LFC Magazine #9 - Tina Arena Mai 2018

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LFC #9 NOUVEAU

LE MAG DIGITAL

MAI 2018

DOUBLE COVER 100% INDÉPENDANT

226 PAGES DE CULTURE

Et aussi Franck Thilliez The Blind Suns Automat Le Roi Angus Aurélie Valognes Luca di Fulvio Agnès Ledig Patricia Mac Donald Didier Van Cauwelaert Daniel Prévost Agnès Martin-Lugand Héloïse d'Ormesson Daniel Cole

TINA ARENA RENCONTRE EXCLUSIVE

LAFRINGALECULTURELLE.FR



ÉDITO

LA FRINGALE CULTURELLE, LE MAGAZINE DIGITAL LFC #9

Rédigé par CHRISTOPHE MANGELLE Salut les Fringants, Le numéro de mai est enfin en ligne, avec un peu de retard... En mai, on fait ce qui nous plaît. L'équipe vous a concocté un magazine encore plus gourmand : 226 pages pour LFC#9 contre 196 pour le numéro #8... Pas de panique, il y a un week-end de trois jours de prévu pour bientôt, vous pourrez vous poser au calme pour dévorer ce numéro. On ne change pas une formule qui gagne avec des sujets FAIT MAISON, comme au restaurant, à foison, c'est-à-dire une rencontre authentique avec l'artiste + photographies exclusives grâce à notre partenaire LEEXTRA. Nous remercions l'implication des photographes : Céline Nieszawer, Patrice Normand, Julien Faure, Julien Falsimagne, Franck Beloncle qui signe la cover de Franck Thilliez et Arnaud Meyer qui signe la cover de Tina Arena. Merci également à Ursula Sigon. Un grand MERCI à Franck Thilliez et Tina Arena de nous avoir fait confiance. Ainsi qu'à Marina de Van, Daniel Cole, Colin Harrison, Camilla Grebe, AJ Finn, Agnès Ledig, Aurélie Valognes, Luca Di Fulvio, Louisiane C. Dor, A.J. Pearce, Patricia Mac Donald, Natacha Calestrémé, Héloïse d'Ormesson, Louise Pasteau, Karin Slaughter, Agnès Martin-Lugand, Didier Van Cauwelaert, Daniel Prévost, Antoine Audouard, Franck Thilliez, Tina Arena, The Blind Suns, et le groupe Automat. Et MERCI chers lecteurs pour votre fidélité et vos partages sur les réseaux sociaux. Très bonne lecture les fringants,

ET SURTOUT...

LA REPRODUCTION, MÊME PARTIELLE, DE TOUS LES ARTICLES, PHOTOS, ILLUSTRATIONS, PUBLIÉS DANS LFC MAGAZINE EST FORMELLEMENT INTERDITE. Ceci dit, il est obligatoire de partager le magazine avec votre mère, votre père, votre voisin, votre boulanger, votre femme de ménage, votre amour, votre ennemi, votre patron, votre chat, votre chien, votre psy, votre banquier, votre coiffeur, votre dentiste, votre président, votre grand-mère, votre belle-mère, votre libraire, votre collègue, vos enfants... Tout le monde en utilisant :

FRANCK THILLIEZ TINA ARENA


07

La sélection : livres, ciné...

10

Michaël Mention

23

Irvine Welsh

32

Alexandre & David R.

45

Louise Pasteau

51

Agnès Ledig

59

Aurélie Valognes

65

A.J. Pearce

71

Agnès Martin-Lugand

78

Marina de Van

85

Luca di Fulvio

93

Louisiane C. Dor

99

Didier Van Cauwelaert

106

Antoine Audouard

111

Daniel Prévost

117

Héloïse d'Ormesson


123

Natacha Calestrémé

130

A.J. Finn

136

Karin Slaughter

142

Daniel Cole

148

Camilla Grebe

154

Colin Harrison

160

Patricia Mac Donald

166

Franck Thilliez

173

Tina Arena

180

The Blind Suns

187

Automat

193

Seemone

198

Le Roi Angus

203

Astre

207

Théâtre

222

Séries TV


L'ÉQUIPE

Fondateur et rédacteur en chef Christophe Mangelle

Journalistes Quentin Haessig Christophe Mangelle Laurent Bettoni David Smadja

Coordinatrice Photographes Ursula Sigon LEEXTRA

Photographes Céline Nieszawer Patrice Normand Arnaud Meyer Julien Faure Julien Falsimagne Franck Beloncle Mathieu Genon LEEXTRA

Traducteur Quentin Haessig

Marina de Van, Daniel Cole, Colin Harrison, Camilla Grebe, AJ Finn, Agnès Ledig, Aurélie Valognes, Luca Di Fulvio, Louisiane C. Dor, A.J. Pearce, Patricia Mac Donald, Natacha Calestrémé, Héloïse d'Ormesson, Louise Pasteau, Karin Slaughter, Agnès Martin-Lugand, Didier Van Cauwelaert, Daniel Prévost, Antoine Audouard, Franck Thilliez, Tina Arena, The Blind Suns, Automat sont exclusivement photographiés par les photographes de l'agence LEEXTRA, notre partenaire. Des sujets tous 100% "fait maison".

Chroniqueurs Nathalie Gendreau (Théâtre) de Prestaplume David Smadja (Cinéma) de C'est contagieux Quentin Haessig (Série TV) de La Fringale Culturelle Muriel Leroy Alexandra de Broca Clarisse Sabard


LFC MAGAZINE

MAI 2018 | #9

10 La sélection

de la rédaction

Livres, série TV, films...

par Christophe Mangelle, David Smadja, Clarisse Sabard, Alexandra De Broca, Laurent Bettoni...

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PERDUS DANS L'ESPACE UNE SÉRIE SF QUI TIENT SES PROMESSES SÉRIE LFC MAGAZINE

01

ÉVASION, AVENTURE ET FUTUR

ACTUELLEMENT SUR NETFLIX COPYRIGHT NETFLIX MAI 2018


LA SAISON 2 VIENT D'ÊTRE CONFIRMÉ PAR NETFLIX. TOURNAGE EN DECORS RÉELS, EFFETS SPÉCIAUX AU TOP, SCÉNARIO ACCESSIBLE À TOUTE LA FAMILLE. UNE SÉRIE POUR TOUS À GRAND SPECTACLE !

L'AVIS EXPRESS DE LA RÉDACTION

PAR CHRISTOPHE MANGELLE PHOTOS NETFLIX MAI 2018

ACTUELLEMENT SUR NETFLIX


MICHAËL MENTION

LIVRE LFC MAGAZINE

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PAR DAVID SMADJA / PHOTOS : © OLIVIER GAMAS


MICHAËL MENTION L ' E N T R E T I E N

U L T R A

F L E U V E

/

I N É D I T

Michaël Mention est l'invité de notre journaliste David Smadja. Il publie Power chez Stéphane Marsan, un roman puissant plus que jamais d'actualité . Entretien coup de poing.

02

LFC : Michael tu es un auteur caméléon, c'est-à-dire

plusieurs romans qui étaient basé sur des faits réels.

qu’aucun de tes romans ne ressemble au précédent.

J'ai eu envie pour une fois de m'émanciper, de me

Ton nouveau roman Power se passe aux États-Unis dans

lâcher un peu, de prendre pas mal de liberté, de faire

les seventies, le précédent La voix secrète se passe à

une vraie fiction. J'avais un challenge de ce côté-là

Paris en 1835, celui d'avant Cotton’s Warwick se situe de

parce que pas mal de lecteurs qui me suivent se

nos jours en Australie et celui d’avant avant, Jeudi Noir

demandait si j'étais capable d'écrire une pure fiction.

retrace la célèbre demi-finale France Allemagne de

Je me suis pas mal lâché dans l'écriture, dans le fond

1982. Tu as peur de t’ennuyer en fait ?

et dans la forme. Et parce que j'ai pris autant de liberté, j'ai eu besoin de revenir à quelque chose de

MM : Ce n'est pas une marque de fabrique, mais c'est vrai

très réel donc je suis d’abord passé par La voix

que quand je viens de passer six mois ou un an sur La voie

secrète. Mais Power, c’est mon livre basé sur des faits

secrète dans le XIXe siècle, une fois que le bouquin est fini,

réels et historiques qui est le plus imprégné de

j'ai envie de tout sauf d'y retourner. Pour tous les romans

quelque chose que je voulais traiter depuis

que j'écris, si j'ai une satisfaction à chaque fois, c'est de me

longtemps, c’est-à-dire le rapport au quotidien des

dire que j'y ai mis tout ce que m'évoquait le sujet.

américains de l'époque. Je voulais que l'histoire et la

Pour Jeudi noir, j'ai l'impression d'être allé au bout de ma

fiction se retrouvent au même plan, au premier, dans

vision du sport, du foot, de l'époque, de 1982. Une fois que

le quotidien des gens et des anonymes.

j'ai terminé cette immersion totale dans un sujet ou dans

une époque, j'ai envie de changer totalement. Par exemple,

LFC : Donc la rage que l'on retrouve dans Power est

Power, je n'aurais pas pu l'écrire si je n'avais pas écrit

né dans Cotton’s Warwick en fait ?

Cotton’s Warwick avant.

MM : Que tu écrives ou que tu n'écrives pas, tu

Chaque roman est à la fois indépendant et en même temps

évolues chaque jour. Toute la vie, on est en gestation,

il est lié au précédent et à celui qui arrivera. Je suis très

on est façonné par ce qui nous arrive, ça va être une

attaché à la notion de cohérence. Par exemple Cotton’s

vie familiale, ça va être le boulot, les galères, les

Warwick, je l'ai écrit parce que j'avais écrit précédemment

drames personnels, des voyages, des découvertes

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musicales et culturelles... À chaque roman, je prends

vive et ressente la réalité du ghetto de Charline,

un peu plus confiance en moi, je vois bien ce que je

et par extension la réalité de tous les afro-

suis capable de faire, ce que j'aimerais faire et ce que

américains de l’époque. Il faut que ce soit

je ne me sens pas capable de faire maintenant. Le

décrit par quelqu’un qui la vit au quotidien et

sentiment de fierté d'avoir fini un bouquin, je ne

donc j’ai passé beaucoup de temps sur ce

connais jamais ça, je ne suis jamais fier de finir un

passage et j’ai trouvé un procédé qui lui va très

bouquin. J'ai surtout un cafard, un gros cafard, quand

bien : je l’ai écrit comme un slam. Quand elle

je finis un bouquin. C'est un vrai deuil, c'est un vrai

descend de chez elle, ça passe par le son. Ce

déchirement qui va durer des semaines voire des

qu’elle décrit, c’est le bruit du ghetto, les gens

mois et que je vais panser en commençant un

qui parlent d’un balcon à l’autre, les gamins qui

nouveau bouquin. Mais juste avant ce cafard-là, j'ai

sautent sur les bagnoles, des gens qui crient,

une vraie satisfaction de me dire Ça y est, ça c'est fait.

des mecs qui se foutent sur la gueule ou qui se font poursuivre. Je voulais qu’il y ait un rapport

LFC : Certains lecteurs trouvent qu'on reconnaît

aux sons parce que moi j’ai grandi dans les

Michael Mention à son style. J'ai le sentiment

quartiers nord à Marseille et quand j’y repense

inverse, je trouve justement que ton style s'épure

les premiers trucs qui me reviennent avant les

de plus en plus depuis dix ans. As-tu le même

images de misère, c’est le son.

ressenti ? Je reviens sur la question du style, c’est clair DS : J'ai vraiment le sentiment que j’écris tous mes

que dans Power, c’était vraiment essentiel.

bouquins de la même manière parce que c'est ma

Lorsqu’on suit le personnage de Neil, dans

manière d'écrire et de penser les choses. Cette

tous les chapitres qui lui sont consacrés, les

écriture visuelle dont on me parle depuis dix ans, elle

phrases sont plus longues, plus riches, plus

est présente dans tous mes bouquins.

verbeuses. Quand il bascule, les phrases deviennent beaucoup plus courtes, il tourne en

Dans un livre comme Power, il fallait que la narration

rond, il y a beaucoup de répétitions. Donc

soit très vive, très orale, très funky. Les chapitres qui concernent Neil, Tyrone ou Charline sont racontés pour chacun à la première personne, il était donc hors de question que les chapitres soient trop longs parce que dans la vraie vie, quand on pense les choses, ça va très vite. Si on observe quelque chose dans la rue, on n’est pas là à se dire : tiens, je viens d'observer quelque chose, on pense par flash, par fulgurance. Dans le chapitre d’introduction de Charline, quand elle sort de chez elle, il faut qu’à travers elle le lecteur

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J'AI SURTOUT UN CAFARD, UN GROS CAFARD, QUAND JE FINIS UN BOUQUIN. C'EST UN VRAI DEUIL, C'EST UN VRAI DÉCHIREMENT QUI VA DURER DES SEMAINES VOIRE DES MOIS ET QUE JE VAIS PANSER EN COMMENÇANT UN NOUVEAU BOUQUIN.


effectivement, tu me parlais de mon style épuré, j’apprends au fil des romans à épurer de plus en plus surtout quand je traite un sujet aussi vaste et nébuleux que les années 70 aux États-Unis. Je me disais si je parle de tout, il faut qu’en contrepartie je sois le plus concis possible, qu’à chaque phrase il y ait une info ou une émotion. Hors de question qu’il y ait des fioritures. LFC : Pour préciser un petit peu les choses, Power est scindé en deux parties. La première est un peu l'état des lieux, écrite à la troisième personne, où tu y plantes le décor ; la seconde est plus longue, c'est là où démarre le roman choral qui fait intervenir trois personnages principaux (Charline,

J'AI VRAIMENT VOULU DONNER UNE PORTÉE UNIVERSELLE À CE MOMENT-LÀ, PARCE QU’AU FINAL QUE TU SOIS NOIR, BLANC, CHINOIS, JUIF, MUSULMAN, GAY, FEMME, TOUT CE QUE TU VEUX, CE QUE LES GENS VEULENT, C'EST QU'ON LES LAISSE TRANQUILLE ET QU'ON ARRÊTE DE LES EMMERDER ! C'EST ÇA LE VRAI SUJET. OUI, C'EST BIEN QUE LES NOIRS S’ORGANISENT, QUE LES GAYS S’ORGANISENT ET QUE LES FEMMES S'ORGANISENT MAIS AU FINAL, CE SERAIT PEUT-ÊTRE MIEUX QU'ON SOIT TOUS DERRIÈRE LA MÊME BANDEROLE PARCE QUE CE QUE LES GENS VEULENT C'EST LA TRANQUILLITÉ, LA LIBERTÉ ET L'ÉGALITÉ. VOILÀ.

Neil et Tyrone) et chacun va prendre la parole à

étaient plus repliés sur eux-mêmes et

tour de rôle, chapitre après chapitre. Pourquoi es-

beaucoup plus violents. Du coup, je me suis dit

tu parti sur ces trois personnages résolument

qu'il fallait vraiment définir des profils qui

différents ?

pouvaient résumer l'esprit de la ville et les perceptions que pouvaient en avoir le peuple

MM : Concernant la première partie, c'était essentiel

américain. Je suis parti sur une militante noire

pour moi de raconter l'émergence du parti et ça

des Black Panthers, sur un autre personnage

induisait d’évoquer les membres fondateurs qui ne

noir infiltré par le FBI qui serait chargé de

sont pas les personnages historiques les plus connus

noyauter les Panthers de l'intérieur, et sur un

par le français moyen. Cette première partie devait

flic blanc. Je me suis dit qu’à travers ces trois

être plus courte puisque je voulais traiter la

points de vue, je pourrais peut-être traiter tous

thématique des Black Panthers à travers les

les aspects des Panthers. A travers le

anonymes, de l'intérieur, à travers ces gens qui ont fait

personnage de Charline, je pouvais faire

ce mouvement au quotidien et qui ne sont pas

apparaître tous les aspects positifs, l'aspect

rentrés dans l'histoire.

social, les collectes de nourriture et de vêtements, le dépistage de maladies auprès

Le sujet des Black Panthers est tellement vaste, c'est

des prostituées et des drogués,

un phénomène national voire international puisque

l'accompagnement auprès des clochards, des

les panthères ont influencé d'autres pays. Au niveau

chômeurs, et ensuite les mauvais côtés, la

national, il y avait pas mal de villes où les Panthers

radicalisation, l'intrusion de la drogue... À

étaient installés et il y avait trop de nuances à

travers le personnage de Neil, le flic blanc de

exploiter : à Chicago, ils étaient plus dans le social et

Los Angeles, je pouvais aussi traiter le

la collaboration avec les blancs ; à Los Angeles ils

sentiment de perdition que l'on peut avoir face à ce groupe politique qui apparaît, parce que

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les Panthers n'étaient pas des tendres non plus. Je

à toute forme d’injustice qu’elle soit de masse ou

me suis dit, je peux traiter les deux aspects et comme

qu’elle soit universelle. On me dit souvent : c’est

ça le lecteur se fera sa propre opinion C'était très

dommage Michael qu’avec ta plume tu n’écrives

important pour moi.

pas sur la France aujourd’hui. Sauf que la France d’aujourd’hui, elle m’énerve tellement que je ne

LFC : Power, je pense que tu seras d'accord avec

vois pas le plaisir que j’aurais à écrire sur les

moi, est un roman social, un roman engagé. Quand

choses qui m’irritent, sur la déliquescence de la

tu le lis, c'est l'impression que tu en as avec ce

classe politique actuelle avec tous les

poing dressé sur la couverture. Mais c'est un

dégénérés que sont Valls, Macron et autres.

roman qui est aussi très actuel. Peut-on s'attendre

Quand je dis dégénérés, c’est au sens propre,

à ce qu'un Michael Mention écrive un roman aussi

c’est-à-dire les gens qui arrivent en bout de

engagé et social qui se passerait de nos jours ?

chaîne d’un processus politique qui se délite depuis 40 ou 50 ans, qui sont des espèces de

MM : En ce moment, on célèbre mai 68. On est quand

freaks qui sont le fruit de différents courants, qui

même en 2018 dans une grande période de fracture

sont pour la plupart des incultes - ce qui n’est

politique et sociale en France, en Europe et dans le

pas le cas de Macron, si on doit lui reconnaître

monde et moi je trouverais ça intéressant de voir ce

une chose c’est juste ça - des gens comme

qu'on peut en faire aujourd'hui de cet héritage. En

Nadine Morano ou Sarkozy, ce sont des incultes.

