LFC #11 NOUVEAU
ÉTÉ2018 DOUBLE COVER
LE
MAGAZINE DIGITAL
100% INDÉPENDANT
258 PAGES DE CULTURE
HYPHEN HYPHEN RENCONTRE EXCLUSIVE
LAFRINGALECULTURELLE.FR
Les photos de nos covers
LFC MAGAZINE DE JANVIER À AOÛT 2018
DÉJÀ UN AN à la rentrée
ÉDITO
LA FRINGALE CULTURELLE, LE MAGAZINE DIGITAL LFC #11
Rédigé par CHRISTOPHE MANGELLE Salut les Fringants, C'est l'été, il fait chaud ! Enfin, on lâche prise, on se détend, le meilleur moment pour découvrir LFC Magazine #11, numéro d'été - double - avec 258 pages de culture, 100% gratuit ! Au programme : Marc Levy en cover à qui nous consacrons un entretien-fleuve de 11 pages, mais aussi au rayon polar : Bernard Minier qui cartonne avec "Sœurs" en librairie, la talentueuse Barbara Abel avec "Je t'aime", Patrick Bauwen avec "La nuit de l'ogre" ou encore la révélation polar Nicolas Beuglet qui confirme son statut avec "Complot". N'oublions pas Douglas Kennedy, Andrea de Carlo, Catherine Banner ou encore Mary Lynn Bracht. Et de nombreux auteurs... Du côté des célébrités, Danielle Moreau, Magali Berdah, Héloïse Martin, Bernie Bonvoisin et Guillaume de Tonquédec sont également dans nos pages. Et côté musique, Hyphen Hyphen est en cover pour "HH", l'album de l'année. On a surkiffé ! Ainsi que l'invité prestige : Cerrone. Sans oublier Hollydays, Barbara Carlotti et Kamaleon. MERCI chers lecteurs pour votre fidélité et vos partages sur les réseaux sociaux. Toute la rédaction vous souhaite un bel été !
ET SURTOUT...
LA REPRODUCTION, MÊME PARTIELLE, DE TOUS LES ARTICLES, PHOTOS, ILLUSTRATIONS, PUBLIÉS DANS LFC MAGAZINE EST FORMELLEMENT INTERDITE. Ceci dit, il est obligatoire de partager le magazine avec votre mère, votre père, votre voisin, votre boulanger, votre femme de ménage, votre amour, votre ennemi, votre patron, votre chat, votre chien, votre psy, votre banquier, votre coiffeur, votre dentiste, votre président, votre grand-mère, votre belle-mère, votre libraire, votre collègue, vos enfants... Tout le monde en utilisant :
MARC LEVY HYPHEN HYPHEN MERCI À ROBERT LAFFONT pour l'autorisation accordée de diffuser la photo libre de droit de marc levy en cover de NIKOS ALIAGAS. MERCI À NIKOS ALIAGAS.
07
La sélection : livres, ciné...
10
Carène Ponte
14
Patrick Bauwen
18
Stanislas Pétrosky
22
Anne de Caumont la Force
29
Marie-France Mignal
32
Marianne Guillermin
33
Vincent Hauuy
42
Nadir Dendoune
47
Françoise d'Origny
55
Samuel Dock
63
Les violences conjugales
69
Emmanuelle Lambert
76
Carine Chichereau
83
Barbara Carlotti
86
Matthew Neill Null
89
Danielle Moreau
96
Magali Berdah
102
Héloïse Martin
109
Guillaume de Tonquédec
118
Bernie Bonvoisin
127
Bernard Minier
136
Barbara Abel
144
Nicolas Beuglet
154
Gilly Macmillan
161
Catherine Banner
168
Andrea de Carlo
174
Pascal Grégoire
181
Alia Cardyn
188
Mireille Calmel
195
Douglas Kennedy
201
Mary Lynn Bracht
208
Marc Levy
219
Cerrone
226
Hyphen Hyphen
235
Hollydays
240
Kamaleon
244
Sélection théâtre
L'ÉQUIPE Fondateur et rédacteur en chef Christophe Mangelle
Journalistes Guillaume Richez Christophe Mangelle Laurent Bettoni David Smadja Muriel Leroy Marie Vindy Jean-Philippe Marguerite
Coordinatrice des photographes Ursula Sigon LEEXTRA
Photographes Franck Beloncle Raphaël Demaret Julien Falsimagne Julien Faure Arnaud Meyer Céline Nieszawer Patrice Normand LEEXTRA Mathieu Génon Philippe Matsas LEEMAGE
Françoise d'Origny, Samuel Dock, Barbara Charlotte, Matthew Neill Null, Danielle Moreau, Magali Berdah, Héloïse Martin, Guillaume de Tonquédec, Barbara Abel, Nicolas Beuglet, Gilly Macmillan, Catherine Banner, Andréa de Carlo, Pascal Grégoire, Mary Lynn Bracht, Alia Cardyn, Mireille Calmel, Douglas Kennedy, Cerrone, Hyphen Hyphen, Hollydays et kamaleon sont exclusivement photographiés par les photographes de l'agence LEEXTRA, notre partenaire. Des sujets tous 100% "fait maison".
Chroniqueurs Nathalie Gendreau (Théâtre) de Prestaplume David Smadja (Cinéma) de C'est contagieux Muriel Leroy
LFC MAGAZINE
JUILLET AOÛT 2018 | #11
12 La sélection
de la rédaction
Livres, série TV, films...
par Christophe Mangelle, David Smadja, Muriel Leroy, Jean-Philippe Marguerite...
PAGE 07
GOOD GIRLS, LE BREAKING BAD VERSION GIRL POWER ! SÉRIE LFC MAGAZINE
01
SAVOUREUX, DINGUE, ENTRE DRAME ET COMÉDIE
ACTUELLEMENT SUR NETFLIX COPYRIGHT NETFLIX JUILLET AOÜT 2018
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L'AVIS EXPRESS DE LA RÉDACTION LA NOUVELLE SÉRIE NBC NETFLIX PLONGE LE TÉLÉSPECTATEUR AU CŒUR DES TRIBULATIONS DE TROIS MÈRES DE FAMILLE QUI N'ONT PAS FROID AUX YEUX ET QUI RECULENT DEVANT RIEN POUR GAGNER DE L'ARGENT. HUMOUR, REBONDISSEMENTS, PERSONNAGES ATTACHANTS, UNE PREMIÈRE SAISON QUI SE DÉVORE AVEC GOURMANDISE. VIVEMENT LA SAISON 2 !
PAGE 09
ACTUELLEMENT SUR NETFLIX
PAR CHRIS PHO J
CARÈNE PONTE LIVRE LFC MAGAZINE
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PAR CHRISTOPHE MANGELLE / PHOTOS : © DR FOURNIE PAR CARENE PONTE AVEC L'AUTORISATION DE LA PUBLIER.
CARÈNE PONTE L ’ I N T E R V I E W
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Carène Ponte, on adore ! Sa personnalité, sa bonne humeur, son humour, sa fraîcheur... La lire, c'est l'adopter ! Déjà trois romans en librairie, et encore de nombreuses histoires en tête à nous raconter. Profitez de l'été pour lire cet entretien inédit et surtout la lire. Un merci de trop et Tu as promis que tu vivrais pour moi sont chez Pocket. Et le tout nouveau roman, Avec des si et des peut-être chez Michel Lafon. Rencontre avec une romancière feel good dans l'air du temps.
02
du grand format de l’époque Tu a promis que tu vivrais pour moi. Les
équipes de Pocket ont initié de nouvelles couvertures
LFC : Bonjour Carene Ponte ! Vous avez publié trois romans : Un merci de trop, Tu as
promis que tu vivrais pour moi et le nouveau Avec des si et des peut-être (Michel Lafon). Pensiez-vous écrire et publier trois romans ?
CP : J’avais espoir de pouvoir le faire. Un par an, je suis très heureuse de pouvoir tenir le
rythme. Une fois qu’un roman est écrit, je me suis dit : cool, je peux le faire ! La peur de ne
pas réussir à l’écrire se dissipe. Une autre apparaît : qu’il soit moins bon. Il me faut six mois pour écrire le livre sans correction. Comme je travaille, je dois écrire le midi, le week-end,
Il me faut six mois pour écrire le livre sans correction.
pendant les vacances. C’est parfois compliqué de tout mener de front. J’espère atteindre le
de livres feel good, vintage,
point de bascule qui pourrait me permettre de me poser la question : dois-je encore
qui ont séduit de nombreux
cumuler mon activité professionnelle avec l’écriture ? Puis-je vivre seulement de l’écriture ?
lecteurs.
Ce qui est risqué financièrement. Seulement, pour défendre les livres au maximum, il faut du temps pour l’écriture, les salons, les dédicaces et la promotion.
LFC : Avec des si et des
peut-être, ton héroïne
LFC : Vos livres sont aussi disponibles chez Pocket en version poche. C’est une
Maxine hésite en
opportunité pour vous de séduire un lectorat plus large.
permanence lorsqu’elle doit faire des choix.
CP : Absolument. Un merci de trop est en librairie depuis juin 2017. Il a très bien marché.
Nous sommes très heureux. Et Tu as promis que tu vivrais pour moi est lui aussi disponible
CP : Comme Maxine, je fais
en librairie depuis le 7 juin, ce qui est bien plus récent. J’ai une chance inouïe d’être
comme elle très souvent.
soutenue par Pocket, une équipe dynamique que j’adore. Un merci de trop a rencontré
Dans ma voiture, je me dis :
bien plus de lecteurs en poche qu’en grand format, simplement parce que le prix du livre
et si aujourd’hui, j’allais
est plus avantageux pour découvrir un auteur. Ainsi, l’effet poche a entraîné la publication
dans ce magasin, je
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croiserais une personne. Je ferais une rencontre. Par exemple, plus jeune, j’ai hésité entre deux facultés : Amiens et Cergy-Pontoise.
MON ACTU
à ne pas manquer
CP : Ce sont des références de trentenaires ! (Rires) Je ne sais pas comment le roman va
vieillir puisque ce sont des références en effet
Je me suis toujours demandé ce qui aurait pu
qui sont liées à ma tranche d’âge. Même si j’ai
bien m’arriver si j’avais été à Cergy-Pontoise et
l’impression que cela parle à beaucoup de
non à Amiens. Évidemment, je n’aurais pas
gens. J’évoque Hugh Grant dans Love Actually.
rencontré les mêmes personnes. J’ai voulu aller
C’est bien plus large. J’écris des histoires
plus loin : aurais-je eu envie de savoir ce qui se
contemporaines. Les références ont donc
serait produit si j’avais fait d’autres choix ? Parce
toutes leurs places dans les trois romans.
qu’on peut y penser, et pour autant ne pas avoir envie de savoir. Dans le roman, j’invite les
LFC : Maxine va vivre une aventure
lecteurs au cœur de cette exploration des
extraordinaire. Elle va être dans une vie qui
autres choix. Et de ce qui pourrait en découler. LFC : Maxine vit en colocation avec sa copine…
Actuellement en librairie Avec des si et des peutêtre, Carène Ponte, Michel Lafon
n’est pas la sienne.
CP : Exactement. Un soir, elle écoute une émission de radio dans laquelle un écrivain est invité. Il a écrit un roman qui s’appelle Avec des
CP : Oui. Claudia est engagée, écolo, protection
si et des peut-être où il parle de quelqu’un à qui
des animaux, bio. C’est une femme très
on propose de vivre une vie parallèle. Elle
attachante. Elle s’implique dans la défense de la
adore cette idée géniale. Elle s’endort. Et
nature avec de la gentillesse et de la drôlerie.
lorsqu’elle se réveille, elle est dans un endroit
Elle me fait bien rire cette colocataire !
ville plutôt rigolo. J’avais fait appel aux réseaux
Je suis une grande admiratrice de Love Actually. J’aimerais tant écrire un roman qui serait dans cet esprit-là, avec plusieurs personnages, avec à la fois des moments drôles et des instants touchants.
sociaux pour que les internautes me proposent
qu’elle ne connait pas. Le roman prend une
LFC : Elle est professeur de français dans une ville qui s’appelle Savannah-sur-Seine…
CP : Oui, Savannah-sur-Seine, c’est une fantaisie de ma part. C’est bien entendu de la pure fiction. (Rires) Je voulais imaginer un nom de
des idées. Savannah, c’est une ville qui existe
ampleur étonnante avec le questionnement de
aux États-Unis. Cette consonance est très belle.
certains points qui sont mieux et nécessairement
Pour que cela fasse français, j’ai rajouté sur seine. LFC : Vous proposez des références contemporaines, de Beverly Hills avec Brandon Walsh à Maître Gims…
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d’autres qui sont moins bien, différents. Parce Actuellement en librairie Tu as promis que tu vivrais pour moi et Un merci de trop, Carène Ponte, Pocket
que forcément, quand nous faisons un choix différent, la vie bifurque. Avec elle, des choses changent. Et c’est cela qu’elle va découvrir. Finalement, est-elle plus heureuse ? Moins heureuse ? C’est toute la réflexion autour des choix que nous faisons. Nous avons l’impression
que nous n’avons pas choisi. Mais, dans les
LFC : Avez-vous encore de nombreuses histoires à nous
faits, nous avons quand même validé cette
raconter ?
décision. Elle comprend finalement qu’elle aurait dû profiter de ce qu’elle avait. Car elle
CP : Oh oui ! J’en ai quelques-unes dans ma tête. Je travaille
n’avait pas mesuré la valeur de certaines
déjà sur la rédaction de mon prochain livre qui sera un roman
belles choses.
choral. J’en ai envie depuis toujours. Je suis une grande admiratrice de Love Actually. J’aimerais tant écrire un roman
LFC : Ce roman s’appuie sur une intrigue
qui serait dans cet esprit-là, avec plusieurs personnages, avec
forte… Au fil des pages, le lecteur découvre
à la fois des moments drôles et des instants touchants. Six
les péripéties de Maxine.
femmes qui ne se connaissent pas et qui vont se retrouver au même endroit. Et, j’ai bien entendu d’autres idées.
CP : J’aime préparer des surprises pour les lecteurs. Je l’ai écrit comme un jeu, puisque
LFC : Comment vivez-vous cette folle aventure ?
c’est un jeu de vivre ce que vit Maxine. Et si cette décision m’avait conduite à cette
CP : C’est magique parce que j’en rêvais depuis que j’étais
conséquence heureuse. Ou pas. C’est
gamine. Et en même temps, c’est très flippant parce que les
excitant. Le personnage et le lecteur
gens ont tellement aimé le second. J’ai reçu tellement de
découvrent ensemble au fur et à mesure cette
messages de lecteurs qui m’ont dit : ça m’a touché, ça m’a fait
nouvelle vie. Nous allons de surprises en
rire, ça m’a ému, j’ai adoré, etc. que je n’ai pas envie de les
surprises.
décevoir. Ce troisième et nouveau roman Avec des si et des peut-être me colle une pression. J’aimerais tellement que ceux
LFC : L’humour, c’est votre signature
qui ont aimé le second puissent autant apprécier celui-ci. J’ai
éditoriale.
l’impression que je vais vivre ce tourbillon de sentiments à chaque fois. Grégoire Delacourt disait : chaque nouveau roman
CP : Même si parfois j’ai des points de départ
est comme un premier roman. C’est tellement vrai.
triste comme dans le second dont il s’agit d’un décès, mes romans restent des histoires
LFC : Avez-vous envie que l’un de vos romans soit adapté
gaies. C’est ma personnalité. La vie est parfois
au cinéma ?
moche, donc j’ai envie qu’on puisse sourire, rire, par des situations cocasses et rigolotes.
CP : J’adorerais tellement ! À chaque fois que j’écris, je rêve en
J’aime les anecdotes. Je m’amuse avec les
me disant : quel acteur imagines-tu pour interpréter tel
lecteurs avec des notes de bas de page.
personnage ? Je rêve Hollywood tout de suite. J’admire Toni
D’ailleurs, les avis sont partagés : soit les
Collette. Elle est touchante, maladroite… Voir comment un
lecteurs aiment, soit ils détestent. Pas de juste
scénariste pourrait se saisir de l’histoire et en faire quelque
milieu. C’est drôle ! Ceux qui n’aiment pas,
chose de différent, j’aimerais beaucoup. Que ce soit un
c’est parce que cela les coupe dans leur
téléfilm, un, film ou une série TV. Ce serait un joli
lecture. Et ceux qui en sont friands, ils les
aboutissement. Et puis, le roman Tu as promis que tu vivrais
attendent. Quand j’écris, je m’amuse bien. Je
pour moi se vend déjà à l’étranger, en Allemagne et en Italie.
rigole toute seule. Quand certains lecteurs me
C’est déjà une grande nouvelle. J’ai hâte de les avoir entre les
disent qu’ils ont éclaté de rire. C’est cool.
mains !
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PATRICK BAUWEN LIVRE LFC MAGAZINE
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PAR CHRISTOPHE MANGELLE / PHOTOS : © DR FOURNIE PAR PATRICK BAUWEN AVEC L'AUTORISATION DE LA PUBLIER.
PATRICK BAUWEN L ’ I N T E R V I E W
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M A N G E L L E
Pour le lancement du numéro 1 de LFC Magazine, Patrick Bauwen nous avait dit oui pour un entretien. Un an plus tard, fidèle, nous parlons avec lui de son nouveau roman La nuit de l'ogre (Albin Michel). Entretien inédit.
le premier jour. Les métiers en relation avec la mort sont peu connus : le médecin légiste, l’enquêteur, le Technicien
03 impose, le sociopathe va répondre par la violence. Verbale ou mentale. Mais il n’est pas
Explorer un sujet tabou et en révéler les faces cachées au lecteur étaient forcément une expérience passionnante pour moi !
pour autant un tueur en série. Comme il s’adapte très bien, et qu’il n’a pas
en identification criminelle, le
d’hallucination, ni de traitement particulier, le sociopathe peut se révéler très difficile à
Garçon d’Amphi qui assiste le
dépister parmi les gens normaux. En réalité, un sociopathe peut devenir ... un excellent
Légiste... Or, ces métiers
chef d’entreprise, par exemple. Il peut aussi se faire rattraper par la justice pour des faits
offrent d’excellents ressorts
de petite délinquance. Maintenant, si un sociopathe INTELLIGENT développe des
dans un roman. Et je connais
envies MEURTRIERES, artistiques, et que VOUS êtes le matériau sur lequel il compte
chacun d’eux, leurs aspects
expérimenter, qui va pouvoir l’arrêter? C’est tout le problème. Et je peux vous dire que
techniques, et les émotions
LFC : Bonjour Patrick Bauwen ! Nous avons lu La nuit de l’ogre et à la rédaction,
nous avons adoré. Par le biais d’un tueur sociopathe, vous avez abordé comme
thème principal la mort et la recherche de l’esthétisme. Pourquoi avoir voulu en parler ?
PB : Bonjour et merci de m’accueillir dans vos pages ! En guise de préambule, je dirais
que ... les sociopathes sont beaucoup plus fréquents qu’on ne le croit. Un sociopathe, c’est quoi? Quelqu’un qui refuse les règles de la société. Aux contraintes qu’on lui
c’est un problème bien réel, car tous mes personnages sont inspirés de gens réels ayant qu’elles engendrent chez ceux qui les pratiquent. La commis des faits réels. Sinistre, hein? (Clin d’œil). Ouais, gravement sinistre ! Mort était donc une
LFC En tant que médecin urgentiste, vous êtes souvent confronté à la mort. Écrire,
thématique naturelle pour
est-ce une manière aussi d’aborder votre métier ?
moi. Quant aux photos postmortem, c’était un thème tout
La Mort est la compagne du médecin. Qu’on le veuille ou non, elle est là, présente dès
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simplement hypnotisant!
Explorer un sujet tabou et en révéler les faces cachées au lecteur étaient forcément une expérience passionnante pour moi !
MON ACTU
à ne pas manquer
PB : Je mets toujours beaucoup de moi-même dans mes personnages principaux. C’est ma façon de vivre l’histoire. Je procède de la même façon pour les personnages
LFC : Le récit est aussi construit de manière
secondaires, que je calque très souvent sur des
différente, il y a moins de rebondissements
personnages réels. D’ailleurs un certain
en cascade comme dans votre précédent
nombre de gens sont présents dans l’histoire
ouvrage Le jour du chien (Albin Michel) tout
sous leur vrai nom, ou sous un nom proche. Il
en reprenant les personnages à qui vous
suffit de lire les Remerciements pour découvrir
avez construit un passé, une histoire. Vous
lesquels. Je demande leur permission la
donnez ainsi plus de profondeur à l’intrigue,
plupart du temps ... mais pas toujours! Eh oui, à
pourquoi ce changement ?
côtoyer un romancier, on risque un jour ou
PB : Chaque livre possède sa rythmique propre. Le Jour du Chien se déroule dans un temps
bref, et prend la forme d’une course entre trois
Actuellement en librairie La nuit de l'Ogre, Patrick Bauwen, Albin Michel
l’autre de se retrouver à l’intérieur du roman. LFC : En parlant de part de vous-même, il y a un livre auquel vous tenez particulièrement :
personnages : un mari veuf et éploré, le
Les Fantômes d’Eden En quoi ce livre est-il si
mystérieux fantôme de sa femme, et un
important ?
redoutable tueur en série. Cette course ne PB : C’est un livre qui contient beaucoup de
pouvait que se dérouler sur un rythme rapide.
mes émotions d’enfant. Il raconte un peu l’histoire de ma bande de copains aux portes
La Nuit de l’Ogre, en revanche, s’inscrit dans le
temps et creuse le sillon des personnages. On découvre que rien n’est ni noir, ni blanc.
L’histoire prend la forme d’un thriller, bien sûr, mais c’est aussi un roman d’apprentissage, une épopée romanesque, et une histoire d’amour.
Chacun possède sa part d’ombre, et ses secrets. Les traumatismes viennent la plupart du temps de l’enfance. On ne devient pas tueur par hasard, ni flic ou médecin par hasard. Et puis, une brigade entière arrive : les flics hors norme du Groupe Evangile. Tandis que dans l’ombre, d’inquiétantes confréries se déploient ...
de l’adolescence. Certains événements sont réels. D’autres inventés. Mais tous portent la
Tous ces aspects demandaient un roman plus posé, même si La Nuit de l'Ogre demeure un page-turner comme je les aime, car je ne sais
pas écrire autrement. LFC : Quelle part de vous-même avez-vous mis dans le personnage principal ?
trace des émotions profondes que nous Et aussi en librairie Le jour du chien et Les fantômes d'eden, Patrick Bauwen, Albin Michel
éprouvions à cette époque. Nos peurs, en particulier. L’histoire prend la forme d’un thriller, bien sûr, mais c’est aussi un roman d’apprentissage, une épopée romanesque, et une histoire d’amour. Plusieurs histoires d’amour, en fait. Surtout ça, d’ailleurs, quand j’y songe.
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Je ne m’arrête jamais de travailler. C’est une vraie drogue, et ça ne s’arrange pas avec l’âge. J’adore vous empêcher de dormir. J’écris actuellement la suite du Jour du Chien et La Nuit de l’Ogre. Je vous emmènerai dans une nouvelle intrigue, avec une thématique assez inattendue. Les personnages vont affronter une menace exceptionnelle, et votre cerveau va devoir carburer aussi ! LFC : Il est vrai qu’il détonne totalement de
LFC : Que diriez-vous à vos lecteurs pour leurs
vos autres romans construits entre présent
donner envie de lire ce livre, qui est pour nous le
et passé. Nous suivons ainsi l’évolution des
meilleur de ceux que vous avez écrits ?
personnages de l’enfance à l’âge adulte. Il est d’une certaine façon plus poétique,
PB : Eh bien, je dirais simplement : si vous avez aimé «
mais aussi plus noir, plus dense, avec des
Ça » ou « Différentes saisons » de Stephen King, si vous
personnages bien mis en avant. Pourquoi
adorez « Stranger Things », si vous avez été l’un des «
avoir choisi de raconter cette histoire ? Et
Goonies » quand vous étiez petit, si vous vous
quelle part de vous-même avez-vous mis
accrochez encore à vos rêves, donnez sa chance aux «
dans ce livre ?
Fantôme d’Eden ». Vous ne le regretterez pas.
PB : Une GRANDE part. Mais il serait faux de
LFC : Travaillez-vous actuellement sur un autre
dire que c’est uniquement le cas dans ce
roman ?
roman. C’est toujours le cas. Simplement, dans ce livre, je ne me suis pas préoccupé de
PB : Bien sûr ! Je ne m’arrête jamais de travailler. C’est
la longueur, j’ai dit allez, on y va, on raconte
une vraie drogue, et ça ne s’arrange pas avec l’âge.
tout, no limit ! Cela donne beaucoup plus de
J’adore vous empêcher de dormir. J’écris actuellement
pages sentimentales que dans mes autres
la suite du Jour du Chien et La Nuit de l’Ogre. Je vous
bouquins... Et le sentiment, c’est ce qui crée
emmènerai dans une nouvelle intrigue, avec une
l’attachement aux personnages. Voilà
thématique assez inattendue. Les personnages vont
pourquoi, sans doute, les lecteurs trouvent-ils
affronter une menace exceptionnelle, et votre cerveau
souvent ce roman plus touchant que les
va devoir carburer aussi ! Parution l’année prochaine. À
autres.
bientôt. Et d’ici là : bons cauchemars ...
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STANISLAS PÉTROSKY LIVRE LFC MAGAZINE
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PAR MURIEL LEROY / PHOTOS : © DR FOURNIE PAR STANISLAS PÉTROSKY AVEC L'AUTORISATION DE LA PUBLIER.
STANISLAS PÉTROSKY L ’ I N T E R V I E W
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M U R I E L
L E R O Y
Rencontre inédite avec le romancier Stanislas Pétrosky qui vient de publier Un Havre de paix (French Pulp). Entretien.
ne pas faire comme les copains, prendre des risques. Car faire des romans avec des sujets sérieux, durs et les traiter
04 LFC : À la rédaction, nous avons aimé votre dernier livre Un Havre de paix (French Pulp) qui a le mérite d’être très original à de nombreux points de vue et drôle. Comment l’idée de ce roman vous est-elle venue ? Quelles sont vos sources d’inspiration ?
SP : Le personnage existait déjà. Nous pouvons trouver douze autres aventures par douze autres auteurs en epub. L’histoire, quant à elle, a vu le jour à la suite de deux discussions sur l’impossibilité de s’évader d’une prison moderne, le fait que ce soit extrêmement compliqué, mais parfois réalisable… Ne m’inculpons pas, c’est de la
fiction… Quant à la drogue dont je parle dans ce roman, malheureusement elle existe.
J’aime travailler les dialogues. C’est ce que je préfère dans l’écriture, un peu comme Audiard, Blondin, et tant d’autre.
Dire que je mets en garde le lecteur serait prétentieux. Je voulais juste m’exprimer sur
avec des personnages barrés et
ce sujet… Et pour le décor, Le Havre est une ville magnifique : son port, etc. Alors, autant
sous forme d’humour, c’est ce
la mettre en scène. Qu’en pensez-vous ?
que l’on pourrait appeler cassegueule. Mais j’aime l’aventure, et
LFC : San Antonio est un modèle pour vous grâce à la légèreté qu’il insuffle, ainsi
je ne regrette pas. Le public est
que les clins d’œil à vos amis auteurs permettent de rendre les sujets abordés
au rendez-vous. J’ai mes
moins glauques. Est-ce un parti pris important pour vous ? Que représente
lecteurs. Et j’en suis assez fier,
Frédéric Dard dans la littérature selon vous ?
pourvu que ça dure… Et puis surtout, j’aime travailler les
SP : Pour la première question, mes premiers romans : Ravensbrück mon amour et
dialogues. C’est ce que je préfère
L’amante d’Étretat étaient sérieux à 100%... Pour le premier, deux ans de recherches
dans l’écriture, un peu comme
avant l’écriture, un travail très lourd, que beaucoup de mes collègues font à longueur
Audiard, Blondin, et tant
d’année… Alors j’ai décidé de sortir de ce que l’on pourrait appeler une zone de confort,
d’autres,
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cette langue verte, fleurie, imagée et populaire qui me fascine et que j’aime. Quant à San Antonio, je pourrais dire que Frédéric Dard m’a
MON ACTU
l’autoédition et Amazon plus particulièrement. Qu’en pensez-vous ?
à ne pas manquer
appris à lire, à vivre, à garder le moral… J’aime
SP : Voilà une question avec laquelle je vais
les personnages politiquement incorrects.
perdre des amis, pire me faire des ennemis…
Provocateur, agitateur, souvent grossier, mais
Auteur est un métier, éditeur aussi, l’un ne va
jamais vulgaire. Je me sens, sans aucune
pas sans l’autre… Si on me refuse un manuscrit,
prétention, de cette lignée-là. C’est ça que
c’est qu’il n’est pas abouti, que je dois le
j’aime écrire, en mode « JE » et en discutant
retravailler, ou même l’oublier s’il est mauvais…
avec mon lecteur. Je suis un aficionado du
Essuyer des refus et décider de se lancer seul
Fleuve Noir des années 50-70, les Dard,
dans l’aventure est une hérésie. De plus, il se
Audiard, Ryck, Arnaud, Malet et consorts…
pose un gros problème. Comme je suis un
Requiem c’est un peu mon costume de super
garçon curieux, j’ai regardé le contrat d’édition
héros, sauf que je n’enfile pas un slip par-dessus
proposé par la firme citée... Il ne dépend pas du
mon jean, mais je tripote un clavier… LFC : Il s’agit là d’une série dont le héros est embaumeur et dans la seconde trilogie,
Actuellement en librairie Un Havre de paix,Stanislas Pétrosky, French Pulp
droit français, mais américain… Et puis, j’avoue sourire quand je vois des auteurs défendre un petit libraire en difficulté, le soutenir et tout le toutim d’un côté, et de l’autre faire vivre le
parue aux éditions Lajouanie, Requiem, le
fossoyeur qui l’enterre… En conclusion, je suis
prêtre exorciste est un curé. Curé pas très
contre. Si nous décidons d’écrire, même si cela
orthodoxe néanmoins, puisqu’il enquête et
ne nous fait pas vivre complètement de sa
n’hésite pas à faire justice lui-même.
plume, je pense que nous devons le faire
Pourquoi ces choix de personnages
comme un professionnel, suivre la filière, faire
atypiques ?
SP : Parce que j’aime les personnages, les gens qui sortent des sentiers battus. L’uniformité je trouve cela laxatif. J’aime San Antonio, Mémé Cornemuse, Alix Karol, les héros de Dounovetz,
Si nous décidons d’écrire, même si cela ne nous fait pas vivre complètement de sa plume, je pense que nous devons le faire comme un professionnel, suivre la filière, faire vivre les métiers du livre.
vivre les métiers du livre. S’il y a des éditeurs,
etc. Et puis, il faut être honnête : combien de
des correcteurs, des maquettistes, des
bouquins polars sortent par mois ? Des
assistants éditoriaux, des graphistes, des
centaines… Alors pour essayer de se faire
libraires, c’est qu’il y a bien une raison… Ce sont
apercevoir, il faut sortir du lot. Il faut trouver ce
toutes des professions différentes, mais
qui ne se fait pas… Un curé et un thanatos, ce
indispensables pour la naissance et la
sont des héros qui ne courent pas les rues…
commercialisation d’un véritable roman. Amazon est une très grande librairie qui
LFC : Pour rebondir sur ce que vous me dites,
permet d’acheter des livres à l’international,
actuellement, nombre d’auteurs ne trouvant
mais pas un éditeur. Aucune ligne, et
pas de maison d’édition s’orientent vers
SURTOUT aucun travail éditorial. Tous les
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J'aime les personnages, les gens qui sortent des sentiers battus. L’uniformité je trouve cela laxatif. J’aime San Antonio, Mémé Cornemuse, Alix Karol, les héros de Dounovetz, etc. métiers s’apprennent, écrivain
SP : Requiem revient au mois de
aussi… Passer par un éditeur, c’est
novembre. J’espère que c’est une
un apprentissage. C’est l’examen
bonne nouvelle pour vous, pour
qui permet d’officier.
moi ça l’est ! Un nouveau look, sa
L’autoédition de ce style, c’est
propre collection et un nouvel
l’arrivée sur le marché de tout et
éditeur. On le retrouvera un peu
rien, du grand n’importe quoi.
plus fréquemment pour vous faire
Bien sûr, on pourra toujours sortir
partager de nouvelles aventures, et
l’exception, le livre fini, travaillé,
vous faire rire…
sans faute, le best-seller du moment. Mais ce sera un sur
LFC : On vous laisse le mot de la
combien ? Donc je suis contre,
fin.
mais je pense que vous l’aviez compris ?
SP : J’embrasse mon pote Fabrice Pichon, un auteur de talent, parti
LFC : Pour conclure, avez-vous
tutoyer les anges bien trop tôt. On
d’autres projets actuellement ?
ne t’oubliera pas l’ami….
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ANNE DE CAUMONT LA FORCE LIVRE LFC MAGAZINE
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PAR CHRISTOPHE MANGELLE / PHOTOS : © DR FOURNIE PAR ANNE DE CAUMONT LA FORCE AVEC L'AUTORISATION DE LA PUBLIER.
ANNE DE CAUMONT LA FORCE L ’ I N T E R V I E W
L I V R E
/ /
T H É Â T R E
D E
C H R I S T O P H E
Éditrice, auteure, journaliste pour la presse écrite et la télévision, et Secrétaire générale du prix Femina, Anne de Caumont La Force publie aux Éditions Dacres sa première pièce, Madame Fouquet, chez votre libraire depuis juin aux éditions Dacres et qui s'est jouée au Festival d’Avignon en juillet 2018. Entretien Inédit.
jour arrêter cette espèce de fuite en avant. Ce qu’il a fait d’incroyable, c’est d’arriver avec un tel débordement d’égo. Il a voulu en plus
05 LFC : Bonjour Anne de Caumont La Force ! Vous publiez Madame Fouquet (Dacres), une pièce de théâtre jouée au Festival d’Avignon cet été.
ADCLF : J’étais fascinée par l’histoire de Nicolas Fouquet, que je connais depuis très
longtemps. Et c’est quand même quelqu’un qui est parti, je ne dirais pas de rien… C’était à
l’époque un parlementaire. Il ne faisait pas partie de l’aristocratie. Nous savions comment il avait contribué à maintenir Mazarin et à le faire revenir après La Fronde. Nous savions
comment il avait peu à peu gravi les échelons jusqu’à devenir le Procureur général au
M A N G E L L E
J’ai toujours été fascinée par cette ascension extraordinaire, ainsi que cette déchéance tout aussi hors du commun.
parlement de Paris, et ensuite surintendant des Finances sous Louis XIV. Et j’ai toujours été fascinée par cette ascension extraordinaire, ainsi que cette déchéance tout aussi hors du commun. Souvent, quand nous sommes au plus haut. Il est bien entendu possible d’y
rester. Mais souvent, le sort qui s’emmêle peut nous faire descendre. Ce qui m’amusait,
c’est toute cette énergie, cette intelligence, le temps passé auprès des grands, cet objectif de toujours servir le Roi et son royaume. J’étais fascinée parce qu’il faut à la fois de
l’intelligence et être comme on dit aujourd’hui borderline. Il fallait trouver de l’argent pour un État en faillite, qui avait mangé deux ans d’avance de recettes. Et il fallait donner
beaucoup d’argent à Mazarin qui était très gourmand. Car ce dernier avait bien compris
que pour être célèbre, il fallait être plus riche que les autres. Fouquet, lui aussi, partageait
cette vision. Dans ce royaume, pour en imposer, il fallait être riche. Et pour l’imposer au Roi qui n’avait pas d’argent, il fallait lui fournir de l’argent pour les armées, les maîtresses, les
guerres, pour la Reine mère, pour les œuvres, pour paraître. Où Fouquet a été très fort, c’est qu’il a su en trouver. Je ne m’étendrais pas sur ses méthodes qui étaient contestables, et
qui étaient celles de toute la gent financière de l’époque. Cela a conduit le Roi à vouloir un
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de l'épater, lui montrer qu’il était plus riche, plus intelligent, plus doué… Il met en place un salon littéraire. Il reçoit les meilleurs artistes oubliant que quand nous sommes face à un Roi, nous nous devons d’être modestes. Il ne faut jamais essayer de le dépasser. N’oublions pas qu’à l’époque, tout appartenait au Roi. Même si nous voulions lui donner quelque chose, le Roi
n’accepte pas de cadeaux de la part des subordonnés. LFC : C’est fascinant son évolution…
ADCLF : Vingt ans avant, il a commencé à acheter des terres. Il voulait un domaine avec un titre pour rentrer dans cette classe, celle des grands, des aristocrates. Sans oublier ce détail, si vous étiez de la noblesse, vous ne payez plus d’impôts. Il voulait ne pas être trop loin de Fontainebleau. Jusqu’à la mort de Mazarin, le Roi était un jeune homme de vingtdeux ans très à l’écoute de Mazarin. Le Roi ne voulait pas gouverner. Il écoutait aussi beaucoup sa mère en Autriche. Et surtout il ne montrait aucune capacité à gouverner. Le Roi aimait danser. C’est un grand danseur qui aimait les femmes et les grandes histoires d’amour. Fouquet ne s’est pas rendu compte que ce jeune Roi allait devenir un jour quelqu’un qui prendrait le pouvoir. Ne jamais mettre en difficulté un Roi. Il a voulu faire mieux. Quand Louis XIV, accompagné de sa mère, a vu cette fête. Lui qui n’avait pas un sou pour Versailles en train de regarder cette débauche de luxe, d’objets, de tapisseries, etc. Il s’est dit que c’était trop. Le Roi est rentrait dans son carrosse avec sa mère et il a dit : quand ferons-nous rendre gorge à ces gens-là ? Le Roi a ravalé sa rancœur tout en gardant
l’idée en tête de se débarrasser de Fouquet. Il le trouvait trop intelligent, trop écrasant… Parfois, nous avons des collaborateurs qui sont bons et que vous ne voulez plus. C’était le cas. LFC : Fouquet avait un réseau conséquent…
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ADCLAF : Absolument. Il était très coureur. Il tenait grâce à l’argent de ses réseaux de financiers, de femmes, d’artistes… Ce qui ne l’a pas empêché de commettre une imprudence majeure. Louis XIV était tombé amoureux de la ravissante Louise de La Vallière. Fouquet a essayé de la séduire en lui proposant de l’argent. Mais pas tellement parce qu’il voulait la séduire, il voyait surtout en elle une excellente espionne. Il lui a proposé des sommes astronomiques. Elle l’a
Madame Fouquet a joué un rôle non négligeable auprès de son mari qui était très régulièrement malade. (...) Elle avait cette intuition qu’ont les femmes.
très mal pris. Et elle lui a répondu : pour 250 000 livres, jamais je n’accepterais quoi que ce soit. Intègre, elle est allée
le répéter au Roi. Passionné, fol amoureux, le Roi en a pris ombrage.
MON ACTU
à ne pas manquer
des traitants auquel l'État est assujetti. Au début du mois d’août 1661, Fouquet vend sa charge de procureur général, qui le rendait justiciable du seul parlement. C’est donc une bêtise, car il est plus
Fouquet est dans le collimateur du Roi
facile à abattre. Sa femme, quant à elle est bien plus
parce qu’il est trop riche, qu’il en fait
intelligente, puisqu’elle écoutait les ragots et
trop et trop présent. Pour le Roi, non
comprenait bien qu’il se mettait en danger.
seulement, un châtiment s’impose, LFC : Quel rôle madame Bouquet a-t-elle joué vis-
mais surtout il veut se débarrasser de
à-vis de son mari ?
cet homme. Ce projet a mûri. Colbert voulait la place de Fouquet puisqu’il était son numéro 2 et qu’il était très compétent. Et surtout, il était au courant de toutes les affaires borderline. Il pouvait orienter le Roi vers la bonne direction pour se séparer de Fouquet. Il fallait réagir, rendre cet État dilapidateur en un État honnêtement géré. Colbert lui proposa de remettre les finances en ordre que le surintendant Fouquet dépense à outrance. Colbert dénonce au roi les malversations et les dilapidations du surintendant, et stigmatise le système
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Actuellement en librairie Madame Fouquet, Anne de Caumont La Force (Dacres Éditions)
ADCLF : Elle a joué un rôle non négligeable auprès de son mari qui était très régulièrement malade. Il était très fragile avec des accidents de santé, des dépressions. Elle a essayé de l’aider. Elle a apporté une très grande fortune. Elle a accepté que cet argent serve de caution pour trouver de l’argent pour le Roi qui en avait besoin pour Mazarin. Elle avait cette intuition qu’ont les femmes. Tout le monde parlait ! La seule chose qu’elle n’avait pas anticipée, ce sont les conséquences de cette réception fastueuse qui humilie le jeune monarque : deux feux d’artifice, une pièce inédite de Molière, etc.
AOÛT 2018
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DETECTIVE DEE
CINÉMA LFC MAGAZINE
LA LÉGENDE DES ROIS CÉLESTES
AVENGERS INFINTY WAR
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PAR DAVID SMADJA DE C'EST CONTAGIEUX PHOTOS : COPYRIGHT LES BOOKMAKERS / THE JOKERS JUILLET AOÛT 2018
LE PITCH Une vague de crimes perpétrée par des guerriers masqués terrifie l’Empire de la dynastie des Tang. Alors que l’impératrice Wu est placée sous protection, le Détective Dee part sur les traces de ces mystérieux criminels. Sur le point de découvrir une conspiration sans précédent, Dee et ses compagnons vont se retrouver au cœur d’un conflit mortel où magie et complots s’allient pour faire tomber l’Empire…
LA SÉRIE DES "DÉTECTIVE DEE", DONT C’EST ICI LE TROISIÈME VOLET, A TOUJOURS EU UN GOÛT SPÉCIAL. COMME SI LE CHEF TSUI HARK LAISSAIT MIJOTER CHAQUE ÉPISODE SUR UN LIT D’ÉPICES PARFUMÉS. ON LE SENT Y METTRE SON CŒUR, SA PASSION ET TOUTE SA GÉNÉROSITÉ DE RÉALISATEUR. IL A SOUVENT ÉTÉ COMPARÉ À SPIELBERG POUR L’HUMANISME DE SES ŒUVRES ET SON ÂME DE GAMIN MALICIEUX. ET À CHAQUE NOUVEAU FILM, CET ADAGE SE VÉRIFIE.
Cette légende des rois célestes n’échappe pas à la règle : imaginez un Sherlock Holmes asiatique confronté à un maître des illusions type Houdini (ou Mysterio si vous êtes un fan des aventures de Spiderman) puissance L ' Amais VIS D E L A R É1000 D A C!T I O N Voilà de quoi émerveiller ! PLUS D’ACTIONS ET MOINS D’ENQUÊTES QUE DANS LE PREMIER OPUS
Plus d’actions et moins d’enquêtes que dans le premier opus – Il faut signaler que le deuxième et ce troisième volet sont des préquels du premier film, mettant en scène un Dee plus jeune - néanmoins le grand cerveau du brillant détective sera mis à rude épreuve dans ce déferlement de faux-semblants et de manipulations.
Les personnages principaux sont travaillés comme des figures héroïques, des archétypes épiques. Flamboyants et charismatiques. Pour la petite histoire, le personnage du Détective Dee est un personnage célèbre ayant réellement existé, une figure tutélaire et bienveillante de la Chine du VIIème siècle.
C’EST DONC DU GRAND SPECTACLE QUI VOUS ATTEND. DU CINÉMA PÉTILLANT COMME UNE EXPLOSION DE BULLES À L’OUVERTURE D’UNE BOUTEILLE DE CHAMPAGNE.
Car quelles envolées mes ami(e)s ! Quelles cascades, quelles chorégraphies, toutes plus folles et ahurissantes les unes que les autres. Niveau action, Tsui Hark nous régale et nous chatouille les mirettes. Il ne mégote vraiment pas : les couleurs, les costumes, les effets spéciaux sont dignes des plus grands blockbusters ricains. PAGE 27
ACTUELLEMENT AU CINÉMA
Puisqu'on parle de générosité, Tsui Hark nous gâte avec une captation en 3D rendant le métrage encore plus aérien et dynamique. Il fait le choix de la 3D explosive et non immersive, contrairement à beaucoup de ses confrères américains, donnant plus d’ampleur à son métrage et surtout plus de sensations aux spectateurs qui auront le L'AVIS DE LA RÉDACTION sentiment que les images leur déferlent dessus. Après, le film n’est pas exempt de défauts et souffre d’un ventre mou. On lui reprochera un manque de rythme dans son dernier tiers, heureusement rehaussé par un final qui crépite dans tous les sens. Le film dure 2h15 et il aurait gagné à être un peu dégraissé et à se contenter d’une demi-heure de moins pour être plus efficace. L’autre défaut plus culturel, mais intrinsèque à une grosse partie de la production asiatique, reste l’emphase philosophique et surtout le traitement des personnages secondaires, souvent naïfs à l’excès (parfois plus difficilement acceptables pour le public français) mais si on passe ces défauts et qu’on ouvre ses chakras alors ce n’est que merveille, joie, délices et félicité. Restez jusqu’à la fin surtout. Les scènes post-génériques enrichissent le film et nous préparent doucement à sa suite ! Quand je vous disais que Tsui Hark est généreux ! Sortie cinéma : Le 8 août 2018
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ACTUELLEMENT AU CINÉMA
Entretien par Christophe Mangelle
MARIE-FRANCE MIGNAL Actrice de théâtre, de cinéma et de télévision, mais aussi directrice du théâtre Saint-Georges, Marie-France Mignal raconte dans le récit "À tout à l'heure" (Dacres) l'amour porté à son mari Alain Derobe, directeur de la photographie, disparu brusquement en 2012. Rencontre inédite et émouvante.
MON ACTU
à ne pas manquer
VOUS PUBLIEZ UN PREMIER LIVRE "À TOUT À L’HEURE" (DACRES), UN RÉCIT INTIME ET BREF D’ENVIRON QUATREVINGTS PAGES. À QUEL MOMENT VOUS ÊTESVOUS MISE À ÉCRIRE SUR CET INSTANT INTIME ?
Très vite. Seulement, je ne Absolument. savais pas très bien comment Pour moi. faire. J’avais un bloc-notes Pour près de mon lit avec un feutre. CE LIVRE, m’apaiser. Je m’y suis mise sans ordre L’AVEZ-VOUS Pour ressentir particulier. Ce n’est pas un ÉCRIT POUR des émotions roman ni un essai. Je ne sais VOUS ? fortes. Et pas très bien définir ce texte. pour me Je peux juste vous dire que remémorer cela sort de mon cœur et que des moments cela m’a fait du bien. L'AVIS DE LA RÉDACTIO intenses. N
DES MOMENTS PUISSANTS QUE VOUS PARTAGEZ AVEC LES AUTRES AUJOURD’HUI. Ma zone de confort, c’est le théâtre. J’étais comédienne. Avec ce livre, j’ai perdu ma zone de confort. Je suis allée sur un terrain nouveau. L’écriture m’oblige à assumer un autre comportement. Ce n’est pas mal du tout que cela m’arrive. (Sourire)
07
DANS CE LIVRE, VOUS PARLEZ DE LA PERTE DE VOTRE ÉPOUX QUI A EU LIEU IL Y A SIX ANS. LA DISTANCE EST-ELLE NÉCESSAIRE POUR POUVOIR ÉCRIRE ? Pas tellement. Non. J’ai commencé à écrire le premier feuillet après une petite année, une fois que toutes les démarches administratives étaient réglées. J’ai cru d’ailleurs que j’étais dans un autre axe de vie. Et en fait, pas du tout, j’étais dans le même axe. Et il a fallu que je le sorte.
L’ÉCRITURE EST UNE MISE À NUE. VOUS N’AVEZ DONC PAS TRICHÉ.
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Non, je n’ai pas triché parce que ce qui me paraissait beau, c’était pouvoir dire les choses comme je les ai vécues. Quelle que soit d’ailleurs l’impudeur de cela. Quand vous écrivez avec votre feutre et un bloc, bien sûr, il y a une impudeur, mais il y a aussi une vérité. J’avais sans doute besoin de cela.
CE TEXTE COMPORTE DE Je vous remercie. L’IMPUDEUR PUDIQUE… Je le prends. Je le reçois.
VOTRE TEXTE VA À L’ESSENTIEL. Absolument. Je crois bien. Je suis restée au moins un an sans avoir écrit l’épilogue. Et les choses sont venues naturellement. Je n’ai pas rencontré de difficultés.
Entretien par Christophe Mangelle
MARIE-FRANCE MIGNAL Je lui dis que je regrette que nous n’ayons pas réglé ça. Maintenant, c’est bien plus difficile. (Sourire) Il nous reste le ciel. MON ACTU
à ne pas manquer
VOUS PARTEZ D’UN POINT PERSONNEL ET VOUS TRANSFORMEZ CELA EN UNE DIMENSION UNIVERSELLE. VOTRE TEXTE PEUT AIDER DES LECTEURS QUI SONT EUX-MÊMES EN TRAIN DE VIVRE UNE PÉRIODE DE DEUIL. QU’EN PENSEZ-VOUS ?
Je l’espère. Nous vivons tous à la fois la même chose et des choses différentes. Si ce texte peut aider quelqu’un, c’est une joie, bien sûr. Je constate plusieurs lectures différentes de la part des lecteurs. J’ai un ami qui m’a appelé en me disant qu’il a été bouleversé et qu’en plus je donnais de l’espoir. Je ne sais même pas si au moment de l’écriture, j’ai pensé à donner de l’espoir. C’est juste que À tout à l’heure : je ne sais pas ni quand ni comment, mais je retrouverais homme-là, L ' Acet VIS D E L A sûrement. R É D A C T I O N
NOUS SOMMES TOUS SUR LE MÊME CHEMIN QUI NOUS CONDUIRA À CETTE FINALITÉ INÉVITABLE.
Exactement. Avec du mysticisme, une façon spirituelle et religieuse d’envisager les choses.
AU DÉBUT DU LIVRE, VOUS EXPRIMEZ LE MANQUE. ET ENSUITE, VOUS ÉVOQUEZ UNE CERTAINE JOIE QUI REVIENT. POUVEZ-VOUS NOUS EN DIRE PLUS ? C’est vrai, à ma grande surprise. (Rires) Même dans ma vieille maison qui demeure un fardeau, il est encore très présent. Et c’est très bien comme ça. Je me sens dans la paix avec moi-même. Mon cœur est en paix. Quelque chose comme ça. Mais il a fallu que j’accepte tout ça. VOUS Non. C’était pour être dans l’axe des choses. Ce que N’AVEZ PAS nous avons vécu de difficile et de facile est DANS Je lui dis que je CHERCHÉ À intéressant parce que c’est authentique. Je n’ai pas VOTRE regrette que nous ENJOLIVER besoin d’ajouter du rose ou du bleu. Les couleurs sont LIVRE, VOUS n’ayons pas réglé VOTRE déjà là. J’étais contente d’écrire les pages sur le fait VOUS ça. Maintenant, RELATION que je me sentais libre. En effet, les couples peuvent ADRESSEZ À c’est bien plus AVEC VOTRE aussi fonctionner comme ça. Nous ne sommes pas ALAIN, difficile. (Sourire) Il MARI. rayés de la carte parce que nous pensons VOTRE MARI. nous reste le ciel. différemment. C’est difficile aussi de vivre longtemps ensemble. Et encore plus dur de se dire : oh mon dieu, j’aime quelqu’un d’autre ou j’ai rencontré quelqu’un PAGE 30 d’autre. C’était très difficile à gérer.
Entretien par Christophe Mangelle
MARIE-FRANCE MIGNAL Ce livre est paru grâce à la nécessité qui brûlait en moi de coucher ces mots sur le papier. Je continue d’écrire MON avec ce même sentiment ACTU d’urgence. à ne pas manquer THÈME SECONDAIRE DU LIVRE : LA JALOUSIE. VOUS DITES QUE VOUS N’AVEZ JAMAIS ÉTÉ UNE FEMME JALOUSE ET PUIS D’UN SEUL COUP, ÇA VOUS TOMBE DESSUS !
Je trouvais les femmes jalouses dégradantes. Quelle horreur ! Je me croyais très au-dessus. Et puis, un beau jour, le cauchemar commence le jour où cela m’arrive. Un tsunami. Une folie. J’avais envie de tuer. (Rires) Nous en rions ensemble maintenant. Mais je vous assure que je n’ai pas du tout ri quand j’ai vécu cela. Lui-même m’a fait remarquer : mais, dis-moi, finalement, tu es jalouse. D’ailleurs, je balaie devant ma porte. J’ai souvent provoqué cela chez les hommes qui m’ont aimé. Cela vient certainement de quelque chose de très ancien et de très personnel. Je ne suis pas heureuse de les rendre jaloux.
L'AVIS DE LA RÉDACTION VOUS VOUS DÉVOILEZ DANS CE LIVRE. QUELS SONT LES PREMIERS AVIS DU LIVRE ? Avec surprise, je constate que certaines personnes le lisent et me regardent étrangement. Apparemment, j’ai beaucoup de joie de vivre. Et pourtant, avec ce livre, on me regarde parfois différemment. Les gens ne pensaient pas que je pouvais être à ce point troublée ou malheureuse. Il ne pensait pas que la perte d’Alain était si forte. Nous ne sommes pas à l’intérieur des gens. Nous ne savons pas. Cela ne me gène pas. Je suis un peu intimidé. Mais après tout, je l’ai écrit, j’assume.
À TOUT À L’HEURE, C’EST UN TITRE OPTIMISTE, À VOTRE IMAGE !
PAGE 31
Sûrement. C’est une certitude pour moi.
CONTINUEZ- Oui, j’aime bien cela. Ce livre est VOUS paru grâce à la nécessité qui D’ÉCRIRE ? brûlait en moi de coucher ces mots sur le papier. Je continue d’écrire avec ce même sentiment d’urgence.
Entretien par Muriel Leroy
MARIANNE GUILLEMIN Marianne Guillemin a joué le jeu de l'entretien pour la première fois. Elle évoque "L'envers du décor, la violence sans les coups" et "L'Estivant", tous les deux chez Edilivre. Rencontre.
