Discours d'ouverture du colloque sur la défense devant les cours suprêmes

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Discours de Claude Bartolone Président de l’Assemblée nationale Colloque « La défense devant les cours suprêmes » Hôtel de Lassay – 29 septembre 2016

Monsieur le ministre, cher Jean-Jacques Urvoas, Madame la Présidente de l’ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation,

Mesdames et Messieurs, Je vous souhaite la bienvenue à l’Assemblée nationale pour échanger autour de la question de la défense devant les cours suprêmes. Je salue Madame la Présidente Hélène Farge qui nous a sollicités afin que cette question soit posée ici, au cœur de la représentation nationale, tant les échanges entre les professionnels du droit et les représentants de la Nation sont nécessaires. Les serviteurs du droit transforment la loi que nous votons ici en droits effectifs pour nos concitoyens. Sans eux, nous serions impuissants. Sans leur attachement à faire progresser le droit, nous serions désarmés. C’est donc naturellement que j’ai accepté que cette journée de réflexion puisse se dérouler au sein de notre institution. « Solis fas cernere solem ». (à eux seuls, l'heureux destin de faire face au soleil) La devise de l’ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation place cette profession face au soleil. C’est pourtant dans une relative confidentialité que les avocats aux Conseils exercent leur office.

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Certains diront que cette discrétion tient au faible nombre d’avocats aux Conseils comparés aux avocats à la cour. Je pense au contraire que cela est dû au sens même de leur engagement. Point d’effet oratoire, de plaidoiries lyriques. C’est que l’avocat au Conseil ne plaide pas les faits, ne tire pas argument de la personnalité de son client. C’est par l’évocation du droit qu’il se met au service du justiciable. Arme plus discrète, certes, mais ô combien acérée. Dans le secret de son cabinet, orfèvre de la technique de cassation, il soulève la violation de la loi, traque le défaut de base légale, pèse l’insuffisance des motifs d’une décision de justice, afin de faire progresser la cause du justiciable, et bien plus la justice. Par son action, l’avocat aux Conseils n’est en effet pas seulement le mandataire de son client. Officier public ministériel, il contribue à une bonne administration de la justice. Le devoir de conseil garantit au justiciable de ne pas s’engager dans un pourvoi hasardeux. Il assure également un filtre assurant la régulation des contentieux devant le juge suprême. La nécessité de filtrer les affaires soumises au juge suprême se pose dans l’ensemble des démocraties. Contribuant à une bonne administration de la justice, il ne saurait cependant entraver l’accès des justiciables au juge du droit. Nous avons fait le choix de confier aux avocats aux Conseils le soin de procéder à ce tri parmi les aspirations des justiciables. Si la Cour de cassation et le Conseil d’Etat ont mis en place des procédures permettant d’écarter les pourvois non sérieux, la place des avocats aux Conseils reste essentielle dans le choix des affaires soumises au juge du droit. Elle est primordiale également dans le choix des moyens présentés aux plus hautes juridictions.

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L’équilibre trouvé au sein du système judiciaire français est toutefois fragile. La judiciarisation croissante de notre société interroge nécessairement la place du juge suprême. Si nous avons favorisé l’accès au juge, d’autres ont privilégié un juge suprême préservé et se concentrant sur quelques décisions de principes. La parole donnée aux magistrats et avocats étrangers au cours de cette journée – et je souhaite à ce titre saluer la présence de M. le Premier président de la Cour de cassation du Liban – constituera un temps important des échanges qui se dérouleront dans nos murs. Leurs contributions au débat seront nécessairement riches. Auxiliaire de justice, l’avocat aux Conseils soumet les décisions des cours et tribunaux au droit. Ce n’est en effet qu’en faisant application de la règle de droit que les décisions sont légitimes et peuvent être acceptées. L’avocat aux Conseils fait également en sorte que les normes en vertu desquelles ces décisions