écrivant Power, je parle des afro-américains dans les années 60/70 mais j'ai vraiment voulu donner une

D’évoquer tout ça, je pourrais le faire car j’ai

portée universelle à ce moment-là, parce qu’au final

plein de choses à dire mais je ne vois pas le

que tu sois noir, blanc, chinois, juif, musulman, gay,

plaisir que je pourrais en tirer. Quel que soit le

femme, tout ce que tu veux, ce que les gens veulent,

sujet que j’aborde, même les sujets les plus

c'est qu'on les laisse tranquille et qu'on arrête de les

graves, j’ai toujours besoin qu’il y ait un peu de

emmerder ! C'est ça le vrai sujet. Oui, c'est bien que

légèreté, un peu d’humour. C’est ce que le

les noirs s’organisent, que les gays s’organisent et

roman noir permet.

que les femmes s'organisent mais au final, ce serait peut-être mieux qu'on soit tous derrière la même banderole parce que ce que les gens veulent c'est la tranquillité, la liberté et l'égalité. Voilà. Ce qui est clair, c'est que je ne me considère pas comme un auteur engagé. C'est souvent une question que l'on me pose. Je ne suis pas plus engagé dans mes romans que je ne le suis dans le quotidien. Je suis aussi scandalisé par la politique de Macron que par les gens qui me disent le Front National a changé. Je pense que je suis très sensible

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QUAND LES GENS SORTENT DE CHEZ EUX POUR METTRE 20 BALLES DANS TON BOUQUIN, TU AS UNE RESPONSABILITÉ, TU TE DOIS, SI TU TRAITES LE SUJET RÉEL, D'ÊTRE LE PLUS HONNÊTE POSSIBLE.


Quand je me suis lancé dans Power, je me suis dit ça

choses négatives qui ont été faites, j'en parle

c’est pour moi. Il y avait un gros aspect social et

aussi, c'est la moindre des choses. Quand les

politique, lourd et pesant et en même temps c’était

gens sortent de chez eux pour mettre 20 balles

une époque de grande légèreté où l’on fume des

dans ton bouquin, tu as une responsabilité, tu te

joints, on écoute de la musique, on déconne. La

dois, si tu traites le sujet réel, d'être le plus

tranche d’âge des Black Panthers, c’était 16/25 ans, ils

honnête possible.

avaient les mêmes discussions que les jeunes d’aujourd’hui. Ça parlait de nanas, ça parlait de cul, ça

C'est ce que je déplore aujourd'hui. Par exemple

parlait de concerts, ça parlait de se balader, de se

quand tu as un Finkielkraut qui te parle de

poser sur un banc et de refaire le monde toute la nuit.

français de souche de bon matin, tu allumes ta

On parlait politique et sujets de société en écoutant du

radio tu entends ça, moi je trouve ça malsain et

James Brown. Moi j’ai trouvé ça génial !

je trouve que la France actuelle est suffisamment divisée, pas besoin d'en rajouter.

LFC : C’est ça qui t’a poussé à écrire sur les

Ce serait peut-être bien aussi qu'on nous parle

Panthers ?

plus de ce qui peut nous rapprocher. J'aimerais aussi que des personnalités qui ont une

MM : Écoute, j'ai redécouvert un album de Miles Davis

audience beaucoup plus vaste que la mienne

sorti en 1972 qui s'appelle On the corner. C'est un

mettent l'accent sur les choses qui me semble

album qui est très électrique, très funk, très tribal aussi.

un peu plus importante que l’héritage de

Le premier morceau fait une vingtaine de minutes et

Johnny.

c'est un morceau de grande frénésie musicale. En écoutant cet album, j'ai pensé aux Black Panthers, ou

LFC : J'ai plutôt l'impression qu’en France les

du moins à l'image que je m’en faisais. Le peu que je

personnalités et les artistes évitent d’aborder

savais d’eux, c'est que c'était un groupe politique qui

ce genre de sujet par peur de se faire bâcher

avait voulu se réapproprier ses quartiers, qui était très

sur les réseaux sociaux, à l'inverse des États-

implanté dans les villes, très urbain et, en même

Unis où la parole des artistes est très

temps, il y avait tout ce truc de retour à l'Afrique, aux

engagée, politiquement et socialement.

racines. Et puis il y avait cette imagerie, le look, le béret, la veste en cuir…

MM : Cela dépend chez qui. Quand je vois des

Je me suis documenté et très vite j'ai eu accès à des

mecs comme Éric Zemmour, Alain Finkielkraut

infos incroyables sur tout l'aspect social qui a été

ou Alain Soral qui ne se privent pas pour

gommé et nié. Beaucoup de lecteurs m'ont dit c'est

balancer ce qu’ils veulent dire.

incroyable, j'ai appris plein de choses et ça me fait vraiment plaisir parce que ma démarche est de

LFC : Je te parlais des artistes.

réhabiliter la cause des Panthers sans en faire l'apologie ni faire leur pub, je ne suis pas là pour ça.

MM : Moi, je peux te dire que si j'avais plus de

Quand des choses nobles ont été faites, effectivement

micros qui m’étaient tendus, plus d'audience, je

j'ai à cœur d'en parler. Mais par contre, s'il y a des

dirais la même chose. Après ce qui est vrai, c'est

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que tu auras toujours quelqu'un pour te faire un

que je perçois et ressens au quotidien. Pour moi

procès d'intention. Par exemple on va me dire vous

il n'y a jamais de généralités. Le personnage de

avez critiqué Israël, vous êtes antisémite. Non pas du

Neil incarne tout un groupe de policiers qui sont

tout ! Je peux très clairement te dire que la politique

en France et auquel on ne donne jamais la

de Benyamin Netanyahou est une politique

parole, à savoir les flics qui déplorent la politique

dégueulasse qui à mon sens dessert le peuple

du chiffre et qui, si on leur en donnait les

israélien. D'ailleurs, la jeunesse israélienne est en

moyens, pourraient largement critiquer leur

grande partie contre cette politique mais ce n'est pas

corps de métier.

un truc qui est relayé par les médias ce que je trouve dommage.

LFC : Tu as appelé ton livre Power alors qu'on se serait attendu à ce que tu l'appelles

Si tu te dis bouleversé ou ému par la mort du

Panthers, pourquoi ce choix ?

gendarme Beltrame, il y aura toujours quelqu'un pour te dire mais chez les flics, il y a de plus en plus de

MM : La question du pouvoir pour moi est

violences policières, ce qui est une réalité mais voir

centrale dans la société dans laquelle on vit. Si

une bagnole de flics cramer, ça me choque autant

tu te mets à la place des noirs de l'époque, au

que de voir des juifs se faire taper dessus ou des

bout d'un moment quand tu es abandonné et

musulmans se faire emmerder à longueur de journée.

nié par ton gouvernement, que tu es méprisé par la police, que tu es harcelé et violenté qu'est-ce

Je ne fais pas de différence entre les corps de métier

qu'il te reste comme solution ? Bah la solution,

ni entre les populations. Je ne fais pas de hiérarchie

c'est de dire vous ne voulez pas de nous ? Ne

entre les souffrances que ce soit la souffrance des

vous inquiétez pas, on s'organise tout seul ! et

juifs, la souffrance des noirs par rapport à l'esclavage

c'est là que ça m'a séduit. Les Panthers ont

ou la souffrance des tziganes dont on ne parle jamais.

vachement travaillé sur l'émancipation des afro-

Tout est fait au quotidien pour nous diviser. On nous

américains. Ils ont tout fait pour leur rendre la

parle tout le temps des musulmans et du voile, on

dignité et la légitimité qu’on leur refusait.

oppose les chômeurs aux travailleurs, les hommes aux femmes. Mais ce que la plupart des gens veulent

Le pouvoir est à portée de main de tout le

aujourd’hui en France, c'est remplir leurs assiettes,

monde. C'est vrai que je me politise de plus en

nourrir leurs gamins, payer leur loyer et de temps en

plus, mais en même temps je ne suis pas là pour

temps s'acheter un CD ou se faire un cinéma. La

mener un combat, je ne suis pas là pour faire la

plupart des gens veulent la tranquillité. Et moi ce qui

leçon aux gens, je n’en ai pas envie. Par contre,

me choque, c'est quand je vois des gens comme Valls

j'ai des valeurs à défendre. J'ai écrit

ou Marine Le Pen qui en remettent une couche. Ça

Power pendant les manifs contre la loi travail

rajoute des tensions, c'est un poison au quotidien.

auxquelles j’ai participé. A chaque fois que je

Donc tu me parlais d'engagement dans l'écriture,

rentrais chez moi, je me disais il faut que j’arrive à

quand j'écris Power, je l'écris parce ce que le sujet et

insuffler dans mon roman l’énergie que l’on

l’époque m'intéressent mais j'y mets aussi tout ce

ressent dans ces manifs . C’était un gros enjeu

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littéraire. Il n'y a pas qu'une bonne énergie, il y a aussi

à la hauteur du roman.

des casseurs, des gens qui profitent du truc, qui sont des vendus, mais il y a aussi une grande majorité de

Je me suis dit que ça donnerait peut-être une

gens qui sont dans la rue pour des convictions. Le

impulsion supplémentaire au roman, que ça

pouvoir, il est là. Certaines manifs contribuent à faire

pourrait mettre en lumière un livre auquel je suis

reculer le gouvernement ou à faire sauter des lois et

très attaché pour de multiples raisons : pour des

parfois ça ne marche pas. La manif contre la loi travail

questions de valeurs personnelles, pour des

n'a pas marché et on en voit les conséquences, ce qui

raisons familiales parce que je viens d'une

se passe maintenant dans le pays en est la continuité.

famille très à gauche. Je pense que si ma grandmère était encore là, ça l'aurait touché que

LFC : Tu publies Power chez Stéphane Marsan qui

j'écrive sur le marxisme. Et parce que c'est un

lance une nouvelle collection. Considères-tu que

livre que j'ai dédié à ma fille.

c'est une aubaine d’être au lancement de cette collection ?

LFC : Beaucoup de tes romans se passent autour et dans les années 70 alors que tu es

MM : Ça fait un moment que l'on se connaît avec

né en 1979, pourquoi cette envie presque

l'équipe de Bragelonne et que Stéphane disait qu'il

obsessionnelle de traiter cette époque ?

voulait créer sa collection de littérature générale. Je lui ai dit : j’écris un livre sur les Black Panthers, est-ce

MM : Je baigne dans cette culture des années

que ça t’intéresse ? Stéphane était très motivé et très

70 depuis que j'ai dix ans. J’ai découvert David

impliqué. J'ai franchi un pas et je suis content de

Bowie, Deep Purple, AC/DC, Martin Scorsese.

l'avoir franchi avec Power à travers cette collection.

C'est la musique en fait qui m’a amené à traiter cette période. Ma mère écoutait beaucoup

LFC : Toi qui a publié chez beaucoup d'éditeurs

Polnareff, Gainsbourg et mon père c'était plutôt

différents, sens-tu la différence de participer à une

Pink Floyd et Led Zeppelin. J'ai eu les deux

collection qui se lance ?

versants. J’ai beaucoup écouté la variété française, Balavoine et Julien Clerc, et je

MM : Au début, ça m'a mis la pression parce que ça

continue d'en écouter aujourd'hui parce que

me met en avant et j'ai toujours du mal avec ça. Et

certaines chansons de Balavoine font parties de

puis je me suis dit : Power est mon 10eme roman, j'ai

mes influences. On a toujours coutume de citer

17 ans d'écriture, c'est bien aussi de s'assumer un peu

les grands auteurs - évidemment que j’ai des

plus dans la vie.

influences comme Céline, Camus, Giono, Ellroy

La couverture par exemple j'en suis très heureux. Au

et Thomas Bernhard - mais c’est avant tout la

début j'ai trouvé que c'était trop beau pour moi et puis

musique qui m’a influencé.

finalement l'éditrice, Aurélie Charron, avec laquelle j'ai travaillé le texte m'a dit : tu sais Michael, au bout d'un

LFC : Et quels sont tes projets pour le futur ?

moment il faut y aller. Ton livre, on y croit beaucoup c'est un super bouquin, il mérite d'avoir une couverture

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MM : Je viens de terminer un bouquin pour


10/18. Ça parle de Miles Davis, d’une période de sa

Floyd avec un son très lourd et ça passe super

vie qui est souvent décriée à savoir la période 68-75. Il

bien.

était décrié parce qu'à l’époque il était dans l'expérimentation. Il était conspué par les puristes du

Pour te reparler de la musique, par rapport au

Jazz et par les critiques musicaux sauf que les albums

roman que j'écris actuellement, je dois raconter

sortis à l'époque, dont l'album On the corner, sont

une réunion, il faut que beaucoup de choses

considérés aujourd'hui comme des albums cultes et

soient dites mais pas trop sinon tu vas emmerder le

fondateurs, comme des albums pionniers de la

lecteur. Il y a pas mal d'intervenants, il faut rendre

culture hip-hop. Ce roman sortira en 2019.

le truc punchy. C'est une réunion qui intervient après deux ou trois mois d'absence de réunions.

LFC : Et tu es déjà sur le suivant ?

J'ai eu beaucoup de mal à commencer le chapitre et je me suis dit comment suggérer le fait que ces

MM : Oui, le prochain roman pour la collection de

quelques mois soient passés ? Et je me suis dit je

Stéphane Marsan prévu pour 2020. C’est un sujet très

vais le faire en musique, je vais commencer par

vaste, un sujet de société qui se passe dans les

Time de Pink Floyd. Time signifie le temps en

années 2009, en France et en Europe. C’est un roman

français, donc je pars du morceau des Pink Floyd,

dans lequel il n'y aura pas d'action. L'action ne sera

je suggère des ellipses comme je l'ai déjà fait dans

que verbale. Le premier enjeu du roman sera de

d'autres romans, je reviens sur le solo de guitare et

rythmer le récit. Je ne peux pas te parler plus de son

hop, j'introduis par ce solo guitare le bla-bla des

contenu. Ce n'est pas pour faire des mystères mais les

mecs dans la réunion. Je ne sais pas si l'effet

journalistes que je consulte, qui bossent sur le sujet

marchera, mais c'est le seul moyen que j'ai trouvé.

m'ont vivement conseillé de ne pas communiquer

On verra ça en 2020 !

dessus.

dans des livres. On est en 2018, quel est ton coup

LA CHRONIQUE

de cœur actuel. Écoutes-tu des trucs récents ?

Mention n’est pas black mais son style l’est

LFC : La musique est une partie très importante

Black Panthers, Black Power, Black Writer ! Bon ok, assurément. Noir, rugueux, anguleux et sans

MM : Mon dernier coup de cœur, c'est Afghan Whigs.

concession.

Leur dernier album qui s'appelle In Spades est un très

Combinant une écriture journalistique et détaillée

bon album. D'une chanson à l'autre ça change, c'est

à une profondeur romanesque virevoltante, Power

très agréable. Quand tu tu veux du rock, tu en as,

transpire l’amour de son sujet et de ses

quand tu veux un truc plus lyrique, pop, tu en as.

personnages.