MON ACTU
BONJOUR MARIANNE GUILLEMIN ! NOUS SOMMES RAVIS D’AVOIR PU DÉCOUVRIR VOTRE NOUVEAU ROMAN, L'AYANT BEAUCOUP AIMÉ "L’ENVERS DU DÉCOR, LA VIOLENCE SANS LES COUPS". POURRIEZ-VOUS NOUS EN DIRE DAVANTAGE ?
08 à ne pas manquer
POURQUOI CE BESOIN D’ÉCRIRE DES ROMANS SUR LA VIOLENCE FAITE AUX FEMMES ?
Il s’agit d’une relation d’emprise, dans un couple. Mais l’histoire commence quand Elvira, la femme, a mis un terme à cette relation. Elle commence par un acte de violence puisqu’elle tue son mari et, à partir de là, elle commence à comprendre et à s’en sortir. J’ai voulu montrer la solitude de ces femmes incomprises de tous, y compris de leurs proches, mais aussi d’elles-mêmes. Car l’émergence de la compréhension se fait en détricotant les faits, la relation. Elle y parviendra en prison…
J’ai d’abord raconté mon histoire personnelle, c’était une évidence, je voulais aider les femmes qui vivaient la même chose, et, en passant du témoignage au roman, j’ai senti qu’il y avait tellement de points d’entrée à partir de ces violences. Par exemple, comment AVEZ-VOUS RENCONTRÉ, AU COURS DE VOS les enfants se relevaient de cette maltraitance, RECHERCHES, BEAUCOUP DE FEMMES AYANT ÉTÉ L'AVIS DE LA RÉDACTION l’aspect si difficile du manque de compassion VICTIMES ? NE CONFOND-ON PAS SOUVENT PLUTÔT LES dont sont victimes ces femmes. Une femme qui DIVERSES PATHOLOGIES ? prend la responsabilité de partir, même si elle D’après les pys, le pervers narcissique est vraiment une construction subit des violences, doit d’abord s’en justifier mentale particulière. Ce sont des gens qui se nourrissent du conflit, et c’est une double peine. L’actualité, il est vrai, c’est leur mode de relation. Ils n’ont pas d’empathie et ils tirent donne matière à ce type de roman, même s’il jouissance du pouvoir qu’ils exercent. Ils sont assez reconnaissables, entre souvent dans la catégorie pervers justement, car même si toutes les histoires diffèrent, la chronologie narcissique, terme repris bien trop souvent, et des faits est toujours identique (séduction, emprise, destruction) qui ne veut, hélas, plus rien dire. chez le pervers comme chez la victime (qui est d’abord heureuse, puis déstabilisée, puis veut aider ou guérir l’autre et enfin se met comme je l’écris en mode survie). On est loin du simple caractériel…
VOUS AVEZ ÉCRIT UN TÉMOIGNAGE DE VOTRE PROPRE VIE "DANS LA GUEULE DU LOUP" ? COMBIEN DE TEMPS APRÈS AVEZVOUS PU ÉCRIRE VOTRE HISTOIRE ? PAGE 32
Pratiquement vingt ans… Je suis restée longtemps dans le déni, j’étais partie, j’étais libre et cela me suffisait… Il m’a fallu du temps pour prendre du recul, pour analyser.
VOUS ÊTES L’EXEMPLE DE LA PERSONNE QUI PEUT S’EN SORTIR ET ÊTRE À NOUVEAU HEUREUSE. QUE DIRIEZ-VOUS À CES FEMMES VICTIMES ?
Il faut leur dire qu’elles ne sont pas coupables. Et surtout, qu’elles ne pourront rien changer au comportement de leur conjoint. Un psy m’a dit un jour : la seule chose à faire est de mettre de la distance, physique et morale… Mais il faut être prête et cela ne vient pas au même moment pour tout le monde…
ON VOUS LAISSE LE MOT DE LA FIN… Une chose me parait importante, au-delà de la perversité et des relations toxiques, c’est le regard de la société sur le divorce et la séparation qui est encore vue et perçue comme un échec. Si on considère que la fin d’une histoire, signe juste la fin de quelque chose, les femmes ne s’accrocheraient peut-être pas tant à une relation qui les détruit. Je connais beaucoup de couples, ensemble depuis des années et qui sont fiers de cette durée de vie, alors même qu’ils sont malheureux ! Le but de la vie, à mon sens, est d’être heureux, car en étant heureux, on rend les autres heureux, on rayonne. Je ne regrette pas ma première relation, car elle m’a amenée à la personne que je suis aujourd’hui. Elle m’a permis à comprendre et à œuvrer moi-même pour rééquilibrer ma vie. Ce que je souhaite à toutes !
Entretien par Jean-Philippe Marguerite
VINCENT HAUUY
Vincent Hauuy est l'auteur du "Tricycle rouge" (Le livre de poche) plébiscité par Michel L'AVIS DE LA RÉDACTION Bussi. Il publie aujourd'hui "Le MON Brasier" chez Hugo & Cie. ACTU Éntretien inédit.
à ne pas manquer
EN ÉCRIVANT VOTRE PREMIER ROMAN, AVIEZ-VOUS ENVISAGÉ D’ÉCRIRE "LE BRASIER" ? La question est simple, mais la réponse l’est moins. Disons que j’ai dû couper ou occulter quelques pans de l’intrigue du Tricycle Rouge pour gagner en fluidité et ne pas trop alourdir l’intrigue (j’évoquais notamment Genetech et l’histoire de la famille de Sophie). Mais tout en les mettant de côté, je me suis dit que j’allais les exploiter dans un second opus. En revanche, l’intrigue du Brasier ainsi que certains des PAGE 33 personnages n’étaient pas du tout imaginés.
LES AVIS DES LECTEURS À PROPOS DU ROMAN « LE TRICYCLE ROUGE » VOUS ONTILS INFLUENCÉ SUR LE COURS DE L’HISTOIRE ? Sur l’intrigue proprement dite, non pas vraiment. Sur mon rythme de travail et ma motivation pour écrire : oui. Je me faisais un devoir de proposer la suite de mon histoire en fournissant un chapitre par jour. J’étais dans une sorte de transe d’écriture et le premier jet a été bouclé en quatre mois.
POURQUOI CE THÈME ? EST-CE TOTALEMENT FICTIF OU AVEZ-VOUS FAIT DES RECHERCHES ? Pour Le tricycle rouge, tout part du prologue et de mon personnage principal Noah Wallace. C’est la graine qui a fait germer le fruit de l’intrigue. L’histoire aurait pu avoir une autre trame de fond totalement fictive, mais j’ai rapidement éprouvé le besoin d’ancrer mon histoire dans une pseudo réalité historique , de baser mon roman sur des faits réels. D’ailleurs, vous pouvez facilement vérifier sur internet les projets évoqués. Pour Le brasier, c’est ma passion de la science qui m’a poussé à écrire sur le thème abordé. Et même si je me suis autorisé quelques extrapolations, je me suis basé sur des découvertes scientifiques. POUVEZ-VOUS NOUS PARLER DES PERSONNAGES ? Noah Wallace s’est manifesté très tôt dans mon esprit. Bien avant que j’écrive le Tricycle Rouge j’avais en tête ce type un peu fêlé, brillant et obligé de compenser ses capacités intellectuelles et ses capacités de déduction par l’empathie et l’intuition. En commençant le Tricycle Rouge, j’ai saisi l’opportunité de le faire naître et décider d’en faire mon personnage principal. La création Sophie Lavallée est survenue plus tard, au moment où j’ai imaginé les prémisses de l’histoire. Je voulais qu’elle marque un contraste fort avec Noah. Un personnage solaire, enthousiaste, optimiste, mais conscient que son charme est un outil de manipulation. Dans le Tricycle, j’ai conçu son arc narratif comme une descente progressive en enfer. Dans le Brasier, elle n’est plus la même, elle a essuyé des coups et s’est endurcie. Clémence Leduc a été pensée comme le personnage miroir de mon protagoniste. Mais elle renvoie à Noah un reflet de son passé, du temps où il n’avait pas le cerveau défaillant. C’est une surdouée dans son domaine qui fait écho au brillant profiler qu’il était. Cela étant, certains personnages naissent sans que je le demande, peut-être pour répondre à des besoins spécifiques de mon intrigue. Et il arrive que certains personnages secondaires me fascinent et que je m’attarde dessus en leur donnant un rôle plus prépondérant que prévu. Dans le Tricycle c’est Bernard Tremblay, dans le Brasier, c’est Abraham Eisik.
09
LES DEUX ROMANS SONT CONSTRUITS DIFFÉREMMENT, MAIS OBÉISSENT AUX MÊMES « RÈGLES » DRAMATURGIQUES.
POUVEZ-VOUS NOUS EN DIRE Dans les deux opus, il faut L ' A V I S D E L A R É D A C T IUN O NPEU PLUS SUR imaginer l’intrigue comme une L’ÉVOLUTION DU RÉCIT ? mosaïque plongée dans l’obscurité Dans les deux cas il s’agit d’une révélée progressivement par intrigue découpée en puzzle, chaque chaque personnage en possession chapitre est supposé faire une de ces d’une lampe. Cela pourra paraître deux choses : faire progresser complexe, mais il suffit juste de se l’intrigue (indice, révélation…) ou laisser guider, car elle sera développer un personnage. entièrement dévoilée à la fin.
TRAVAILLEZ-VOUS ACTUELLEMENT SUR UNE SUITE ? Pour l’instant, j’ai mis l’histoire de Noah et ses amis sur pause. Mon prochain roman sera un one shot , un thriller psychologique qui se déroulera en France cette fois-ci. Mais si vous avez lu le Brasier, vous savez qu’il y a de la marge pour une suite. Il faudra juste être patient. PAGE 34
ON VOUS LAISSE LE MOT DE LA FIN. Dans un futur proche, je compte montrer d’autres aspects de mon écriture. Les deux premiers étaient des romans choraux et assez denses, le prochain aura déjà un casting beaucoup plus léger et une intrigue plus simple. Dans tous les cas je mettrai toujours en avant mes personnages. Bien avant l’intrigue, ils sont les éléments centraux qui créent l’empathie avec le lecteur.
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LES CHRONIQUES LIVRE DE DAVID SMADJA
BERNARD MINIER PASSIONNANT, INTRIGUE SOLIDE COMME UN ROC
LIVRE LFC MAGAZINE DAVID SMADJA EST BLOGUEUR POUR "C'EST CONTAGIEUX" PHOTO : COUVERTURE DU LIVRE DE BERNARD MINIER, SŒURS (XO ÉDITIONS). JUILLET ET AOÛT 2018
LE NOUVEAU ROMAN DE BERNARD MINIER EST PASSIONNANT À PLUS D’UN TITRE. TOUT D’ABORD PARCE QUE L’INTRIGUE EST FOLLE ET, COMME À SON HABITUDE CHEZ MINIER, SOLIDE COMME UN ROC. ENSUITE, PARCE QUE RETROUVER LE PERSONNAGE DE MARTIN SERVAZ EST TOUJOURS UN DÉLICE LITTÉRAIRE, UN SORBET PÊCHE QUI FOND DANS LA BOUCHE ET RÉJOUIT LES PAPILLES, UNE RÉMINISCENCE DES PREMIERS BAISERS ÉCHANGÉS QUI RÉSONNE ENCORE DANS NOTRE PRÉSENT. RÉSONANCE ALIMENTÉE PAR LA RÉCURRENCE DES ROMANS. ACTUELLEMENT EN LIBRAIRIE
D’AUTANT QU’À LA SOLIDE INTRIGUE, MINIER INTÈGRE UNE RÉFLEXION MÉTA SUR LA PLACE DE L’ÉCRIVAIN DANS LA SOCIÉTÉ. QUELLE EST SON INFLUENCE AINSI QUE CELLE DE SON ÉCRITURE SUR LES LECTEURS ? À QUEL POINT UNE ŒUVRE PEUT-ELLE MARQUER LES ESPRITS AU FER ROUGE ET INFLUER SUR LES COMPORTEMENTS ? ON DIT SOUVENT D’UNE ŒUVRE (UN LIVRE, UN FILM, UNE CHANSON…) « ELLE A CHANGÉ MA VIE » ET L’HISTOIRE CONTÉE DANS « SŒURS » EN PROPOSERA UNE DÉMONSTRATION. EFFRAYANTE, BIEN SÛR : VOUS ÊTES DANS UN POLAR !
L’auteur s’interroge aussi sur les groupes de lecture qui peuplent les réseaux sociaux (ça vous parle, non ?��), sur les rapprochements entre l’artiste et son public - rapprochements permis voire rendus quasiobligatoires (forcés ?) par les nouvelles technologies. Est-ce une bonne chose finalement ? Ce qu’on gagne en proximité ne risque-t-on pas de le perdre en mystère et en part de rêve ? On ne peut évidemment pas tout transposer mais l’analyse est fine, pertinente, clinique, découpée au scalpel. C’est donc une mise en abyme de l’écrivain qui est proposée par l‘auteur. De fait, Bernard Minier s’est L ' Aun V Idouble S D E maléfique L A R É Den AC créé laT I O N personne d’Erik Lang, écrivain maudit au cœur de l’enquête, et s’amuse à brouiller les pistes avec des références évidentes à ses précédentes œuvres (je vous laisse la surprise). Un pur régal ! Un tour de force virtuose. Le fameux sorbet pêche dont je vous parlais ci-dessus agrémenté d’un nappage chantilly et d’un coulis chocolat. Onctueux et addictif. Minier nous gâte donc et va encore plus loin dans le fan-service en nous croisant l’intrigue générale avec la toute première enquête de Servaz. Le cadeau Bonux sans le détergent. De 1988 à 2018, les ramifications vont s’étendre, s’enchevêtrer et nous
offrir un canevas complexe, fouillé, haletant, n’hésitant jamais à nous prendre au piège de nos certitudes pour mieux nous embobiner. Roman après roman, Bernard Minier upgrade la puissance de son propos, enrichit la mythologie de Martin Servaz (je mets « Une putain d’histoire délibérément de côté) et construit une œuvre aboutie et réfléchie sans jamais la sacrifier à l’autel de la facilité. Exemplaire !
LA 4ÈME DE COUV' Mai 1993. Deux sœurs, Alice, 20 ans et Ambre, 21 ans, sont retrouvées mortes en bordure de Garonne. Vêtues de robes de communiantes, elles se font face, attachées à deux troncs d'arbres. Le jeune Martin Servaz, qui vient d'intégrer la PJ de Toulouse, participe à sa première enquête. Très vite, il s'intéresse à Erik Lang, célèbre auteur de romans policiers à l’œuvre aussi cruelle que dérangeante. Les deux sœurs n'étaient-elles pas ses fans ? L'un de ses plus grands succès ne s'appelle t-il pas La communiante ? L'affaire connaît un dénouement inattendu et violent, laissant Servaz rongé par le doute : dans cette enquête, estime t-il, une pièce manque, une pièce essentielle. Février 2018. Par une nuit glaciale, l'écrivain Erik Lang découvre sa femme assassinée... elle aussi vêtue en communiante. Vingt-cinq ans après le double crime, Martin Servaz est rattrapé par l'affaire. Le choc réveille ses premières craintes. Jusqu'à l'obsession. Une épouse, deux sœurs, trois communiantes... et si l'enquête de 1993 s'était trompée de coupable ? Pour Servaz, le passé, en ressurgissant, va se transformer en cauchemar. Un cauchemar écrit à l'encre noire.
Lire aussi page 127
L'INTERVIEW de Bernard Minier !
LES CHRONIQUES LIVRE DE DAVID SMADJA AVEC UN ZESTE D'INTERVIEW Roy Braverman, hunter
CETTE CHRONIQUE SERA PONCTUÉE DE BRIBES D’INTERVIEW DE L’AUTEUR GLANÉES LORS DE L’EXCELLENTE RENCONTRE ORGANISÉE PAR LE SITE BABELIO LE LUNDI 14 MAI 2018. COMME ON A CARTE BLANCHE DANS LFC MAGAZINE... J'EN PROFITE POUR VOUS EN FAIRE PROFITER !
11 Bienvenue dans votre ciné-club du vendredi ! Prenez place ! La séance qui va débuter va décoiffer les plus sages d’entre vous. Fini la coupe au bol, c’est à l’iroquoise que vous vous baladerez désormais dans votre centre-ville. Oui, décoiffée est la sensation qui imprègnera votre esprit lorsque que vous refermerez le bouquin. Car tout est huge ici, bigger than life (NDLR : le chroniqueur veut dire « énorme » en se la pétant avec son langage de geek !), l’action, les situations, les personnages...
« Hunter » est un pur actionner, une sorte de film où les images sont remplacées par des mots. Des mots puissants, suffisants pour visualiser instantanément dans votre cerveau une série B d’action maîtrisée de main de maître.
J’ai écrit Hunter à l’américaine, de manière linéaire. Au départ, j’ai juste les personnages de Hunter et de Freeman et je me laisse porter. Crow arrive ensuite. Les personnages arrivent au fur et à mesure de l’écriture et c’est ce qui me plaît : me surprendre. Je veux prendre du plaisir à l’écriture et me surprendre. Que de superlatifs pour un premier roman et un auteur inconnu, Roy Braverman. Premier roman vraiment ? Bon, beaucoup d’entre vous le savent déjà et pour les autres, une petite précision s’impose : Roy Braverman = Ian Manook ! Soucieux de ne pas s’endormir sur les lauriers du sémillant « Yeruldelgger », Patrick Manoukian (de son vrai nom) délaisse pour quelque temps son identité mongole de Ian Manook pour endosser celle plus américaine de Roy Braverman. Et ça change tout ! La patte est plus sèche, plus abrupte, plus nerveuse ici. Bref plus resserrée.
LES CHRONIQUES LIVRE DE DAVID SMADJA Au niveau des pseudos j’ai toujours aimé jouer avec eux. Pour Ian Manook et "Yeruldelgger" , ça vient d’un pari avec ma fille. Pendant 50 ans, j’ai écrit plein de romans sans jamais en terminer aucun. Quand ma fille est partie vivre à Buenos Aires, je lui ai dit "tu veux que je t’envoie mes écrits ? ", elle en avait marre de lire, depuis ses 13 ans, des romans jamais finis alors elle m’a lancé le défi d’écrire deux romans par sous deux pseudos différents. J'ai relevé le défi mais vu le succès rencontré par "Yeruldelgger" j’ai gardé le pseudo. Pour "Hunter", je voulais faire un polar plus linéaire, plus intense, plus amusant. Roy signifie roi en français et ça m’amusait, ça me fait aussi penser à Roy Orbison. Pour Braverman, j’explique son origine dans la préface du roman. Et ça commence dès les premiers chapitres avec une introduction cataclysmique, décrite avec une écriture cinématographique, cristallisant l’événement dans vos rétines rétives. Le ton est donné et une incroyable intrigue faite de faux-semblants, de meurtres sanguinolents et de rebondissements inattendus va débuter et vous plonger le nez dans un roman écrit à la superglue tant on n’arrive pas à se détacher des pages !
Je m’autorise toutes les violences à partir du moment où elles servent le roman.
Braverman construit des personnages comme on construit des ponts : solides, consistants, pittoresques et forts en gueule (NDLR : il faudra que le chroniqueur nous indique où il a vu de tels ponts !). D’ailleurs, l’auteur ne se donne pas la peine de nous les décrire préférant se concentrer sur leurs attitudes et les affuble de noms d’acteurs pour que nous les visualisions instantanément dans notre imaginaire. Efficacité garantie !
Oui, je me laisse porter par les images que j’ai dans la tête. J’aime donner une vraie consistance à mes personnages, même les secondaires. Ils se construisent avec le dialogue et les expressions. J’essaie d’éviter les descriptions de mes personnages. Je n’ai jamais décrit "Yeruldelgger" à part dire qu'il a de grosses mains. Tout est dans l’intrigue et les dialogues. Donner un nom d’acteur aux personnages m’aide à les visualiser. Freeman pour Morgan Freeman, Hackman pour Gene Hackman... Je pense que les personnages peuvent se passer de descriptions ce qui n’est pas le cas pour les paysages. ROY BRAVERMAN - HUNTER ACTUELLEMENT EN LIBRAIRIE
LES CHRONIQUES LIVRE DE DAVID SMADJA AVEC UN ZESTE D'INTERVIEW PLUS GRIVOIS QU’À SON HABITUDE, L’AUTEUR A TREMPÉ SA PLUME DANS L’ENCRE D’EROS TANT IL RÈGNE, DANS CET UNIVERS BADASS ET BRUTAL, UN PARFUM DE SENSUALITÉ LÉGER COMME UNE FRAGRANCE EMPREINT D'UN MAGNÉTISME ANIMAL. « Hunter » affiche un côté outrancier à la Bourbon Kid pas déplaisant dans la description graphique de ses meurtres et de ses personnages. Ce brave Braverman (NDLR : nous présentons toutes nos excuses aux lecteurs pour le style redondant qui redondit du chroniqueur - rassurez-vous, on ne le paie pas !) nous nourrit avec la générosité d’un papa poule donnant la becquée à ses oisillons affamés. Comme toujours, lire un roman de Patrick Manoukian (Ian Manook, Roy Braverman...) est une promesse de voyage et de dépaysement. « Hunter » n’échappe pas à la règle. Bonne nouvelle, il s'avère que les suivants le seront aussi !
J’ai de la facilité à écrire, je n’ai pas le syndrome de la page blanche. J’écris plusieurs romans en même temps. Hugo Thriller m’a acheté une trilogie pour "Hunter". La seule chose que je sais est que le deuxième (Crow) se passera en Alaska et le troisième (Freeman) en Louisiane. Parallèlement, sous le pseudo Ian Manook, mon prochain roman qui sortira à la rentrée chez Albin Michel se passera en Islande et je suis déjà en train de travailler (pour une sortie fin 2019) sur une saga arménienne qui se déroulera sur 100 ans entre 1915 et 2015. Je vais m’inspirer du destin de ma grand-mère qui a été vendue jeune en tant qu’esclave et l’action se déroulera sur 3 continents.
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LES CHRONIQUES LIVRE DE DAVID SMADJA
LIVRE LFC MAGAZINE
J.R. DOS SANTOS HYPNOTIQUE, FASCINANT, RICHE
DAVID SMADJA EST BLOGUEUR POUR "C'EST CONTAGIEUX" PHOTO : COUVERTURE DU LIVRE DE J.R.DOS SANTOS, SIGNE DE VIE (HC ÉDITIONS). JUILLET ET AOÛT 2018
AAAH LES EXTRA-TERRESTRES, LEUR PETITE BOUILLE ATYPIQUE LÉGÈREMENT DÉFORMÉE, LEURS YEUX EN FORME DE BILLE NOIRE, LEUR COULEUR DE PEAU VERT DE GRIS PHOSPHORESCENT TELLEMENT TENDANCE SUR LES ROOFTOPS PARISIENS, LEURS LONGS DOIGTS EFFILÉS QUI T’AGRIPPENT LE COU… OUI, JE LES DÉJÀ AI RENCONTRÉS. POUR MOI, TOUT A COMMENCÉ PAR UNE NUIT SOMBRE, LE LONG D’UNE ROUTE SOLITAIRE DE CAMPAGNE ALORS QUE JE CHERCHAIS UN RACCOURCI QUE JAMAIS JE N’AI TROUVÉ... MAIS POUR CÉLÉBRER LEUR RETOUR ET BIEN LES ACCUEILLIR, JE LEUR AI PRÉPARÉ UNE CHANSON : « LES ALIENS SONT NOS AMIS, IL FAUT LES AIMER AUSSI, COMME NOUS ILS ONT UNE ÂME, COMME MORBAC ET MOUCHAM ! » ACTUELLEMENT EN LIBRAIRIE
Le postulat de « Signe de vie » est de répondre à la question « Sommesnous vraiment seuls dans l’univers ?» de manière romanesque certes, mais étayé. Étayé car nous sommes dans un livre de José Rodriguez Dos Santos et que c’est sa marque de fabrique. Vulgariser les sciences et l’Histoire de l’humanité, se les approprier pour construire son œuvre, défendre ses thèses et nous raconter des histoires extraordinaires. Une fois de plus, Dos Santos met en scène son personnage fétiche Tomás Noronha, le cryptanalyste surdoué, son Robert Langdon à lui. Un candide lettré qui sert de passe-partout pour crocheter la serrure des secrets de l’univers.
Sauf que la vulgarisation est un peu en panne ici. On sent bien que l’auteur fait de son mieux mais même si le sujet est passionnant, il faut un doctorat en physique quantique, en mathématiques appliqués et en biologie pour comprendre vraiment les détails des discussions entre scientifiques. C’est le plus grand défaut du roman, d’autant qu’elles occupent quasiment 500 des 650 pages du livre. De fait, l’auteur réserve une portion congrue au voyage dans l’espace alors que le lecteur s’impatiente de l’expectative de la rencontre (ou pas, il faudra lire le livre pour le savoir) avec l’inconnu. Mais plus qu’un roman c’est un essai, L ' Aréflexion V I S D EsurL A RÉDAC TION une le mystère (toujours pas résolu d’ailleurs) de l’apparition de la vie sur terre et au-delà. La mécanique de création de la vie est-il divin ou le fruit du hasard ? Eternelle question dont la réponse reste en suspens au-dessus de nos têtes. De toutes façons, comme dans chacun de ses livres, la réponse est toujours question de sensibilité et de convictions profondes. L’auteur déroule ses arguments mais chacun y puisera ce qu’il veut bien y trouver. C’est ce qui fait le charme de l’auteur de « L’ultime secret du Christ » et de « La formule de Dieu » : de quoi alimenter ses thématiques ne s’estompent pas après la lecture du bouquin mais nous hantent, nous
poussant à nous questionner. Néanmoins, ce roman est hypnotique et la fascination dégagée par les thèses et les faits émis possède un caractère magnétique. Même si les néophytes (je m’inclus dedans) n’en comprendront pas tous les détails et les exigences, cela reste suffisamment passionnant pour avoir envie d’aller aux confins de l’intrigue tout comme l’équipage ira aux confins de sa destinée.
LA 4ÈME DE COUV' Les immenses radiotélescopes de l'institut SETI en Californie viennent de capter un signal inhabituel venu de l'espace sur la fréquence 1,42 GHz. Un signe de vie. La NASA, l'Agence spatiale européenne et la CNSA en Chine, préparent une mission internationale pour découvrir qui émet ce signal. En tant que cryptanalyste reconnu dans le monde entier, Tomás Norhona est recruté pour faire partie de l'équipe des astronautes qui seront à bord de la navette Atlantis. Loin de s'imaginer ce qu'ont déjà découvert les scientifiques sur ma vie extra-terrestre, il plonge alors au cœur du plus grand mystère de l'univers. Le mystère de la vie.
Lire aussi dans LFC #10 JUIN 2018
L'INTERVIEW de J.R. DOS SANTOS
PHOTOS EXCLUSIVES ENTRETIEN INÉDIT PAR CHRISTOPHE MANGELLE PHOTOS : POCKET
LFC MAGAZINE - #11 - JUILLET-AOÛT 2018
NADIR DENDOUNE
Place d'Italie, nous déjeunons avec Nadir Dendoune, journaliste, écrivain et réalisateur du film "Des figues en avril" dans lequel il met en scène le quotidien tendre et authentique de sa SELINA RICHARDS maman. Rencontre avec l'auteur de "Nos rêves de pauvres" (Pocket) pour un entretien sans filtre. Franc-parler, sincérité et bonne bouffe sont au programme. Rencontre exclusive !
LFC : Bonjour Nadir Dendoune ! Vous
Faire des films, même chose. Il y a dix ans,
publiez Nos rêves de pauvres (Pocket).
jamais je n’aurais pensé que je serais là avec
Comment avez-vous commencé ?
vous en train de répondre à vos questions. Jamais je n’aurais pensé que je sortirais un film
ND : À chaque fois que je commence un
en salles. Pour relever ce challenge, il a fallu que
projet, je commence de zéro. Après, c’est
je perde mon complexe de pauvre. Parce qu’on
peut-être aussi ma force. Je continue de me
m’a fait croire aussi qu’il fallait de l’argent, du
battre. Je ne suis pas un fils de bourgeois. Je
réseau. Alors que ce n’est pas vrai. Quiconque
n’ai pas de réseau. J’ai tout construit seul.
peut y arriver. J’ai beau avoir écrit des livres ou
Quand je réalise le film Des figues en avril,
réalisé des documentaires, je suis encore
dans lequel je parle de ma mère. Je le fais
complexé. Quand on est pauvre, on est pauvre
parce que je veux qu’il soit vu pour
pour toute la vie.
commencer par des gens qui ne vont pas au cinéma. Une des choses dont je suis le plus
LFC : C’est un moteur pour vous.
fier avec ce film, c’est ça. D’arriver à faire venir
43
des gens qui ne fréquentent pas les cinémas.
ND : Carrément. Annie Ernaux a dit qu’elle
Il existe encore des personnes en France qui
écrivait pour venger sa race de femme et de
pensent que le cinéma, ce n’est pas pour eux.
prolo. Je suis comme elle. Je n’écris pas pour
D’autres qui pensent que lire, ce n’est pas
plaire à une élite. À titre personnel, je n’en ai
pour eux. Ce sont des images que la société
même rien à foutre. De nombreux auteurs des
leur renvoie. Quand j’étais petit, j’étais
quartiers populaires, des villages, écrivent pour
persuadé qu’écrire, c’était pour les riches.
avoir la reconnaissance de cette élite.
NADIR DENDOUNE - LFC MAGAZINE #11
Sincèrement, je n’en ai rien à foutre ! Ma reconnaissance, c’est quand des gamins de mon quartier qui n’ont jamais lu un livre de leur vie lisent Un tocard sur le toit du monde ou Nos rêves de pauvres, ça me touche. Ou alors quand des mamans viennent au cinéma
E Lavril, INA pour la première fois voir Des figuesSen c’est magique ! LFC : Vous inspirez les jeunes. Vous leur donnez envie de créer.
Ma reconnaissance, c’est quand des gamins de mon quartier qui n’ont jamais lu un livre de leur vie lisent "Un tocard sur le toit du monde" ou "Nos rêves de pauvres", ça me touche. Ou alors quand RICHARDS des mamans viennent au cinéma pour la première fois voir "Des figues en avril", c’est magique !
ND : Parfois. Une jeune trentenaire m’a dit qu’elle souhaitait écrire un livre sur ses
veut, on peut. Ce qui veut dire qu’il n’existe
parents. Pendant longtemps, les hommes ont
aucune problématique sociale.
parlé à la place des femmes. Les bourgeois ont parlé aussi à la place des gens des
LFC : Dans Nos rêves de pauvres, vous évoquez
quartiers populaires. Ils franchissaient le
les difficultés de la presse en parlant d’un
périphérique. Ils s’asseyaient avec nous. Ils
quotidien. La chute est que si le journal
faisaient des films et des livres. Je pense que
disparaît, votre mère ne pourra plus utiliser le
c’est aussi à nous de raconter nos propres
papier journal pour les épluchures de ces
histoires. Ras-le-bol de se faire déposséder de
pommes de terre. C’est d’une grande lucidité et
notre vécu. Quand nous les racontons, nous
très poétique.
les exprimons avec de la nuance et avec de l’universalité. Ce que les bourgeois ne font
ND : La presse meurt. Et pourtant, le journal papier
pas ni les politiques d’ailleurs. Eux, ils y
fait partie nos vies. Je suis très content que ce
mettent du paternalisme moralisateur. Et très
passage vous ait touché.
vite, nous sommes dans le cliché, avec une vision apocalyptique : la drogue, la
LFC : Votre livre s’appelle Nos rêves de pauvres.
délinquance, l’islamisme. Franchement, il y en
Ceci dit, mettons les pieds dans le plat, ce n’est
a marre. En banlieue, dans les quartiers
pas honteux d’être pauvre.
populaires, dans les villages, dans les villes de
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province, il existe des gens normaux. C’est
ND : Absolument. Le terme pauvre est galvaudé.
même l’immense majorité. Des mères de
Avant, nous n’avions pas honte d’être pauvres
famille élèvent leurs gamins seules. Autre
parce que nous avions des valeurs. Les films
point qui me gêne avec les riches, c’est qu’ils
représentaient bien les classes modestes. Ceux
demandent aux pauvres de faire des efforts.
avec Jean Gabin. Le pourcentage des familles
Je déteste la phrase de bourgeois : quand on
modestes est bien trop important. Et pourtant,
Quiconque peut y arriver. J’ai beau avoir écrit des livres ou réalisé des documentaires, je suis encore complexé. Quand on est pauvre, SELINA RICHARDS on est pauvre pour toute la vie. nous n’en parlons plus des pauvres en
belle voiture, une belle nana, plus nous allons
France. Ce mot pauvre, il est beau. Nous
être heureux. Ma mère est dans une autre
pouvons vivre avec peu de choses et être
temporalité. Le film est lent. C’était pour
heureux. Ma mère exprime cela dans le
représenter la vitesse à laquelle elle vit. Qui
film Des figues en avril. Nous n’étions pas
prend deux heures pour boire son café ? Ma
bien habillés. Néanmoins, elle faisait tout
mère pense que nous allons trop vite. Elle est
pour que nous soyons propres. Elle nous
dans les plaisirs simples. C’est beau de préparer
badigeonnait d’eau de Cologne. Chez ma
des plats pour les servir aux gens que tu aimes.
mère, c’était propre. Tous les jours, elle
Certains verront cela comme de la soumission. Et
passait la serpillère. Souvent ceux qui
pourtant, pour ma mère, c’est de la générosité.
n’ont pas grand-chose prennent soin de leur appartement. Parce que c’est aussi
LFC : La couverture du livre est magnifique.
leur fierté. La dignité de s’en sortir en
C’est une photo que l’on peut voir sur le mur
possédant le minimum.
d’un immeuble à Paris, à Porte de Vanves.
LFC : Vous évoquez autant dans votre
ND : En 2009, un journaliste de Libération
film que dans votre livre le plaisir des
souhaitait réaliser mon portrait dans le journal.
choses simples.
Un photographe de Libération, Jérôme Bonnet est venu. Il a fait la photo qui a gagné le
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ND : Bien sûr. Nous sommes dans une
troisième prix de la World Press Photo. Quand
société qui nous dit l’inverse, qu’il faut
mon père a vu cette photo, il l’a détesté. Parce
marcher sur son voisin pour obtenir de la
que lui, il est à l’ancienne. Quand on prend une
thune. Il faut en vouloir, créer sa boîte. À
photo, on pose bien habillé, rasé et droit. Il a dit :
quoi cela rime-t-il ? Cela se mesure-t-il à
j’ai les yeux fermés. Personnellement, j’aime
ce que tu fais et non à ce que tu es ? Plus
beaucoup cette photo qui illustre la couverture
nous avons du fric, une belle maison, une
de Nos rêves de pauvres.
LFC MAGAZINE
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#11
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JUILLET-AOÛT 2018
FRANÇOISE D'ORIGNY
INTERVIEW
PAR CHRISTOPHE MANGELLE PHOTOS : PHILIPPE MATSAS LEEMAGE
Juin 2018, nous avons rendez-vous dans la demeure prestigieuse et chaleureuse de Françoise d'Origny qui nous reçoit avec enthousiasme. Comme S E L Idans N A R I C son H A R D Slivre "Ces jours qui ne sont plus" (Fauves), elle porte durant cet entretien un regard drôle, lucide et sans concession sur son existence. Rencontre exclusive.
LFC : Bonjour Françoise d’Origny ! Vous
LFC : Vous avez donc regardé votre vie dans
publiez Ces jours qui ne sont plus (Fauves
un rétroviseur.
éditions). Comment est née l’idée de ce livre ?
FDO : Absolument. La petite fille d’avant la guerre n’a plus rien à voir avec la Françoise
FDO : Je n’avais aucune idée de l’écrire. Un
d’aujourd’hui. À travers toutes les périodes de
jour, j’ai rencontré un prêtre qui m’a dit : vous
ma vie, j’ai renoué avec ce personnage de
êtes bien Françoise d’Origny ? Vous avez écrit
petite fille, d‘adolescente, de femme. J’ai été
un livre qui s’appelle Les maisons
plusieurs personnages jusqu’à devenir celui
dangereuses ? J’ai dit oui, en effet. Il m’a
que je suis aujourd’hui, en attendant de
confié qu’il était certain qu’il y avait
disparaître étant donné mon âge. (Rires) En
beaucoup plus de choses encore à savoir. Il
effet, à chaque fois, le jeu de la vie m’a fait sortir
m’a demandé si je possédais des archives. Je
un autre personnage. Il faut s’adapter. Je suis
lui ai dit oui. Il est donc venu pour les
de la génération - de celle de la guerre - qui a
consulter et les scanner. Une fois terminé, il
au moins appris quelque chose en ayant
m’a dit : maintenant que je me suis donné tout
survécu, c’est qu’il faut survivre et s’adapter. Et
ce mal, vous allez écrire vos mémoires. Cela
se dire, qu’y a-t-il en moi qui peut se démerder ?
m’est tombé dessus. Quand j’ai commencé à
Excusez-moi le terme ! (Rires)
écrire, c’était comme la sensation de regarder
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un film. Je n’avais jamais pensé à observer
LFC : Si nous nous démerdons bien comme
ma vie ainsi. Et c’est un film que j’ai vu avec
vous dites, nous pouvons espérer passer de
émotion.
la survie à la vie.
FDO : Oui, aller vers d’autres formes de vie. Quand nous voyons la vie, elle peut être multiple. Au regard de la vie de certaines personnes, nous pouvons constater que la nôtre a été tellement pauvre, tellement limitée, que nous avons eu très peu
E Ltout INA d’expérience. Certaines personnesSont de même fait des choses extraordinaires. Je n’ai rien fait d’exceptionnel. Rien du tout.
Quand j’ai commencé à écrire, c’était comme la sensation de regarder un film. Je n’avais jamais R pensé I C H A R D S à observer ma vie ainsi. Et c’est un film que j’ai vu avec émotion.
LFC : Quel jugement portez-vous sur votre vie ? À la lecture de votre livre, c’est tout de même exceptionnel…
FDO : Dans trois ans, j’aurai quatre-vingt-dix ans. C’est un peu rude.
FDO : Je n’ai rien accompli. Je ne suis pas un génie de peinture. Il se trouve qu’avec cet œil
LFC : Vous parlez de l’exode dans votre livre.
du peintre, et à cause de mes expériences de la guerre, j’ai eu l’âge suffisant pour
FDO : Le grand changement dans ma vie a eu lieu
comprendre un certain nombre de choses.
lorsque j’étais petite fille, avec mon frère plus
Mais pas assez d’années pour m’impliquer. Je
jeune que moi de deux ans… L’exode est arrivé. Au
ne sais absolument pas si j’aurais été
bout de la grande avenue du château où nous
courageuse ou non. Je n’en sais rien du tout.
habitions, ce fut le choc. Car nous avons été
J’ai une cousine qui à l’âge de quinze ans,
confrontés à l’exode. C’était un grand choc.
trois ans de plus que moi, a été une héroïne.
Brusquement, nous nous retrouvions dans une
Je n’ai jamais eu à donner une preuve d’une
situation épouvantable auquel rien ne nous avait
qualité supérieure. Disons que c’est la
préparé. Et être face à des choses que nous
conclusion que je dresse à propos de ma vie.
n’aurions pas imaginé voir. Nous avons traversé la
Je m’en suis tirée, mais je n’ai rien fait de
France comme toute la France. Et étrangement,
fabuleux. C’est triste.
toute la France était sur les routes. Les femmes couchaient dans les fossés. Les vieillards
LFC : Il n’est jamais trop tard…
mourraient sur les matelas sur lesquels nous les
FDO : (Malicieuse) Il se fait très tard mon cher
avions mis. Les avions italiens bombardaient les
Monsieur. (Rires) Quatre-vingt-sept ans, c’est
routes. Curieusement, à cette période, il n’y avait
très très tard !
pas de soutien psychologique. Je ne sais pas comment les Français s’en sont tirés. Aujourd’hui,
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LFC : Même s’il est très tard. Un espoir
pour un rien, le soutien psychologique est
réside, la vie est encore là.
proposé. (Rires)
F R A N Ç O I S E L F C
D ' O R I G N Y
M A G A Z I N E
# 1 1
Toutes ces aides psychologiques laissent penser que les gens sont incapables de ne rien supporter. Nous infantilisons les citoyens jusqu’au bout de leur vie. Jamais, ils ne seront adultes. Malheureusement, la vie est dure. Et nous devons bien Snous aux épreuves. E L I N A confronter RICHARDS LFC : Le soutien psychologique est un
Sologne pouilleuse, au milieu des marécages.
progrès !
Ce n’était pas du tout un coin stratégique. Les Allemands ne se sont jamais pointés par là.
FDO : Je ne crois pas. Je pense que ce
Nous avons échappé pendant deux ans à la
n’est pas un problème. Toutes ces aides
guerre. C’est une grande chance, même si
psychologiques laissent penser que les
nous sentions bien qu’il se passe des choses.
gens sont incapables de ne rien supporter.
Nous étions avec nos cousins germains, cinq
Nous infantilisons les citoyens jusqu’au
enfants lâchaient dans la nature. Sans
bout de leur vie. Jamais, ils ne seront
beaucoup de contrôle, c’est donc deux
adultes. Malheureusement, la vie est dure.
années extraordinaires. Un peu de sauvagerie
Et nous devons bien nous confronter aux
que nous avons jamais eu dans un temps de
épreuves. Certains événements sont
paix. (Rires)
terribles de nos jours. Mais n’oublions pas que la guerre était bien pire. Et les gens ont survécu. Quand on a bombardé la gare
LFC : Vous parlez aussi de la brousse
de Vierzon, j’y étais. Je me cachais sous la
africaine…
table de la salle d’attente. Je n’ai pas eu de soutien psychologique. J’avais ma
FDO : Après la guerre, je voyage en Angleterre
nounou avec moi. Et nous nous sommes
et ensuite en Italie. Je me marie avec
démerdés ! (Rires)
Monsieur Harcourt qui n’aimait que l’Afrique. Quand je l’ai épousé, nous allions enregistrer
LFC : Et ensuite…
sur place les musiques des tribus africaines. Nous nous retrouvions dans une camionnette
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FDO : Nous nous sommes vite rendu
avec du matériel. Car à l’époque, les systèmes
compte avec mon frère que nos parents
d’enregistrement, c’étaient des grosses bêtes.
faisaient des choses dangereuses : la
Rien à voir avec la petite chose que nous
résistance à un point critique. Nous avons
avons aujourd’hui dans notre poche. Nous
donc été envoyés très loin en pleine
crapahutions dans toute l’Afrique, de Dakar
F R A N Ç O I S E L F C
D ' O R I G N Y
M A G A Z I N E
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jusqu’au fond du Congo belge. J’ai vu
moi : Merda ! Puta ! J’étais très vexée. Il m’a
l’Afrique vraiment africaine, pas du tout
expliqué qu’il était peintre. Et il m’a dit : pour
l’Afrique des villes. Nous assistions à des
moi, ce qui est important, ce n’est pas ma
rites, à des danses… C’était très intéressant.
peinture, c’est LA peinture. La peinture en soi, c’est extraordinaire. Il en parlait comme d’une
LFC : Votre vie, c’est un roman ?
déesse. Il m’a dit : si vous continuez comme ça à offenser la peinture, c’est une catastrophe. C’est
FDO : Je ne sais pas. J’observe juste que
SELINA
dans les moments tragiques se niche
une honte. J’étais rouge écarlate de rage. Il m’a
RICHARDS
invité à voir ce qu’il faisait et j’ai constaté que ce
toujours un détail drôle. C’est un mélange
n’était pas du tout ce que je faisais. Je l’ai donc
de tout. C’est très étrange. Avec mon
supplié de m’accepter dans ses cours. Pendant
deuxième mari, j’ai découvert un autre
un an et demi, j’allais toutes les semaines dans
milieu. De la haute aristocratie, je suis
son atelier. J’étais insultée. Jamais encouragée.
tombé dans le milieu universitaire. Avec
(Rires) On ne fera jamais rien de vous ! C’est une
des rangs, des nuances de pouvoir, des
catastrophe ! Quel temps perdu avec vous ! C’est
échelons, etc. Ces messieurs sont très
horrible ! Vous ne comprenez rien ! C’est encore
pointilleux. Les rites donnent des repères.
horrible ce que vous avez fait aujourd’hui !
S’il n’y a plus de repères, c’est l’anarchie. Et
Jamais encouragée.
ce n’est pas la liberté. L’anarchie n’est pas la liberté. C’est au contraire une contrainte
LFC : Comment avez-vous réagi ?
les uns sur les autres épouvantables, puisqu’on craint la brutalité du voisin. Le
FDO : C’est un test. Si on aime quelque chose,
rituel encadre votre brutalité humaine.
on s’y accroche. Si vous êtes anéanti par des
Nous obtenons beaucoup de liberté à
découragements, c’est que vous n’aimez pas
l’intérieur des rites. C’est mon avis.
vraiment cette activité. Si vous le souhaitez au fond de vous, vous acceptez tout ce que l’on
LFC : La peinture a été votre métier.
vous dit. Tout. J’ai donc tout accepté.
FDO : Enfants, mon frère et moi-même
LFC : Aimeriez-vous que ce livre devienne un
n’avions pas le droit de dessiner. C’était
film ?
interdit de s’exprimer en tant qu’enfant.
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Ceci dit, très jeunes tous les deux, nous
FDO : Je suis déjà extraordinairement heureuse
avions des capacités artistiques. J’étais très
que ce livre ait déjà eu l’accueil qu’il a reçu.
contente de moi. À cet âge-là, j’étais
C’est pour moi une surprise. Je ne m’y attendais
persuadée d’être la dernière merveille du
pas du tout. En effet, je peux toujours rêver. Je
monde. J’étais sur la colline au-dessus de
serais très heureuse si ce livre avait une autre
Florence, une vue admirable, je peignais.
répercussion. De nombreux historiens m’ont dit
J’étais très contente de ce que je faisais.
que ce livre resterait parce qu’il est le témoin
J’ai entendu quelqu’un me dire, derrière
d'une époque avec un regard qui m'est propre.
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JUILLET-AOÛT 2018
SAMUEL DOCK
ENTRETIEN INÉDIT PHOTOS EXCLUSIVES
PAR CHRISTOPHE MANGELLE PHOTOS : PATRICE NORMAND LEEXTRA
Juin 2018, nous avons rendez-vous avec Samuel Dock pour une séance de photos exclusives au cœur de Paris. Après "Le nouveau choc des générations" (avec Marie-France SELINA RICHARDS Castarède), Samuel Dock publie "Punchlines, des ados chez le psy" (First Éditions), un florilège des meilleures phrases entendues en consultation. Entretien inédit. LFC : Bonjour Samuel Dock ! Vous publiez
peut nous arriver, ce que va être l’épreuve,
Punchlines des ados chez le psy (First
l’idée qui va nous traverser l’esprit. Finalement,
Éditions). C’est votre quotidien.
c’est vivant, créatif et fécond. Le lecteur s’amuse et réfléchit comme on le fait à
SD : C’est effectivement mon quotidien de
l’adolescence.
psychologue auprès de jeunes âgés dentre douze et vingt ans au cours de mes six années de
LFC : Votre titre Punchlines des ados chez le
pratique en libéral, dans le milieu associatif ou
psy est non mensonger, car nous avons noté
encore hospitalier. J’ai souhaité en donner un
des phrases-chocs. La vérité sort de la
aperçu dans ce livre.
bouche des enfants… Mais pas que.
LFC : Ce livre se feuillette…
SD : C’est ce que je dis dans le livre. La vérité s’exprime encore mieux dans la bouche des
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SD : Oui, j’avais vraiment envie dans la
ados. Je reprends cette idée. Je pense que
construction de l’ouvrage qu’il y ait une surprise
derrière la publication de ces punchlines, il y a
à chaque page. Le lecteur ne sait jamais qui il va
un plaidoyer pour l’adolescence. Les parents
rencontrer, sur quel thème il va tomber ! Et que ce
ont tendance à ne pas écouter leurs ados. La
dernier se laisse complètement emporter dans
société de manière générale n’écoute pas le
cet univers de transformation, que la période de
désir et le souhait des adolescents. J’avais
l’adolescence propose. C’est comme si le livre lui-
vraiment envie de rendre hommage à cette
même était une métaphore de ce que peut être
pensée vivace, vivante, pertinente,
l’adolescence. Nous ne savons jamais ce qui
impertinente, insolente, puissante et efficace,
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dans le but de la valoriser, de la sublimer, d’en faire un écrin et surtout d’en faire une leçon de vie. C’est quelque chose qui était important pour moi. Qu’on puisse accéder à cette richesse de la pensée de l’adolescent, à ce qui nous enseigne sur nous-mêmes, à ce
S Equi LINA qui nous enseigne sur cet adolescent continue de vivre en nous. C’est le projet qui se cache en Punchlines, une réconciliation entre les générations. Après avoir publié les deux livres avec Marie-France Castarède, je
La psychothérapie, ce n’est pas seulement des pleurs et des psychologues qui ne R I disent C H A R D S rien et qui restent silencieux. C’est un espace vivant. Et c’est important de le savoir.
voulais qu’on puisse être sur un esprit plus solaire, plus lumineux, plus positif. Montrer
Les adolescents, c’est aussi cela. La
qu’un dialogue est possible à condition qu’on
psychothérapie, ce n’est pas seulement des pleurs
écoute l’autre.
et des psychologues qui ne disent rien et qui restent silencieux. C’est un espace vivant. Et c’est
LFC : Le format de ce livre est plus
important de le savoir.
accessible que vos précédents livres. LFC : C’est aussi un moyen pour les adultes de
SD : Complètement. Par exemple, un de mes
mieux comprendre nos adolescents. `
patients me demande comment je vais. Il joue
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un peu le thérapeute avec moi. Je me rends
SD : Les adolescents sont surprenants. Quand on
compte que c’est une façon pour lui d’être
prend le temps de les écouter, de grandir avec
dans ce qu’on appellerait le transfert en
eux, par ce que peut être leur socle d’occupation,
miroir. J’ai préféré plus simplement dire les
par les questions qu’ils se posent. Nous avons une
choses de manière plus directe, pour le
idée très arrêtée sur ce que sont les adolescents et
rassurer, pour tisser du lien avec cet inconnu
sur la représentation de leur préoccupation. Avec
que le psychologue était pour lui. Je pense
ce livre, j’avais envie de montrer la réalité de leur
que nous pouvons vulgariser aujourd’hui le
centre d’intérêt et faire comprendre que leurs
savoir psychanalytique. Nous pouvons être
angoisses sont vraiment ailleurs par rapport à
accessibles aussi sans dévoyer tout cet
celles que nous pensons. Ils n’ont pas seulement
héritage Freudien Lacanien. J’endosse avec
l’angoisse de quitter l’enfance pour devenir
ce livre un rôle de passeur. Passeur de la
adultes. Mais aussi, de reproduire certaines erreurs
parole de l’adolescent. Passeur de
de leurs parents. Ils s’interrogent : quel adulte vais-
l’enseignement de la psychologie clinique
je devenir ? Serais-je comme mes parents
qui est ma discipline. J’avais envie de
quelqu’un d’aigri qui a abdiqué sur ses espoirs,
vraiment m’adresser à un maximum de gens.
ses rêves, ses idéaux ? Vais-je me transformer en
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C’est quelque chose que je n’ai peut-être pas assez dit, derrière ce livre, il y a un engagement personnel. J’ai vécu une adolescence extrêmement difficile. Et quand je travaille avec mes patients, je puise dans ces blessures, dans ce vécu affectif douloureux, dans ce passé. Lorsque je les écoute, je n’oublie pas quel adolescent fragile et vulnérable, j’ai pu être. SELINA
RICHARDS
une personne que l’adolescent que je suis
valorisation de leur narcissisme, une réparation qu’on
maintenant n’aimerait pas ? Ce n’est pas seulement
leur propose et en même temps ne pas oublier de
être à l’aube d’être un adulte, d’être dans le deuil de
poser une limite qui va leur permettre d’habiter leur
son enfance. C’est aussi le deuil de l’adulte qu’on
corps et leur psyché. Nous pouvons nous sentir
pourrait être. Ce double enjeu à l’adolescence me
humain seulement quand nous habitons un espace
semble extrêmement touchant. Je le ressens avec
défini, un corps et un esprit.
eux. C’est quelque chose que je n’ai peut-être pas assez dit, derrière ce livre, il y a un engagement
LFC : Les adolescents s’interrogent sur la
personnel. J’ai vécu une adolescence extrêmement
légitimité du psy qui se trouve en face d’eux.
difficile. Et quand je travaille avec mes patients, je puise dans ces blessures, dans ce vécu affectif
SD : Il est en effet normal qu’ils s’interrogent sur
douloureux, dans ce passé. Lorsque je les écoute, je
cette personne dont ils sont censés se confier. C’est
n’oublie pas quel adolescent fragile et vulnérable,
un exercice qui ne va pas de soi. À double titre,
j’ai pu être. Surtout, je sais que j’ai face à moi une
puisque quand ils arrivent, nous avons une position
personne qui est quasiment déjà adulte, avec ses
patriarcale, tutélaire. L’adolescence, c’est le
limites, ses forces, ses faiblesses, sa personnalité et
questionnement des figures d’autorité. Comment se
son histoire. Et je la respecte. C’est pour cela que le
positionne-t-on par rapport à cela ? Sur le fait que des
vouvoiement est présent dans le livre qui peut
psys consultent des psys, sur les blessures des psys,
surprendre. Seulement, je crois que je sais parler
j’explique que nous sommes des humains. De la
leur langue. Parce que je me souviens de qui j’étais.
même manière qu’un médecin peut tomber malade,
Je pense que le psy doit sortir de sa position de tour
un psychologue a ses fragilités psychologiques. Et
d’ivoire, de posture de savant, pour rentrer dans cet
c’est avec elles qu’il compose, qu’il travaille pour
univers de l’adolescent, dans cette intimité, dans
accueillir la souffrance de l’autre. Un psychologue
cette sensibilité, et de savoir mettre de côté la
surpuissant Batman/Superman n’ira pas très loin avec
théorie, etc.
son patient. Nous travaillons avec ce que l’on appelle le contre-transfert. Tout ce ressenti que le patient
LFC : Tout en faisant attention de ne pas être le
vient réveiller chez nous. Les bons psychologues
psy-pote.
sont des êtres extrêmement sensibles, marqués par une forme de fragilité à l’égard de leurs patients,
SD : C’est un équilibre à trouver entre une 60
d’eux-mêmes, de leurs propres histoires.
