
54 minute read
Première partie Cadre théorique
Dans ce mémoire, je m’intéresse à la question du genre dans les espaces publics à Bruxelles, avec une focale sur les enfants. Cette partie cadre théorique me permettra d’établir un cadre, et de comprendre les grandes lignes de la définition du genre ainsi que ses différents concepts. Ainsi, cela m’aidera à fixer une position et une définition propre à ce travail de fin d’études. J’aborderai la façon dont les espaces sont investis par les enfants, en me concentrant sur la place du jeu. Pour finir, je m’intéresserai à la ville de Bruxelles, et de sa position face à cet enjeu social et urbain.
Mon projet de recherche s’intéresse aux inégalités de genre dans l’espace public, spécifiquement centrées sur l’enfance. Il est donc basé à la fois sur des études de genres et sur les études liées aux usages et à l’aménagement des espaces publics (genrés). L’état de l’art est structuré suivant ces thématiques : les inégalités de genre, l'inscription du genre et la place des femmes dans les espaces publics et puis enfin les analyses spécifiques centrées sur l'enfance et le jeu et leur interaction avec les questions de genre. Cette étude sera basée dans la ville de Bruxelles, je porterai donc une attention à la position de la ville face à ce sujet de société.
Advertisement
Par ailleurs, j’ai constaté que ces questions d’inégalités de genre n’étaient pas nouvelles et qu’elles se développent de plus en plus dans la littérature ces 50 dernières années. Ils existent donc plusieurs livres scientifiques qui retracent l’histoire du féminisme, et des théories de genre, notamment dans l’espace public tel que : Les théories en étude de genre de Lépinard et Lieber17 ; et Genre, violences et espaces publics de Marylène Lieber18, qui sont de mon avis de très bonnes sources pour cerner la thématique du genre.
1/ Présentation de la notion de genre
La littérature sur les concepts et les théories en genre est déjà bien fournie dans le monde. Pour cette partie, je ne vais pas exposer toute l’évolution du genre à travers le temps, mais je vais reprendre les notions essentielles à la compréhension de ce mémoire. Dans ce but nous prendrons comme principale source le bouquin Les théories en études de genre de Éléonore Lépinard et Marylène Lieber ; qui relate l’histoire de la notion de genre dans son entièreté.
« On ne naît pas femme, on le devient 19 »
La théorie du genre débute avec cette question sur le sexe des individus. Qu’est-ce qu’être une femme ? Qu’est-ce qu’être un homme ? Pendant, longtemps, il n’existait aucune recherche scientifique pour évoquer ce problème de société, les différences de genres ayant longtemps été considérées comme « naturelles » et normales. Ainsi, l'approche qui prévalait avant était une lecture qui assignait aux hommes et aux femmes des fonctions différentes selon leurs caractéristiques biologiques et reproductives Cet effet de naturalisation20 a très longtemps répondu à ces deux questions. Je suis une fille alors je dois me comporter comme telle.
17 LIEBER Marylène, LEPINARD Eléonore. Les théories en étude de genre Paris. La Découverte, 2020.
18 LIEBER Marylène. Genre, violences, et espaces publics. Paris : Presse de la fondation nationale des sciences politiques, 2008.
19 DE BEAUVOIR Simone. Le deuxième sexe. France : Editions Gallimard, 1949.
20 LIEBER Marylène. Genre, violences, et espaces publics. Paris : Presse de la fondation nationale des sciences politiques, 2008, page 16.
Simone de Beauvoir, dans son ouvrage, Le deuxième sexe, expose sa mésentente avec l’idée que l’on assigne un comportement à un individu selon son sexe. Elle dévoile la position des femmes, et de cette différentiation sociale qu’elles subissent. Ce livre, publié en 1949, est la prémices d’une lutte pour les droits des femmes. C’est en 1930 que commence à être questionnée cette lecture biologique par des travaux en anthropologies, en philosophie et en sociologie ; avec l’introduction du concept de genre par Margaret Mead, qui mentionne pour la première fois cette notion de « rôles sexuels »21 . A partir de son étude22 de trois peuples différents, elle constate qu’il existe une distinction entre la dimension biologique et la dimension sociale des corps. Le but de son étude est de montrer que le rôle social qu’on nous attribue est dû à une influence sociétale sur notre façon de vivre. Le livre de Lépinard et Lieber, explique cette expérience, en voici l’extrait :
« En étudiant trois peuples (…), elle observe ce qu’elle qualifie de tempéraments distincts, et des divisions sexuelles du travail qui varient entre ces peuplades. Ces observations l’engagent à souligner que ce qui caractérise le comportement des hommes et des femmes d’une société donnée est issu de spécificités de leur culture et non de critères biologiques23 ».
En effet, Mead se rend compte de l’impact de la société et notamment de la culture sur le comportement des hommes et des femmes. Elle va alors différencier les notions de sexe et de genre, établissant ainsi les principes fondamentaux de la théorie du genre.
Cette conclusion est en corrélation avec l’idéologie principale de Simone de Beauvoir. On devient donc une femme, selon les critères de la société dans laquelle on vit. C’est ce qui va véhiculer un certain nombre de préjugés et de stéréotypes que l’on va associer aux femmes.
Viola Klein, sociologue anglaise, dénonce cette idée qu’il existe des caractéristiques propres aux femmes et aux hommes :
« Le fait que l’on se rende de plus en plus compte que les traits prétendus
« masculins » se retrouvent, à des degrés variables, chez les femmes et les traits dits
« féminins » chez les hommes, cependant, n’élimine pas la division originelle mais rend, au contraire, plus nécessaire d’examiner, ces caractéristiques, qui sont appelées féminines et masculines »24
Klein dévoile une évolution de la pensée, avec cette conscience que les caractéristiques sont variables d’un sexe à l’autre. Le but de ces nombreuses recherches est de déconstruire
21 MEAD M. Moeurs et sexualité en Océanie. Pocket, 2016.
22 Ibid.
23 LEPINARD Eléonore et LIEBER Marylène. Les théories en études de genre. Paris, Editions La Découverte, 2020, p 19.
24 KLEIN V. « Le caractère féminin, critique d’une idéologie » Cahiers du genre, 2, n° 61 (2016), p 21 à 47 la vision naturaliste évoquée au début. C’est alors que la distinction entre sexes et genre va apparaître.
Dans les années 1960-1970, cette théorie du genre progresse petit à petit en Europe grâce aux luttes féministes. L’inégalité des genres devient alors controversée, et renvoie une image de la société et une division du travail construite essentiellement sur une distinction du genre homme-femme. A ce propos, Christine Delphy, sociologue, militante et spécialiste des études féministes depuis les années 70, dans son œuvre la plus connue, L’ennemi principal 25, dénonce l 'exploitation des femmes au sein de la sphère domestique par les hommes. Elle va aussi affirmer, que nous retrouvons une hiérarchisation dans les rapports de genre, avec une société qui a été construite selon l’idée d’un rôle dominant (les hommes) et d’un rôle dominé (les femmes). Cette hiérarchisation est amplifiée en attribuant à chaque sexe des caractéristiques bien précis. Pour elle, le genre est une forme de patriarcat, c’est-àdire un rapport de pouvoir et une domination sur les femmes. Ce rapport de domination sera la raison précurseur qui justifiera la mobilisation collective des femmes en Europe, à travers notamment le Mouvement de Libération de Femmes (MLF) qui questionne la société patriarcale et la libre disposition du corps des femmes. Depuis la fin du 19e jusqu’à l'apparition des théories/concept de genre (suffragettes26 etc.) les vagues de luttes féministes portaient essentiellement sur les droits civils et civiques des femmes. Par exemple avec la loi Ferry, en 1882, qui concerne la reconnaissance de l’égalité des sexes dans l’enseignement, le droit de vote des femmes en Belgique à partir de 1948… Puis, progressivement, à mesure des premiers acquis et de l'apparition des concepts de genre, elles vont s'opposer à d'autres formes de dominations liées au patriarcat (Contraception, autonomie financière, etc. etc.) La dernière vague féministe identifiée prend forme en 1990, par des femmes de cultures différentes, qui dénoncent les discriminations à leur égard. C’est à cette époque qu’apparaît les premiers combats sur la transidentité, et de cette volonté à différencier le sexe du genre. A partir de 2010, plusieurs auteurs constatent l’émergence d’une transformation des luttes avec de nouveaux moyens de communication à travers le numérique, qui dénonce notamment les violences sexistes et sexuelles, avec des mouvements tels que le collectif #NousToutes27 Ces multiples recherches, ainsi que ces mouvements de luttes vont commencer à casser les codes et à permettre de pointer l’existence d’inégalités et de les analyser avec un regard neuf
25 DELPHY Christine. L’ennemi principal Nouvelles questions féminines, Syllepse, septembre 2013.
26 Selon la définition du Larousse : « Nom sous lequel on a désigné, en Grande-Bretagne, les militantes qui réclamaient pour les femmes le droit de voter. ». LAROUSSE. (2022). Sufrafregettes. Dans Dictionnaire.
27 Oxamfrance. Le féminisme à travers ses mouvements et combats dans l’Histoire France : Septembre 2021 [consulté le “25 juillet 2022]. Disponible sur Internet à l’adresse : https://www.oxfamfrance.org/inegalites-femmeshommes/le-feminisme-a-travers-ses-mouvements-et-combats-dans-lhistoire/
Les études du genre permettent de décrire une certaine réalité fondée sur la distinction homme-femme. Elles ouvrent le champ de savoirs et visent à comprendre comment ces différences et inégalités se constituent. En ce sens, le genre est « un concept politique qui permet de dénaturaliser et de déconstruire les normes de genre et de sexualité, tout comme de proposer des modalités alternatives »28 Après 50 ans de recherches, cette question de genre est toujours d’actualité, et tend à se faire connaître de plus en plus avec des mouvements féministes. A travers le temps, une évolution certaine et une prise de parole sont plus présentes de la part des femmes. Leurs revendications portent notamment sur des questions égalitaires, dans le domaine professionnel, domestique, mais aussi dans leur représentation au sein de la société et dans les espaces publics depuis les années ’80-‘90. C’est ce dernier point qui va m’intéresser dans la suite de ce mémoire.