Sinon il y a un guitariste qui a repris avec son groupe

On dit souvent d’un roman qu’il ouvre la porte sur

Dark Side of The Moon et le joue en mode Stoner. Le

des mondes extraordinaires, qu’il a la faculté de te

disque s'appelle Doom Side of the Moon d'ailleurs. Il

transporter d’un endroit à l’autre, d’une époque à

est très bon, il y a une reprise de Time du groupe Pink

l’autre avec plus d’aisance que ne pourront

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jamais le faire des images et c’est si vrai. En pleine lecture de ce roman, si tu fermes les yeux, tu te retrouves plongé à la fin des sixties américaines, bravant le danger et l’injustice avec les Black Panthers, flingue à la main et béret sur la tête. Michael Mention a ce don si rare et si précieux de t’immerger dans cet univers contestataire et libertaire où l’odeur du cuir se mêle à celui de la transpiration, aux coups de feu qui claquent, aux déclarations chocs, aux couteaux qui transpercent les corps. C’est une vraie guerre contre l’état américain, adversaire redoutable et sans pitié, que les Black Panthers ont mené ; contre un Oncle Sam qui aurait tellement préféré qu’ils restent un Oncle Tom. Le roman se découpe en deux parties, la naissance du Black Panther Party racontée à la troisième personne, puis son ascension et sa chute (je spoile pas, c’est l’Histoire avec un grand H, man) sous le prisme de trois regards posés dessus crachant leur histoire à la première personne : L’ado black fascinée, le flic blanc désabusé et l’infiltré irradié de trouille. Chacun vivra les événements de son point de vue unique pour donner une consistance et une profondeur aux événements qui ont tant marqué l’époque. Passionnant de bout en bout, une fois entamé, ce livre ne se lâche plus. C’est comme la première cacahuète que tu prends délicatement du bout des doigts et que tu croques lentement. Tu la sens craquer sous ta dent, laissant sa saveur si particulière se diffuser et flatter tes papilles gustatives... et hop sans prévenir tu replonges illico ta main dans le récipient et te v’là en train de te bâfrer des mille suivantes. Addictif ! Et comme si ça ne suffisait pas, l’auteur perfuse son roman de morceaux de musique cultes et phares des années 65 à 71. Déluge de sensations sonores sollicités par ce bouquin. Brûlot incandescent, ode à la vie et à la liberté, ce roman te prend à la gorgedevant tant d’injustices. Car Power est un livre somme sur la condition humaine, pas uniquement sur les afro-américains, mais plutôt sur les exclus du système. Et c’est si actuel... Le plus rageant quand tu lis un roman de cette amplitude, c’est la même frustration que tu as en regardant Titanic d’ailleurs, tu connais la fin ! Tu n’as pas cette latitude à espérer que les faits se déroulent autrement. Sauf que quand c’est raconté avec le talent et l’énergie viscérale d’un Michael Mention, tu sais que le voyage va être une vraie régalade. Avec son écriture nerveuse racée et resserrée, l’homme arrive à faire passer toute une palette d’émotions contradictoires à travers sa plume, une certaine rage contre la machine terriblement communicative. Ce roman est puissant, ce roman est dangereux, ce roman (r)éveille les consciences sociales. Alors dresse la tête, serre les dents, lève le poing et FIGHT THE POWER !

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CINÉMA LFC MAGAZINE

03 AVENGERS INFINTY WAR

PAR DAVID SMADJA DE C'EST CONTAGIEUX PHOTOS : COPYRIGHT MARVEL STUDIOS 2018 MAI 2018


ATTENDU COMME LE LOUP BLANC (PARCE QUE LA PANTHÈRE NOIRE C’EST DÉJÀ PRIS !), CE NOUVEL OPUS DES AVENGERS A TOUT SUR LE PAPIER POUR OUVRIR LES BOUCHES EN O ET LAISSER LES LANGUES PENDANTES ! L ' A V I S D’AUTANT QUE LES FRÈRES RUSSO, ATTELÉS À LA RÉALISATION DE CE TROISIÈME ÉPISODE (ET DU QUATRIÈME ATTENDU L’ANNÉE PROCHAINE), NOUS AVAIENT DÉJÀ MIS LA BARRE HAUTE AVEC LEURS DEUX PRÉCÉDENTS FILMS « CAPTAIN AMERICA : LE SOLDAT DE L’HIVER » ET « CAPTAIN AMERICA CIVIL WAR ».

VÉRITABLE ODYSSÉE COSMIQUE, CE DÉPLACEMENT DES ENJEUX, À LA FOIS SUR NOTRE BONNE VIEILLE TERRE ET DANS LES CONFINS DE L'ESPACE, DONNE UNE AMPLEUR INÉDITE À LA MYTHOLOGIE MARVELESQUE ET SURTOUT CRÉE CHEZ LE SPECTATEUR UNE IMPRESSION DE MISE EN ABYME DE SES HÉROS. La force des frères Russo, à l’instar de leur « Civil War », est la gestion quasi-parfaite de leur panthéon super-héroïque. Chaque héros a son moment, ses scènes, sa punchline - Évidemment chacun trouvera que son perso préféré n’est pas assez mis en avant et que certains sont mieux servis que d’autres - Ils n'ont d'ailleurs pas boudé leur plaisir et sent bien ont D Eon LA RÉ D Aqu’ils CTIO N adoré jouer avec Les Gardiens de la Galaxie qui sont à la fois le centre névralgique et l’ossature du film, étant utilisés systématiquement pour faire avancer l’histoire ou retomber la pression à coups de vannes bien placées (NDLR : parfois un peu trop nombreuses, même s’il faut avouer que certaines punchlines sont à se tordre). Les frangins créent une tension quasi-permanente et retranscrivent parfaitement la situation critique vécue par chacun des héros ou groupe de héros.

RICHE EN INTRIGUES ET REBONDISSEMENTS Au niveau du climax, les deux garçons nous ont déjà montré leurs aptitudes. Ce nouvel Avengers ne déroge pas à la règle tant il est riche en intrigues et rebondissements. On pourra parler de générosité tant les frangins sont gourmands et nous distribuent des sucres d’orge acidulés tout le long de ces 2h36. De vrais maîtres-confiseurs ! Alternant les scènes d’exposition et les scènes d’action, le métrage regorge de moments épiques sans sacrifier à la construction de l'intrigue qui prend tout son temps pour s'installer (NDLR : n'évitant pas de petites longueurs si l’on veut être honnête).

ACTUELLEMENT AU CINÉMA


ENFIN, LE MARVEL CINEMATIC UNIVERSE (MCU) A TROUVÉ LE BAD GUY (LE MÉCHANT QUOI !) CHARISMATIQUE ET CRÉDIBLE QUI LUI FAISAIT DÉFAUT JUSQU’ALORS. Il aura fallu 6 années entre le premier volet des Avengers et celui-ci pour enfin installer le personnage de Thanos. Ne boudons pas notre plaisir, le supervilain valait l’attente ! D'ailleurs, dès la scène d’ouverture le ton est donné. Le Titan Thanos n’est pas là pour rigoler et ceux qui ne l’ont pas compris vont compter leur abattis.

L'AVIS DE LA RÉDACTION JOSH BROLIN ET KEVIN FEIGE Josh Brolin (que l’on retrouvera d’ailleurs le 16 mai dans « Deadpool 2 », un autre film de super-héros, où il interprète un personnage mythique du bestiaire mutant : Cable) incarne avec puissance, crédibilité et profondeur le géant pourpre aux motivations différentes du comics mais plus cohérentes, actuelles et intéressantes que dans le matériau d'origine. Kevin Feige (le patron du Cinematic Marvel Universe) réussit à faire avec les films Marvel ce que ni Georges Lucas ni Kathleen Kennedy ne sont arrivés à reproduire dans leurs derniers épisodes de Star Wars : insuffler une âme, créer des enjeux, prendre des risques, susciter de l’empathie pour leurs personnages, proposer des histoires qui même si elles ne sont pas toujours d'une originalité folle sont diablement excitantes ! Oui, on vibre, on tremble, on rit et on applaudit des 4 mains (avec celles de ta voisine par exemple, le plaisir c'est toujours contagieux !).

PUISSANT, HOMÉRIQUE ET SHAKESPEARIEN, CE NOUVEL ÉPISODE MET LA BARRE HAUTE ET MÊME SI L’ON SAIT QU’UNE PREMIÈRE PARTIE D’UN DIPTYQUE NE PEUT ÊTRE JUGÉE QU’À L’AUNE DE LA SECONDE, LES GRAINES PLANTÉES LAISSENT SUPPOSER UNE FLORAISON LUXURIANTE. ÉVIDEMMENT ET CETTE FOIS ENCORE PLUS QUE D’HABITUDE, RESTEZ JUSQU’À LA FIN ! LA SCÈNE BONUS EST ÉNORME ET ANNONCE UN VOLUME 4 GALACTIQUE !

ACTUELLEMENT AU CINÉMA


L'INTERVIEW ÉCHEVELÉE DE LAURENT BETTONI LAURENT BETTONI EST ROMANCIER IL A PUBLIÉ LES REMORDS DE L’ASSASSIN (MARABOUT THRILLER) TOUJOURS DISPONIBLE EN LIBRAIRIE

LIVRE LFC MAGAZINE

IRVINE WELSH L'ARTISTE AU COUTEAU PAGE 23

PAR LAURENT BETTONI / PHOTOS : © AGENCE ANNE & ARNAUD


IRVINE WELSH L ' E N T R E T I E N

I N É D I T

04 En ce matin d’avril 2018, froid et pluvieux, un rayon de soleil brille tout de même, non pas au-dessus de ma tête, mais en moi, au plus profond de mon âme. Je vais interviewer Irvine Welsh, le créateur mythique de la saga Trainspotting. Je suis comme un gosse, à l’idée de rencontrer un auteur que j’admire. L’entrevue a lieu dans dix minutes, à l’Agence Anne & Arnaud. Et tandis que j’arrive devant l’entrée de l’immeuble, j’avise justement Anne, à quelques pas sur ma gauche. Deux petits bonjour de la main, deux petites bises, deux petits étages, ou plutôt trois, et me voici dans la salle de réunion, avec Anne qui me prépare gentiment un café. Je lui demande si la traductrice est déjà là. Elle rit de ma blague. Qui n’en est pas une. Je comprends soudainement que j’ai oublié de solliciter un service de traduction, tout chamboulé que j’étais par cette interview, que je vais me débrouiller tout seul avec mon anglais de collège et que je vais passer pour un Mickey auprès de Monsieur Irvine. Je jette un œil à la fenêtre. Sauter du deuxième, pourquoi pas ? J’ai encore le temps de m’enfuir, même à clochepied, avec une cheville foulée. Trop tard ! Avec une ponctualité toute britannique, le géant écossais sonne à la porte, et Anne va lui ouvrir. Je dégaine ma liste de questions, rédigées en français, et me dis que le dieu de la littérature ne peut pas m’abandonner ainsi, qu’il m’aidera forcément à les traduire en temps réel, au fur et à mesure. C’est parti pour un entretien échevelé (sans mauvais jeu de mot) sur le dernier opus d’Irvine Welsh publié en France (Au diable vauvert) et superbement traduit, lui, par Diniz Galhos – que j’aurais bien voulu avoir à mes côtés, pour l’occasion –, L’Artiste au couteau. LFC : Francis Begbie, le personnage principal de ce roman, est déjà l’un des protagonistes de Trainspotting. Pouvez-vous le replacer dans le groupe de personnages et dans le contexte de l’époque ? IW : Dans Trainspottitng, c’était un cinglé, un psychopathe, un type très violent qui passait le plus clair de son temps en prison. Pour tous les autres de la bande, c’était un ami, parce qu’il avait grandi avec eux, mais ils en avaient peur, ils PAGE 24

savaient que c’était un type instable. Pour moi, il allait mourir ou croupir en prison. Donc, scénaristiquement, il ne marchait plus, il n’apportait plus rien. Alors j’ai décidé de le rebooter. Après tout, quand les gens arrivent à la quarantaine, ils regardent un peu ce qu’ils ont fait de leur vie jusque-là, et ils se disent que c’est vraiment leur dernière chance, que c’est le moment de changer d’orientation, de faire quelque chose de différent.

Ce qui m’intéresse avec eux, et d’ailleurs avec la société d’aujourd’hui d’une manière générale, c’est comment les gens se débrouillent dans un monde où il n’y a pas de travail rémunéré, un monde qui se réindustrialise, qui passe d’une ère capitaliste à une ère consumériste, où l’on peut monétiser ce que l’on fait, on l’où on est remplacé par des machines, des robots.


Pour faire changer Begbie, ça devait passer par de

demandant ce qui va venir après. Et c’est surtout la

grandes choses comme l’art, l’amour. Je l’ai entouré

classe ouvrière qui a été en première ligne de tout ça,

d’art, je l’ai entouré d’amour et je l’ai mis dans un

ce sont les ouvriers qui ont été les premiers, il y a vingt-

environnement aimant. Et je me suis dit que c’était

cinq ans, à être affectés par ces changements qui

super de le voir changer, mais que de nouveau,

touchent à présent la classe moyenne et même les

scénaristiquement parlant, ce n’était pas très

classes les plus hautes, celles qui ont le pouvoir et qui

intéressant. Je me suis demandé : Que se passerait-il,

sont en train d’agoniser de tout ça.

s’il était toujours dingue et qu’il n’avait fait que prendre

C’est cette transformation de la société sur le long

l’apparence d’un homme civilisé, avec une morale, de

terme que j’aime étudier, ce passage à une ère post-

l’humanité, en restant quand même, au fond de lui, un

capitaliste. Je ne sais pas vraiment comment tout ça

monstre, et même un monstre encore plus glacial, pire

va fonctionner, mais toutes nos technologies, tous nos

que ce qu’il avait jamais été ? C’est comme ça que ce

modes de production sont en train de changer, très

personnage est devenu le héros de L’Artiste au

rapidement. Va-t-on se retrouver avec des structures

couteau.

autoritaristes ou plutôt des structures libertaires, comment va-t-on faire, que va-t-on devenir ? Voilà ce

LFC : Trainspotting se déroule dans les années

qui m’intéressait, à l’époque, et qui m’intéresse

1990, et L’Artiste au couteau vingt-cinq ans plus

toujours.

tard. Entre les deux, il y a eu Porno, et vous avez même écrit le préquelle, Skagboys, qui se passe donc avant les années 1990. Qu’avez-vous eu envie de raconter sur cette bande-là, sur ces gens, qu’est-ce qui vous a intéressé chez eux, durant

Il veut repartir, rentrer chez lui. Mais finalement, il décide de se laisser aller, jusqu’au bout, et il fait un véritable carnage dans la ville.

une aussi longue période ? LFC : Où en est Francis Begbie, quelle est sa vie, au IW : Ce qui m’intéresse avec eux, et d’ailleurs avec la

moment où démarre le roman ?

société d’aujourd’hui d’une manière générale, c’est comment les gens se débrouillent dans un monde où

IW : C’est un artiste qui vit en Californie, il est marié,

il n’y a pas de travail rémunéré, un monde qui se

père de deux petites filles, il mène une vie qui lui plaît,

réindustrialise, qui passe d’une ère capitaliste à une

et en fait, s’absorber dans son travail l’empêche d’être

ère consumériste, où l’on peut monétiser ce que l’on

violent. Quand il travaille, la violence ne l’obsède

fait, on l’où on est remplacé par des machines, des

plus, il n’est plus agité, il ne pense plus à comment il

robots.

va nourrir ses addictions, il se sublime en

On assiste à une crise existentielle, on se demande ce

s’immergeant dans le travail. Il mène donc une vie

qu’on fait là. Et tous nos systèmes politiques, tous les

plutôt heureuse. Puis il apprend que son fils aîné,

États, les nations, les gouvernements, les hiérarchies

qu’il a eu avec une ex-compagne, en Écosse, est

au sens large du terme ne sont pas vraiment servis

mort, qu’il a été assassiné. Il doit donc retourner là-

par ces changements économiques. On est en train

bas pour les obsèques.

de perdre un certain mode de vie, tout en se

Quand il arrive, tout le monde s’attend à ce qu’il se venge des assassins présumés, mais lui, ça ne

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LIVRE LFC MAGAZINE

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PAR LAURENT BETTONI / PHOTOS : © AGENCE ANNE & ARNAUD


l’intéresse plus. Pourtant, il se rend compte que la

fils, au lieu de remonter dans le premier avion pour

violence lui procure un certain statut et il ne veut pas

Santa Barbara ?

que sa réputation lui soit usurpée par des petits nouveaux. Il a de nouveau des pulsions sanglantes. Il

IW : En fait, sa violence le motive, l’excite. Il se rend

est dans sa famille, il est en train de reprendre contact

compte qu’il est dans cette agitation, qu’il en a envie,

avec son ancienne personnalité. Et il essaie de se

il a envie de s’imposer et d’imposer sa volonté aux

battre contre ça, il veut repartir, rentrer chez lui. Mais

autres voyous, et il sent qu’il tient là l’opportunité de

finalement, il décide de se laisser aller, jusqu’au bout,

le faire. Ce livre représente son parcours, un voyage

et il fait un véritable carnage dans la ville.

qui va l’amener à comprendre que sa violence n’a jamais été liée aux circonstances, mais qu’elle est en

LFC : La peinture sociale que vous brossez, dans

lui, qu’il l’a internalisée et qu’il aime ça, qu’il est

ce quartier populaire de Leith où l’action se

violent juste pour le plaisir, que c’est ça qui le définit.

déroule, est encore pire que celle de Trainspotting, il y a un quart de siècle. Comment expliquez-vous cela ? Que s’est-il passé, au cours de ces années, pour que la situation se détériore ?

Et on commence à se rendre compte que nos sociétés, nos cultures, notre autonomie sont fondées sur quelque chose qui est en train de disparaître.

