Solidarité Guatemala 220

Page 3

Actualités Commencent alors les vingt ans de la paix.

provoque de grands conflits dans le pays.

Vingt ans qui seront caractérisés par l’approfondissement des politiques néolibérales, l’exclusion prononcée d’une partie de la société, la marginalisation des peuples autochtones, la réduction presque totale de la capacité d’investissement dans le pays, l’industrialisation forte et hautement qualifiée du secteur agricole (sucre et palmier à huile surtout), l’accaparement de l’eau à des fins spéculatives, et les mines à ciel ouvert. C’est cette évolution qui fait qu’aujourd’hui nous avons les maquila, les usines d'assemblage de produits destinés à l'exportation. Dans ce contexte, où tout est fait pour le bénéfice de l’exploitation internationale, la société guatémaltèque vit vingt ans d’exclusion sociale, sans politique de développement, ni même la moindre application des critères un tant soit peu progressistes contenus dans les accords de paix. Nous avons vécu vingt ans de réduction totale des bénéfices de la paix, de profonde corruption et d’exploitation.

Mais je crois néanmoins qu’il y a deux points importants. Le premier est l’apparition, de plus en plus robuste, des identités autochtones et une incorporation massive à la lutte politique. Une incorporation complexe, difficile, car nous n’avons pas réussi à comprendre, au moins idéologiquement, les affirmations de Severo Martínez dans La patria del criollo, à savoir la destruction de l’Indien comme catégorie économique et sociale3 et il y a donc une confusion. D’autre part, de nouvelles visions sont en train de surgir, dans la gauche et chez les jeunes, critiques des expériences passées, démythifiant les commandants de la guérilla, et par conséquent la construction de ce qui pourrait être une gauche plus « XXIème siècle ».

Dans ce contexte, comment expliquer la faible réaction des forces progressistes ? Ceci est dû au fait que, depuis les années 1950, il n’y a pas eu d’expérience démocratique au Guatemala, en entendant par là le droit des personnes à choisir leurs gouvernants, à débattre. Trente ans de guerre et d’exploitation font que les gens n’ont pas l’expérience de demander, de se mobiliser et de penser que leurs demandes et mobilisations vont être reconnues et entendues. A ceci s’ajoute le fait que, depuis la Colonie, nous sommes un peuple qui ne décide pas. Il n’existe pas de tradition démocratique, de vision démocratique, et la démocratie est un concept qui n’est même pas maîtrisé par 20% de la population. Nous sommes donc une société autoritaire et corrompue, qui justifie la corruption et l’autoritarisme car elle les a appris. Vingt ans après la paix, nous voyons que les partis sont des « franchises électorales » : quelqu’un crée le parti, le vend ou le loue, dans le seul but de gagner de l’argent et de devenir président. Otto Pérez Molina, Álvaro Arzú en sont des exemples mais aussi dans une certaine mesure Álvaro Colom et Alfonso Portillo, ou encore Óscar Berger sous d’autres modalités. Dans ce cadre, qu’est-ce qui nous attend ? La chute d’Otto Pérez est un fait. Mais il n’a pas chuté pour ne pas avoir appliqué son programme électoral, ni à cause de l’énorme injustice sociale dans le pays, mais à cause de la corruption. Non pas parce que la société considère malhonnête la corruption, mais car cette dernière a été trop évidente2. Le problème d’une société qui justifie la corruption, c’est que, du bout des lèvres elle affirme qu’il ne faut pas être corrompu, mais au fond, si j’arrive au pouvoir, j’ai envie de l’être. Nous n’avons pas de pratique de l’honnêteté. La transparence ne fait pas partie de la culture guatémaltèque. Nous ne pensons pas en termes de « je fonctionne comme cela, car c’est ainsi qu’il faut faire », mais sur le mode de « si je peux, je prends, car j’en ai le droit, c’est à moi ». Le pouvoir public devient un patrimoine personnel, ce qui

La réussite de ce projet dépend en grande partie et contradictoirement, de la construction d’une droite démocratique. Si, à droite aussi, la démocratie est revendiquée, alors nous pourrons avancer. Sans cela, non. En effet, la droite la plus dure continue à penser que ses adversaires sont des guérilleros et qu’il faut poursuivre la lutte contre les communistes. Le problème est que ce discours imprègne de nombreux secteurs de la population.

Conférence le 8 décembre à l’EHESS

Il n’y a donc pas d’espoir ? La partie la plus encourageante de notre histoire au XXIème siècle est constituée par les procès pour crimes contre l’humanité. Je crois qu’il s’agit du point le plus fort dans la pédagogie pour les droits humains. Il y a eu un large débat à ce sujet au Guatemala et, même si certains affirment que Ríos Montt n’a pas commis de génocide – et il en a bien commis un – ce qui est certain, c’est que pour les nouvelles générations, la disparition forcée, la torture, les assassinats, le viol, sont des crimes qui doivent être punis. C’est une petite avancée dans la culture guatémaltèque. Si elle se consolide, elle peut être le point de départ pour une société démocratique, plus juste. Mais le débat continue.■ 1. Edelberto Torres-Rivas, Revoluciones sin cambios revolucionarios, Guatemala, F&G Editores, 2011 2. Virgilio Álvarez Aragón, La revolución que nunca fue, Guatemala, Serviprensa, 2016, et Mikaël Faujour, « Guatemala, trop de divisions pour une révolution », Le Monde diplomatique, 02.16, http://bit.ly/2lzSuwn 3. Severo Martínez Peláez, La patria del criollo, México, FCE, 1998 (1970)

Solidarité Guatemala n°220 mars 2017

3


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.