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Et il faut pouvoir travailler cela pour pouvoir
LFC : Oui, mais dans cette phrase, on ressent aussi la
porter l’autre.
pression de la société. Son enjeu est d’être meilleur. La société valorise la performance.
LFC : Comment fait-on pour écouter le malheur des autres ?
SD : C’est une excellente observation, car vous êtes le premier à la faire. Ce que vous dites est vrai. Cela ressort
SD : Il faut pouvoir accueillir cette violence, cette
dans le livre. Je parle de cette société : narcissique,
part de fragilité, d’agressivité. Face au négatif de
brillance, performance, jouissance. Les adolescents la
l’individu, j’utilise l’humour qui permet une mise à
portent et ils en sont fatigués. Les adolescents
distance et un travail. La sublimation, le fait
d’aujourd’hui sont moins concernés par la génération
d’essayer de transformer cette énergie en autre
Y, qui elles avaient vu cette notion de fractures entre la
chose. Je fais écrire mes patients ou encore
société névrotique et la société narcissique. Ils ont
dessiner. Se faire représenter leur problème
conscience que c’est difficile de trouver du travail,
psychique. Il y a aussi le travail que je vais faire
l’amour… Ils ont moins l’ambition de devenir youtubeurs
avec mon propre psychanalyste. Reprendre tous
ou de faire The Voice. Ils sont très lucides par rapport à
ses affects et les retravailler, voir en quoi ils font
la précarité de l’environnement social.
SELINA
RICHARDS
écho en moi, pour que cela sédimente et que je prenne aussi une distance. Le physique aussi est
LFC : As-tu un regret dans l’exercice de ce livre ?
important. Nous sommes un organisme qui éprouve des choses. Je nage énormément. Il faut
SD : Oui, j’en ai un. Je ne parle pas de l’homosexualité.
avoir conscience que les choses nous touchent.
Pourquoi ? Parce que je n’ai pas triché. Toutes les
Et que personne n’a une armure invincible. C’est
phrases sont authentiques. Il était hors de question
d’autant plus important qu’à l’adolescence, les
d’inventer quoi que ce soit. C’est vraiment un travail
ados testent la réalité de l’autre. Face à toutes ces
fidèle de restitution. J’ai eu des patients qui
attaques que je me prends dans le livre - il y en
découvraient leur homosexualité en thérapie. Ils la
a beaucoup : un patient dit que je suis un lave-
verbalisaient. Cela n’a jamais donné lieu à des
vaisselle, l’autre dit que mon imprimante ne
punchlines parce que c’est quelque chose de fragile
marche pas, alors la thérapie ne marche pas non
pour eux, de précieux qu’ils confient. Cela aurait été
plus, je prends cher comme disent les ados - je
hors sujet par rapport au livre, qui était quand même de
tiens ! Et comme je ne craque pas, les ados
montrer cette force du langage. Or, c’est un sujet qui
pensent qu’ils n’ont pas à s’inquiéter. L’univers
peut encore aujourd’hui créer de la vulnérabilité.
résiste à leurs attaques. Et cela les
J’aimerais dire qu’à notre époque, c’est dommage.
rassure beaucoup. Et surtout, cela permet la
L’absence de punchlines dans le livre indique que c’est
transmission. La punchline : un jour, je voudrais
encore difficile d’avouer son homosexualité. Cela reste
être psychologue comme vous, mais mieux que
compliqué et fragile. Ce n’est pas un moment où ils
vous, tant qu’à faire ! Cette phrase est très dure,
peuvent être dans une emphase, dans une injonction
mais ce qui est positif, c’est la transmission qui fait
comme ils le font dans le reste du livre. Ce que
écho à cette punchline. Il veut quand même être
j’aimerais dire aux parents : il faut respecter l’altérité de
psychologue. Il emprunte quelque chose de moi.
son enfant.
62
PAR MURIEL LEROY ET MARIE VINDY
LA VIOLENCE CONJUGALE DANS LES LIVRES La violence conjugale est un sujet fréquemment abordé dans les romans psychologiques, mais pas toujours de manière exacte. L’accent y est bien trop souvent mis sur le pervers narcissique, sociopathe avéré. Celui-ci cependant ne représente qu’un pourcentage très faible de la population et fait l’objet de maintes confusions dans l’esprit des gens. Les livres choisis abordent ce thème tout en finesse, et font la dissociation entre le pervers et le pervers narcissique. Même s’il s’agit surtout du pervers, il est tout aussi destructeur tout en utilisant en plus la brutalité et le châtiment corporel. Les auteures dénoncent cette cruauté. Elles nous parlent d’un sujet qu’elles maitrisent. Nous tenons ainsi des pistes afin de déceler ces prédateurs, qui ne cherchent au fond qu’à détruire ces femmes, devenues objets, comme nous le constaterons dans ce qui suit. Sachez qu’elles ne naissent pas victimes, mais le deviennent par la force des choses.
64
PARLONS-EN !
LA VIOLENCE CONJUGALE PAR MURIEL LEROY
Bien sûr, certaines menacent de le quitter, mais elles demeurent persuadées que ces hommes souffrent et ont besoin d’elles, comme ils aiment à le laisser croire. Une fois la proie ferrée, il lui propose de construire un foyer, d’avoir des enfants. Elle accepte. C’est un second engrenage.
Victimes mode d’emploi Une femme rencontre un homme, séducteur, charmant, qui répond à toutes ses attentes, exauce ses désirs profonds. Elle tombe sous le charme. Commencent alors l’emprise et son calvaire. Très vite, il lui propose de vivre ensemble. Elle accepte, et entre dans un premier engrenage. Le masque tombe enfin. Dès lors dénigrement et responsabilisation alternent avec des compliments. Il souffle le chaud et le froid jusqu’à la faire douter d’elle-même et se sentir coupable. Il manipule, n’hésitant pas à la monter contre sa famille, ses amis. Une fois totalement sous sa coupe, elle subit les premiers coups. Si elle reste, sa domination est alors totale !
L’enfant bouleverse tout, devient une source supplémentaire de conflit parce que le père, en est jaloux. Il se sert de lui comme d’un moyen de pression pour la faire obéir. Elle accepte son sort, se résigne, par peur de le voir faire souffrir son bébé. Elle se mettra, par moment, en situation d’évitement, ce qui occasionnera l’effet inverse. Il en profitera pour être d’autant plus violent, qu’elle sera dans l’incapacité de réagir. Elle ne se confie pas ou très peu, s’accuse de ses blessures jusqu’à ce qu’il aille trop loin. À la violence de trop, souvent sur l’enfant, elle met son mari au pied du mur, en décidant de partir. Celui-ci voit alors son jouet lui échapper et dans un accès de rage peut en arriver à la tuer. Quand elles s’en sortent, cela n’est pas sans conséquences. Il utilisera encore l’enfant pour garder le lien et obliger sa mère à céder, allant jusqu’à se servir de la loi à son profit. Nul ne sait ce qu’elle a vraiment subi puisqu’elle n’a jamais rien dit, et n’a pas porté plainte. Si elle tue le bourreau, dans un geste de désespoir et pour sauver sa peau, cela est aussi traumatisant et peut laisser de lourdes séquelles psychologiques.
PARLONS-EN !
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DU CÔTÉ DES AUTEURES Les livres, qu’il s’agisse de témoignages ou de romans, et dont le thème traite de la violence conjugale, suivent là le même schéma, schéma qu’on retrouve aussi dans la réalité. Les auteures, par ce biais, montrent comment cette brutalité et ces meurtres surviennent. On y voit un vrai désir de mise en lumière du stratagème du pervers, qui utilise force, persuasion et séduction pour arriver à ses fins. Ces victimes sont celles du silence, leurs blessures sont invisibles aux yeux de la société et de la Justice. Les deux témoignages celui de Alexandra Lange Acquittée et de Marianne Guillemin Dans la Gueule du Loup racontent des évènements d’il y a 8 ans pour le premier et 25 ans pour le second. Peu de choses semblent avoir changé sur le plan de la reconnaissance du traumatisme. Toutes les deux étaient entourées et c’est sans doute cela qui les a aidées. Alexandra LANGE a pu être acquittée, grâce aux témoignages, Marianne GUILLEMIN a tout quitté emmenant ses enfants avec elle. Ceux-ci ont dû subir la foudre paternelle durant de nombreuses années, la justice ne les ayant pas écoutées. Dans les romans cités Grande Avenue de Joy FIELDING, Les Blessures du Silence de Natacha CALESTREME, La Grande Roue de Diane PEYLIN et Dans les Angles Morts d’Elizabeth BRUNDAGE, on retrouve aussi la même idée, la même construction.
Commencer le récit par la fin pour nous amener à ces mêmes constats : Comment et pourquoi en eston arrivé là. Les auteures incitent donc les lecteurs à réfléchir sur les causes et conséquences de la violence conjugale, afin de parler, de dénoncer et éviter ainsi la répétition. Diane PEYLIN insiste aussi sur les séquelles psychologiques de la victime, si le trauma est trop violent. Faits rarement évoqués à ce niveau. Natacha CALESTREME, elle, distingue les diverses perversions, tout en démontrant leur aspect dévastateur. Nul besoin de tomber sur un pervers narcissique, terme très galvaudé, comme elle le dit elle-même, pour devenir une femme battue, ou pire encore, mourir sous les coups de son conjoint. Quant à Elisabeth BRUNDAGE, elle démontre, à travers une des familles, que la violence peut aussi être la conséquence de fait plus banal, comme la perte de son emploi et la plongée dans l’alcoolisme. Il n’y a pas de perversion, la femme subit cette frustration. Tous ces récits et témoignages nous éclairent donc sur le comportement du pervers et de sa victime, ainsi que le processus mis en place jusqu’à son acceptation et son anéantissement. LIRE L'INTERVIEW P.33
MARIANNE GUILLEMIN À NE PAS RATER !
L'INVITÉE DE MURIEL
PARLONS-EN !
MARIE VINDY
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LE DÉBAT AU PLURIEL
Violences conjugales - Réalités et fictions consensuelles par Marie Vindy
S’en sortir devient le parcours du combattant, tant la justice reste sourde face aux séquelles bien trop souvent invisibles. Les romans, contrairement aux témoignages et aux journaux, permettent de dénoncer par le biais d’une fiction et de façon moins abrupte. Ainsi le lecteur s’attache à la victime. Ils distraient tout en donnant des pistes de réflexion. Qu’aurions nous fait à sa place ? Aujourd’hui les femmes se dressent pour parler, dénoncer, dire l’indicible de manière forte. Mais il est bien dommage que l’on ne trouve pas plus de romans écrits par des hommes, afin de dénoncer ces mêmes faits. Une prise de conscience collective s’impose pour que de telles horreurs soient plus sévèrement punies par la loi. Faire passer cela en crime passionnel, drame de la jalousie ou en faits divers banalise et permet ainsi aux tortionnaires de continuer à détruire. La partie qui suit va donc éclairer sur le réel subi par ces femmes, devenues victimes malgré elles ! LA SÉLECTION DE LA RÉDACTION > LES BLESSURES DU SILENCE DE NATACHA CALESTREME, ALBIN MICHEL > GRANDE AVENUE DE JOY FIELDING, MICHEL LAFON > DANS LES ANGLES MORTS DE ELIZABETH BRUNDAGE, EDITIONS QUAI VOLTAIRE > LA GRANDE ROUE DE DIANE PEYLIN, ÉDITIONS LES ESCALES > ACQUITTÉE DE ALEXANDRA LANGE, ÉDITIONS POCKET
130, 128, 135… ces chiffres représentent les femmes tuées par leur conjoint chaque année, chiffres qui ne prennent pas en compte les décès liés à cette même violence, mais différés, tel le développement de maladies tant physiques que psychologiques, ainsi que les suicides. Des chiffres qui devraient résonner plus fort au fur et à mesure des actions successives de nos pouvoirs publics : sept ministères ou secrétariats aux droits des femmes, jusqu’au Président de la République actuel qui en fait une grande cause nationale, pour endiguer ces meurtres et réduire les violences faites aux femmes ont, au contraire, prouvé leur inefficacité absolue. Leur échec ? N’avoir pas mis les moyens humains, financiers, structurels en face de ces belles ambitions. Résultat, le nombre de mortes ne faiblit pas, le nombre de victimes non plus… Les années passent, la problématique est sortie de l’ombre, parfois par des faits totalement étrangers à une volonté politique, comme le meurtre de Marie Trintignant par Bertrand Cantat, et les constats restent inchangés. Autre exemple, depuis bientôt un an, avec l’affaire dite Weinstein, les services de police et de gendarmerie constatent une très forte augmentation des dépôts de plainte pour viols et agressions sexuelles, entre 25 et 30%. Vers qui orienter ces victimes, majoritairement des femmes, pour un accompagnement global, un soutien psychologique ? Pour mémoire, seulement 5 à 10% des victimes portent plainte et seulement 1 à 2% des agresseurs sont condamnés¹ ! À l’intolérable manque de moyen de la Justice s’ajoute un défaut de formation des policiers ou des magistrats, ainsi qu’une suspicion quasisystématique envers les victimes.
¹ Observatoire National de la Délinquance, 2007
PARLONS-EN !
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L'INVITÉE DE MURIEL
MARIE VINDY LE DÉBAT AU PLURIEL
Le constat est d’autant plus lourd que la plupart de ces femmes s’étaient manifestées avant de succomber à la volonté de destruction de leur conjoint ou ex-conjoint : soit en portant plainte contre leur agresseur, soit en se tournant vers des proches ou des associations. J’ai le souvenir de la déclaration terrible de la directrice de l’ADAVIP 21 (aujourd’hui France Victimes 21), relatant un entretien avec Céline Guillaume, le 11 septembre 2007, veille de sa mort : Il va me tuer avait-elle affirmé. Le lendemain, en effet, alors que sa famille martelait que Céline était terrorisée et qu’elle ne sortait plus de chez elle que pour aller travailler elle avait porté plainte le 5 août pour harcèlement et menaces de mort, puis le 13 août pour des violences commises chez ses propres parents -, son ex-petit ami s’est rendu dans le magasin où elle était vendeuse, à Quetigny (21), et l’a assassinée de 15 coups de couteau dans la poitrine, devant ses collègues et des clients. La vie de Céline, 24 ans, avant qu’elle n’y succombe, était déjà un enfer régi par les agissements de celui qu’elle avait eu la malchance de rencontrer. Des histoires pareilles se répètent tous les trois jours en France. Il s’agit de meurtres ou assassinats (l’assassinat suppose la préméditation) structurellement proches et dont on peut sans difficulté identifier les mécanismes : une femme subit des violences psychologiques et/ou physiques, parfois pendant de très longues années, parfois quelques semaines et lorsque le déclic se produit - souvent les victimes décrivent s’être vues mourir, ou avoir compris que rester ne protégerait pas leurs enfants - et qu’elles trouvent assez de force pour partir, l’engrenage mortel se met en place.
Le conjoint violent ne supporte pas une rupture, atteinte suprême à son narcissisme et à sa faible estime de soi, et préfère donner la mort à celle qui échappe à sa possession, parfois même en s’en prenant également à ses propres enfants. Les titres des journaux rappellent alors à l’opinion publique son aveuglement en évoquant une dispute conjugale qui aurait mal tourné - un euphémisme, ou encore un drame passionnel, drame familial - ce qui sous-entend encore que la famille entière, femme et enfants au même titre que le meurtrier, est injustement associée à sa propre destruction ou autre référence à un amour qui n’existe pas et n’a jamais existé que dans l’esprit manipulé des victimes. La fiction, comme il se doit, s’est emparée du sujet, mais là encore, rares sont les ouvrages qui ne dissimulent pas les causes et conséquences d’une domination masculine, sociétale et structurelle. L’enfer, de Claude Chabrol, décrit ainsi la paranoïa de son héros par les hallucinations dont il est sujet pour expliquer le meurtre tout en l’en dédouanant, ce qui en fait une assez courante inversion coupable/victime. Ou encore, une liste infinie de thrillers qui mettent en scène de dangereux psychopathes, tueurs de femmes, où l’on retrouve l’ombre du trop usé pervers narcissique.
PARLONS-EN !
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L'INVITÉE DE MURIEL
MARIE VINDY LE DÉBAT AU PLURIEL
Une vision bien loin de la récurrence et la banalité des crimes conjugaux, vision souvent fantasmée, quand elle ne produit pas des contre-sens navrants. Je pourrais citer à l’appuis l’article très complet de Nadège Séverac sur le roman de Roddy Doyle, La Femme qui se cognait dans les portes, description d’un homme pervers et d’une femme infantile ne correspondant ni aux profils de personnes réelles impliquées dans la violence, ni au sens qu’elles donnent à leur relation et, au contraire, semble accréditer la meilleur défense des auteurs de violences conjugales lorsqu’eux ou leurs avocats invoquent le spectre bienvenu du « couple pathogène », laissant entendre que la victime serait pleinement actrice de la violence qu’elle-même déclencherait, et s’en nourrirait. Tout aussi affligeant quand on l’étudie sous cet angle du contre-sens, la trilogie Cinquante nuances de Grey où la perversion est décrite comme le jeu excitant de l’amour et de la domination. Encore une fois, la sphère réelle de l’intime et du huis-clos conjugal, pourtant propice, ne génèrent que peu l’attention de nos auteurs. On se doit, dès lors, de saluer ceux qui s’y sont arrêtés, des femmes, le plus souvent - ainsi les auteures citées plus haut - et quelques hommes. Je pense ici à l’excellent La femme en vert de l’Islandais Arnaldur Indridasson, qui dénonce, par la voix d’enfants devenus adultes, la terreur que leur inspire un père tyrannique et violent. Et pour saluer ces heureuses exceptions, tout en montrant la place privilégiée des enfants comme moteur de la description de ce type de violences, le film multi-primé, Jusqu’à la Garde de Xavier Legrand.
Dans ce film, effectivement monté comme un thriller psychologique, la position du petit garçon, le fils du couple, est un élément parfaitement juste qui permet au spectateur de comprendre la limite de l’empathie qu’il peut éprouver face à la douleur d'un père, lequel instrumentalise sans limite son propre enfant pour atteindre son ex-femme, dévoilant ainsi la capacité de manipulation et le degré de perversion d’un auteur de violences conjugales. A la décharge des auteurs reste le dilemme récurrent d’avoir l’ambition d’être juste dans la description de cette réalité et de sa banalité intrinsèque, tout en dépassant ce qui pourrait vite tourner au documentaire. La fiction a cette force d’amener le lecteur à s’identifier aux personnages, à pénétrer leur intimité, et par-là même, à s’élever avec eux dans une forme de sublimation, propre d’une oeuvre littéraire. Pour réussir cet exploit, point de règle, mais au contraire, la seule chose qui ne s’apprend ni ne s’achète : le talent.
² Nadège Séverac, La part impensée de la violence conjugale - de la fiction au récit vécu - Cairn-info ³ Roddy Doyle, La Femme qui se cognait dans les portes, Robert Laffont 1997
CARTE BLANCHE À GUILLAUME RICHEZ
RENCONTRE INÉDITE AVEC EMMANUELLE LAMBERT ROMANCIÈRE CARINE CHICHEREAU TRADUCTRICE
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ENTRETIEN EXCLUSIF AVEC
EMMANUELLE LAMBERT LFC MAGAZINE #11
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EMMANUELLE LAMBERT PAR GUILLAUME RICHEZ PHOTOS : MAGALI LAMBERT
Docteur ès lettres avec une thèse sur l’œuvre théâtrale de Jean Genet, Emmanuelle Lambert a travaillé pendant sept ans avec l’écrivain Alain Robbe-Grillet pour l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine (Imec). En 2016, elle est co-commissaire avec Albert Dichy de l’exposition Jean Genet, l’échappée belle au Musée des Civilisations de l'Europe et de la Méditerranée (MuCEM) à Marseille. La Désertion, son dernier roman, est publié en janvier 2018 chez Stock et elle prépare actuellement une exposition sur Jean Giono au MuCEM et l’édition des romans de Genet dans la prestigieuse collection de La Pléiade chez Gallimard. Rencontre placée sous le signe de la Méditerranée en terrasse du MuCEM, avec une écrivaine brillante qui confie, avant de commencer l’entretien, qu’elle ne comprend pas le snobisme de certains critiques littéraires et romanciers français à l’encontre de la littérature populaire. Stephen King est un grand écrivain, dit-elle, ponctuant durant l’interview ses réponses d’un rire communicatif.
L'INTERVIEW La désertion, Emmanuelle Lambert, Stock
LFC : Avant de commencer mes entretiens, je présente la personne interviewée, - éditrice, traductrice -, et depuis quelques temps j’emploie le mot autrice, et je sens parfois une crispation envers ce terme. Emmanuelle Lambert, êtes-vous écrivain ou écrivaine, auteur (avec ou sans e), ou autrice ? Et cela est-il important à vos yeux ? EL : Pour moi cela n’a aucune importance. Je suis les quatre. (Rires.) Écrivaine, écrivain, autrice, auteur. Il y a plusieurs choses : quand on écrit on a cette faculté merveilleuse d’être plusieurs personnes en même temps. Et l’autre chose, c’est que la langue évolue et qu’elle évoluera dans le sens des autrice et écrivaine. Cela se fera. Moi, en attendant, je prends tout. Cela ne me gêne pas que cela évolue dans ce sens. Finalement, la langue finit toujours pas coller au réel. LFC : Vous présentez-vous en tant qu’écrivaine ou écrivain ? EL : J’aime bien dire romancière, même si ça ne recoupe pas l’ensemble de ma production. Mais au moins romancière me permet d’échapper à la difficulté que vous soulevez. Sinon, la plupart du temps, je dis écrivaine.
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LFC : J’avais envie de commencer cet entretien en faisant suite
qu’on lit à haute voix pour qu’il soit rythmé
à la rencontre qui a eu lieu à Marseille en mai dernier dans le
et celui de son inscription dans
cadre du festival Oh les beaux jours ! Vous avez parlé de ce que
l’ensemble.
vous supprimez. Vous avez dit que le travail d’écriture commence lorsqu’on supprime des choses. Pouvez-vous
LFC : Vous avez travaillé à l’Institut
expliquer ce rapport entre écriture et disparition ?
Mémoires de l’édition contemporaine (Imec). Dans un entretien accordé à
EL : Je pense que c’est différent selon les écrivains. Là je parle de
France Culture, vous avez dit : Qu’est-ce
mon cas personnel, mais je sais que l’on est un certain nombre à
qu’on peut savoir de ce qui restera : ça
l’expérimenter. Il y a un travail dans l’écriture qui est pour moi
c’est la grande question. Que deviennent
un travail de composition. Quelque chose que l’on peut
ces fragments dont on vient de parler que
rapprocher de la musique, un travail d’équilibre, où on cherche à
vous supprimez de vos romans ? Pensez-
mettre les choses en rapport. C’est une question de rythme.
vous à vos propres archives, à leur
Parfois il y a des choses, - même si l’on a travaillé longtemps et
conservation, à leur transmission ?
qu’on en est très fier -, qui manquent de rythme. C’est assez inexplicable. C’est du travail à l’oreille : il faut que ça sonne bien,
EL : La vraie réponse, - la réponse sincère
et il faut que ça sonne bien tout seul mais aussi dans l’ensemble,
- est « non ». (Rires.) Mais après, c’est
dans l’harmonie. Évidemment, ce travail de rééquilibrage, on ne
contrarié par la mauvaise conscience.
peut le faire qu’une fois qu’on a avancé. C’est là qu’on supprime.
C’est-à-dire que mon penchant naturel
Les choses qui dissonent, on les supprime. Pour moi le parallèle
c’est de jeter. C’est la poubelle. Mais mes
le plus marquant c’est vraiment avec la musique.
années de formation à l’Imec sont allées à l’encontre de ma nature. Moi je m’allège
LFC : Cela veut dire que vous relisez à haute voix le passage que
beaucoup. Je ne garde rien. Le seul acte de
vous venez d’écrire ?
conservation, et c’est grâce à l’Imec, c’est
EL : Oui, je lis toujours à haute voix. Pas tous les passages mais
l’ordinateur. Les passages supprimés
de garder les différentes versions dans
notamment les passages descriptifs qui, à mon avis, s’ils ne sont pas rythmés, sont vraiment terribles. Je regarde aussi le tempo de la séquence dans laquelle cela va s’inscrire. Parfois on ne supprime pas mais on déplace. On se rend compte que ce serait mieux de le mettre un peu plus avant ou après. Du coup le fil narratif peut aussi bouger. Il y a alors tout un travail de resserrage de boulons. Là ce n’est plus de la musique, c’est de la plomberie ! (Rires.) Il faut faire
pourront toujours être retrouvés dans la version d’avant. J’ai la version 1, version 2, et puis après Vdef, puis Vbis… Si un jour quelqu’un se penche sur les archives, je lui souhaite bien du plaisir ! (Rires.) Alors qu’il y a des écrivains qui sont déjà
attention avec ce que l’on a déplacé.
leur propre archiviste. Robbe-Grillet
Tout ce travail de combinaison m’intéresse beaucoup. On doit
avec 0, 1, 2, 3, mais il y avait aussi - 1, - 2, -
numérotait les feuilles de ses manuscrits
pouvoir repérer une histoire, quelque chose de linéaire. Il faut que cela soit ferme parce que sinon tout le monde est perdu, - et on n’est pas là pour perdre complètement le lecteur, ou alors c’est un projet esthétique qu’il faut annoncer, mais ce n’est pas le mien.
3. C’était très impressionnant. Il pensait déjà à l’archéologie parce que je pense que ça l’intéressait lui-même, sa propre archéologie. C’était pour lui un objet de
Donc on travaille sur deux niveaux : celui du passage lui-même
réflexion.
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LFC : Dans une récente interview accordée au Matricule des
suis en train d’écrire un roman et j’ai commencé une
anges Emmanuel Hocquard parlait de l’un de ses ouvrages en
pièce de théâtre. En ce moment c’est le roman qui
précisant qu’il ne savait pas s’il s’agissait d’un livre. Je ne
prend le pas mais peut-être que j’y reviendrai.
pense pas que les auteurs de littérature de genres se posent de telles questions au sujet de leur travail. Les auteurs de polar écrivent un polar, le fabriquent, parfois avec les mêmes personnages que dans leur précédent roman, comme si le livre préexistait. Vous posez-vous cette question au sujet de
C’EST TRÈS PHYSIQUE L’ÉCRITURE.
votre travail ? À quel moment savez-vous que ce sur quoi vous
LFC : Vous avez dit dans une interview accordée à
travaillez deviendra un livre ?
France Culture : La matière première c’est le temps. Cette phrase de vous est entrée en résonance
EL : Ça c’est une question très intéressante. Moi c’est l’inverse.
pour moi avec un passage d’Un privé à Tanger
C’est-à-dire que je pense toujours que ce sera un livre et
d’Emmanuel Hocquard dans lequel il rappelle que
parfois je bats en retraite. Mon goût de lectrice est quand même
tout travail d’écriture s’inscrit dans une temporalité,
très imprégné par le roman. Je suis venue à la lecture et à
– ce qu’il y a avant (les souvenirs) et ce qui est
l’écriture par le roman. Et ça m’a façonnée. Vous avez des
devant, – ce temps encore sans référence aux mots.
auteurs qui sont plutôt des lecteurs de poésie, de choses
En relisant ce passage, j’ai pensé à vous qui travaillez
fragmentaires, d’essais. Je suis une lectrice de romans. Donc au
à la fois à la transmission d’œuvres d’écrivains
départ mon horizon c’est celui du livre. Et puis parfois, je
disparus et qui êtes aussi écrivaine. Quelle part du
démembre et je me dis non, on en fera autre chose.
passé entre dans votre écriture ?
LFC : En 2015, je demandais à Mathias Enard s’il travaillait sur
EL : Il y a le terreau de mes lectures. Ça entre en
plusieurs projets en même temps. Il m’avait répondu qu’en
compte de manière consciente et inconsciente. On
effet il travaillait sur plusieurs projets et qu’à un moment un
parlait tout à l’heure du fait qu’il y avait plusieurs
texte prenait le pas sur les autres projets en cours jusqu’à
projets en même temps et on disait c’est indécidable.
devenir un roman. Travaillez-vous vous aussi sur plusieurs
Mais il y a quelque chose qui joue pour moi, en tout
projets en même temps ? Avez-vous dans vos tiroirs des
cas, c’est qu’à un moment un projet en cours me
manuscrits inachevés, des projets inaboutis, en sommeil ?
donne envie de relire un livre. Ça donne une couleur au livre à venir.
EL : Je travaille toujours sur plusieurs projets. Et à un moment donné il y en a un qui surgit. Alors ça, - je ne sais pas ce que
La lecture, c’est une sorte d’intimité de l’écriture. Je
vous a dit Mathias Enard -, mais moi je ne me l’explique pas.
pense qu’il n’y a pas d’écrivain digne de ce nom qui ne
C’est encore assez mystérieux.
soit un grand lecteur. J’ai beaucoup de mal à concevoir qu’on puisse être écrivain sans avoir lu et
LFC : Il n’a pas développé. Il ne m’a pas expliqué pourquoi tel
s’être nourri de l’œuvre des autres. Ça c’est très
projet prenait le pas sur tel autre.
important. Donc c’est le passé qui fait que l’écriture va sédimenter comme les strates géologiques. Et
EL : Je pense que c’est lié à quelque chose d’assez indécidable,
parfois on ne s’en rend pas compte, puis on relit et on
comme l’état dans lequel on est au moment où on écrit. C’est
voit à quel point ça nous a formaté comme un logiciel.
tout bête mais on fait ça avec notre chair. C’est très physique l’écriture. Il y a des questions d’énergie, de moment, d’humeur.
Ensuite, dans l’ordre du conscient, c’est surtout le
Il y a le monde autour qui peut aussi intervenir. Mais j’ai
présent qui m’intéresse. Parce qu’il est impossible à
toujours plusieurs projets en même temps. Là par exemple je
saisir. Mais dans le travail de l’écriture, on peut
essayer. Donc j’aime tout ce qui est de l’ordre de l’instant, de la bascule, du moment, que ce soit au niveau de l’histoire, tous les décrochages possibles au niveau d’une narration, qui fait qu’à un moment ça bifurque ; ou que ce soit aussi tout le bruit qu’il y a autour de la littérature, - le moment de la société.
J’AIME TOUT CE QUI EST DE L’ORDRE DE L’INSTANT, DE LA BASCULE
Et vous savez, on dit souvent que les œuvres saisissent l’air du temps. Je ne crois pas à ça : je crois qu’elles annoncent l’air du
d'une personne. Ça a été extrêmement formateur
temps. On a une sensibilité qui fait que si on réussit (parce que
et ça a achevé de me détourner de l’université
parfois on échoue) on saisit quelque chose du présent et ça
pour de bon. Une fois que j’avais goûté à cette
annonce l’avenir.
liberté-là, évidemment, j’avais envie de continuer à faire des choses comme ça.
Après, il y a d’immenses écrivains du passé. On ne va pas refaire le coup de Proust à chaque fois mais enfin c’est tellement
LFC : Vous avez dit dans une interview que c’est
extraordinaire ! Mais là, c’est vraiment un individu qui a
Benoît Peeters, directeur des Impressions
emmagasiné en lui tout le monde qui était le sien. C’est encore
Nouvelles, qui vous avait encouragée à écrire
autre chose.
votre premier roman Mon grand écrivain…
LFC : Durant sept ans vous avez travaillé avec Alain Robbe-Grillet
EL : Qui m’a demandé de l’écrire.
dans le cadre de vos fonctions à l’Imec. Comment en êtes-vous venue à cette collaboration et en quoi consistait votre travail avec
LFC : …qui vous a demandé de l’écrire. Comme
lui ?
si l’écriture romanesque n’avait pas été pour vous, à ce moment-là, une évidence. Était-ce
EL : J’y suis venue par hasard. J’avais fait un stage d’archivage à
seulement le fruit d’une rencontre, du hasard,
l’Imec pendant que je faisais mes études de lettres. Et ensuite
ou quelque chose pour vous de plus profond ?
j’étais partie passer l’agrégation pour être prof, ce que j’ai fait et je m’étais inscrite en thèse pour faire ma thèse sur Genet – ce que j’ai
EL : Je pense que c’était plus profond. Benoît
fait. Au moment j’ai commencé ma thèse, je suis retournée à l’Imec
Peeters a été le déclencheur de quelque chose
pour faire mes recherches, et le directeur de l’Imec, Olivier Corpet,
qu’il a senti, qui bougeait. J’avais beaucoup trop
m’a dit : Écoutez, on va avoir les archives d’Alain Robbe-Grillet, il faut
de respect pour la littérature pour oser écrire.
travailler avec lui, est-ce que ça vous intéresse ? Alors évidemment
J’étais confite en dévotion. (Rires.) Quand même,
j’ai dit oui ! C’était très cahin-caha tout ça : aller chercher les
j’avais le goût de l’écriture, déjà, j’écrivais des
archives chez lui, les identifier (parce qu’il était l’archiviste de lui-
petites choses pour moi. Mais j’avais tendance à
même mais il y avait quand même une montagne de trucs), voir
me dissimuler derrière les travaux universitaires.
quel classement on pourrait adopter, préparer une exposition sur
C’était pas mal, ça faisait un personnage social
lui, avec lui (ce qui n’est pas forcément la meilleure des
acceptable, et surtout une écriture très codifiée.
configurations), préparer le catalogue avec lui et avec Catherine, sa
J’étais un peu cachée derrière ça.
femme. J’ai aussi édité ses scénarios, j’ai édité ses textes parus dans La circonstance est intéressante parce le moment
la presse et ses interviews. J’ai même été son chauffeur !
où Benoît Peeters m’a dit il faudrait que tu écrives, Tout ce travail mélangeait projets d’édition, d’exposition et
c’était aux obsèques de Robbe-Grillet. On était là
d’archivage. C’était formidable comme à chaque fois que l’on fait
tous les deux, on a parlé, on a lu des extraits. À la
des choses improvisées et qui suivent le cours de la créativité
fin on a discuté, je lui racontais l’effet que me
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faisait la disparition d’Alain Robbe-Grillet qui était très
Et ensuite viendront toutes les
étrange parce que je n’avais pas de relation d’amitié avec
commémorations et les célébrations.
lui – j’ai une relation d’amitié avec Catherine Robbe-
1 200 mètres carrés d’exposition,
Grillet, mais avec lui, non. Au départ, il ne faisait pas
c’est beaucoup mais ce n’est pas trop
partie de mes écrivains préférés, c’était une commande
parce que Giono est un écrivain qui a
qui m’avait été passée. J’ai appris à le découvrir. Je
énormément produit, énormément
racontais les choses en vrac à Benoît Peeters qui m’a dit :
écrit, qui considérait que l’écriture
Il faut écrire tout ça. Et si c’est bien je le publierai.
était vraiment un métier - ce en quoi je le rejoins parfaitement -, et que
Mon grand écrivain n’est pas un roman. C’est le récit de
donc puisque c’était un métier,
la manière dont je vois Robbe-Grillet. Mais c’est un récit
c’était une chose qui
un peu déplacé, écrit depuis une place particulière dont
devait s’apprendre et se pratiquer
on a parlé tout à l’heure. Et c’était mon premier livre.
tous les jours. Il s’était imposé la contrainte d’écrire au moins une
LFC : Vous avez consacré votre thèse de doctorat à
page par jour.
l’œuvre théâtrale de Jean Genet. En 2016, vous étiez commissaire de l’exposition au MuCEM Jean Genet,
On dispose d’énormément de
l’échappée belle avec Albert Dichy. Comment est née
manuscrits tous plus beaux les uns
cette exposition ?
que les autres parce qu’il avait une écriture très plastique dont il était
EL : C’est une commande du MuCEM. Genet a un lien
fier. Dans l’exposition il y aura des
très fort avec la Méditerranée. Il est enterré à Larache au
archives personnelles, des œuvres
Maroc. Il a servi dans l’armée coloniale dans les années
d’art, du cinéma. Ce sera très varié
30. Il a toujours regardé du côté du Sud. Il y avait cette
mais avec un axe : Giono est un
thématique chez lui. Et donc Jean-François Chougnet
écrivain visuel, nourri de peintures et
[président du MuCEM] nous a demandé à Albert qui est
d’images.
le plus grand spécialiste de Genet (en plus d’être un homme délicieux) et à moi de faire cette exposition.
LFC : Une exposition consacrée à
Nous avons fait cette expo sous le signe de l’Homme qui
Giono mais aussi une future
marche [d'Alberto Giacometti]. L’œuvre de Genet
parution des romans de Jean Genet
marche vers le Sud.
dans la prestigieuse collection La Pléiade. On associe parfois
LFC : Vous travaillez actuellement au MuCEM sur une
hâtivement la muséographie (et la
exposition qui sera consacrée à Jean Giono en octobre
parution dans La Pléiade) à une
2019. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
certaine fixité, une sorte de pétrification, comme si l’œuvre était
EL : Alors je vous en dirai très peu. (Rires.) Ce sera la
désormais définitivement figée
première exposition de cette ampleur sur Giono. En
dans le passé. Comment
2020 ce sera le cinquantenaire de la mort de Giono.
appréhendez-vous votre travail de
Nous on sera - j’aime bien les décalages -, décalés. On va
commissaire et d’éditrice, entre
donner le coup d’envoi.
œuvre du passé et temps présent ?
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EL : Je pense au contraire que ce sont des opportunités formidables d’actualisation des œuvres. C’est le moment justement où on peut se défaire d’un regard univoque. Dans le cas de Giono c’est particulièrement frappant. Quand on lit son œuvre (en dehors du fait que c’est un immense styliste), on est saisi par sa noirceur totale alors qu’il a une postérité un peu débonnaire. C’est curieux. Donc c’est le moment de lui donner une nouvelle vigueur, de lui redonner du nerf. Et pour Genet on va faire pareil. C’est Gilles Philippe, un essayiste et spécialiste du style au XXème siècle qui a déjà édité plusieurs ouvrages dans La Pléiade, qui m’a proposé de faire l’édition avec lui. Albert [Dichy] nous aidera aussi. On va essayer de redonner quelque chose à Genet parce qu’on va éditer les premières éditions de ses romans, d’abord publiés clandestinement et ensuite officiellement dans la collection Blanche. Nous allons repartir du texte clandestin, si bien que le texte de La Pléiade sera différent du texte de la Blanche chez Gallimard. Ça nous permet aussi de le replonger dans son bain temporel, celui des années 40 où il a une productivité incroyable et incroyablement concentrée, et d’éviter un certain nombre d’interprétations rétrospectives qui ont eu tendance à mélanger les temporalités. Je dirais que c’est justement l’inverse de la fixité ou alors, si c’est de la fixité, c’est qu’on a mal fait les choses. LFC : Pour conclure cet entretien, la période estivale est pour de nombreux lecteurs et de nombreuses lectrices propice à la lecture. Vous travaillez en ce moment, mais allez-vous mettre quelques livres dans votre valise ou travaillez-vous à un nouveau roman (nous en avons déjà un peu parlé) ? EL : Oui, je travaille à un nouveau roman. Je ne sais pas encore ce que je vais mettre comme livres dans ma valise. En général, ce genre de décision je la prends au moment où je fais la valise parce que, comme vous, j’ai une pile de livres à lire qui fait au moins un mètre de haut. (Rires.) Donc je verrai ça au dernier moment. Entretien réalisé au MuCEM le 13 juillet 2018. Propos recueillis par Guillaume Richez. LFC MAGAZINE #11
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CARTE BLANCHE À GUILLAUME RICHEZ
RENCONTRE INÉDITE AVEC EMMANUELLE LAMBERT ROMANCIÈRE CARINE CHICHEREAU TRADUCTRICE
2
ENTRETIEN EXCLUSIF AVEC
CARINE CHICHEREAU LFC MAGAZINE #11
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CARINE CHICHEREAU PAR GUILLAUME RICHEZ PHOTOS : DR
Carine Chichereau a traduit 75 textes, dont des œuvres de Raymond Carver, Lauren Groff, Jane Smiley, Julie Otsuka, Virginia Reeves, Maria Semple, Meena Kandasamy, Fiona McFarlane ou encore l’écrivain irlandais Joseph O’Connor. Rencontre avec une traductrice qui exerce avec passion son métier depuis vingt ans sans avoir perdu son enthousiasme.
L'INTERVIEW
LFC : 1984 traduit par Josée Kamoun et Moby-Dick ou le Cachalot traduit par Philippe Jaworski chez Gallimard, L’Île au trésor traduit par Jean-Jacques Greif chez Tristram, La Chute de la maison Usher traduit par Pierre Bondil et Johanne Le Ray chez Gallmeister, - pour ne citer que les plus récentes parutions : on ne compte plus les nouvelles traductions de chefs-d’œuvre de la littérature. Quel roman déjà traduit souhaiteriez-vous (re)traduire vous-même et pour quelle raison ? CC : J’adorerais retraduire Raymond Carver. À force de le crier partout, ça finira
peut-être par arriver ! En fait, j’ai eu la chance que Nathalie Zberro, à l’époque où LES ÉCRITURES elle travaillait encore à L’Olivier, me confie la traduction de la biographie de SÈCHES, Carver. J’ai lu ou relu toute son œuvre, c’était passionnant. L’Olivier a republié BLANCHES, SONT toutes les œuvres de Carver, et cette biographie était une sorte de bonus pour les Certaines traductions sont excellentes, comme celles de Jean-Pierre Carasso, LES PLUS DIFFICILESfans. mais les plus anciennes, celles qui datent des années 1980 pourraient faire l’objet À TRADUIRE. PAS d’une nouvelle traduction, je pense, car à l’époque où les premiers livres sont QUESTION DE SE sortis, Carver était inconnu, on n’avait pas les mêmes exigences concernant son CACHER DERRIÈRE style. La difficulté avec Carver, c’est qu’il faut dire beaucoup en peu de mots, sans effets de manche. Les écritures sèches, blanches, sont les plus difficiles à traduire. UNE BELLE Pas question de se cacher derrière une belle écriture. ÉCRITURE. Paradoxalement, je rêve aussi de retraduire Jane Eyre, parce que c’est un livre que
JE RÊVE AUSSI DE RETRADUIRE JANE EYRE
j’ai étudié et littéralement adoré quand j’étais étudiante. Du point de vue de la traduction, c’est presque l’exercice inverse, le style inverse, mais c’est passionnant. J’adore la langue du XIXème siècle, tortueuse, fourmillant de détails, d’adjectifs, les longues descriptions des paysages. Carver et Brontë sont des maîtres dans leur genre, et traduire les maîtres, c’est exaltant.
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LFC : Vous est-il déjà arrivé de refuser de traduire un
mais je citerai plutôt cette fois Redemption
texte proposé par un éditeur ? Et dans l’affirmative, quelle en
Falls de Joseph O’Connor. J’ai mis des
était la raison ?
heures à traduire la première page ! Je dois avouer qu’il m’a fallu avancer de plusieurs
CC : Oui, cela m’arrive souvent, principalement parce que je n’ai
chapitres dans le roman avant de
pas le temps. Parfois parce que le texte ne me plaît pas ou ne me
commencer à vraiment y comprendre
parle pas. Je pense qu’on ne peut bien traduire que les textes
quelque chose ! En fait, il s’agit d’un roman
qu’on aime. Se forcer à passer des mois avec un texte qu’on
choral, où toutes sortes de voix
n’aime pas, ça ne peut donner qu’un piètre résultat, car on a envie
s’entremêlent, où les narrations
d’expédier la traduction, on y apporte forcément moins de soin.
s’entrecoupent. Il fallait commencer par
On est moins concerné par ce qu’on fait. En outre, je pense qu’une
comprendre la structure du livre, puis
traductrice ou un traducteur a des créneaux, des types de textes
identifier les personnages, ensuite leur
qui lui correspondent mieux que d’autres. J’ai découvert par
donner une voix en français… bref, un vrai
exemple l’an dernier en traduisant un poème d’un jeune poète, DJ
casse-tête pour moi. Mais c’est un vrai
et performer mexicain, Martin Rangel qui est un ami, que la
chef-d’œuvre ! Pour moi, ce livre est le
poésie urbaine ultra-contemporaine m’échappait complètement.
plus grand de Joseph O’Connor. C’était un
Que je ne parvenais pas à rendre un aspect déstructuré,
énorme challenge, et je suis vraiment fière
expérimental. Donc je sais qu’un certain type de littérature avant-
de l’avoir mené à bien.
gardiste, ce n’est pas pour moi. De même que la poésie, je ne pense pas que je m’aventurerai à en traduire. Je pense qu’il faut être soi-même poète pour traduire de la poésie. Cela dit, mon amie Céline Leroy, qui est une très grande traductrice sans être poétesse, a magnifiquement traduit les poèmes de Laura Kasischke du recueil Mariées rebelles. LFC : Parmi les 75 œuvres que vous avez traduites, laquelle a été la plus difficile à traduire et pour quelle raison ?
L’ACTE D’ÉCRITURE EST UNE CHOSE ÉMINEMMENT INTIME ET PERSONNELLE LFC : Ressentez-vous le besoin d’en savoir plus sur l’écrivain pour traduire
CC : Plusieurs critères peuvent rendre une œuvre difficile à
son œuvre ?
traduire. Il y a le problème des références culturelles auxquelles on se heurte, et là bien sûr, je réponds immédiatement La Colère
GR : Absolument. L’acte d’écriture est une
de Kurathi Amman, parce que l’autrice, Meena Kandasamy est
chose éminemment intime et personnelle,
originaire du Tamil Nadu, que sa culture est immensément
personne d’autre que Julie Otsuka ne
différente de la mienne car l’Inde appartient à une constellation
pourrait écrire Certaines n’avaient jamais
culturelle qui n’a rien à voir avec la nôtre, et que j’ai eu sans cesse
vu la mer. Plus on connaît l’écrivain, plus
mille questions à lui poser, ou à poser par exemple à des
on entre dans son univers, et plus on le
spécialistes de la galaxie des mouvements communistes ou
traduit avec justesse. Bien sûr, il y a des
marxistes indiens, et je ne parle pas de l’infinie complexité du
romans plus intimistes que d’autres, où
système des castes, des mille dieux et déesses et de leurs avatars…
c’est donc plus important encore, mais
Bref, vous avez compris. Ensuite, il y a la complexité du style lui-
dans l’ensemble, c’est toujours un plus de
même de l’auteur. Je pourrais à nouveau citer Meena Kandasamy,
connaître l’écrivain. Par exemple quand je
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traduis Lauren Groff et qu’elle parle de la France, je sais qu’elle dit les
Story, The Paris Review). Moi, cela m’aide
choses telles qu’elles les a vécues car elle a séjourné une année en
d’en savoir plus sur les personnages, pour
Bretagne, à l’époque du lycée, et qu’elle revient souvent en France. Le
savoir comment les faire parler ; sur le
fait de connaître Lauren m’aide énormément à la traduire. Je pense
décor, pour utiliser un vocabulaire plus
de toute façon que j’ai besoin de connaître la genèse de l’œuvre, d’où
subtil afin de mieux décrire les choses. J’ai
elle vient, de quel univers, et puis je suis curieuse, j’aime savoir à qui
eu cet honneur une fois avec Joseph
j’ai affaire. J’aurais sans doute plus de mal à traduire quelqu’un avec
O’Connor. C’était pour Muse, le deuxième
qui je n’ai aucun lien, dont je ne sais rien. J’aurais l’impression
livre que j’ai traduit de lui. C’était
d’avancer dans le brouillard. En outre, quand on connaît son auteur,
compliqué, car il y abordait l’histoire
on a envie d’une part d’être digne de lui, et d’autre part de lui faire
d’amour clandestine entre le dramaturge
plaisir, pour qu’il ou elle soit fier de son livre traduit !
John Synge et Moira O’Neill, une très jeune comédienne, or je ne connaissais pas assez
LFC : Avez-vous eu l’occasion d’échanger avec des écrivains avant
la réalité sociale de l’Irlande d’avant la
ou pendant votre travail de traduction de leur œuvre ?
première guerre mondiale pour tout bien comprendre, et au niveau stylistique,
CC : Cela m’arrive constamment. Il est rare que je n’aie aucune
j’avais beaucoup de questions. Alors je suis
question à poser, que ce soit sur l’emploi d’un mot dont je ne suis pas
allée le voir. Ça a été fantastique ! Nous
sûre, ou sur une référence culturelle que je ne comprends pas.
avons épluché le roman, pendant des
L’idéal, ce serait de rencontrer l’auteur avant, pour parler avec lui ou
heures je l’ai bombardé de questions, et en
avec elle de l’œuvre, parce qu’il y a des quantités de choses qui
vrai gentleman, il a répondu à toutes, sans
n’apparaissent pas dans le texte. Un roman, c’est la partie émergée
s’énerver, avec une immense gentillesse.
d’une œuvre immense dont 90% reste dans la tête de l’auteur – en
Ensuite, il m’a emmenée sur les lieux où se
tout cas, c’est ce que disait Hemingway (Cf The Art of the Short
passait le roman. Ce furent quelques journées exceptionnelles. Quand ensuite j’ai commencé ma traduction, je suis partie comme une flèche, car j’avais déjà résolu tous mes problèmes ! Bref, c’est sans doute ma plus belle expérience professionnelle !
UN ROMAN, C’EST LA PARTIE ÉMERGÉE D’UNE ŒUVRE IMMENSE DONT 90% RESTE DANS LA TÊTE DE L’AUTEUR Récemment, à l’occasion de la venue de Janes Smiley en France, nous avons beaucoup échangé sur la trilogie (les deux premiers volumes sont parus chez Rivages). La première fois, elle m’avait posé une question sur la mort d’un des LFC MAGAZINE #11
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JUILLET AOÛT 2018
personnages principaux : était-ce un accident ou un meurtre ?
CC : Je pense que la situation évolue depuis quelques
J’avais lu le livre, mais je n’étais pas capable de répondre. C’est
années. Je suis moi-même régulièrement invitée dans
en traduisant un passage très en amont que j’ai eu la révélation :
des médiathèques ou des librairies pour parler de
je lui ai donné ma réponse, argumentée, et elle était enchantée !
mon métier. Sans doute que peu à peu nous sortons
Nous avons beaucoup parlé, a posteriori cette fois, mais cela n’a
de l’ombre, mais le processus est lent. Pour
fait que conforter ce que je pensais déjà, donc je n’ai pas modifié
reprendre ma métaphore musicale, on n’imagine pas
la traduction.
un disque de musique classique sans le nom de l’interprète. Oui, il faut nous battre pour être
LFC : De nombreux traducteurs sont également romanciers.
davantage reconnus. C’est surtout la presse qui se
Avez-vous écrit un roman ou l’envisagez-vous ?
montre indifférente : combien de fois lit-on un article sur un livre étranger, où le nom de la personne qui a
CC : J’ai beaucoup écrit, puisque j’ai commencé par ça, mais je
traduit n’est pas cité ! Au moins, dans le livre, on est
dirais que c’est après mon séjour en résidence de traduction à
nommés quelque part. Cela m’est arrivé plusieurs fois
Banff en juin 2018 que j’ai retrouvé la foi en l’écriture et que j’ai
de râler, et l’on m’a envoyé paître. Le pire : l’an
enfin adopté une attitude professionnelle, et non plus une
dernier, un organisme se disant ami des traducteurs
posture d’amatrice. Donc oui, en plus de tout ce que je citais
faisait de la publicité pour une lecture d’un texte (que
précédemment, chaque journée commence pour moi par une
j’avais traduit) en présence de l’auteur, donc une
heure de travail sur mon roman, et le premier étant terminé
lecture en deux langues. Le comédien qui lisait le
(enfin, je crois), je travaille désormais au deuxième. J’ai
français était cité, ce qui est normal. Pas la
beaucoup de projets ! Mais traduire est une forme d’écriture
traductrice, dont il prononçait les mots. J’ai protesté
sous la contrainte qui vous apprend énormément de choses.
avec une certaine véhémence : mon éditeur a été
Joseph O’Connor, Lauren Groff, Jane Smiley m’ont beaucoup,
contacté et prié de me remettre dans le droit chemin !
beaucoup appris… Quand on traduit, on décortique la
J’en ai été extrêmement choquée. L’argument selon
mécanique d’un livre, on découvre comment ça fonctionne,
lequel ils ne pouvaient citer mon nom : il n’y avait pas
quels sont les engrenages, les techniques : c’est une véritable
la place sur les posts Facebook et autre flyers… Je
école en soi. On s’imbibe des différents styles à force de les
reste encore choquée de cette manière de traiter les
imiter en les traduisant ! Donc, au bout de vingt ans de cours
gens, un an après. Et pourtant, je peux vous dire que
intensifs à l’école des maîtres, je vais tenter de voler de mes
partout où je vais parler de mon métier, que ce soit à
propres ailes.