IW : Je crois qu’en fait la perception qu’a Begbie est biaisée. Lui, il vit en Californie et il aime ça. Avant, il

LFC : Begbie est devenu un artiste mondialement

aimait vivre en Écosse, mais maintenant, il préfère

reconnu en sculptant des bustes de personnes

Santa Barbara. Alors il voit les gens de Leith avec un

célèbres et en les mutilant atrocement ensuite.

regard très noir, très acerbe, et il ne perçoit que ce qui

Non seulement les people concernés sont

est mauvais, il ne voit que l’extrême pauvreté,

demandeurs de ces bustes torturés, mais les

l’obésité, les gens dans la rue, il ne voit pas les bars

œuvres se vendent à des prix exorbitants. Qu’est-

branchés, l’embourgeoisement, les réagencements

ce que cela révèle de notre société ?

urbains. Ça ne lui plaît pas, d’être là, il ne voit que le noir et veut rentrer chez lui, dans la lumière de la

IW : Cela montre que notre société a l’obsession de la

Californie.

célébrité, l’obsession de créer des idoles pour mieux les détruire après. Cela a quelque chose à voir avec

LFC : Alors qu’a priori Francis Begbie s’est sorti de

cette manie de se réjouir du malheur des autres, de

ce bourbier qu’était son passé, qu’il a connu la

les voir souffrir.

rédemption à travers l’art et l’amour, qu’il vit dans

C’est une mentalité malsaine, et les États-Unis ont élu

l’opulence et nage en plein bonheur californien,

un président – ils l’ont donc placé à l’un des postes

avec sa femme et ses deux petites filles blondes

les plus élevés du monde occidental – très

comme les blés, semblables à trois répliques de

représentatif de cela. Cet état d’esprit vicié est lié,

poupées Barbie, qu’est-ce qui le pousse à rester à

chez certains, à un instinct de contrôle des autres, et

Leith, à remettre les mains dans le cambouis et à

une de leurs grandes craintes existentielles est que ce

chercher à savoir coûte que coûte qui a tué son

pouvoir leur soit retiré. Les changements sociaux, économiques,

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technologiques ne vont pas dans le sens de la

LFC : Le second grand combat que vous montrez

hiérarchie, de l’autorité sur le long terme. L’industrie

est celui de l’homme contre ses dépendances ;

médiatique, la gloire soudaine et furtive, toutes ces

l’homme contre son addiction à l’alcool, l’homme

constructions superficielles, qui sont un peu comme

contre son addiction à la drogue, l’homme contre

la neige en haut d’un mur qui se met à fondre, tout ça

son addiction à la violence. Qu’est-ce qui vous

est en train de se faire aspirer. Et on commence à se

touche tant dans ce thème ?

rendre compte que nos sociétés, nos cultures, notre autonomie sont fondées sur quelque chose qui est en

IW : Encore une fois, c’est surtout le pourquoi de tout

train de disparaître.

ça qui est intéressant. Pourquoi il y a cette force qui nous pousse tous, pratiquement partout dans le

LFC : Il est question de deux grands combats, dans

monde, à avoir ces comportements compulsifs. Je

ce roman. Le premier, c’est celui de la seconde

crois que personne n’y échappe. Pour quelqu’un, ce

chance contre le déterminisme. Quelle est votre

sera trop de télé ; pour un autre, trop de

opinion ou votre vision des choses, à ce sujet ?

médicaments, trop de nourriture, trop d’alcool, trop de jeux d’argent, trop de shopping, trop de

IW : Le sociologue américain Peter Berger

dépenses ; pour d’autres encore, ce sera trop de

disait : Nous sommes un peu comme des marionnettes

relations sexuelles avec les mauvaises personnes ou

au bout de ficelles, nous sommes conditionnés,

pas assez avec les bonnes.

gouvernés par toutes les forces qui nous entourent,

Je crois que c’est une facette de la profonde

par la société dans laquelle nous vivons. Mais

déception du consumérisme, du capitalisme. Mais

contrairement aux marionnettes, nous, nous pouvons

tout ça ne peut pas tenir sur le long terme, on sait

regarder qui tient les ficelles, et nous pouvons essayer

qu’on va devoir changer ces comportements, mais on

de les couper.

ne sait pas comment s’y prendre. Tout part aux 1 %

Nous en sommes là, maintenant, au moment où nous

les plus riches de la planète, et il ne reste plus assez

devons choisir si nous voulons continuer ainsi ou si

d’argent aux autres 99 % pour faire perdurer cette

nous voulons couper les ficelles. Ce choix n’est pas

société de consommation. Et il semble qu’on n’arrive

aussi facile qu’on croit. On aime tous penser qu’on

pas à tirer profit de tout ce que les nouvelles

veut être libres, mais je crois qu’un grand nombre

technologies apportent. On a une vision quasi

d’entre nous choisiraient l’autorité, la structure, parce

moyenâgeuse de la technologie, du genre, de toutes

que, finalement, la liberté fait peur, elle implique des

ces questions.

responsabilités, et on a très envie de laisser ces responsabilités à d’autres, de laisser les autres choisir

LFC : Vous sentez-vous plus proche d’un

et décider à notre place ce qui est bon pour nous. Et

personnage en particulier, parmi tous ceux que

ça, c’est quand même la grande question : est-ce

nous croisons dans Skagboys, Trainspotting,

qu’on veut vraiment la liberté ?

Porno et L’Artiste au couteau ou bien quelquesuns représentent-ils votre propre évolution personnelle au fil du temps ?

Tout part aux 1 % les plus riches de la planète, et il ne reste plus assez d’argent aux autres 99 % pour faire perdurer cette société de consommation. PAGE 28

IW : Quand on veut parler de certaines choses, on choisit un héros, un personnage, et je crois qu’on se


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sent forcément proche du personnage qu’on a choisi

Alors je suis toujours ravi que tout cela

pour aborder la thématique. C’est une relation un peu

soit fait par d’autres que moi.

étrange en fait, c’est presque comme une relation

Et puis, écrire un livre, c’est un travail

intense, une relation amoureuse avec un partenaire,

solitaire, mais le cinéma, c’est un travail

on s’imagine que ça va durer toute la vie, et puis la

collaboratif. Si l’auteur veut rester trop

relation s’étiole, on en entame une autre avec une

proche de son texte original, le

nouvelle personne, et on en vient presque à oublier la

réalisateur, les acteurs et les scénaristes

relation qu’on a vécue avant, comme si elle n’avait

vont arriver chacun avec une vision

jamais existé.

différente de l’œuvre et vont tous vouloir y apporter leur touche. Il faut

À la télé ou au cinéma, il faut que tout le monde dise oui en même temps, et très souvent, c’est un pas en avant, trois pas en arrière. LFC : Trainspotting et Porno ont été adaptés au cinéma, mais vous n’avez pas participé à l’écriture du scénario. S’agit-il d’un choix personnel, et si oui, quelle en est la raison ? IW : Oui, c’est un choix. Je préfère que ce soit quelqu’un d’autre qui s’occupe des adaptations. J’aime écrire des scénarios originaux pour la télé ou le cinéma, mais adapter un livre, c’est différent. Il faut d’autres yeux, sinon on devient presque l’esclave du livre. Il faut pouvoir s’en éloigner, ne pas avoir une relation émotionnelle trop forte avec lui, ne s’en servir que pour le texte et le rendre cinématographique. Il s’agit plus de capturer l’essence de l’intrigue, l’essence des personnages, il ne faut pas rester trop proche du livre, il faut savoir le transformer, et ce recul, d’autres en sont évidemment bien plus capables. Le livre, je le connais, je veux être surpris, je ne veux pas qu’il soit comme un musée dont je serais le conservateur. Il faut qu’il devienne quelque chose de différent, que les changements soient mineurs ou importants, il faut que cela devienne une œuvre cinématographique. Il ne faut pas que ce soit une transposition basique de l’objet livre en objet film.

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accepter que ce soit un processus collaboratif. Alors autant faire les transformations correctement dès le début. LFC : D’autres de vos romans vont être adaptés en série télé. Lesquels ? IW : On parle de Skagboys, de Glu et de Crime. J’en suis très heureux. Mais vous savez, à la télé ou au cinéma, il faut que tout le monde dise oui en même temps, et très souvent, c’est un pas en avant, trois pas en arrière. Alors, rien n’est gravé dans le marbre… LFC : Prévoyez-vous une suite ou un spin-off à L’Artiste au couteau ? IW : Eh bien, mon dernier roman en date, Dead Men’s Trousers, qui vient d’être classé n° 1 par le Sunday Times luimême, reprend justement là où l’on s’en est arrêté dans L’Artiste au couteau !


LE LIVRE QUI FAIT DU BIEN PAR CLARISSE SABARD TOUS LES MOIS, CLARISSE SABARD REJOINT LA TEAM POUR VOUS PARLER DU LIVRE QUI FAIT DU BIEN. CE MOIS-CI, ELLE NOUS PARLE DU ROMAN DE JULIEN SANDREL "LA CHAMBRE DES MERVEILLES" (CALMANN-LEVY) ACTUELLEMENT EN LIBRAIRIE.

POURQUOI ON AIME ? La Chambre des merveilles est un roman touchant et plein de tendresse. Si vous avez envie d'une jolie lecture feel-good, tous les ingrédients sont réunis pour vous faire passer un agréable moment: une large palette d'émotions, allant du rire aux larmes, une galerie de personnages secondaires atypiques et résolument attachants, des moments déjantés (projetezvous en train d'interpréter du France Gall dans un karaoké à Tokyo, le ton est donné) mais aussi des thèmes plus sérieux: la recherche du moi profond, les relations parents-enfants, la monoparentalité, les choix de vie... Un roman auquel vous ne résisterez pas!

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ACTUELLEMENT EN LIBRAIRIE

QUI EST L'AUTEUR ?

Julien Sandrel est né en 1980 dans le L ' sud A V de I S laDFrance, E LA R estÉmarié D A C et T Ipère ON de deux enfants. Aujourd’hui, il réalise enfin son rêve d’enfant en publiant son premier roman, La chambre des merveilles.

ÇA PARLE DE QUOI ?

Thelma travaille pour l'industrie cosmétique et sacrifie tout à sa carrière. Elle élève seule son fils, Louis. Un matin, ce dernier se met en colère après avoir voulu se confier à sa mère qui, une fois encore, n'a pas voulu l'écouter. Le garçon bondit sur son skate board, dévale la rue et est percuté par un camion. Louis tombe dans le coma, Thelma est anéantie. Pourtant, elle tombe rapidement sur un cahier dans lequel son fils a scrupuleusement noté quelques uns de ses rêves. Prête à tout pour le sortir du coma, Thelma va réaliser un à un les vœux de Louis.

CLARISSE SABARD EST ROMANCIÈRE ELLE A PUBLIÉ LE JARDIN DE L'OUBLI (CHARLESTON) TOUJOURS DISPONIBLE EN LIBRAIRIE MAI 2018


L'INTERVIEW PANNE D'IMAGE DE LAURENT BETTONI

ALEXANDRE & DAVID ROUSSEAU DIVINE CORRUPTION, TOME 1 « DÉVIANCE »

LIVRE LFC MAGAZINE

PAR LAURENT BETTONI / PHOTOS : © DR

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LAURENT BETTONI EST ROMANCIER IL A PUBLIÉ LES REMORDS DE L’ASSASSIN (MARABOUT THRILLER) TOUJOURS DISPONIBLE EN LIBRAIRIE


ALEXANDRE ET DAVID ROUSSEAU

06 L ' E N T R E T I E N

I N É D I T

David et Alexandre Rousseau sont frères et viennent de faire paraître leur premier roman, écrit à quatre mains. Il s’agit de Déviance, le premier volume d’un cycle de fantasy intitulé Divine corruption. Nous avons prévu une visioconférence pour cette interview. Planté devant mon Skype, je reçois un message écrit d’Alexandre : Nous sommes prêts, c’est quand vous le sentez. Ma foi, je le sens bien maintenant, puisqu’il est 14 heures, l’horaire dont nous sommes convenus, et que je me suis brûlé le gosier en avalant cul sec mon expresso à peine sorti de la machine pour être ponctuel au rendez-vous. Je lance donc l’appel. Et, miracle de la technologie, si j’entends bien mes interlocuteurs, je ne les vois pas. Je leur signale aussitôt l’incident. David ou Alexandre – difficile des les identifier au son de leur voix, que je ne connais pas encore – me répond : Ah… Puis David ou Alexandre précise : Nous avons changé d’ordinateur, et celui avec lequel nous sommes connectés n’a pas de caméra intégrée. Puis une jeune femme, répète, en stress : Et en plus, on entend le bébé ! On entend le bébé ! J’aime bien l’ambiance, nous sommes en famille, et j’ai le sentiment que les gars sont cool, que l’entretien va être sympa. Mais j’ai beau tendre En comparant les l’oreille, je n’entends pas le bébé. David ou Alexandre me dit : Bon, on règle ça et on vous rappelle. Ils coupent la communication, et je pourcentages de me retrouve dans le silence de mon bureau à me demander droits d’auteur pourquoi je n’entendais pas le bébé, et pourquoi il pleure. Un rot d’un contrat coincé ? C’est souvent ça, le problème d’un bébé qui pleure. Il d’édition classique suffit de la tapoter tout doucement dans le dos pour que tout aille et ce que nous mieux. J’en suis là de mes réflexions, quand les Rousseau brothers, percevons dans comme ils se nomment eux-mêmes, me rappellent. Cette fois, j’ai l’autoédition, nous l’image en plus du son, et tout fonctionne à merveille. Je n’ose pas avons estimé que leur demander ce qu’ils ont fait du bébé. Ni de la femme, que je le meilleur moyen, n’entends plus. Au cours de l’entretien, les frangins se passent le pour nous, d’avoir casque-micro à tour de rôle. Ils se ressemblent comme deux une chance de gouttes d’eau, et il me reste difficile des les identifier en visuel. vivre de notre Alors plutôt que de préciser qui parle à chaque fois, nous plume était de désignerons l’entité Rousseau brothers par A&DR. nous autoéditer.

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LFC : Pour publier Déviance, vous avez recouru à

LFC : L’écriture à quatre mains n’est pas si fréquente,

un financement participatif, via une plate-forme

alors pouvez-vous nous expliquer de quelle manière

bien connue, celle qui imite le cri de la chouette.

cela fonctionne entre vous, qui fait quoi dans votre

Qu’est-ce qui a motivé cette démarche, plutôt que

duo fraternel ?

d’envoyer votre manuscrit à une maison d’édition traditionnelle ?

A&DR : David est le grand frère, c’est lui qui écrit le premier jet, et Alexandre intervient ensuite. David a

A&DR : Nous avons envoyé le manuscrit à des

senti que son récit pêchait un peu, au niveau de choses

maisons d’édition et nous avons reçu des retours

aussi triviales que la concordance des temps mais

positifs. Mais en lisant les contrats, nous avons

également au niveau de la stabilité de l’histoire, alors le

compris que les termes et les conditions ne nous

rôle d’Alexandre a été d’améliorer l’ensemble du texte,

permettraient jamais de conserver la maîtrise de notre

à tous les niveaux, il a joué le book doctor.

œuvre ni de vivre de nos ventes. Or c’est clairement notre but, vivre de nos livres, pouvoir en tirer des

LFC : Déviance, le roman dont il est question

produits dérivés – dont un jeu, sur lequel nous

aujourd’hui, s’inscrit dans un cycle plus vaste qui a

sommes en train de travailler –, n’avoir aucun compte

pour titre générique Divine corruption.

à rendre sur nos synopsis ou nos scénarios.

Succinctement, de quoi parle ce cycle ?

En comparant les pourcentages de droits d’auteur d’un contrat d’édition classique et ce que nous

A&DR : Le plan général de cette saga est

percevons dans l’autoédition, nous avons estimé que

l’établissement d’une armée de démons, qui va se

le meilleur moyen, pour nous, d’avoir une chance de

goupiller dans un multivers construit sur trois niveaux,

vivre de notre plume était de nous autoéditer. Nous

infernal, humain et divin. Une déité, que l’on ne nomme

avons donc décidé de passer par un financement

jamais autrement que par le divin ou mère, se fixe

participatif et d’impliquer dans l’aventure des

comme objectif de créer des soldats, pour une raison

personnes qui apprécient ce que nous faisons. Nous

qui restera longtemps inconnue.

avons ainsi pu soulever les fonds pour la correction du manuscrit, la composition de la couverture, la

numérique chez les libraires en ligne, existe aussi en

Tous les personnages forts de Divine Corruption sont des femmes. Cela repose peut-être sur une utopie de notre part, nous considérons les femmes comme moins corrompues que les hommes [rires].

format papier, grâce à l’impression à la demande.

Et elle souhaite monter cette armée avec ceux qu’elle

Avec ce procédé, un ouvrage n’est produit que s’il est

considère comme ses enfants, des êtres à qui elle a

commandé au préalable par un lecteur. Cela évite un

donné la vie et qu’elle a dotés d’une volonté. Elle les

gros tirage inutile dont la quasi-totalité risque d’être

laisse évoluer, en espérant qu’ils deviennent

pilonnée en cas d’invendus. Cette façon de concevoir

suffisamment puissants pour pouvoir, à terme, rejoindre

l’écosystème du livre correspond à nos valeurs et

son armée. Ses guerriers devront la protéger, elle.

contribue à la santé de la planète.