2.1 Définition du terme espace public Parmi les études de genres, certaines abordent plus spécifiquement la question de l'espace public. Avant de continuer le développement, il est nécessaire de donner la définition des espaces publics, afin de renseigner la direction que prend ce mémoire. Si cette notion est très vaste, je vais me référer ici à celle formulée par Thierry Paquot :
« Les espaces publics, [...] désignent les endroits accessibles au(x) public(s), arpentés par les habitants, qu’ils résident ou non à proximité. Ce sont des rues et des places, des parvis et des boulevards, des jardins et des parcs, des plages et des sentiers forestiers, campagnards ou montagneux, bref, le réseau viaire et ses à-côtés qui permettent le libre mouvement de chacun, dans le double respect de l’accessibilité et de la gratuité »29
D’après Paquot30, les espaces publics remplissent la fonction de communication et mettent en relation les êtres humains. Ils peuvent être perçus différemment en fonction de l’usage qu’en font les utilisateur/trices Par ailleurs, Guy Di Meo définit les espaces publics, comme des espaces « dont la loi commune autorise l’accès libre et sécurisé à tous, sans aucune distinction d’âge, de sexe, de catégorie sociale, économique, religieuse ou ethnique »31 En d’autres termes dans ce mémoire, les espaces publics désigneront les zones publiques accessibles à tous/toutes de façon gratuite, accueillant des usages multiples et construits pour accueillir une série d’interactions.
28 LIEBER Marylène, LEPINARD Eléonore. Les théories en étude de genre. Paris : La Découverte, 2020, p 174
29 PAQUOT Thierry. L’espace public France : La découverte, 2015, p 3.
30 Ibid
31 DI MEO Guy « Les femmes et la ville » Pour une géographie sociale du genre. Annales de géographie, 2, n°684 (2012), p 107-127. Disponible sur internet : https://www.cairn.info/revue-annales-de-geographie-20122page107.htm#:~:text=Les%20espaces%20publics%20sont%2C%20quant,%2C%20%C3%A9conomique%2C% 20religieuse%20ou%20ethnique
Après avoir défini et cadré notre sujet de recherche, je vais analyser, dès à présent, cette notion d’inégalité genrée dans nos espaces publics.
2 2 Genre, et inégalités des espaces publics
Erving Goffman est l’un des premiers à se pencher sur les problématiques du genre dans les espaces publics, avec cette notion de « regroupement des hommes d’un côté et des femmes de l’autre »32. Prenant l’exemple des toilettes publiques, Goffman s’indigne de cette ségrégation des sexes qui s’applique pour ce type de lieu, et écrit que c’est « une conséquence naturelle de la différence entre les classes sexuelles alors qu’en fait c’est plutôt un moyen d’honorer, sinon de produire cette différence » 33 . Goffman, avec son étude sur l’espace public, montre que la ville est essentiellement faite par les hommes. Ce point d’intérêt sera le point de départ des recherches sur les pratiques urbaines homme/femme. La géographie féministe ou la géographie de genre, mettra alors cette dimension sexuée en évidence, à travers des études sur les lieux-dits masculins, féminins ou mixtes Les études comme celles de Jaqueline Coutras34 ou Nancy Duncan35 permettent de souligner la répartition et l’occupation des espaces urbains, et de conclure que les espaces sexués engendrent des représentations de stéréotypes des genres. Partant de ce constat, la question du genre dans les espaces publics est devenue un nouveau champ de recherche Ceux-ci reflètent bien souvent les problématiques de notre société et révèlent entre autres certaines inégalités de genre. En effet, ces endroits étant des lieux de rencontre et de mélange de toute la diversité humaine, ils influencent notamment la construction des identités subjectives, sociales et citoyennes des individus. D’ailleurs, dans son article Genre et ville, une réflexion à poursuivre, Marianne Blidon36 cite l’auteur Hubbard qui révèle que :
« les villes jouent un rôle essentiel dans la production, la consommation et la reproduction des normes et des identités de genre »37 et ajoute également : « La ville produit le genre comme le genre produit la ville »38 La ville est souvent présentée comme le lieu où les individus peuvent vivre ensemble39 sans se connaître personnellement, et où ils peuvent partager un espace commun.
32 GOFFMAN Erving. «L’arrangement des sexes ». Travail, genre et sociétés, 2, n°8 (2002), p229 à 249. Disponible à l’adresse : https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2002-2-page-229.htm
33 Ibid
34 COUTRAS Jaqueline Crise urbaine et espaces sexués Paris : Armand Colin, 1996.
35 DUNCAN Nancy. Bodyspace: Destabilizing Geographies of Gender and Sexuality London: Routledge, 1996.
36 BLIDON Marianne. “Genre et ville, une réflexion à poursuivre”. Les Annales de La Recherche Urbaine, n°112, 2017. Disponible à l’adresse : https://doi.org/10.3406/aru.2017.3235
37 HUBBARD P. « Cities and sexualities» in BLIDON Marianne. “Genre et ville, une réflexion à poursuivre”. Les Annales de La Recherche Urbaine, n°112 (2017). Disponible à l’adresse : https://doi.org/10.3406/aru.2017.3235
38 BLIDON Marianne. “Genre et ville, une réflexion à poursuivre”. Les Annales de La Recherche Urbaine, n°112 (2017), p 6-15. Disponible à l’adresse : https://doi.org/10.3406/aru.2017.3235
39 SIMMEL. Philosophie de la modernité. Les femmes, la ville, l’individualisme Lausanne : Payot, 1989.

Les études de genre tendent à montrer que cette pensée est idéalisée et que la réalité est tout autre. Véritablement, les espaces publics sont perçus de manière différente en fonction du genre de l’individu. Mais alors pourquoi ?
En 1988, Michelle Perrot, une historienne et militante féministe française connue pour ses travaux sur la question, écrit dans Le genre de la ville 40 que la ville est dangereuse pour tous, mais plus spécialement pour les femmes. Selon elle, une femme seule dans la rue, à cette époque, représentait une menace pour sa vertu, alors que les hommes bénéficiaient d’une liberté de circulation. Michelle Perrot écrit à ce sujet que :
« Le vocabulaire est significatif et oppose par ailleurs la femme publique, l'horreur, à l’homme public, l'honneur, la première est propriété commune-la putain ; le second, la figure même de l'action, l’espace public, dont la ville est une forme, souligne avec éclats la différence de sexe »41
Elle met alors en évidence la dimension sexuée de la ville, et révèle que le genre des individus influence inébranlablement la manière de vivre l’espace. C’est ce que confirme Guy Di Méo, « le genre, en tant que rapport de domination socialement construit sur la base d’une différenciation sexuelle entre individus, fournit un déterminant notable des pratiques et des représentations urbaines »42. Il appuie ainsi les propos de Michelle Perrot en affirmant une véritable distinction spatiale en fonction du genre des individus. Guy Di Méo écrit alors qu’« elles ne se déplacent pas partout en totale liberté de corps et d’esprit »43 et parle de murs invisibles pour évoquer ces frontières spatiales que les femmes s’imposent dans nos espaces publics. Par exemple, certaines femmes s’interdisent des zones dans la ville, qu’elle juge trop dangereuse (dû à l’éclairage, à l’étroitesse de certaines rues…) ou dans lesquelles elles ne se sentent pas à l’aise. Les femmes sont vigilantes et adaptent leur trajet dans la ville en fonction de ce qu’elles voient ou ressentent.
Ce comportement peut être notamment expliqué par un sentiment d’insécurité, lié à une peur d’agression physique et sexuelle. Marylène Lieber écrit que « les femmes perçoivent l’espace public comme un espace étranger. Le sentiment de peur qui en découle les conduits à limiter l’usage qu’elles en font, ce qui explique leur propension à moins s’insérer dans la vie publique »44. Elle évoque également deux types de stratégique utilisées par les
40 PERROT Michelle. « Le genre de la ville ». Communications, 65 (1997)
41 Ibid., page 149
42 DI MEO Guy. « Les femmes et la ville ». Pour une géographie sociale du genre. Annales de géographie, 2, n°684 (2012), p 107-127. Disponible sur internet : https://www.cairn.info/revue-annales-de-geographie-20122page107.htm#:~:text=Les%20espaces%20publics%20sont%2C%20quant,%2C%20%C3%A9conomique%2C% 20religieuse%20ou%20ethnique
43 DI MEO Guy. « Femmes, sexe, genre Quelle approche géographique ? ». Espaces et sociétés, n°150 (2012), page 2. Disponible à l’adresse : https://www.cairn.info/revue-espaces-et-societes-2012-2-page-149.htm femmes pour se mouvoir à travers la ville, entre ces « murs invisibles ». Il y a celle dite d’« évitement », et celle de la « gestion de risque ». La première vise à réduire le temps d’exposition dans un espace public, soit le traverser rapidement, soit le contourner. Tandis que la deuxième est un moyen de réduire le danger en prenant des précautions au préalable. Par exemple, en choisissant de prendre un taxi pour rentrer chez soi, ou alors de faire attention à la tenue portée. Ce sentiment de peur est généré par les caractéristiques physiques des espaces, perçus différemment par chaque individu/e, mais également par la présence du harcèlement de rue qui dissuade certaines minorités d’investir l’espace public.
44 LIEBER Marylène. Genre, violences, et espaces publics. Paris : Presse de la fondation nationale des sciences politiques, 2008, page 59.
Cette problématique du harcèlement de rue a par ailleurs été mise en exergue et portée audevant du débat public en 2010 par la diffusion du reportage Femme de la rue 45 réalisé par Sofie Peeters. Ce dernier rapporte l’expérience d’une jeune femme se baladant à travers les rues de Bruxelles, et des différentes façons dont on l’accoste dans cet environnement. Elle dénonce alors les différents types de harcèlement, d’injures, d’insinuations sexuelles qu’elle subit. Des dénonciations qui sont souvent prises à la légère, et provoquent des réactions étonnantes chez certain/es, à savoir des réflexions sur sa tenue, et sur le fait qu’elle soit seule dehors. Les individu/es dans le reportage lui conseillent de toujours être accompagnée d’un homme pour circuler dans l’espace urbain afin de lui éviter ce type de situation. Selon ce point de vue, le problème ne viendrait pas de l’attitude des hommes vis-à-vis de cette femme, mais du fait que cette dernière serait seule dehors. Ce genre de réflexion, souvent intériorisée, insinue qu’une femme ne peut être seule pour se balader, mais aussi que c’est à elle de trouver une solution.