Paris ou à Tréguier, les gens se montrent très intéressés ! Je le constate à chaque fois ! Alors oui, il
LFC : Alors qu’un livre sur six qui paraît en France aujourd’hui
faut davantage mettre notre profession en avant, tout
est une traduction (16,8 % des titres selon les chiffres de la BnF,
le monde a à y gagner.
contre 3 % aux États-Unis, - 61 % des ouvrages étant des traduction de l’anglais), il est très rare que le nom de la
LFC : Il existe quelques (trop) rares prix en France
traductrice ou du traducteur figure sur la couverture d’un
qui récompensent des traducteurs, notamment le
ouvrage. Parfois, il n’apparaît même pas sur la quatrième de
Grand Prix dela Société des gens de lettres, qui a été
couverture. Cet usage est assez répandu chez les éditeurs en
décerné cette année à Bernard Kreiss pour ses
France, qu’il s’agisse du grand format ou du format poche (et
traductions des œuvres de Thomas Bernhard et
c’est d’ailleurs une revendication portée par l’ATLF). Lors des
Martin Walser (éditions Gallimard), ainsi que le Prix
rencontres en librairies, le traducteur est également rarement
Bernard Hoepffner (ex-Prix Laure-Bataillon),
convié alors que, parallèlement, des colloques et des
décerné par le jury de la Maison des Écrivains
conférences sont consacrés à la traduction. Tout cela
Étrangers et des Traducteurs (MEET) l’an passé à
témoigne-t-il selon vous d’un manque de considération de
José Carlos Llop et son traducteur Edmond Raillard
votre travail propre à la France ?
pour Solstice (éditions Jacqueline Chambon).
LFC MAGAZINE #11
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JUILLET AOÛT 2018
Cependant la couverture médiatique de ces événements
sur le revenu, réforme de la formation
reste très confidentielle. Pensez-vous que ceci reflète un
professionnelle) ne risquent-elles de placer les
désintérêt de la part des lecteurs pour le travail des
autrices et auteurs, traductrices et traducteurs,
traducteurs ?
dans une situation de fragilité ? Êtes-vous inquiète pour l’avenir de votre profession ?
CC : Encore une fois je pense que ce ne sont pas les lecteurs les responsables. Les lecteurs sont des gens
CC : Oui bien sûr que les réformes envisagées
intelligents, sensibles et sensés. Ce sont les institutions
vont fragiliser notre profession. Nous sommes
qui nous boudent. Et les médias, pour ce qui est de la
déjà les parents pauvres du système français, sans
couverture médiatique. Si l’on nous mettait plus en avant,
quasiment aucun des avantages sociaux dont
je suis certaine que les lecteurs apprécieraient. Certains
jouissent la plupart de nos concitoyens qui
grands lecteurs m’ont déjà dit qu’ils faisaient très
travaillent pour vivre. Pas de chômage, pas de
attention au nom du traducteur ou de la traductrice, et je
congés payés, des éditeurs, y compris prestigieux,
pense que les critiques y sont souvent sensibles. À nous, à
qui souvent nous traitent comme la dernière roue
vous, à tous les acteurs du livre et les organismes qui
du carrosse … Il faudrait sans doute revoir notre
travaillent autour de faire notre possible pour changer les
statut, mais il faudrait que des gens compétents
choses. Si déjà les prix de littérature étrangère assumaient
s’y mettent, pas des fonctionnaires qui
tout simplement le fait que lorsqu’ils récompensent un
n’entendent rien à notre situation car ils vivent
bon livre étranger, ils récompensent en réalité une
dans une autre galaxie économique. Il faudrait un
traduction ! Inutile de créer d’autres prix : il suffirait déjà
minimum de concertation avec les organismes
qu’on souligne que le prix Fémina, Médicis, etc. va
qui nous représentent et connaissent notre réalité
également à la personne qui a écrit la traduction.
quotidienne à la perfection : la SGDL, l’ATLF, etc.
Plusieurs des livres que j’ai traduits ont été récompensés :
Ce sont des partenaires fiables. Pourquoi le
seul le prix de l’Héroïne Madame Figaro, décerné l’an
gouvernement les a-t-il ignorés si superbement
dernier aux Furies de Lauren Groff m’a accueillie en me
alors que nul ne connaît mieux nos
demandant de traduire puis de lire lors de la cérémonie
problématiques ? S’agit-il de nous passer à la
un texte de Lauren Groff, où elle remerciait le jury de lui
moulinette pour simplifier le système des impôts,
avoir décerné le prix. Dans ces quelques ligne, Lauren
des retraites, etc. ? Et n’est-il pas scandaleux
terminait par des propos très élogieux à mon égard.
qu’alors que notre ministre de la Culture, éditrice
Quand j’ai eu terminé de lire, devant toute
de longue date, aurait pu avoir un avis pertinent
l’assemblée, Patrick Poivre-d’Arvor m’a lancé : C’est vous
sur la question, on l’écarte sous prétexte que
qui l’avez rajouté, ça ? Je me suis demandée si j’avais
justement elle est du métier ? N’a-t-on pas déjà
mérité cette bonne blague parce que j’étais une femme ou
nommé des médecins au ministère de la santé
bien une simple traductrice…
sans que ça pose problème ? C’est grotesque. En outre, il est déjà difficile d’exercer notre métier
LFC : Aujourd’hui, 41% des auteurs gagnent moins que le
car nous sommes bien souvent seuls face à des
SMIC. Les traductrices et traducteurs sont considérés
éditeurs parfois pas très bienveillants, qui nous
comme autrices et auteurs de leurs textes. Les réformes
paient quand ça leur chante sans que nous ayons
sociales et fiscales envisagées par le Gouvernement
aucun recours, alors si l’État s’acharne sur nous
(compensation de la CSG, réforme du régime social des
au lieu de nous garantir un minimum de
auteurs, réformes des régimes de retraite, circulaire sur
protection, certains d’entre nous ne résisteront
les revenus artistiques, retenue à la source de l'impôt
pas. Donc, oui, je suis inquiète, surtout quand je
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JUILLET AOÛT 2018
vois le nombre de jeunes gens qui entrent dans les masters
Donc oui infiniment oui aux résidences de
de traduction… Moi qui rêve d’avoir un jour droit à une
traduction ! Je vais d’ailleurs repartir fin septembre
semaine de congés payés par an, je crains bien de devoir
en Italie, à Volterra, où avec d’autres traducteurs
attendre ma retraite pour ça !
nous allons réaliser une traduction en cinq langues d’un texte de la poétesse canadienne Anne Carson,
LFC : La MEET (Saint-Nazaire) et le Collège International
Antigonick, qui sera ensuite lu lors d’une sorte de
des Traducteurs littéraires (Arles), comme d’autres
performance. Les possibilités sont infinies et d’une
structures en France, en Belgique ou en Suisse, proposent
richesse formidable. J’engage tou.te.s mes collègues
des résidences aux traductrices et traducteurs. Avez-vous
à postuler pour participer à ce genre de résidence.
déjà bénéficié d’un programme de résidence et/ou d’une
C’est vraiment une expérience unique !
bourse ? Pensez-vous que ces lieux privilégiés de travail
Pour conclure cet entretien, pouvez-vous nous
et ces aides financières sont aujourd’hui indispensables à
parler du texte sur lequel vous travaillez
l’exercice de votre profession ?
actuellement ? Je vais vous parler du texte que je viens de terminer,
CC : Oui, j’ai eu la chance, le bonheur de partir l’an dernier
My Coney Island Baby, de Billy O’Callaghan, un
en résidence à Banff, en Alberta, Canada, et je n’exagère
auteur irlandais pas encore traduit en français, dont
pas quand je dis que cela a changé ma vie. Banff est un lieu
le texte paraîtra au printemps prochain chez Grasset.
extraordinaire (Céline Leroy qui en revient pourra
Jean Mattern m’a fait l’honneur de me confier ce
témoigner !), où toutes sortes de gens se rencontrent, des
texte difficile mais magnifique, qui en résumé
traducteurs, des écrivains, des artistes plasticiens, des
raconte l’histoire d’un couple illégitime qui pendant
danseurs, des chanteurs d’opéra, mais aussi des
vingt-cinq ans se retrouve chaque premier mardi du
représentants des peuples premiers du monde entier, des
mois à Coney Island pour y passer ensemble la
scientifiques, des mathématiciens, bref, c’est un concentré
journée. Peu à peu l’auteur dévoile le passé des
de ce que notre monde contient humainement de meilleur.
amants, douloureux, fait de renoncement, leur
J’ai fait partie l’an dernier des dix-huit happy few venant
quotidien morne qu’éclaire cette liaison hors norme.
du monde entier qui ont participé au BILTC. J’imaginais me
L’écriture est magnifique. J’ai publié bien des
retirer là-bas un peu en ermite, hors du monde, dans une
extraits sur ma page Facebook car je tombais sans
nature magnifique, et travailler tranquillement dans mon
cesse sur des phrases incroyablement belles. On y
coin. C’est l’inverse qui s’est produit : j’ai rencontré des
retrouve cette mélancolie bien irlandaise, ces
gens formidables, découvert d’autres univers, d’autres
descriptions d’une nature âpre quand l’homme parle
littératures dont la littérature latino-américaine dont je
de l’île lointaine où il est né, une analyse des
commence à découvrir l’extraordinaire richesse, et surtout,
sentiments d’une finesse incroyable, où tout jusqu’au
j’ai rencontré des gens qui pratiquaient toutes les formes
moindre geste fait sens, jusqu’à la tasse de mauvais
d’écriture, pas seulement la traduction, même si c’était
café qui devient un rituel nécessaire, préservant des
notre point commun. Certains de mes collègues étaient
dangers de ce monde. Oui, j’avoue que ce fut difficile,
également romanciers, journalistes, dramaturges, poètes,
il y a même longtemps que je n’avais pas trouvé un
etc. Et c’est dans cet incroyable bouillon de culture que j’ai
texte aussi ardu, avec ses longues phrases et ses
enfin retrouvé la volonté et la confiance nécessaires pour
structures syntaxiques particulières, et j’espère m’en
écrire ! Banff a changé ma vie, et depuis que j’en suis
être bien sortie. En tout cas, c’est un livre que je
revenue, je suis dans une autre énergie, une autre
recommande absolument, car il est d’une beauté
dynamique, je vais plus à l’essentiel et j’ose enfin écrire
déchirante.
comme une professionnelle. Je ne sais pas encore quel sera le devenir de cette tentative, mais je compte bien aller
Entretien réalisé par courrier électronique en
jusqu’au bout de cette aventure.
juillet 2018. Propos recueillis par Guillaume Richez.
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nouvelle rubrique NO. 11 // GRATUIT
Shooting AU-DELÀ DES CLICHÉS
TROIS IMAGES EN DISENT AUTANT QU'UN ENTRETIEN
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LFC Magazine #11
BARBARA CARLOTTI L'OVNI MUSICAL JOUE LE JEU DE LA SÉANCE INSTANTANÉE
MATTHEW NEILL NULL LA NOUVELLE VOIX DE LA LITTÉRATURE AMÉRICAINE DIT OUI POUR UN SHOOTING FRENCH TOUCH
musique // au-delà des clichés Photographies exclusives par Arnaud Meyer Leextra
BARBARA CARLOTTI
QUELQUES INFOS Cet album a été imaginé et écrit à partir de la retranscription de ses rêves, Douze chansons comme une invitation aux songes de Barbara Carlotti, Ce cinquième album invente une musique hybride entre pop française sixties et psychédélisme synthétique,
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LFC Magazine #11
musique // au-delà des clichés
Christophe Mangelle
ALBUM ATYPIQUE
magnétique
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Texte :
nouvelle rubrique NO. 11 // GRATUIT
Shooting AU-DELÀ DES CLICHÉS
TROIS IMAGES EN DISENT AUTANT QU'UN ENTRETIEN
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LFC Magazine #11
BARBARA CARLOTTI
MATTHEW NEILL NULL
L'OVNI MUSICAL JOUE LE JEU DE LA SÉANCE INSTANTANÉE
LA NOUVELLE VOIX DE LA LITTÉRATURE AMÉRICAINE DIT OUI POUR UN SHOOTING FRENCH TOUCH
livre // au-delà des clichés MATTHEW NEILL NULL
QUELQUES INFOS Matthew Neill Null est un écrivain américain originaire de VirginieOccidentale. Il a étudié le Creative Writing à l’Iowa Writers’ Workshop et ses nouvelles ont été publiées dans plusieurs anthologies, dont la Pen/O. Henry Prize Stories.
Le miel du lion, son premier roman, l’a imposé comme une nouvelle voix des plus prometteuses dans le paysage littéraire américain.
Il est aussi l’auteur d’un recueil de nouvelles, Allegheny Front, qui paraîtra prochainement en français chez Albin Michel. Photographies exclusives par Mathieu Genon Leemage
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LFC Magazine #11
livre // au-delà des clichés
Christophe Mangelle
LA RÉVÉLATION d'une voix impressionnante
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Texte :
LFC MAGAZINE
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#11
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DANIELLE MOREAU PHOTOS EXCLUSIVES ET ENTRETIEN INÉDIT PAR CHRISTOPHE MANGELLE PHOTOS : JULIEN FALSIMAGNE LEEXTRA
Danielle Moreau est une enfant de la radio. D'auditrice à standardiste chez Europe 1, puis plus tard l'animation d'émission, elle publie "Les enfants de la radio" chez Hors Collection. Une très E L I N A R I Cpour H A R D S nous de la rencontrer belle Soccasion à l'Hôtel Vernet dans le très cosy 8ème arrondissement. La chroniqueuse de "Touche pas à mon poste" souhaite parler de son poste radio au plus grand nombre. Entretien inédit. LFC : Bonjour Danielle Moreau ! Vous
m’a bien fallu une vingtaine d’années. (Rires)
publiez un livre Les enfants de la radio
J’ai été persévérante. Les auditeurs ont un
(Hors collection). Comment avez-vous eu
rapport plus affectif avec leurs radios. C’est rare
l’idée d’écrire ce livre ?
d’entendre : je ne regarde que TF1, ou que France 2. Les auditeurs disent : je n’écoute que
DM : Je pense que l’idée de ce livre, je l’ai en
France Inter par exemple. Souvent, c’est parce
tête depuis l’âge de quinze ans, depuis que
que c’est la radio que nous écoutions avec nos
j’aime la radio. C’est une passion d’enfance.
parents. Cela remonte à l’enfance. Les
Je pensais être seule à la vivre. Je me suis
nouvelles générations ont un rapport différent
trompée. Nous sommes nombreux à être des
à la radio puisqu’aujourd’hui elle se consomme
enfants de la radio. Je séchais les cours pour
autrement avec la croissance du podcast, etc.
assister aux émissions de radio en public,
Je parle des auditeurs qui écoutaient la radio
celles de Pierre Bellemare sur Europe 1, qui a
avec un transistor.
d’ailleurs été mon premier patron. J’ai toujours eu envie de fréquenter ce milieu.
LFC : Dans la préface de votre livre, Jean-
Comment y parvenir ? À Europe 1, j’ai tout
Pierre Foucault parle de l’affection portée à
fait. J’étais dans le public. J’ai gagné à des
l’objet : le transistor.
jeux. J’ai été assistante, standardiste,
90
pipelette parce que j’ai réussi à faire de
DM : Oui, car tout cela a évolué. Et c’est notre
l’antenne. Le chemin a été long. Entre le
société qui change. Tous les gens de plus
moment où j’étais dans le public et le
soixante-dix ans regardaient la radio. La
moment où je suis passé derrière le micro, il
télévision n’existait pas. Le poste de radio était
énorme. Il trônait sur une table au milieu du salon. Nous regardions tous ensemble l’objet radio. Toute la famille écoutait la même émission. Ce qui est dommage aujourd’hui. Parce qu’il n’existe presque plus d’émission à la télévision ou à la radio que nous pouvons
S E L ILaN A partager en famille. C’est un autre débat. grande révolution a eu lieu dans les années soixante avec l’apparition du transistor. Johnny Hallyday et les yéyés sont nés avec la radio. Ils n’existeraient pas si les gamins et les
L’histoire de la radio, c’est aussi l’histoire de la société française.
RICHARDS
adolescents de l’époque n’avaient pas pu choisir leur musique grâce au transistor.
entre Georges Lang qui fête les 45 ans de son
Avant, ils écoutaient Édith Piaf ou Tino Rossi,
émission Les nocturnes sur RTL. Dans un temps
même à quinze ans, parce que c’était ce que
plus lointain, nous avions Macha Béranger. C’était
leurs parents écoutaient. Une fois qu’ils ont
la grande prêtresse de la nuit. Elle créait son
eu leur transistor à eux, dans leur chambre
ambiance visuelle. Elle tamisait les lumières. Elle
avec le choix d’écouter leur programme, ils
recevait les gens comme chez elle. C’était un
ont fait naître une génération de yéyé. Salut
dialogue tellement intime. La nuit participe à cet
les copains et Europe 1, c’était une véritable
esprit confessionnel. Liane Foly me l’a confirmé
révolution. La radio Europe 1 est née grâce au
récemment. C’est un nom qui revient souvent
transistor. L’histoire de la radio, c’est aussi
dans les souvenirs. L’originalité de ce livre est non
l’histoire de la société française.
seulement de raconter l’histoire de la radio, mais aussi d'évoquer les souvenirs personnels de ceux
LFC : En 2018, la radio demeure toujours
qui ont fait la radio, ceux d’hier et d’aujourd’hui.
un média fort.
J’ai eu envie de savoir comment était née leur vocation. Souvent, cela venait de l’enfance. Je
DM : Bien sûr. Les heures d’écoute, les
voulais savoir quelles étaient les voix et les
habitudes ne sont plus les mêmes. Les
émissions qui les avaient bercés. Cela me permet
auditeurs écoutent très souvent de nos jours
de raconter des anecdotes. Je parle souvent de
la radio dans la voiture. Les audiences sont
souvenirs personnels.
différentes de ceux de la télévision. Ce sont les matinales qui rencontrent un vif succès. À
LFC : Comme…
20h, les auditeurs désertent la radio. Je
91
consacre dans le livre un chapitre qui
DM : Patrick Sabatier a animé pendant quinze ans
s’appelle : c’est beau une radio la nuit. Parce
les matinées de RTL. À l’âge de quinze ans, son
qu’il se passe beaucoup de choses la nuit :
père était marchand de fruits et légumes. À 6h30
D A N I E L L E L F C
M O R E A U
M A G A Z I N E
# 1 1
L’originalité de ce livre est non seulement de raconter l’histoire de la radio, mais aussi d'évoquer les souvenirs personnels de ceux qui ont faitS la radio, ceux d’hier ELINA RICHARDS et d’aujourd’hui. du matin, il déposait le petit Patrick dans la
Zappy Max. Les nouvelles générations
rue Bayard, devant RTL. Il partait faire ses
ne le connaissent pas. Jean-Pierre
courses aux Halles. Il revenait deux heures
Foucault m’a dit : vous prenez Michel
après pour reprendre le petit Patrick pour
Drucker, Jean-Luc Reichmann, Nagui
l’amener à l’école. Pendant deux heures, il
et moi, et vous aurez une idée de la
était devant l’écran de contrôle et il
popularité de Zappy Max dans les
regardait son idole Maurice Favières qui
années 50 et 60, en ajoutant nos
faisait les fameuses matinales.
quatre popularités. C’était une star
énorme. Quand Zappy Max était sur LFC : Votre livre est disponible en
Radio Luxembourg, il n’y avait
librairie au moment où Europe 1 et RTL
personne. C’était un Dieu vivant.
déménagent… Ce sont des pages qui se tournent.
LFC : Comment avez-vous obtenu tous ces entretiens ?
DM : C’est la fin d’une époque. Le café à côté d’Europe 1 a fermé. Et je plains le café
DM : J’avais fait une grande liste de
en face de RTL parce que c’était vivant.
personnalités de la radio que j’avais
Nous pouvions croiser très souvent des
envie de rencontrer. C’était une
vedettes.
chaîne importante, tous les enfants de la radio pouvaient se donner la main.
LFC : Pour écrire ce livre Les enfants de
Chacun me disait qu’il fallait
la radio, vous avez réalisé quarante-cinq
absolument rencontrer untel ou untel.
entretiens des grandes personnalités de
Ils me communiquaient les
la radio.
coordonnées d’un autre. Jacques Pessis m’a donné les coordonnées de
DM : Je suis très fier d’avoir rencontré
93
Zappy Max.
Je voulais que ce livre s’adresse au grand public, à tous ces gens qui ont écouté "Les Grosses Têtes", "La valise RTL", toutes ces émissions mythiques… LFC : Votre livre fourmille d’anecdotes.
têtes avec Philippe Bouvard. La date du 1er avril
n’est pas un hasard. Comme ils avaient peur que
S Eque L I ce NA DM : Absolument, j’adore ça. Je voulais
R I Cl’émission H A R D S ne marche pas, ils se sont dit : nous
livre s’adresse au grand public, à tous ces gens
commençons un 1er avril, comme cela, si c’est un
qui ont écouté Les Grosses Têtes, La valise RTL,
bide, nous pourrons dire que c’est une blague. Et
toutes ces émissions mythiques… Je leur raconte
quarante ans plus tard, ça continue !
comment ces émissions ont vu le jour. Les grosses têtes, c’est une belle histoire humaine. Quand il
LFC : Que pouvez-vous nous dire sur la radio
était gamin, Laurent Ruquier demandait à sa mère
d’aujourd’hui ?
de lui enregistrer Les grosses têtes parce qu’il n’était pas encore rentré de l’école. Il lui préparait
DM : Les changements se situent dans la manière
la cassette. Seulement, il fallait qu’elle retourne la
d’écouter. Les radios libres, c’est finalement une
cassette au bon moment. Parce que les gamins
forme ancienne. Sur le ton, nous ne notons pas
d’aujourd’hui ne savent pas ce que c’est. Mais il
vraiment d’évolution. Nous sommes dans la
s’agissait d’un magnétophone cassette, au bout
continuité des programmes. En revanche, c’est la
de 30 ou 60 minutes, il fallait retourner la cassette.
consommation qui est différente.
Si la mère de Laurent Ruquier oubliait, elle se faisait engueuler. Parce qu’il était passionné par
LFC : Les femmes sont-elles bien représentées
cette émission. Trente ans plus tard, il anime Les
à la radio ?
grosses têtes. C’est une histoire formidable.
95
Réaliser ses rêves d’enfant, il n’y a rien de plus
DM : Je consacre un chapitre qui s’appelle Où
beau. Laurent Ruquier est un vrai enfant de la
sont les femmes ? Parce qu’en 1970, à la radio,
radio. Il faut savoir qu’en 1936, l’émission Les
elles n’étaient pas nombreuses. C’était un univers
grosses têtes existait déjà sous un autre nom : Les
très macho. Philippe Gildas m’a dit que quand
sept sages. Il y avait sept personnages autour
Maryse est arrivée sur Radio Luxembourg, c’était
d’une table : des humoristes et des
une révolution. Ils sont mariés maintenant. Je les
intellectuels qui répondaient à des questions
ai interviewés ensemble. Philippe Gildas disait à
d’auditeurs. Ces derniers gagnaient si les sept
Maryse : tu ne t’en es sans doute pas rendu
sages n’avaient pas répondu. C’est exactement le
compte, mais nous venions te lorgner du coin de
concept des Grosses têtes d’aujourd’hui. Après la
l’œil parce que tu étais la première femme avoir un
Guerre, l’émission s’est appelée Les incollables.
rôle un tout petit peu plus important que la
Ensuite, nous notons un moment d’interruption.
potiche qui donnait l’heure. Elle pouvait déjà
Et le 1er avril 1977, sur RTL arrive Les Grosses
annoncer les disques.
MAGALI BERDAH LFC MAGAZINE #11 JUILLET-AOÛT 2018
PHOTOS EXCLUSIVES ENTRETIEN INÉDIT
PAR CHRISTOPHE MANGELLE PHOTOS : PATRICE NORMAND LEEXTRA
Juin 2018, nous rencontrons Magali Berdah pour parler de la publication de son premier livre "Ma vie en réalité" chez l'Archipel. Rencontre SELINA RICHARDS avec la fondatrice de l'agence Shauna Events et la chroniqueuse de "Touche pas à mon poste". Photos exclusives et entretien inédit.
LFC : Bonjour Magali Berdah ! Vous publiez
mois d’été parce que c’est une période
votre premier livre Ma vie en réalité
chargée. Je n’aurais pas pu assumer la
(L'Archipel). Comment est née l’idée de ce
promotion. C’est la rentrée. Nous sommes sur
témoignage ?
tous les fronts. C’est donc impossible. L’été, je pense que c’est bien pour que les gens le
MB : Tout a commencé lorsque j’ai vécu une
lisent, qu’ils se requinquent en vacances. Ils se
expérience professionnelle douloureuse avec un
reposent, le liront pour être en forme pour
concurrent qui m’a un peu tourmenté. J’ai rédigé
attaquer la rentrée en septembre. Avec une
un texte que j’ai publié sur Twitter. Je ne sais pas
bonne note positive.
ce qui m’est passé par la tête ce soir-là. J’en avais assez. J’ai exprimé dans ce texte une
LFC : Avez-vous écrit ce livre pour aider les
exaspération qui a été likée et retweetée
lecteurs ?
plusieurs milliers de fois. De là, je pense que les gens ont reconnu certainement leur histoire. Je
MB : Absolument. L’été, c’est le moment où
parlais de surendettement, des problèmes de la
chacun se pose. Nous avons le temps de tirer
vie, des choses courantes qui ont eu un écho
les leçons de l’année écoulée, de faire le point,
retentissant. J’ai reçu de nombreux courriers et
et de revoir nos priorités. Ce livre peut donc
messages d’encouragement sur le web. J’ai reçu
être utile à cette période pour les lecteurs.
deux propositions de la part de maison d’édition.
97
Et j’ai choisi l’Archipel parce que je voulais sortir
LFC : Nous vous avons lu. Nous comprenons
mon livre pour l’été, et non en septembre. Je ne
que vos débuts sont difficiles et pourtant
voulais pas qu’il soit en librairie après les
vous êtes allée très haut. Selon vous, êtes-
vous arrivée si haut parce que vous avez rêvé en grand ?
MB : Non, je n’ai pas rêvé. J’ai surtout encaissé beaucoup. Je n’ai jamais rêvé parce que je n’ai jamais pensé être là aujourd’hui. Même si quelqu’un me l’avait raconté, j’en SE LINA aurais rigolé. Parce que ce n’est pas possible. Surtout d’où je viens géographiquement. Je me suis créé des épaules. J’ai bien encaissé. LFC : Vous avez encaissé, mais vous avez également été attentive aux autres. Car vous avez su saisir les opportunités qui se sont présentées à vous. Vous avez rencontré des mentors-sponsors.
L’été, c’est le moment où chacun se pose. Nous avons le temps de tirer les leçons de l’année écoulée, de R I C Hfaire A R D S le point, et de revoir nos priorités. Ce livre peut donc être utile à cette période pour les lecteurs. à rattraper. Je ne laisse rien passer. Je n’attends pas. Je fonce. LFC : C’est toujours ce que vous dites : vos enfants sont votre moteur…
MB : Complètement. Je profite de l’écriture de ce livre pour les remercier. Même eux, ils
MB : Oui, mes filles, ce sont des poupées. Elles
ne savent pas. Ils ne connaissent pas
méritent que je sois aux petits soins. C’est normal.
forcément ma vie. Et ils ignorent ce qu’ils ont
Je ferais tout pour mes enfants. Le reste, je m’en
pu m’apporter. Ont-ils réalisé ce qu’ils m’ont
fiche. À partir du moment où mes filles sont
donné ? S’ils ne l’ont toujours pas compris,
protégées, tout va bien. Le reste m’importe peu.
avec ce livre, ils vont enfin savoir l’importance qu’ils ont à mes yeux.
LFC : Vos filles vous donnent toute cette énergie que vous avez en vous.
LFC : Vous êtes mère de famille. Vous avez trois enfants. Vous menez de front votre carrière et votre vie de famille. Nous vous
MB : Oui. (Émue)
avons observé, chaque minute compte,
LFC : Votre agence rencontre un vif succès et
pour quelles raisons cette voracité de la
c’est très important parce que le nom de votre
vie ?
agence porte le nom de shauna votre fille : Shauna Events.
MB : Parce que je n’ai plus de temps à perdre. J’ai trente-six ans. J’ai trois enfants. Je me
MB : Oui. (Elle pleure d’émotion)
dois de préparer leurs avenirs. Le temps passe trop vite. Et j’ai énormément de temps
98
LFC : Gilles Verdez signe votre préface. À la
MAGALI BERDAH LFC MAGAZINE #11
Gilles Verdez est paradoxal. C’est un des chroniqueurs les plus sensibles de "Touche pas à mon poste". Les gens le voient comme le plus gueulard et le plus nerveux. Et en réalité, c’est vraiment ce SELINA RICHARDS que je ressens : c’est le plus sensible. télévision, il crie beaucoup. Et là, il dit
MB : Merci. J’ai souhaité faire ce livre
des très belles choses sur vous.
parce que les internautes sur les réseaux sociaux m’ont beaucoup
MB : Gilles Verdez est paradoxal. C’est un
encouragé. Je suis devenu un modèle
des chroniqueurs les plus sensibles de
pour les gens, après avoir été
Touche pas à mon poste. Les gens le
précédemment lynché lorsque j’avais
voient comme le plus gueulard et le plus
eu mes problèmes d’argent. L’histoire
nerveux. Et en réalité, c’est vraiment ce
est folle, mais tellement belle que je
que je ressens : c’est le plus sensible. En
suis ravie de la raconter au plus grand
coulisse : il est calme, il réfléchit, il est
nombre.
discret. Gilles a su parfois m’apaiser dans l’émission. Je ne suis pas chroniqueuse
LFC : Que répondez-vous à ceux qui
professionnelle. J’ai appris directement
disent que vous défendez les
dans Touche pas à mon poste. Avant cette
candidats de télé-réalité parce que
participation, je n’avais jamais fait
c’est votre gagne-pain ?
d’émission TV. Forcément, je fais plus attention à tout. Gilles, d’un regard, il me
MB : Quand on me dit ça, cela montre
rassure. Même ce matin, il m’a dit :
que les gens ne comprennent pas ce
réponses claires, courtes, précises. C’est
que cela implique derrière. Lisez mon
un véritable coach pour moi. Sa sensibilité,
livre ! Ces gens-là ne sont pas des
je la ressens. Il est comme moi. C’est pour
animaux, des bêtes de foire, des
cette raison que je voulais qu’ils m’écrivent
gamins illettrés. Ce sont des êtres
la préface du livre Ma vie en réalité.
humains comme tout le monde qui débordent d’énergie et d’amour, qui se
100
LFC : Votre livre est touchant parce que
sont jetés eux-mêmes dans une télé-
nous vous trouvons sincère.
réalité. Ce sont des gens qui se sont
Je n’ai qu’une vie. J’aime tester de nouvelles expériences. SELINA
RICHARDS
choisi une vie, qui se sont
LFC : Vous participez à Touche
certainement sortis d’une galère.
pas à mon poste. Qu’aimez-vous
Nous savons très bien qu’en télé-
dans cette aventure
réalité, il n’y a pas de BAC+10. Ils ont
audiovisuelle ?
eu une opportunité qu’ils ont su saisir. En soi, ce sont des gens plus
MB : J’aime ce côté débat.
humains que des gens de TV que j’ai
J’adore. C’est vraiment un plaisir
rencontrés, qui ont des grandes
personnel qui m’apporte une
carrières et qui ne sont pas gentils.
crédibilité, une visibilité. Je n’aurais jamais espéré avoir tout
LFC : Votre vie de famille, l’agence,
cela. Il manquait quelqu’un pour
la télévision, le livre… Vous êtes sur
représenter la télé-réalité
tous les fronts !
française qui fait partie de notre télévision. Qu’on l’aime ou non. Ils
MB : Je n’ai qu’une vie. J’aime tester
ont une place dans la télévision.
de nouvelles expériences. Le jour où
Même pour la promotion de mon
il va m’arriver quelque chose comme
livre, des chaînes ont refusé de
tout le monde, eh bien, au moins, je
me recevoir parce que je fais trop
l’aurais fait. Si j’ai envie de le faire, je
télé-réalité ou trop Cyril Hanouna
ne vois pas pourquoi je m’en
Touche pas à mon poste.
priverais. Je m’organise. J’ai embauché du personnel : vingt-sept
LFC : Qu’aimeriez-vous faire que
salariés qui m’aident et qui me
vous n’avez pas fait ?
soutiennent. Ils organisent les choses
101
pour moi pour que je puisse
MB : Aucune idée. Proposez-moi
justement me libérer.
une idée !
LFC MAGAZINE
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#11
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JUILLET-AOÛT 2018
HÉLOÏSE MARTIN PHOTOS EXCLUSIVES ET ENTRETIEN INÉDIT
PAR CHRISTOPHE MANGELLE PHOTOS : CÉLINE NIESZAWER LEEXTRA
Juin 2018, nous avons rendezvous dans le marais avec Héloïse Martin pour une séance de photos exclusives pour LFC magazine et entretien dans lequel elle nous parle de S E L I N A 2". R I CFilm H A R D Sà l'affiche cet été, elle "Tamara donne la réplique à Rayane Bensetti, Sylvie Testud, Bruno Salomone et Blanche Gardin. Cet automne, elle participera également à la saison 9 de "Danse avec les stars" sur TF1.
LFC : Bonjour Héloïse Martin ! Pouvez-vous
Même si c’était un petit rôle, c’était incroyable
nous raconter vos débuts dans le milieu de
d’avoir la chance d’être dans les coulisses d’un
la comédie ?
tournage professionnel avec les acteurs. Tout cela ne me paraissait pas réel.
HM : Depuis toute petite, j’ai toujours voulu être comédienne. Je pensais que c’était
LFC : Comment avez-vous préparé ce casting ?
inaccessible. Et que cela n’était qu’un rêve.
103
Un jour, à l’âge de quinze ans, je me suis
HM : Depuis toute petite, avec mon papa et mon
connectée à Internet sur un site de casting.
frère, nous faisons des vidéos pour la famille, de
Avec le téléphone de maman, en cachette, j’ai
fausses publicités, des sketches. Sur un fond vert,
envoyé ma candidature à une annonce
nous nous amusions à refaire les scènes d’Harry
sérieuse pour un téléfilm qui s’appelle Qu’est-
Potter. Avec les vidéos que mon papa faisait avec
ce qu’on va faire de toi ? Et un jour, ma
nous, j’ai appris des choses. Très régulièrement,
maman vient me chercher au lycée. Et elle
avec mes copines, nous organisions des
m’annonce qu’elle a reçu un coup de
spectacles de danse et de théâtre. Le public,
téléphone pour me dire que je devais passer
c’était nos parents. Et la salle de représentation,
un casting deux jours plus tard à Paris.
notre garage ! (Rires) En CM2, nous avons
J’habitais Rennes. Ma mère était ravie. Elle
imaginé un grand spectacle dans lequel nous
m’a accompagné là-bas. Tout s’est bien
avions tous écrit nos personnages. J’ai
passé. Une semaine plus tard, ma mère me
commencé dès l’âge de quatre ans jusqu’à
récupère au lycée et elle m’annonce que j’ai
aujourd’hui. Ce mécanisme d’écrire, d’interpréter
eu le rôle. C’était une excellente nouvelle !
des personnages qui n’existent pas, de refaire
H É L O Ï S E L F C
M A R T I N
M A G A Z I N E
# 1 1
des scènes, je fais cela depuis toujours. Maintenant, de là à me dire que j’aurais pu en faire mon métier : jamais de la vie ! Pour moi, c’était impossible. LFC : Aujourd’hui, pourtant, c’est bien possible. Vous avez bien participé au
SELINA
téléfilm Qu’est-ce qu’on va faire de toi ? qui raconte l’enfance de Michel Drucker, adapté du livre de ce dernier. Quel rôle endossez-vous dans ce téléfilm ?
Les tournages me font penser à une grande colonie de vacances. Nous vivons tous ensemble.
RICHARDS
HM : J’interprète la toute première petite amie
Cela se déroulait bien. C’était difficile ensuite de ne
de Michel Drucker. (Rires) C’est drôle, car il a
pas avoir de réponses ou alors des réponses
l’âge d’être mon grand-père. Michel Drucker
négatives. Et en parallèle, j’étais régulièrement
adolescent était joué par Jérémie Duvall, qui
convoquée pour d’autres casting. La motivation était
est un ami aujourd’hui. Pour la petite
donc toujours là. Je n’ai jamais perdu espoir. Pour
anecdote, c’était la première fois de ma vie
moi, c’était le temps de la formation. Je devais
que j’embrassais un garçon. Cela s’est passé
apprendre avant de prétendre à mieux. L’échec, nous
sur ce tournage. C’est amusant. Ensuite, j’ai
y sommes forcément confrontés un jour. Je m’y suis
rencontré un agent sur Paris qui m’a
frottée tôt en passant ces nombreux casting. Tant
déclenché plusieurs casting. Je les ai tous
mieux. Ces échecs, je ne les ai pas si mal vécus. Je
ratés. Ceci dit, cela m’a apporté de
croyais en ma chance.
l’expérience : l’entraînement, la régularité d’apprendre des textes, de les travailler, etc.
LFC : Comment vivez-vous les tournages de films ?
Dès que j’ai eu mon BAC, je suis venue à Paris pour prendre des cours de théâtre, m’investir
HM : Les tournages me font penser à une grande
à fond.
colonie de vacances. Nous vivons tous ensemble. Comme j’ai principalement joué dans des comédies,
LFC : Comment avez-vous vécu les
même quand ça ne tourne plus, l’ambiance est à la
contraintes des allers et retours Paris-
bonne humeur. Pour le tournage de Tamara, en
Rennes, les échecs des casting ? Vous
Belgique à Bruxelles, nous nous levions le matin et
n’avez jamais lâché !
nous travaillions jusqu’à 19h ou 20h. Et ensuite, de 20h jusqu’à 1h du matin, nous sommes tous
105
HM : Quand je passais les casting, je
ensemble à l’hôtel à dîner. Je fréquente encore de
connaissais très bien mon texte. J’étais
nombreuses personnes de ce tournage qui sont
souriante, à l’aise dans les improvisations.
devenues de très bons amis.
J’adore Blanche Gardin. Elle est "énorme" dans le film. À chaque fois qu’elle parle, c’est à mourir de rire. Elle faisait des improvisations régulièrement. Elle nous faisait rêver. Nous en prenions les yeux. S E L I N A R I C plein HARDS C’était super de travailler avec elle ! LFC : Et aujourd’hui, vous vous êtes
Tamara 2, actuellement en salles, parle de la problématique
retrouvés, puisque Tamara 2 est à
des réseaux sociaux, des influenceurs, de l’utilisation
l’affiche tout l’été.
déviante des applications avec lesquelles nous pouvons faire du mal aux autres.
HM : Absolument. Nous ne nous sommes jamais vraiment quittés. Ceci dit, c’était
LFC : Tamara 2 est une comédie qui s’adresse à la famille.
bien de pouvoir tourner ce film. Nous étions surpris de voir le succès du film
HM : Oui. Nous parlons aux parents, aux adultes, aux
Tamara. Nous ne nous attendions pas à un
adolescents, et aussi les spectateurs vont découvrir comment
accueil si chaleureux de la part du public.
Tamara devient adulte. Elle va quitter le cocon familial pour
C’était mon premier film ainsi que le
aller vivre à Paris, pour faire ses études, pour croiser des stars
premier film aussi de Rayane Bensetti.
dans la rue, pour avoir une vie de rêve avec ses ami(e)s. Elle va vivre des dilemmes amoureux en se retrouvant en
LFC : Comment avez-vous abordé votre
colocation avec son ex. Elle va s’enflammer avec les réseaux
personnage ?
sociaux, y trouver une forme de revanche sur la vie. Tamara passe de j’étais grosse, je ne pouvais rien faire, personne ne
HM : J’étais blonde, plus mince, etc. À la
m’aimait à aujourd’hui, j’ai de nombreux fans, de followers, de
lecture du scénario, j’étais conquise. Jouer
plus en plus, les marques me sollicitent. Sauf que les limites
ce rôle me plaisait vraiment. Le soir même,
de tout cela la guettent.
je suis allée acheter les BD que j’ai lues. Je me suis reconnue dans ce personnage.
LFC : Blanche Gardin participe également au film.
Même si ce n’est pas moi, c’était mortel de pouvoir jouer ce rôle. Lors du casting, nous
HM : J’adore cette comédienne. Elle est énorme dans le film.
nous étions en accord que si je plaisais à la
À chaque fois qu’elle parle, c’est à mourir de rire. Elle faisait
production, au réalisateur, je n’hésiterais
des improvisations régulièrement. Elle nous faisait rêver.
pas à prendre du poids, à me teindre en
Nous en prenions plein les yeux. C’était super de travailler
brune. Le film a très bien marché.
avec elle !
107
SELINA
RICHARDS
LFC : Pourquoi les lecteurs de LFC Magazine doivent-ils
LFC : Avez-vous peur que ce rôle soit
aller voir Tamara 2 ?
omniprésent ?
HM : C’est un film qui fait du bien. Lorsqu’on sort de la salle, on
HM : Non, absolument pas. J’ai eu la
se sent bien dans sa peau, avec ses amis, sa famille. On
chance de jouer au théâtre avec Richard
relativise un peu. C’est un film qui fait rire sur la société
Berry et Mathilde Seigner dans la pièce La
d’aujourd’hui, sur le passage de l’adolescence à l’âge adulte.
Nouvelle au Théâtre de Paris. Et j’ai
Les personnages grandissent en même temps qu’une partie
d’autres projets.
du public. Ce n’est absolument pas un copié collé du premier. Vos lecteurs peuvent le voir sans avoir vu le premier.
LFC : Quels sont vos projets ?
LFC : Peut-on imaginer un Tamara 3 ?
HM : De janvier à avril 2019, je pars en tournée pour la pièce La Nouvelle. Et je
HM : Peut-être. Nous verrons bien quel accueil va recevoir
participe à Danse avec les stars
Tamara 2.
prochainement, le dernier trimestre 2018.
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LFC MAGAZINE
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#11
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JUILLET-AOÛT 2018
GUILLAUME DE TONQUÉDEC
PHOTOS EXCLUSIVES ENTRETIEN INÉDIT
PAR CHRISTOPHE MANGELLE PHOTOS : PATRICE NORMAND LEEXTRA
Juin 2018, nous avons rendezvous dans un hôtel parisien très cosy, dans le quartier de SaintGermain avec Guillaume de Tonquédec pour nous parler de SELINA RICHARDS son livre "Les portes de l'imaginaire" (L'Observatoire) qui s'adresse à tous les lecteurs, avertis ou non. Photos exclusives et entretien inédit. LFC : Vous publiez Les portes de mon
garder ce titre pour le livre que je trouvais très
imaginaire (L’Observatoire), que nous
joli.
avons beaucoup apprécié. À quel moment sont apparues les portes de mon
LFC : Dans ce livre, vous vous racontez à
imaginaire dans votre esprit ?
travers les livres.
GDT : C’est une très bonne question. J’ai
GDT : C’est très impudique. Je ne pensais pas
travaillé à partir de la proposition de Caroline
que cela m’arriverait. (Rires) Caroline Glorion a
Glorion qui est elle-même journaliste,
eu l’idée de cet angle. Elle souhaite interviewer
scénariste et metteur en scène. Pendant nos
des célébrités populaires pour leur faire parler
entretiens, je lui ai dit que les auteurs avec
de leur rapport à la littérature. Les éditions de
leur imaginaire avaient ouvert les portes de
l’Observatoire lancent cette nouvelle collection.
mon imaginaire. J’ai toujours été un enfant
C’est une très belle idée.
qui a eu du mal à apprendre à lire et à écrire. Ainsi, la lecture à voix haute ou silencieuse
LFC : Au début, c’est mal engagé pour vous.
était un véritable calvaire à vivre. Quand je
Vous racontez votre enfance, vos obstacles…
reçois des textes à lire pour mon métier, ce
Et quand on voit le comédien que vous êtes
n’est pas forcément une bonne nouvelle de
devenu, votre parcours distille de l’espoir
devoir lire. Non pas d’avoir à lire le contenu,
aux autres.
car très souvent, je suis sauvé par le contenu.
110
Si l’auteur a excité mon imaginaire, cela ouvre
GDT : Merci pour vos mots. C’est exactement ce
les portes de mon imaginaire. J’ai décidé de
que je voulais faire. Quand Caroline est venue
dans les coulisses de la pièce de théâtre La garçonnière que je jouais à l’époque au Théâtre
de Paris, et qu’elle m’a proposé l’idée, tous ses souvenirs d’enfance sont revenus. La douleur d’apprendre à lire, une souffrance que j’ai toujours aujourd’hui lorsqu’il s’agit de lire. Alors que j’adore ça. Je m’apprêtais à lui dire non. SE LINA Sauf que comme je n’aime pas être désagréable frontalement, je lui ai dit : envoyez-moi svp votre projet par mail, je vais l’étudier et je ferais si j’ai le temps. Arrivé chez moi, je me suis dit : comme il cherche quelqu’un de populaire, pourquoi ne pas faire un témoignage sur cette souffrance et peut-être le faire à l’intention des autres, des enfants qui pourraient connaître la même difficulté aujourd’hui. Ou alors des adultes que nous sommes et qui conservent en eux le petit enfant qu’ils étaient. Et qui ont encore peut-être les mêmes problèmes aujourd’hui. Quand j’ai
parlé du pitch du livre, j’ai rencontré de nombreuses personnes qui se sont reconnues ou qui avaient un proche dans la même situation. J’ai eu envie de faire œuvre utile
Si je peux aider quelqu’un à ouvrir un livre et lui dire que les auteurs peuvent RICHARDS changer une vie, j'aurai atteint mon objectif. C’est quelque chose qui me déclenche une grande colère. La culture appartient à tous. Elle peut changer le monde. Je le pense profondément. Prenez votre culture pour vousmême ! Prenez celle que vous voulez ! Un grand auteur, ce sera celui qui changera votre vie. Ce ne sera pas forcément le même que le mien. Ce qu’il faut, c’est d’avoir accès à la culture générale. D’ailleurs, un auteur peut être aussi un peintre, un musicien…
parce que je ne me sentais pas du tout légitime
LFC : Le point de départ de votre livre, c’est la
en tant que comédien de parler de littérature.
littérature. Mais ensuite, la littérature se
Donner mon avis savant sur Corneille, Molière,
mélange à la peinture… Tout est ouvert.
Victor Hugo, je pense que cela n’a aucun intérêt. Ceci dit, si je peux aider quelqu’un à ouvrir un livre et lui dire que les auteurs peuvent changer une vie, j'aurai atteint mon objectif. Il est nécessaire de prendre notre culture en mains, et non celle que nous voudrions nous imposer, celle qu’on a essayé de nous imposer à l’école, peut-être maladroitement. Ou même dans la vie, certains pensent détenir la culture. Et eux seuls y ont accès.
111
GDT : Je ne savais pas trop où j’allais quand nous avons commencé cette aventure. Et c’est devenu absolument passionnant. Parce que cela m’a permis de faire un point sur ce que je pense de mon métier, sur ce que je pense de la littérature, de la vie. Une plongée passionnante grâce à ce point de départ sur la littérature où finalement je suis allé beaucoup plus loin, comme de parler de mon métier, de cette passion pour le jeu.
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Je ne souhaite pas raconter ma littérature, donner un avis savant sur "je ne sais quoi". La culture appartient à tous. C’est à chacun de la prendre au moment où il en SELINA RICHARDS a envie ou besoin. LFC : Les étapes sont progressives. L’école primaire,
GDT : Merci de comprendre aussi bien ce que je
c’est un moment de vie coincée. Au collège, les
souhaite faire. Encore une fois, je ne souhaite
choses vont mieux grâce au théâtre. La passion se
pas raconter ma littérature, donner un avis
révèle à vous grâce à des passeurs.
savant sur je ne sais quoi. La culture appartient à tous. C’est à chacun de la prendre au moment
GDT : Absolument. Je parle de ma première professeur
où il en a envie ou besoin. Et que les auteurs
de théâtre. Ma professeur de français, que j’ai eu la
puissent changer une vie, je le pense vraiment
chance d’avoir en quatrième et troisième faisait
parce que je l’ai vécu. J’ai fait ce livre avec ce
intervenir une professeur de théâtre. Je rêvais
cahier des charges en collaboration avec
secrètement d’être dans son cours. Parce que je n’avais
Caroline Glorion. Je souhaitais que ce soit un
qu’une envie, c’était de devenir comédien. J’étais
témoignage qui serve aux autres. Et non qui
tellement timide que jamais je n’aurais osé pousser la
donne un avis intellectuel. Que cela puisse peut-
porte d’un cours d’art dramatique. Donc, j’ai prié pour
être changer leurs vies. Comme moi, certains
être dans sa classe. J’ai été dans sa classe. Et elle a
auteurs ont changé ma vie.
maintenu cette discipline cette année-là. Elle a dit : il y a du théâtre au programme. Le théâtre est fait pour être
LFC : Vous dites qu’il faut cultiver sa
joué. Nous allons jouer les pièces que vous avez au
différence.
programme. Je fais venir pour cela la professeur de théâtre. Et le premier cours du théâtre de ma vie, c’était
GDT : La rencontre avec ce professeur de
donc au collège grâce à ces deux professeurs de
théâtre a fait profondément bouger les lignes.
français et de théâtre. C’était la confirmation de ma
Je suis retourné vers mon professeur de français
vocation. Je veux faire ça ! J’ai suivi ce professeur de
et je lui dis : maintenant, tu vas m’apprendre
théâtre en dehors des portes du collège.
l’orthographe et la grammaire. J’ai rencontré une
troisième femme, une psychomotricienne qui
113
LFC : Aujourd’hui vous avez acquis une notoriété.
m’a aussi aidé. Dans ma vie, il n’y a que des
Vous publiez ce livre. C’est à votre tour d’être
femmes sympas. Je lui ai dit : je ne sais pas lire à
passeur ?
voix haute. Aidez-moi ! Au secours ! Comme je
G U I L L A U M E L F C
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T O N Q U É D E C
M A G A Z I N E
# 1 1
La chance ne sourit qu’aux esprits préparés. Il n’y a pas que des hasards. Il faut travailler le hasard. veux être comédien, si je n’y parviens pas, comment vais-
hasard.
je arriver à mes fins ? Bien m’en a pris. Puisque depuis,
j’ai beaucoup lu à voix haute et je joue également ce roman, vous citez Sylvain S E L I N àA voix R I C H LFC A R D: Dans S haute. Elle m’a appris à lire. Je lisais comme un enfant
Tesson. Pourquoi ?
qui débute en CP en hachant les mots, sans respirer, en m’étouffant moi-même avec mon propre air, une
GDT : Cet auteur a réussi à mettre les mots
angoisse absolue. (Rires)
exacts sur une pensée que j’avais en moi. Une pensée floue peut devenir extrêmement précise
LFC : Vous parlez de chance dans votre livre. Et vous
grâce à un auteur qui va mettre des mots sur ce
dites quelque chose de précieux. Cette chance, il faut
que vous ressentez. Comme si tout d’un coup,
la travailler, savoir en faire quelque chose.
l’auteur s’adressait directement à vous, lecteur. C’est pour cela que Sylvain Tesson le fait dans
GDT : J’ai collecté dans mes agendas des phrases
son livre Les forêts de Sibérie. Et surtout, il a
d’auteurs qui me touchent. Comme des cadeaux. J’ai de
cette démarche complètement incroyable de
l’or entre les mains. Que puis-je en faire ? Il n’y a pas très
partir avec des malles remplies d’auteurs qu’ils
longtemps, j’ai noté une phrase de Jacques Brel. Ce sont
aiment pour les lire dans un endroit totalement
des mots qui me touchent, des pensées qui me
hostile, où le froid et la solitude règnent. Pouvoir
traversent comme ça. Je les note. Comme cette phrase
s’interroger avec de grands auteurs dans ce
de Louis Jouvet dans Réflexions du comédien qui dit : ne
contexte-là, je trouve l’idée absolument géniale.
pas ignorer la loi essentielle de la chance, qui veut qu'on lui sourie, qu'on l' espère et qu'on lui fasse confiance.
LFC : Seriez-vous prêt à faire comme lui ?
Cette phrase m’a beaucoup frappé. Et quand j’ai été
115
nommé avec beaucoup de joie au César pour le second
GDT : Carrément. J’adore l’idée ! Raphaël
rôle dans le film Le Prénom, j’ai préparé un
Personnaz qui est un copain a joué le rôle.
remerciement au cas où je saurais choisi par la
J’aurais adoré jouer ce personnage pour cette
profession. Ce qui m’est arrivé. Et j’ai donc cité cette
raison-là. J’aimerais le faire. En aurais-je le
phrase à la fin. Parce que je disais aux gens : quelle
courage ? Il faut être courageux ou inconscient,
chance j’ai d’être nommé ! Tous me disaient : mais non,
voire même les deux. C’est l’idée de se retrouver
ce n’est pas cela, c’est ton travail. C’est ton talent. Je
face à soi-même. Au début, c’est simple, on fait
répondais : je te remercie beaucoup pour toutes ces
ses bagages, on voyage, on arrive avec ses
gentilles paroles. Mais je pense à la phrase telle que
malles de livres et puis la première nuit tombe.
l’entend Louis Jouvet. C’est une chance qui se travaille,
Les bruits du lac qui gèle font un raffut
qui se prépare. Où la chance ne sourit qu’aux esprits
épouvantable. Les peurs commencent… Cette
préparés. Il n’y a pas que des hasards. Il faut travailler le
expérience personnelle peut être traumatisante.
G U I L L A U M E L F C
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M A G A Z I N E
# 1 1
Dans une époque où le secret n’existe plus à cause de nos portables. Se retirer du monde pour retrouver le secret, c’est quand même une très belle et forte idée. Le luxe absolu serait-il d’avoir des secrets ? Dans une époque où le secret n’existe plus à cause de
Mélanie Auffret. Le film devrait
nos portables. Se retirer du monde pour retrouver le
s’appelait Merci ma poule ! Autre
secret, c’est quand même une très belle et forte idée. Le
projet, je viens aussi de finir de
luxe absolu serait-il d’avoir des secrets ?
tourner le film de Ladislas Chollat
SELINA
RICHARDS
qui est un immense metteur en LFC : Le livre, le cinéma, la télévision et le théâtre.
scène de théâtre. Et qui se lance
Avez-vous assez de temps pour écrire un prochain
dans le cinéma avec un film sur la
livre ?
danse. Je joue un professeur de danse classique, ancien danseur
GDT : (Rires) J’ai des envies d’écriture de scénarios de
étoile qui est au bout de sa vie. Et
cinéma ou même une pièce de théâtre. J’ai commencé à
qui va retrouver le goût de vivre
travailler sur des projets. En tant que comédien, les
grâce à des jeunes qui font du hip-
propositions de collaboration sont nombreuses et
hop. Sa vie à ce personnage va être
motivantes. Je m’y investis. Du coup, je n’ai pas pris le
bouleversée dans tous les sens du
temps d’aller vers l’écriture d’un autre livre. Ceci dit,
terme. Vous verrez ; avec ce film, un
pourquoi pas un jour ! La porte est ouverte.
nouveau metteur en scène de cinéma est né en la personne de
LFC : Quels sont vos projets ?