Avant cela, il n’existait rien de tel. Au moment où

communication, mais aussi l’élaboration du jeu dérivé de la saga Divine corruption, dont Déviance n’est que le premier tome. Par ailleurs, notre livre, que l’on trouve au format

démarre le cycle, l’enfer n’est peuplé que des

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charognards, d’humains corrompus qui s’apparentent

Naïmah doit le tuer avant qu’il parvienne à ses fins. Pour

davantage à des créatures animales qu’à des hommes, et la

cela, elle va devoir agir et décider seule, et nous allons

divinité crée pour la première fois des combattants pensants

voir à quelles conséquences prêterons ses décisions et

qui possèdent en outre un esprit de groupe, d’unité.

si elle opérera dans l’intérêt commun ou bien par

Le royaume des Célestes est en train de s’effondrer, en

orgueil. Auquel cas, dans quelle mesure ne mettra-t-elle

raison de luttes internes, politiques et de pouvoir. La

pas la mission en péril et sa vie en danger ?

question est de savoir quelle est la place des humains dans

En parallèle, nous suivons l’histoire de Tiamel, le

cet univers-là. Ne sont ils condamnés qu’à devenir

premier démon suprême, celui qui va générer l’armée

charognards de l’enfer, esclaves ou soldats d’entités

de démons.

supérieures ? LFC : Dans votre livre, les humains et les Célestes premier-nés appellent mère leur divinité. Donc vous avez tranché, pour vous, Dieu est une femme ? A&DR : Eh bien, c’est une femme en ce sens qu’elle est mère. Elle considère les démons, les Célestes et les hommes comme ses enfants. Et elle les aime, les aide, les pousse, les protège, les élève comme tel. Tous les personnages forts de Divine Corruption sont des femmes. Cela repose peut-être sur une utopie de notre part, nous considérons les femmes comme moins corrompues que les hommes [rires]. Plus sérieusement, dans l’univers de la saga, la puissance physique ne compte pas, mais la part belle est donnée au mental et à l’esprit. Cela offre plus de nuances et de choses intéressantes, y compris dans la palette des personnages. LFC : À présent que nous connaissons la trame complète du cycle, racontez-nous ce qu’il se passe précisément dans Déviance. A&DR : Dans ce premier opus, une guerrière, Naïmah, a pour mission d’éliminer un Céleste de haut rang, Thola, avant qu’il ne conduise le royaume à sa perte. Thola est un ange premier-né qui ambitionne de prendre la place de son frère pour s’arroger le pouvoir et devenir le régent de la Maison de la compassion, la deuxième puissance du royaume céleste.

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Avant tout, nous avons souhaité établir la comparaison avec notre société actuelle, notre monde de castes, d’oligarchies, et cette vision très américaine des choses qui est que, si vous bossez fort et que vous êtes patriote, vous avez une chance d’être riche un jour. LFC : Parlez-nous de votre héroïne, Naïmah. A&DR : C’est une jeune femme de 424 ans, une humaine intronisée Céleste, ce qui représente un privilège assez rare, dans ce multivers. Il faut avoir été un humain d’exception pour mériter d’être élevé à un tel rang. Il faut déjà avoir patienté au moins quatre cents ans. Naïmah est donc devenue Céleste, il y a un peu moins d’un quart de siècle. Il faut savoir que, lorsqu’un humain meurt, il gagne directement l’enfer. Et là, trois choses peuvent se produire : soit il se fait dévorer par une espèce de créature bestiale, soit il se transforme lui-même en ce genre de créature, soit un ange le sauve pour s’en servir de main-d’œuvre ou d’esclave. Le meilleur scénario reste encore celui-ci, et Naïmah a été récupérée, quatre cent vingt-quatre ans auparavant. L’intérêt de donner leur chance à certains humains, pour les Célestes, est que ces derniers sont devenus inféconds et qu’il faut bien repeupler les Cieux. Aux humains qu’ils ont choisi de privilégier, ils transfèrent donc leur culture, leur magie, leurs pouvoirs. Si bien


que Naïmah est devenue une magicienne, une Salvation. Elle maîtrise certains éléments comme l’eau, la glace, le feu, et pratique un peu la magie de soin. Mais alors qu’une voie royale, voire divine, s’ouvre devant elle, son ami Joseph meurt. Cela va avoir des répercussions

Actuellement, nous procédons à des tests, nous parcourons la France, avec ce jeu, et il a de très bons retours. Le prototype est presque finalisé.

psychologiques, chez Naïmah. Elle va se perdre de plus en plus dans sa partie sombre, agir de plus en plus stupidement et souffrir de

LFC : Pour finir, vous évoquiez un jeu dérivé de

plus en plus. Elle va peut-être ainsi arriver au

Divine corruption, de quoi s’agit-il ?

bout du rouleau, après quatre cent vingtquatre ans d’immortalité, et « Déviance »

A&DR : Il s’agit d’un jeu de plateau, qui s’appelle

raconte clairement la déconstruction d’un

L’Ordre de Veiel. Ce jeu, qui emprunte au jeu de

soldat. Naïmah n’est pas une héroïne parfaite,

rôle, ne reprend pas l’histoire de Divine Corruption

sans tache, sans défaut, elle apparaît plutôt

mais s’inspire de son univers, à travers une autre

comme une anti-héroïne.

voie narrative. Dans L’Ordre de Veiel, une équipe d’aventuriers doit affronter le maître du donjon

LFC : Votre saga interroge-t-elle sur le

dans le but de le déposséder de ce donjon.

devenir de l’humanité, sur la mort, sur

Quelqu’un qui n’a pas lu Divine Corruption peut

l’immortalité ou le désir d’immortalité ?

parfaitement jouer à L’Ordre de Veiel, sitôt qu’il a pris connaissance des règles. Chaque personnage

A&DR : Avant tout, nous avons souhaité établir

a sa caractérisation, ses armes, ses pouvoirs, etc., et

la comparaison avec notre société actuelle,

nous sommes là dans de la narration segmentée.

notre monde de castes, d’oligarchies, et cette

Actuellement, nous procédons à des tests, nous

vision très américaine des choses qui est que,

parcourons la France, avec ce jeu, et il a de très

si vous bossez fort et que vous êtes patriote,

bons retours. Le prototype est presque finalisé.

vous avez une chance d’être riche un jour. Et

Nous passerons probablement aussi par un

nous avons voulu montrer jusqu’où l’homme

financement participatif pour le lancer et le

était prêt à aller pour atteindre cet idéal

commercialiser. Idéalement, nous aimerions le

superficiel.

proposer au public pour les fêtes de fin d’année, ce

Ensuite, dans la mesure où avec la richesse

qui implique une campagne de financement

vient le pouvoir, nous nous sommes dit que le

participatif à partir de mai.

pouvoir ultime était de repousser la mort, et

Et puis, à terme, pourquoi ne pas imaginer un jeu

nous avons donc réfléchi sur le désir

vidéo qui compléterait la saga ? Nous sommes de

d’immortalité qu’éprouvent certaines

toute façon bien partis pour créer un univers cross-

personnes. Mais est-il souhaitable de ne pas

media. Ce que nous aimons, dans ce concept, c’est

mourir, quitte à connaître l’ennui ou la

que chaque media offre son propre schéma

souffrance éternels ?

narratif.

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L'INTERVIEW DE CLAIRE DO SERRO

LIVRE LFC MAGAZINE

ÉDITRICE CHEZ NIL PAGE 37

PAR CHRISTOPHE MANGELLE / PHOTOS : © DR


CLAIRE DO SERRO L ' E N T R E T I E N

I N É D I T

Audacieux, insolite, pétillant, impertinent, féminin, cosmopolite, féministe : voici les mots clés des éditions NiL qui ce Printemps 2018 décide de voguer vers de nouveaux horizons. Rencontre avec la capitaine-éditrice de bord : Claire Do Serro.

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LFC : Printemps 2018, c’est le grand retour des éditions

LFC : Que pouvons-nous lire en mai et juin 2018 ?

NiL. Racontez-nous !

CDS : Nous avons choisi de publier les deux premiers

CDS : L’idée des Éditions Nil est de défendre peu de titres

titres début mai. Un auteur français et un auteur étranger

par an avec passion. Cependant, nous voulons garder un

pour montrer cette diversité. Le premier roman français

esprit. Nous ne souhaitons pas faire quelque chose qui

est Les dix voeux d’Alfréd de Maude Mihami, une

n’avait rien à voir. Cette maison d’édition a toujours été

romancière qui a trente-sept ans et qui a été libraire

impertinente et elle a la capacité de ne pas être snob. Il y a

pendant dix ans. C’est un premier roman très drôle et très

toujours eu cette importance sur la qualité narrative des

tendre. Si vous cherchez un livre pour partager un

livres. Si l’on prend l’exemple du roman Le Cercle littéraire

moment tendre, rire et sourire, c’est le livre qu’il vous faut.

des amateurs d’épluchures de patates, ce sont toujours des

C’est l’histoire d’un petit garçon Alfréd. Il vit en Bretagne

livres qui sont capables de séduire un public plus large, car

et il est obsédé par son grand-père qui a deux passions :

il y a une vraie histoire, une réelle imagination avec une

les mots et la nourriture. Avant d’avoir dix ans, il décide

qualité d’écriture. C’est vraiment cela que j’ai envie de tenir.

d’accomplir dix vœux parmi lesquels il souhaite

Les mots clés seront l’impertinence, l’insolite et le fait de

rencontrer un cow-boy. Ce qui est génial dans ce livre,

créer la surprise. Les Éditions Nil appartiennent au groupe

c’est la fraicheur qui s’en dégage. L’auteur est déjà en

Robert Laffont qui a déjà de très belles collections. L’idée

train de travailler sur la suite.

est de créer une identité très forte en reprenant l’impertinence à la sauce XXIème siècle.

LFC : Combien de titres comptez-vous publier par an ?

CDS : Il y aura dix titres par an, français et étrangers. On ne sait pas encore comment ils seront divisés, ce n’est pas

quelque chose qui nous obsède. Tout cela va dépendre de ce qui va se passer.

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Pour la rentrée littéraire, nous avons choisi de mettre en avant une seule auteure. Comme nous sommes très impertinents chez NiL, c’est un premier roman américain d’une auteure française. Elle s’appelle Joy Raffin et elle a choisi comme sujet la ville d’Atlantic City.


Notre deuxième nouveauté, c’est un livre de la

LFC : Ce sont donc uniquement des premiers

romancière Eve Chase Un manoir en Cornouailles.

romans. Pourquoi ?

C’est un premier roman d’atmosphère, presque gothique et complètement différent du premier.

CDS : Car nous voulons une ligne éditoriale assez

L’auteur, qui a une quarantaine d’années, a

identifiée, cela passe par des nouveaux auteurs. Il y

souvent été comparée à Daphné du Maurier dans

aura peut-être des deuxièmes romans, des troisièmes

la presse. Le livre se passe à deux époques

romans, mais nous verrons cela au fur et à mesure.

différentes, à la fin des années soixante pour le premier personnage et de nos jours pour l’autre.

LFC : Pouvez-vous nous parler de la charte

Pour la première période, c’est l’histoire d’une

graphique des couvertures ?

famille assez parfaite à qui il arrive un drame qui va la bouleverser. Pour la deuxième époque, c’est

CDS : Un petit mot sur les couvertures. Il y aura

l’histoire d’une femme, la trentaine, qui va se

toujours deux pantones afin de créer une identité

marier et qui va chercher un endroit pour célébrer

assez forte. De nos jours, certaines maisons d’édition

ses noces. Elle est obsédée par ce manoir qu’elle

ont une identité très forte et lorsque l’on a décidé de

va visiter durant quelques jours et où elle va y

se concentrer sur dix titres, il était important d’unifier

découvrir plein de secrets. Les deux histoires vont

le format. La mise en page et la typographie sont

finalement se rejoindre et le lecteur va découvrir

également très soignées. Nous avons travaillé avec

ce qui s’est vraiment passé autour de ce drame.

une graphiste afin que la maquette reflète l’esprit des

C’est le type de roman que l’on envie de lire au

Éditions Nil. Le cadre blanc symbolise le côté littéraire

coin du feu.

et le fait que les éléments viennent déborder dessus signale l’impertinence et le côté accessible. C’était

En juin sortira L’irrésistible histoire du café myrtille

très important de se concentrer là dessus pour les

de Mary Simses, une comédie romantique qui a

trois premiers livres. Nous avons aussi eu l’idée de

été un phénomène en Allemagne avec 600 000

demander un petit mot du libraire Erik Fitoussi sur la

exemplaires vendus. C’est un livre pour toutes les

couverture de Maude Mihami qui dit « Mieux vaut lire

tradeuses qui finissent boulangères. C’est

ce livre plutôt que celui d’à côté, il est plus drôle ! ».

l’histoire d’Hélène, une jeune femme qui habite à

Nous trouvions cela amusant. Le logo est toujours en

New York, qui a tout pour elle. Un jour, sa grand-

haut à gauche et la typographie sera toujours

mère décède et avant de mourir elle lui remet une

adaptée aux différents livres. Il était important que les

lettre en lui disant qu’elle souhaiterait qu’elle la

livres ressortent bien en librairie.

remette à un homme vivant dans le Maine. Elle part sur les routes en pensant retrouver cet

LFC : À qui adressez-vous vos romans ?

homme sauf qu’il n’est plus de ce monde. C’est son neveu qu’elle va retrouver à la place… Il y a un

CDS : La cible des Éditions Nil est plutôt le public

côté complètement décalé et léger dans ce livre

féminin… Mais pas que. Nous aimerions avoir un

qui correspond parfaitement à la période estivale.

public de lecteurs et de non-lecteurs avec des titres

Il ressemble à Love Actually.

plus affinés. Nous allons tout faire pour toucher la

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jeune génération également. L’idée est de ne surtout pas perdre les lecteurs de ces dernières années. LFC : Quel(s) livre(s) prévoyez-vous pour la rentrée littéraire ? CDS : Pour la rentrée littéraire, nous avons choisi de mettre en avant une seule auteure. Comme nous sommes très impertinents chez NiL, c’est un premier roman américain d’une auteure française. Elle s’appelle Joy Raffin et elle a choisi comme sujet la ville d’Atlantic City. Elle a grandi à l’île d’Oléron et a toujours eu comme ligne imaginaire les États-Unis. Le jour où elle est allée à Atlantic City, elle a eu une espèce de choc. C’est un roman choral où l’on passe une journée dans cette ville pleine de contrastes. C’est un roman très accessible avec des personnages hauts en couleur. C’est son premier roman. Nous y croyons beaucoup.

Nous relancerons aussi la collection Les affranchis qui aura bientôt vingt-cinq ans. Nous aimerions aussi lancer une collection de poésie accessible à tous, nous sommes en train de nous pencher sur la question. Le but est de remettre la poésie contemporaine dans l’actualité. musique et partir à sa recherche. C’est une collection

LFC : Et pour finir, savez-vous ce que vous allez

que l’on veut cosmopolite. Nous relancerons aussi la

proposer aux lecteurs cet automne (2018) ?

collection Les affranchis qui aura bientôt vingt-cinq ans. Nous aimerions aussi lancer une collection de

CDS : En septembre, il y aura le premier livre traduit

poésie accessible à tous, nous sommes en train de

d’une auteur allemande Marylin Krugel « Pose tes

nous pencher sur la question. Le but est de remettre

yeux sur moi ». Un roman plutôt féminin. C’est

la poésie contemporaine dans l’actualité.

l’histoire d’une femme qui a des enfants et qui est professeur de musique, elle va apprendre du jour au lendemain qu’elle est atteinte d’un cancer. Elle va voir sa vie complètement différemment. C’est le portrait d’une femme contemporaine qui s’éveille. Un texte lumineux. Et en octobre, l’auteur Graeme Simsion, l’auteur de « The Rosie Project », sera de retour avec un livre très à la mode. L’histoire d’un musicien qui décide de faire un métier plus sérieux en se lançant dans l’informatique. Un jour, il croise une jeune femme dans un bar, ils se mettent à chanter puis elle disparait. Il va ensuite renouer avec sa passion de la

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LE LIVRE DU MOIS PAR DAVID SMADJA TOUT LE MONDE AIME BRUCE WILLIS DE DOMINIQUE MAISONS - LA CHRONIQUE QUI RÉHABILITE ENFIN LE MARCEL ! JE NE SAIS PAS SI TOUT LE MONDE AIME BRUCE WILLIS MAIS TOUT LE MONDE DEVRAIT AIMER DOMINIQUE MAISONS ! En effet l’auteur n’a pas son pareil pour nous conter des histoires passionnantes se renouvelant sans cesse en bon auteur-caméléon qu’il est. Caméléon car mais oui Léon, il change complètement d’univers avec son nouveau roman (NDLR : à chacun de ses romans en fait). Après nous avoir fait vivre une incroyable aventure dans le Paris du début du XXème siècle dans son précédent roman « Tout le monde se souvient du nom de l’assassin », c’est dans le clinquant Los Angeles de 2018 qu’il nous emmène nous promener. Du côté de Hollywood précisément. Construit en 3 parties, le roman est une cascade de petits kifs. Et c’est juste un pur délice de suivre les tribulations de Rose, jeune actrice au succès ascendant mais dont le subconscient lui cache bien des secrets, la rendant ingérable pour le plus grand plaisir du lecteur qui n’en demandait pas tant à l’auteur !

