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Comment gérer le comportement chez les personnes souffrant d’une démence
Comment gérer le comportement chez les personnes souffrant d’une démence ? Jean-Marie Warzée est infirmier en chef et responsable du service de psychogériatrie à l’hôpital psychiatrique du Beau Vallon à Namur. À travers les lignes qui suivent, il nous fait part de son expérience en matière de prise en charge de patients atteints de démence.
Au niveau des prises en charge en kinésithérapie, vous serez obligatoirement confronté à des troubles du comportement chez des patients souffrant de démence. D’ici 2040, une personne sur quatre sera âgée de soixante-cinq ans et plus et une sur dix aura plus de quatre-vingts ans. En 2050, l’espérance de vie moyenne sera de quatre-vingt-cinq ans et à cet âge, une personne sur quatre souffrira d’une pathologie de démence. Aujourd’hui, une personne sur trois âgée de soixantecinq ans ou plus souffre d’au moins deux maladies chroniques et chez les plus de quatre-vingts ans, huit personnes sur dix souffrent d’une maladie chronique. Ces quelques chiffres montrent que les interventions en kinésithérapie seront nombreuses chez les personnes très âgées où la prévalence de la démence est élevée. Par vos actes techniques, vous devrez pénétrer dans la sphère d’intimité du patient et vous serez obligatoirement confronté à des troubles du comportement liés à leur impossibilité de décoder vos messages verbaux ou à l’impossibilité de canaliser leurs émotions face à la frustration.
Une étude du KCE de juillet 2011 a conclu que la formation du personnel soignant ainsi que l’activité physique et la stimulation des fonctions cognitives exercent un effet positif sur la personne souffrant de démence. La formation permet une meilleure compréhension et acceptation des troubles du comportement des patients. Suivre une formation vous permettra de vous adapter à la réalité de la personne. En effet, sans formation, le risque de vous référer à la normalité de l’adulte est plus élevé, ce qui ne correspondra pas aux besoins du patient. Vous répondrez à votre propre besoin de sécurité, mais vous insécuriserez le patient.
Septante pour cent des patients atteints de démence sont touchés par la maladie d’Alzheimer. Il ne faut cependant pas négliger les autres formes de démences, comme par exemple les démences fronto-temporales. La symptomatologie et l’approche relationnelle sont différentes. Lors des formations que je dispense, de nombreux professionnels me font part de difficultés à ce sujet. Le diagnostic n’est pas toujours clair ou, dans certains cas, inconnu. Se pose alors la question du type d’approche relationnelle à appliquer pour répondre aux besoins du patient. La prise en charge que je propose ne tient pas obligatoirement compte du diagnostic : l’orientation de l’approche relationnelle doit se faire en fonction des symptômes et des types de comportements que l’on observe.
Au niveau de notre fonctionnement cérébral, le lobe occipital gère notre intelligence spécifique, notre mémoire et nos apprentissages. C’est la sphère de la pensée. Le lobe frontal gère notre caractère, nos émotions, nos réflexions, notre créativité et notre adaptation. C’est la sphère des émotions.
Notre comportement est continuellement influencé par nos pensées et nos émotions. Par exemple, si vous parlez de l’éducation de vos enfants avec votre mère, votre comportement - surtout non verbal - ne sera pas le même que si vous en parliez avec votre belle-mère avec laquelle vous ne vous entendez pas, alors que le sujet est le même. Il y a une perte de la pensée dans les démences de types Alzheimer et une perte de l’émotion dans les démences de type frontal. J’insiste particulièrement sur le terme « perte », car cela signifie qu’il n’y a plus de possibilité de récupération. Vous devez accepter ce que devient la personne et ne pas vous raccrocher à ce que la personne était ou à votre propre réalité. Il est impossible de reconstruire : elle n’a plus les outils pour s’adapter à vos attentes et c’est à vous de vous adapter au patient.

