Lilas contre le FN - Discours de Claude Bartolone

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Discours de Claude Bartolone Meeting des Lilas contre le Front national Jeudi 4 mai 2017 Madame la Ministre, chère Emma, Monsieur le Président du Conseil départemental, Monsieur le Maire, Mesdames et Messieurs, Mes chers amis, Depuis le 23 avril, j’entends de tous côtés des sons de cloche divers, discordants, témoignant d’une incroyable difficulté à s’orienter. Ce sont aussi parfois – trop souvent – des propos qui révèlent une incompréhensible légèreté face à l’enjeu. J’entends des spéculations et j’entends des malédictions, j’entends des analyses « bien informées » de la part de ceux qui croient pouvoir prédire l’avenir d’un peuple libre, des plans sur la comète de la part de certains qui se prétendent assurés du résultat, ou pire, le sublime désintérêt de ceux qui disent désormais s’en laver les mains. J’entends des dénonciations de coupables, des anathèmes grossiers sans distinctions ni hiérarchies, des calculs politiques, de petites stratégies. Au milieu de ce marasme, j’entends bien sûr aussi, et c’est heureux, les appels, coléreux ou vibrants, à se mobiliser contre le Front national. Mais j’entends également, dans certains de ces appels, le frémissement d’une incertitude. Incertitude qui est peut-être celle d’un sentiment d’impuissance, où l’on se sent incapable de parer à la catastrophe ; ou peut-être, plus grave encore, le signe d’une inquiétude presque existentielle, celle qui doute soudain du bienfondé de ce combat, celle qui se dit que peut-être le vrai combat serait ailleurs, et que finalement, si Madame Le Pen était présidente, serait-ce si grave ? Page 1 sur 11


Ce que j’entends assez peu, et c’est cela qui m’effare, c’est la voix claire de la République, qui à cette question-là : serait-ce si grave ?, répond nettement, fermement : oui, oui, ce serait si grave. La voix de ce rejet tranché, explicite, sans concessions, du Front national qui a si longtemps été une évidence dans notre République ; la voix de ce « Non ! » qui avait été celui d’une écrasante majorité de Français en 2002.

Comment en sommes-nous arrivés là ? Ce qui m’inquiète sans doute le plus, c’est que j’entends assez peu expliquer les raisons de ce rejet. Et c’est sans doute de ce manque de clarté, de cette confusion généralisée, que nous vient cet étrange flottement, au moment où notre démocratie est menacée par la possibilité d’une victoire du Front national. Il faut le reconnaître : ce qui était une évidence en 2002 n’en est plus une aujourd’hui. L’arrivée de Monsieur Le Pen au second tour de l’élection présidentielle était une surprise, et plus encore : un séisme. Quinze ans plus tard, l’arrivée au second tour de sa fille est annoncée depuis des mois, depuis des années. Elle nous défait peut-être, nous attriste, nous horrifie, mais elle ne nous surprend pas. Nous serions-nous habitués ? Horrifiés devant la situation, dont nul ne nous paraît plus capable d’enrayer l’engrenage, nous serions devenus les spectateurs impuissants de notre propre destin. Non ! Non, mes amis : ce n’est pas vrai ! Nous combattons le Front national, et nous l’avons toujours combattu. Pour beaucoup d’entre nous, ce combat-là a été l’engagement originel, celui qui nous a amenés à la politique. Et pendant toutes nos années de militantisme, à travers tous nos engagements politiques, nous n’avons cessé de le combattre, de Page 2 sur 11


le dénoncer, et de montrer – par l’exemple, par le fait ! – que ses imprécations ne sont rien d’autre que des mensonges. Nous l’avons fait dans nos villes, dans nos départements, dans nos régions, et dans toute la France. Nous l’avons fait, peut-être plus qu’ailleurs, ici en SeineSaint-Denis, où malgré les difficultés économiques et sociales, le Front national est sept points plus bas que sa moyenne nationale. Nous l’avons mené, ce combat, ici comme ailleurs, partout, avec toujours le même engagement, avec la même détermination, et le même refus complet, intransigeant, de toutes les formes de haine. Nous l’avons mené, ici sur ces terres, où l’on sait que le Front national n’est pas la solution aux problèmes des classes populaires, mais leur condamnation, mais leur enfer ! Et nous qui avons mené ce combat, nous qui le menons depuis tant d’années, nous qui savons si bien ce que c’est que le Front national et ce qu’il veut pour notre pays, nous savons aussi, nous, pourquoi nous ne pouvons jamais l’accepter. A l’heure où l’évidence n’est plus là, il nous faut le redire, haut et fort, inlassablement : le Front national est inacceptable ! Mais il faut aussi dire, et redire, fermement et inlassablement, pourquoi. On croirait, à entendre certains commentaires, que le « front républicain » contre le Front national aurait pour but… quoi ? D’empêcher la sortie de la France de l’Europe ? De préserver notre pays d’une catastrophe économique sans précédent ? De faire gagner l’ouverture au monde face au repli du nationalisme ou du protectionnisme ? Tout cela est évidemment vrai. Autant qu’il est vrai que le programme du Front national n’est pas réalisable, pas construit, pas pensé, et qu’il constitue un tissu de mensonges. Autant qu’il est vrai que, comme tous les partis d’extrême-droite Page 3 sur 11