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ACTUELLEMENT EN LIBRAIRIE

MODERNE, BAROQUE, FÉMINISTE DANS SON PROPOS, « TOUT LE MONDE AIME BRUCE WILLIS » EST UN ROMAN INCLASSABLE. L'AVIS DE LA RÉDACTION C’est trash comme du « Closer » mais écrit comme du Camus, c’est dire si c’est beau ! Maisons possède l’une des plumes les plus brillantes du siècle. Ses mots enjolivent l’esprit et subjuguent l’imaginaire créant instantanément un monde qui se matérialise et s’anime dans votre esprit au fur et à mesure que ces dits mots défilent devant vos yeux. C’est si bien écrit qu’on ressent chaque joie, chaque malaise, chaque atermoiement de l’héroïne. Et puisqu’on parle des mots et des références, l’écriture et l’ambiance font penser à du Brett Easton Ellis moins la coke. Un Ellis où l’on comprendrait chaque mot et chaque chapitre, un joyeux mélange de « Glamorama » pour le name-dropping et le freakshow hollwoodien ; et de « Moins que Zéro » pour l’ambiance délétère de jeunes friqués en perdition.

Jouissif, jubilatoire, dans ce roman Maisons ne s’interdit rien. L’auteur s’éclate, l’auteur se lâche et le lecteur est en roue libre ne sachant à quel saint se vouer. On se laisse délicieusement guider, à l’aveugle, le foulard sur les yeux. Et un bouquin qui met Bruce Willis dans son titre - l’homme pour qui le mot coolitude a été inventé – n’a qu’une seule vocation : vous donner du bon temps.

POURQUOI ON AIME ?

D’ailleurs, vous ne bouderez pas votre plaisir en découvrant au fil de votre lecture d’étonnants voire très drôles « Easter Eggs », que je ne dévoilerai pas ici pour ne pas vous gâcher la surprise sinon vous dire que le roman contient la meilleure vanne du monde sur Johnny Depp (!). Jésus a dit à Pierre, un de ses 12 apôtres, « tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon église » ; nous on a envie de dire « tu es Maisons, et sur cette maison je bâtirai mon plaisir. »


LA CHRONIQUE LIVRE D'ALEXANDRA DE BROCA

LIVRE LFC MAGAZINE

09 STÉPHANE GUILLON JOURNAL D'UN INFRÉQUENTABLE

ALEXANDRA DE BROCA EST ROMANCIÈRE ELLE A PUBLIÉ LA SŒUR DU ROI (ALBIN MICHEL) TOUJOURS DISPONIBLE EN LIBRAIRIE PHOTO : COUVERTURE DU LIVRE DE STÉPHANE GUILLON, JOURNAL D'UN INFRÉQUENTABLE (GRASSET). MAI 2018


VOUS ME DIREZ POURQUOI LIRE LE LIVRE D’UN HUMORISTE ALORS QU’ON PEUT RETROUVER SES MEILLEURES CHRONIQUES OU TRAITS D’HUMEUR SUR INTERNET ? POUR UNE RAISON SIMPLE, CET HOMME A UNE TRÈS JOLIE PLUME ET LIRE LE RÉCIT DE L’ANNÉE FOLLE DE FIN DE RÈGNE DE HOLLANDE ET DE L’ARRIVÉE DU JEUNE MACRON EST SALUTAIRE POUR NOTRE CERVEAU ENDORMI ET NOS ZYGOMATIQUES ASSOUPIS. L’HOMME PEUT AGACER, MAIS IL FAUT CONVENIR QU’IL EST INTELLIGENT ET QUE SON DESSEIN DE TRANSFORMER L’INDIGNATION EN RIRE NOUS EST NÉCESSAIRE. SON MENTOR GUY BEDOS L’A FORMULÉ MIEUX QUE PERSONNE AVEC CETTE CITATION : LE RIRE POUR CERTAINS EST UNE LANGUE ÉTRANGÈRE. ILS ONT BESOIN DE SOUS TITRES. MAIS POURQUOI S'EST-IL MIS DANS CETTE GALÈRE ? Entre mai 2015 et mai 2016, le monde politique a perdu tout sens commun devant l’approche de l’élection présidentielle et cela avec ou sans sous-titres… À Stéphane devenu chroniqueur à Canal Plus (propriété de Bolloré faut-il le rappeler) de prouver qu’en des temps difficiles sa plume et son talent sauront saisir sur le vif la chute de Fillon, la L'AVIS DE LA RÉDACTION décomposition de Hollande et la montée d’un insolent sans parti. Montée qu’il ressent jusque dans son foyer puisque sa femme est atteinte de Macronite aigüe. Et le tout sans agacer le patron de l’émission ACTUELLEMENT EN LIBRAIRIE soucieux de son audimat, et le propriétaire de la chaine soucieux de ses amis au pouvoir. Rester zen quand la télévision s’affole et quand vos traits d’humour, sortis de leurs contextes, déclenchent un tollé qui fera que votre participation à l’émission ne sera pas renouvelée la saison suivante, mais que votre patron, l’homme habillé de noir et accro à la télévision, n’aura jamais le courage de vous dire en face… Mais pourquoi s’est-il mis dans cette galère ? Pourquoi s’être moqué de gens hauts placés alors que le rire pouvait venir de situations ou de personnes qui n’allaient pas se plaindre au patron de la chaine ?

C’est là que Stéphane Guillon dans l’écriture de son année folle devient sincère en avouant sa détestation de l’injustice un peu pour lui, mais surtout pour les autres. Il se dévoile et ses hésitations, ses doutes, sa crainte de mal faire et sa volonté d‘être reconnu comme autre chose qu’un trait d’esprit fait sourire et attendrit. Passer du rire devant ses satires à la réflexion et même à la tendresse pour un homme qui a priori ne devrait pas faire pleurer dans le Landerneau est la gageure réussie de son livre. En achevant Journal d‘un infréquentable, on a envie de le connaître et même de le fréquenter et lui dire qu’il est nécessaire à notre bonne santé mentale, mais qu’on ne lui souhaite pas d’abîmer la sienne. Ce qu’hélas ont peut craindre pour lui quand on voit comment le patron en noir l’a viré… Aussi impropre que d’autres salariés de chez Bolloré ou de grands groupes ou d’autres inconnus qui n’ont pas la notoriété de Stéphane… Son livre nous permet de confirmer que son talent nous fait du bien et qu’on peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui …merci monsieur Desproges.


LA CHRONIQUE LIVRE D'ALEXANDRA DE BROCA Joseph n’était pas destiné à être un héros de tragédie. Et encore moins d’avoir sa photo en couverture du bouleversant témoignage de sa mère. Fils ainé et aimé de parents « normaux », de parents ni trop sévères ni indulgents, il avait tout pour devenir un adulte. Sauf qu’il est parti sans avoir pu quitter le monde de l’adolescence. Sa mort le 28 décembre 2016 laisse une maman dévastée, un père et deux frères perdus et une grand-mère chez qui le drame a eu lieu, anéantie. Sans parler des amis qui ont accompagné sans relâche cette traversée du désert, sans issue possible. Mais de quoi estil mort pour entrainer un livre sur sa courte existence et alerter les pouvoirs publics ?

Joseph, comme tant d’autres jeunes, a fumé tôt des joints. Un geste banal, mais dévastateur qui a entrainé chez lui une dépendance immédiate. Une dépendance si forte qu’il en est mort. Pas de drogue. Joseph n’était pas un junkie, il est mort d’une dépendance aux antidépresseurs ! Vers 16 ans, Joseph ne parvient pas à dormir et déclenche des bouffées d’angoisse. Un médecin persuadé que « dormir c’est important » lui prescrit des anti anxiolytiques pour l’apaiser. La dépendance devient si forte et rapide chez lui qu’il lui est impossible de s’en passer. Les effets s’atténuant avec le temps, Joseph est obligé d’augmenter les doses. Et pour cela il faut voler, tricher, mentir, car chacun de nous a dans son armoire à pharmacie des comprimés censés nous aider à surmonter un coup de blues. Et Joseph ne pouvant contrôler cette abominable dépendance est prêt à tout. Sa quête de médicaments est rapidement sans limites. Il a beau promettre et jurer qu’il ne recommencera pas, il plonge, et met rapidement sa vie en danger. Très vite, Juliette reconnaît à son comportement, à son regard qu‘il est en manque…

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Des échecs pour le scolariser, des cures sans effets, des thérapies, des voyages et toujours des médecins différents qui ne suivent pas lorsque Joseph craque et abandonne. Ni l’amour des siens ni la conscience qu’il frôle l’overdose ne l’arrête. Un ado capable de mentir à la police, de sauter un mur pour trouver un vulgaire antidépresseur qu’il a appris bien vite à mélanger avec d’autres médicaments inoffensifs comme du sirop pour la toux. Connaissez-vous le Purple drank ? Un cocktail à base de codéine, de sirop pour la toux, d’antihistaminique et de Sprite ? Le dosage est sur internet et les produits licites faciles à trouver… Mais le bonheur est fugace et le mélange surtout avec l’alcool mortel !

Le témoignage de Juliette est édifiant. Dès les premières lignes, on sent que cette maman exemplaire va perdre la bataille. Elle le sait malade, mais ne le juge pas. Elle a beau se précipiter à chaque appel, se lever chaque nuit, lui faire des tests pour savoir ce qu’il a avalé, courir les médecins, la dépendance va gagner et ni son amour, ni ses efforts, ni l’envie de Joseph de s’en sortir n’y feront rien… À chaque échec scolaire ou de cure, le médecin changeait. Jamais un référent médical n’a suivi l’enfant qui a été balloté de mains en mains. Pire, devenu majeur, il pouvait quitter l’hôpital et refuser le traitement lorsque le manque devenait intolérable, et revenir vers son refuge : sa mère.

JULIETTE BOUDRE MAMAN, NE ME LAISSE PAS M'ENDORMIR (L'OBSERVATOIRE) ACTUELLEMENT EN LIBRAIRIE

Juliette décrit avec pudeur et avec une plume élégante, mais incisive la descente aux enfers de son couple et de sa famille. Elle a voulu y croire et ne confiait pas son calvaire pour que la société ne juge pas son fils. Elle avançait comme un vaillant petit soldat qui devait protéger son petit homme. Sauf qu’elle était seule ! Joseph avait peur de l’overdose médicamenteuse. Il avait raison. Il en est mort.


LFC MAGAZINE

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MAI 2018

PAR CHRISTOPHE MANGELLE ET QUENTIN HAESSIG PHOTOGRAPHIES : CÉLINE NIESZAWER LEEXTRA STYLISME LES PETITES...PARIS

LOUISE PASTEAU PHOTOS EXCLUSIVES ET INTERVIEW


Louise Pasteau est actrice, auteur dramatique et enseigne aux adolescents du Cours Florent. C’est ainsi qu’elle est amenée à leur parler, à écouter leurs problèmes d’ados, et à leur faire prendre conscience de certaines choses sur la confiance en soi, l’acceptation son S E L I N A R Ide CHA R D Scorps… Elle publie une lettre qu'elle adresse aux adolescents "Ta putain de vie commence maintenant !" (Albin Michel) actuellement disponible en librairie. Séance photos avec Céline Nieszawer et entretien inédit avec Christophe Mangelle. LFC : Nous nous rencontrons pour la sortie

de façon générale profondément rejetée. Que

de votre premier livre Ta putain de vie

ce soit les professeurs, les parents… J’ai donc

commence maintenant. Comment est née

souhaité les faire travailler de façon différente,

l’envie d’écrire ce livre ?

pas en tant que figure d’autorité, mais en tant que grande sœur cool. Pour ce faire, j’ai

LP : Je suis professeur de théâtre au Cours

commencé à parler en mettant des fuck dans

Florent. Je donne des cours aux adolescents

les phrases, à employer leur langage. Cela m’a

depuis presque dix ans et je me suis rendu

rendu plus cool, car il m’arrivait de parler

compte que je parvenais à les faire

encore plus mal qu’eux ! (Rires) Tout se passait

progresser sur différentes choses au fil du

bien et j’avais un respect absolu dans mes

temps. Je me suis dit que c’était une bonne

cours. Ils se mettaient dans une position où ils

occasion d’en faire un livre. L’idée était de

savaient que je n’étais pas là pour les ennuyer.

leur faire gagner du temps donc de l’argent et surtout du plaisir.

LFC : Vous avez trouvé le bon moyen pour les intéresser à la lecture. Était-ce important

LFC : C’est ce que vous marquez sur la

pour vous de faire prévaloir la notion de

quatrième de couverture. Est-ce comme

plaisir lorsqu’on lit un livre ?

cela que vous avez réussi à les attirer ? LP : Le message était de prendre du plaisir de

46

LP : Je me suis aperçue que tout ce qui était

façon générale. Il faut apprécier chaque instant.

figure d’autorité pour les adolescents était

Je crois que le putain véhicule ce


positionnement-là. LFC : Il y a également une notion de bordel. Pouvez-vous nous en parler ? LP : Les mots putain et bordel sont des mots qui reviennent souvent dans le livre. C’est

SELINA

une façon de parler. Le gros bordel de la vie, c’est le monde dans lequel nous évoluons. Lorsque l’on est adolescent ou adulte, nous nous interrogeons toujours sur un million de choses, sur des points qui ne sont pas clairs. C’est de ce bazar que je voulais parler.

Les mots putain et bordel sont des mots qui reviennent souvent dans le livre. C’est une façon de parler. Le gros bordel de la vie, c’est le monde dans lequel nous évoluons. Lorsque l’on est adolescent ou adulte, nous nous RICHARDS interrogeons toujours sur un million de choses, sur des points qui ne sont pas clairs. C’est de ce bazar que je voulais parler. LP : On peut le voir de cette façon. Ce livre peut faire du bien à beaucoup de monde, jeune ou

LFC : Voulez-vous leur donner des outils

non.

afin qu’ils aient confiance en eux et qu’ils se rendent compte de leur potentiel ?

LFC : Pensez-vous qu’il est plus dur d’être jeune à notre époque ?

LP : Ils doivent arriver à être irremplaçables. Cynthia Fleury a d’ailleurs écrit un livre génial

LP : Je ne crois pas. Le jeune est intemporel et

Les irremplaçables (Gallimard, 2015) sur la

universel. Comme l’amour.

notion d’individuation. Le fait d’être en phrase avec soi-même permet de réaliser ses

LFC : Nous avons vu sur les réseaux sociaux

rêves et de se donner le maximum de chance

que Jacques Attali soutenait votre livre. Il dit

de réussir.

que c’est l’un des livres les plus positifs sur la jeunesse.

LFC : Vous abordez l’idée de ne pas écouter ce qu’il se dit autour de nous afin

LP : Jacques Attali avait écrit un ouvrage il y a

de maintenir son cap ?

quelques années intitulé Devenir soi (Fayard, 2014) qui visait ces objectifs

LP : Exactement. C’est le but de cette lettre.

d’épanouissement. Même si mon livre est traité

C’est une compilation de tout ce que j’ai pu

différemment, les valeurs restent les mêmes.

expliquer en cours. Je parle de l’individu à travers le corps et l’esprit qui ne forme qu’un

LFC : Votre livre est une sorte de

pour moi.

développement personnel pour les jeunes. C’est assez inédit, car ces livres ne sont

47

LFC : Ce livre est-il un pied de nez pour aller

généralement pas destinés aux jeunes.

à l’encontre d’une certaine morosité ?

Pourquoi selon vous ?



Je pense que c’est intéressant de fréquenter des gens différents et de s’ouvrir aux autres. La vie va vite et il faut vraiment que les jeunes en profitent au maximum. SELINA RICHARDS LP : Il faut attaquer tôt pour que les gens se

LP : Je constate beaucoup de publications sur

sentent bien dans leur basket. C’était un

les réseaux sociaux. Notamment de la part de

créneau très important à prendre. C’est à

parents qui trouvent que ce livre est un lien

l’école que tout se joue. Le système à

entre eux et leurs enfants. Je reçois des

tendance à mettre les enfants en compétition

messages très touchants de jeunes

avec les notations et les classements. Nous

adolescents pour qui ce livre est d’une grande

sommes modélisés d’une certaine façon.

aide.

C’est intéressant de remettre les choses à leur place vite pour que les jeunes puissent

LFC : Allez-vous sur le terrain pour

s’épanouir tôt. Plus on attend, plus c’est

rencontrer vos lecteurs ?

compliqué. LP : Je vais y aller très prochainement. Des LFC : Actuellement, il existe une grogne

rencontres sont prévues dans des lycées. Pour

assez générale dans notre société dont les

l’instant, je me contente de mes élèves ! (Rires)

jeunes font partie. Pensez-vous que le livre fait écho à ce qui se passe en ce moment ?

LFC : Ce que vous faites au quotidien, est-il un moyen de garder votre part

LP : Oui, en quelque sorte. J’invite les jeunes

d’adolescence ?

à se responsabiliser et à faire leurs choix en fonction de cela. J’avais écrit un passage sur

LP : Étant donné que j’ai plus de cinquante

le système scolaire que j’ai finalement enlevé,

ans, oui ! (Rires) Je pense que c’est intéressant

car c’était un peu trop militant. Dans la vie, il y

de fréquenter des gens différents et de s’ouvrir

a deux catégories, des choses sur lesquelles

aux autres. La vie va vite et il faut vraiment que

on peut agir et d’autres non. Les choses sur

les jeunes en profitent au maximum.

lesquelles on ne peut pas agir, ça ne sert à rien de s’ennuyer avec.

LFC : Pour quelles raisons les adolescents doivent-ils lire ce livre ?