Ladislas Chollat !
GDT : Je termine en juillet le tournage d’un film où un
LFC : Et des projets théâtre ?
agriculteur voit son exploitation en péril. Il élève des
117
poules pour fabriquer des œufs bio. Il va utiliser son don
GDT : J’ai eu beaucoup de
pour le théâtre pour sauver son exploitation. Il va réaliser
propositions pour septembre 2018,
des petites vidéos avec ses poules en leur déclamant
pour janvier 2019. J’ai dit non. Car
Cyrano, Molière, etc. Sauf qu’il prend vraiment sur lui, car
j’ai besoin d’avoir l’envie d’avoir
c’est une passion secrète qu’il a toujours cachée. Tout
envie comme disait Johnny
simplement parce que c’est la honte dans son milieu de
Hallyday. C’est un tel sacerdoce :
parler de littérature, d’auteurs… Ce personnage m’a
l’exigence du calendrier, les
beaucoup touché parce que c’est très drôle. Et très
répétitions, la présence quotidienne
poétique. Il va être obligé de faire son coming out
sur scène. Bien sûr, je referais du
culturel. Ce qui va bouleverser son monde. C’est le
théâtre, mais pas tout de suite. Je
premier film d’une jeune femme, fille d’agriculteur elle-
reste concentré sur les tournages en
même qui connaît très bien son sujet, qui s’appelle
ce moment.
LFC MAGAZINE
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#11
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JUILLET-AOÛT 2018
L'INTERVIEW ORAGEUSE DE LAURENT BETTONI
BERNIE BONVOISIN PHOTOS : PINGOUIN AR, BERNIE BONVOISIN, MATNINA
LAURENT BETTONI EST ROMANCIER IL A PUBLIÉ LES REMORDS DE L’ASSASSIN (MARABOUT THRILLER) TOUJOURS DISPONIBLE EN LIBRAIRIE
L’interview que m’accorde aujourd’hui Bernie Bonvoisin, le leader absolument pas antisocial – au contraire – de Trust se révèle hautement orageuse, à bien des égards. Cela commence par la météo, qui fait régner sur le pays en général, et sur cet entretien en particulier, une ambiance de fin du monde. Les éclairs déchirent le ciel, une pluie diluvienne s’abat sur nos têtes et déverse des trombes d’eau en un S E aveuglément L I N A R I C H A Ret DS temps record, la foudre frappe n’épargne pas le réseau Internet qui nous relie, si bien que notre connexion Skype finit par rendre l’âme et que nous sommes obligés de terminer notre conversation au téléphone. Mais l’orage s’entend aussi parfois dans la voix de Bernie, lorsqu’il évoque tout ce qu’il a vu, toute l’injustice et la misère auxquelles il a été confronté et dont sont victimes les enfants, véritables héros martyrs de son livre. Dans un monde prétendument de plus en plus évolué, de plus en plus civilisé, l’horreur et la barbarie ont encore de beaux jours devant elles. Bernie Bonvoisin en témoigne avec l’énergie et l’engagement qu’on lui connaît depuis toujours. Avec courage aussi, celui de ne pas parler la langue de bois. Car il n’épargne personne, tous les responsables en prennent pour leur grade : les dictatures, les « démocrassies », les organismes humanitaires. Personne ne passe entre les gouttes. On y revient, décidément, le temps est à l’orage sur la planète, et ce sont les gamins qui en souffrent le plus, comme nous pouvons le constater dans cet ouvrage d’utilité publique, à lire de toute urgence et écrit par un vrai « rockœur » : "La Danse du chagrin", de Bernie Bonvoisin, aux éditions Don quichotte.
anglaise, à Alep, avec l’interview d’une petite fille, j’ai eu un déclic. Je ne sais pas pourquoi cela s’est produit à ce momentlà, mais je me suis senti interpellé. Alors je me suis débrouillé pour trouver un contact qui me permettrait de me rendre au Liban et d’interroger ces gosses. J’ai donc rédigé un synopsis assez succinct puis j’ai contacté l’agence
LFC : Nous avons le sentiment que ce livre apparaît comme la trace écrite
Premières lignes, fondée
d’un reportage télévisé que vous avez tourné en 2015, intitulé Paroles
par Paul Moreira. Je suis
d’enfants syriens. Un 36 minutes a été diffusé dans Envoyé spécial et un 52 minutes sur La Chaîne parlementaire. Pouvez-vous nous parler de ce
tombé sur Rachel Isolda,
projet, nous expliquer votre démarche ?
Paul. Lui était en Ukraine,
qui était l’assistante de à Kiev, au début des
BB : Je m’intéresse beaucoup à ce qu’il se passe au Moyen-Orient. J’ai suivi la
événements. Elle lui a fait
révolution arabe et le conflit syrien. Et quand j’ai vu le reportage d’une chaîne
parvenir mon synopsis
119
par mail, c’était un vendredi. Il m’a rappelé le samedi matin, vers 10 heures. Il a trouvé le projet intéressant et il a aimé l’idée que ce soit quelqu’un de ma sphère qui le réalise. Il m’a demandé de contacter son associé, Luc Hermann, et j’ai pris rendez-vous avec lui. Luc a apprécié le projet à son tour.
SELINA
Ma démarche était d’expliquer le conflit à travers le regard des enfants. Et ce qui m’a sauté au visage, dès le premier jour avec eux, en les écoutant lire les textes qu’ils écrivaient sur le sujet, c’est leur maturité. Nous avons commencé par nous en émerveiller. Mais nous avons compris, en discutant avec les psychothérapeutes qui encadraient les enfants sur place, que cette maturité était leur mal. Tout le travail consistait au contraire à les ramener à des choses de l’enfance. Le livre est une belle complémentarité du reportage. J’ai couché sur papier des émotions et des sentiments que j’ai éprouvés sur place, à des instants précis, et que je retranscrivais scrupuleusement le soir, après avoir vu à longueur de journée des gens épuisés, cramés, des enfants jouer au milieu de déchets toxiques, des familles vivre comme des bêtes dans des endroits qui puent la mort. Rien ne prépare à cela. Même si l’on sait, avant de partir, qu’on va voir des choses qui ne sont pas glamour, on reste très loin de l’horreur de cette réalité et de cette souffrance. LFC : Vous trouvez que l’on nous délivre une information aseptisée de ce qu’il se passe là-bas, dans nos journaux
120
Ma démarche était d’expliquer le conflit à travers le regard des enfants. Et ce qui m’a sauté au visage, dès le premier jour avec eux, en les écoutant lire les RICHARDS textes qu’ils écrivaient sur le sujet, c’est leur maturité. occidentaux, qu’ils soient télévisés, radiophoniques ou imprimés ? BB : Oui. Hormis dans de rares médias, nous n’avons en général aucune idée de ce qui se trame réellement. J’ai filmé des enfants âgés de 7 ans utilisés comme esclaves et qui travaillent pour 2 € par jour, alors que des hernies leur sortent du ventre. J’ai vu en vingt-huit jours ce que l’Unicef, censée bien connaître le problème, n’a pas vu en cinq ans, ce genre de chose m’étonne. Et le responsable de cet organisme à Paris me dit que je ne suis pas tendre avec eux… LFC : Il y a une charge assez virulente contre l’Unicef, à la fin du livre, qui va peut-être surprendre ou choquer certains lecteurs. Mais si vous menez cette charge, c’est que vous avez vos raisons. Quelles sont-elles ?
L’humanitaire, le vrai, c’est H24. Les gens meurent le week-end, les femmes accouchent, la misère ne s’arrête pas. Or les bureaux des ONG ferment le vendredi à 17 heures et rouvrent le lundi matin à 9 heures ou 10 heures.
B E R N I E L F C
B O N V O I S I N
M A G A Z I N E
# 1 1
BB : Je l’assume. Cette charge, en fait, je la mène
livre, du travail remarquable de deux
contre tout ce que j’appelle les marques. Ce sont
associations. La première, c’est
les grosses ONG qui entretiennent l’horreur de telles situations car cela génère beaucoup
Fraternity Association, la seconde, c’est Beyond Association. Quelles sont leurs
d’argent. Ce que je raconte, à la fin du livre, c’est
actions ?
ce deal passé entre les grosses ONG et l’État libanais. Il consiste en la chose suivante : on
BB : Fraternity Association est basée à
donne l’argent à l’État libanais, il le gère et est dirigée par Abou S E Lcomme I N A ilR I C H ABurj’l R D Barajneh S veut, et en contrepartie ces gens en souffrance
Fadi. Le camp hébergeait 20 000
ne viennent surtout pas chez nous.
Palestiniens et en a accueilli 23 000 supplémentaires, venant de Syrie. Il y a
C’est toujours déplacé de dire cela, car les ONG
donc eu un doublement de population,
ont une image de personnes avec des ailes dans
avec des problèmes de place pour loger
le dos et qui marchent sur l’eau. Heureusement, il
les gens, mais ils l’ont fait quand même. Et
y en a qui sont ainsi, mais trop peu.
il n’y a aucun communautarisme ni
Avant cela, j’ai une amie qui est une grande
idéologie politique, dans cette
psychiatre et qui a tout largué, après avoir élevé
association, elle est complètement laïque.
ses enfants, pour aller s’occuper des enfants
Les garçons sont mélangés avec les filles,
soldats – en Bosnie, au Mozambique, etc. Elle
dans les classes. Ce projet a mis trois ans à
travaillait pour une grosse ONG française. Les
voir le jour, mais aujourd’hui c’est un
membres de cette ONG lui disaient : Laisse
succès, les parents se battent pour que les
tomber, ces gamins sont perdus, qu’est-ce que tu
enfants entrent dans cette école, car les
te fais chier à perdre ton temps là-dessus ?
personnes responsables de l’éducation
Une autre amie, actrice, est allée tourner un
sont totalement dévouées aux jeunes. Ils
documentaire en Afghanistan. Elle était en
leur apprennent la tolérance, le
contact avec une autre ONG dont les membres
discernement et touts ces valeurs
vivent comme des nababs, se font servir par des
essentielles à leur âge.
loufiats et roulent dans des 4 x 4 à 60 000 €. Voilà à qui profitent ces situations horribles. L’humanitaire, le vrai, c’est H24. Les gens meurent le week-end, les femmes accouchent, la misère ne s’arrête pas. Or les bureaux des ONG ferment le vendredi à 17 heures et rouvrent le lundi matin à 9 heures ou 10 heures.
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On fait travailler les enfants, car ils ne sont pas contrôlés, contrairement aux adultes. On fait des ces enfants des enfants esclaves, obligés de travailler pour subvenir aux besoins de toute la famille, pour 4 € par jour.
LFC : Pour mettre en lumière ceux qui
Beyond est dirigée par Maria Khayat. Il
travaillent vraiment, H24, vous parlez, dans ce
s’agit d’une association qu’elle a financée
elle-même. Par exemple, elle a monté un Samu,
Les enfants sont très difficilement acceptés
opérationnel H24. Tous les membres actifs de
dans les écoles, par exemple. On dit aussi
l’association sont bénévoles – étudiants, grands
qu’on reconnaît un Syrien à l’odeur de son
médecins américains – et répondent aux
sang, voilà le genre de blague qui circule.
urgences en temps réel, car il ne peut pas y avoir de latence dans ce que vivent les victimes. Des
LFC : Vous parlez de la double peine
enfants se font mordre par des rats, la nuit, car ils
d’avoir été d’abord Palestinien puis
vivent dans des trous en putréfaction. S EDes LINA familles de dix à quinze personnes s’entassent
dans des pièces minuscules et vivent par terre. Il
R I C H Aensuite R D S Syrien, et pour illustrer cela, vous
racontez l’histoire d’une petite fille, Iman. Quelle est cette double peine ?
n’y a pas d’évacuation des eaux, la promiscuité est terrifiante, on tue les gens à petit feu.
BB : Iman vient du camp de Yarmouk, dans la banlieue de Damas, qui a subi 680 jours
Les adultes ne peuvent pas travailler. Lorsqu’ils
de siège, avec Daech d’un côté et l’armée
arrivent au Liban, ils signent une décharge,
de Bachar el-Assad de l’autre. Elle est donc
s’engageant à ne pas travailler. Donc on fait
partie de Yarmouk pour arriver au Liban et
travailler les enfants, car ils ne sont pas contrôlés,
se retrouver dans les mêmes conditions. Les
contrairement aux adultes. On fait des ces
Palestiniens n’ont pas davantage de statut
enfants des enfants esclaves, obligés de travailler
au Liban qu’en Syrie, ils sont à peine tolérés.
pour subvenir aux besoins de toute l a famille,
Et ils sont terrifiés, exploités, étouffés
pour 4 € par jour. Et sur ces 4 €, le responsable du
lentement.
camp en prélève 2. Les enfants travaillent de
racisme.
Ce sont des êtres humains comme les autres, ce sont des familles qui étaient installées, des gens qui avaient des maisons, qui étaient fermiers, cadres supérieurs, médecins, chercheurs et qui, du jour au lendemain, se sont retrouvés sans rien, traités comme des bêtes.
LFC : Le racisme de qui envers qui ?
Iman, dans un premier temps, a vécu dans
6 heures du matin à 14 heures, ou 16 heures quand il fait beau. Les moments où ils ne travaillent pas, c’est quand il pleut. Ces gamins de 7 ans vont gratter la terre à longueur de journée, avec une paire de sandales et un teeshirt sur le dos, sans rien à se mettre dans le ventre. Et dans le documentaire je n’aborde pas le harcèlement sexuel, les viols, les coups, le
un camp, au Liban, avant d’aller vivre chez
123
BB : Le racisme des Libanais. Le Liban est un
sa grand-mère. Entre-temps, son père est
pays dans lequel il y a beaucoup de pauvres et
parti en Europe. Car beaucoup de ces
qui a du mal à subvenir aux besoins de cette
enfants vivent seuls, au Liban, pris en
population défavorisée. Alors, forcément, avec
charge par les associations que nous
l’arrivée des Syriens, cela crée un racisme latent.
évoquions, et leurs parents sont morts ou
Cette manière d’apporter la démocratie est crasseuse. D’où l’orthographe « démocrassie ». Cela ne peut que générer de la haine. Quand un enfant vous voit mettre son père à genoux, avec un fusil sur la tempe, ou le tabasser, cela ne conduit qu’à la violence et au dégoût. ont gagné l’Europe pour tenter de les y faire venir
de prétendre à cela, de prétendre instaurer la
dès que possible.
démocratie quelque part avant de l’appliquer
SELINA
R I Cchez HAR DS soi. Ensuite, je trouve étrange que ces gens
LFC : Que vous disent tous ces réfugiés que
apportent la démocratie avec des B52, avec des
vous avez rencontrés, quels sont leurs
hommes armés qui rentrent chez les gens en
messages, leurs rêves ?
pleine nuit pour terroriser des familles entières. Je ne comprends pas la démarche d’apporter les
BB : Ce qui m’a le plus frappé, c’est leur soif de
choses de cette façon.
retourner chez eux et cette non-envie de venir vivre en Europe. Ce sont des êtres humains
Au-delà de ça, cette vision et cette conception du
comme les autres, ce sont des familles qui étaient
monde n’intéresse pas ces peuples-là. Ce sont
installées, des gens qui avaient des maisons, qui
des gens extrêmement éduqués qui n’ont de
étaient fermiers, cadres supérieurs, médecins,
leçons à recevoir de personne, et en tout cas pas
chercheurs et qui, du jour au lendemain, se sont
de nos sociétés occidentales ; elles n’en ont pas
retrouvés sans rien, traités comme des bêtes, alors
l’étoffe ni la légitimité. Cette forme d’ingérence
que leur seule aspiration est que leurs enfants
continuelle et perpétuelle est l’une des causes
aillent à l’école, aient une éducation, un toit sur la
principales à ce cancer qui ronge cette région du
tête, mangent à leur faim et aient un travail. Ça,
monde depuis des décennies.
c’est la quête de tout un chacun, sur cette planète. Le souci premier de toutes ces personnes
Dernièrement, Trump a déclaré que le
est de rentrer chez elles. Elles sont habitées par un
gouvernement en place en Iran ne lui convenait
vrai nationalisme, un beau nationalisme d’amour
pas. Mais on s’en bat les c…, de ce qui convient
de la patrie – comparé à une mère ou à une petite
ou non à Trump ! Qu’il se préoccupe déjà de ce
fille – et non du rejet du repli sur soi ou du rejet de
qu’il se passe chez lui.
l’autre. Je trouve ça incroyable, cette capacité que nous LFC : À propos du repli sur soi et du rejet de
avons, en Occident, à dire ce qui nous convient
l’autre, vous dites que les États-Unis sont les
ou non dans le reste du monde. Il faut frôler la
plus gros fournisseurs au monde
perfection pour s’ériger en juge absolu, non ? Or
de démocrassie. Pouvez-vous expliquez le
nous en sommes loin.
concept derrière le néologisme ?
Et en vérité, nous ne sommes pas en guerre de BB : Je trouve, en premier lieu, très présomptueux
125
civilisation mais en guerre de valeurs. Nous
pensons que nos valeurs sont
qu’à un moment donné
supérieures à celles des autres. Et nous
des pays nous ouvrent
voulons les leur imposer par la force,
leurs portes pour que
reniant ainsi ce que l’on prône. Donc
puissions nous réfugier
comment ces gens-là pourraient nous
chez eux. Les réfugiés
respecter ou respecter nos valeurs ?
sont des gens qui partent parce qu’il y a la guerre.
Cette manière d’apporter la démocratie
Le petit Ali que j’ai
est crasseuse. D’où l’orthographe
rencontré, âgé de 11 ans,
démocrassie. Cela ne peut que générer
a vu son père se faire tuer
de la haine. Quand un enfant vous voit
devant lui. Voilà pourquoi,
mettre son père à genoux, avec un fusil
il a fui la Syrie. Cela n’a rien
sur la tempe, ou le tabasser, cela ne
à voir avec le fait d’être un
conduit qu’à la violence et au dégoût.
migrant, et les commentateurs
LFC : Pour finir sur un dernier point de
professionnels ne doivent
sémantique, vous distinguez les
pas commettre cette
migrants des réfugiés et cela vous
erreur de langage, ils ne
énerve que cette distinction échappe
doivent pas faire
à beaucoup.
l’amalgame, c’est insupportable. Cela laisse
VR : Un migrant part de chez lui pour des
croire que ces gens
raisons économiques, ou de sécheresse,
viennent chez nous
ou climatiques, etc., et il traverse le
prendre notre pognon et
monde en barque ou à pied, en se
nos allocs, alors qu’il n’en
faisant tabasser, voler, pour venir trouver
est rien. Ils veulent avant
du travail dans ce qu’il pense être un
tout rester chez eux, sans
eldorado.
personne qui les tue ou les
Un réfugié fuit son pays, par exemple la
viole.
Syrie, parce qu’un dingo lui jette tous les jours sur la tronche des barils de TNT ou
C’est ce que nous disaient
du gaz, qui attrape sa femme et la viole,
les gamins interrogés,
etc.
aucune famille ne devrait vivre de tels déchirements
126
Souvenons-nous que nous aussi nous
ni subir de telles
avons pris nos valises pour sillonner les
explosions. Et nous ne le
routes et que nous avons été contents
souhaitons à personne.
LFC MAGAZINE
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#11
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JUILLET-AOÛT 2018
BERNARD MINIER ENTRETIEN INÉDIT
PAR CHRISTOPHE MANGELLE PHOTOS : EMANUELE SCORCELLETTI XO ÉDITIONS
Juin 2018, nous avons rendezvous dans les locaux de la maison d'édition XO, perchés dans la Tour Montparnasse, pour un entretienfleuveS Eavec Minier. On lui doit L I N A RBernard ICHARDS "Glacé". Aujourd'hui, il publie "Sœurs" qui rencontre un vif succès en librairie. Entretien inédit avec l'un des poids lourds du thriller français.
LFC : Vous publiez votre sixième roman
pour le grand format et la version poche,
Sœurs (XO Éditions) qui a déjà cumulé 150
l’adaptation en série TV sur M6 jusqu’à une
000 exemplaires vendus en grand format.
diffusion à l’internationale proposée par Netflix.
Incroyable ! Je me souviens encore de notre toute première interview pour Glacé.
BM : C’est fou ! La série est diffusée dans 190 pays.
Quel parcours ! Bravo !
C’est comme cela que j’ai pris conscience de la force de diffusion de Netflix. Je ne pensais
BM : Lorsque nous regardons en arrière
absolument pas qu’il était à ce point partout. J’ai
comme vous me le proposez, c’est
même vérifié tellement je trouvais cela ahurissant.
absolument fabuleux. Tout cela a pris des
Netflix est bien diffusé dans 190 pays. Je me suis
proportions inespérées. Tout s’est emballé
même renseigné sur le nombre de pays que
depuis Glacé à une vitesse folle. Pour un
comptait notre planète. Apparemment, il y en a 193.
premier roman, il s’est passé des choses
Cela veut donc dire qu’il y a trois pays qui auraient
extraordinaires. Et depuis, de livre en livre,
échappé à Netflix. Incroyable ! On retire la Corée du
tout cela n’a pas cessé de grandir, avec des
Nord. Il n’en reste plus que deux.
lecteurs de plus en plus nombreux. Je suis comblé !
LFC : Quel regard portez-vous sur l’adaptation de votre thriller Glacé en série TV ?
LFC : Revenons sur votre premier roman
128
Glacé, votre premier succès. Vous avez
BM : C’est toujours difficile d’en parler. Je n’ai pas
tout eu : le succès des critiques, des
participé au scénario. Les droits ont été vendus à
libraires et l’engouement des lecteurs
Gaumont. C’est une aventure que j’analyse
complètement indépendante du roman. Ce sont des supports différents. Même si la série est inspirée de mon livre, je perçois cela comme un autre univers en parallèle. Mes livres sont comme mes enfants, pour utiliser un cliché éculé. J’ai donc dû mal
S E être LINA effectivement à les lâcher, à les laisser éduqué par quelqu’un d’autre. Dans la série, bien entendu, des choses me plaisent, comme le casting : Charles Berling et Pascal Greggory sont deux comédiens de théâtre et de cinéma, avant d’être de bons acteurs de
Lorsque nous regardons en arrière comme vous me le proposez, c’est absolument fabuleux. Tout cela a pris des proportions inespérées. Tout s’est emballé depuis Glacé à une vitesse folle. Pour un roman, il s’est passé R I Cpremier HARDS des choses extraordinaires. Et depuis, de livre en livre, tout cela n’a pas cessé de grandir, avec des lecteurs de plus en plus nombreux. Je suis comblé !
télévision. La réalisation est soignée, les
s’approprie le livre. Et il en fait quelque chose de
décors retranscrivent bien l’atmosphère du
très personnel. Parce que justement il existe ce
livre. Ils ont été tournés sur les lieux où mon
rapport très intime entre le livre et le lecteur dont
imagination a fait le travail. Même si dans le
il est question aussi dans Sœurs, mon nouveau
roman, la ville est imaginaire. Elle est très
roman. Chaque lecteur s’approprie le livre et le
inspirée de Bagnères-de-Luchon. Après, il y a
fait sien. Quand arrive une série TV, que les
des choix scénaristiques que j’ai moins bien
choses sont figées par les images, très souvent,
compris. Ils ont fait des choix radicaux par
le lecteur n’y trouve pas son compte. Et cela est
rapport à la proposition du roman. Parfois, les
normal. Mes lecteurs s’étaient imaginé Servaz,
choix radicaux, c’est bien. La plupart des
mon personnage récurrent, d’une certaine
adaptations sont souvent des trahisons. Je
manière. Et d’un seul coup, à la télévision, on
pense à Stanley Kubrick, qui propose des
propose un autre visage de Servaz. Sœurs est le
films qui sont souvent adaptés à partir
premier roman que j’ai écrit après avoir vu la
d’œuvres littéraires. Lolita, Shining, 2001,
série. Quand je suis dans mon univers, je suis
l’Odyssée de l’espace ou encore Orange
enfermé dedans. La série est ailleurs. Elle est
Mécanique. N’oublions pas que ce sont des
extérieure à mon monde. Elle utilise mes
livres avant d’être d’excellents films. La patte
personnages dans un autre lieu, parallèle.
créative de Kubrick passe par là. Il a
Quand je me plonge dans mon univers, je
beaucoup trahi pour notre plus grand
retrouve Martin Servaz, Vincent Espérandieu, ma
bonheur. Et à l’arrivée, cela donne des films
géographie, et tout cela m’appartient
absolument extraordinaires. La trahison, je
complètement.
l’accepte, même si quelques idées de
129
scénarios m’ont gêné. En particulier, la fin.
LFC : C’est intéressant comme conversation.
Mes lecteurs pensent la même chose.
En effet, Martin Servaz continue de vivre dans
Seulement, pour le lecteur, c’est normal, car il
vos romans, malgré son existence à l’écran.
J’ai eu la chance d’être traduit aux États-Unis avant même que la série soit diffusée. Nous sommes très peu nombreux dans ce cas-là. SELINA
RICHARDS
BM : Mon Servaz, celui des livres, c’est le mien. Ce
rare pour un auteur français.
n’est pas celui interprété par Charles Berling. C’est comme un billard à trois bandes. Car je sais aussi
BM : J’ai eu la chance d’être traduit aux États-
que mon Servaz n’est pas celui du lecteur, qui lui-
Unis avant même que la série soit diffusée.
même en fait encore un autre personnage avec
Nous sommes très peu nombreux dans ce
peut-être un autre physique, une autre approche. Le
cas-là. Je me souviens quand j’ai écrit Une
lecteur se l’approprie. J’ai donc mon Servaz, le
putain d’histoire, je me baladais dans la
lecteur a le sien et la série en a un troisième. C’est
région de Seattle, à la librairie The Mysterious
bizarre, mais c’est comme ça.
Bookshop, dans le rayon spécialisé dans le
polar. Très peu d’auteurs de polars français y LFC : La série a ouvert une porte à un plus large
figuraient : Pierre Lemaitre, Fred Vergas…
lectorat.
Nous n’étions vraiment pas nombreux.
BM : Oui et non. Non parce qu’avant la série, les
LFC : Sixième roman Sœurs, le livre se
lecteurs étaient déjà très nombreux. Entre 500 000 et
passe quand Martin Servaz est jeune dans
600 000 exemplaires vendus. Ce sont ces lecteurs
les années 90.
comme moi qui ont été parfois surpris par la fin de la série. Et puis, il est vrai que des lecteurs ont
BM : J’avais envie depuis longtemps de faire
découvert mon univers à travers la série. Et qui se
cela. C’est une idée déjà ancienne.
sont mis à lire les livres. Ils sont aussi traduits dans
Tellement de lecteurs m’ont dit qu’ils avaient
une vingtaine de langues. Des spectateurs
l’impression que Servaz n’avait jamais été
m’écrivent de Bombay, de Séoul. Ils n’ont pas
jeune. J’ai donc eu envie de leur prouver que
forcément lu les livres, mais ils ont vu la série. Ceci
ce n’était pas le cas. Il a vingt-quatre ans, les
dit, ils peuvent les lire. Car les livres sont traduits en
cheveux longs, il sort de la fac. C’est sa
anglais.
première grosse affaire après avoir réussi à rentrer dans la police deux ans avant. Et
LFC : Et vous êtes lu aux États-Unis, ce qui est très 130
quelle affaire ! Le lecteur comprend assez
vite qu’il est plutôt doué pour le métier. En revanche, il a beaucoup de mal avec le fonctionnement de l’administration policière elle-même. Je dois reconnaître que cette partie-là, c’est moi. À peu près au même âge, j’ai intégré la douane. Je supportais S E L I N A difficilement la hiérarchie. J’avais grand mal à passer sous les fourches caudines de l’administration. J’ai donc puisé dans cette expérience pour décrire ce Servaz-là. Ensuite, le lecteur le retrouve tel qu’il le connaît. La
Non seulement ce n’est pas la même police, mais ce n’est pas la même société française, ni même la même planète. Aujourd’hui, nous habitons une planète qui n’existait pas en 1993. Il n’y avait pas R I Cd’internet, HARDS de téléphone portable, pas d’ordinateur ni dans les maisons ni dans les bureaux. Ni Facebook, ni Instagram, ni Twitter.
première partie du livre se passe en 1993. Les deux autres parties se déroulent en 2018.
police qui est une des administrations qui s’est
Ainsi, je peux parler des vingt-cinq dernières
le plus réformée. Nous le constatons bien avec
années.
l’affaire Nordahl Lelandais. L’enquête s’appuie sur les caméras de surveillance du parking et
LFC : Ce n’est pas la même police dans les
dans la rue, son ADN, ainsi que la téléphonie
années 90 avec celle d’aujourd’hui…
mobile. Ces trois éléments en 1993 n’étaient pas utilisés. Le travail de la police a radicalement
BM : Non seulement ce n’est pas la même
changé. C’est aussi de cela qu’il s’agit. Les
police, mais ce n’est pas la même société
gardes à vue ont changé. Je ne dis pas qu’il n’y
française, ni même la même planète.
a pas de bavure aujourd’hui. Elles sont plus
Aujourd’hui, nous habitons une planète qui
encadrées. Nous avons le droit à la présence
n’existait pas en 1993. Il n’y avait pas
d’un avocat. Je parle de gardes à vue dans les
d’internet, de téléphone portable, pas
affaires criminelles. J’en ai parlé avec des
d’ordinateur ni dans les maisons ni dans les
policiers proches de la retraite qui m’ont fait
bureaux. Ni Facebook, ni Instagram, ni
comprendre qu’en 1993 ils avaient beaucoup
Twitter. Les gens de ma génération et toutes
plus de souplesse dans l’usage de leurs dix
les générations précédentes ont aussi connu
doigts et de leurs deux mains. (Rires)
ce monde-là. Incroyable que cela puisse paraître, ce n’est pas si vieux. C’est cela qui
LFC : Avec ce roman, vous proposez à vos
est terrible. Ce n’était pas il y a un siècle. Mais
lecteurs une réflexion sur le monde
juste, vingt-cinq ans après. Prenons les
d’aujourd’hui.
choses autrement : s’il y a vingt-cinq ans,
131
nous nous étions annoncés de telles
BM : Bien sûr. Une de mes plus grandes craintes,
évolutions, nous n’aurions jamais cru cela
c’est le monde de demain. Je reconnais que
possible. Au milieu de tout cela, il y a la
cela se traduit dans ce sixième roman. Même si
je ne parle pas directement du monde de demain, je parle clairement de celui d’hier ainsi que celui d’aujourd’hui. Quand nous observons l’accélération en vingt-cinq ans des connaissances, des technologies, des techniques et de l’influence que cela S EaLsur INA nos vies. Et que cela va de plus en plus vite. Il est légitime de se demander dans dix ans ou quinze ans, où en serons-nous ? Que vivronsnous ? Que ferons-nous ? De nombreux métiers auront disparu. Que va devenir l’architecte dans vingt ans quand
Durant les vingt-cinq dernières années, nous sommes parvenus à nous y faire. Jusqu’où allonsRICHARDS nous pouvoir nous adapter ? C’est indirectement la question du livre.
l’intelligence artificielle pourra réaliser sa
réponses sont pour les philosophes, les
maison à sa place ? Que vont devenir nos
scientifiques, les idéologues, les politiques…
médecins ? De nombreux métiers vont être
Avec mes petites histoires que j’essaye de
bouleversés. Durant les vingt-cinq dernières
rendre les plus addictives possible… Elles sont là
années, nous sommes parvenus à nous y
pour divertir et poser des questions.
faire. Jusqu’où allons-nous pouvoir nous adapter ? C’est indirectement la question du
LFC : Sur le plan de l’écriture, quelle est la
livre.
recette pour garder éveillé le lecteur ?
LFC : Auriez-vous envie d’aller plus loin à
BM : Je compare souvent l’écriture au patinage
propos de cette réflexion sur le futur dans
artistique. Je construis mes histoires avec les
votre prochain roman ?
figures imposées et les figures libres. Les figures imposées, ce sont le côté addictif, le cliffhanger,
132
BM : Absolument. Ce n’est pas exclu. Je n’en
l’énorme surprise à la fin, le suspense, prendre le
dirais pas plus. Il est vrai que les cinq
lecteur par le col dès les premières pages. Et
dernières années que nous venons de vivre
puis, les figures libres, c’est évoquer le présent,
sont vraiment étonnantes. Notre monde
la société, parler par exemple en une page du
change à vive allure. Nous vivons
dérèglement climatique. Parce qu’en 1993,
effectivement des phénomènes récents dont
c’était une notion que nous ne connaissions
j’ai vraiment envie de parler dans mon futur
même pas. J’aime bien passer des petits
livre. À propos de Sœurs, je voulais passer en
messages en contrebande. Je parle du cinéma
revue ce qui s’était passé au cours de ces
de Bergman, des salles d’art et d’essai que je
vingt-cinq dernières années. Ce roman est un
fréquentais lorsque j’étais étudiant. Ce sont des
bouquin à voyager dans le temps entre hier
éléments que j’aime bien glisser dans mes
et aujourd’hui. Je pose des questions. Les
romans sans jamais perdre de vue le lecteur. Je
Avec Internet, nous avons pensé que c’était la fin du mot écrit. Or, pas du tout. Le mot écrit n’a jamais eu autant de pouvoir depuis que les réseaux sociaux sont là. Les mots permettent aux hommes SELINA RICHARDS de s’influencer les uns aux autres. ne suis pas là pour me faire plaisir. Je ne souhaite
nous ressentons ce lien très fort lors des
absolument pas ennuyer mon lecteur.
échanges dans les salons du livre. Le lecteur fidèle qui a eu l’ensemble de nos romans
LFC : Dans ce roman, vous parlez de votre métier
considère que nous faisons partie de sa vie.
d’écrivain.
Très souvent, ils me lisent en famille. L’épouse commence à lire le livre, puis le
133
BM : Je parle en effet de ce métier qui est
mari, ensuite les enfants… Le roman circule.
récemment devenu le mien. Dans mon roman,
Et pourtant, chacun lit de son côté. Avec
l’écrivain n’est pas très sympa. Il est arrogant, assez
cette intimité. J’avais vraiment envie de
puant, cynique même s’il est certes brillant et cultivé.
parler de cela. Dans Sœurs, ce rapport est
Il se la pète. J’en ai d’ailleurs très peu croisé chez les
dévoyé parce que cet écrivain antipathique
auteurs français. En revanche, dans les étrangers,
est pervers. Il joue avec ces deux jeunes filles
certains sont plus sulfureux. Je ne donnerais pas de
qui sont des fans absolues. Je considère mes
noms. Si ce personnage avait été un gentil garçon, il
lecteurs comme des lecteurs et non comme
aurait été beaucoup moins intéressant. C’est un des
des fans. Un des thèmes du livre, c’est aussi
méchants de l’histoire. Il apparaît ainsi au début.
la fanitude. Je souhaitais parler de ce
Même si dans un thriller, il faut toujours se méfier des
phénomène des fans, quand ils deviennent
apparences. Avec ce personnage, je voulais parler
intrusifs. Quand ils essaient de s’immiscer
de ma relation entre l’auteur et le lecteur, qui est
dans la vie de celui qu’ils admirent. Et
tellement particulière, par rapport à un autre art.
surtout, je voulais parler du pouvoir des
Quand nous allons à un concert, à un opéra ou à une
mots. Avec Internet, nous avons pensé que
pièce de théâtre, nous sommes souvent
c’était la fin du mot écrit. Or, pas du tout. Le
accompagnés. Nous y allons soit en famille, soit en
mot écrit n’a jamais eu autant de pouvoir
couple, soit entre amis. En revanche, la lecture est
depuis que les réseaux sociaux sont là. Les
une activité solitaire. Nous sommes donc seuls avec
mots permettent aux hommes de
l’auteur, sa voix. Ce qui crée une intimité, un lien très
s’influencer les uns aux autres. On voit
fort entre les deux. Mes confrères et moi-même,
l’impact catastrophique que les mots ont
BERNARD MINIER LFC MAGAZINE #11
Ce roman marche très bien. L’accueil est très enthousiaste. Certains disent que c’est mon meilleur roman depuis Glacé. Je ne suis pas tout à fait en accord avec cela. Ce sont mes Je les aime S E L I N A enfants. RICHARDS tous. Pour des raisons différentes. LFC : Le livre est disponible depuis
ajoute de l’émotion, surtout à la fin du livre.
quelques mois. C’est un carton sur le
Cela se termine sur une note très
plan des ventes de livres. Quels sont
émouvante.
les premiers avis de lecteurs ? LFC : Vous avez avec Franck Thilliez (Le
BM : Oui, ce roman marche très bien.
Manuscrit inachevé) une thématique en
L’accueil est très enthousiaste.
commun : la mise en abyme de l’auteur.
Certains disent que c’est mon meilleur roman depuis Glacé. Je ne suis pas
BM : Nous nous en sommes amusés. Je me
tout à fait en accord avec cela. Ce sont
souviens, il y a six mois, nous avions discuté
mes enfants. Je les aime tous. Pour des
ensemble de nos prochains romans. Et nous
raisons différentes. J’aime autant Le
nous sommes aperçus que nous étions en
cercle qu’Une putain d’histoire ou
train d’errer vers des directions parallèles.
encore Nuit. Ils ont tous un intérêt particulier. Et aussi, parce que j’essaie
LFC : Est-il possible que d’autres romans
de ne pas écrire deux fois le même
deviennent une série ou un film ?
livre. Je pense que mes romans sont tous différents des uns des autres. Je
BM : Pour l’instant, non. Il existe la saison 1
suis très heureux que ce roman soit si
de Glacé sur Netflix. Feront-ils une saison 2 ?
bien accueilli. Martin Servaz jeune est
Je ne sais pas. Les auteurs, ce sont comme
un personnage très attachant dans cet
les cocus, ce sont toujours les derniers
opus. Et la thématique de la relation du
informés.(Rires)
père et du fils touche beaucoup les lecteurs. Le rapport avec son propre
LFC : On finit avec cette phrase. C’est
père (de Servaz) qui s’était suicidé
drôle !
dans un précédent roman (Le Cercle) ainsi que Servaz en tant que père 135
BM : Je ne sais pas. (Rires)
LFC MAGAZINE
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#11
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JUILLET-AOÛT 2018
PHOTOS EXCLUSIVES ET ENTRETIEN INÉDIT
BARBARA ABEL PAR CHRISTOPHE MANGELLE PHOTOS : CÉLINE NIESZAWER LEEXTRA
Juin 2018, Barbara Abel quitte la Belgique où elle vit et vient nous rejoindre à Paris pour nous parler de son nouveau roman, à lire absolument, "Je t'aime" (Belfond). SELINA RICHARDS Rien n'est plus proche de l'amour que de la haine, thématique fascinante. Photos exclusives dans le marais et entretien inédit dans une ambiance chaleureuse. LFC : Bonjour Barbara Abel ! Vous publiez votre
LFC : En écrivant régulièrement des romans,
douzième roman Je t’aime. Quel parcours !
avez-vous le sentiment de remettre à chaque fois votre titre en jeu ?`
BA : C’est un joli parcours. Je me souviens des émotions pour chaque livre. Quand les lecteurs
BA : De plus en plus parce que mes romans
me parlent des premières histoires durant les
rencontrent un meilleur succès qu’à mes
salons du livre et qu’ils me racontent les détails.
débuts. Bien que mes débuts aient bien
Je suis parfois étonnée, car je ne me souviens pas
fonctionné, c’est juste que j’ai une trajectoire
de tout dans les moindres recoins. Je me
inconstante. Certains romans marchent moins
surprends à oublier. Je pense même que je
bien que d’autres. C’est plus stressant
pourrais relire certains de mes romans pour me
maintenant. Je ne sais pas a très bien marché. Il
les remémorer.
a suscité de l’enthousiasme de la part des lecteurs. De ce fait, pour la rédaction de Je
LFC : Très intéressant, vous oubliez ce que
t’aime, je reconnais avoir subi une pression que
vous avez écrit.
je n’avais pas avant. Et qui s’intensifie. Bien entendu, quand un roman marche, c’est très
BA : Complètement. Le premier est sorti en 2002.
confortable. Et j’avais envie de satisfaire les
Je l’ai donc écrit en 2001. Dix-sept ans après, je
lecteurs, de les entendre me dire : j’ai adoré
ne me souviens plus. Et puis, j’ai écrit tous les
cette histoire, les personnages, l’ambiance, les
autres. Je me souviens de la globalité de
surprises. Parce que j’aime bien disséminer des
l’histoire. Mais au sujet des détails, je ne retiens
coups de théâtre, des retournements de
pas tout.
situations au fil des pages. Cet objectif nourrit
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# 1 1
la pression. Durant l’écriture, c’est donc plus stressant. LFC : Je ne sais pas s’est vendu à 50 000 exemplaires tous formats confondus. C’est beaucoup !
SELINA BA : Ce sont de très bonnes ventes pour un auteur francophone. En tant qu’auteur belge, c’est très satisfaisant, car l’édition est plus restreinte. Les éditeurs belges ne sont pas diffusés en France. Des bonnes ventes
J’aime mettre en scène ce fameux couple qu’on appelle monsieur et madame tout le monde. Je vais leur faire subir des tragédies absolument horribles, dans un contexte que je souhaite RICHARDS crédible. Je souhaite que le lecteur se dise. Si cela m’arrivait, que ferais-je à la place du personnage ? Quelles réactions vais-je manifester ?
en Belgique, ça reste quelque chose de très
BA : J’y tiens. Absolument, ils sont comme nous.
confidentiel. Je voudrais encore gravir les
J’aime mettre en scène ce fameux couple qu’on
échelons. Ceci dit, je suis très heureuse,
appelle monsieur et madame tout le monde. Je
fière et boostée par cet accueil.
vais leur faire subir des tragédies absolument horribles, dans un contexte que je souhaite
LFC : Dans votre nouveau livre, Je t’aime,
crédible. Je souhaite que le lecteur se dise. Si cela
vous parlez de quatre femmes.
m’arrivait, que ferais-je à la place du personnage ? Quelles réactions vais-je manifester ? Les lecteurs
BA : Comme souvent dans mes romans,
me confirment cela en salon. Ils s’imaginent dans
j’aime bien mettre en scène des
la situation en se demandant s’il aurait fait comme
personnages féminins. Tout simplement
les personnages ou non. Les personnages sont
parce que j’en suis une. Parce que mes
face à des événements difficiles. Mais surtout, ce
romans ne fonctionnent que si le processus
sont des situations crédibles dans la vie de tous
d’identification marche. Je joue beaucoup
les jours.
avec l’émotion. La psychologie des personnages est essentielle. Pour être
LFC : Comment faites-vous pour rendre la
crédible, je parle de ce que je connais. Je
fiction digeste alors que la réalité est parfois si
choisis prioritairement des protagonistes
exagérée qu’elle serait caricaturale à
féminins. Ainsi, je peux développer une
retranscrire dans un roman ?
palette d’émotions et de confrontations psychologiques entre les personnages, qui
BA : Une phrase est devenue ma devise. Elle n’est
seront justes à priori.
pas de moi, mais de Mark Twain. La seule différence entre la réalité et la fiction. C’est que la
139
LFC : Vos personnages sont des gens
fiction doit être crédible. De nombreuses fois, les
comme nous.
gens me disent : il vient de m’arriver un truc fou, tu
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# 1 1
Une phrase est devenue ma devise. Elle n’est pas de moi, mais de Mark Twain. "La seule différence entre la réalité et la fiction. C’est que la S E L I Nêtre A R I C H Acrédible". RDS fiction doit devrais le mettre dans un roman. Il me
physique, mais aussi l’accident psychologique
raconte l’anecdote. Et je prends
que vivent le père et la fille.
conscience que je ne pourrais pas l’utiliser dans un roman. Personne n’y croirait. Je
BA : J’ai effectivement établi un parallèle. Je
me dois de raconter des événements qui
souhaitais que cette action se déroule avec ces deux
sont crédibles, qui ne correspondent pas
lectures. Parler d’un accident de voiture peut
forcément à la réalité. Dans Je t’aime, je
paraître banal. Malheureusement, cela arrive tous les
décris une perquisition à domicile. Nous
jours. Sauf qu’évidemment, c’est le moment où tout
entendons souvent parler de ça : dans les
va basculer. Je me devais donc de le soigner. C’est
journaux, les séries TV, etc. Nous
un moment fort du roman. Tout dérape parce qu’ils
regardons cela d’un œil distrait qui ne
sont dans des univers opposés. Comme le sont
nous touche plus. Et dans les faits, si nous
souvent les adolescents et les parents.
plaçons une perquisition à domicile dans son contexte réel, c’est très violent. Même
LFC : Votre écriture évolue.
chose lorsque je décris une garde à vue de
141
personnages ordinaires, c’est tout aussi
BA : Forcement. J’évolue aussi. Quand j’ai écrit mes
violent. Pour me documenter de manière
premiers livres, j’avais environ trente ans.
précise, j’ai été coaché par un capitaine de
Aujourd’hui, j’ai quarante-huit ans. Je mûris. Ma
police qui m’a expliqué comment cela se
vision des choses a changé. Une histoire, c’est une
passe. Il a relu mes chapitres. Il les a
mise en scène, c’est un point de vue proposé aux
corrigés. Les lecteurs me disent qu’ils ont
lecteurs. Si je devais réécrire le roman L’instinct
été bouleversés par ces scènes parce que
maternel, je ne le ferais pas comme je l’ai fait à cette
je les ai remises dans un contexte
époque-là puisque j’étais plus jeune. J’avais d’autres
quotidien. C’est le moment où l’ordinaire
centres d’intérêt, une autre vision des choses et
bascule dans l’horreur.
donc un autre point de vue.
LFC : La scène de l’accident est très bien
LFC : Les destins de ces quatre femmes vont se
écrite. Vous décrivez l’accident
croiser.
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# 1 1
La haine découle de l’amour. Quand nous haïssons vraiment quelqu’un, ce n’est pas pour rien. C’est bien parce que nous l’avons beaucoup aimé avant. SELINA RICHARDS BA : L’idée de départ qui a encouragé
intéressant d’avoir pour thème principal d’un thriller
l’écriture de ce roman arrive assez tard
l’amour, le vrai amour, pas un amour bizarre, psychopathe.
dans le livre, quasiment à la page
Nous avons dans cette fiction l’amour du couple. Puisque
250/300. Tout le début, c’est juste une
c’est l’histoire d’une famille recomposée, donc c’est un
mise en scène pour converger vers cette
couple qui fonctionne bien, Maude et Simon s’aiment
situation-là. C’est très gai pour quelqu’un
vraiment. Nous avons aussi l’amour maternel, l’amour
qui aime raconter des histoires, qui aime
paternel, une femme seule, une femme divorcée… Je
poser ses pions et les faire avancer. En
souhaitais aborder le thème de l’amour sous plusieurs
sachant très bien vers où je souhaite
facettes. En écrivant, je me suis rendu compte qu’en
aller.
abordant la partie haine que l’amour et la haine étaient très proches. Quand nous haïssons quelqu’un, nous y pensons
LFC : Parlons de votre thématique :
souvent. Nous avons un nœud dans le ventre. C’est
l’amour, la haine.
obsessionnel. C’est un sentiment très proche de l’amour. La haine découle de l’amour. Quand nous haïssons
BA : Lors de la sortie de mon précédent
vraiment quelqu’un, ce n’est pas pour rien. C’est bien
roman Je ne sais pas, les lecteurs m’ont
parce que nous l’avons beaucoup aimé avant.
dit à propos des personnages qu’ils n’y en avaient pas un pour rattraper l’autre.
LFC : Vous rencontrez vos lecteurs lors de salons du
Ils étaient tous sujets à des
livre. Pourquoi ?
problématiques complexes : un pervers narcissique, une gamine insupportable,
BA : Parce que j’adore cela. Avec ma vie de famille, c’est
une femme adultère, une institutrice
une question d’organisation pour jongler avec les deux.
diabétique très désagréable. Les lecteurs
J’aime bien rencontrer les lecteurs.
adorent le livre. Néanmoins, ils n’aiment pas les personnages. C’est important
LFC : Un de vos romans va être adapté au cinéma ?
pour moi que les lecteurs ressentent de l’empathie pour les protagonistes de
BA : Derrière la haine va en effet être adapté au cinéma
l’histoire. J’ai donc eu envie d’écrire un
grâce à une production belge française. C’est une très
thriller avec cette fois-ci uniquement des
belle aventure. Nous le verrons prochainement en salles.
gentils qui parlent d'amour. Ce n'est
J’ai fait de la figuration dedans. C’était amusant.
143
LFC MAGAZINE
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JUILLET-AOÛT 2018
NICOLAS BEUGLET
PHOTOS EXCLUSIVES ENTRETIEN INÉDIT PAR CHRISTOPHE MANGELLE PHOTOS : PATRICE NORMAND LEEXTRA
Juin 2018, nous avons rendezvous dans un quartier vivant au cœur de Paris avec Nicolas Beuglet pour nous parler de son livre "Complot" (XO SELINA RICHARDS Éditions). Après l'accueil tonitruant du thriller "Le Cri', nous sommes très heureux de le retrouver. Photos exclusives et entretien inédit. LFC : Bonjour Nicolas Beuglet ! Septembre
Avec Le Cri, cela n’a fait que grandir. J’ai
2016, vous avez publié Le Cri (XO Éditions)
aujourd’hui la vie que je rêvais d’avoir.
qui rencontre un lectorat puissant : plus de 200 000 exemplaires vendus (grand
LFC : Un rêve de gamin ?
format et poche). Vos impressions ?
NB : Oui, depuis le CM2. Je me souviens que NB : Je vais vous dire quelque chose de très
c’était le moment de mes premières rédactions.
étrange. Au fur et à mesure des jours, je ne
Nous avions le droit d’injecter dans nos écrits
m’en suis pas rendu compte. La seule chose
notre imagination. Je me souviens avoir
que j’ai vue, c’est que financièrement j’ai
demandé à ma professeur de français, le jour où
gagné ma liberté. Créativement aussi. C’était
elle rendait les copies, la rédaction vous a-t-elle
les deux buts que je poursuivais dans ma vie.
plu ? J’ai posé cette question non pour savoir si
Aujourd’hui, ils sont atteints. Pour combien
j’allais avoir une bonne note. J’ai demandé cela
de temps ? Je ne sais pas. Je suis donc très
parce que je me faisais du souci sur le fait de
heureux. Avec prudence.
savoir si elle avait pris du plaisir à la lecture de cette histoire que j’avais eu envie de lui
LFC : Sur les réseaux sociaux, les lecteurs
raconter. Je n’ai pas eu la réponse que
sont très enthousiastes.
j’espérais. Elle a fini par convoquer ma mère pour lui dire qu’elle était inquiète de mon
145
NB : Depuis mes débuts, les lecteurs sur les
imagination débordante. Elle voulait s’assurer
réseaux sociaux étaient là. Ils aiment me dire
que j’allais bien, que je ne partais pas sur une
ce qu’ils ressentent à la lecture des livres.
voie obscure, à savoir si j’avais bien les pieds
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# 1 1
Je commence l’écriture sur terre. Ma mère lui a répondu : ne vous d’un thriller le jour où je inquiétez pas, certes, il a de l’imagination. Mais il tombe amoureux de la a bien la tête sur les épaules. Vous pouvez le laisser continuer. Tout cela me va très bien. Je fin. Pourquoi ? Je ne me souviens de cette période-là parce que supporte pas les livres j’avais envie d’écrire pour faire plaisir à des qui posent des grandes SELINA RICHARDS gens. questions avec une fin LFC : Et aujourd’hui, cette notion de plaisir du genre la réponse est est toujours là. en toi. Cela me désole. NB : C’est la seule obsession que j’ai. Je me fais plaisir. Seulement, j’ai entendu trop de gens
roman, du mystère… Je me dois de leur offrir une
dire qu’ils écrivaient pour eux-mêmes. Ce n’est
réponse, en prenant le risque qu’ils ne l’aiment
pas vrai pour moi. C’est un jeu d’échecs contre
peut-être pas. Il faut que ce temps soit accompli,
moi-même l’écriture. J’avance mes pièces en
qu’ils se disent qu’ils ont gagné un moment de
tant qu’auteur. Tout de suite, je me mets à la
divertissement et d’enrichissement. Comme moi
place du lecteur de l’autre côté de l’échiquier
j’ai pris un plaisir immense à réaliser ces
en me disant : et si je lisais ce roman, pourrait-il
recherches qui m’ont mené à l’écriture du livre.
me plaire ? L’histoire fonctionne-t-elle ? Le
Avec ces romans, c’est ce que j’ai eu envie de
suspense est-il addictif ? Ces questions-là sont
transmettre.
présentes en permanence. LFC : Dans Complot, l’action se situe dans un LFC : Le Cri comme Complot sont des livres
archipel isolé au nord de la Norvège.
où le dénouement est une véritable promesse. Avant la rédaction de ces
NB : Le lieu doit me faire fantasmer. Et qu’il offre à
histoires, connaissiez-vous la fin ?
ma créativité l’envie d’y être et que surtout le lecteur y soit lui-même lors de la lecture de
147
NB : Je commence l’écriture d’un thriller le jour
l’histoire. Plus le lieu est différent de mon
où je tombe amoureux de la fin. Pourquoi ? Je
quotidien, plus cela me stimule pour en parler. Je
ne supporte pas les livres qui posent des
cherche pour chaque roman un décor intéressant.
grandes questions avec une fin du genre la
La raison pour laquelle j’ai choisi la Norvège, c’est
réponse est en toi. Cela me désole. Je prends
parce que dans Le Cri, j’avais réalisé une enquête
du temps pour écrire le livre. En face, les
autour du projet MK-Ultra qui est au cœur de
lecteurs vont m’offrir ce qu’ils ont de plus
l’intrigue. J’avais trouvé que dans l’hôpital
précieux : du temps. Ils vont investir de l’espoir,
psychiatrique Gaustad, à Oslo en Norvège, il y
de l’attention sur les questionnements du
avait eu réellement des expériences menées dans
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En revanche, j’aime aussi prendre mes lecteurs à contre-pied. Je trouve cela assez séduisant qu’ils se rendent compte qu’en fait ce qu’ils ont cru être un complot "classique" n’est pas ce qu’ils croient. Et qu’ils se rendent compte que ce complot-là a certainement plus de sources véridiques ceux dont on S E L I N A Rque I C H A Rtous DS entend parler au jour le jour. ce cadre totalement clandestin.
assez séduisant qu’ils se rendent compte qu’en fait
Aujourd’hui, l’hôpital est respectable.
ce qu’ils ont cru être un complot classique n’est pas
J’avais choisi d’ancrer mon histoire en
ce qu’ils croient. Et qu’ils se rendent compte que ce
Norvège parce que c’était cohérent avec
complot-là a certainement plus de sources
mes recherches. Après, comme c’est la
véridiques que tous ceux dont on entend parler au
suite en termes de personnages, il était
jour le jour.
logique que je continue en Norvège. Mais comme la Norvège, nous y sommes
LFC : La thématique du livre est la condition des
habitués, il fallait pousser encore plus loin,
femmes. Vous étiez gêné devant vos enfants
et trouver ce lieu, la dernière ville habitée
pour leur expliquer que notre société a des
avant le cercle arctique. Et surtout un lieu
carences à propos de la condition des femmes.
qui a une histoire liée à la sorcellerie. D’où les dizaines de femmes accusées de
NB : Ce qui m’ennuie, c’est de ne pas avoir été
sorcellerie qui avaient été jetées et noyées
ennuyé avant, de ne pas avoir été agacé avant au
à cet endroit-là. Quand on connait la
point de me poser des questions. De ne pas avoir
thématique du livre sur les femmes,
été capable de répondre à mes filles, de ne pas avoir
commencer là-bas a du sens.
anticipé. Pourquoi existe-t-il cette domination des hommes sur les femmes ? Pourquoi est-ce mal ? Je
LFC : Complot, c’est le titre de votre
n’avais pas anticipé cela. Et cela m’a mis en colère.
nouveau roman. Tout est complot
Ce que j’essaye de mettre dans la bouche de mon
aujourd’hui…
personnage Christopher, nous sommes tous conscients de cette misogynie latente. En tant
149
NB : J’ai eu cette crainte que le titre
qu’homme, nous nous y habituons très bien. Nous
renvoie vers une mauvaise route, à savoir
finissons par considérer que cela fait partie du
la mauvaise interprétation de l’information
décor. C’est ennuyant. Nous en sommes conscients.
quotidienne et de voir le complot partout.