Les femmes grandissent alors avec cette idée qu’elles sont vulnérables et fragiles. La société donne une vision d’un monde extérieur, notamment celui de la ville, dangereux pour elle. Ces valeurs sont souvent véhiculées de manière inconsciente, mais elles ont un impact considérable sur la façon dont elles s’approprient les espaces publics. Dès lors, une peur érige leur comportement, et limite leur usage, si bien que ces ressentis engendrent un désintérêt pour la vie publique chez les femmes. Marylène Lieber46 précise que les femmes ne sont pas « explicitement » exclues, mais qu’elles ne « peuvent » pas se mouvoir librement dans les espaces publics. Par ailleurs, Lieber explique que cette question de sécurité est souvent reléguée au second plan, rarement pris en compte par les pouvoirs publics47 Un privilège pour le sexe masculin, au détriment des femmes
45 PEETERS, Sofie. Femme de la rue [FILM]. Belgique : 26 juillet 2012.
46 LIEBER Marylène. Genre, violences, et espaces publics. Paris : Presse de la fondation nationale des sciences politiques, page 302, 2008.
47 Ibid., page 19.

2.3 Une ville au masculin
La partie précédente a révélé les problématiques genrées de la ville, et cette inégalité qui relègue les femmes aux intérieurs. Dans le développement qui va suivre, il sera mentionné la littérature qui affirme que la ville est masculine.
Yves Raibaud 48 , spécialiste en géographie sociale, explique dans son livre que la ville est faite « par et pour les hommes », et dénonce l’oubli des femmes dans leur conception, s’apparentant à une réponse face à l’inégalité des genres dans l’espace public. Cela commence par le nom des rues, des places, des avenues, etc. Où à Bruxelles seulement 6 % des rues portent le nom d’une femme. Le fait, que les femmes apparaissent très peu dans le nom des rues appuient leur invisibilisation dans les domaines créatif, politique, scientifique, etc. Mais plus encore, ce constat renvoi une image très masculine aux espaces publics. C’est pourquoi, le collectif féministe « Noms peut-être » organise des balades à travers Bruxelles, permettant de découvrir les places, les rues, et les fresques dont le nom est en l’honneur des femmes. Une initiative qui tente de redonner une visibilité à un aspect de la ville qui n’est pas encore égalitaire.
En-dehors de la toponymie et de cette invisibilisation, il y aussi une discrimination spatiale au sein de la ville. Certainement, Yves Raibaud dans son livre La ville faite par et pour les hommes49, intitule un de ses chapitres « une ville, deux usages » en introduisant celui-ci par une citation de Rebecca Solnit, de son œuvre l’Art de marcher :
« Une règle générale veut (…) que les hommes soient plus chez eux dans la rue que les femmes, et que ces dernières payent souvent très cher l’exercice de la liberté toute simple qui consiste à sortir faire un tour. La raison est que leur façon de marcher, leur être même, sont inlassablement sexualisés dans toutes les sociétés soucieuses de contrôler la sexualité féminine 50».
Cela nous renseigne sur un déplacement urbain des femmes différent de celui des hommes. D’après Allesandrin et Dagorn51, le déplacement des femmes est érigé par des raisons fonctionnelles, souvent liées au care Suivant Tronto52, la notion de care, est une notion qui renvoie à 4 phases : se soucier de, se charger de, accorder des soins et recevoir des soins. Pour plusieurs auteurs53, « le soin ne se rapporte pas tant aux activités de soin qu’à l’investissement émotionnel consenti pour être en mesure de soigner »54. Tronto explique que les femmes « ont plus d’aptitudes pour le soin »55 , car, d’après les idéologies traditionnelles du genre, elles sont plus émotives que les hommes et par conséquent responsable des soins dans la sphère privée/familiale. Cette notion de care est encore fortement valable aujourd’hui. Par exemple en Belgique, et plus spécialement en Wallonie, les femmes consacrent « plus de 20h (21h45) par semaine aux tâches ménagères, aux soins et à l’éducation des enfants, à 14h39 pour les hommes »56 . Les femmes se déplacent dans la ville pour amener/chercher les enfants à l’école, se rendre au supermarché, conduire les enfants à leur loisir etc… Elles opèrent de nombreux trajets, mais sur des petites distances, souvent aux heures de pointe et très rarement la nuit. Cette absence des femmes dans la ville s’explique aussi à travers d’autres études qui démontrent que la ville est créée et se créer de manière masculine. Yves Raibaud57 souligne la construction de grands stades, consacrés au football ou au rugby, très souvent destinés à un public d’hommes. 75 % des budgets publics sont destinés aux loisirs des jeunes profitant aux garçons58. C’est un constat et un fait, on retrouve rarement 100 000 femmes dans un environnement fermé pour partager une même passion. Donner cette importance aux équipements dits masculins, c’est faire le choix de financer ces activités aux dépens des autres minorités, et de la pratique mixte. Selon lui, ces décisions écartent un peu plus chaque jour les femmes de l’espace public. De plus, ces décisions sur le plan de l’aménagement du territoire, et les investissements qui sont faits en termes d’aménagement sont genrés et contribuent à exclure les femmes de l’espace public. Plus encore, le fait de ne pas considérer dans les choix d’investissement le filtre du genre, contribue à favoriser un genre au détriment d’un autre. Ceci s’explique, car les décisions sont prises par un groupe dominant, dont elles reflètent les positions et les intérêts, un groupe bien souvent masculin. L’aménagement sur le plan du genre nécessite un travail actif de prise en compte des femmes, que ce soit dans l’intégration de cette question du genre dans le projet, mais aussi dans les prises de décisions. Partant de ces différents constats, la ville ne peut donc être égale envers tous, et nous sommes confrontés à un processus lent dans ce changement radical de la société vis-à-vis de cette question du genre.
48 RAIBAUD Yves. La ville faite par et pour les hommes France: Belin, 2015.
49 Ibid , page 24.
50 Ibid., page 25.
51 ALLESSANDRIN Arnaud, DAGORN Johanna. 2018. « Sexisme(s) urbain(s) : Jeunes filles et adolescentes à l’épreuve de la ville ». Enfances, Familles, Générations. N°30.
52 TRONTO Joan. « Du care » Revues de Mauss, n°32 (2008), p 243 à 265.
53 BLUSTEIN J. « Care and Commitment » in TRONTO Joan. « Du care ». Revues de Mauss, n°32 (2008), p 243 à 265.
54 TRONTO Joan. « Du care ». Revues de Mauss, n°32 (2008), p 243 à 265.
Après avoir relevé ces éléments de recherches, j’ai compris que la ville était vécue de manière différente pour les hommes et pour les femmes. Je me suis donc questionnée sur cette façon que les femmes ont de se restreindre dans la ville. Depuis quand les femmes s’imposent des barrières ? A quel moment cela prend place dans sa manière d’investir la ville ?
55 TRONTO Joan. « Du care ». Revues de Mauss, n°32 (2008), p 243 à 265.
56 O’DORCHAI Sile. « Egalité entre les femmes et les hommes en Wallonie ». Louvain-La-Neuve, IWEPS, 2017. Disponible en ligne : https://www.iweps.be/wp-content/uploads/2017/10/HF2017-Cahier2_DEF.pdf
57 RAIBAUD Yves. La ville faite par et pour les hommes. France : Belin, 2015, p 14.
58 Ibid., page 16.
3/ Genre & Jeu : Espaces de jeux, un micro-espace public genré
3.1 De l’enfance aux espaces publics
Vraisemblablement, cette description de la ville, cette situation de la femme dans cet espace, et le comportement qu’il engendre, n’apparaît pas du jour au lendemain. Ce type de dynamique intervient en effet très tôt dans la vie d’une jeune fille59, et c’est un processus long résultant d’une éducation par les pairs.
Pour bien le saisir, la géographe Edith Maruejouls60 se concentre sur les cours d’école et affirme que l’attitude des jeunes filles dans la cour de récréation n’est que le reflet de celui des femmes dans la ville. En ce sens, il est important d’apprendre aux enfants à partager l’espace dès l’école, en commençant par ce micro-espace public. On parle d’ailleurs d’apprentissage par le jeu61, qui permet à l’enfant de développer la motricité globale en courant, jouant au ballon et/ou grimpant, et également la motricité fine avec l’exemple des billes. L’aspect qui m’intéresse le plus est le bienfait de la cour de récréation sur le développement social de l’enfant, qui devra s’intégrer dans un groupe, se situer par rapport à celui-ci ; mais en se confrontant aussi à ses premiers conflits. Des échanges sociaux primordiaux pour se faire accepter dans cet univers, et impératifs motivés par les adultes qui poussent les enfants à communiquer entre eux. Une manière de créer des liens, et de vivre en groupe. A travers plusieurs études62 on se rend compte que les enfants développent par eux-mêmes leur propre société ; du moins très proche de ce que nous connaissons en tant qu’adulte. Une micro-société avec des problématiques et des inégalités. Une vie collective qui est érigée par des règles bien définies, formateur pour la vie future.
Une place qui doit se mériter et qui instaure une dynamique particulière à l’espace, avec cette référence à « la loi du plus fort ». Une loi qui renvoie à un rapport de force, une distinction entre « faible » et « fort » en intimidant ou blessant leur victime par la parole ou le geste63. Dans le cadre de ce mémoire, cette loi concerne la relation entre les filles et les garçons.
59 DELALANDE Julie. « La cour de récréation : permanence et mutations » [En ligne]. Presses universitaires de Caen, 2007. [Consulté le 22 mai 2021]. Disponible sur internet à l’adresse : https://books.openedition.org
60 MARUEJOULS Edith. (2014) « Mixité, égalité et genre dans les espaces du loisir des jeunes : pertinence d’un paradigme féministe ». [Thèse de doctorat en géographie]. Université Bordeaux Montaigne.
61 DELALANDE Julie. « La cour de récréation : permanence et mutations » [En ligne]. Presses universitaires de Caen, 2007. [Consulté le 22 mai 2021]. Disponible sur internet à l’adresse : https://books.openedition.org.
62 RUBI Stéphanie. « Les « crapuleuses », ces adolescentes déviantes ». Le Monde - Presses universitaires de France, Paris, 2005 ; DELALANDE Julie. « La cour de récréation : permanence et mutations » [En ligne]. Presses universitaires de Caen, 2007. [Consulté le 22 mai 2021]. Disponible sur internet à l’adresse : https://books.openedition.org ; MARUEJOULS Edith. (2014) « Mixité, égalité et genre dans les espaces du loisir des jeunes : pertinence d’un paradigme féministe ». [Thèse de doctorat en géographie]. Université Bordeaux Montaigne.