LFC : Le livre est sorti il y a quelques mois. Comment vivez-vous l’aventure ? 49

LP : Tout simplement pour ne pas vieillir.


L O U I S E

P A S T E A U


L'ENTRETIEN QUI FAIT DU BIEN

AGNÈS LEDIG PHOTOS EXCLUSIVES

pour LFC Magazine avec notre partenaire l'agence LEEXTRA, photographies de Julien Falsimagne

MAI 2018

INTERVIEW INÉDITE par Christophe Mangelle et Quentin Haessig


Agnès Ledig est une romancière que l'on soutient depuis ses débuts et que nous aimons particulièrement. Ses romans sont des succès en librairie, les lecteurs adorent la lire pour l'humanité qui émane de son écriture et son approche sincère de la nature. Son nouveau roman "Dans le murmure des feuilles qui dansent" nous a bouleversé profondément. Touché en plein cœur, nous sommes heureux de cet entretien inédit accompagné de très jolies photos exclusives signées Julien Falsimagne. Rencontre. LFC : Comment est née l’idée d’écrire ce livre ? AL : Ce livre s’est fait en deux temps. Il y a quatre ans, j’avais écrit l’échange épistolaire en un mois. Puis, je l’avais laissé reposer dans un tiroir. Depuis le début, je sentais que j’avais besoin de parler de la leucémie et de ce qu’était la vie à l’hôpital. Cependant, je n’avais pas trouvé d’angle pour en parler. J’ai mis cinq romans pour finalement trouver celui de la nature. LFC : Pourquoi tout ce temps a-t-il été nécessaire ? AL : Je crois que mes idées avaient besoin de mûrir dans mon esprit. J’ai aussi pris tout ce temps, car je ne voulais pas parler que de cela. J’ai donc repris l’échange épistolaire. Et j’ai croisé ces deux histoires. LFC : Ce livre est une sorte de roman choral. On suit la vie d’un jeune garçon avec sa maladie, la vie de ses parents et surtout celle de son frère. AL : Son frère est le personnage principal de cette partie. J’aimais le fait que ces deux histoires se rejoignent. Je LFC MAGAZINE #9 | 52

précise que cette histoire n’est pas autobiographique, on ne me retrouve pas dans le personnage de Thomas, ni même dans celui des parents. Les seules choses qui sont tirées de mon histoire personnelle, ce sont les choses médicales, le déroulement de la leucémie et de la greffe. Pour ne pas que l’on pense que c’est autobiographique, j’ai pris le pas de côté du grand frère pour montrer que c’est encore une autre forme d’amour par rapport à mes livres précédents. C’était aussi une manière de relativiser, notamment dans l’échange épistolaire entre Anaëlle et Hervé où la situation de Simon va beaucoup la faire réfléchir. LFC : On laissera le lecteur découvrir tout cela. Hervé a un métier assez important. Pouvez-vous nous parler de ce personnage ? AL : Il est procureur et il est très pris par son travail. Cependant, il s’ennuie beaucoup. C’est le personnage qui a tout pour lui : une femme, une belle maison, un bon salaire. Et pourtant, cela ne suffit pas. Il lui manque de la fantaisie dans sa vie. Anaëlle arrive avec ce grain de fantaisie qui va créer une respiration chez Hervé. LFC : Anaëlle a aussi ses secrets et c’est une façon pour vous d’aborder le thème du handicap.



Pourquoi ce thème vous tenaitil à cœur ? AL : Peut-être parce que je suis sage-femme et que je suis très touchée par les problèmes que les enfants ont dès la naissance. Notre société actuelle n’accepte pas le handicap. Par exemple, on ne peut pas prendre le métro lorsque l’on est en fauteuil roulant. J’ai également vu des parents qui refusent de mettre au monde des bébés avec des problèmes de santé. Je trouve assez choquant que notre société actuelle soit à ce point inadaptée. Les personnes handicapées ont du mal à trouver leur place. LFC : Vous abordez la leucémie et la chimiothérapie en rapport avec la nature et la forêt. Vous donnez des explications sur les arbres et la sève, vous la comparez au sang. AL : J’adore la nature. Plus je lis des livres qui parlent des arbres, plus je vois un lien évident avec les hommes. La sève est le sang, l’écorce est la peau, les feuilles sont les cheveux. Même si la nature n’a pas besoin de nous, nous avons besoin de la nature. Nous sommes complémentaires. C’est là que j’ai trouvé la clé pour aborder la leucémie. C’est la nature qui va aider mon personnage à tenir à l’hôpital. Son grand-frère, étant menuisier, va parvenir à ramener la nature dans la chambre d’hôpital. Je trouvais

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Notre société actuelle n’accepte pas le handicap. Par exemple, on ne peut pas prendre le métro lorsque l’on est en fauteuil roulant. J’ai également vu des parents qui refusent de mettre au monde des bébés avec des problèmes de santé. Je trouve assez choquant que notre société actuelle soit à ce point inadaptée. Les personnes handicapées ont du mal à trouver leur place. que c’était une façon de ne pas se focaliser sur la maladie. Les enfants ont la capacité extraordinaire à trouver une échappatoire et à transcender leur quotidien à travers le jeu ou la magie. LFC : Émotionnellement votre livre est très fort. Vous parvenez à nous sensibiliser et à nous intéresser à un sujet qui ne nous concerne pas tous directement. Tout cela grâce à votre écriture. AL : J’essaye d’aller au cœur des émotions de façon simple. Je veux que ce soit facile à comprendre et à intégrer dans les tripes du lecteur. Cela me fait plaisir que vous disiez cela car j’ai travaillé différemment sur ce livre. J’avais besoin qu’il soit percutant. Je veux vraiment m’améliorer de livre en livre. J’ai l’impression d’avoir bouclé une boucle. J’ai mis cinq livres à y parvenir. Mais dans ce sixième, je suis parvenue à clore un chapitre. LFC : Il y a une promesse de faite à votre fils dans ce livre (le fils d’Agnès Ledig est décédé d’une leucémie en 2006). Vous lui avez promis de faire de cet espace de vie, une joie. AL : J’ai promis à mon fils d’être joyeuse. Je ne dis pas



que cela est facile car il y a un gros travail d’acceptation. Seulement, j’ai une bonne réserve de joie de vivre au fond de moi. Et je ne m’imaginais pas vivre dans le noir pour le restant de mes jours. C’est lui ma lumière. Je lui dois ce livre. Ce qui est magnifique, c’est que cette lumière est contagieuse. LFC : Imaginez-vous une suite à ce livre ? AL : On me le demande souvent. Pour l’instant, ce n’est pas dans mes projets même si les personnages sont très ancrés en moi. Peut-être qu’un jour, ils auront quelque chose d’autre à vivre. Je suis vraiment heureuse de transmettre cette lumière aux gens. Quand j’ai vu les réactions des lecteurs ce week-end à Montaigu, j’ai été très touchée. LFC : L’écriture de ce livre est très cinématographique. L’adaptation de ce livre en film se niche-t-il dans un coin de votre tête ? AL : J’aimerais beaucoup. Il y a des plans magnifiques à faire, notamment celui avec la montgolfière. C’est un livre plein de poésie. On verra ce qui se passe. LFC : De manière générale, à qui adressez-vous ce livre ? AL : À tous ceux qui ont envie de comprendre que la fraternité, le don de soi et le non-jugement sont les valeurs les plus importantes dans nos vies. C’est récurrent dans mes romans. C’est pour cela que j’ai dépeint le personnage de Thomas comme quelqu’un qui est prêt à tout pour son petit frère. Je voulais montrer qu’il ne faut jamais juger quelqu’un car on ne sait pas de quoi sa vie est faite. Tout le monde juge et commente sans se poser de questions. Il fallait que je lève le voile sur cela. Si je prends l’exemple du don du sang, c’est très bien d’aller le donner après un attentat. Mais malheureusement, ce ne sont pas les seuls drames

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qui existent. Il y en a tous les jours. Les gens atteints de leucémie ont besoin de sang. Les accidentés de la route ont besoin de sang. Je n’arrive pas à comprendre que les consciences ne s’élèvent pas plus à ce niveaulà. S'il y avait un seul message à retenir de ce livre, c’est qu’il faut ouvrir son cœur et être généreux même si on ne connait pas les personnes qui sont en face de nous. Liberté, égalité et fraternité, ce sont des valeurs que l’on oublie trop souvent.

J’ai promis à mon fils d’être joyeuse. Je ne dis pasque cela est facile car il y a un gros travail d’acceptation. Seulement, j’ai une bonne réserve de joie de vivre au fond de moi. Et je ne m’imaginais pas vivre dans le noir pour le restant de mes jours. C’est lui ma lumière. Je lui dois ce livre. Ce qui est magnifique, c’est que cette lumière est contagieuse.


La sève est le sang, l’écorce est la peau, les feuilles sont les cheveux. Même si la nature n’a pas besoin de nous, nous avons besoin de la nature. Nous sommes complémentaires. C’est là que j’ai trouvé la clé pour aborder la leucémie. C’est la nature qui va aider mon personnage à tenir à l’hôpital.


Les enfants ont la capacité extraordinaire à trouver une échappatoire et à transcender leur quotidien à travers le jeu ou la magie.


LFC MAGAZINE

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MAI 2018

AURÉLIE VALOGNES

PHOTOS EXCLUSIVES ET INTERVIEW PAR CHRISTOPHE MANGELLE ET QUENTIN HAESSIG PHOTOGRAPHIES : ARNAUD MEYER LEEXTRA


Aurélie Valognes devient romancière à succès le jour où elle décide de tout plaquer par amour pour suivre son amoureux à l'étranger. Le grand saut dans le vide lui donne rendez-vous avec une foule d'incertitudes. Dans ce contexte, elle écrit et S E L "Mémé I N A R I C dans H A R D Sles orties", phénomène publie éditorial. Trois romans plus tard, "En voiture Simone !", "Minute papillon !"(Le livre de poche) et son nouveau en grand format "Au petit bonheur la chance !" (Mazarine), nous la rencontrons pour une séance de photos et un entretien inédit. LFC : Comme c’est la première fois que

quand même décidé de le suivre avec notre

nous nous rencontrons, nous aimerions

petit garçon. C’était le bon moment pour

revenir sur vos débuts en tant qu’écrivain.

commencer ce vieux rêve que j’avais en tête

Tout a commencé avec l’auto-édition.

dans un pays où personne ne vous juge et ne

Était-ce un choix ? Ou ne vouliez-vous pas

vous connaît. Je ne savais pas ce que je voulais.

envoyer vos livres dans une maison

Mais tous les matins, j’ai décidé d’écrire

d’édition traditionnelle ?

quelques pages.

AV : Écrire a toujours été un rêve de petite

LFC : Le fait d’être dans un pays étranger

fille. Seulement tout semblait tellement

vous a-t-il aidé ?

difficile que j’ai mis ce rêve de côté en étant

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simplement lectrice. Quand il a fallu choisir

AV : Si j’étais restée en France, j’aurais gardé la

une voie après le bac, j’ai hésité à prendre la

routine métro, boulot, dodo. Cela n’a pas été

filière littéraire, mais je trouvais cela un peu

facile de dire oui à mon mari. J’ai énormément

risqué. Je me suis donc orientée vers une

douté. Une fois que l’on est arrivé en Italie, j’ai

école de commerce où j’ai fait du marketing

commencé à regarder des tutoriels sur

et de la communication. J’ai travaillé

YouTube un peu au hasard. Et je suis tombée

pendant une quinzaine d’années jusqu’à ce

sur une vidéo de Bernard Werber qui donnait

que mon mari soit muté en Italie. J’ai

dix conseils pour écrire son premier roman. Puis

démissionné et je me suis posé beaucoup de

j’ai regardé une autre vidéo où il était question

questions. J’étais un peu perdue, mais j’ai

d’écrire son livre en cent jours. Au bout de


quatre mois, mon premier roman était prêt. J’ai trouvé le titre Mémé dans les orties par hasard. Je n’ai dit à personne que j’avais écrit ce roman. Et je me suis demandé ce que j’allais en faire. LFC : Qu’avez-vous donc fait ?

SELINA

AV : La première chose, je l’ai fait lire à mon mari et à ma meilleure amie qui ont trouvé cela génial. C’est à ce moment-là que je me suis dit : ce sont des menteurs ! (Rires) Je savais qu’en l’envoyant dans des maisons

Les personnes âgées ont un rôle important dans mes livres. Il ne R I C H A R D S faut pas s’encombrer du superflu et revenir à l’essentiel.

d’édition, j’allais avoir des réponses types

qu’il m’a repéré sur Amazon et qu’il veut

comme quoi ce n’était pas le genre de la

absolument éditer mon texte. Puis Albin Michel

maison. J’étais sûre que ce livre était bon.

surenchérit. Ils me disent qu’ils ont aussi adoré

C’est pour cela que je l’ai soumis aux lecteurs

mon texte et qu’ils souhaitent également le

par le biais Amazon. J’ai eu les premières

publier.

réactions de gens que je ne connaissais pas qui me mettaient la note de cinq sur cinq et

LFC : C’est le rêve d’une petite fille qui prend

qui me disaient bravo. Mon livre est ensuite

forme.

rentré dans le top cent de la plateforme. Au bout de six semaines, il rentre dans le top

AV : Exactement. Mais je suis quand même

vingt. Je remarque que je commence à

perdue. Michel Lafon a un discours plus

côtoyer les Prix Goncourt, les Prix Médicis…

commercial et Albin Michel recherche LA

J’avais accumulé plus d’une cinquantaine

pépite d’internet. On me fait comprendre que si

d’excellents avis. Ce qui m’a conforté dans le

je veux que cela fonctionne, il faudra

fait que mon livre était bon. J’ai imprimé

retravailler le texte. Je décide finalement de

quelques exemplaires que j’ai envoyés à des

m’engager avec Michel Lafon, mais à la

maisons d’édition qui faisaient des romans

condition que quelqu’un m’aide à retravailler

qui me ressemblaient. Je pense à Anna

mon livre. Il n’y avait pas tant de choses que

Gavalda chez Le Dilettante, Katherine Pancol

cela à modifier. Il s’agissait surtout de dire en

chez Albin Michel, Marc Levy chez Robert

deux phrases ce que je disais en trois.

Laffont et Agnès Martin-Lugand, inconnue au

61

bataillon à cette époque, chez Michel Lafon.

LFC : Vous passez de l’auto-édition à

Quasiment au même moment, je reçois un

l’édition avec Mémé dans les orties, et ce qui

appel du pied sur Facebook de Florian Lafani

est intéressant, c’est que le titre n’a pas

qui travaille chez Michel Lafon et qui me dit

changé.


A U R É L I E

V A L O G N E S


AV : C’est vrai. J’y tenais. Là où il y a eu une

qui vous tient à cœur ?

grosse bataille, c’était sur la couverture. Michel Lafon m’a proposé tout de suite d’en choisir une

AV : J’y tiens beaucoup. Ce sont mes

autre. Comme ils m’ont expliqué, ce n’était pas

racines. Il y a quelque temps, une

les codes du marché. Et peut-être que c’est à

chaîne de télévision a souhaité me

cause de cette couverture que le livre a marché.

rendre visite à Milan pour voir comment

Quand je l’ai écrit, j’ai pensé à mon grand-père

SELINA avec beaucoup de nostalgie. Et j’avais imaginé

je vivais. Je les ai prévenus en leur

R I C H A Rdisant D S qu’ils allaient s’ennuyer, car je

cette couverture en pensant à tous les souvenirs

suis une véritable tortue. Ma vie n’a

que j’avais de mon enfance. Je vais être honnête

aucun intérêt. Mais cela était important

avec vous, les propositions de couvertures de

pour les lecteurs pour qu’ils

Michel Lafon étaient horribles. J’ai été

comprennent que tout avait commencé

persévérante et cela a finalement payé.

à Milan. Et pour qu’ils puissent mettre un visage sur mon nom.

LFC : Aujourd’hui, vous publiez votre quatrième roman Au bonheur la chance !.

LFC : Nous ne savions pas qui nous

Vous accordez beaucoup d’importance au

allions rencontrer aujourd’hui et nous

graphisme, que ce soit dans l’image ou dans

remarquons que vous voulez avant

les titres. Selon vous, est-ce un atout ? Ou

tout être authentique. Qu’en pensez-

n’avez-vous pas peur qu’à un moment donné

vous ?

cela vous enferme ? AV : Tout à fait. Je suis toujours étonnée AV : Je me suis cherchée pendant un moment.

que les gens patientent dans une file

Le deuxième titre En voiture Simone ! était

d’attente pour faire dédicacer leurs

simplement le titre de mon document Word. Je

livres. Pour le Salon du Livre, c’est assez

tenais absolument à avoir une phrase dans la

bête de dire cela, mais j’avais peur qu’il

lignée du premier livre, j’aimais le côté

n’y ait personne sur mon stand. Je suis

révérencieux et humoristique. J’ai su, dès ce

consciente que tout va s’arrêter un jour.

moment-là, que les titres de mes prochains livres

Je sais que rien n’est acquis. Mon

seraient des expressions. Je ne me sens pas

entourage me le rappelle tous les jours.

vraiment enfermée, car à chacun de mes

J’ai l’impression que ce n’est même pas

chapitres, il y a des expressions. C’est quelque

moi qui ai écrit mes livres. Tous les

chose qui ne manque pas en France. Tout cela,

messages que je reçois de la part des

je le dois à ma famille. Mes grands-parents n’ont

lecteurs sont bouleversants. De pouvoir

cessé d’utiliser ces expressions tout au long de

créer ce sentiment chez eux, c’est

leur vie.

incroyable.