Nous ne trouvons pas cela bien. Mais nous n’allons
En revanche, j’aime aussi prendre mes
pas pour autant réagir. Quand mes enfants avec
lecteurs à contre-pied. Je trouve cela
leurs grands yeux ouverts me disent :
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J’ai fait toutes ces recherches sur l’origine de la misogynie. Et toutes les réponses sont dans "Complot". Je me suis rendu compte que la misogynie était partout, même là où nous ne nous y attendons pas. Partout dans notre inconscient collectif. Et même ceux qui pensent SELINA RICHARDS être moins misogynes, ils le sont malgré eux. papa, pourquoi ce sont toujours les
bière. Et ils ont jalousé ce savoir plutôt que de le
garçons qui deviennent rois, jamais les filles
valoriser. Ils n’ont pas attribué l’intelligence à la
? Pourquoi les femmes sont-elles moins
culture des femmes, mais à une sorte de lien avec
bien payées ? Et moi, serais-je moins bien
des puissances maléfiques. Nous en faisons des
payée ? Pourquoi dans certains pays les
sorcières. Et que leur donnons-nous comme
petites filles sont-elles tuées ? Parce que
attribut ? Un balai ! Le balai, cela veut dire : reste
c’est comme ça et que si tu n’es pas
une ménagère et fais le ménage ! Quand nous
contente, ce sera toujours pareil. Nous ne
racontons des histoires à nos enfants, nous
pouvons pas répondre cela. Je me dois de
sommes misogynes. Nous entretenons cette
leur donner une réponse, et surtout une
culture. Autre exemple, la mythologie grecque a
réponse qui va leur permettre de faire
la côte en ce moment. Passionnant. Mais raconter
évoluer les choses. J’ai fait toutes ces
les histoires de Zeus, de Poseïdon et autres, ce
recherches sur l’origine de la misogynie. Et
n’est rien d’autre que d’entretenir la culture du
toutes les réponses sont dans Complot. Je
viol. Ces hommes-là, aussi dieux soient-ils,
me suis rendu compte que la misogynie
passent leur temps à capturer des femmes, à les
était partout, même là où nous ne nous y
séquestrer, à se prendre l’apparence des maris
attendons pas. Partout dans notre
pour coucher avec elles, etc. Nous n’avons pas le
inconscient collectif. Et même ceux qui
droit de le raconter comme si c’était normal.
pensent être moins misogynes, ils le sont
Toutes ces recherches m’ont passionné. Nous
malgré eux. Autre exemple, quand nous
sommes tous misogynes sans nous en rendre
racontons des histoires à nos enfants. La
compte. Nous sommes sous l’influence de tous
méchante est une méchante sorcière ou
ces symboles qui ont été transformés et
une belle-mère. Il n’existe pas de sorciers.
manipulés.
Les sorcières, dans le passé, c’étaient des
151
femmes qui maitrisaient l’art des plantes,
LFC : Hormis vos enfants, avez-vous eu
l’art de la médecine que les hommes ne
d’autres éléments déclencheurs de prise de
connaissaient pas puisqu’ils étaient
conscience à propos de la condition des
occupés à autre chose, probablement la
femmes ?
Une fois que nous aurons éculé tous les thèmes classiques, il sera bon de revenir aux origines. Si nous ne nous posons pas les questions sur les origines, nous ne pourrons jamais reconstruireS Equelque de neuf. L I N A R I C H A R chose DS Cela nous tirera toujours vers le bas. NB : Deux déclenchements chez moi m’ont
revenir aux origines de tout cela. En ce sens,
poussé à écrire sur la condition des femmes
j’étais content de continuer à poser ma plume
: mes enfants et une collègue qui un jour
dans cette histoire. Le livre arrive en librairie au
m’a dit : je pense que tous les hommes sont
bon moment. Une fois que nous aurons éculé
misogynes et sexistes, même ceux qui ne le
tous les thèmes classiques, il sera bon de revenir
pensent pas. Si nous écoutons bien autour
aux origines. Si nous ne nous posons pas les
de nous, nous nous rendons compte que
questions sur les origines, nous ne pourrons
nous avons fait de nombreuses fois les
jamais reconstruire quelque chose de neuf. Cela
remarques. Les blagues sur les blondes par
nous tirera toujours vers le bas.
exemple sont un moyen de parler de toutes les femmes. Face à cela, nous pensons que
LFC : Très intéressant. Surtout que les débats
ce n’est pas grave, que c’est de l’humour.
ont lieu et que personne n’évoque les origines.
Pourtant, c’est absurde, car l’humour n’a pas
Vous êtes le premier à nous en parler.
toujours raison. Mais nous ne faisons pas l’effort parce que c’est confortable de
NB : C’est quelque chose que nous ignorons. Ma
continuer comme ça. Le déclencheur final,
passion, en tant que journaliste avant et
ce sont mes enfants qui me mettent au pied
romancier aujourd’hui, c’est de trouver ce qu’on
du mur.
ne voit pas : le dénoncer et l’analyser. Je pense que c’est très important. Je me suis exprimé non
LFC : Pensiez-vous que votre thématique
pas sous forme d’essai, mais bien sous forme de
allait être autant d’actualité ?
thriller, parce que j’employais les mêmes armes que je dénonce dans Complot. Pourquoi la
152
NB : Je ne sais pas s’il y avait quelque chose
religion, les mythologies et les grandes idéologies
dans l’air du temps. Je n’en sais rien. J’étais
ne se racontent-elles pas à travers des essais, mais
au deux tiers du livre quand l’affaire
bien à travers des histoires ? La Bible, ce n’est rien
Weinstein a éclaté. Je me suis dit une chose
d’autre qu’une grande histoire. La mythologie
importante : nous allons parler de beaucoup
grecque, c’est de la philosophie. C’est une forme
de choses. Seulement, nous n’allons pas
d’histoire. Les contes, c’est de la sociologie sous
Notre cerveau humain est constitué pour recevoir les histoires et intégrer les informations sous forme d’histoire. Si nous voulons faire passer une idée, la meilleure façon de la transmettre, c’est SELINA RICHARDS par le prisme d’une histoire. forme d’histoire. Notre cerveau humain
d’installer dans le temps
est constitué pour recevoir les histoires et
pour être exploré dans le
intégrer les informations sous forme
troisième livre. Je vais vous
d’histoire. Si nous voulons faire passer
raconter une anecdote
une idée, la meilleure façon de la
amusante : il y a quelques
transmettre, c’est par le prisme d’une
mois, j’écoutais les
histoire.
informations. Ils évoquaient une grande
LFC : Les lecteurs retrouvent Sarah
vague de froid dans le nord
Geringën dans Complot.
de l’Europe. Le journaliste égrenait les températures
153
NB : C’est une femme qui ne dit pas tout.
dans les différents pays qui
Elle a peut-être parfois peur de décevoir
descendaient à des moins
certaines personnes, comme son
je ne sais pas combien en
compagnon Christopher. Elle est liée à
Norvège. L’espace de
des informations sensibles qu’elle ne doit
quatre secondes, quand il
pas garder. Surtout, ce qui m’intéresse le
a annoncé les
plus, ce n’est pas tellement ce qu’elle
températures en Norvège,
cache, mais bien ce qu’elle ignore sur
je me suis dit, Sarah va
elle-même. Moi, je sais. Elle, elle ne le sait
avoir froid. Après, je me suis
pas. Ce n’est pas parce qu’elle a perdu la
repris… Pendant ces
mémoire, encore moins qu’elle a fait du
quelques secondes, elle
refoulement. Elle est liée à des choses qui
avait froid en Norvège. Et
n’appartiennent pas à sa propre histoire,
elle attendait la suite de
mais à ses secrets de famille et autres…
l’histoire. Cela m’a fait
C’est quelque chose que j’ai besoin
plaisir.
LFC MAGAZINE
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#11
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JUILLET-AOÛT 2018
PHOTOS EXCLUSIVES ET ENTRETIEN INÉDIT
GILLY MACMILLAN PAR CHRISTOPHE MANGELLE TRADUCTION : CAMILLE POCKET PHOTOS : CELINE NIESZAWER LEEXTRA
Juin 2018, nous avons rendezvous dans un quartier parisien très cosy, avec Gilly Macmillan pour nous parler de S E L I N livre A R I C H A"La RDS son fille idéale" (Pocket) et de sa dernière nouveauté "Les meilleurs amis du monde" (Les escales). Photos exclusives et entretien inédit. LFC : Bonjour Gilly Macmillan, après un
quand une idée vous colle à la peau, vous
premier roman Ne pars pas sans moi, votre
savez qu’elle est peut-être suffisamment forte
actualité est la publication en version
pour être un roman. J’ai alors pensé aux
poche chez Pocket de La Fille idéale.
différentes façons de faire monter le suspense
Comment est née l’idée d’écrire sur cette
dans le livre et c’est à ce moment là que l’idée
jeune prodige de 17ans qui commet un
de l’adolescente prodige m’est venue. J’ai
acte irréparable ?
pensé que cela pouvait être intéressant, d’autant que cela fait écho à la façon dont on
GM : Il y a quelques années, un ami avocat en
élève nos enfants. La musique était un choix
droit criminel a mentionné un dossier dont il
évident, car mon fils est un très bon pianiste,
avait entendu parlé, celui d’une adolescente
donc je connais le monde de la compétition et
et de ses démêlés avec la justice. Cette
des représentations chez les adolescents.
dernière avait commis une erreur comparable au personnage de La Fille idéale. Elle avait été
LFC : Votre personnage dans le roman a le
responsable du décès de plusieurs de ses
droit a une seconde chance. Et pourtant, ce
amis et condamnée à une peine de prison. Au
n’est pas simple… Croyez-vous à la seconde
cours de son incarcération, cette adolescente
chance ?
est devenue dépendante à la drogue et
155
quand elle a été libérée, malgré le soutien de
GM : D’une manière générale, je crois aux
sa famille, elle n’a pas pu surmonter son
secondes chances, mais je pense
addiction. Sa vie était détruite. J’ai été hantée
qu’intrinsèquement cela est difficile, car cela
par cette histoire pendant très longtemps et
nécessite de la sagesse et de l’expérience : en
particulier tout ce que l’on apprend lorsque tout s’est mal passé et les conséquences. C’est essentiel, d’une part pour donner la possibilité d’un nouveau départ et par respect pour toutes les personnes qui ont été des victimes. Je crois beaucoup àSlaE L I N A seconde chance lorsque l’erreur qui a été commise l’a été à un jeune âge. Nous avons tous été des adolescents insouciants et nous avons tous fait de mauvais choix, sans
Je crois beaucoup à la seconde chance lorsque l’erreur qui a été commise l’a été à un jeune âge. Nous avons tous été des adolescents insouciants et nous avons tous fait de mauvais choix, forcément être de RI C H A R D sans S mauvaises personnes. L’idée de savoir qu’une erreur de jeunesse peut ruiner le reste votre vie est coriace.
forcément être de mauvaises personnes.
LFC : La force de ce thriller : le suspense et
L’idée de savoir qu’une erreur de jeunesse
quelques twists surprenants. Au cours de
peut ruiner le reste votre vie est coriace.
l’écriture, vous êtes-vous surprise vous-même ?
LFC : Vos personnages sont parfois
GM : Il m’arrive de me surprendre ! Je ne planifie
ambigus, entre le bien et le mal. Les
pas mes romans dans le détail ; je suis plutôt mes
lecteurs vont être confrontés à des
personnages et ce qu’ils ressentent tout comme
dilemmes moraux. Vouliez-vous
les péripéties de l’intrigue. Il m’arrive parfois
provoquer le lecteur ? Dans quel but ?
d’avoir une idée tout à fait surprenante lorsque j’approche de la fin ce qui ajoute un twist très
GM : Je voudrais exprimer une idée à
plaisant ! C’est formidable lorsque cela se produit.
laquelle je crois, celle de la dualité qui réside en chacun de nous : le bien et le mal.
LFC : Aujourd’hui, vous publiez également en
Je suppose que nous sommes tous, au-delà
grand format Les meilleurs amis du monde (Les
de nos aspirations, prêts à admettre les
escales). L’histoire place encore une fois vos
erreurs du passé et disposés à tout faire
personnages dans des situations d’extrêmes
pour les effacer. Nous sommes tous
tensions. Racontez-nous, vous, quand vous
capables du meilleur comme du pire et
écrivez, êtes-vous sous tension ou détendue ?
j’espère apporter de l’honnêteté à mon livre
156
en laissant mes personnages être le reflet
GM : Je suis crispée quand j’écris car j’essaie de
de cette pensée (même si les personnages
me mettre dans la peau de mes personnages, de
n’agissent pas mal, mais qu’ils sont tentés
ressentir ce qu’ils éprouvent. Je m’imagine à leur
ou encore qu’ils analysent leur part de mal).
place et j’écris ce que j’imagine être leur réaction.
C’est ce que j’aime trouver chez des
C’est assez fatiguant et stressant comme méthode,
personnages en tant que lectrice. Cela me
mais cela vaut le coup si ça permet de donner à
semble percutant parce que très réaliste.
mes personnages plus de véracité.
G I L L Y L F C
M A C M I L L A N
M A G A Z I N E
# 1 1
Je suis fascinée par les histoires d’amitié, surtout celles de l’adolescence parce qu’elles sont très intenses. SELINA
RICHARDS
LFC : Tout commence par une histoire d’amitié.
l’enquête. Comment avez-vous
Seulement dans cette histoire, l’amitié est mise
travaillé cette excellente construction ?
à rude épreuve. Pour quelles raisons vouliezvous parler de cette thématique ?
GM : Merci ! Je suis fascinée par les histoires d’amitié, surtout celles de
GM : Les meilleurs amis du monde raconte
l’adolescence parce qu’elles sont très
l’histoire de Abi et Noah, deux adolescents de
intenses. Le point de départ de ce livre
quinze ans. Ils se sont rencontrés à l’école et sont
était l’incident de Noah et Abdi. J’ai
devenus amis car ils étaient différents, chacun à
ensuite construit l’intrigue petit à petit et
leur manière : Noah vient d’une famille
minutieusement à partir de cet
bourgeoise, mais il a passé son enfance à se battre
événement. L’idée a évolué au fil du
contre un cancer ; et Abdi est un réfugié Somalien.
temps que je passais avec mes
Leur monde est bouleversé le soir où une
personnages, au cours du temps de
ambulance se rend sur les bords d’un canal
l’écriture et aussi à travers mes
miteux de Bristol. Noah est repêché in extremis,
recherches sur les réfugiés. L’histoire
mourant et transporté en urgence à l’hôpital. Abdi
devait également être un cas intéressant
ne peut pas ou ne veut pas parler de ce qui s’est
pour l’inspecteur Clemo après son
passé. Le roman explore les répercussions de
expérience difficile dans Ne pars pas sans
l’événement et fait apparaître l’inspecteur Jim
moi.
Clemo qui était déjà présent dans mon premier roman Ne pars pas sans moi. Il suit les deux
LFC : Il s’agit également de la
adolescents, leur famille et les recherches de la
confrontation entre une famille aisée,
police dans un contexte de tension sociale qui
blanche et une famille de réfugiés
règne dans la ville.
somaliens. Vouliez-vous apporter votre point de vue à travers une histoire de
158
LFC : Dans votre roman, nous sommes au cœur
fiction sur la lutte des classes ? Que
d’une enquête, tout l’enjeu est de démêler
vouliez-vous exprimer ?
J’ai essayé d’écrire un roman qui serait à la fois pertinent, haletant et palpitant, mais aussi personnel, empreint d’humanité et d’empathie envers tous ces personnages. Exactement. La problématique des réfugiés et de
meilleurs amis, un crime qui le hante
l’immigration est très importante au Royaume-Uni,
depuis son enfance. Il revient pour rouvrir
comme partout dans le monde. J’ai pensé que
l’enquête après que celle-ci a échouée
SELINA
RICHARDS
cela pourrait ajouter quelque chose d’intéressant
faute de preuves. Il commence alors un
si l’un des garçons était un réfugié arrivé au
podcast pour enregistrer ses
Royaume-Uni à dix ans et l’autre, un natif venant
découvertes. Mais il y a plusieurs
d’une famille aisée. Je crois que l’un des rôles les
personnes qui ne souhaitent pas que
plus important de la fiction est de nous faire
l’enquête soit rouverte, notamment la
comprendre les raisonnements des autres d’une
mère de l’un des garçons, qui prend les
manière intime et révélatrice. C’est pour cela qu’il
choses en main et à sa façon… Lorsque
m’a semblé judicieux d’écrire l’histoire d’une
qu’un nouveau corps est découvert à
famille de réfugiés à un moment où les médias (du
proximité de l’endroit où les deux
moins les médias anglais) traitaient des
garçons ont été tués, l’inspecteur chargé
problématiques des réfugiés dans les grandes
de l’enquête n’a d’autre choix que de
lignes avec parfois l’intention d’être alarmiste. J’ai
rouvrir le dossier pour décider si les
essayé d’écrire un roman qui serait à la fois
meurtres sont liés. Sa carrière est
pertinent, haletant et palpitant, mais aussi
menacée, l’heure tourne, et certaines vies
personnel, empreint d’humanité et d’empathie
sont en danger…
envers tous ces personnages.
Je termine également mon cinquième roman The Nanny qui est une histoire à
LFC : Vos romans seront-ils un jour adaptés à
glacer le sang… Il s’agit d’une jeune
l’écran ?
femme qui revient chez elle, veuve, vulnérable et avec son enfant. Son
GM : Je n’ai pas d’annonce à vous faire, mais je
existence est bouleversée lorsque sa
m’en réjouirais si cela devait arriver !
nourrice, Aggie réapparaît trente ans plus tard. Est-ce bien Aggie ? Que signifie son
LFC : Travaillez-vous sur le prochain ? Si oui,
retour et que veut-elle ?
quel thème allez-vous aborder ?
J’espère que les lecteurs apprécieront GM : Mon quatrième roman, I know you know
autant ces livres que les premiers déjà
sortira à l’automne au Royaume-Uni. C’est
publiés !
l’histoire de Cody Swift, un homme qui revient à Bristol vingt ans après le meurtre de ses deux 160
Un grand merci pour cette interview.
LFC MAGAZINE
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#11
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JUILLET-AOÛT 2018
CATHERINE BANNER
PHOTOS EXCLUSIVES ET ENTRETIEN INÉDIT PAR CHRISTOPHE MANGELLE PHOTOS : CÉLINE NIESZAWER LEEXTRA
Juin 2018, nous avons rendezvous avec Catherine Banner à Paris pour parler de son SELINA RICHARDS roman "La maison au bord de la nuit" (Pocket). Photos exclusives et entretien inédit.
LFC : Bonjour Catherine Banner ! Comment
naturellement à un public adolescent parce
êtes-vous venue à l’écriture de romans ?
que j’étais moi-même une adolescente. Lors de l’écriture du suivant, je me suis adressé à un
CB : Quand j’ai commencé à écrire très jeune,
public plus adulte. Parce que j’ai grandi et que
je me souviens que je voulais raconter des
je suis devenue une adulte.
histoires. C’est à l’adolescence que l’écriture s’est transformée en une activité sérieuse.
LFC : Comment expliquez-vous que vous
J’écrivais beaucoup. Et au fur à mesure, j’ai
avez commencé à écrire si jeune ? Avez-vous
évolué vers un projet de roman, qui
toujours beaucoup lu ?
aujourd’hui est une trilogie disponible en librairie (The Last Descendants) et qui
CB : Oui, j’ai lu dès que j’ai su lire. J’ai toujours
s’adresse aux adolescents. Ces premiers
aimé les histoires. Elles ont toujours fait partie
livres ont reçu un bel accueil de la part des
de moi. Ce sont elles qui m’ont aidée à me
lecteurs.
représenter le monde dans lequel nous vivons.
LFC : Écrire pour les adolescents, pour
LFC : Vous publiez La maison au bord de la
quelles raisons ?
nuit (Pocket), votre premier roman pour les adultes. C’est un projet ambitieux. Vous
CB : J’ai commencé à écrire à l’âge de seize
traversez le temps.
ans. J’étais donc très jeune. Je me suis
162
exprimée de la façon dont j’aurais souhaité
CB : Ce projet m’a dépassé. En effet, c’est un
qu’on me parle. Je me suis adressée plus
roman bien plus ambitieux que je l’avais
CATHERINE BANNER LFC MAGAZINE #11
Le point de départ de ce roman, c’est la crise financière de 2008. C’est le Le point de départ de ce roman, c’est la premier événement mondial que j’ai crise financière de 2008. C’est le premier vécu. J’avais dix-huit ans à cette événement mondial que j’ai vécu. J’avais période. Et j’ai voulu que ce soit le dix-huit ans à cette période. Et j’ai voulu point final de La maison au bord de que ce soit le point final de La maison au la nuit. J’ai réalisé des recherches S E L I N A R précises I C H A R D Ssur la crise financière. Je bord de la nuit. J’ai réalisé des recherches précises sur la crise financière. Je cherchais à répondre à cette question : comment des gens ordinaires cherchais à répondre à cette question : vivent-ils des événements mondiaux comment des gens ordinaires vivent-ils et historiques aussi complexes ? des événements mondiaux et historiques imaginé lors des premiers jours d’écriture.
aussi complexes ? LFC : Amadeo Esposito est un jeune médecin LFC : La crise financière de 2008 est
que le lecteur va découvrir tout le long de sa
votre point d’arrivée du roman.
vie.
L’histoire commence en Italie en 1914…
CB : Ce personnage est la porte d’entrée de ce CB : Je voulais comprendre quel était le
roman. Il est basé sur un personnage réel puisqu’il
chemin emprunté pour nous amener à ce
existe un médecin qui vivait en Sicile à la fin du
moment que j’ai vécu : la crise financière
XIXe siècle. J’ai fait des recherches sur ce fameux
de 2008. Je ne pensais pas commencer
médecin qui allait sur les routes et qui récoltait de
ainsi, et c’est la guerre de 1914 qui est
nombreuses histoires sur le folklore de la Sicile :
devenue le début du roman, avec toute la
les légendes, les histoires populaires ou
période moderne qui nous a conduits à
religieuses. Cela m’a donné envie de donner vie à
cette fameuse crise financière.
un personnage de fiction inspiré de cet homme qui avait vraiment existé.
LFC : Avez-vous rencontré des difficultés au cours de l’écriture de ce roman ?
LFC : Pourquoi ce médecin vous a-t-il tant fasciné au point de devenir un personnage de
CB : J’ai eu quelques doutes lors de
fiction ?
l’écriture. Moi-même, je me suis dit que je
164
n’allais pas y arriver, que ce roman était
CB : C’était quelqu’un de très rationnel et de
trop ambitieux. J’ai consacré quatre mois
scientifique. Il était passionné par toutes ces
aux recherches. En tant que jeune
histoires folles, ces légendes, etc. Il avait peur
romancière, j’ai eu quelques sueurs
qu’elles se perdent, qu’elles tombent dans l’oubli.
froides. Et finalement, avec persévérance,
En lui prêtant les traits de ce personnage, j’avais
j’ai réussi à terminer ce roman.
envie de perpétuer cette mémoire.
CATHERINE BANNER LFC MAGAZINE #11
Je voudrais que les lecteurs voyagent grâce à la puissance des personnages. Les êtres humains que nous sommes, nous sommes faits pour raconter des histoires. Et que grâce à elles, nous pouvons rendre nos vies meilleures et surtout rester en contact avec les autres. LFC : Dans ce roman, vous abordez l’amour, la
LFC : Ce roman est traduit en français.
S E L I Nune A R I C H A RQuelles DS famille… Tous ces thèmes ont en commun sont vos impressions ? chose : l’humanité.
CB : C’est une grande surprise. Lorsque CB : Je suis contente d’entendre cela. Car c’est ce
j’ai commencé à l’écrire, j’étais vraiment
que j’espérais lors de la rédaction de ce livre. J’ai une
très seule. Je n’étais même pas dans le
grande admiration pour tous ces romanciers qui ont
milieu des écrivains. En l’écrivant, j’avais
pour but d’apporter de l’humanité dans des histoires
conscience que c’était différent de ce
au contexte historique difficile. Je me souviens d’une
qu’on peut lire en librairie. Je savais qu’il
citation de Milan Kundera qui disait : la vérité
fallait que je raconte cette histoire. J’en
n’appartient à personne, chaque personne a le droit
avais viscéralement envie. Même si je ne
d’être entendue. Pour moi, c’est très important. Quand
savais pas quel accueil cette histoire
je m’installe à mon bureau le matin, j’essaie de
recevrait. Aujourd’hui, c’est une joie
travailler dans cet état d’esprit. C’est fondamental
immense d’être en France pour
pour le livre.
rencontrer les lecteurs et en parler avec les journalistes. Je suis très heureuse de
LFC : Vous mélangez dans ce roman la grande
cet accueil chaleureux complètement
Histoire avec celles de vos personnages
inattendu. Ces réactions me confirment
ordinaires.
que j’avais raison de croire en cette histoire, une histoire très personnelle.
CB : Absolument. Je suis très heureuse que cela fonctionne, car c’était le plus difficile pour moi à
LFC : Qu’aimeriez-vous que les
rédiger et à construire. Je souhaite que toutes les voix
lecteurs retiennent de la lecture de La
soient entendues, surtout celles des gens ordinaires.
maison au bord de la nuit ?
LFC : Vous parlez de la famille.
CB : Question intéressante. Je voudrais que les lecteurs voyagent grâce à la
166
CB : Quand j’ai écrit ce roman, j’habitais dans un petit
puissance des personnages. Les êtres
village au nord de l’Angleterre. Et j’allais en vacances
humains que nous sommes, nous
dans la famille de mon mari dans un tout petit village
sommes faits pour raconter des
en Sicile. J’ai observé des similitudes entre les
histoires. Et que grâce à elles, nous
villages. J’ai capturé ces instants. Cela m’a été utile
pouvons rendre nos vies meilleures et
pour parler de la famille.
surtout rester en contact avec les autres.
CATHERINE BANNER LFC MAGAZINE #11
LFC MAGAZINE
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#11
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JUILLET-AOÛT 2018
PAR CHRISTOPHE MANGELLE PHOTOS : CÉLINE NIESZAWER LEEXTRA
ANDREA DE CARLO
PHOTOS EXCLUSIVES ET ENTRETIEN INÉDIT
Juin 2018, nous avons la chance de revoir Andrea de Carlo en visite à Paris. J-1 de son départ en Italie, il vient prendre un peu E L I N A R Iavec C H A R D Sla rédaction pour de Stemps une séance de photos exclusives et un entretien inédit à propos de son roman "Deux sur deux" enfin traduit en France. Rencontre.
LFC : Bonjour Andrea de Carlo ! Vous
ADC : C’est une coïncidence. Néanmoins, peut-
publiez un nouveau roman Deux sur deux
être que ce n’est pas une coïncidence. C’est le
(HC Éditions). Ce roman a connu un succès
destin ! C’est amusant. Quand j’étais en train
incroyable en Italie. Et il est enfin publié en
d’écrire le roman, je pensais qu’il serait lu par
France.
très peu de lecteurs. Que ce livre intéresserait uniquement les gens qui ont vécu les mêmes
ADC : Ce roman a été traduit dans de
choses que j’ai vécues. Génération après
nombreuses langues. Et en effet, il a
génération, le roman a touché de nombreuses
rencontré un franc succès en Italie. Je suis
personnes. Et ce livre passionne toujours les
très content qu’il soit enfin disponible en
lecteurs. C’est un livre qui dure dans le temps.
version française dans les librairies, avec une
Hier, j’ai posté sur les réseaux sociaux une
aussi belle traduction. Chantal Moiroud a
photo dans l’avion en indiquant que j’allais à
réalisé un travail d’une grande qualité.
Paris pour l’édition française du roman Deux sur
Maintenant, j’espère que les lecteurs vont
deux. Immédiatement, j’ai reçu une centaine de
découvrir ce roman. De tous les romans que
messages. Ils me disaient : Super ! Bonne
j’ai écrits, c’est celui qui a suscité le plus
nouvelle ! Je suis très heureux pour vous ! Les
d’enthousiasme de la part des lecteurs.
lecteurs participent beaucoup.
LFC : Votre roman paraît lors des cinquante
LFC : Selon vous, pourquoi ce roman a-t-il été
ans de mai 68. Ce n’est pas anodin puisque
si bien compris par les lecteurs ?
vous évoquez cette période dans Deux sur
deux. 169
ADC : Je crois que mai 1968, c’est le décor
A N D R E A L F C
D E
C A R L O
M A G A Z I N E
# 1 1
dans lequel les deux personnages existent. Ce roman parle d’une amitié entre eux. Cette rencontre de deux natures de garçons très différents, dans la période de l’adolescence, un moment où nous ne savons pas qui nous sommes. C’est une étape de la vie qui est très
S E LNous INA difficile. Ensuite, chacun d’eux grandit. pouvons voir les virages différents qu’ils empruntent. LFC : Vous parlez de deux garçons, d’une forte amitié. L’un est très beau. L’autre est dans l’ombre du premier.
Ce roman parle d’une amitié entre eux. Cette rencontre de deux natures de garçons très différents, dans la période de l’adolescence, un moment où nous ne savons pas qui nous RICHARDS sommes. C’est une étape de la vie qui est très difficile. Ensuite, chacun d’eux grandit. Nous pouvons voir les virages différents qu’ils empruntent. ADC : C’était une image. C’était l’image des jeunes étudiants qui sortaient du lycée. Cette
ADC : Mario est très prudent. Il ne prend
dernière se répétait régulièrement. Chez moi,
aucun risque. Quand il rencontre Guido, c’est
le début d’un roman commence toujours par
comme rencontrer sa partie créative. C’est
une image que j’ai en tête. C’est un moment
une combinaison de nature très différente,
de vie qui m’obsède et qui devient une fiction.
mais complémentaire. Mai 1968 en Italie, c’est une révolution culturelle des coutumes. C’est
LFC : En écrivant ce livre, vous êtes-vous
aussi une période où les deux protagonistes
replongé dans votre propre adolescence ?
peuvent se révéler. Ils peuvent s’ouvrir et se découvrir. En parallèle, la société se révèle à
ADC : Oui, complètement. C’était une façon
elle-même avec mai 68. La grande Histoire fait
de voyager dans le temps, de m’offrir un
écho à la petite histoire des deux adolescents
retour en arrière. Cette réflexion était
ordinaires. Et vice-versa. C’est pour cela que
intéressante et instructive.
je rencontre des lecteurs très jeunes qui s’identifient à Mario et Guido, simplement
LFC : Quand on s’offre une seconde chance
parce qu’ils vivent des situations identiques,
de revivre son adolescence à travers la
celles de l’adolescent qui n’a pas de pouvoir
fiction. Fait-on moins d’erreurs ?
sur sa vie. Durant l’adolescence, nous sommes traversés par de nombreux rêves que
ADC : (Rires). C’est une bonne remarque !
nous traduisons avec grande difficulté dans la
Naturellement, j’ai constaté toutes mes
réalité.
erreurs, celles qu’évidemment je ne souhaite plus reproduire. Et puis, je me suis souvenu
171
LFC : Quel était l’élément déclencheur pour
des choses que je n’ai pas osé faire, que
écrire cette histoire ?
j’aurais pu faire.
A N D R E A L F C
D E
C A R L O
M A G A Z I N E
# 1 1
LFC : Dans votre roman, à travers vos personnages,
huit ans. C’était la découverte de la passion, de l’amitié,
les lecteurs peuvent trouver une certaine motivation
de la peinture, de l’aventure. Avec ce livre, j’ai découvert
à oser bousculer leur destin !
la passion de vivre dans un roman, le plaisir joyeux de ressentir une telle fiction.
ADC : Quel plaisir d’entendre cela ! Si je parviens à encourager le lecteur à la suite de la lecture de cette
LFC : Comment êtes-vous parvenu à si bien dessiner
histoire, c’est une belle récompense pour moi. Cela
la psychologie de Mario et Guido ?
signifie que le propos du livre a été compris. S Très ELINA
RICHARDS
souvent, de nombreux lecteurs me disent qu’ils ont
ADC : Je vais être sincère. C’est très autobiographique.
changé la direction de leur vie. Je me rappelle, l’année
Les histoires racontées sont celles que j’ai vécues. Je
dernière, un jeune homme m’a dit : j’étudie pour devenir
parle du même lycée que j’ai fréquenté. J’ai vécu la
avocat. Seulement, ma vraie passion, c’est de construire
même aventure. Je me suis découpé en deux
des instruments de musique, d’être luthier. Après la
personnages : parfois, je suis Mario, parfois, je suis
lecture du roman, il a décidé de mettre tout en œuvre. Il
Guido. Pour écrire ce roman, je me suis isolé à la
est devenu luthier. C’est fantastique !
campagne. J’étais seul face à moi-même avec l’histoire et les deux personnages. Je dialoguais avec eux.
LFC : Quand un livre peut déclencher de telles conséquences, cela démontre à quel point les mots
LFC : Ce roman pourrait être un film.
sont une arme absolue.
ADC : Des projets étaient en cours. Seulement, ils n’ont ADC : Mon métier d’écrivain n’est pas si inoffensif qu’il
jamais abouti. Peut-être un jour… J’aime l’idée avec le
peut paraître. Le pouvoir des mots est puissant. Quand
roman que chaque lecteur peut s’imaginer son propre
j’ai écrit cette histoire que je pensais être très
film. Chaque lecteur, c’est un film différent. Je crois que
personnelle, je n’en avais pas autant conscience.
le rôle du lecteur, c’est d’être très actif durant sa lecture.
Quand ce roman a rencontré cet extraordinaire succès,
Il n’absorbe pas l’histoire comme pour un film. Il imagine
j’ai commencé à comprendre que j’avais une
sa lecture avec des images qu’il construit lui-même
responsabilité forte. Que je m’adressais à des gens que
dans son propre imaginaire.
je ne connaissais pas ! Que je ne rencontrerais certainement jamais ! Et pourtant, de manière
LFC : Quels sont vos projets ?
absolument pas intentionnelle, je peux avoir une influence sur eux grâce à cette histoire. C’est
ADC : Je suis en train d’écrire un nouveau livre, une
extraordinaire.
histoire qui me passionne. C’est raconté du point de vue d’une femme. Elle est chef cuisinier. L’action se situe à la
LFC : Les livres sont formidables. Nous construisons
fois à Venise et dans un studio TV à Milan. Ce n’est pas
notre identité sous influence culturelle.
facile d’écrire ce livre, car je me glisse dans la peau des femmes. Pour réussir ce challenge, j’observe toutes les
ADC : Je partage votre pensée. La première fois que j’ai
femmes que je connais. Je parle avec elles. Cela
lu Les Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas, j’avais
nécessite beaucoup de temps.
173
LFC MAGAZINE
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JUILLET-AOÛT 2018
PASCAL GRÉGOIRE
PHOTOS EXCLUSIVES ET INTERVIEW PAR CHRISTOPHE MANGELLE ET QUENTIN HAESSIG PATRICE NORMAND, LEEXTRA
PHOTOS EXCLUSIVES DE JULIEN FALSIMAGNE LEEXTRA ENTRETIEN INÉDIT DE CHRISTOPHE MANGELLE
Juin 2018, Pascal Grégoire nous propose de le rejoindre à l'Hôtel Vernet pour nous parler de son premier roman, "Goldman sucks" que nous avons dévoré avec enthousiasme. Le lecteur est au cœur de la crise de 2008 et d'une S E Ldéjantée. I N A R I C H AMême RDS famille si le divertissement fonctionne à plein régime, l'auteur nous offre une critique acerbe sur le monde de la finance et prévient des dangers d'une société de spéculations à outrance. Photos exclusives. Et entretien inédit et captivant.
LFC : Vous publiez un premier roman
crève demain, je n’aurais toujours pas fait le
Goldman sucks (Cherche Midi Éditeur) et
bouquin que je voulais écrire. De là, j’ai cherché
vous parlez de Corentin Pontchardin qui
des sujets qui m’inspirent. Ce roman est né
traverse deux crises : une financière et une
quand j’ai pensé à trois faits divers que j’ai
plus personnelle.
entendus. En 2008, trois jours de suite, ces événements m’ont marqué à vie, enfin
175
PG : J’ai une longue carrière dans la publicité.
suffisamment pour que j’en fasse un livre
Ce sont mes premiers pas en tant qu’écrivain
quelques années après. Il s’agit d’une petite
avec ce roman. Je voulais écrire à l’âge de
fille arrêtée à la cantine. Le lendemain, une
vingt-cinq ans. Je devais être édité aux
grand-mère virée de sa maison de retraite,
Éditions du Seuil. J’étais comme un fou. Je
certainement parce que les honoraires n’ont
retravaillais mon texte avec passion jusqu’au
pas été réglés. Et le troisième jour, j’entends
jour où je reçois un coup de fil. On m’explique
qu’un papi de 82 ans fait un hold-up dans un
que c’est la crise. Et qu’ils prennent la
casino, parce qu’il n’arrive plus à subvenir à ses
décision d’éditer un seul roman et non cinq.
besoins. Et là, je me dis que nous sommes face
Ainsi, je me suis retrouvé sans livre édité. Je
à un énorme problème. Dans quelle société vit-
me suis donc lancé en parallèle dans
on ? Et puis 2008, c’est l’année, où nous avons
l’entrepreneuriat. Les années sont passées
tous compris que les États et les gens que nous
vite. Très vite. Il y a deux ans, j’ai perdu mon
sommes, nous étions tous pris en otage par les
père. Et à ce moment-là, j’ai ressenti le besoin
banques. C’était la catastrophe. J’ai voulu me
de faire quelque chose que je souhaite
servir du roman pour raconter quelque chose
depuis très longtemps. Je me suis dit : si je
de très compliqué. Pourquoi ces gens-là
prospèrent-ils ? Le sujet est très complexe. Des livres économiques, il en existe déjà de nombreux et de très bons. Je souhaitais que ce roman soit compréhensif des gens populaires et non des spécialistes économiques. La forme de ce roman le
S E nous LINA permet. On comprend les choses que ne comprenions pas avant. Mais surtout, le lecteur est en immersion au cœur de cette famille française, touchée par la crise. Mon idée était de réunir les trois faits divers dans
Nous avons dix ans de recul sur la crise. Et quand nous regardons ce qui s’est nous ne R I C H A R Dpassé, S pouvons constater que très peu de choses ont été faites.
cette même famille : la petite fille et les grands-parents. Le grand-père qui fait le hold-
des romans d’Armistead Maupin Les chroniques
up et la grand-mère qui revient de la maison
de San Francisco. J’aime beaucoup ces romans.
de retraite. Et au milieu de cette famille, il y a
Ainsi, le lecteur arrive à être happé par le livre et
ce couple effectivement avec Corentin
l’histoire. J’aimais bien l’idée qu’il y ait un côté un
Pontchardin. Il est fils de fonctionnaire et
peu thriller, que le lecteur ne s’ennuie jamais, avec
ulcéré de voir que nous devons donner de
peu de digression… Même si nous aimons tous La
l’argent aux banques et qu’elles nous
Serpe de Philippe Jaenada. (Rires). Lui, il est
tiennent en otage. Et il tombe amoureux
formidable dans ce registre. Je ne voulais pas me
d’une journaliste du quotidien Le Figaro âgée
lancer dans un projet littéraire dans lequel j’aurais
de vingt-cinq ans. Tout cela se mélange. À un
pu me perdre sur un premier roman. J’ai tenu à ce
moment donné, quand tout a explosé, il
que l’histoire soit rythmée. Qu’on vive le voyage,
décide de réunir sa petite famille et de
qu’on ait l’impression d’être avec eux chaque
prendre l’avion pour abattre le dragon, en
seconde et que les lecteurs découvrent des
allant aux États-Unis. C’est une véritable fable
univers qu’ils ne connaissaient pas.
sociale, un road movie drôle et touchant d’une famille pas tout à fait ordinaire lancée à
LFC : Vous parlez de 2008. Ce roman est publié
l’assaut de la finance mondiale.
en 2018, dix ans après, au bon moment, parce que la crise économique nous nargue encore.
LFC : C’est un roman bref qui va à
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l’essentiel.
PG : Complètement. Nous avons dix ans de recul
PG : Ce format effectivement, c’est un choix.
sur la crise. Et quand nous regardons ce qui s’est
Je souhaitais que cela soit très rapide à lire.
passé, nous ne pouvons constater que très peu de
Les chapitres courts et efficaces doivent
choses ont été faites. Sans dévoiler la fin du livre,
inviter le lecteur à se demander ce qui se
cette crise recommence de manière encore plus
cache dans le suivant. Un peu dans l’esprit
dangereuse. Les subprimes vont revenir par le prêt
Je ne suis pas anti-capitaliste ni contre notre système. Je suis pour une forme où la possibilité d’entreprendre existe, où les banques aident les gens à lancer des entreprises, à acheter des produits, etc. Mais tout cela doit se faire dans ce sens-là. Alors ELINA RICHARDS qu’aujourd’hui, Snous sommes tous au service de la finance. C’est extrêmement grave. des étudiants américains, mais aussi par les
nous arrêtions cela. C’est un peu politique,
assurances automobiles. Nous sommes face à
certes. Je trouve qu’il existe une démission très
des comportements financiers dangereux. Ils
grave des hommes politiques. Quand on regarde
inventent des produits financiers qui sont de
Obama qui a dit après 2008 qu’il fallait prendre
plus en plus dingues. Par rapport aux lasagnes
des mesures et que finalement rien ne s’est
qui sont faites avec du cheval, c’est du pipi de
passé. Les gens de Goldman Sachs sont partout.
chat. Nous sommes face à des gens qui nous
Ils sont dans tous les gouvernements. C’est une
vendent du poison. Du poison qui nous tue et
toile d’araignée mondiale. Ils avancent purement,
qui tue les autres. Et surtout qui flingue le
tranquillement. Là où j’alerte les gens, Goldman
système. Je ne suis pas anti-capitaliste ni contre
Sachs va se lancer dans le bitcoin. C’est un
notre système. Je suis pour une forme où la
économiste sérieux qui me l’a confirmé. On se
possibilité d’entreprendre existe, où les banques
retrouve encore dans un autre phénomène. S’ils
aident les gens à lancer des entreprises, à
commencent à contrôler eux-mêmes la monnaie,
acheter des produits, etc. Mais tout cela doit se
l’emprise est totale. Et personne n’en parle. Sans
faire dans ce sens-là. Alors qu’aujourd’hui, nous
oublier que ce sont eux qui font les placements
sommes tous au service de la finance. C’est
des gens, les notations des pays… À travers ce
extrêmement grave. Ce sont des gens qui n’ont
roman, je n’écris pas un livre économique, mais je
aucun état d’âme et qui peuvent nous amener
raconte la souffrance de cette famille qui peut
dans le mur. Il faut absolument que l’opinion
être celle des familles grecques. Il faut créer une
publique soit au courant. C’est aussi important
vie où les gens peuvent vivre dignement. Et là,
que le dérèglement climatique. Chaque tempête
nous sommes concrètement dans quelque chose
est plus importante parce que la température de
de profondément indigne.
l’océan augmente. Là, toutes les crises qui vont
178
arriver vont être de plus en plus importantes
LFC : Sommes-nous inconscients ? Nous avons
parce que tout simplement les comportements
beau le savoir, nous continuons de vivre
sont de pire en pire. Il faut absolument que
quand même…
P A S C A L L F C
G R É G O I R E
M A G A Z I N E
# 1 1
C’est aussi un livre sur la volonté et sur le fait que les choses sont possibles. Tout est possible. Toujours. PG : Exactement. Nous sommes totalement
LFC : Votre rêve de gamin est réalisé !
inconscients et irresponsables. Nous le voyons bien avec le réchauffement climatique. C’est la
PG : Oui ! (Rires) Je n’ai pas écrit du tout pendant trente
même dynamique en terme problématique. Nous
ans. Ce premier roman me donne envie d’écrire le
nous étions incapables d’anticiper. Seulement, si
avec une dimension plus grande, à condition que
la planète ne fonctionne plus, nous allons mourir.
celui-ci marche. Ceci dit, les débuts sont prometteurs,
Et si l’économie s’écroule vraiment, ça peut tuer
car il se vend bien. De nombreux libraires soutiennent
vraiment beaucoup de gens. Il existe une prise de
le livre. Je vais d’ailleurs rencontrer mes lecteurs dans
conscience qui est loin d’être suffisante. Au sujet
quelques librairies.
E L I N si A Rsuivant. I C H AJe R Dmettrais S le savons, nous allons droit dans le mur.SComme le temps qu’il faut pour l’écrire,
du réchauffement climatique, tout le monde comprend. La crise économique, elle a beau nous
LFC : Le temps de l’entretien, nous avons parlé de la
péter à la gueule à chaque fois, nous nous disons
crise, mais votre bouquin, c’est aussi un bon
que nous allons agir et rien. En 2008, nous
moment de lecture pour les lecteurs.
sommes passés d’un cheveu d’une catastrophe gigantesque. Nous n’en tirons aucune leçon.
PG : Oui, c’est vrai. L’idée de ce roman, c’est de sourire,
Nous ne savons même pas dire comment nous
de rire. L’humour est omniprésent. Des détails de la vie
avons évité le pire. Cela n’a pas suffi. Ce qui veut
de tous les jours font que nous sommes avec eux. C’est
dire qu’il en faudra encore une plus grave pour
vraiment ce que j’ai voulu faire. Et surtout pas un roman
que les gens réagissent.
ennuyeux, voire rébarbatif. C’est un roman léger et vif. On a envie d’être derrière Corentin et de lui dire : Vas-y !
LFC : L’éditeur, a-t-il validé votre titre de livre
On est avec toi, Corentin ! Ce roman ne va pas vous
facilement ?
redonner la foi dans la finance, mais cela va vous redonner foi en l’humanité. C’est un livre qui met en
180
PG : J’ai un éditeur qui a vraiment suivi le projet.
scène le collectif. Ce sont des gens qui ensemble font
Ce sont les vrais noms dans le livre. J’assume. J’y
quelque chose. Dans une époque où les familles font
vais ! (Rires) L’éditeur a été incroyablement
de moins en moins de choses ensemble. Nous sommes
compréhensif. C’est ma première expérience dans
tous avec l’iphone à table. Nous avons très peu de
l’édition et j’ai vu des gens motivés, qui se
moments tous ensemble. Regarder une merde en
marraient. Quand je leur ai parlé de la couverture,
famille à la télévision, je trouve cela cool. Parce que
ils m’ont dit ok. J’ai donc travaillé avec un créatif
nous partageons un moment. Avec ce roman, certains
de mon agence Alexandre Faure. Quand vous
lecteurs m’ont dit qu’ils aimaient retrouver cet esprit de
avez un éditeur derrière vous sur un premier
famille. Les gens sont en manque de cela. C’est aussi
roman, je dois bien reconnaître que c’est très
un livre sur la volonté et sur le fait que les choses sont
confortable.
possibles. Tout est possible. Toujours.
ALIA CARDYN LFC MAGAZINE | #11 | JUILLET-AOÛT 2018
PHOTOS EXCLUSIVES ENTRETIEN INÉDIT PAR CHRISTOPHE MANGELLE PHOTOS : PATRICE NORMAND LEEXTRA
Juin 2018, nous avons rendez-vous dans un hôtel parisien très cosy, l'hôtel Vernet avec Alia Cardyn pour nous parler de son livre "Le choix d'une vie" (Charleston) SELINA RICHARDS dans lequel elle aborde la législation sur la procréation médicalement assistée. Photos exclusives et entretien inédit avec une écrivaine belge bien sympathique. LFC : Bonjour Alia Cardyn ! Comment êtes-
Quelques mois plus tard, j’ai commencé à écrire
vous venue à l’écriture de romans ?
le prologue, qui devait être un accouchement. Je ne sais pas pourquoi. Le premier chapitre, je
AC : J’ai toujours eu envie d’écrire. Même si je
ne savais pas quoi écrire. Brusquement, j’ai été
ne pensais pas que j’étais faite pour cela.
propulsé dans cette maison. Je suis dans le
Dans ma famille, nous faisons des études. J’ai
grand hall. Je monte les escaliers. À l’étage, il y
donc fait du droit à l'université. Et je suis
a une vue magnifique sur toute la vallée. Et se
devenue avocate. Un monde fascinant dans
trouve cette petite fille de six ans, qui est toute
lequel je sentais qu’il me manquait quelque
seule entre des policiers. Ses parents ont
chose. J’avais davantage envie de liens
disparu. C’est ainsi que commence l’écriture de
humains dans mon métier. Et surtout moins
mon premier roman… J’ai vraiment été portée
de conflits. J’ai eu la chance de rencontrer
par cette image que je vois tous les jours en
mon mari. J’ai commencé à écrire des livres
allant accompagner mes enfants à l’école. Il
de développement personnel. Même si j’avais
s’agit du roman Une vie à t’attendre maintenant
toujours ce rêve d’écrire un roman. Je ne
disponible en version poche chez Charleston.
pensais pas en être capable. Cela me faisait peur de devoir rédiger trois cents ou quatre
LFC : Vous ne pensiez pas être capable
cents pages avec une même intrigue. Un jour,
d’écrire Une vie à t’attendre. Comment avez-
nous étions en voiture. Et j’ai vu une maison
vous fait pour rendre cela possible puisque
sur une colline. J’ai dit à mon mari : le jour où
ce roman est publié aujourd’hui ?
je m’autorise à écrire un roman, je souhaite qu’il commence là, dans cette maison. 182
AC : Mon mari m’a dit que j’avais le droit de
L’intrigue du roman "Le choix m’indiquait que je trouverais un éditeur. d'une vie" est inspirée d’une copine Donc c’était un pari. J’ai rédigé vingt pages qui avait une amie à elle qui a fait et l’intrigue de départ était bonne. Quand un enfant toute seule. Elle a eu j’étais à la foire du livre de Bruxelles, j’ai recours à un don de sperme non rencontré Karine Bailly. Et elle a lu un peu anonyme. J’ai trouvé cette histoire plus tard à Paris les vingt pages. Elle aSété E L I N A fabuleuse. R I C H A R D S L’identité du donneur convaincue en me disant qu’elle était prête peut être connue aux dix-huit ans à signer. Je me suis engagée dans cette de l’enfant. Avant ce n’était pas aventure avec la certitude d’un contrat à la possible de savoir. Cette nouvelle clé. Mon envie profonde avec ce premier donne m’a inspiré cette histoire. prendre six mois de loisirs. Rien ne
roman, c’était de raconter une belle histoire,
183
une qui serait en phase avec mes envies,
trouvé cela génial ! (Rires) Quelques mois après,
pas forcément avec celles de tout le monde.
j’ai eu la chance que ce roman soit sélectionné
Le fait de ne pas savoir où sont les parents
pour le prix des lecteurs des magasins belges. Le
et pourquoi ils ont disparu, cela m’a
prix a été remis le jour de la fête du droit
passionné et happé dans cet univers. Un
international de la femme. Ce prix est un coup de
premier roman, ce n’est pas simple. J’ai
pouce extraordinaire. Car c’est une quarantaine de
conscience qu'il comporte de nombreuses
magasins. Je me suis retrouvée en cinquième
maladresses puisque c’était la première fois
position des meilleures ventes devant Stephen
que j’écrivais. Au fur et à mesure des livres,
King. Après huit mois que le livre était en rayon.
je pense que je m'améliorerais. Cette
Sans ce prix, je n’aurais pas été aussi haut. Ce
énergie m’a vraiment portée. Et c’est
roman a donc eu un second souffle. C’est une jolie
comme cela que j’ai réussi à écrire mon
histoire. Aujourd’hui, le livre est disponible en
premier roman Une vie à t’attendre.
version poche.