63 RUBI Stéphanie. « Les « crapuleuses », ces adolescentes déviantes ». Le Monde - Presses universitaires de France, Paris, 2005.
Dans son étude Edith Maruéjouls, informe que cette distribution de l’espace dans la cour de récréation est articulée autour d’un élément central : le terrain de foot. Ce dernier prend 80 % de l’espace, souvent interdit aux filles par les garçons qui vont les contraindre à occuper les espaces en périphérie, plus calmes et à l’abri des regards. Il y a alors un groupe dominant (les garçons), et un groupe dominé (les filles). Les filles sont limitées dans leur capacité de mouvements, puisqu’elles sont empêchées de disposer de l’entièreté du terrain, et de couvrir l’espace. Ces conditions les empêchent d’expérimenter ce qu’Edith Maruéjouls a nommé l’envahissement64, pour insister sur l’idée de concept en termes d’occupation de l’espace et de la prise de position quelque part. Elles finissent ainsi par adopter des stratégies résilientes en se contentant de l’espace qui leur est laissé. Edith Maruéjouls, invoque une notion de « spatialisation de la virilité »65 qui distribue les espaces de la cour entre les espaces dominants et les espaces en dehors de ceux-ci. Ces derniers font référence à des endroits de la cour où aucune règle discriminante n’est érigée, et où les endroits sont utilisés de manière égale. C’est alors que je me suis posé cette question : comment expliquer le comportement genré au sein de la cour de récréation ? Pourquoi cet espace de jeu amène une inégalité de genre ?
Maccoby66, explique que c’est la présence physique des pairs qui incitent les enfants à réagir et à agir selon leur genre, autrement dit, ce sont les rapports sociaux qui contribuent à la reproduction des rôles genrés dès le plus jeune âge. De l’avis de Marylène Lieber, c’est aussi le fait que le lieu soit « non-encadré »67 par les adultes qui entraînent un tel processus. Mais cela se doit aussi à un mimétisme, à une imitation du fonctionnement des adultes. En d’autres termes les rapports de genres entres les enfants ne sont que le résultat d’une reproduction et d’une observation des adultes68 . Malheureusement, cela attire l’attention sur cette division de l’espace pour jouer. Se faire interdire un endroit parce qu’on est une fille, ou un garçon qui ne correspond pas aux conventions sociales habituelles est parfois la première forme de discrimination, d’injustice et d’inégalité de genre. Les filles sont limitées dans leurs droits, tout en leur imputant une image fragilisée qui va malheureusement les poursuivre dans leurs propres représentations. Ce constat n’est pas non plus sans conséquence pour les garçons qui sont assignés au terrain de foot en leur
64 BROUZE Emilie. « Comprendre les inégalités dans la cour d’école par Edith Maruéjouls ». Genre et ville, février 2017. Disponible en ligne : http://www.genre-et-ville.org/comprendre-les-inegalites-dans-la-cour-decolepar-edith-maruejouls/
65 MARUEJOULS Edith. (2014) « Mixité, égalité et genre dans les espaces du loisir des jeunes : pertinence d’un paradigme féministe ». [Thèse de doctorat en géographie]. Université Bordeaux Montaigne.
66 MIEYAA Yoan, ROUYER Véronique, LE BLANC Alexis. « La socialisation de genre et l’émergence des inégalités à l’école maternelle : le rôle de l’identité sexuée dans l’expérience scolaire des filles et des garçons ». Inégalités sociales et orientation, n°1 (2012), disponible en ligne : https://journals.openedition.org/osp/3680 apprenant à dominer ce qui est autour. Les individu/es sont alors rangé/es dans des cases en fonction de stéréotypes sur les comportements liés à leur genre ou leur sexe.
67 NORDSTRÖM Maria. « L’utilité des cours d’école dans la construction de l’identité de genre : observations des activités pratiquées par les filles et les garçons âgés de 12 ans pendant la récréation ». in Enfants et jeunes dans les espaces du quotidien, Rennes, 2010, page 21 à 34.
68 Ibid.
Cette segmentation spatiale en fonction du genre est donc présente dès l’école et transposée par la suite à l’âge adulte chez les femmes. Je me suis donc interrogée sur l’entre deux. Est-ce que cette inégalité de genre se retrouve dans d’autres espaces ludiques ? Et plus spécialement dans les espaces publics ?
3.2 Le jeu comme usage de la ville
Bien avant l’arrivée de la voiture dans les villes, il était commun de voir les enfants jouer dans les rues sans se soucier d’un quelconque danger, en profitant d’un vaste espace sans limite. Une liberté de jeu qu’aujourd’hui, on ne retrouve plus, à cause d’un réaménagement des espaces urbains. Le but étant donc de les fragmenter en leur donnant à chacun une fonction, limitant alors les enfants dans leur façon d’approprier l’espace en jeu69 , et les excluant du reste de l’espace public. Cette tendance à mettre de côté l’enfant et ne pas l’inclure dans nos espaces publics, les amènent à être cloisonnées dans des aires de jeux… Pourtant, Philipe Aries70 soulignait déjà en 1970 le problème de nos villes par rapport à nos espaces urbains, qui selon lui devait être repensés pour les enfants et pour les adultes. Dès lors, pour Clément Rivière71, les enfants sont des bons révélateurs du rapport qu’entretiennent les citadin/es aux espaces publics, en comprenant leur utilisation et leur fonctionnement. De surcroît, la ville est un élément important dans la vie d’un enfant, puisqu’ils apprennent à connaître l’environnement et le monde en agissant sur lui72 Le rapport Jeu dans la ville parle de transformation lorsque qu’un enfant « découvre son milieu dans une interaction constante, en le transformant autant qu’il se laisse former par lui »73. Ils évoquent les bienfaits de l’espace sur la formation d’un enfant, à travers lequel il forge sa personnalité, « laisse son empreinte et devient acteur74 ». Les enfants ont cette capacité à
69 PAQUOT T. « La ville récréative : enfants joueurs et écoles buissonnières ». Infolo, 2015 [consulté le 10 janvier 2021]. Disponible sur internet à l’adresse :http://www.barricade.be/publications/analyses-etudes/penser-une-villeenfants-admis-une-proposition-un-espace-urbain-plus
70 ARIES P. 1993 [1979]. « L’enfant et la rue, de la ville à l’antiville ». Essais de mémoire, 1943- 1983, Paris, Éditions du Seuil, p. 233-254. [Consulté le 08 janvier 2021].
71 RIVIERE Clément. « Les enfants, révélateurs de nos rapports aux espaces publics » [En ligne]. 2012. Revue métropolitiques, mis en ligne le 18 juin 2012 [consulté le 10 janvier 2021]. Disponible sur internet à l’adresse : www.metropolitiques.eu
72 MILLER Carolyn. « Genre as Social Action ». Quarterly Journal of Speech, 70 (1984), p 151 à 167. Disponible sur internet à l’adresse : https://oportuguesdobrasil.files.wordpress.com/2015/02/miller_genre_as_social_action.pdf
73 BRUXELLES ENVIRONNEMENT. « Le jeu dans la ville-Pour un maillage jeux à Bruxelles » [En ligne]. Environnement. Brussels, 2015, p 115. [Consulté le 14 décembre 2020]. Disponible sur internet à l’adresse : https://document.environnement.brussels/opac_css/elecfile/BRO_JeuDansVille_FR.pdf
74 BRUXELLES ENVIRONNEMENT. « Le jeu dans la ville-Pour un maillage jeux à Bruxelles » [En ligne]. Environnement. Brussels, 2015, p 91. [Consulté le 14 décembre 2020]. Disponible sur internet à l’adresse : https://document.environnement.brussels/opac_css/elecfile/BRO_JeuDansVille_FR.pdf transformer n’importe quoi en jeu. Cette série d’arguments soutient l’utilité d’étudier le rapport entres les enfants et les espaces publics.
D’ailleurs, lorsque l’enfant est libre de ses mouvements, il n’est pas rare de les voir s’approprier l’espace public à leur manière, en particulier les espaces aux formes organiques qui suscitent leur appropriation sans en définir l’usage à priori, à contrario de modules de jeux formels comme les voitures ou les petits trains. Cette liberté de mouvement sera essentielle pour pouvoir comprendre la dynamique de l’espace par le prisme des enfants. En effet, ce qui différencie de la cour de récréation, c’est que les espaces publics peuvent être envisagés comme des espaces dépourvus d’encadrement dans la mesure où il n’est pas fermé et sous surveillance constante. Cette opposition est cependant à nuancer, d’une part les professeur/euses chargé/es de surveiller la cour interviennent peu et laisse les enfants décompresser ; d’autre part, les parents accompagnent et suivent leurs enfants dans l’espace et dans leur jeu par soucis de sécurité. Ce comportement limite la spontanéité d’utilisation que pourrait avoir l’enfant dans l’espace. De plus, dans l’aménagement de l'espace public, la place du jeu est souvent reléguée aux zones définies, tel que les aires de jeux75. Ce contrôle réduit la place des enfants dans le reste de l’espace et notamment pour les enfants en bas âge. En effet, au début de mes observations, j’ai compris que les comportements genrés seraient difficiles à observer chez les plus petits. D’une part, les parents sont plus présents auprès des enfants de moins de 6 ans, d’autre part, la conscience du genre arrive vers l’âge de 7 ans.
L’article L’identité sexuée du jeune enfant : actualisation des modèles théoriques et analyse de la contribution paternelle76 explique le processus de la prise de conscience du genre. En voici un résumé succinct, pour justifier la position de ce mémoire. Pendant les trois premières années, l’enfant se trouve à l’étape de l’identité sexuelle, il sait reconnaître son propre sexe, et celui des autres. C’est-à-dire que les enfants dès cet âge vont comprendre ce qu’il leur est assigné en fonction de leur sexe, par exemple être policier pour le petit garçon et marchande pour la petite fille. Après cette étape, vers 3-4 ans « au stade de la stabilité de genre, comprends que le genre est stable dans le temps »77. C’est alors que l’enfant va se modeler en fonction des caractéristiques de son propre sexe, et se dirige vers ce que la société veux de lui. En effet, un enfant qui se comportera en décalé par rapport à son sexe, ne sera accepté que difficilement par les autres. Les premiers stéréotypes sexuels apparaissent à ce moment-là, en définissant un code à suivre pour
75 HUBAUT Sophie. (2013). « Jouer à Bruxelles : Winnicott comme clé de lecture des politiques et pratiques urbaines ». Mémoire de master, La Cambre Horta ULB.