l’ont toujours fait dans l’Histoire et partout dans le monde, le Front national au pouvoir s’empresserait de trahir ce peuple dont il se réclame, d’oublier les plus humbles pour s’allier avec les puissances de l’argent et ne travailler à rien d’autre que sa propre prospérité. Tout cela est évidemment vrai, il faut le dire et le redire, et le combattre jusqu’au dernier jour. Qui peut en douter ? On le voit déjà dans les villes tenues par le Front national : au Pontet, dans le Vaucluse, le maire FN a décidé de supprimer la gratuité de la cantine pour les familles les plus pauvres… Est-ce là le candidat du peuple ? Et on ne compte plus les fermetures d’association dans les municipalités FN, la destruction des seules collectivités productrices de lien social de territoires bien délaissés. Le programme du FN, c’est la sortie de l’euro. Mais le nouveau franc sera l’esclave du dollar ou du yen. Quoique, on a appris hier soir qu’il ne s’agira peut-être pas du nouveau franc, mais de l’écu… En réalité, tout ce que je viens de dire repose sur une hypothèse de plus en plus incertaine : que Madame Le Pen ait effectivement un programme ! Si tant est qu’elle en ait un, tout cela est évidemment vrai. Mais il y a plus grave encore. Puisque l’évidence n’est plus au goût du jour, il nous faut remettre les pendules à l’heure. Soyons sérieux, soyons clairs. Oui, le front républicain est indispensable face au Front national. Non, ce n’est en rien une abdication, encore moins une trahison. La trahison, c’est de s’y dérober. On ne fait pas un front républicain par habitude, non plus que par opportunité, encore moins par opportunisme. La gauche le sait bien, elle qui a si souvent payé un lourd tribut à cette méthode du barrage, tout récemment encore aux élections de 2015.

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On ne fait pas un front républicain parce qu’on n’est pas d’accord avec le programme d’un adversaire politique, même sur des points majeurs, comme l’Europe. On ne fait pas un front républicain parce que le programme d’en face n’est pas réalisable, pas financé, pas crédible. On ne fait certainement pas un front républicain pour préserver les marchés ou pour sauver les entreprises. On fait un front républicain parce que l’adversaire est davantage qu’un adversaire politique : parce qu’il s’oppose non pas aux autres partis politiques, mais à la démocratie elle-même. On fait un front républicain parce que, par son idéologie, par sa rhétorique démagogique, par sa conception et sa pratique du pouvoir, par son refus de tout contre-pouvoir, ce parti représente pour nos institutions et pour notre vie démocratique une menace réelle et très concrète. Le danger du Front national, son vrai danger, c’est un danger existentiel pour notre République. Car le Front national est un parti qui vise à subvertir nos institutions pour mener une politique autoritaire. Il ne s’en cache d’ailleurs guère. Madame Le Pen l’a dit et l’a écrit dans son programme : l’exercice frontiste du pouvoir, celui qu’elle désire, et qu’elle va mettre en place si elle est élue, c’est celui d’un exécutif très fort, qui serait en contact direct avec le peuple au travers notamment de l’abus d’usage du référendum. Elle dit « référendum », mais elle pense « plébiscite », mais elle pense « acclamation ». Gouverner par plébiscite, cela signifie contourner toutes les instances et toutes les institutions qui garantissent le pluralisme et la démocratie réelle. A commencer par le Parlement, qui est pourtant, bien davantage que la Présidence de la République, le lieu d’exercice de la souveraineté nationale ! Cette méthode de gouvernement, c’est la définition même du césarisme. Toutes les dictatures, tous les autoritarismes ont fait la même chose, de l’incendie du Page 5 sur 11