sont

rendues

soient

conformes

aux

dispositions

qui

lui

sont

hiérarchiquement supérieures. Longtemps limité par un examen de légalité ou de conventionnalité, l’avocat aux Conseils dispose, avec la question prioritaire de constitutionnalité, d’un nouveau moyen pour mettre en adéquation nos lois avec la norme suprême. Nous avons trop longtemps considéré, nous, parlementaires, que la loi ne devait pas pouvoir être discutée dans le cadre de sa mise en œuvre. Nous avions tort. La réforme constitutionnelle de 2008 constitue indéniablement un progrès pour l’Etat de droit. Les justiciables peuvent enfin se réclamer du respect de notre pacte fondateur, des droits qu’il garantit et qui s’inscrivent dans le bloc de constitutionnalité. Les droits proclamés par la Déclaration des droits de l’homme et

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du citoyen ont enfin fait leur entrée dans les prétoires, grâce à l’action des avocats aux Conseils. Mais alors que les précédentes décennies ont été marquées par l’avancée de la reconnaissance des libertés, par la création d’instruments juridiques permettant la garantie effective des droits proclamés, nous sommes aujourd’hui confrontés à une remise en cause des principes ayant fondé notre démocratie. Cette menace émane des assassins qui ont semé la mort sur notre territoire. Nous sommes déterminés

à les combattre. Rassemblés, nous avons adapté notre

législation. Plus pernicieuse, plus dangereuse est la critique qui émane de nos propres bancs. A l’heure où notre démocratie est mise à l’épreuve, on entend des remises en causes inacceptables. Les solutions, que dis-je LA solution, existerait, nous dit-on. Elle serait efficace et simple à mettre en place, s’il n’y avait cet encombrant Etat de droit, si l’on pouvait tordre le bras à notre Constitution, balayer d’un revers de la main nos textes fondateurs. De quoi parle-t-on ? De nous asseoir sur la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, comprise dans le bloc de constitutionnalité ? De ne plus faire cas de la présomption d’innocence ? Du principe selon lequel il n’est légitime pour un Etat d’enfermer une personne qu’à la condition que celle-ci ait bénéficié d’un procès équitable ? Je l’affirme ici. Prenons garde à ce que les drames que nous avons traversés ne nous fassent pas perdre la raison. Ces murs ont accueilli de grands débats. Ils ont été le siège de grandes avancées. Osons assumer que les valeurs démocratiques incarnées

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par la France sont fortes. Que c’est la raison pour laquelle notre pays est particulièrement visé. Tourner le dos aux principes de l’Etat de droit, reconnus peu à peu ici, au Parlement, conquis là, dans les prétoires, reviendrait à admettre notre défaite. C’est en restant nous-mêmes que nous sortirons grandis de ces épreuves. C’est avec une justice veillant au respect des droits pour chaque justiciable que nous pourrons regarder l’Histoire et affirmer que nous n’avons pas vacillé. Dans de tels moments, l’essence même de la justice doit nous guider. Notre réaction face à la menace doit être forte. Elle doit passer par la loi et la justice. C’est dans cet esprit que je vous accueille aujourd’hui à l’hôtel de Lassay. Je sais, Madame la Présidente Farge, que les récents débats parlementaires appelant à une réforme de votre profession ont pu susciter l’incompréhension. J’entends que certaines remises en cause ont pu heurter. J’ai souhaité que l’hôtel de Lassay soit le lieu d’échanges nourris entre la représentation nationale et les différentes composantes de la société. Ce dialogue entre les pouvoirs est nécessaire. Il contribue à améliorer la qualité des lois que nous votons. Il permet également de relayer des interrogations légitimes. Les discussions que nous avons connues récemment ne visaient cependant pas à remettre en cause la légitimité des avocats aux Conseils. Se pose en revanche la nécessité d’une évolution de la profession, afin de mieux armer notre justice face aux besoins de son temps. La justice du XXIème siècle devra être suffisamment forte et indépendante pour garantir le respect des droits de chacun, et éloigner toute tentation de l’arbitraire. Les avocats aux Conseils, qui mettent leur excellence au service des justiciables et du

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droit, y ont toute leur place. Je sais que dans ce combat pour nos valeurs dĂŠmocratiques, nous sommes des alliĂŠs.

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