76 ZAOUCHE-GAUDRON Chantal et ROUYER Véronique. « L’identité sexuée du jeune enfant : actualisation des modèles théoriques et analyse de la contribution paternelle ». Construction et affirmation de l'identité chez les filles et les garçons, les femmes et les hommes de notre société. Volume 31 (2002), p 523 à 533
77 Ibid chaque sexe. Par la suite « Aux alentours de 5 ans, l’enfant rentre dans le stade de la constance de genre et comprend que le genre est constant au-delà du temps et des situations. L’identité sera définitivement stable vers 7 ans »78. Cependant ; le comportement genré entre les sexes est presque absent chez les bébés et les jeunes enfants. On note, évidemment, l’importance d’agir dès le début pour éviter les stéréotypes, mais dans notre cas d’étude, il sera plus important de sélectionner les enfants dès l’âge de 7 ans (environ) afin d’observer les comportements genrés qui m’intéresse
3.3 Les espaces publics et les jeunes filles Après avoir étudié la dynamique genrée de la cour de récréation, je me suis interrogée sur la façon dont les espaces publics sont vécus par les jeunes filles. Pour cela, il est intéressant de prendre connaissance des études déjà réalisées dans nos espaces publics avec ce regard du genre sur les enfants.
Dans un premier temps, plusieurs études démontrent les difficultés pour les adolescent/es à intégrer les espaces publics. Souvent critiqué par les adultes qui les considèrent comme trop bruyants, ils doivent affirmer leur présence Ce procédé est encore plus dur pour une jeune fille qui doit affirmer un « droit de présence »79. Danic écrit à ce sujet :
« Lorsqu’ils sont autorisés à investir le quartier par leurs parents, les ados garçons peuvent y trouver aisément une place, au contraire des filles, que ce soit aux terrains de foot, dans les rues ou dans les équipements socio-éducatifs. »80
Le terme « place » induit que les garçons sont légitimes dans les espaces publics, ils se déplacent jusqu’au lieu-dit, et l’accueil se fait naturellement. Pourquoi est-ce si différent pour les jeunes filles ? Comme vu précédemment, bien souvent les équipements ne sont pas adaptés pour les filles, et leur sont interdits par le genre dominant. Un combat qui en décourage plus d’une, et les incite à déserter nos espaces publics. Leur abandon de l’espace public amène une disparition des activités de loisirs mixtes, et repli également les filles sur des activités plus conformes à leur genre, en rendant plus visible cette notion de stéréotypes. Par conséquent, la jeune fille se contente « d’espace de retrait »81, loin des regards, et des provocations des garçons. Ces espaces sont généralement dans les espaces les plus calmes des parcs et protégés par des éléments végétaux ou construits.
78 ZAOUCHE-GAUDRON Chantal et ROUYER Véronique. « L’identité sexuée du jeune enfant : actualisation des modèles théoriques et analyse de la contribution paternelle ». Construction et affirmation de l'identité chez les filles et les garçons, les femmes et les hommes de notre société. Volume 31 (2002), p 523 à 533.
79 DANIC Isabelle « Les places des adolescent.e.s en zone urbaine sensible, entre attribution, appropriation et retrait » Les Annales de la recherche urbaine, N°111(2016), p 78-89
80 Ibid.
81 ASBL GARANCE. « Femmes au parc ! Améliorer l’accés des femmes aux espaces verts ». [En ligne] Garance ASBL, septembre 2017 [consulté le 15 avril 2022]. Disponible sur internet à l’adresse : http://www.garance.be/docs/17FAPRapportfinalRegion.pdf

Par ailleurs, le contrôle parental impacte énormément sur la liberté des adolescentes, et des jeunes filles. D’après Clément Rivière82, à partir de la puberté, les jeunes filles deviennent plus vulnérables aux yeux de leurs parents, qui sera définit par Lieber de « peur sexuée » 83 C’est pourquoi les parents seront plus stricts envers leur fille, en contrôlant leurs habits, l’heure de sortie etc…
Cette différence d’attention entre les filles et les garçons contribue à alimenter cette peur urbaine, en interdisant, ou en reléguant les filles à certains espaces. Par ailleurs, la société alimente cette restriction spatiale, et ces inégalités de genre. Je me suis demandée alors si les espaces publics peuvent être responsables de ces inégalités vis-à-vis des jeunes filles ?
La partie qui va suivre, permettra de comprendre si ces inégalités de genre sont prises en considération lors des décisions politiques
4. Etude de genre en ville
4.1 Politique du gender mainstreaming
La brochure de l’Institut Bruxellois de Statistiques et d’Analyse de 201484 explique à quel moment le genre apparaît dans la politique en Europe, les objectifs que celle-ci recommande pour les projets à venir. Mais aussi sur l’évolution du genre en Europe, dont en Belgique.
La conscience du genre est apparue dans la politique publique en 1995 grâce à la conférence mondiale sur les femmes des Nations Unies qui se déroulait en Chine cette année-là. Les pays présents se sont donc engagés à « faire progresser les objectifs d’égalité, de développement et de paix pour les femmes du monde entier »85. Un outil est alors créé dans le but d’aider à remplir ces objectifs, c’est « La Plate-forme d’Action de Pékin ». Cette mise en place, qui date d’il y a 27 ans, s’adonne à une volonté d’aboutir à une égalité entre les hommes et les femmes. L’Union européenne et le Conseil de l’Europe, ont mis en place des outils et des moyens pour amener cette égalité dans notre société et dans nos politiques. La Belgique a adopté cette position genrée dans sa politique, tant au niveau fédéral qu’à la Région de Bruxelles capitale:
« Article 4 de la loi fédéral gender mainstreaming du 12 janvier 2007 : En vertu de l’article 4 de la loi gender mainstreaming, il est clairement stipulé que « les services
82 RIVIERE Clément. « Les enfants, révélateurs de nos rapports aux espaces publics » [En ligne]. 2012. Revue métropolitiques, mis en ligne le 18 juin 2012 [consulté le 10 janvier 2021]. Disponible sur internet à l’adresse : www.metropolitiques.eu
83 CARDELLI Rébecca. « Les déplacements des femmes dans l’espace public : ressources et stratégies »
Dynamiques régionale, n°12, (2021), pages 102 à 121.
84 KALENGA-MPALA Roger. « Genre et statistiques en Région de Bruxelles-Capitale ». Institut Bruxellois de Statistiques et d’Analyse, mai 2014. Disponible en ligne : https://ibsa.brussels/sites/default/files/publication/documents/FOCUS-4-FR-final.pdf publics fédéraux, le Ministère de la Défense, les services publics de programmation, les institutions publiques de sécurité sociale, les établissements scientifiques fédéraux et les organismes d’intérêt public veillent à ce que toutes les statistiques qu’ils produisent, collectent, et commandent dans leur domaine d’action soient ventilées par sexe et que des indicateurs de genre soient établis »86
85 Ibid. Page2.
« Article 4 de l’ordonnance de la Région Bruxelles-Capitale concernant le genre du 29 mars 2012 :
L’article 4 de l’ordonnance du 29 mars 2012 précise que « chaque ministre et secrétaire d’État veille, dans les domaines relevant de ses compétences, à ce que les statistiques que les services publics bruxellois et les organismes d’intérêt public bruxellois produisent, collectent, et commandent dans leur domaine d’action soient ventilées par sexe et que des indicateurs de genre soient établis si c’est pertinent »87
Les instances publiques doivent veiller à ce que les statistiques ventilées par sexe soient produites avec la dimension de genre. Cette analyse permettra d’identifier les inégalités de genre dans les chiffres, et ainsi proposer des solutions pour rééquilibrer la balance. Malgré cette mise en place, nous sommes encore loin d’un bouleversement au niveau des espaces publics. Qu’en est-il alors de nos décisions et de nos planifications urbaines ?
Dans les années 1990, les femmes n’étaient pas incluses dans le milieu de politique urbaine, que ce soit dans les prises de décisions, mais aussi dans les espaces publics. Les femmes sont souvent une minorité de l’espace, auprès desquelles il faut apporter une attention particulière pour les intégrer. C’est alors que le genre commence à apparaître dans la politique en Europe. En effet, la conscience du genre est apparue dans la politique publique en 1995 grâce à la conférence mondiale sur les femmes des Nations Unies qui se déroulait en Chine cette année-là. Les pays présents se sont donc engagés à « faire progresser les objectifs d’égalité, de développement et de paix pour les femmes du monde entier »88
Compte tenu de l'importance des questions de genre dans l'espace public, celui-ci a été intégré aux approches d'aménagement et de gouvernance urbaine sous le principe du gender mainstreaming La démarche de gender mainstreaming se base sur la notion d’égalité de genre promue par l’Organisation des Nations Unies (ONU). Le but étant de réorganiser, améliorer, faire évoluer et évaluer les processus de prise de décision afin d’appliquer une égalité entre les femmes et les hommes dans tous les domaines par les
86 KALENGA-MPALA Roger. « Genre et statistiques en Région de Bruxelles-Capitale ». Institut Bruxellois de Statistiques et d’Analyse, mai 2014, page 3. Disponible en ligne : https://ibsa.brussels/sites/default/files/publication/documents/FOCUS-4-FR-final.pdf acteurs concernés dans la mise en place politique. En soit, et comme il a été évoqué dans la partie précédente, c’est de cette manière que les inégalités seront évitées. Le but est donc de prendre des décisions où tout individu est traité avec égalité, sans favoriser un genre plutôt qu’un autre.
87 Ibid.
88 Ibid , page 2.
Il existe aussi un autre engagement sur l’intégration du genre dans l’action publique. Dans la continuité du gender mainstreaming, « des maires et des bourgmestres membres du Conseil, de plusieurs unions des villes, d’associations de pouvoirs locaux et de fédérations de municipalités provenant de plusieurs pays et régions d’Europes »89 se sont réunis pour faire émerger une charte européenne pour l’égalité des femmes et des hommes le 12 mai 2006 « Depuis lors, toute localité désireuse de renforcer l’égalité entre les femmes et les hommes peut signer cet instrument »90, c’est-à-dire que chaque localité choisie ou non de s’engager. Dès lors, l’attention à cette conscience du genre est grandissante. Pourtant, cela reste toujours un combat pour qu’elle soit prise en compte dans les décisions urbaines. Pourquoi est-ce si difficile ?