Reichstag en 1933 au récent référendum manipulé par Erdogan en Turquie. Voulons-nous cela en France ? Quelle infamie, que d’oser – « au nom du peuple » ! – prétendre saccager le pluralisme même, réduire la voix du peuple qu’on prétend incarner à un faible « oui » ou « non » sans nuance ni débat, et afficher son mépris total de la démocratie ! Ce peuple français qui est justement si beau, si fort, si grand dans sa pluralité de voix, dans sa diversité d’espoirs, d’aspirations et d’imaginations. Avons-nous déjà oublié le 11 janvier 2015 ? Ce jour où la République s’est révélée de nouveau, vivante, plurielle, unie, contre toutes les violences et contre toutes les haines ? Souvenons-nous de cette journée ! Les motifs invoqués pour descendre dans la rue étaient eux aussi multiples et divers : défense de la liberté d’expression, refus de la violence, rejet des amalgames, désir d’union, volonté de montrer au monde le visage d’un peuple fier, d’un peuple debout. Dans toute cette diversité, il n’y avait pas de division ! La garantie de l’existence de contre-pouvoirs est la première exigence d’une vraie démocratie. Madame Le Pen les refuse tous. Le contre-pouvoir syndical – dénoncé comme « complice » du système, dans la grande théorie complotiste sur laquelle elle fait son fonds de commerce. Le contre-pouvoir médiatique – elle a déjà commencé à faire son choix parmi les journalistes autorisés à la suivre, attitude dénoncée par 36 rédactions comme une véritable entrave à la liberté d’informer. Il y a encore cinq jours, un élu FN Page 6 sur 11


proposait de créer un « ordre des journalistes » permettant de sanctionner les « mauvaises pratiques »… Conséquence logique de la vision des médias et de leur rôle que partagent tous les responsables de ce parti ! Le contre-pouvoir judiciaire enfin, qu’elle méprise suffisamment pour refuser de se rendre aux convocations des juges, alors même qu’elle brigue la magistrature suprême…

Donc oui, le Front national est un parti antirépublicain. Cela seul devrait suffire à trancher, sans réserve et sans ambiguïté, en faveur du seul candidat républicain qualifié au second tour : Emmanuel Macron. Et je n’ai même pas encore parlé de l’idéologie infâme qui anime évidemment ce parti. Madame Le Pen aurait « dédiabolisé » le Front national ; mais elle peut changer l’enseigne autant de fois qu’elle le veut, cela reste la même boutique avec les mêmes produits dangereux sur les rayons ! Plus habile que son père, Madame Le Pen habille la haine d’une supposée rationalité économique. Mais la haine reste au cœur. Hier contre les « métèques », aujourd’hui contre les immigrés et contre l’islam, hier et aujourd’hui encore contre les juifs : voilà ce qui reste la passion centrale du Front national, de ses militants et de sa candidate. Il n’y a pas besoin de remonter bien haut, dans une histoire de son parti que Madame Le Pen n’a d’ailleurs jamais désavouée, pour en faire le constat. Pas besoin de revenir sur les déclarations de son père et des autres fondateurs du Front national, ou sur le passé violent, antisémite et raciste de nombreux collaborateurs actuels de la candidate. Certes, il y a des choses que, quoi qu’en dise Madame Le Pen, nous ne pouvons pas oublier, comme la comparaison des chambres à gaz à un « détail de Page 7 sur 11


l’histoire », comme surtout la mort de ce jeune homme, Brahim Bouarram, jeté dans la Seine par des militants d’extrême-droite après la manifestation du Front national le 1er mai 1995. Il faut appeler les choses par leur nom : ce n’était pas un accident, un « incident » comme l’avait dit Monsieur Le Pen à l’époque, ce n’était pas non plus une erreur : c’était un crime, commis par des sympathisants de ce parti qui est aujourd’hui aux portes du pouvoir. Mais même sans remonter si loin – il y a seulement vingt ans ! – il n’y a qu’à regarder les plus récents événements. Il y a moins d’un mois, Marine Le Pen affirmait que la France n’était pas responsable de la rafle du Vel d’Hiv – pourtant organisée par les autorités françaises du régime de Vichy. La semaine dernière, on découvrait que le remplaçant de Marine Le Pen à la tête du FN, Jean-François Jalkh, avait tenu des propos négationnistes sur les chambres à gaz.

Et il y a encore quelques jours, Monsieur Le Pen se disait « choqué » de la cérémonie d’hommage rendu au policier tué le 20 avril sur les Champs-Elysées, dénonçant un hommage rendu « plutôt à l’homosexuel qu’au policier ! ». Face à cela, comment peut-on hésiter un instant à voter contre le Front national ? Tous les républicains devraient voir le vote Macron comme la seule évidence possible. Il est hors de question pour moi, pour nous, d’apporter à Emmanuel Macron un soutien du bout des lèvres. Face au Front national, l’évidence est claire, et nous devons le clamer haut et fort, parce que c’est le combat dont la République et en particulier la gauche ont toujours tiré leur plus grande fierté !