LFC : Comment avez-vous vécu l’accueil
LFC : Le choix d’une vie, c’est votre deuxième
de ce premier roman ?
roman.
AC : C’était très particulier. J’étais une
AC : Comme je suis passionnée, ça me porte. Ceci
romancière très naïve. Je le suis d’ailleurs
dit, je suis une personne qui se remet toujours en
encore pour de nombreuses choses. J’ai
cause. J’ai lu une trentaine de fois le manuscrit Le
découvert que chaque lecteur pouvait
choix d’une vie. Je ne le trouvais jamais assez bon.
comprendre une intrigue de manière
Je ne pense jamais que mon texte est génial. Pour
différente de celle que j’ai proposée.
écrire le second, je me suis appuyée sur
Certains lecteurs ont vu des intrigues là où
l’expérience du premier. Ainsi, je me suis sentie
je n’ai même pas voulu en mettre. J’ai
plus à l’aise. J’ai tiré les leçons du premier en
ALIA CARDYN
LFC MAGAZINE #11
Ce qui est complexe dans l’écriture d’un roman, c’est de construire les personnages et surtout de les incarner. J’aime que le lecteur soit en immersion, qu’il ressente les émotions de chacun. Ainsi, une fois la charge émotionnelle communiquée,Sle moins dans le E L Ilecteur N A R I C H A sera RDS jugement et davantage dans la bienveillance. écoutant les avis de la maison d’édition et
enfant toute seule. Elle a eu recours à un don
ceux des lecteurs dans l’idée de proposer
de sperme non anonyme. J’ai trouvé cette
un meilleur roman.
histoire fabuleuse. L’identité du donneur peut être connue aux dix-huit ans de l’enfant. Avant
LFC : Vous parlez dans ce roman de la
ce n’était pas possible de savoir. Cette
maternité, du désir d’enfant…
nouvelle donne m’a inspiré cette histoire.
AC : J’ai voulu aborder la législation sur la
LFC : Comment votre roman a-t-il été
procréation médicalement assistée. C’est
compris par les lecteurs ?
le thème le plus important pour moi en tant qu’ancienne avocate. En Belgique,
AC : C’est un roman engagé. Toute la presse
cela fait partie de notre vie. Un couple
belge aime. En France, c’est plus compliqué.
hétérosexuel, un couple homosexuel ou
Vous êtes peu nombreux à me donner la
un célibataire… J’ai mené une enquête par
parole. Le roman a été publié au moment où
le biais d’entretiens. Et je me suis très vite
les états généraux ont débuté sur la question.
rendu compte qu’en France, ce n’était pas
C’est un outil pédagogique qui permet
la même chose. J’ai été choquée. J’ai
d’aborder la question sans être choqué, tout
souhaité construire une intrigue dans
en se divertissant. Les lecteurs français sont au
laquelle le lecteur pourrait la vivre. L’idée,
rendez-vous malgré le sujet tabou. Les
c’était de se mettre dans les chaussures de
blogueurs ont noté des progrès rédactionnels.
quelqu’un qui n’a pas le contexte qu’il faut
Ce qui m’a fait plaisir.
pour pouvoir concevoir un enfant naturellement. J’ai choisi Marie qui a vingt-
LFC : Vous proposez des romans féminins
quatre ans qui a la réserve ovarienne
qui ont beaucoup de fond.
faible. L’intrigue est inspirée d’une copine qui avait une amie à elle qui a fait un
185
AC : Je fais des recherches. Je réalise des
entretiens avec des médecins, des
LFC : Vous invitez le lecteur à vivre
psychologues, une femme politique belge
la problématique de Marie, celle
qui a fait un enfant toute seule. J’ai eu
d’être dans la difficulté d’essayer
l’honneur qu’elle me donne accès à un
d’être enceinte…
univers intime qui m’a passionné. Je ne voulais ni écrire un documentaire ni être
SELINA donneuse de leçons. C’est une chance
AC : C’est compliqué d’essayer
R I C Hd’ouvrir A R D S les esprits en disant que tout
fabuleuse d’avoir pu mener ces entretiens.
le monde a le droit au même droit.
Pour chaque roman, je ferais la même
C’est une évidence. Les gens ont
chose. Je réaliserais des interviews. Nous
souvent besoin de l’émotion pour que
croyons tout savoir. Mais dans les faits,
leur esprit s’ouvre. Ils ont besoin de
nous en savons très peu.
s’identifier pour mieux comprendre. Assimiler que Marie n’a pas d’autre
LFC : Au cours de l’écriture, quel est le
choix que d’avoir recours à la
plus difficile ?
procréation médicalement assistée. Le lecteur est au cœur de son combat
AC : Ce qui est complexe dans l’écriture
et aux premières loges de son
d’un roman, c’est de construire les
parcours du combattant.
personnages et surtout de les incarner. J’aime que le lecteur soit en immersion,
LFC : Quand pourra-t-on espérer lire
qu’il ressente les émotions de chacun.
votre troisième roman ?
Ainsi, une fois la charge émotionnelle communiquée, le lecteur sera moins dans
AC : Je vous annonce qu’on pourra le
le jugement et davantage dans la
lire début février 2019. Il est écrit. Je
bienveillance.
peux vous dire que ça parle d’amour.
Les gens ont souvent besoin de l’émotion pour que leur esprit s’ouvre. Ils ont besoin de s’identifier pour mieux comprendre. Assimiler que Marie n’a pas d’autre choix que d’avoir recours à la procréation médicalement assistée. Le lecteur est au cœur de son combat et aux premières loges de son parcours du combattant. 186
ALIA CARDYN
LFC MAGAZINE #11
MIREILLE CALMEL LFC MAGAZINE | #11 | JUILLET-AOÛT 2018
PHOTOS EXCLUSIVES ENTRETIEN INÉDIT
PAR CHRISTOPHE MANGELLE PHOTOS : PATRICE NORMAND LEEXTRA
Juin 2018, nous avons rendez-vous dans un café parisien chic et sympathique, dans le quartier du Marais avec la pétillante Mireille Calmel pour nous parler de son vingtième livre "La fille des templiers" SELINA RICHARDS (XO Éditions). Au programme : aventure, suspense sous une plume alerte. Très bon livre pour l'été en attendant la suite cet automne... Photos exclusives et entretien inédit.
LFC : Bonjour Mireille Calmel ! Pourquoi
ne voyais pas ce que je pouvais apporter de
publiez-vous autant ?
plus à l’histoire. J’ai lu une quantité d’ouvrages sur les templiers. Et franchement, je n’avais rien
MC : J’ai beaucoup d’histoires à raconter à
de plus à proposer comme valeur ajoutée. Si
mes lecteurs. Et en même temps, j’ai retrouvé
c’est juste pour faire un énième livre sur les
mon rythme d’écriture d’avant. J’ai eu des
templiers, cela n’a aucun intérêt pour moi et
années noires, difficiles, avec des problèmes
encore moins pour les lecteurs. J’aime bien
de santé, un parcours médical délicat.
sortir des sentiers battus. Il y a un an et demi, j’ai
Effectivement, par la faiblesse du contexte,
une lectrice qui avait lu Aliénor et qui m’a
j’écrivais moins. Seulement, mon rythme
contacté. Je savais que son rêve était d‘acheter
d’écriture, c’est celui-là. Je me sens bien
un bien qui avait appartenu aux templiers.
dedans. L’enjeu, c’est d’avoir suffisamment
C’était un rêve de gosse. Elle m’a contacté par
de matériels sur lesquels écrire, de
le biais de Messenger en m’expliquant qu’elle
documentations pour poursuivre. J’ai eu une
avait réalisé son rêve d’achat, qu’elle avait
chance extraordinaire que ce soit sur Les
acheté une vieille ferme templière avec une
lionnes de Venise ou sur La fille des templiers.
tour en pierre à côté, près de la ville de Troyes. Et en rénovant l’intérieur de la tour, elle a trouvé
LFC : De quelle chance nous parlez-vous ?
des documents signés par le premier grand
Expliquez-nous !
maître de l’ordre des templiers Hugues de Payns. Elle découvre cela. Et elle ne sait pas
189
MC : J’avais dit : jamais, je n’écrirais sur les
quoi faire. C’est écrit en latin. Elle n’y comprend
templiers. Tout a déjà été dit. À partir de là, je
rien. Nous nous rencontrons, et je découvre
quelque chose de particulier sur les templiers, une approche que personne n’avait faite : un lien entre les templiers, la Saint Ampoule et le sacre des Rois de France. LFC : C’est génial…
SELINA
MC : Oui, car j’ai enfin de la matière brute. Ceci dit, il a fallu faire authentifier le document. C’est en cours et cela va prendre
"La fille des templiers" est vraiment née de la rencontre entre une lectrice passionnée et RICHARDS une romancière que je suis. C’est au-delà de l’histoire du livre.
un certain temps. Et ensuite, qu’est-ce que j’en fais ? Je construis une histoire en
LFC : Pouvez-vous nous parler de Flore ?
cherchant à vérifier toute l’histoire du temple et tout le reste, pour savoir si nous sommes
MC : Flore est une jeune femme, la fille d’un
vraiment passés à côté de quelque chose.
couple de fermiers d’un petit village à priori sans
C’est ce que je propose dans le tableau
histoire. Elle est fiancée au fils du meunier et
chronologique placé en fin de roman, où
amoureuse d’un rémouleur itinérant qui est un
effectivement nous nous apercevons que
amour sans issue. Un jour, elle rentre chez elle,
tout colle. À partir de cette information, nous
tranquillement. Au moment d’arriver chez elle, elle
pouvons recouper toutes les autres. La fille
entend un bruit de cavalcade. Le rémouleur dont
des templiers est vraiment née de la
elle est amoureuse la tire par le bras et la protège
rencontre entre une lectrice passionnée et
en lui disant de ne pas rentrer chez elle. C’est trop
une romancière que je suis. C’est au-delà de
tard pour ses parents. Elle ne peut pas rentrer chez
l’histoire du livre.
elle parce que le Roi avant de mourir a prononcé son nom. C’est le départ de l’histoire pour elle qui
LFC : Vous avez un lien très fort avec vos
va être traquée par l’inquisition et par le Roi de
lecteurs depuis toujours.
France. Le rémouleur va essayer de la soustraire à tous ces gens qui lui veulent du mal. Alors qu’elle
MC : Bien sûr. Je rencontre mes lecteurs très
ignore pourquoi. L’ambiguïté est là. Son nom est
régulièrement pendant les salons du livre.
lié à une malédiction qui petit à petit tue les Rois
D’ailleurs, très régulièrement, les lecteurs me
de France, les uns après les autres. Elle n’en sait
proposent des idées. Mais cette fois-ci,
pas davantage.
c’était inédit ce document. En travaillant sur ce roman, j’ai même de la matière pour une
LFC : Pouvez-vous nous parler de Jeanne ?
autre série. C’est magique ! Plus j’ai de la matière, plus mon imaginaire s’active. 190
MC : Jeanne de Dampierre est une béguine. Le
M I R E I L L E L F C
C A L M E L
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Ces héroïnes sont captivantes. J’essaye de leur insuffler cette énergie parce qu’elles font partie de moi. Je me rends compte que cela aide les lecteurs à surmonter de nombreux problèmes du LINA RICHARDS quotidien etS Ede s’évader vraiment. béguinage était un ordre qui accueillait les
Tout le monde imagine une fortune colossale.
femmes qui étaient veuves ou mères
Sauf que la fortune n’est pas nécessairement
célibataires. Il n’y avait pas la rigidité de
que de pièces d’or. Là, nous allons chercher
l’esprit monastique. Mais au moment où
très loin parce que le trésor caché est un trésor
commence le livre en 1322, l’ordre a été
roumain, qui a sa raison d’être, à cause du lien
dissout. Charles IV, le roi en place, redonne
avec le mystère de la Sainte Ampoule. Tout est
vie au grand béguinage de France, pour
lié. Cela se lit comme un thriller, avec une
lui maintenir sa maîtresse Jeanne de
enquête, une course-poursuite… Les
Dampierre, qui est la fille de la comtesse
sentiments sont forts. Les personnages sont
du village où était Flore. Jeanne vient de
toniques. Constamment mis en danger, devant
découvrir un secret lié à sa mère et à sa
l’épreuve, ils se relèvent. Ce sont des héroïnes
famille qui l’oblige à prendre des décisions
qui me ressemblent. Plus on les enterre, plus
radicales qui impliquent la destinée du Roi
elle relève la tête.
de France, lui-même. Elle va faire des choses qui vont à l’encontre de ses
LFC : Ces héroïnes, qu’apportent-elles aux
sentiments pour le Roi. Les deux destins
lecteurs ?
de Jeanne et Flore sont mêlés. Ils vont les entraîner malgré elles dans une histoire
MC : Une énergie. Elles sont captivantes.
rocambolesque.
J’essaye de leur insuffler cette énergie parce qu’elles font partie de moi. Je me rends
LFC : Avec une histoire de trésors
compte que cela aide les lecteurs à surmonter
cachés…
de nombreux problèmes du quotidien et de s’évader vraiment. Ce qui marque le succès
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MC : Un trésor caché qu’on ne peut
des romans légers, young adult et autres, c’est
absolument pas imaginer. Nous cherchons
que les lecteurs ont besoin à la fois d’être
depuis des siècles le trésor du temple.
confrontés à de la légèreté et à de la peur de
manière viscérale. Je vais lire un livre qui
du procès de l’ordre du Temple, les livres, etc.
va réveiller mon instinct de survie sans me
J’ai approfondi un travail de recherches
mettre en danger. C’est là-dessus que
minutieux. J’ai rencontré des historiens. Je vérifie
repose le succès des polars, des thrillers,
tout ce que je dis.
etc. C’est une montée d’adrénaline qui va nous faire palpiter et qui nourrit notre
LFC : Quand est prévu le tome 2 ?
instinct de survie, qui nous donne cette
SELINA énergie du quotidien pour nous battre.
R I MC C H :ASuite R D Sà la fin brutale du premier tome, je peux annoncer la sortie du tome 2 pour octobre
LFC : Vos romans historiques sont
2018. Je souhaitais que les lecteurs n’attendent
proches des séries TV.
pas trop entre la sortie du tome 1 et 2. Le deuxième tome démarre très fort aussi.
MC : Aujourd’hui, de plus en plus de lecteurs sont des amateurs de série TV. Ils
LFC : La fille du Templier, c’est votre 20e
ont l’habitude des cliffhangers réguliers.
roman. Vos impressions ?
Très souvent, après la saison 1, ils veulent regarder la saison 2 tout de suite. D’où la
MC : Vingt romans en dix-huit ans. C’est une
raison pour laquelle quand je propose une
aventure extraordinaire.
série, c’est de la publier au cours de l’année, pour éviter aux lecteurs d’attendre
LFC : Aimeriez-vous voir l’un de vos romans
trop longtemps. Sans que cela nuise à la
adaptés au cinéma ?
qualité de l’écriture et à la profondeur des personnages, j’aime bien l’idée que mes
MC : Oh oui, j’en rêve toujours ! Seulement mes
romans soient lus et appréciés comme des
histoires à adapter à l’écran exigent des budgets
séries TV. Plus le personnage est fouillé et
importants. Un jour peut-être… La fille du templier
dense, plus le lecteur va s’y attacher. Je
est le roman selon moi le plus facile à adapter.
veille à ne pas sacrifier l’écriture. Car un
Les lieux sont accessibles. Et surtout très simple
lecteur reste un lecteur. Et puis, moi, je suis
à mettre en scène, car peu de personnages sont
une romancière, pas une scénariste. Cette
dans le livre. J’espère un jour que cela puisse se
écriture visuelle me correspond
faire. Car il y a une très bonne histoire à raconter
complètement.
aux futurs spectateurs.
LFC : Quelles sont les autres sources
LFC : On vous offre le mot de la fin…
utilisées pour écrire La fille des
Templiers ?
MC : J’embrasse très fort les lecteurs. Et surtout qu’ils viennent me raconter de belles histoires.
MC : Les autres sources sont les minutes
193
Car je n’ai pas fini d’en écrire.
M I R E I L L E L F C
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JUILLET-AOÛT 2018
DOUGLAS KENNEDY
PHOTOS EXCLUSIVES ENTRETIEN INÉDIT PAR CHRISTOPHE MANGELLE PHOTOS : JULIEN FAURE LEEXTRA
Juin 2018, nous avons rendez-vous dans un café parisien où Douglas Kennedy à l'habitude d'écrire. D'ailleurs, il a rédigé quelques pages de sa grande saga "La symphonie du S E L I N A R Iici C H Amême. RDS hasard" Trois romans fascinants sur l'Amérique qui font une fresque haletante mêlant petite et grande histoire. Photos exclusives et entretien inédit.
LFC : Bonjour Douglas Kennedy ! À quel
en imaginant une grande saga comme Balzac.
rythme écrivez-vous ?
C’est pour moi un modèle avec La comédie humaine, la famille, les secrets… J’ai pensé tout
DK : J’ai une discipline immense. Je pense
cela, mais pas d’une manière balzacienne et
que je peux écrire partout, dans des lieux
globale. C’est juste dans l’idée des trois livres.
calmes comme dans des lieux bruyants.
Après le reste, c’est ma personnalité. Balzac
D’ailleurs, dans le café où nous sommes, j’ai
parlait de la famille et de l’argent. Pour lui,
écrit quelques pages de La symphonie du
c’étaient des thèmes immenses. J’ai voulu
hasard. L’écriture, c’est un acte quotidien
parler de la famille comme miroir de la société.
chez moi. C’est au milieu de la vie. J’ai des
Ça, c’est balzacien.
enfants. Je me souviens très bien lorsqu’ils étaient jeunes et bruyants. Je travaillais
LFC : Vous dites que c’est une période où
malgré les nuisances. Ce qui m’a aidé, c’est
l’espoir est permis.
que j’ai beaucoup de mémoire. Et puis, j’utilise les écouteurs pour m’isoler. Parfois,
DK : Pas comme aujourd’hui. (Rires) Il n’y a pas
d’ailleurs, j’aime bien écrire avec de la
d’espoir aujourd’hui. C’est horrible. Je me
musique.
souviens très bien parce que ce sont mes dates. Au début des années 70, nous assistons aux
LFC : Vous publiez trois romans La
bouleversements politiques, non seulement aux
symphonie du hasard (Belfond)…
États-Unis (Guerre du Vietnam, arrivée de Nixon au pouvoir puis Watergate), mais aussi en
DK : J’ai écrit ces trois romans en quinze mois 196
Irlande (attentats terroristes) et au Chili (coup
DOUGLAS KENNEDY - LFC MAGAZINE #11
d’État contre Allende). J’entremêle la petite et la grande histoire, par effet de miroir : conflits internationaux versus conflits familiaux. LFC : Quel est votre film préféré ?
E L I Net A DK : Un de mes films préférés est LaSMaman la Putain de Jean Eustache. C’est
extraordinaire ! Le film est sorti en 1973 et c’est le Paris que j’aime, celui de l’époque.
Un de mes films préférés est "La Maman et la Putain" de Jean Eustache. C’est ! Le film R I Cextraordinaire HARDS est sorti en 1973 et c’est le Paris que j’aime, celui de l’époque.
LFC : Vous évoquez les années SIDA dans La symphonie du hasard. Vous en parlez
eurs droits et ont fait bouger les lignes aujourd’hui.
avec beaucoup d’émotion…
La tragédie du SIDA a créé un sursaut, des réactions pour améliorer la vie des homosexuels.
DK : Je me souviens très bien à la fin des
Même si le mariage gay est passé aujourd’hui, ce
années 70, avant mon départ à Dublin, j’ai
n’est pas acquis. J’ai peur que Trump touche au
passé huit mois à New York. J’ai fréquenté de
mariage gay, car il a les chrétiens dans la poche.
nombreux homosexuels. Tous mes amis de l’époque sont décédés du SIDA. Un de mes
LFC : Vous parlez de guerre culturelle.
meilleurs copains de l’Université, qui était dans le placard, puisqu’à l’époque c’était
DK : Dans le livre, je parle du début de la guerre
difficile de le dire, lui aussi est mort du SIDA.
culturelle qui maintenant est omniprésente. C’est
Je l’ai vu au restaurant à New York. Il avait
horrible. Les États-Unis vivent le pire aujourd’hui.
perdu vingt-cinq kilos. Des stigmates
Peut-être qu’un grand changement viendra.
abîmaient sa peau fragile. Il m’a dit qu’il avait
Seulement, j’en doute. De plus en plus, j’ai peur.
plus que six semaines à vivre. Il est mort la
Parce que les extrêmes sont partout : Trump, Le
quatrième semaine. C’est un ami qui me
Pen, Le Brexit… Aujourd’hui, le résultat, c’est la
manque beaucoup. J’ai été très marqué.
condition humaine. Depuis de nombreuses
J’avais trente-quatre ans et c’était avant la
années, nous avons vécu dans une stabilité, sans
naissance de ma fille. Ce drame m’a renvoyé
guerre mondiale. Mais en ce moment, nous
à des interrogations : et si je mourrais à cet
sommes sur le début de quelque chose de
âge-là ? J’ai eu peur. Mon ami était au début
différent et d’inquiétant pour la paix.
de sa vie. Et c’était sans espoir. Et
198
étrangement, le SIDA a eu un impact
LFC : Ces trois romans sont un voyage dans les
important pour les homosexuels. Ils étaient
décennies passées pour mieux comprendre le
très militants et grâce à cela, ils ont défendu
monde d’aujourd’hui. Vous nous parlez de la
D O U G L A S L F C
K E N N E D Y
M A G A Z I N E
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Je suis très pessimiste. Les gens des extrêmes ont trop de pouvoir dans les quatre coins du monde. Je pense que Trump est très bien installé aux États-Unis et qu’il a toutes ses chances de gagner les prochaines élections. SELINA RICHARDS Trump profite et tout va chuter. part d’ombre du passé pour mieux
DK : Je suis très pessimiste.
appréhender notre époque.
Les gens des extrêmes ont trop de pouvoir dans les
DK : C’est l’idée de ces trois romans
quatre coins du monde. Je
pour comprendre notre époque. Le
pense que Trump est très
passé est toujours dans notre présent.
bien installé aux États-Unis
On comprend pourquoi nous sommes
et qu’il a toutes ses chances
ici.
de gagner les prochaines élections. Trump profite et
LFC : Vous mélangez l’histoire de
tout va chuter.
vos personnages avec l’Histoire du monde.
LFC : Aimeriez-vous écrire encore sur Trump ?
DK : Oui, j’aime cela. Parler des personnages, les faire aimer du
DK : J’en parle dans le livre.
lecteur pour qu’ils comprennent sans
Mais bien sûr, j’ai encore des
jugement les conséquences des
choses à dire sur lui.
événements connus de tous dans le passé. Derrière des dates importantes,
LFC : L’écriture, est-ce une
il y a la vie des anonymes. Et ces
arme ?
inconnus peuvent être nous, un ami, un membre de votre famille, un voisin,
DK : Une arme redoutable.
n’importe qui.
Absolument. J’écris pour me défendre. La culture est
200
LFC : Êtes-vous optimiste ou
essentielle. Il faut lutter
pessimiste pour notre avenir ?
contre les écrans.
LFC MAGAZINE
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JUILLET-AOÛT 2018
MARY LYNN BRACHT PHOTOS EXCLUSIVES ENTRETIEN INÉDIT
PAR CHRISTOPHE MANGELLE PHOTOS : CÉLINE NIESZAWER LEEXTRA
Juin 2018, nous avons rendezvous dans un quartier parisien très cosy pour rencontrer Mary Lynn Bracht. Elle nous SELINA RICHARDS parle de premier roman, un bijou, "Filles de la mer" (Robert Laffont). Photos exclusives et entretien inédit. LFC : Bonjour Mary Lynn Bracht ! Comment
les pays en guerre, les militaires, tout cela font
est née l’écriture de ce roman Filles de la
partie de mon histoire.
mer ? Paraît-il que dans son premier roman, on parle beaucoup de soi ? Qu’en dites-
LFC : Pour écrire ce roman, vous avez fait des
vous ?
recherches. Quelles sont vos sources ?
MLB : Vous avez bien raison. Dans un premier
MLB : Pour écrire Filles de la mer, j’ai lu de
roman, on puise beaucoup de soi. Je voulais
nombreux livres. J’évoque à la fin du roman tous
écrire sur la condition des femmes, celles qui
ces ouvrages. Ces œuvres sont la base de la
ont été soumises à l’esclavage au XXe siècle.
documentation. Grâce à ces écrits, j’ai pu
J’étais indignée par la situation que certaines
raconter mon histoire avec précision. D’autres
femmes ont vécue. Ce fort sentiment ressenti,
sources primaires proviennent également
je n’ai eu d’autres choix que d’écrire. Pour
d’internet. J’ai trouvé des éléments constructifs
elles.
en ligne sur les Nations Unies.
LFC : Cette histoire a-t-elle un lien avec
LFC : Vous parlez de l’histoire de la Seconde
votre mère ?
Guerre mondiale en Asie. Et vous évoquez deux personnages féminins, deux sœurs. Nous
MLB : Ma mère est née le jour où la guerre
avons entendu le point de vue des hommes.
avec la Corée s’est terminée. Mon père était
Peu celui des femmes…
militaire dans l’armée. C’est pour cela que j’ai voyagé dans plusieurs pays. Effectivement, 202
MLB : C’était important de bien souligner ce qui
M A R Y L F C
L Y N N
B R A C H T
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arrive aux femmes pendant la guerre. J’ai grandi dans le milieu militaire. Et ce sont surtout les soldats hommes qui disaient que c’était un peu facile pour les femmes, qu’elles n’ont pas à se battre, qu’elles étaient en retrait. Dans cette histoire, les femmes ne
S dit, E Lcela INA peuvent pas être dans l’armée. Ceci ne les empêche pas pour autant de souffrir énormément. LFC : Dans ce roman, vous racontez le récit d’Hana en 1943 et celui d’Emi en 2011.
Quand j’ai dû écrire toutes les scènes sur la violence, la brutalité, le viol, ces moments extrêmement difficiles et douloureux, j’ai eu beaucoup de mal émotionnellement. RICHARDS Alors quand le matin, j’étais face à ce monde sordide, j’avais plutôt envie d’exprimer autre chose, voire de procrastiner. écrit cette histoire, je craignais de ne pas être
MLB : J’ai commencé à écrire le récit d’Hana
lu. Je pensais que cette fiction était très
en 1943. Quand j’ai dû écrire toutes les
déprimante pour que les lecteurs s’y
scènes sur la violence, la brutalité, le viol, ces
intéressent. Qui souhaite lire des histoires
moments extrêmement difficiles et
sombres qui se passent en Corée ? Quand j’ai
douloureux, j’ai eu beaucoup de mal
su que le livre serait publié en France, je
émotionnellement. Alors quand le matin,
n’avais aucune idée de l’accueil que le
j’étais face à ce monde sordide, j’avais plutôt
lectorat français ferait à Filles de la mer. Je
envie d’exprimer autre chose, voire de
suis donc soulagée et très heureuse que ce
procrastiner. J’ai donc eu l’idée d’écrire le
roman touche les gens. Je reçois beaucoup
personnage d’Emi. À ce moment-là, Emi a pris
de messages de lecteurs. Ils sont
de l’ampleur et son envol. Ensuite, cela a été
bouleversés. C’est merveilleux !
plus facile pour écrire les scènes avec Hana. La double narration s’est mise en place ainsi
LFC : Ce roman est sombre avec de l’espoir.
et s’est construite de manière naturelle. MLB : J’ai été inspiré par le roman Beloved de LFC : L’émotion de ce roman déclenche
Toni Morrison. C’est un livre à la fois horrible
des réactions incroyables. La blogosphère
et magnifique. J’ai essayé de faire la même
s’agite et les libraires, dont Gérard Collard
chose avec Hana qui vit une situation difficile.
font du bruit à propos de votre roman.
Et puis, parfois, le lecteur vit des moments de
Comment vivez-vous cet accueil ?
lumière, quand elle se rappelle comment elle se sent dans l’eau. Dans les pages, par
204
MLB : C’est un grand bonheur ! Ces réactions
touche, des instants de grâce viennent
sont surprenantes. Bien sûr, je suis très
s’opposer à la noirceur de l’histoire. Ainsi,
touchée de cet engouement. Lorsque j’ai
l’espoir réside.
M A R Y L F C
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Ce roman a changé des choses dans ma vie. Pendant que je l’écrivais, dans ma vie personnelle, je vivais des moments sombres. J’ai dû apprendre à trouver un équilibre entre ma vie et les émotions causées par l’écriture de S E L I NJe A Rme I C H Adevais RDS "Filles de la mer". de faire la différence entre les deux formes d’émotion. LFC : Les lecteurs sont partout, au-delà de
MLB : Très bonne question.
votre pays. Quelles sont vos impressions ?
Ce roman a changé des choses dans ma vie. Pendant
MLB : Je suis très surprise. Et effectivement,
que je l’écrivais, dans ma vie
je suis très reconnaissante. Les lecteurs me
personnelle, je vivais des
confient qu’ils ne connaissaient pas cette
moments sombres. J’ai dû
partie de l’Histoire. Au-delà d’apprendre
apprendre à trouver un
quelque chose, ils sont très émus.
équilibre entre ma vie et les émotions causées par
LFC : Écrivez-vous un autre roman ?
l’écriture de Filles de la mer. Je me devais de faire la
MLB : Je suis en train d’écrire. Je n’ai pas
différence entre les deux
encore terminé. Autant avec ce premier
formes d’émotion.
roman, le temps d’écriture était rapide. J’ai consacré six mois pour la rédaction du
LFC : On vous laisse le mot
manuscrit. Pour le second roman, c’est bien
de la fin…
plus long. Cela fait déjà plus de deux ans que j’y pense, que je travaille dessus. Cela
MLB : Je suis très heureuse de
me demande plus de temps pour mûrir ce
l’accueil de ce roman en
second livre.
France, d’être là pour en parler avec les lecteurs. Je
206
LFC : Ce roman Filles de la mer a
vous remercie de l’intérêt
bouleversé les lecteurs. Et vous, qu’a-t-il
adressé à Filles de la mer que
bouleversé en vous ?
j’affectionne particulièrement.
M A R Y L F C
L Y N N
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LFC MAGAZINE #11 - JUILLET AOÛT 2018
PHOTOS d'Antoine Verglas Studio et Nikos Aliagas (cover + page intérieur)
INTERVIEW INÉDITE par Christophe Mangelle
MARC LEVY SOUS L'INFLUENCE D'ARMISTEAD MAUPIN
Marc Levy est l'auteur français le plus lu dans le monde avec 19 romans publiés dont les 18 précédents, traduits en 49 langues et publiés à plus de 42 millions d'exemplaires (source site internet de l'auteur). Parcours impressionnant, hors norme, l'écrivain continue son chemin en honorant son rendez-vous annuel avec les lecteurs en publiant "Une fille comme elle" (Robert laffont/Versilio) uniquement parce qu'il a une histoire à raconter et non par obligation de sortir un roman, nous confie-t-il. Rencontre dans un palace parisien pour un entretien matinal. LFC : Bonjour Marc Levy ! Vous publiez "Une fille comme elle" (Robert Laffont/Versilio), c’est votre dix-neuvième roman. ML : Déjà ! LFC : Pensiez-vous en écrire autant quand vous avez commencé ? ML : Non, vraiment pas. Je n’avais aucun calcul en tête quand j’ai commencé. Ni même d’ailleurs le fait d’avoir commencé, si je peux être précis. J’ai toujours écrit par plaisir, par désir. Les romans se sont toujours enchaînés parce que j’aime raconter des histoires à voix basse dans mes livres. Je n’ai jamais été poussé que par cela. C’est uniquement cette joie, ce bonheur, cette immersion que me procure l’écriture. Commencer un roman, c’est une LFC MAGAZINE #11 | 209
plongée en apnée vers un univers très différent du vôtre. Quand je plonge dans ce grand bleu, je ressens à la fois une inquiétude professionnelle qui est d’ailleurs liée à tous les métiers d’artisanat, qu’on exerce avec passion… Nous nous demandons toujours : vais-je y arriver ? Mais audelà de cela, une magie opère sur celui qui est aux commandes du mini sousmarin, si vous me permettez cette image. C’est la rencontre avec ses personnages, la découverte avec l’univers dans lequel ces derniers vont évoluer. J’ai toujours agi par amour pour ce travail, avec cette envie indéfectible de faire. LFC : Ces personnages font vos romans. Et vos romans vous font voyager à travers le monde. Comment vivezvous cet accueil des lecteurs en dehors de nos frontières ? ML : C’est à la fois un grand bonheur et un grand mystère. Quand j’ai écrit Le voleur d’ombres, un roman plus personnel, sans m’en rendre compte, j’ai parlé de mon enfance. Toute une partie du roman, le lecteur voit grandir un enfant dans
une petite école de province française. Et c’est probablement, le plus français de mes romans. Une seule seconde, je n’imaginais pas que les états d’âme de ce petit écolier français puissent avoir de l’intérêt au-delà de nos frontières. C’est un livre qui s’est vendu à plusieurs millions d’exemplaires en Chine, qui a reçu un très bel accueil en Russie, au Vietnam. Si bien que les Chinois n’arrêtent pas de me demander d’en écrire la suite. C’est donc un mystère que nous ne pouvons absolument pas anticiper. Même chose pour le roman Elle & lui, pourquoi s’est-il vendu à plus de 500 000 exemplaires aux États-Unis ? Je n’en sais rien. C’est donc un énorme bonheur d’être lu. C’est extrêmement joyeux par exemple de voir sur Instagram la photo d’un lecteur qui a photographié l’un de mes bouquins dans une bibliothèque au Népal. Quand on aime la diversité du monde et les voyages, imaginez que mes bouquins sont aux quatre coins du monde, c’est un réel bonheur ! Pas au sens fierté, gloire, égo ou encore prétention, juste dans cet amour du livre et de voir le livre voyager. LFC : Vous êtes un des rares romanciers français à être lu aux États-Unis. ML : C’est un privilège. Cela me
LFC MAGAZINE #11 | 210
C’est extrêmement joyeux par exemple de voir sur Instagram la photo d’un lecteur qui a photographié l’un de mes bouquins dans une bibliothèque au Népal. rend très heureux. LFC : Quels sont les moments qui vous ont ému durant votre parcours ? ML : Le jour où mon éditeur Chinois m’a appelé pour me dire que j’étais dans le top 3 de la liste des best-sellers en Chine. Là, je me suis pincé. Cette nouvelle m’a vraiment touché. C’est idiot, mais c’était pour moi tellement improbable. J’ai d’ailleurs repensé à ma grand-mère qui disait : on peut se régaler d’un gâteau sans avoir besoin de savoir comment il a été fait. LFC : Votre dix-neuvième roman, "Une fille comme elle", propose une palette de personnages. New York est un personnage à part entière dans ce roman. ML : Dans ce roman, trois lecteurs peuvent voir trois personnages principaux et différents dans cette histoire. Pour l’un, ce sera New York. Pour le deuxième, ce sera Chloé. Et pour le troisième, ce sera Sanji, voire un quatrième Deepak. C’est vraiment ce que j’avais envie de faire. La couverture du roman correspond complètement à l’intention que j’ai eue en écrivant ce roman. Lorsque j’étais gosse - je ne sais pas si vous partagez cela avec moi - j’étais
habité par cette curiosité en me promenant dans les rues. Et je me demandais ce qui se passait derrière les façades d’immeubles. Cette curiosité m’a donné envie de pousser la porte avec le lecteur en bandoulière. Ensemble, nous allons nous faufiler dans la cage d’escalier. Et nous allons épier ce qui se passe dans cet immeuble. Une fois que nous avons franchi cette façade en ouvrant la couverture, nous entrons dans l’immeuble pour découvrir la vie de ces gens. Et en fonction de ce que nous aimons et de qui nous détestons, eh bien, le personnage principal sera soit Chloé, soit Sanji, soit Deepak. LFC : Selon les influences du lecteur… ML : Absolument. Le lecteur va être au cœur des tribulations de ces propriétaires et de l’enchaînement des quiproquos. Il y a un peu de Feydeau dans ce roman. C’est une comédie urbaine où effectivement la ville de New York est un des acteurs de ce roman. Ce qui est d’autant plus important. Contrairement à d’autres villes où je dirais qu’elle joue plus un rôle de décor, New York est une ville pleine de vie. Conformément à ceux qui la composent, elle est un personnage. D’ailleurs, dans le cinéma de Woody Allen, New York est un personnage. Je ne cite pas ce réalisateur de façon innocente parce que je vis dans son New York depuis
LFC MAGAZINE #11 | 212
dix ans. Une question qu’on m’a le plus posée, c’est : pourquoi vivez-vous à New York ? Et j’ai toujours répondu que je vivais à New York par amour. Mais peut-être que la vraie question est la suivante : comment tombe-t-on amoureux de New York ? Et surtout, comment déshabille-t-on New York ? La réponse est à l’intérieur du roman. LFC : Vous dites que dans ce roman, vos personnages sont tous singuliers, pas tous américains, mais surtout très New Yorkais. ML : C’est vrai. Quelle est la particularité de New York ? Je n’aurais pas la prétention et la certitude de dire que New York est la seule ville du monde à répondre à cela, car je n’ai pas encore eu la chance de connaître
Une question qu’on m’a le plus posée, c’est : pourquoi vivez-vous à New York ? Et j’ai toujours répondu que je vivais à New York par amour. Mais peut-être que la vraie question est la suivante : comment tombe-t-on amoureux de New York ? Et surtout, comment déshabille-t-on New York ? La réponse est à l’intérieur du roman.
toutes les villes du monde. La spécificité de New York, c’est que l’identité New-Yorkaises est construite sur la diversité. Il n’y a aucune antinomie à être étranger et New Yorkais. On compte autant d’étrangers que d’Américains à New York. Il y a ce consensus qu’un Américain du Texas New Yorkais ne revendique pas d’être plus New Yorkais qu’un italien New Yorkais. (Rires) New York, ce n’est pas un État, c’est un état d’esprit. C’est une ville qui est toute en couleur, toute en diversité. Trois cent soixante-trois communautés d’ethnies différentes cohabitent à New York et ont forgé son identité. Dans ce roman, New York est une femme sublime. J’ai pris la liberté de la déshabiller un petit peu pour la rendre sensuelle. Mais tout cela avec beaucoup d’amour. LFC : Chloé, c’est une héroïne lumineuse. Elle a un handicap visible. Et elle exerce un métier invisible, puisqu’elle est comédienne de doublage. Le contraste est touchant. ML : Chloé est une comédienne que nous ne voyons pas puisqu’elle enregistre des livres audios. C’est une femme dont le rapport présence-apparence est un dilemme tout le long du livre. Je ne pense pas avoir écrit à un moment donné du livre le mot handicap. C’était tout le pari du LFC MAGAZINE #11 | 213
Je pense que nous vivons dans une époque où nous nous observons sans nous regarder. Et où nous nous jugeons sans nous écouter. livre. La thématique du livre, c’est la différence et la perception que nous avons de la différence. Et la façon dont notre regard se porte sur les autres. Je pense que nous vivons dans une époque où nous nous observons sans nous regarder. Et où nous nous jugeons sans nous écouter. Il y a une phrase qui pour moi est une phrase motrice de ce roman. C’est quand Sanji dit : Tu imagines ce que serait le monde si les gens s’écoutaient sans s’invectiver. Nous vivons une période où nous n’arrêtons pas de nous invectiver. Parce que nous n’arrêtons pas de nous juger avant même de nous être écoutés. Une question se pose avec un livre pour celui qui l’écrit. Pourquoi ai-je écrit ce livre ? Qu’ai-je envie de raconter dans ce livre ? Je dis cela en toute humilité. En écrivant ce livre, j’ai eu envie de donner envie aux lecteurs de tomber un peu amoureux de la différence de l’autre. Je crois que de nombreux jugements reposent sur des à priori, sur des idées préconçues. Alors, certains disent méchamment sur de l’ignorance, même si j’ai plutôt envie de dire sur de la méconnaissance. De nombreux sujets de société ont animé et déchiré notre société ces dernières années. Et dont les détracteurs, je pense pour beaucoup d’entre eux, étaient mus par une méconnaissance des choses. Si par exemple, nous parlons du débat sur le mariage pour
tous, quel que soit nos orientations, comment peut-on expliquer qu’un million et demi de gens descendent dans la rue pour manifester contre des gens qui s’aiment et que nous arrivons difficilement à en réunir 200 000 pour manifester contre des gens qui bombardent des enfants contre des armes chimiques ? Je ne rentre pas dans le cœur du débat. Je constate. Où est la part d’humanité là-dedans ? Dans ce livre, j’assume totalement que les personnages soient bourrés d’humanité. Ce dont j’ai envie, c’est que cette humanité soit contagieuse. Je le dis ouvertement. C’est vraiment l’intention de ce roman. Ils sont tous différents les uns des autres. Ils viennent tous de milieux différents. Il existe des contradictions parfois burlesques. Par exemple, la situation de ce jeune entrepreneur indien qui se retrouve accidentellement liftier dans un immeuble. Aucun des propriétaires ne s’imagine que leur liftier est dix fois plus riche qu’eux. Alors qu’eux, ils se prennent pour des bourgeois en le traitant avec une certaine condescendance. Pourtant, il pourrait racheter l’immeuble avec leurs appartements inclus… Évidemment, ce sont des situations toniques et drôles. Derrière le rire, ce qui est important, c’est l’humanité. Et cette envie de contagion d’humanité entre eux. LFC : Même si c’est différent, ce roman nous a fait penser aux
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"Chroniques de San Francisco" d’Armistead Maupin… ML : (Joie/Sourire) Cela me fait un plaisir fou de vous entendre me dire cela. Je n’aurai jamais osé me comparer à cet excellent auteur. Vous ne pouvez pas me faire un plus beau compliment. Si vous me dites que c’est un Armistead Maupin du XXe siècle, nous pouvons arrêter l’interview… (Rires) Vous m’avez fait ma journée. Les chroniques de San Francisco, c’est une série de romans qui m’a rendu le plus heureux dans la vie. À chaque fois que j’ai lu un roman d’Armistead Maupin, je savais que j’allais prendre un shoot de bonheur pendant six heures de lecture. Et ressortir de là au mieux de ma forme. C’est drôle, je n’avais pas
"Les chroniques de San Francisco", c’est une série de romans qui m’a rendu le plus heureux dans la vie. À chaque fois que j’ai lu un roman d’Armistead Maupin, je savais que j’allais prendre un shoot de bonheur pendant six heures de lecture. Et ressortir de là au mieux de ma forme.
du tout pensé à la comparaison… Cela me fait vraiment très plaisir. LFC : Ce roman pourrait devenir une série de romans… ML : J’y pense beaucoup. Cela pourrait vraiment bien être le premier volet d’une série de deux, trois, quatre, cinq livres. Ce qui était très difficile dans ce roman au niveau de la conception, c’était de créer cette galerie de personnages en les faisant tous exister. Cela fait quelque temps que j’ai terminé le roman, M. Rivera est là, Mme Collins aussi… Ils sont présents. Ils m’habitent. Je vis avec eux. Je pense à eux. Maintenant qu’ils sont rentrés dans la vie des lecteurs, l’envie de continuer de les faire exister me tente énormément. LFC : Après les adaptations à l’écran pour la télévision ou le cinéma de vos succès : "Et si c’était vrai" avec Reese Witherspoon et Mark Ruffalo, "Mes amis, mes amours" avec Vincent Lindon et Pascal Elbé,
LFC MAGAZINE #11 | 216
Maintenant que les personnages sont rentrés dans la vie des lecteurs, l’envie de continuer de les faire exister me tente énormément. "Où es-tu ?" avec Cristiana Réali, avezvous d’autres projets en cours d’adaptation ? ML : Oui, le roman Elle & lui est en cours d’adaptation. Ce sera un long-métrage. Je suis très heureux que les romans deviennent des films ou des séries TV. C’est très joyeux. Quand une équipe de cinéma ou de télévision vous offre ce cadeau de donner vie à vos personnages, c’est un moment délicieux. Voir vos personnages prendre vie sous la houlette d’un acteur ou d’une actrice, c’est incroyable. Il ne faut absolument pas regarder cela en cherchant à comparer les pages que vous avez écrites. Un metteur en scène ne peut pas se limiter à filmer les pages d’un bouquin. C’est le contraire. Il faut vraiment redécouvrir comme un gosse votre histoire racontée par un autre auteur. L’honnêteté de l’adaptation, c’est celle-ci. Un metteur en scène, c’est un autre auteur à part entière, qui vient me proposer de raconter mon histoire à sa façon. Soit je le laisse faire. Soit je le fais moi-même.
LFC : Justement. Aimeriezvous faire autre chose qu’écrire ? ML : J’ai toujours agi avec un amour du métier. Je n’ai jamais calculé ce que j’ai fait. C’est avec beaucoup de spontanéité que je m’implique dans mes romans. J’ai toujours fonctionné comme ça : l’appel de l’histoire. Le rendez-vous annuel n’a jamais été un rendez-vous à date fixe. J’écris au moment où le désir est là, lorsque les personnages sont là et qu’ils ont des choses à nous dire. Et pour vous répondre sur un éventuel pas de côté, je suis ouvert à tout, tant qu’il s’agit de raconter des histoires. Il faut que cela soit du désir, du désir et rien que du désir comme disait M. Daldry. Parce que sinon, cela n’a aucun intérêt. C’est uniquement par bonheur, par joie, par désir, et aussi pour le bonheur de travailler avec les autres. Que ce travail collégial vous fasse vivre des aventures humaines vibrantes. S’il y a un luxe précieux que mon métier m’a apporté, c’est de pouvoir travailler seulement avec des gens avec lequels je m’entends. Hors de question de collaborer avec des gens
avec des gens que je n’apprécie pas. L’idée est vraiment le moteur du désir de travailler avec des gens avec qui vous avez passé un moment génial. C’est cet esprit-là que je souhaite. LFC : Que pouvez-vous dire aux lecteurs qui vous sont fidèles depuis dix-neuf ans ? ML : Merci du fond du cœur. C’est grâce à eux que j’existe depuis dix-neuf ans : fidélité, générosité, renouveau. Ils m’écrivent. Je leur réponds. Cet échange a établi une forme de complicité virtuelle et de dialogue à travers les romans. Que les livres passent d’une génération à l’autre est très touchant. J’ai beaucoup de lecteurs qui me disent qu’ils ont commencé à me lire à vingt ans… Ils en ont quarante aujourd’hui. D’autres ont vingt ans aujourd’hui et ils me racontent qu’ils ont découvert mes livres dans la bibliothèque de leurs parents. C’est le plus beau des cadeaux.
MON ACTU
à ne pas manquer LFC MAGAZINE #11 | 218
LFC MAGAZINE
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#11
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JUILLET-AOÛT 2018
CERRONE
PHOTOS EXCLUSIVES ET ENTRETIEN INÉDIT PAR CHRISTOPHE MANGELLE PHOTOS : FRANCK BELONCLE LEEXTRA
Juin 2018, nous avons rendez-vous chez Cerrone à Paris, quartier chic. Quel joie ! Musicien de disco, compositeur, producteur de musique et écrivain français, Cerrone passe de Vitry-surSeine aux dancefloors du Studio 54 . Ahmet Ertegün Records, signe S E Lpropriétaire I N A R I C H A R D d’Atlantic S Cerrone pour sept ans et trois albums. "Love in C Minor" s’écoule à 3 millions d’exemplaires. "Je Suis Music", "Look For Love" ou "Give Me Love" empoche au passage cinq Grammy Awards. Photos exclusives et entretien inédit d'un génie de la musique au destin extraordinaire.
LFC : Bonjour Cerrone ! Vous publiez
pendant quatre jours, une bonne bouteille, et
Paradise (Éditions E/P/A). Comment ce livre
nous avons eu la conversation que vous
est-il né ?
pouvez lire dans le livre Paradise.
C : Je n’ai pas eu l’idée personnelle de me
LFC : À quel moment, avez-vous eu vraiment
dire : je vais écrire ma vie. Parce qu‘elle n’est
envie d’écrire ce livre ?
pas forcément intéressante pour prendre la plume. C’est une journaliste belge qui vit aux
C : Sans vouloir être prétentieux, ce n’est pas
États-Unis qui m’a interviewé il y a une
parce qu’on vient d’une banlieue que ce n’est
quinzaine d’années. Cet entretien était un
pas réalisable. La preuve ! Ma vie n’était pas
moment de confidence. J’étais à l’aise.
tracée pour être celle-là. C’est cousu à l’huile de
Remémorer certains événements ne m’a pas
poudre. (Rires)
déplu. À cette époque, elle a été fouillée dans ma vie pour me poser des questions très
LFC : Vous êtes né à Vitry-sur-Seine.
pointues et pertinentes. Nous sommes restés très amis. Et nous nous sommes vus très
C : Je suis né à Vitry-sur-Seine dans le Val-de-
régulièrement. Un lien nous unissait. Avec ma
Marne. Je viens d’un milieu très modeste, avec
tendance bavarde, nous avons beaucoup
beaucoup d’amour, d’éducation et de moral.
échangé. Depuis un an et demi, elle m’a dit
Mon père était cordonnier. Par accident, j’ai eu
qu’elle aimerait bien mettre bout à bout
une vie incroyable.
toutes nos conversations. Nous nous sommes installés au coin de la cheminée à Ramatuelle 220
LFC : Avez-vous eu de la chance dans votre
parcours ?
C : Surtout des opportunités. Certains parleront de chance. Seulement, la chance, oui. Mais il faut encore la reconnaître.
SELINA LFC : Grâce à une erreur dans un envoi de colis, votre disque Love in C minor devient un hit aux États-Unis.
C : Nous sommes à une époque où les discothèques n’existent pas vraiment. Ce sont
221
Je suis né à Vitry-surSeine dans le Val-deMarne. Je viens d’un milieu très modeste, avec beaucoup d’éducation R I d’amour, CHARDS et de moral. Mon père était cordonnier. Par accident, j’ai eu une vie incroyable.
des night-clubs, des lieux où nous entendons
mythomanie. Je vidais les pistes d’une certaine
trente minutes de slow et trente minutes de
manière. Le titre durait seize minutes trente
musique plus rythmée, avec les DJ qui parlent
secondes. Il ne tenait qu’à moi de dire au DJ : tiens
pour endiabler la foule. Cela peut avoir des
bon ! On amenait les gens. Ils se mettaient en rond
airs de fête de la bière. La disco est un genre
de la piste. Ils écoutaient. Ils se regardaient. C’est
de musique qui me séduisait. Cela faisait
tout ce que j’avais envisagé. Ils n’avaient pas
comme les raves party, dans des lieux
besoin de se dire des choses. La musique le faisait
spécifiques. C’est comme cela que sont nés
pour eux. C’est de la mise en scène musicale. Et
les boîtes de nuit comme Studio 54, Le Palace
puis ils commençaient à danser et ils allaient
ou Les Bains Douches à Paris. J’ai voulu
demander au DJ : c’est quoi le titre de ce morceau ?
réaliser de la mise en scène musicale. La pure
Ils notaient. Ces réactions m’ont donné de
disco est une musique spéciale. Il ne faut pas
l’énergie, de l’ambition, la folie de continuer de
confondre la pure disco avec la pop disco qui
convaincre. J’ai pressé 5000 albums et cela se
a été de grand succès de chanteurs
vendait. Le buzz fonctionnait très bien. Au bout de
populaires qui seraient de toute façon
deux mois et demi, je signe avec une maison de
devenus des tubes. Mais pas forcément à la
disques française WEA en distribution, ce qui veut
sauce disco. Cela a embrouillé les gens et
dire que nous leur livrions les disques et ils les
surtout les Français. Je pensais que la pure
vendaient. Il fallait tout apprendre. Je ne savais pas.
disco pouvait marcher, à Paris et en banlieue.
J’ai appris sur le tas. Au même moment, un fan
J’étais fort sympathique avec les DJ.
américain m’a dit qu’il a retrouvé le cover de Love
J’amenais les disques. Je venais d’un groupe
in C miror. Et ça monte… Je vais au MIDEM, le
qui s’appelait Kongas. J’étais crédible. On ne
marché du disque. Je rencontre des professionnels
me prenait pas pour un blaireau. J’arrivais à
qui me disent : ça cartonne pour toi aux États-Unis.
faire passer mon disque et je vidais les pistes.
Au bout du troisième, je commence à m’interroger.
La mégalomanie est très proche de la
Je consulte le Billboard, la bible de
C E R R O N E L F C
M A G A Z I N E
# 1 1
J’aimerais que ce livre dise aux lecteurs que c’est possible, que les choses les plus folles et les plus L I N A R I C H A R D S se produire. inattenduesS Epeuvent l’industrie musicale et je vois ce disque : The
rien de sûr. Reste là. Le début de l’artiste
Heart And Soul Orchestra - Love In "C" Minor
surprise commence. C’est un moment
Cerrone. Je deviens fou ! Je pars aux États-Unis.
important du show. Et puis on s’en va.