Tout d’abord parce que le gender mainstreaming « figure parmi les missions de l’Union européenne, mais n’a pas pour autant acquis le statut d’engagement contraignant »91. Ce qui veut dire qu’il a un statut politique, et non-juridique. Les pays européens choisissent de s’engager ou non, mais le gender mainstreaming ne prévoit pas de réponse légale aux problèmes que son (absence d’) application peut soulever »92 Cet outil est donc, comme pour la charte européenne, de prime abord, un bon moyen d’intégrer cette conscience d’égalité des sexes au sein des politiques, néanmoins, elle n’est pas rendue obligatoire, et déséquilibre tout le processus.
Au-delà des moyens mis en place, il est aussi compliqué de rompre avec les idéologies et les habitudes sociétales. Par ailleurs, Tummers dans son article Stéréotypes de genre dans la pratique de l’urbanisme93 explique par le fait que « le genre, dans l’urbanisme, ne concerne pas seulement l’utilisation de l’espace physique, mais interfère avec des notions ancrées dans la culture, telles que la communauté et l’identification »94. La société est ancrée sur des idéologies, sur une culture et sur une façon de penser bien déterminer. De
89 DE VOS Dominique. « Activisme juridique - La Charte européenne pour l’égalité entre les hommes et les femmes au niveau local. A la recherche d’une ville femmes admises ». E-legal ulb, volume 3, février 2020,. Disponible en ligne :https://e-legal.ulb.be/volume-n03/hommage-a-eliane-vogel-polsky/axe-3-activisme-juridiquela-charte-europeenne-pour-l-egalite-entre-les-hommes-et-les-femmes-au-niveau-local-a-la-recherche-d-une-villefemmes-admises.
90 Ibid
91 JAQUOT Sophie. « Le gender mainstreaming et l’Union européenne : quels effets ? » Lien social et politiques, n°63 (2013) p 17-34. Disponible en ligne : https://www.erudit.org/fr/revues/lsp/2013-n69-lsp0644/1016482ar/
92 Ibid
93 TUMMERS Lidewij. « Stéréotypes de genre dans la pratique de l’urbanisme ». Travail, Genre et Sociétés , n°33 (2015), p 67-83. Disponible en ligne : https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2015-1-page-67.htm plus, nous pouvons rappeler Marylène Lieber qui stipulait que les hommes étaient beaucoup plus présents que les femmes dans les prises de décisions politiques urbaines Ce qui vient, une fois de plus, entacher cette évolution d’égalité de genre dans les espaces urbains.
94 Ibid.
Dès les années 2000, des projets pilotes apparaissent, en se considérant comme des modèles à suivre en termes d’inclusion et d’égalité genrée. Souvent, ces projets, ont pour but d’intégrer les femmes dans le processus, mais aussi dans la manière dont le projet est pensé en les prenant en compte. Certaines villes européennes s’engagent à respecter le principe de gender mainstreaming dans leurs politiques d’aménagement. Elles parviennent à s’adapter à cette révolution du genre, et à proposer des espaces publics de qualité95 . C’est en particulier le cas de Vienne, considérée par l’ONU comme une figure d’exemple en la matière96. Son objectif est de rendre la ville plus inclusive et égalitaire, avec une intention à la rendre plus sécuritaire et plus pratique pour les femmes.
Pour ce faire, la ville va analyser tous les projets du secteur public, avant réalisation, en intégrant à chaque fois cette question du genre. Elle va également publier un manuel97 sur l’intégration de la dimension du genre qui renseigne sur la manière d’appliquer correctement le gender mainstreaming. La ville donne des critères 98 à respecter dans la prise au sérieux de cette notion. En voici certains :
« Les aspects de genre sont systématiquement visibles dans le projet définition, objectifs, mesures et évaluation » ; « L'intégration du genre est directement liée au projet » ;
« Utilisation de la budgétisation sensible au genre, en veillant à ce que les femmes et les hommes bénéficient des investissements de manière équilibrée ».
Sur ce dernier point, la ville de Vienne tente également de rééquilibrer le partage de la ville et a adopté le gender budgeting soit la budgétisation sensible au genre. Une mesure qui implique une évaluation du budget avec une perspective du genre à tous les niveaux, toujours dans l’objectif de promouvoir une égalité entre les hommes et les femmes.
95 Exemple type de parc à Viennes : Einsiedlerpark, Alois-Drasche-Park, Rudolf bednar…
96 CHARREL Marie. « Vienne, pionnière des villes sensibles au genre ». Le Monde. Novembre 2021 4 [consulté le 27 juillet 2022]. Disponible sur internet : https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/11/03/vienne-pionnieredes-villes-sensibles-au-genre_6100726_3234.html
97 VILLE DE VIENNE. Gender Mainstreaming – Made easy. Vienne : Stadt Wien, 2021. 98 Annexe n°1.


La ville de Vienne met aussi en avant des éléments qui pourraient sembler anodin dans l’aménagement urbain, mais qui véhicule pourtant des inégalités de genre. Elle cite notamment les cimetières, avec des études qui ont révélé que la majorité des visiteurs étaient des femmes âgées. Il est donc essentiel d’installer des bancs, ainsi que des toilettes publiques pour améliorer leur confort. L’éclairage public est aussi une notion à prendre en compte. Souvent, à l’origine d’un sentiment d’insécurité chez les femmes, il est important d’en installer le plus possible dans la ville. Un autre exemple notable est celui des toilettes publiques. La ville ne donne pas accès aux toilettes pour tous, les femmes ont plus de difficultés que les hommes de trouver un WC rapidement lors d’une balade. L’enjeu est donc de rétablir cette situation en ajoutant des toilettes publiques dans nos villes. Une considération du genre féminin et des petites actions qui tentent d’éliminer les stéréotypes.
Néanmoins, il est possible que ces interventions agissent dans le sens inverse. Malgré leur bonne volonté, il est notion de « ville rose »99 tous les aménagements destinés aux femmes (wagon de tram rose, place de parking rose dédiée aux femmes…) pour éviter un harcèlement et faciliter l’appropriation de l’espace. Ces solutions apportées reproduisent la division des sexes et les rapports de domination en s’attaquant finalement aux conséquences plutôt qu’aux causes du problème qui, elles ne sont pas prises à bras-lecorps. Le message transmis à travers ces propositions est en effet celui de « protégez vos filles » plutôt que « éduquez vos fils ». En effet, elle écrit que « la prise en compte des idées féministes en aménagement est encore loin d’avoir bouleversé en profondeur les théories urbanistiques et leur application ». Même si elle observe une nette augmentation au niveau des projets qui se disent féministes, l’impact n’a pas encore été bouleversant dans la conception en général.
Après avoir relevé ces éléments de recherches, j’ai compris que cette notion d’inégalité de genre dans la ville mettait en place des concepts et des moyens pour remédier à la situation. Cette question n’est pas oubliée, elle est juste mal connue et surtout pas assez mise en valeur dans certains pays telle que la Belgique Mais alors comment suivre le modèle de la ville de Vienne en terne d’inclusion du genre dans le domaine urbain ? Il y a-t-il une méthode à suivre pour créer un espace égalitaire pour tous ?
99 BIAROTTE Lucile. « Féminisme et aménagement : influences et ambiguïtés. La diffusion internationale d’initiatives d’urbanisme dédiées à l’émancipation des femmes ». Les annales de la recherche urbaine, N°112, 2017.
4.3 Les outils mis en place : l’existence de grilles d’analyse
Les grilles d’analyses proposent une multitude de critères qui permettent d’identifier la position sur la question du genre de l’espace public. Ce type d’outils est conseillé auprès des concepteurs afin qu’ils soient sensibilisés à une série d’éléments à prendre en compte pour un espace égalitaire. C’est pourquoi, il est essentiel pour ce mémoire de s’en saisir. Notamment, auprès du guide établis par la mairie de Paris réalisé en 2016100, car il englobe un panel large de thématiques intéressantes sur le genre, et qui seront utile pour nos observations. Il sera essentiel d’établir une confrontation avec d’autres grilles, afin de comprendre leurs similitudes et/ou leurs différences.
Dans un premier temps, nous allons revenir à la méthode d’Edith Maruéjouls et de sa recherche sur la cour de récréation. Lors de son absence, elle demandait aux enseignants de remplir ce qu’elle a appelé une fiche d’observation de la mixité101. Ils devaient, alors spécifier le moment de la journée pendant lequel il faisait leur observation et le lieu de la cour. Ensuite, deux rubriques étaient à remplir. La première la renseignait sur le nombre exact de garçons et de filles dans cet espace, avec une précision sur ce qu’ils y faisaient. La deuxième concernait l’« évolution durant le temps de récréation : intrusions de filles, de garçons, réactions, élèves isolés, passifs, conflits éventuels, pourquoi ? ». Edith Maruéjouls récoltait ainsi des informations sur l’usage de l’espace via ce court formulaire. C’est une manière simple et efficace de faire l’état de la situation, et d’en comprendre la dynamique. De plus, les questions restent générales et du domaine de la description. Bien évidemment, d’autres questions se révèleront, plus spécifique à un terrain, et varieront en fonction de l’espace. C’est ce que propose l’ASBL Garance pour un contrat de quartier aux Marolles à Bruxelles, en constituant une feuille de route102 abordant une multitude de question sur le genre. Ces questions, et notamment les réponses à celles-ci, permettent de constituer un diagnostic, puis un bilan sur la position du projet en termes d’inclusivité du genre. Cette méthode est une première piste méthodologique pour l’intégration du genre dans les contrats de quartier. Puisqu’elle se focalise sur des pistes d’actions et des outils dans le but « de faciliter l'appropriation du genre par les différent.e.s actrice.eur.s dans leur travail »103. Ils procèdent, en premier lieu, « à la phase d’élaboration, qui est dédié à
