Qu’est ce qu’une bonne décision publique?

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Claude Rochet

occidentales. La critique radicale de Leo Strauss sur la science politique moderne, commence à être moins ignorée qu’elle l’a longtemps été : « la nouvelle science politique regarde les choses politiques de l’extérieur, du point de vue neutre de l’observateur étranger… elle considère les êtres humains à la manière dont un ingénieur considérerait les matériaux destinés à construire un pont » (1990 :298). Le vice fondamental de la science politique moderne est, pour Leo Strauss, son relativisme des valeurs qui fait qu’elle ne peut admettre qu’il existe quelque chose comme le bien commun. Il en résulte une confiscation du politique par les experts du système de croyances en place, ce qui entraîne inéluctablement le dépérissement du corps social qui se désintéresse de la virtù amenant la corruption du « corps politique » . 63

Le management public peut contribuer à la constitution d’un nouveau système de croyances par les expériences qu’il peut susciter, les questions qu’il fait émerger et qui remettent en cause le paradigme dominant, la conception d’un « bagage culturel » du manager public, comme le fit le management d’entreprise lorsqu’il sortit du paradigme de la production de masse. Ce programme de recherche dépasse bien sûr les seules compétences du management public. Le mouvement des idées est de l’ordre de la mutation génétique qui s’inscrit dans le temps long. Mais le management public, comme discipline académique, peut contribuer à cette évolution. Il peut le faire de deux façons, à la manière de Gregory Bateson (1984), en dégageant un corpus de savoirs fondamentaux - ce que Bateson appelait « ce que tout élève sait » - et poser la question fondatrice de toute philosophie politique face à « cette époque qui ne tourne plus rond », celle de la plus vaste perspective d’où penser la synchronie conjuguant rigueur de l’observation et innovation par l’imagination. « Comme

ses parties. Effrayant spectacle ! car ce qui est qualité chez l’écrivain est parfois vice dans l’homme d’Etat… » Tocqueville, livre III de l’Ancien régime et la Révolution 63

Nous ne pouvons aborder ici la critique de la lecture que fait Leo Strauss de l’œuvre de Machiavel, en faisant un génie du mal à la source des perversions de la modernité. S’il y a bien un moment machiavélien caractérisé par la prise d’autonomie du politique avec des règles propres qui lui permettent de faire le mal au profit du bien, la lecture de Machiavel que fait Quentin Skinner, dans la lignée de Pocock, ne permet pas de fonder la continuité que trace Leo Strauss de Machiavel à Hobbes puis Locke pour parvenir à une conception du droit naturel entièrement fondé sur l’appétit individuel et le désir de posséder. Dans son article publié dans l’Histoire de la philosophie politique rassemblée par Joseph Cropsey, Strauss se montre d’ailleurs beaucoup plus modéré dans son appréciation de Machiavel. Le principal grief de Strauss est que Machiavel en nous déniaisant sur la supposée aspiration naturelle de l’homme au bien pour faire passer le message de la nécessité du politique, n’a fait passer que le premier message qui a effacé la profondeur du second. Voir Rochet, 2008 « Le legs de Machiavel au management public », Revue Internationale des Sciences Administratives.

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