Je frappe à la porte de la plus grande maison de
Sauf que j’entends les premières notes de
disques des États-Unis Atlantic Records. Je vais
ma musique. Pas en disque. Mais bien en
au plus haut. Quand j’explique mon histoire à
live. Alors que tous les artistes précédents,
Atlantic. Je suis très bien accueilli, car il attendait
c’était du playback. Que se passe-t-il ? On
que je vienne à eux pour me signer en tant
m’attrape le bras. On me conduit sur le
qu’artiste chez eux. Contrat signé ! Et c’est parti à
plateau. Je suis comme un enfant qu’on
une vitesse incroyable jusqu’à un Grammy Award
réveille à 2h du matin pour lui montrer ce
en 1977.
que le Père Noël a amené près du sapin. Je ne sais pas comme le gosse si je suis
LFC : Racontez-nous votre première télévision
content ou non. Je me retourne et je vois
aux États-Unis.
tout un groupe qui commence à jouer. Avec une batterie qui n’attend plus que
223
C : Je suis invité en tant que Cerrone, artiste solo.
moi. Je vais donc jouer comme un
Dans Quotidien sur TMC, ils ont diffusé un extrait
somnambule. L’émotion sur un show si
de cette émission où l’on me voit arriver. La
populaire en prime un samedi soir. Cela
maison de disques m’invite à traîner dans les
ne m’a pas ouvert les portes. Cela m’a
coulisses en me disant que je passerais peut-être
propulsé. S’il faut aujourd’hui cinq à six
sur le plateau. Rien de certain. Je ne suis pas sur
mois pour faire un succès, à l’époque, il
la liste d’invités. Je m’inquiète et je reste intimidé,
fallait trois semaines ! Je peux vous dire
car les Jackson 5 ou encore Ray Charles passent
que pour un mec qui vient de Vitry-sur-
devant moi. Je suis le plus discret possible. Je ne
Seine, c’est vertigineux. Dans ces
veux ni gêner ni me faire jeter. La fin de l’émission
moments-là, je me suis posé de
approche, l’attaché de presse de la maison de
nombreuses questions. Je me suis
disques me précise : je t’avais prévenu, il n’y a
demandé si je n’étais pas un imposteur.
Je vais annoncer ma prochaine tournée qui sera ma dernière. Elle s’étalera sur 2019 et 2010. Peut-être aussi 2021 puisque de nombreuses dates s’ajoutent. Ce sera ma dernière tournée live, que je souhaite faire avec un groupe que j’ai reformé qui s’appelle Kongas. La boucle est bouclée. LFC : Vous avez vécu un autre moment
SELINA
incroyable. Le lancement de votre album avec
album Supernature qui contient Give me love. La
RICHARDS
maison de disque me dit : whaou ! Et rebelote ! Et
un voyage presse en Concorde, le lâcher de
je leur dis : non, ce n’est pas celui-ci qu’on sort. On
ballons dans les rues de New York.
sort ça. Je leur fais écouter un titre étonnant,
d’une froideur, avec des sonorités audacieuses. 8 C : C’est trois ans après. C’est l’assurance que j’ai
millions d’albums vendus, 5 Grammy Award. J’ai
acquise. Je suis assis sur un bon paquet de
toujours voulu être différent. Je n’ai fait que
millions d’albums de vendus. Deux possibilités
travailler avec un minimum de talent. Mais je n’ai
s’offrent à nous : soit tout s’arrête parce que je ne
jamais vu cela comme un travail. Je passe ma vie
suis pas à la hauteur, peu importe la raison, soit
à jouer de la musique. J’ai le sentiment d’être
continuer. Et j’ai voulu poursuivre en empruntant
habité par deux personnes : l’ambitieux, motivé,
le chemin bien spécifique de ne jamais être
qui n’a peur de rien. J’ai fait ce métier pour être
comme les autres. Tout faire pour être différent
sur scène et mes disques étaient le prétexte.
des autres. C’était mon leitmotiv. J’avais parfois des idées que d’autres avaient. Dès que je savais
LFC : Aimeriez-vous que votre livre soit
qu’ils travaillaient sur la même chose que moi en
révélateur pour ceux qui ont envie de vivre de
parallèle, immédiatement, j’arrêtais tout. Et je
leur passion ?
cherchais une autre voie. Peu importe le coût que cela pouvait engendrer. Cette ligne n’est pas
C : Complètement. J’aimerais que ce livre dise
simple à tenir. Seulement, je ne voulais pas me
aux lecteurs que c’est possible, que les choses
réfugier dans les facilités. Dans mes soirées Studio
les plus folles et les plus inattendues peuvent se
54, dans les carrés VIP, Jean-Paul Gauthier,
produire.
Wharhol, tous ces mecs à la pointe de la branchitude, inconnus de la mère Denis venaient
LFC : Quel est votre prochain challenge ?
danser. Mes morceaux étaient soutenus par des clips. Aujourd’hui, c’est banal. Mais pour l’époque,
C : Ce n’est pas un défi, mais une conclusion.
c’est incroyable. C’était très mégalo.
C’est très important pour moi. Je vais annoncer ma prochaine tournée qui sera ma dernière. Elle
LFC : Et Supernature a cartonné avec Give me
s’étalera sur 2019 et 2010. Peut-être aussi 2021
love.
puisque de nombreuses dates s’ajoutent. Ce sera ma dernière tournée live, que je souhaite faire
225
C : Absolument. Paradise est la suite de mon
avec un groupe que j’ai reformé qui s’appelle
premier disque. Ensuite, je publie mon troisième
Kongas. La boucle est bouclée.
LE GROUPE POP DE L'ANNÉE
HYPHEN HYPHEN INTERVIEW PAR CHRISTOPHE MANGELLE
ENTRETIEN EXCLUSIF
PHOTOS EXCLUSIVES DE CÉLINE NIESZAWER LEEXTRA
Hyphen Hyphen, c'est Santa, Line et Adam, trois jeunes gens énergiques et talentueux qui nous offrent un deuxième album "HH" qui s'attire une pluie d'éloges. Explosif, éclectique, époustouflant, "HH" va vous mettre une claque musicale ! Hyphen Hyphen veut faire du bruit, et rêve de partager leur musique audelà de nos frontières. Avant de les voir s'envoler vers le public étranger, nous sommes très heureux de les recevoir au studio pour une séance de photos exclusives et entretien inédit. Rencontre. LFC : Pouvez-vous nous raconter vos débuts dans la musique ? Santa : Adam et moi-même, nous nous connaissons depuis toujours.C’est-à-dire depuis que nous avons des souvenirs. Avec Line, nous nous sommes rencontrés au lycée. Et très vite, nous avions la même envie : faire de la musique. Après le lycée, hormis la musique, les options étaient creuses. LFC : Ce n’est pas le plan B de Christine Angot quand même ! (Rires) HH : Non, absolument pas ! (Rires) Santa : Surtout que nous étions de très bons élèves. Nous avons tous eus Mention Très Bien au BAC. Seulement, pour dire vrai, rien ne nous faisait plus vibrer que la musique. Le reste ne nous intéressait pas vraiment. Nous n’avions pas envie de faire une école de commerce ni de devenir banquiers ou encore être graphistes freelances. Ensemble, nous avions envie d’une chose : faire de la musique pour tout fracasser ! LFC MAGAZINE #11 | 227
Romain : Exactement ! Avec ce besoin de se défouler. Line : Faire des bêtises ensemble et pousser le truc. Voir où cela nous mène. LFC : Vous envoyez sur scène une énergie tellement forte. Et pourtant, j’ai la chance de papoter avec vous, et vous êtes calmes. Comment expliquez-vous cette dualité ? Santa : C’est vrai ce que vous dites. Nous sommes de grands timides. La scène, c’est un exercice. Tous les trois, nous sommes parvenus à créer notre propre langage et à nous apprivoiser. Dans le monde extérieur, nous venons avec cette rage de conquérir et d’être encore plus fort à trois. Pour nous, sur scène, c’est la manière la plus magique d’exploser. LFC : Vous exprimez tout ce que vous ne pouvez pas faire dans la vie de tous les jours. Santa : Ce serait effectivement difficile de s’exprimer comme ça dans la vie de tous les jours. QUI VEUT UN CAFÉ ? (en hurlant + Rires) JE N'ENTENDS RIEN ! QUI VEUT UN CAFÉ ? (Elle crie) LFC : Continuons de parler de votre parcours, du lycée à votre premier album "Times"…
Santa : À la sortie du lycée, nous rencontrons notre premier tourneur à Caen qui nous programme deux cents dates. C’est sur scène que nous apprenons la musique. Nous comprenons l’impact que la musique a sur nos vies et l’importance de l’effet grande messe que le concert procure, moment où nous pouvons nous oublier ensemble. Nous adorons ce sentiment. Nous essayons alors de le mettre sur un disque, Times, qui clairement est un album pour la scène. D’ailleurs ce disque, je le trouve encore plus intéressant sur scène, d’où la victoire de la musique (Victoire du groupe ou artiste révélation de l’année 2016), parce que nous sommes arrivés à nous exprimer davantage sur scène que sur l’album. Or, cette fois-ci, notre deuxième challenge, c’était de devenir producteur de musique et de faire un second album qui s’intitule HH, qui serait à la hauteur de ce qu’on peut présenter sur scène. LFC : Aviez-vous la volonté que cet album soit plus studio ?
Nous avions comme modèle les productions américaines que nous aimons écouter. Ce disque nous a demandé une bonne année de travail. américaines que nous aimons écouter. Ce disque nous a demandé une bonne année de travail. LFC : Pour quelles raisons avez-vous quitté Nice pour venir vivre à Paris ? Romain : Pour la musique. Nous étions arrivés à un stade où nous étions obligés. La distance devenait un frein dans la création et le travail. Partir de Nice. Rentrer à Nice pour les tournées. Tout déplacement était très compliqué. Les temps de trajets étaient trop longs. De Paris, tout est bien plus simple.
Santa : Oui, plus studio. Plus pop. Avec toutes ces envies d’urgence, de violence…
Santa : C’est un choix pragmatique, mais pas seulement… Nous avions aussi l’envie de bouger. Nice est en train d’être une ville qui meurt. Nous n’avions pas envie de crever avec elle. Nous avons toujours envie d’y retourner pour le soleil, mais pas pour la fête.
Line : Tout en gardant cette énergie de la scène. C’était vraiment le processus inverse.
Romain : C’est un lieu très agréable pour y vivre. Seulement, il n’y a pas l’effervescence de Paris, où ici, tout bouge tout le temps.
Santa : Avec une couleur plus urbaine parce que nous sommes devenus parisiens. Nous avions comme modèle les productions
Santa : Ceci dit, à Paris, ça bouge parfois beaucoup trop, car je n’arrive toujours pas à comprendre les gens qui courent dans le métro un dimanche. (Rires) Je leur cours après… et je crie : Pourquoi cours-tu un dimanche dans le
LFC MAGAZINE #11 | 229
métro ? (Rires) LFC : Vous avez appris votre job d’artiste sur scène. Votre deuxième album HH - que nous aimons beaucoup à la rédaction, c’est brillant ! garde l’énergie avec des titres pop. Comment avez-vous travaillé ce disque pour qu’il soit si bon ? Santa : C’est une année de recherches, d’insomnie, dans laquelle nous avons essayé d’atteindre les qualités mélodiques de grandes chansons comme des titres de Beyonce, Michael Jackson, David Bowie pour les flows et la violence des productions. Nous avions envie de quelque chose de plus frontal qui s’exprime dans les beats. Le truc le plus frontal en ce moment, c’est le hiphop, tout en gardant la mélodie. Nous y sommes très attachés en tant que grands amoureux des mélodies. Ce sont elles qui permettent universellement de faire ressentir les émotions. Les mélodies, nous ne les lâcherons jamais ! LFC : C’est votre grande particularité. Santa : Oui, et puis, je trouve que la musique devient décadente. Essayons d’être les seuls à résister et à garder la mélodie. Nous avons aussi fait très attention à ne pas laisser le monopole au style. Toutes les productions ont été construites autour d’une émotion. Et ne pas essayer de trouver une émotion dans une production qui n’en a pas. C’était l’un des vrais enjeux de l’album. Quand nous écoutons la radio, nous ne nous retrouvons pas du tout dans ces nouvelles productions qui ne sont là que pour délivrer des fréquences à la suite. Notre challenge était de délivrer des émotions ; que l'auditeur soit un enfant ou un adulte. LFC : Voulez-vous toucher un large public ? HH : Oui. Line : Cela peut paraitre prétentieux, mais nous aimerions toucher tout le monde tout en proposant une musique exigeante.
LFC MAGAZINE #11 | 231
Santa : Cela peut être une définition de la pop. LFC : Le premier single "Like Boys" arrive au cœur d’une actualité brûlante. Santa : Nous avons enregistré ce titre il y a un an. Et jamais, nous nous serions dit que ce titre allait sortir la même semaine que la loi contre le harcèlement. Nous ne savions même pas si nous allions le mettre sur l’album. Il existe vingt-sept versions de mixes de ce titre. À un moment donné,
Nous y sommes très attachés en tant que grands amoureux des mélodies. Ce sont elles qui permettent universellement de faire ressentir les émotions. Les mélodies, nous ne les lâcherons jamais !
nous avons eu une réflexion : gardons-nous ce titre ou pas ? Oui, ce titre résonne avec l’esprit girl power du disque, de l’approche des libertés sexuelles qui est un thème récurrent, d’une jeunesse un peu perdue qui a envie de regarder vers l’avenir avec beaucoup d’espoir. Je pense que Like boys répond avec beaucoup d’ironie à une situation qui nous a touché un milliard de fois et qui en plus nous est arrivé en studio.
Santa : Nous avons écrit le synopsis. Nous aimons toucher à tout : la pochette, le clip, les photos. Nous adorons ça. Nous participons même au montage du prochain clip qui va sortir. Nous sommes seulement capables de penser artistiquement de manière globale. Travailler l’image, cela nous excite énormément. Ce qui est le plus fun après avoir créé la musique, c’est de générer l’image. Et de s’amuser avec cela. LFC : Réalisez-vous un rêve ?
Line : C’était juste une blague au début. LFC : Une très bonne blague. Le clip est très sympa.
Santa : Clairement oui. Tous les jours, nous le vivons ce rêve. Nous visons la vie que nous
avons voulue ensemble. LFC : Vous êtes un groupe très engagé dans votre démarche artistique, dans les thématiques abordées. Santa : Nous sommes engagés. Nous sommes politiques, tout en étant apolitiques. Politiquement, nous ne sommes pas des artistes engagés. Déjà, parce que nous n’y croyons pas. Ensuite, d’autres artistes le font très bien. Passer après Renaud, ça fait toujours mal. (Rires) Notre but est de parvenir à extraire les gens de leur quotidien. Si nous arrivons à les sortir par magie… Jacques Brel disait : Si j’ai la chance d’avoir
l’effet d’une aspirine, j’ai réussi ma vie. C’est exactement ça. Si pendant cinq minutes du concert, les gens se sont oubliés. Eh bien, nous aurons gagné notre pari. LFC : Ce deuxième album est composé de onze morceaux… Santa : HH se compose de onze titres, tous très différents. Le lien entre les morceaux s’est la voix et les mélodies. Il y a un style entre les percussions et dans le regard. Nous n’avons pas voulu d’un album avec une seule recette, mais bien plusieurs. Les morceaux sont très différents les uns des autres. C’était voulu avec l’idée de surtout ne pas ennuyer l’auditeur. Bien au contraire. Nous avions envie d’un disque
court, que nous avions envie d’écouter de A à Z. Romain : Chaque morceau devait avoir sa place. Et ne pas être là pour remplir une liste de titres. Beaucoup d’albums qui sortent en ce moment comptent entre dixhuit à vingt titres. Cela se fait de plus en plus. Seulement, j’ai le sentiment qu’il y a des morceaux qui se perdent dans ce lot de titres. Où que ces chansons sont là juste par ego. Nous voulions un disque avec moins de titres, mais surtout des morceaux tous efficaces. Santa : Pour ce disque, nous avons écrit deux cents titres. Et nous en avons gardé seulement onze. Nous ne souhaitions pas
publier un disque à rallonge. Line : Nous préférons que les gens aient envie de le réécouter plutôt qu’ils se lassent parce qu’il y a trop de morceaux. LFC : Tout va bien, nous l’écoutons en boucle. HH : Cool ! LFC : Chanterez-vous un jour en français ? Santa : Je ne pense pas. Nous écrivons des textes en français pour d’autres artistes. Peut-être qu’un jour… Mais c’est vrai que nous avons envie de dépasser les frontières. Nous n’avons pas envie d’écrire en français pour
conquérir la France en premier. Nous écrivons à trois. Et comme nous sommes très timides et pudiques, c’est bien plus facile pour nous de nous exprimer en anglais et de les chanter tous les soirs avec ce filtre, ce recul sur la langue. Nous nous dévoilons avec plus de subtilités. Alors qu’en français, ce serait tout de suite plus brut. C’est une façon de se protéger. Si nous traduisons certains textes, ils sont vraiment forts. LFC : Vous n’êtes pas trop pour les featuring parce qu’à trois, vous avez déjà beaucoup de choses à dire ensemble ! Santa : (Rires) Nous aimerions faire des featuring, mais les artistes que nous espérons, ils sont aux États-Unis. Et ils coûtent trop cher. (Rires) LFC : Vous rêvez en grand ?
Comme nous sommes très timides et pudiques, c’est bien plus facile pour nous de nous exprimer en anglais et de les chanter tous les soirs avec ce filtre, ce recul sur la langue. Nous nous dévoilons avec plus de subtilités. Je pense que les grands moments sont à venir. Ce disque HH, nous en sommes très fiers. LFC : Votre disque vient de sortir en juin. Ce sont les premières dates pour le présenter. Avez-vous des appréhensions ? Line : Oui, forcément. Santa : Carrément, c’est même plus que des appréhensions. Nous sommes face à un trac anesthésiant. Nous avons fait quelques dates. Nous commençons à remonter sur scène. Et c’est enfin rassurant. Line : Sur scène, ça se passe super bien ! Les gens ne connaissent pas encore les morceaux. Et ils chantent déjà les refrains.
Line : C’est bien, c’est l’ambition.
Santa : Ce qui est galvanisant aussi, c’est que nous sommes entourés d’une équipe qui croit en nous. Le label nous porte. Cela nous rassure énormément. Big up !
Romain : Plus on rêve en grand, plus ça s’ouvre.
LFC : Ce disque, vous rêvez de le jouer dans le monde entier ?
Santa : C’est une progression. Nous ne débarquons pas de nulle part. Sur le premier album, nous avons été très surpris de devenir la sensation… Aujourd’hui, nous essayons de le cultiver, de grandir encore. Nous n’avons d’ailleurs pas peur de grandir.
Santa : En France, on vit un rêve. Mais nous sommes prêts pour l’étape d’après.
HH : Oh oui !
LFC : La Victoire de la musique 2016, le grand soir où vous avez raflé la récompense. Vos sentiments ? Line : C’était un des plus beaux jours de ma vie. Santa : Pour moi, c’était un énorme step. Et je le vois comme une étape. C’était extraordinaire. Next. La suite !!! LFC MAGAZINE #11 | 234
LFC : Qu’allez-vous présenter à l’Olympia le 12 octobre à Paris ? Santa : Il existe déjà une première version du show qui de toute façon va encore évoluer. Nous n’aimons pas jouer toujours la même chose. Avec le public, nous sommes ensemble dans une communion. Nous ne jouons pas l’album comme il est sur le disque. D’énormes sons, de la batterie, nous aimons ce moment où la musique pénètre les os. Nous jouerons les morceaux du second album avec certains titres phares de Times. LFC : On vous laisse le mot de la fin… HH : Merci beaucoup. Et venez nous voir en live !
HOLLYDAYS INTERVIEW LFC MAGAZINE #11 - ÉTÉ 2018
MUSIQUE
Par Christophe Mangelle Photos : Patrice Normand Leextra
LFC MAGAZINE #11 235
Attention talent ! Hollydays, le duo french pop, composé d'Élise Preys et Sébastien Delage, annonce leur premier album Hollywood Bizarre pour l'automne, le 26 octobre 2018 et une scène parisienne le 19 septembre au Café de la danse. Entretien inédit avec un duo élégant que nous remercions pour la confiance accordée lors de la séance de photos exclusives et l'entretien.
LFC : Nous nous rencontrons pour parler de
Comment est née l’idée de parler de ce thème ?
votre EP disponible depuis le 12 janvier 2018 et également de votre nouveau titre qui
Sébastien : Cela dépend comment on aborde ce thème. D’un
vient tout juste de sortir. Pouvez-vous nous
côté, nous parlons des joints. Et d’un autre, nous évoquons
en parler en quelques mots ?
son addiction.
Sébastien : Notre EP est effectivement sorti
Élise : Nous avons choisi les joints, car c’est ce qui nous
en début d’année et s’appelle L’odeur des
parlait le plus. Cependant, c’est un peu plus large que cela.
joints et notre nouveau titre
C’est une chanson qui parle des excès en général comme
s’intitule Hollywood Bizarre, c’est une sorte de
l’alcool, la cigarette, le sexe… Ce titre réunit toutes sortes
prémisse de notre prochain album.
d’addiction.
LFC : Pourra-t-on retrouver des titres de
LFC : Votre manière d'en parler n'est pas moralisatrice.
votre EP dans l’album ? Élise : Nous essayons simplement de dresser un constat. Ce Élise : On verra. Une chose est sûre, il y aura
titre est une main tendue qui dit : viens, je suis là.
des surprises. Rendez-vous le 26 octobre ! Sébastien : Cette chanson, on peut se la chanter à soi-même Sébastien : Parfois, un album est un best-of
en se disant que tout est possible pour se sortir d’une
des EPs précédents. La tracklist n’est pas
addiction.
encore définitive, mais on retrouvera certainement quelques titres de nos anciens
LFC : Comment vous êtes-vous rencontrés tous les deux ?
projets. Sébastien : Il y a longtemps. J’étais au lycée avec le grand LFC : Parlons de L’odeur des joints.
LFC MAGAZINE #11 236
frère d’Élise avec qui je faisais de la musique. À l’époque,
LFC MAGAZINE #11 - ÉTÉ 2018 // HOLLYDAYS
INTERVIEW CHRISTOPHE MANGELLE
PHOTOS PATRICE NORMAND LEEXTRA
Notre éditeur nous a présenté Rose pour enrichir notre répertoire. Elle a un talent d’écriture imparable. j’entendais Élise chanter à tue-tête derrière la porte.
LFC : Comment définiriez-vous votre univers
(Rires) Plus tard, nous nous sommes retrouvés avec
musical ?
l’envie de faire de la musique ensemble. Nous avons trouvé un auteur. Et l’aventure a commencé.
Sébastien : Je dirais que c’est de la chanson française tout d’abord. La chose qui est bien
Élise : Nous avons fait une première chanson pour
c’est qu’avec Élise, nous avons des goûts
s’amuser. Et finalement nous nous sommes dit que nous
musicaux différents. Ce qui nous influence
nous entendions très bien. Alors nous avons continué.
chacun d’une manière différente. Moi par exemple, j’aime beaucoup le trip hop ou des
LFC : Qui fait quoi au sein du groupe ?
artistes comme Grand Blanc ou Trent Reznor. Je dirais que nous faisons de l’électro/trip
Élise : Nous travaillons toujours en famille. Antoine
hop/rock.
Patinet est notre auteur, il a écrit 95% de nos textes et c’est un membre très important de notre groupe. C’est
LFC : Comment vous sentez-vous sur scène ?
d’ailleurs grâce à lui que nous chantons nos chansons dans notre langue maternelle : le français. Nous avons
Sébastien : Ne venant pas de la musique, c’était
aussi un texte de Pierre Lapointe et deux textes de Rose.
très difficile. Élise était mannequin. Et moi, j’étais
Sébastien et moi-même, nous nous occupons plutôt de la
enseignant. La première fois que l’on a fait une
partie musique. Je m’occupe des mélodies. Et Sébastien,
scène, c’est comme si nous étions deux enfants
il compose et il produit.
tout nus avec nos instruments. (Rires) Le travail de la scène ne s’arrêtera jamais. Car il évolue à
LFC : Comment s’est faite la rencontre avec Rose et
chaque concert.
Pierre Lapointe ? Élise : C’est vrai que c’est un exercice compliqué. Sébastien : Notre éditeur nous a présenté Rose pour
Lorsque j’étais mannequin, on ne me demandait
enrichir notre répertoire. Elle a un talent d’écriture
pas de m’exprimer. Mais nous nous y sommes
imparable. Pour Pierre Lapointe, je lui ai envoyé un
fait. Et aujourd’hui nous prenons énormément de
message sur sa page Facebook pour lui dire que j'aimais
plaisir à jouer tous ensemble.
ce qu'il faisait. Ainsi, j’ai vu que nous avions des amis en commun. Nous nous sommes rencontrés lorsqu’il est
LFC : Qu’avez-vous ressenti après votre
venu à Paris. Et il nous a écrit plusieurs textes.
première représentation ?
238 LFC MAGAZINE #11
Nous avons besoin de travailler avec des gens qui savent ce qu’ils font. Et qu'ils apportent une autre vision que la nôtre. Il y a une relation de confiance. Élise : Je pense que j’ai dû vomir ! (Rires) C’était très
en famille ?
intimidant. La scène, on l’apprivoise petit à petit. Plus on en fait, plus on apprend.
Sébastien : Exactement. C’est ce que l’on a fait pour le clip On a déjà par exemple, où nous avons
Sébastien : Tant qu'il y a du trac, je crois que c’est bon
travaillé avec le talentueux réalisateur Jérémy
signe.
Vissio.
LFC : Parlons d'une date très importante pour vous, le 19
Élise : Nous avons besoin de travailler avec des
septembre 2018, vous nous donnez rendez-vous au
gens qui savent ce qu’ils font. Et qu'ils apportent
Café de la Danse à Paris.
une autre vision que la nôtre. Il y a une relation de confiance.
Sébastien : En effet, c’est une date importante. J’espère que nous allons pouvoir dévoiler un peu plus de notre
LFC : À quelle date sortira votre album ?
répertoire à notre public. Élise : Nous sommes heureux de vous annoncer Élise : Durant les dernières semaines, nous avons
sa sortie le 26 octobre 2018.
composé beaucoup de chansons en se demandant s'il ne fallait pas les proposer aussi en live. Nous verrons
Sébastien : Nous rentrons en studio la semaine
comment cela se passe.
prochaine pour terminer l’album. La première moitié est finie. Nous avons hâte que le public le
LFC : Travaillez-vous aussi la partie vidéo
NOS ACTUS
à ne pas manquer
LFC MAGAZINE #11 239
découvre, car ce sera un album très éclectique.
En concert le 19 septembre 2018 au Café de la danse à Paris Sortie du premier album le 26 octobre 2018
KAMALEON INTERVIEW LFC MAGAZINE #11 - ÉTÉ 2018
MUSIQUE
Par Christophe Mangelle Photos : Raphaël Demaret Leextra
LFC MAGAZINE #11 240
Attention talent ! Kamaleon est un artiste que nous apprécions beaucoup à la rédaction. Nous l'avions déjà rencontré en décembre 2017 pour son tube Mas. Aujourd'hui, il nous présente son nouveau single en duo avec Anaïs Delva Quiero vivir. Entretien inédit et une séance de photos exclusives.
LFC : Bonjour Kamaleon ! Vous sortez un
Delva est venue au studio. Nous avons peaufiné le morceau
nouveau single Quiero vivir pour l’été en duo
ensemble.
avec Anaïs Delva. Comment vous êtes-vous rencontrés ?
LFC : Vous êtes dans des univers artistiques différents…
K : Pour chanter Quiero vivir avec moi, je
K : Absolument. Et c’est ce qui est intéressant. Cette
cherchais une chanteuse. Comme la chanson
collaboration peut démontrer que nous pouvons aller dans
est très mélodique, je ne souhaitais pas
différents axes sans nous perdre, juste en explorant ce que
quelqu’un qui ne sache pas chanter. Je
nous sommes. De nombreux fans me parlaient de La reine des
voulais une chanteuse avec une belle voix. Le
neiges quand j’ai évoqué le duo avec Anaïs Delva. Nous ne
nom d’Anaïs Delva est apparu. Et j’étais très
pouvons bien entendu pas leur en vouloir avec le succès
enthousiaste à cette idée sans savoir si elle
phénoménal que ce titre a eu. Mais, ce n’est pas parce que je
allait accepter. Comme je suis dans un
fais de la musique reggaeton et latine que je ne peux pas faire
univers très différent du sien, je ne savais pas
un duo avec Anaïs Delva ou une autre chanteuse qui n’est pas
si elle aimerait tenter l’aventure. J’ai eu la
dans mon style de musique. C’est la diversité qui fait la force
chance de tomber sur Anaïs Delva qui aime
de ce single. Aux États-Unis, Demi Lovato a chanté Libérée,
les mélanges et les mixités. Elle a dit oui très
délivrée. Et elle a fait ensuite le duo avec Luis Fonsi Echame
rapidement. J’étais très heureux. Et quand
La Culpa. Et ça ne gêne personne là-bas. Nous avons fait la
elle m’a envoyé le texte qu’elle avait écrit en
même chose sans le vouloir. Ce parallèle est amusant.
français, j’étais soulagé. C’est compliqué
d’écrire sur cette musique-là. Le texte devait
LFC : Comment s’est passé le tournage du clip Quiero vivir ?
être dans la thématique du reggaeton, simple, efficace, sensuel et sexy. Les mots se
K : Nous avons eu la chance de tourner le clip à New York sur
chantaient très bien sur ma mélodie. C’était
deux jours, en décor réel. La ville a tout fait pour nous. C’est
que du bonheur. Anaïs
LFC MAGAZINE #11 241
LFC MAGAZINE #11 - ÉTÉ 2018 // KAMALEON
INTERVIEW CHRISTOPHE MANGELLE
PHOTOS RAPHAËL DEMARET LEEXTRA
Je travaille sur un album qui devrait sortir soit en fin d’année, soit l’année prochaine. Nous verrons bien. Mais une chose est sûre, un album est prévu bientôt. grandiose. Je suis très content du résultat. Les
travailler ensemble. Rien n’est
échos sont positifs. Le clip valorise bien la
fermé. Pour l’instant, il n’y a rien
chanson. La bonne humeur était au rendez-
de prévu. Nous verrons bien.
vous. New York, c’est une ville que je connais bien, que j’affectionne particulièrement. C’est
LFC : Comment est née la
comme ma seconde maison. L’équipe était
chanson Quiero vivir ?
chouette. C’était un de mes rêves de tourner un clip à New York. Le réalisateur Franck Tempesti
K : Cette chanson a été
ne connaissait pas New York et il avait vraiment
composée il y a dix ans sur un
envie d’y aller. La première idée était de tourner
beat hip-hop. Dans mes débuts,
le clip à Paris dans un loft. Franck a insisté pour
je ne faisais pas du reggaeton.
qu’on puisse aller tourner à New York. Nous
Je faisais de la pop. Mes
avons eu une chance incroyable, car il faisait
influences sont Police, George
beau, avec un peu de vent. C’était cool.
Michael, la pop anglaise. J’avais composé cette chanson-là. Et
LFC : Avez-vous une anecdote à nous raconter
lorsque j’ai écouté cette mélodie,
lors de ce tournage ?
je me suis dit qu’elle était très belle et qu’il serait bien de
K : Tout s’est bien passé. Nous avons tourné sur
l’utiliser dans un morceau de
un toit. Anaïs Delva a le vertige et elle a eu
reggaeton. C’est pour cela que
quelques frayeurs. C’était amusant. Sur le
j’ai pensé à Anaïs Delva qui vient
moment, elle a eu peur. Aujourd’hui, c’est un bon
de la pop.
souvenir qui nous fait sourire. Nous avons des images sublimes. C’est l’essentiel.
LFC : Quels sont vos projets ?
LFC : Aimeriez-vous de nouveau collaborer ?
K : Je travaille sur un album qui devrait sortir soit en fin d’année,
K : Dans le cadre de ce projet, entre Anaïs Delva
soit l’année prochaine. Nous
et moi-même, c’est une collaboration
verrons bien. Mais une chose est
ponctuelle. Nous avons beaucoup aimé
sûre, un album est prévu bientôt.
243 LFC MAGAZINE #11
Spectacle JUILLET AOÛT 2018 • LFC #11
LES
4
PIÈCES
DU
MOIS
À
VOIR
"I Love Piaf", le tourbillon des cœurs talentueux
I Love Piaf
PAR NATHALIE GENDREAU // PRESTAPLUME PHOTOS : NG
Une chanteuse au timbre de velours écorché (MTatiana), un
Paris, ville Lumière. Un réverbère pour la voix d’Édith
accordéoniste aux doigts endiablés (Aurélien Noël) et un
Piaf, un banc pour des confidences, une mini estrade
conteur à la voix enflammée (Patrice Maktav). Au travers du
pour l’envolée d’un accordéoniste et une fenêtre
nouveau spectacle de Jacques Pessis, I love Piaf, trois
ouverte sur sa vie au destin aussi fulgurant qu’intense.
jeunes artistes ressuscitent magnifiquement “La Môme”. Ils
Édith est dans tous les cœurs, en France mais aussi
la vivent et la font vibrer autour de dix-sept airs entraînants
par-delà le monde, de Shanghai à New York, de Moscou
que le public fredonne en lui et hors lui jusqu’au tableau final.
à Montréal. Sa carrière s’est affichée sur les façades
En reprenant sa dernière biographie musicale consacrée à
des plus grands music-halls et reste gravée dans tous
l’icône de Belleville, Piaf, une vie en rose et noir, l’auteur la
les esprits. Le plaisir de retrouver la chanteuse et la
revêt d’un rythme plus jazzy qui ajoute en profondeur et en
femme est toujours au rendez-vous de l’amour et de la
émotion. Ce soupçon de modernité suave offert à ce
passion. Jacques Pessis est passé maître dans l’art de
monument immortel de la chanson française satisfait les
raconter les personnalités qui ont bercé nos jeunes
amoureux d’Édith Piaf et leur curiosité. Car cette nouvelle
années jusqu’encore aujourd’hui. Il n’a pas son pareil
version inclut des chansons plus rarement diffusées, mais
pour narrer une vie de passions, d’amour et de chagrin,
aussi, entre deux couplets, des anecdotes contées aussi
et restituer un parcours unique qui force l’admiration.
tragiques que gaies, pour certaines inédites. Jacques Pessis,
Les mots qui retracent le destin d’Édith Piaf s’invitent
le maître ès artistes, s’amuse à dévoiler avec une pointe
dans leur simple appareil, sans apprêts agiographiques,
d’humour des contre-vérités que la légende a inscrites dans
et touchent juste… à tous les coups.
le marbre rose de la vie d’Édith.
LFC MAGAZINE #11 245
Ainsi, I love Piaf s’installe au Lucernaire jusqu’au 18 août pour raviver les émotions les plus vives et les plus gaies. MTatiana campe une Édith espiègle et volcanique, laissant transparaître une sensibilité à fleur de peau, de regard et de voix. Son incarnation de la dame en noir si frêle se pare de sincérité au fil des chansons très connues comme La Vie en Rose, L’Hymne à l’Amour ou L’Homme à la moto, mais aussi moins entendues comme La Goualante ou Il n’est pas distingué. En écho, le narrateur accoucheur des confidences s’insère avec délicatesse et force dans cette valse de l’histoire théâtralisée. L’humour n’est jamais loin, comme suspendu dans l’air, qui vient caresser les souvenirs. En alternant langueur poétique et dynamisme joyeux, le metteur en scène réussit à faire voltiger les notes, qui jouent à cachecache, tournoient et rêvent tour à tour. Habitué des comédies musicales (Mozart l’Opéra Rock, 1789, Les Amants de la Bastille ou encore Mistinguett, Reine des Années Folles), François Chouquet est très à l’aise dans ce spectacle chanté enthousiasmant, qui fait vibrer toutes les cordes émotionnelles. En prime, pour les touristes étrangers, le spectacle est sous-titré en anglais !
Distribution Avec : MTatiana, Jacques Pessis ou Patrice Maktav, Aurélien Noël ou Maryll Abbas (accordéon). Créateurs Auteur : Jacques Pessis Mise en scène : François Chouquet
A
Production : A360 – Patrice Albanese
p
Partenaire : Théâtre in Paris. Spectacle sous-titré en anglais. Du mercredi au samedi à 21 h, jusqu’au 18 août 2018. Rencontre avec l’équipe artistique le vendredi 29 juin 2018 à l’issue de la représentation. Au Lucernaire, 53 rue Notre-Dame-des-Champs, Paris 75006. Durée : 1h20.
LFC MAGAZINE #11 246
JUILLET AOÛT 2018 • LFC #11
"L'Adieu à la scène", que tombent les masques ! LES 4 PIÈCES DU MOIS À VOIR
Crédits photos du carré Mathias Zwick ( B. Caillaud) Sarah Robine (E. Bouaziz, L. Dussollier) Caroline Dubois ( C. Stefani). Les deux photos du spectacle sont issues de la captation réalisée par Antoine Lhonoré-Piquet. Par Nathalie Gendreau // Prestaplume
L'Adieu à la scène
Une nouvelle invraisemblable déferle dans les rues de ce
Clarisse qui déborde d’admiration pour le tragédien et se
Paris du XVIIe siècle, en 1677. C’est un cataclysme qui
rêve comédienne s’insurge contre sa décision irrévocable.
traverse les âges et qui se joue jusque sur les planches de
Sa douce amie Sylvia n’est pas grisée par la scène, mais
l’Espace Roseau Teinturiers sous la forme d’une pièce
s’interroge tout autant. Elles interviennent à tour de rôle, qui
intense de Jacques Forgeas, nommée L’Adieu à la scène.
avec ferveur qui avec candeur, pour insuffler un rythme, une
Jean Racine (Baptiste Caillaud) renonce à écrire pour le
dynamique, un souffle. L’énergie ne s’émousse pas, elle
théâtre pour devenir l’historiographe du Roi Louis XIV. Jean
reste tendue entre les quatre jeunes comédiens qui tiennent
de La Fontaine (Léo Dussollier), son cousin, entend
leur rôle dans la justesse, sans effets inutiles. Tout se joue
convoquer l’homme qui l’évite, au prix d’un stratagème
dans l’économie des gestes, dans la retenue des sentiments
audacieux. Il dépêche deux jeunes femmes, Clarisse
et la profondeur des regards qui s’accrochent,
(Emmanuelle Bouaziz) et Sylvia (Chloé Stefani), pour inciter
communiquent et restituent. Les faisceaux de lumière
le tragédien à revenir sur les pas de ses succès et de ses
viennent rehausser une ombre, un reflet, une posture, un
amours cachées, une loge de l’Hôtel de Bourgogne. Le
tremblement, un soupir, une espérance, puis la révérence.
piège fonctionne, il se referme sur un huis clos palpitant
L’épure de la mise en scène de Sophie Gubri, privilégiant des
jusqu’à la dernière révérence.
drapés noirs, une coiffeuse et un portant de costumes de scène et de masques stylisés, octroie à la loge reconstituée
Dès leur mise en présence s’instaure entre Racine et La
tous les apparats de la tragédie qui se noue.
Fontaine une vive et passionnante discussion, argument contre argument, confession contre incompréhension. Les
À 37 ans, en pleine gloire, où pleuvent argent et faveurs,
deux jeunes filles ne se résolvent pas à quitter les lieux.
Racine fait ses adieux à la scène, renonce à écrire pour le
LFC MAGAZINE #10 248
public après dix succès retentissants. L’auteur
Avec L’Adieu à la scène, c’est tout un pan de la
Jacques Forgeas découvre cet aspect de la vie du
vie de Jean Racine qui se révèle à nous et qui
tragédien en écrivant sa précédente pièce Le corbeau
nous est conté avec l’accent du classique qui
et le pouvoir, où il réunissait là encore quatre
fuse de modernité. Et le costume trois-pièces
personnages : Racine, Colbert, La Fontaine et Molière.
sombre de Racine n’y est pour rien. La
Il s’interroge à ce renoncement. L’impossibilité de dire
modernité ne vient pas des habits
« non » au roi est-elle une raison suffisante ? C’est
contemporains, mais du jeu sobre et intense
tout l’enjeu du texte de la pièce qui explore les
des comédiens et de la loyauté de l’écriture. Le
sentiments de Racine, qui fouille dans son enfance de
texte exalte l’union sacrée de la poésie et de la
jeune orphelin, dans son éducation janséniste et donc
simplicité, de la rythmique et de l’incisif, du
religieuse, dans sa vie amoureuse contrariée malgré
silence et des mystères. En ressuscitant Racine
son prochain mariage. La requête du roi l’a-t-il
et La Fontaine, la pièce donne la possibilité aux
vraiment « libéré d’une décision qu’il ne pouvait pas
quatre jeunes comédiens de jouer avec talent
prendre », lui qui même « dans le mensonge ne sait
un dialogue, perdu d’avance quant au
pas dire “non” au roi » ? Peu à peu, mensonges après
dénouement, mais qui offre un cadeau
démentis, les masques finissent par tomber, celui de
inestimable au public. Très bel hommage au
Racine bien entendu, mais aussi ceux de ces deux
théâtre et à ceux qui le défendent… sans se
amies qui s’aiment d’un amour tendre et interdit.
couper de ses racines.
« L’Adieu à la scène » Auteur : Jacques Forgeas Artistes : Baptiste Caillaud, Emmanuelle Bouaziz, Chloé Stefani et Léo Dussollier. Metteur en Scène : Sophie Gubri Création musicale : Nicolas Jorelle Scénographie : Camille Dugas Lumière : marie-Hélène Pinon
A
Costumes : Claire Belloc
p
Production : Dominique Attal Espace Roseau Teinturiers, 4, rue des Teinturiers 75016 Avignon Horaires : du 6 au 9 juillet à 10 heures. Relâches les 12, 19 et 26 juillet. Durée : 1h15
LFC MAGAZINE #11 249
JUILLET ET AOÛT 2018 • LFC #11
"Où est Jean-Louis ?" du théâtre conceptuel tout terrain LES 4 PIÈCES DU MOIS À VOIR
Où est Jean-Louis ?
PAR NATHALIE GENDREAU // PRESTAPLUME Crédit photos : Bernard Richebe
Il fallait y penser… et surtout l’oser. Au théâtre de la
Jean-Louis est introuvable, il ne manque plus que lui pour
Michodière, on dépoussière avec une jubilation non feinte
que la pièce démarre à plein régime. Comme le tour de
les habitudes du théâtre où chacun reste à sa place. Où
chauffe des six autres comédiens ne lui a pas permis de
d’un côté des comédiens enthousiastes donnent le meilleur
faire une entrée fracassante, l’un des spectateurs doit se
et où, de l’autre, un public peinard se tord de rire. Et au
dévouer pour sauver le spectacle. Sinon chacun repartira
milieu le metteur en scène qui règle le tempo du moteur.
chez soi avec un réservoir de rires non consommé ! Du
Avec “Où est Jean-Louis ?“, l’auteure Gaëlle Gauthier crée le
reste, l’enjeu du pitch est de taille. La vie d’une entreprise,
concept du spectacle hybride qui mise sur l’interaction avec
et accessoirement de ses salariés, dépend de cette
des inconnus du public. Trois au total, un par acte. Homme
soirée, où un investisseur doit se déterminer. Il engagera
ou femme, c’est égal. Ce Jean-Louis interchangeable a un
des billes à la seule condition que l’équipe sur siège
large pardessus beige, un nœud papillon clownesque et une
éjectable le fasse rire… par n’importe quel moyen, et plus
perruque gris métallisé, tel un signe de reconnaissance
la ficelle est grosse, mieux c’est ! Lui-même n’est-il pas
secret qui s’évente à chaque représentation. Les Jean-Louis
un prestidigitateur facétieux ? Alors le rôle de Jean-Louis
se sont portés volontaires, le comédien Arnaud Gidoin les
est capital : c’est la nouvelle recrue du patron pour créer
sélectionne avant chaque acte. Ce soir-là : deux hommes,
une cohésion d’équipe et motiver ses salariés – sans
une femme. Une équipe motivée d’outsiders qui ne s’en
filtres ni pare-chocs – qui craignent, eux, d’être mis sur la
laisseront pas compter, donnant à cette pièce survoltée un
voie de garage. Et pour corser cette sélection
grain de folie candide et malicieux.
surnaturelle, il faudra compter avec les inimitiés, la vengeance, les
LFC MAGAZINE #11 251
bassesses des personnages, tous typés à outrance pour
pas de surprendre par leur à-propos et
provoquer des situations délirantes… et peut-être aussi pour
leur sens de la répartie. Un micro très
éviter toute projection personnelle par le public ! Blagues
discret donnerait cependant à leur
salaces ou potaches, du délire spontané, du comique de
timidité un supplément de coffre, si
répétition, de l’à-peu-près au cordeau. “Où est Jean-Louis ?”
nécessaire à tout comédien. Avec la
est une grande farce amphétaminique qui ouvre une voie
feuille de route bien en main, l’auteure
royale à tous les impossibles et les inimaginables. La pièce
trace une belle avenue pour l’inattendu,
de Gaëlle Gauthier tourne à plein régime, elle n’autorise que
et donc l’improvisation, canalisée par
trois arrêts pour regonfler les batteries de la performance, le
l’expérience des comédiens qui se
temps de faire monter sur scène le Jean-Louis de l’acte. Le
surpassent, mais aussi par une mise en
danger est grand de céder le rôle moteur à un parfait
scène d’Arthur Jugnot chronométrée,
amateur, de bonne volonté puisqu’il est volontaire, mais qui
aux débordements resserrés qui
ne connaît rien du scénario prévu, dont il peut modifier – à
bornent la part de l’incontrôlable. Partir
la marge – la trajectoire. Le défi est malgré tout relevé par
en vrille, oui, mais pour servir le
tous les comédiens gonflés à bloc, parfois en surchauffe.
divertissement ! C’est qu’il faut du talent pour ne pas déraper vers le
Arnaud Gidoin en patron délicieusement cynique, Alexandre
grand n’importe quoi mortel.
Texier en cadre très nerveux qui mise sa carrière dans ce
Contrairement à la boîte de Philippe en
dîner, Flavie Péan en épouse qui n’en peut plus de cet amour
perdition, les six comédiens sont
sans piments, Sébastien Pierre en salarié dépressif
soudés et avancent dans la même
allergique au poulpe, et amant improbable d’un soir de
direction pour éviter aux Jean-Louis
l’hôtesse, Karine Dubernet en gestionnaire de stocks pince-
successifs des sorties de route qui ne
sans-rire nympho et athlétique, et Loïc Legendre en
seraient drôles pour personne. Tout est
investisseur accroc des jeux du cirque et de la mise à mort…
prévu pour qu’à la ligne d’arrivée tout le
délirante. Quant aux Jean-Louis, ils ne manquent
monde gagne et en rie de bon cœur !
« Où est Jean-Louis ? » Distribution
Costumes :
Avec : Karine Dubernet, Loïc Legendre,
Clémentine Savarit
Arnaud Gidoin, Flavie Péan, Alexandre
Du mardi au samedi
Texier, Sébastien Pierre.
à 21 heures et le
A
Créateurs
dimanche à 17
p
Auteur : Gaëlle Gauthier
heures, jusqu’au 19
Mise en scène : Arthur Jugnot
août 2018.
Assistante Mise en scène : Louise Dahel
Au Théâtre de la
Scénographie : Juliette Azzopardi
Michodière, 4 bis rue
Accessoires : Pauline Gallot
de la Michodière,
Lumières : Thomas Rizzotti
Paris 75002.
Musique : Romain Trouillet
LFC MAGAZINE #11 252
JUILLET ET AOÛT 2018 • LFC #11
"Piège pour un homme seul", le suspense qui tombe à pic LES
4
PIÈCES
DU
MOIS
À
VOIR
PAR NATHALIE GENDREAU // PRESTAPLUME PHOTOS : NATHALIE GENDREAU ©Edouard Mutez
"L'un des deux est à enfermer !", éructe le commissaire de
Daniel Corban croit devenir fou. C'est un jeune marié,
Police, en regardant le mari et la femme. Il y a de quoi !
amoureux de sa femme, même s'il a tendance à se fâcher
Tout au long de Piège pour un homme seul, le mensonge
contre elle. Ils ont tout pour vivre une idylle sans nuages.
tisse une toile inextricable autour du mari, accablé par
Et pourtant, à la suite d'une dispute, Élisabeth s'enfuit...
l'imposture d'une femme qui se fait passer pour son
mais ne revient pas. Après avoir cru à une bouderie,
épouse, Élisabeth, qui, elle, a disparu. Huitième pièce de
Daniel Corban s'inquiète, alerte la police, témoigne et se
Robert Thomas (1927-1989), cette comédie policière a été
ronge les sangs avec de bonnes rasades de Cognac.
un triomphe dès le soir de la Générale aux Bouffes
Quand le nouveau curé de la paroisse, abbé Maximin, lui
Parisiens, le 28 janvier 1960. Adapté deux fois au cinéma
ramène son épouse, il n'en croit pas ses oreilles ni sa joie.
(Honeymoon with a Strangeren 1969 et One of my wives is
Car Élisabeth n'est pas la femme qu'il a épousée ! Il croit à
missingen 1976), ses droits seront achetés par l'immense
une mauvaise farce, s'insurge, se défend, argumente,
Alfred Hitchcock (il meurt avant de pouvoir l'adapter).
s'essouffle, se reprend, attaque, hurle à l'imposture, sous
Depuis le 7 juillet 2018, au théâtre Le Funambule
les yeux effarés du curé, de l'épouse et du commissaire
Montmartre, on y joue une nouvelle fois du bon, du très
qui tente, tant bien que mal, de démêler le vrai du faux.
bon, de l'excellent suspense avec Piège pour un homme
Contre toute attente, il penche du côté de l'escroquerie
seul, mis en scène par Florence Fakhimi. La fidélité au
alors que toutes les preuves parlent en défaveur du mari :
texte original est absolue ; le jeu des cinq comédiens,
son comportement dénote un état maniaco-dépressif.
époustouflant de duplicité, ménage un suspense qui prend
Mais qui ne le serait pas si on vous affirmait que votre
littéralement aux tripes. Machiavélique et angoissante,
conjoint était un ou une autre ?
cette comédie policière à rebondissements est la garantie
Piège pour un homme seulest un terrible et implacable
d'une soirée... inoubliable !
piège pour les nerfs du public. Le texte, bien entendu, le
LFC MAGAZINE #11 254
mène par le bout du nez. La logique n'a pas d'autres choix que de détaler
Fabrice Pannetier en bon curé de
devant les arguments solides, les preuves irréfutables. Tous les codes du
paroisse a le ton bien trop
thriller marchent donc comme un seul homme, et ils sont nombreux
mielleux pour se voir donner le
autour de lui à vouloir l'anéantir, ce pauvre homme seul ! Le spectateur
Bon Dieu sans confession. Sarah
impuissant est corps et âme avec Daniel Corban, qui se débat au bord du
Gaumont en infirmière accablée
précipice de la folie. Il souffre avec lui, il s'exclame, s'indigne et se révolte.
de dettes de jeu s'entend à
Il crie en son for très intérieur à l'imposture, à la trahison, au scandale.
merveille à masquer ses
Mais ses cris restent tapis dans la gorge serrée, censurés par la
motivations et ne s'embarrasse
bienséance.
pas de se parjurer. Quant à Adrien Daquin en commissaire
Dans sa mise en scène, Florence Fakhimi a mis l'accent sur la comédie de
Colombo à l'inénarrable
boulevard. Ainsi l'enquête menée tambour battant ne laisse-t-elle aucun
imperméable, il en voit de toutes
répit aux comédiens et, de facto, au public. Les réactions, tantôt éruptives
les couleurs dans cette histoire.
tantôt glaçantes, fusent à mesure que le piège se resserre. Mais cette
À souffler le chaud et le froid, il
folie ambiante, qui donne un rythme de fou, étouffe le rire qui s'amorce.
manie la douceur et la fermeté
On s'inquiète trop pour Daniel Corban qui semble sombrer dans la
dans un même but : mettre la
névrose, pris au piège par les méchants. Erwan Fouquet en mari
main sur le coupable ! Mais on
honteusement escroqué est si convaincant malgré les évidences. Aurélie
nous égare de rebondissement
Vatin en épouse à deux visages promène un air aimable et compatissant,
en rebondissement. Quand on
derrière un comportement incorruptible, digne d'une sublime veuve noire.
croit le tenir, ou plutôt les tenir, ils nous échappent, jusqu'au dénouement incroyable. Renversant ! C'est alors ensuite qu'on s'autorise à rire tout son
« Piège pour un homme seul»
saoul : de soulagement, de
Distribution
grand merci à toute la troupe
Avec : Adrien Daquin, Aurélie Vatin, Fabrice
bonheur... et d'admiration ! Un pour ce florilège d'émotions !
Pannetier, Sarah Gaumont et Erwan Fouquet. Créateurs Auteur : Robert Thomas Mise en scène : Florence Fakhimi Lumières : Élodie Murat Musique : Sébastien Tuvi
A
Décor : Rémi Cierco
p
Costumes : Axel Boursier Production : le théâtre Le Funambule Montmartre et La Compagnie libre à nous ! Le samedi à 17 h 30 et le dimanche à 19 h 30, jusqu'au 2 septembre 2018. Au Théâtre Le Funambule Montmartre, 53 rue des Saules, Paris 75018. Durée : 1 h 30.
LFC MAGAZINE #11 255
DANS LE PROCHAIN NUMÉRO
À NE PAS MANQUER
PHOTO : PATRICE NORMAND // LEEXTRA
OLIVIER ADAM / AURÉLIE FILIPPETTI / CLARA LUCIANI SYNAPSON/ JULIETTE ARNAUD / JÉRÉMY FEL/ ET DES SURPRISES...
SEPTEMBRE 2018 | #11 | BIENTÔT
DANS LE PROCHAIN NUMÉRO
À NE PAS MANQUER
PHOTO : CÉLINE NIESZAWER // LEEXTRA
OLIVIER ADAM / AURÉLIE FILIPPETTI / CLARA LUCIANI SYNAPSON/ JULIETTE ARNAUD / JÉRÉMY FEL/ ET DES SURPRISES...
SEPTEMBRE 2018 | #11 | BIENTÔT
LFC LE MAG :
RENDEZ-VOUS EN SEPTEMBRE 2018 POUR LFC #12 Cela semble impossible jusqu'Ã ce qu'on le fasse. NELSON MANDELA