100 Annexe n°2.
101 Annexe n°3.
102 ZELLINGER I. et CHINIKAR R. « Intégration du genre dans le dispositif des contrats de quartier ». Garance, juin 2020. Disponible en ligne : http://www.garance.be/IMG/pdf/feuille_de_route_pdf_.pdf l’analyse des besoins, des souhaits et des priorités de revitalisation dans un quartier »104 . Voici, des exemples de questions qu’ils se posent pour cette étape : o « Est-ce que pour chaque thématique du diagnostic, des efforts ont été faits pour réunir des informations sur l’impact de genre ? » o « Quels sont les publics cibles qu’il est nécessaire d’inclure dans le contrat de quartier ? Quels sont les publics qui sont le moins représentés en général ? Comment assurer la représentation de toutes ces personnes ? »
103 Ibid. Page 3.
Par la suite, l’ASBL Garance s’interroge sur des notions beaucoup plus spécifiques au projet sur lequel il travaille. Cette partie, peut être intéressante à étudier, afin de prendre connaissance de la façon dont ils procèdent pour intégrer cette notion de genre dans un projet défini. En l’occurrence, pour ce rapport, ce sont des questions qui ont été « soumises au bureau d'étude en charge des bains de Bruxelles dans le cadre de notre mission au sein du CdQ Marolles »105. Voici un exemple de questions qui ont été inspirantes pour la suite : o « Comment l'aménagement peut-il avoir un impact sur le harcèlement sexiste envers les femmes et les filles ? » o « L'exploitation de la piscine se fait-elle différemment en fonction du genre ? »
La feuille de route porte de l’intérêt, aussi, pour les concepteurs. Selon, l’ASBL Garance :
« La question du genre ne doit pas être l'apanage « d'experte.s en genre », mais être un objet d'attention de tou.te.s les acteurs et actrices impliqué.e.s dans les CdQ : des habitantes aux pouvoirs subsidiant en passant par les équipes et responsables de projet et les bureaux d'étude»106
C’est pourquoi ils se posent la question suivante : « Les bureaux d'études sélectionnés prévoient-ils une analyse de genre dans leurs études ? ». Il n’est, en effet, pas négligeable de prendre en compte la position des concepteurs dans cette conscience du genre.
Pour terminer, l’ASBL Garance évoque « la valorisation des espaces publics »107. Une rubrique qui souhaite sensibiliser les contrats de quartier, en les avertissant sur la façon d’aménager l’espace public, afin d’éviter de renforcer les inégalités. Encore une fois, la série de question proposée, reste très générale, et peut s’appliquer à ce mémoire : o « Qui est présent.e (absent.e) dans l'espace et qu'est-ce qu'il.elle fait ? » o « Comment les personnes s'approprient les espaces ? »
104 Ibid , page 6.
105 Ibid , page 6.
106 ZELLINGER I. et CHINIKAR R. « Intégration du genre dans le dispositif des contrats de quartier ». Garance, juin 2020. Disponible en ligne : http://www.garance.be/IMG/pdf/feuille_de_route_pdf_.pdf o « Quel sera l'impact de chaque aménagement sur l'utilisation des espaces par les femmes et les filles ? »
107 Ibid , page 11.
A présent, nous allons nous intéresser au guide108 référentiel sur le genre et les espaces publics édité par la mairie de Paris. Il évoque les questions à se poser et les indicateurs à prendre en compte pour un environnement urbain égalitaire.
Il s’organise autour de cinq thématiques : circuler, occuper l’espace, être présentes et visibles, se sentir en sécurité et enfin participer. L’objectif étant de se poser de nouvelles questions pour permettre un regard neuf sur l’espace public, la mairie de Paris espérant ainsi une amélioration à ce sujet. Chaque thématique est présentée avec les idées reçues les concernant. Ce travail permet de faire le constat de ce que la société peut penser de l’espace public, avec des idées reçues bien loin de la réalité. La mairie de Paris démontre que ces pensées ne sont pas du tout intégrées dans nos villes. Pour cela, ils proposent sept questions à se poser pour remédier à la situation, pour ensuite soumettre des pistes d’actions. Celle qui nous intéressera le plus est la thématique « occuper l’espace » qui se rapproche de notre question de recherche.
Néanmoins, on constate dans le guide de la mairis de Paris l’absence de thématiques concernant les jeunes filles. Tous, ont pour focale la place des femmes dans la ville. Alors qu’au début de celui-ci il est question de « droit à la ville »109 et donc de la « (ré)appropriation de l’espace public par les femmes et les jeunes filles »110. Pourtant, dans le développement du rapport, la place des jeunes filles semble mise à l’écart. Il est vrai qu’il en est notion une dizaine de fois, mais nous nous rendons compte que le sujet n’est pas abordé complétement. L’ASBL Garance semble y faire plus attention dans leur feuille de route111, en différenciant les femmes des filles. Pour la plupart des questions, l’ASBL sépare la situation des filles aux femmes, et considère que ce sont deux attitudes différentes. Ce mémoire, est en phase avec cette position, et se veut de proposer une grille d’analyse qui intégrera la place des jeunes filles.
108 MAIRIE DE PARIS. « Guide référentiel Genre & espace public ». Paris, octobre 2016. Disponible en ligne : https://api-site.paris.fr/images/85756
109 LEFEBVRE Henry. Le droit à ville. Economica, 2009.
110 MAIRIE DE PARIS. « Guide référentiel Genre & espace public ». Paris, octobre 2016, page 13. Disponible en ligne : https://api-site.paris.fr/images/85756
111 ZELLINGER I. et CHINIKAR R. « Intégration du genre dans le dispositif des contrats de quartier ». Garance, juin 2020. Disponible en ligne : http://www.garance.be/IMG/pdf/feuille_de_route_pdf_.pdf


Cette étude sur ces grilles a démontré que l’intégration du point de vue des enfants n’est pas un critère pris en compte. Le jeu des enfants est alors complétement absent, et n’est pas associé dans cette notion de conception genrée des espaces publics. Il est certes mention, dans les grilles, de ces publics délaissés dans les espaces urbains, mais le travail ne va pas plus loin. Les grilles ne se rapportant généralement qu’aux relations entre les femmes et les espaces publics. C’est pourquoi, il sera intéressant, à partir de nos observations, de fournir un certain nombre de critères à prendre en compte pour rendre la vie publique plus égalitaire. Ce constat m’a poussé à m’interroger sur les études en termes de jeu. Est-ce que nous retrouvons une volonté d’intégrer une égalité de genre dans les espaces ludiques ?
5. Bruxelles, le genre et le jeu
5.1 Le Maillage jeu
L’espace public est un lieu attrayant pour le jeu des enfants. L’absence d’équipement de jeux dédiés112 ne veut pas forcément dire que l’espace sera moins attractif en termes de jeu. Pourtant le rapport Jeu dans la ville met à disposition une liste d’éléments pour rendre l’espace plus ludique. Les équipements ne sont peut-être pas nécessaires, mais d’après eux il faut tout de même rendre attractif l’espace. Une attractivité qui se matérialise, selon eux, par plusieurs critères tels que, « le relief et la topographie », «la constitution du terrain et du sol », « la localisation et l’accessibilité de la zone », « l’espace disponible pour le jeu », « la valeur naturelle de l’espace ». Dans le maillage jeu par Bruxelles Environnement, il est d’ailleurs question des espaces formels et informels dans leurs grands principes de ce remodelage : « intégrer dans le paysage (notamment dans les espaces verts, sur les places…), des éléments informels qui stimulent le jeu. A l’inverse, intégrer des caractéristiques du paysage (arbre, pente, relief…) dans les zones de jeux formelles »113. Le but étant, de redonner une attractivité aux zones de jeux, tout en prenant compte des caractéristiques de l’un et de l’autre. Il est intéressant de voir qu’il y a une envie d’introduire des « éléments qui stimulent le jeu »114 dans nos espaces publics. Partant de cela, et de cette question d’espace ludique, je me suis questionnée sur leur position en termes de genre ? Est-ce que dans leurs études au sujet du jeu dans la ville, cette conscience d’égalité des genres est prise en compte ?
112 BRUXELLES ENVIRONNEMENT. « Le jeu dans la ville-Pour un maillage jeux à Bruxelles » [En ligne]. Environnement. Brussels, 2015, p 115. [Consulté le 14 décembre 2020]. Disponible sur internet à l’adresse : https://document.environnement.brussels/opac_css/elecfile/BRO_JeuDansVille_FR.pdf
113 BRUXELLES ENVIRONNEMENT. « Le jeu de mailles ». Environnement.brussels », mai 2020. Disponible en ligne : https://environment.brussels/node/1887
114 Ibid
Le maillage jeu est un plan visant à assurer une répartition juste et équilibrée des aires de jeux dans Bruxelles en tenant compte de leur diversité (taille, zone ‘influence, tranche d’âge, types d’aménagements…). Le but étant de redonner aux enfants « une place privilégiée »115 Cependant la question que je me pose c’est la façon dont ce remaniement des espaces ludiques est appliqué en termes de genre. Allant dans ce sens, le rapport116 propose des lignes de conduite afin d’encadrer ce maillage jeu. C’est alors que quatorze rubriques sont mises à disposition, dont deux d’entre-elles sont interpellant, l’une « Les garçons et le jeu : privilégier le sport » et l’autre « Les filles et le jeu : privilégier les espaces familiaux et conviviaux ».
Non seulement, les propos sont basés/reproduisent des stéréotypes genrés et cloisonnent les genres dans des cases mais les photos qui illustrent les propos posent aussi question. Pour les garçons, nous voyons un espace extérieur, tandis que pour les filles, la photo montre le devant d’une maison. Comme si une jeune fille ne pouvait pas s’éloigner de son domicile et s’aventurer au-delà de la porte familiale.
