LFC Magazine #3 Michel Bussi Octobre 2017

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JE RACONTE LES HISTOIRES D'HOMMES (OU DE FEMMES) QUI, COMME TOUT LE MONDE, ONT ÉTÉ DES BÉBÉS, DES ENFANTS DÉPOURVUS DE MAUVAISES INTENTIONS. ET PUIS IL Y A LA BASCULE, L'INSTANT T, LE MOMENT OÙ "ÇA" ARRIVE. FABIO M. MITCHELLI FMM : Des bouquins dans les mains et des films plein les yeux, le gosse que j'étais passait des heures enfermé dans sa chambre à se faire peur, à essayer de s'imaginer les grandes plaines désolées et glacées du grand nord canadien, avec "Croc-Blanc", de Jack London, ou "L'appel de la forêt". Adolescent, j’étais passionné par la littérature noire, la littérature fantastique et les films d'horreur. Edgar Alan Poe fut pour moi le révélateur de mon cœur d'écrivain (sans faire de jeu de mots!). Le cinéma m’a beaucoup influencé, tel que celui de David Lynch, ou encore Hitchcock… Dès mes quinze ans, je me suis mis à imaginer de terribles histoires, à les écrire. Et puis j’ai découvert la plume de King, la collection Gore de chez Fleuve Noir, Grangé, Lovecraft, Thomas Harris et son Hannibal Lecter, Philippe K.Dick et Maurice G.Dantec. Évidemment, je n’étais pas complètement hermétique à la littérature de Baudelaire, Sartre, ou Camus, mais j’ai de suite compris que la littérature noire me procurait beaucoup de plaisir. Et puis je me suis intéressé aux affaires criminelles, aux documentaires télé qui leur étaient consacrés, à la presse spécialisée, et aux thrillers du cinéma inspirés de faits réels. Curieusement, ce qui m’attirait le plus ce n’était pas tant le côté sordide ou la noirceur de l’affaire, mais le criminel lui-même. Pour moi, comprendre la mécanique qui amenait un être à commettre de tels crimes, fouiller son passé, analyser son profil psychologique, a rapidement pris le dessus sur le fait d’accepter simplement le postulat du tueur… LFC : Pensez-vous qu’on peut tous tuer un jour ?

FMM : Je raconte les histoires d'hommes (ou de femmes) qui, comme tout le monde, ont été des bébés, des enfants dépourvus de mauvaises intentions. Et puis il y a la bascule, l'instant T, le moment où "ça" arrive. Dans "La compassion du diable", par exemple, je ne cherche pas à faire l'apologie de Dahmer, mais plutôt à démontrer que le mal possède bien des origines, qu'elles sont forcément liées à l'affect, aux émotions, aux traumatismes, que le déclencheur ne peut-être lié qu'aux rapports humains. L'éducation, l'environnement familial, l'amour qu'aura reçu -ou pas- l'enfant, restent les vecteurs principaux de ce qu'il deviendra plus tard. Je n'irai pas jusqu'à dire que le lecteur va trouver mon Blake "attendrissant", mais j'ai envie de dire qu'il va se sentir dans une situation de malaise, sortir de sa zone de confort. Car le lecteur pourrait bien éprouver de la culpabilité et se poser obligatoirement cette question : ne sommes-nous pas responsables, nous, parents ? Comment avonsnous éduqué nos enfants ? Et puis, il y a le facteur déclencheur « Perte de repères », ou « Vengeance » (thème très souvent abordé dans le roman noir) qui peut conduire à l’irréparable ; le meurtre d’un proche, le décès soudain d’un être aimé. Les causes sont nombreuses, le cerveau humain si mystérieux, et les effets sont parfois dévastateurs. Alors, oui, cela peut arriver, à tous. Nous hébergeons tous un monstre tapi en nous, nous transportons notre passager noir endormi (dixit Dexter Morgan) et, un jour, un choc un peu trop brutal pourrait bien l’éveiller… et c’est cela qui glace le sang.


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