Démence de type Alzheimer Le comportement des patients souffrant d’une démence de type Alzheimer va uniquement être influencé par leurs émotions. Ils vont interagir uniquement en fonction du message émotionnel que vous allez leur transmettre et non en fonction des mots que vous allez utiliser. Un bébé va interagir uniquement en fonction des émotions qu’on lui transmet, car son langage et sa pensée ne sont pas développés. La maladie d’Alzheimer fait perdre au patient sa pensée et son langage et il ne lui reste donc plus que la sphère émotionnelle. Si vous voulez canaliser le comportement de ces patients, vous devez avant tout canaliser vos propres émotions. Il faut aborder les patients lentement, calmement, posément et leur parler distinctement avec des mots simples, en leur expliquant ce que vous allez faire. De cette manière, votre
discours sera rassurant, clair et sans ambigüité. Les patients souffrant d’une démence de type Alzheimer vont pomper les émotions que vous allez leur transmettre. On peut comparer leur vécu à une situation bien connue : lorsque votre enfant rentre de l’école en ayant commis une bêtise et qu’il ne vous dit rien. Vous ressentirez qu’il y a quelque chose d’anormal, car le discours de l’enfant sera ambigu et non rassurant. Vous ressentirez de l’insécurité, jusqu’au moment où votre enfant mettra des mots sur la situation. Même si la situation est grave, vous saurez quoi faire. Il en va de même pour vos patients : ils vont ressentir ces émotions positives et négatives. Leur comportement répondra à celles-ci. Il est important de les accompagner dans leurs émotions positives et négatives en canalisant vos émotions par le respect, le calme, l’intonation de votre voix et le contrôle de votre langage non verbal. Ce n’est pas parce qu’ils oublient qu’il faut les oublier. Il faut également éviter d’infantiliser les patients sous prétexte qu’ils ont perdu la mémoire, car leur vécu est toujours bien présent dans leur mémoire affective. Il est par exemple primordial d’éviter le terme petit : « on va faire une petite marche, une petite sieste, on a un petit appétit, etc ». Démence de type frontal Les patients souffrant d’une démence de type frontal ne sont plus capables de canaliser leurs émotions. Ils n’ont plus de frein : « j’ai envie, je fais ». Ils vont interagir uniquement en fonction de leurs pensées. Ils n’auront pas de problème de mémoire, mais vous serez confronté à des problèmes de comportement, à des pertes de notion de bienséance, à des difficultés à gérer l’émotionnel et à respecter les limites, ce qui conduira à des excès. Ces patients
sont incapables de canaliser leurs émotions face à la frustration (il s’agit d’une perte) et vous devez donc anticiper le risque qu’elle apparaisse. Quatre-vingts pour cent des troubles du comportement sont dus au contexte de prise en charge. Il est indispensable de mettre en place une cohérence entre l’ensemble des intervenants autour du patient, des professionnels et des aidants. Il faut ritualiser ces interventions en mettant en place des habitudes. Exemple : le passage des kinésithérapeutes à la même heure et le même jour. Le rituel va conditionner l’emploi du temps et va vous permettre de tenir une attitude claire et rassurante. Il faut mettre de côté nos émotions pour se focaliser sur la pensée. Pour symboliser cette approche, je fais régulièrement référence à l’émission Super Nanny. La cohérence entre les parents, le message et une attitude claire finit par rassurer l’enfant. La seule différence se situe dans l’organisation qui peut intégrer plusieurs dizaines de membres du personnel.
En résumé, si le comportement des patients est lié à leur impossibilité à comprendre le message qu’on leur donne, vous devez canaliser vos émotions et votre langage non verbal. Vos émotions devront être rassurantes, sécurisantes et sans ambigüité, c’est-à-dire un langage « vrai ». Si le comportement est une réaction à la frustration et donc une difficulté à gérer l’émotion, vous devez être cohérent, ritualiser, avoir une attitude et un discours rassurant et sécurisant. Vous ne pouvez pas surenchérir sur l’émotion des patients, car ils ne sont pas capables de se canaliser. Vous devez toujours aborder les patients sur un ton inférieur.
Dans ce contexte, votre comportement professionnel va être influencé par votre pensée et vos émotions. Pour les émotions, si vous ressentez de la colère, elle va engendrer de l’agressivité. La peur va vous faire fuir, le dégoût va initier du rejet, la tristesse va vous mettre en retrait, tout comme la surprise et la joie va vous ouvrir vers l’autre. En tant que professionnel, vous devez-être capable de les gérer, de les canaliser. Il est important de les identifier, de mettre des mots sur ce que vous ressentez, de les accueillir en acceptant ce que vous vivez et en dépassant une certaine culpabilité qui vous pousse à négliger votre ressenti. C’est normal de vivre ces émotions : on reste des êtres humains. Mais il est important de les verbaliser à des personnes qui ne porteront pas de jugement, mais qui apporteront une écoute respectueuse pour vous aider à les comprendre Jean-Marie Warzée

et à les accepter. De cette manière, vous trouverez les besoins qu’elles font émerger (besoin en formation, en soutien, etc.) et vous pourrez vous améliorer dans la relation d’aide face aux patients déments. Pour canaliser votre pensée qui est influencée par vos connaissances, votre culture, votre tolérance et vos propres limites, il est important de vous former afin d’appréhender correctement le contexte pathologique de vos patients. Si vous maîtrisez le savoir, vous maîtriserez votre pensée. Il est également important de partager votre expérience avec d’autres professionnels.
Si vous voulez correctement prendre soin du patient, pensez d’abord à bien prendre soin de vous. Apprenez à mieux vous connaître et à satisfaire vos propres besoins. Gérez et acceptez les émotions difficiles en maintenant et en intensifiant les émotions agréables. Ce qui est difficile va s’améliorer et devenir plus acceptable.
Cette approche est le fruit de trente ans d’expérience en psychogériatrie et j’espère que ce partage pourra vous aider dans votre pratique au quotidien. N’oubliez pas : prenez soin de vous.
POUR PLUS D’INFORMATIONS, N’HÉSITEZ PAS À CONTACTER JEAN-MARIE WARZÉE : FORMATION.DEMENCE@GMAIL.COM