – L’heure est venue pour moi de vous offrir ceci, déclare Chewingom en tendant une petite boîte. Madame Mistruc, impatiente, arrache le papier cadeau, ôte le couvercle et découvre... un dé à coudre ! – Je ne me piquerai plus jamais les doigts ! s’exclame-t-elle en versant une larme d’émotion.
*** La famille a accompli sa mission. Elle peut rentrer chez elle. Profitant de l’agitation générale, Alain décide de s’enfuir afin de mettre à l’abri les deux vies qui lui restent. Il sort en catimini, se faufile à l’extérieur, et se fait dévorer par le
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dragon. – Que d’émotions ! s’exclame Papa en se laissant tomber dans le canapé. Lucie, tu ne dois pas oublier que ce secret doit rester entre nous. – C’est promis Papa, je ne le dirai à personne. Maman attrape la vieille boîte, et demande : – Allez, chacun doit remettre sa baguette à sa place, c’est terminé. Je vais sceller le couvercle en espérant que ces baguettes ne servent plus jamais. Lucie dépose la sienne un peu à contrecœur. Puis elle se retire dans sa chambre, et s’allonge en rêvassant. Finalement, c’est cool d’avoir une voisine pareille. En tant que sorcières privées de magie, elles devraient bien s’entendre toutes les deux. Mais soudain elle sent quelque chose dans sa poche. Elle la fouille et en retire les deux morceaux de la baguette confisquée à la sorcière. Elle a oublié de la donner à ses parents. Elle se dit que de toute façon, elle est cassée, et ne peut plus servir à rien. À moins que... avec un peu de superglu...
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En survolant l’Inde, le dragon est soudain pris de spasmes. Chewingom le fait se poser en toute hâte au beau milieu d’une forêt. L’animal finit par vomir un horrible chat, qui s’enfuit sans demander son reste. Il ne sait pas où il est, ni ce qu’il fait là, mais il s’en moque : il a neuf vies, c’est une chance, mais pas tellement si l’on considère qu’il en est à la neuvième. Sans perdre une minute, il se met à courir et s’enfonce dans la forêt. Et se fait dévorer par un tigre. Si encore c’était un lion, on aurait pu dire que ce n’était pas possible, que c’était encore une erreur de l’auteur. Ou alors on aurait pu considérer qu’on était en Afrique, et l’histoire pouvait recommencer au début. – Ah non, sûrement pas ! s’exclame Chewingom. Mais c’est bien un tigre, un tigre indien du fin fond du nord de l’Inde, qui vient de dévorer Alain. Pas de chance. À croire que cela porte malheur d’être un chat noir. – Regardez, regardez, là-haut, sur la montagne ! C’est lui, c’est Chewingom Tananda ! s’écrient les enfants.
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– C’est bien lui, murmure Tandgen. Avant d’ajouter : – Cela doit être terrible pour lui de ne jamais rien faire de ses journées !
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Derniers ouvrages du mĂŞme auteur : Hotel California, CreerMonLivre.Com, 2020
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