D’autant plus que la question du sport et des espaces verts a été actualisé récemment dans l’étude de Bruxelles Environnement, « Sport et espaces verts en Région bruxelloise »

117 Elle
115 BRUXELLES ENVIRONNEMENT. « Étude pour un redéploiement des aires ludiques et sportives en région Bruxelles-Capitale » [En ligne]. Environnement.Brussels, mis en ligne en Juillet 2019, [consulté le 14 décembre 2020]. Disponible sur internet à l’adresse : https://environnement.brussels/thematiques/espaces-verts-etbiodiversite/action-dela-region/les-maillages/le-maillage-jeu
116 Ibid
117 BRUXELLES ENVIRONNEMENT. « Sport et espaces verts en Région bruxelloise ». Environnement brussels, juillet 2021. Disponible en ligne : https://environnement.brussels/lenvironnement-etat-des-lieux/endetail/environnement-pour-une-ville-durable/sport-et-espaces-verts y dénombre 158 terrains de football et 133 terrains de basket118. Si ces infrastructures n’ont pas officiellement de public/genre dédié, Bruxelles environnement constate que 80% des pratiquants sportifs observés dans les parcs bruxellois sont des hommes119 Plus récemment, dans Jeu dans la ville, publié en 2015, cette conscience de « segmentation de l’espace »120 est soulignée. Leur objectif est donc de privilégier « dès que possible la mixité des publics dans les aires de jeux »121 Cependant, il ne traite pas cette notion de genre dans les espaces de jeux, mais évoque tout de même les groupes de minorités à prendre en compte, c’est-à-dire les jeunes filles et les personnes à mobilité réduite. Bruxelles environnement pointe du doigt leur quasi-absence dans les espaces publics, en expliquant cela par le fait que :
« Ce ne sont pas les parents qui souhaitent se débarrasser des jeunes filles, mais plutôt les garçons de leur âge. Des adultes de passage expliquent qu’en effet, l’usage principal de l’espace ludique est le football quotidien des garçons du quartier. Cette hégémonie révèle une « loi » prévalant pour tous les enfants, au-delà des univers de socialisation spécifiques : partout les filles ont un usage de l’espace plus réduit que les garçons »122
Ceci, reste néanmoins une petite évolution vis-à-vis de l’ancien rapport de 2009, évoqué précédemment, qui était à l’époque très catégorique sur cette question. Ici, la question est certes survolée, mais le rapport déploie une réalité à prendre en compte, et donc une considération sur cette volonté de rendre la ville égalitaire.
Plus récemment, à Bruxelles, l’ASBL Garance a récemment édité un rapport123 sur les femmes aux parcs, dans lequel il est notion du jeu dans l’espace public. A ce propos, elle souligne le fait que « certains jeux sont préférés par les garçons, d’autres par les filles »124 , et préconise donc de proposer un large panel d’activités différentes pour éviter de renforcer ce phénomène des stéréotypes, ainsi que de catégoriser les jeux par genre. Il valorise et met en lumière la nécessité d’intégrer ce concept de genre dans l’aménagement de nos espaces publics : « Au contraire, une perspective de genre dans l'aménagement des plaines de jeux
118 Ibid.
119 BRUXELLES ENVIRONNEMENT. « Sport et espaces verts en Région bruxelloise ». Environnement brussels, juillet 2021. Disponible en ligne : https://environnement.brussels/lenvironnement-etat-des-lieux/endetail/environnement-pour-une-ville-durable/sport-et-espaces-verts
120 BRUXELLES ENVIRONNEMENT. « Sport et espaces verts en Région bruxelloise ». Environnement brussels, juillet 2021, page 94. Disponible en ligne : https://environnement.brussels/lenvironnement-etat-des-lieux/endetail/environnement-pour-une-ville-durable/sport-et-espaces-verts
121 Ibid
122 Ibid
123ASBL GARANCE. « Femmes au parc ! Améliorer l’accés des femmes aux espaces verts ». [En ligne] Garance ASBL, septembre 2017 [consulté le 15 avril 2022]. Disponible sur internet à l’adresse : http://www.garance.be/docs/17FAPRapportfinalRegion.pdf encourage les enfants à essayer des activités non-stéréotypées et à renforcer la présence des filles »125
124 Ibid , page 26.
Ce que nous pouvons conclure, c’est que les études sur le maillage jeu, ou sur le jeu en général n’abordent pas cette question de genre chez les enfants, ou alors très peu. Nous savons que ces attitudes et cette spatialisation genrée existent aussi chez les plus petit/es, or, ils ne sont pas encore mis en avant dans cette volonté de réaménagement urbain. Cette analyse justifie alors l’intérêt d’étudier la place des enfants dans les espaces publics avec cette focale sur le genre.
5.2 La notion genre à Bruxelles Pour finir, sur la thématique de genre, en Belgique c’est à la commune qu’il revient de prêter ou non une intention particulière à l’égalité des genres. En soit, comme je l’ai évoqué précédemment, le gender mainstreaming ainsi que la charte européenne, ne sont pas rendu obligatoire. A Bruxelles c’est aux différentes communes de décider ou pas, de renforcer l’égalité des femmes et des hommes. Le degré d’engagement est alors très aléatoire, et varie d’une commune à l’autre. Dans la région de Bruxelles capitale, 11 communes126 ont signé cette charte européenne. Cet engagement les incite à se mobiliser dans cette cause qu’est l’égalité des genres, mais leur apporte également un soutien pratique aux villes et communes dans l’élaboration de leur politique de genre Certaines communes ont mis en en place et ont désigné un mandataire locale chargé de la thématique de l’égalité des chances Elle engage les « ville et les communes à lutter contre le racisme, l’homophobie, l’intolérance à la diversité et le sexisme ».127 Au niveau. Régional, « la Ministre bruxelloise chargée de l’Egalité des chances a mis en place un réseau des 19 échevin.e.s de l’ Egalité afin de stimuler et coordonner des actions intercommunales »128. C’est le service public régional de Bruxelles (SPRB) qui est chargé de faire respecter « cette politique au sein de l’administration et pour l’ensemble du territoire ».129 Ses missions concernent la sensibilisation, d’information et de communication. Le service fournit également un rapport après l’analyse et le suivi de projets externes.
125 Ibid
126 Anderlecht, Berchem Sainte Agathe, Bruxelles, Etterbeek, Evere, Ixelles, Jette, Saint Josse-ten-Noode, Schaerbeek, Woluwe-Saint- Pierre, Woluwe-Saint Lambert.
127 DE VOS Dominique. « Activisme juridique - La Charte européenne pour l’égalité entre les hommes et les femmes au niveau local. A la recherche d’une ville femmes admises ». E-legal ulb, février 2020, volume 3. Disponible en ligne :https://e-legal.ulb.be/volume-n03/hommage-a-eliane-vogel-polsky/axe-3-activisme-juridiquela-charte-europeenne-pour-l-egalite-entre-les-hommes-et-les-femmes-au-niveau-local-a-la-recherche-d-une-villefemmes-admises.
128 Ibid
129 BRUXELLES ENVIRONNEMENT. « Bruxelles a bon genre ! ». Bruxelles environnement, be.brussels, septembre 2014. Disponible en ligne : https://fr.slideshare.net/CWEHF/bruxelles-a-bon-genre-legendermainstreaming-en-rgion-en-bruxelles-capitale
Cependant, malgré l’existence de charte au niveau communal, leur politique est encore loin de changer réellement130. Ceci est notamment dû à une division entre les thématiques liées à la personne et celles liées à l’aménagement de l’espace public d’une part, cela rend alors difficile l’articulation entre les deux. D’autre part la position du genre dans les décisions politiques communales est loin d’être efficace à cause d’un manque de formation du personnel. Le plan d’action pour l’Egalité entre les femmes et les hommes131 explique cela par le fait que « depuis la mise en place du plan d’action pour l’Egalité des Femmes et des Hommes (2014-2018), aucun agent des services de l’urbanisme n’avait pu se former à l’intégration d’une analyse de genre dans les projets d’aménagements de l’espace public »132 .
Ce n’est que très récemment, en 2020, que ce types de formations se mettent progressivement en place au sein des administrations, et qui permettent de les sensibiliser à l’« intégration de la thématique du genre dans l’aménagement des espaces de loisirs extérieurs destinés aux jeunes et aux enfants »133 Les formations sont également proposées par des associations chargées de la sensibilisation telle que L’ASBL Garance, mais cette fois-ci plus centré sur l’aménagement des espaces publics. En effet, elle est à l’initiative des marches exploratoires à travers Bruxelles dans le but de rassembler un groupe de femmes ayant pour objectif de décrire l’espace public selon leur ressenti, ou leur vécu. C’est un moyen de rassembler un tas d’idées pour changer la perception de l’espace public par les femmes, et des solutions pour rendre plus égalitaires ces espaces. Ces résultats et ces opinions sont alors publiés sous forme de brochure et délivrés aux décisionnaires pour les sensibiliser à cette cause. L’objectif étant de donner une place non-contournable au genre dans la conception des espaces. Malgré cette actualité brulante, cette prise de conscience peine à se développer.
130 Selon Laura Chaumont (Communication personnelle, 16 juin 2022)
131 BXL FEMINIST. « Plan d’action pour l’Egalité entre les femmes et les hommes ». Bruxelles, La ville de Stad, 2020. Disponible en ligne : https://www.bruxelles.be/sites/default/files/bxl/Plan_daction_egalite_des_femmes_et_des_hommes_20202022.pdf
132 Ibid , page 105.
133 Ibid
6. Conclusion
La question de l’égalité de genre implique un bon nombre de sujets sociétaux. Le choix de ce mémoire s’est dirigé vers celui de nos espaces urbains. Les recherches scientifiques ont permis de dépeindre une réalité, et de découvrir un panel d’inégalité entre les hommes et les femmes. Véritablement, les femmes s’imposent très souvent des barrières dans leur manière d’utiliser l’espace, et en ont eu pour habitude dès la cour de récréation où les lois de l’espace de jeu sont très strictes. C’est alors que je me suis intéressée à ce comportement de la cour de récré en me demandant si celui-ci était transposé dans nos espaces publics par les enfants. En me renseignant sur les études de la ville, j’ai appris que les enfants étaient souvent une minorité oubliée dans la conception urbaine, cloisonné dans des espaces de jeux dédiés. Tout comme les femmes, leur place au sein de la ville est difficile à assurer, mais aussi restreinte dû à une image fragile et vulnérable que la société véhicule à leur sujet
C’est pourquoi les enfants sont rarement libres dans leur mouvement et donc dans leur jeu car souvent contrôlés par les parents qui voient la ville comme dangereuse.
Pour rendre la ville inclusive et égalitaire des moyens et des outils sont mis en place, telle que le gender mainstreaming, qui recherche à assurer une prise en compte des inégalités de genre dans les prises de décisions politiques et urbaines. Par ailleurs, des études existent, ainsi que des guides dans le but de donner une démarche à suivre dans la conception des espaces. Pour autant, avec mes recherches, j’ai pu constater que la place des enfants et du jeu y sont peu développés. Il y a donc un vrai intérêt à étudier les deux de façon concomitante dans le contexte bruxellois.