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Alors, mes amis, une seule réponse : nous devons, dimanche prochain, voter pour Emmanuel Macron. Mais ce n’est pas un chèque en blanc. Monter dans le grand véhicule républicain avec Emmanuel Macron ne veut pas dire que nous ne regarderons plus la route. La route reste dangereuse, peut-être glissante, et en tout cas semée d’embûches.

C’est pour cela qu’il faudra à ce grand véhicule républicain un airbag socialiste. Car le trajet ne s’arrêtera pas le 7 mai ! Il faudra bien sûr, une fois le danger du pire évité, ouvrir ensemble le chemin de la France qui permet d’affronter et de prendre à bras-le-corps les défis du nouveau monde. Non, mes amis, le chemin de la gauche est loin d’être terminé. Aujourd’hui, la première responsabilité de la gauche est de protéger la République. C’est pour beaucoup d’entre nous un combat chevillé au corps. C’est, encore aujourd’hui, la mère de tous les combats, et celui qui nous assurera, demain, la possibilité de continuer à avancer, et à faire avancer la gauche dans notre pays. Ne nous trompons pas de combat. Il arrivera un moment où il sera trop tard, et pour la gauche et pour la France. Ne laissons pas ce moment arriver ! Ce qui nous est proposé dimanche, ce n’est pas une alternative aux termes équivalents, ce n’est pas une opposition de deux projets que l’on pourrait renvoyer dos à dos. Madame Le Pen a essayé, depuis deux ans, d’installer ce clivage qui lui profite. Ne rentrons pas dans son jeu ; ne tombons pas dans son piège. N’oublions jamais qu’il faut trois siècles pour construire une République, mais qu’il suffit de six mois pour la détruire. Et on l’a bien vu hier soir : détruire, abîmer, salir, c’est tout ce que sait faire Madame Le Pen. Non seulement sa prestation d’hier soir a révélé la vacuité totale de ce que je n’ose même pas appeler un projet, mais surtout, elle a montré sans aucune ambiguïté à quel point elle est indigne de la haute fonction qu’elle Page 9 sur 11


brigue. Comment pouvons-nous accepter d’être représentés par cette femme injurieuse, odieuse, abjecte ? Par une femme qui prétend vouloir défendre l’intérêt de la France, mais qui, alors qu’on parle des enjeux les plus vitaux de notre pays, ne sait que ricaner ? Dimanche prochain, nous avons le choix entre un candidat républicain et une candidate d’extrême-droite. Nous choisirons évidemment la République. Car c’est à cette condition que nous pourrons, dès le 8 mai, mener les combats qui sont les nôtres. Adressez-vous, dans les heures qui viennent, à ceux de nos compatriotes tentés par le FN. Dites-leur, « ils vous plaisent parce qu’ils semblent nouveaux, tout neufs. Comme ils aboient, vous les

trouvez

authentiques, sincères, fermes. Une fois au pouvoir, quand ils auront tout détruit, ils vous paraîtront tels qu’ils sont, nuls, incompétents, dangereux et pathétiques. Mais attention : quel est le prix de votre curiosité ? Quel est le prix de votre envie de tout changer ? » La victoire du FN serait la sortie de la République, de sa devise, de son hymne, de ses promesses de son baptême de 1792. Marianne, dans les mairies de France, rougira de honte, baissera les yeux, pleurera, et s’exilera, et rentrera en Résistance. Les larmes et la sueur de nos Pères fondateurs, de Mirabeau à SaintJust, de Danton à Condorcet, le sang et l’ardeur de héros de la République, d’Olympe de Gouges à Jean Moulin, auront-ils donc été versés en vain ? Faudra-t-il regarder une Histoire de France, une statue, un monument, en baissant les yeux de honte d’avoir à ce point trahi notre Histoire, la gloire de la France et la promesse de la République ? Si fiers de la France, si amoureux de notre République, si solidaires du peuple français, nous, enfants de Jaurès, combattrons le fascisme jusqu’à notre dernier souffle. Il ne gagnera pas. Page 10 sur 11


Faisons le serment ensemble de toujours vivre ensemble, et de toujours se souvenir que s’il y eut des siècles où la liberté a gémi, il y en eut d’autres où les tyrannies ont frémi. N’attendons pas que la tyrannie gagne pour entrer en Résistance. Aujourd’hui, c’est la République qui règne, c’est la République qui se bat, c’est la République qui tient le glaive de la justice, ce glaive que nous ne laisserons jamais aux ennemis de la liberté.

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