LFC : Le côté populaire est-il quelque chose 63


LFC : Pour quelles raisons tenez-vous tant

personnages. C’est dingue pour moi de

aux valeurs, très présentes dans vos

savoir que j’amène des gens à la lecture

romans ?

et qu’en plus ils lisent les quatre à la suite. J’ai enregistré il y a quelques jours

AV : La surconsommation est quelque chose

l’émission C à vous et il y avait quelques

qui m’énerve. C’est pour cela que mon

fans devant l’entrée du studio qui ont dit

dernier roman se passe dans les années

lorsque je suis arrivée : c’est l’écrivain

une orange à Noël, vous étiez très content.

prenez un poids de trois cents kilos sur

Quand je vois les Noël d’aujourd’hui où il y a

le dos, vous repensez à Victor Hugo, à

des dizaines et des dizaines de cadeaux dont

Balzac… Je ne pense pas représenter ces

on ne sait même plus quoi faire, c’est quelque

auteurs, car mes romans sont optimistes

chose de très angoissant. Les plus belles

et positifs. Mais cela me fait quelque

valeurs, ce sont celles que mes parents m’ont

chose. Je veux simplement démocratiser

inculquées. C’est aussi pour cela que les

la lecture.

S E L I N AAurélie RIC HARDS soixante. À cette époque, lorsque vous aviez Valognes. À ce moment-là, vous

personnes âgées ont un rôle important dans mes livres. Il ne faut pas s’encombrer du

LFC : Quatre livres sont disponibles

superflu et revenir à l’essentiel.

actuellement en librairie. Des adaptations pour la télévision ou le

LFC : Toutes vos couvertures expriment

cinéma sont-elles en cours ?

l’esprit provincial et minimaliste. Il faut se contenter du peu...

AV : Depuis janvier, on m’a positionné cinquième dans les meilleures ventes de

AV : Je suis une trentenaire, et pourtant, j’ai

livres en France alors qu’avant j’étais

une vie de grand-mère et je le revendique !

l’auteur cachée qui était la chouchoute

(Rires) Dans quelque temps, je vais quitter

des lecteurs. J’ai fait ma première

l’Italie pour partir vivre en Bretagne et je sais

télévision il y a quelques semaines avec

que j’aurais une vie tranquille. J’aime me

Laurent Delahousse, puis le plateau de C

rappeler qu’il est important de revenir aux

à Vous. L’engouement commence à

vraies choses et non à l’argent.

prendre, et notamment par rapport aux producteurs. Mon deuxième livre En

LFC : Quelle relation entretenez-vous avec

voiture en Simone, qui est certainement

vos lecteurs ?

le plus cinématographique, est en lice pour devenir un film. Plusieurs

AV : Ils sont incroyables. Tous les matins, je

producteurs sont sur le projet. Je

reçois presque quarante mails de

souhaite que ce roman ait une deuxième

remerciements, de témoignages, de petits

ou une troisième vie. C’est une bien

mots… Tout cela, je le dois à mes

belle aventure.

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LFC MAGAZINE

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MAI 2018

AJ PEARCE PHOTOS EXCLUSIVES ET INTERVIEW PAR CHRISTOPHE MANGELLE ET QUENTIN HAESSIG PHOTOS : FRANCK BELONCLE LEEXTRA


Née dans le sud de l’Angleterre, titulaire d’un diplôme en histoire américaine, AJ Pearce travaille dans le marketing. Elle cultive une passion pour la presse magazine depuis l’enfance et collectionne les revues publiées pendant la Seconde S E Guerre L I N A R I mondiale. CHARDS C’est d’ailleurs en découvrant un exemplaire de Woman’s Own daté de 1939 que lui est venue l’idée de son premier roman, "Chère Mrs Bird" (Belfond). Rencontre avec la romancière lors de son passage à Paris pour quelques photos et un entretien inédit. LFC : Nous nous rencontrons pour parler

C’est anglais dans le langage, mais ça l’est

de votre fiction Chère Mrs. Bird disponible

également dans les thèmes que j’ai voulu

aux Éditions Belfond depuis quelques

aborder. C’est une histoire sur l’amitié et

semaines. C’est votre tout premier roman,

j’espère que tout le monde saisira le message

quel est votre sentiment ?

que j’ai voulu faire passer. Si vous avez déjà eu une meilleure amie, vous comprendrez ce que

AJP : Je suis très heureuse. C’est un livre très

j’ai voulu exprimer.

anglais, très drôle et très profond. J’espère que les thèmes plairont aux lecteurs, car ce

LFC : L’histoire se passe à Londres en 1941.

sont des thèmes universels. C’est un livre sur

Votre héroïne Emmy n’a qu’un rêve : devenir

l’amitié et sur le fait de croire en quelque

reporter de guerre. Un rêve qui semble sur le

chose même lorsqu’on croît que tout est fini.

point de se réaliser lorsque la jeune femme décroche un poste au London Evening

LFC : Pourquoi dîtes-vous que c’est un

Chronicles. Mais elle va rapidement

livre anglais ?

déchanter puisque c’est un poste d’assistante à la rédaction du magazine

AJP : C’est un livre anglais au niveau du

féminin Women’s Day qui lui est offert. Et

langage. Le traducteur a parfaitement utilisé

non, un poste de reporter.

le style que j’avais donné au livre, un style

66

old fashioned. Il rappellera sûrement de

AJP : Emmy veut que les choses aillent vite. Elle

vieux films d’époque à certains des lecteurs.

n’a pas encore de job dans une rédaction


A J

P E A R C E


qu’elle veut déjà partir et être reporter de guerre. Elle ne comprend pas qu’il y a d’autres postes aussi importants qui existent au sein d’une rédaction. Elle va devenir assistante, mais beaucoup de surprises l’attendent, notamment avec les lettres des lecteurs.

SELINA

LFC : Comment est née l’idée d’écrire ce livre ? AJP : Je me promenais sur eBay et j’ai trouvé par chance un magazine datant de 1939. Je l’ai acheté. C’était une porte d’entrée vers

C’est un livre très anglais, très drôle et très profond. J’espère que les thèmes plairont aux lecteurs, car ce sont des thèmes R universels. ICHARDS C’est un livre sur l’amitié et sur le fait de croire en quelque chose même lorsqu’on croit que tout est fini.

l’époque de la Seconde Guerre mondiale qui

devons un grand respect. Ce sont des histoires

m’intéressait beaucoup. Les magazines n’ont

auxquelles nous pouvons nous identifier.

pas beaucoup changé depuis cette époque. Vous remarquerez toujours la même chose à

LFC : Emmy lit le courrier des lecteurs et

l’intérieur : de la fiction, de la mode, de la

tombe sur certains témoignages très forts…

publicité, des conseils… Le fait d’acheter ce magazine était une manière de comprendre

AJP : C’est une tâche difficile qu’elle a à faire.

la guerre avec quelque chose qui m’était

Les lettres qu’elle reçoit sont parfois celles de

familier.

parents qui doivent envoyer leur fils à la guerre ou des lettres de leur mari qui disent ne pas

LFC : La configuration de ce roman est

pouvoir les rejoindre. Chaque lettre est un

pleine de légèreté et pourtant le lecteur est

cadeau. C’est fascinant, admirable et

au cœur de la Seconde Guerre mondiale.

émouvant.

AJP : Ce que je voulais montrer, c’est que les

LFC : Était-ce important pour vous d’utiliser

femmes de l’époque avaient les mêmes

l’humour ?

problèmes que les femmes d’aujourd’hui.

68

Que ce soit avec leur mari, leurs enfants, leur

AJP : J’aime écrire des choses sous le ton de

argent, leur travail… Sauf qu’à l’époque,

l’humour. Lorsque je vois les premières

comme vous le dîtes, nous étions en guerre.

critiques du livre, elles sont très bonnes et

Dans les années quarante, les femmes

pleines d’espoir. Certains lecteurs ont ri,

essayaient juste d’agir normalement en

d’autres ont pleuré, les réactions sont vraiment

travaillant, en élevant leurs enfants pendant

diverses. Je crois que mon livre, au-delà d’être

que leur mari était à la guerre. Nous leur

drôle, est très profond et plein de sens.



Il y a eu beaucoup de livres et de témoignages sur les hommes durant la guerre. Très peu sur le destin des femmes. Je ne l’ai pas fait comme un hommage, mais plutôt comme quelque chose que je connaissais. Je m’étais beaucoup renseigné et j’avais fait beaucoup de recherches sur E L I N A R I C H eu A R D Sénormément le sujet. J’ai Stoujours d’admiration pour mon arrière-grandmère et pour tous ces gens qui ont joué un rôle crucial durant la guerre. Ce livre célèbre les femmes qu’elles étaient. LFC : Ce livre est-il un hommage aux

une famille. L’amitié est

femmes ?

quelque chose de volontaire que personne ne vous oblige

AJP : C’est une bonne question. Vous

à faire. C’est pour cela que

savez, il y a eu beaucoup de livres et de

c’est un sentiment très fort.

témoignages sur les hommes durant la guerre. Très peu sur le destin des femmes.

LFC : Ces femmes ont

Je ne l’ai pas fait comme un hommage,

survécu grâce à

mais plutôt comme quelque chose que je

l'expression d'une amitié

connaissais. Je m’étais beaucoup

très forte.

renseigné et j’avais fait beaucoup de recherches sur le sujet. J’ai toujours eu

AJP : Elles n’auraient jamais

énormément d’admiration pour mon

pu faire tout cela si elles

arrière-grand-mère et pour tous ces gens

n’avaient pas été unies

qui ont joué un rôle crucial durant la guerre.

comme elles l’ont été. Elles

Ce livre célèbre les femmes qu’elles étaient.

avaient besoin l’une de l’autre. La guerre était la

LFC : Pensez-vous qu’il y ait une

chose qui les reliait. L’amitié

différence entre l’amour et l’amitié ?

est plus forte que tout. Si vous avez des amis très

70

AJP : Il y en a beaucoup. L’amitié, ce n’est

proches, gardez-les ! Ce sont

pas de la passion. Ce n’est pas quelque

eux qui seront là dans chacun

chose de compliqué comme l’amour dans

des moments de votre vie.


LFC MAGAZINE

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#9

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MAI 2018

AGNÈS MARTIN-LUGAND PHOTOS EXCLUSIVES ET INTERVIEW PAR CHRISTOPHE MANGELLE ET QUENTIN HAESSIG PHOTOGRAPHIES : PATRICE NORMAND LEEXTRA


De l'autoédition au phénomène d'édition, Agnès Martin-Lugand est depuis cinq ans l'une des romancières françaises les plus aimées des Français. Printemps 2018, elle publie son sixième roman "À la lumière du S E petit L I N A Rmatin" I C H A R D S(Michel Lafon). De passage à Paris, nous en profitons pour réaliser une séance de photos signées Patrice Normand et un entretien inédit avec Christophe Mangelle. Rencontre... LFC : Votre sixième roman À la lumière du

histoire d’amour avec votre public.

petit matin vient tout juste de sortir.

Comment expliquez-vous cette longévité ?

Lorsque vous avez commencé votre carrière d’écrivain, pensiez-vous en arriver

AML : Je ne l’explique pas. De plus, je ne veux

là ?

pas chercher à l’expliquer, car si l’on commence à intellectualiser la chose, cela

AML : Non. (Rires) En fin d’année dernière,

perdra de sa sincérité et de sa spontanéité. Ce

j’ai réalisé que cela faisait maintenant cinq

que je trouve intéressant, c’est que les lecteurs

ans que cette histoire avait commencé. C’est

ne me découvrent jamais avec le même livre.

toujours aussi fou surtout lorsque les livres

C’est toujours un plaisir de les rencontrer dans

sortent. Mon mari et moi avons toujours du

les salons, c’est le moment où l’on sort du

mal à y croire. Les cinq dernières années

virtuel. Je me sens toujours très petite lorsqu’ils

sont passées très vite. Je suis prise dans une

me racontent leurs histoires. Il se passe toujours

sorte de belle spirale. Les lecteurs sont

quelque chose : il y a beaucoup d’émotion, de

toujours aussi nombreux. Ils attendent mes

larmes, de bienveillance.

personnages et me demandent de leurs

72

nouvelles. Il y a un côté où je réalise ce qui

LFC : Était-ce difficile de trouver votre

m’arrive, mais cela reste toujours de l’ordre

équilibre entre votre vie professionnelle et

du merveilleux.

votre vie de famille ?

LFC : On sent que vous construisez une

AML : Cette année, au Salon du livre de Paris,



j’ai embarqué avec moi mon mari et mes deux petits garçons. Je voulais qu’ils voient à quoi cela ressemblait la vie d’écrivain. Ils n’en avaient aucune idée. Cette expérience a été très étrange. Mon plus grand garçon se demandait pourquoi j’étais si gentille avec des gens que je ne connaissais pas.

SELINA Pour moi, c’était très important qu’ils réalisent comment mon métier fonctionnait. Il fallait que ces deux mondes se rencontrent pour que je trouve mon équilibre.

Je pars du principe qu’il y a toujours un espoir quelque part. La lumière est toujours au bout du tunnel, même lorsque l’on traverse des épreuves extrêmement RICHARDS compliquées. Il existe toujours un moment où l’on se dit que notre situation ne peut pas être pire. AML : Je pars du principe qu’il y a toujours un

LFC : Si vous êtes la femme et l’écrivain

espoir quelque part. La lumière est toujours au

que vous êtes aujourd’hui, peut-on dire

bout du tunnel, même lorsque l’on traverse des

que c’est grâce à ce socle familial ?

épreuves extrêmement compliquées. Il existe toujours un moment où l’on se dit que notre

AML : C’est certain. Si je n’avais pas mes

situation ne peut pas être pire. Parfois,

trois hommes, je n’en serais pas là

certaines épreuves prennent plus de temps

aujourd’hui. Ils me soutiennent, ils m’aiment,

que d’autres, mais il y a toujours des choses à

ils me bousculent. Mon mari est mon

en tirer. On grandit lors de ces épreuves. Et on

premier lecteur. Et il a un rôle très important

porte un regard nouveau sur la vie. Je ne veux

à jouer. C’est lui qui me connaît le mieux et il

surtout pas m’interdire de raconter le joli.

peut jouer le rôle d’écran entre nous. LFC : On a le sentiment que toutes vos LFC : Votre mari fait-il partie du milieu de

histoires sont faites de personnages

l’édition ?

ordinaires dont la vie bascule à cause d’évènements souvent liés à l’amour.

AML : Pas du tout. Et heureusement. C’est

Pourquoi ce thème est-il si cher à vos yeux ?

un lecteur comme un autre. Il me connait parfaitement. Et il n’a pas peur de me dire

AML : Ce qui est drôle, c’est lorsque je

les choses et il m’incite parfois à prendre du

commence à réfléchir aux personnages avec

recul.

qui je vais passer mon année, je me fais piéger. Inconsciemment, je dois avoir quelques

74

LFC : Sans rentrer dans votre intimité, on

obsessions, comme tout le monde. L’amour, la

sent que vous vivez une belle histoire

quête de soi, les enfants… Ce sont des thèmes

d’amour. Et cela se traduit dans vos livres

qui me touchent. Quand globalement tout va

où ce thème est très présent.

bien dans votre vie, vous évitez de vous poser



Dans tous mes romans, mes personnages sont des personnages de fiction. Ce ne sont jamais des amis ou des connaissances. C’est quelque chose que je ne me vois pas faire, car j’aime profondément créer des personnages en ne partant de rien. des questions, de chercher des soucis où il n’y

véritable moyen d’expression. Ce qui occupe la

E Lchoses INA RIC H A R part D S de la vie d’Hortense, c’est la danse et en a pas. Parfois, il est bien de vivre Sdes grande terribles et de faire un état des lieux pour

également sa liaison avec un homme marié

pouvoir repartir de l’avant. Cependant, il

qu’elle entretient depuis trois ans. Cet homme ne

m’arrive de changer ma manière d’écrire

lui a jamais dit qu’il quitterait femme et enfants

comme dans J’ai toujours cette musique dans

pour elle. Mais grâce à lui, elle a le sentiment

ma tête où je parlais du point de vue d’un

d’être aimée. Ce livre parle de la complexité de la

homme et de l’histoire d’un couple. Ce n’était

vie, d’un deuil qu’elle n’arrive pas à faire. Sa vie

pas la recherche de l’amour comme dans mes

est animée par la danse jusqu’au jour où elle va se

autres livres. Je croyais que j’allais faire autre

blesser. C’est le point de départ du livre.

chose jusqu’à ce que mes thématiques me reviennent en pleine poire, sans que je m’en

LFC : Un de vos livres devait être adapté au

rende compte.

cinéma par le producteur Harvey Weinstein. Qu’en est-il aujourd’hui ?

LFC : Nous informons nos lecteurs que ce cinquième roman dont vous parlez est sorti

AML : Nous avons tout arrêté. J’espère que ce

chez Pocket le 19 avril 2018 et donc est

projet se fera avec quelqu’un d’autre. D’autres

actuellement en librairie. Dans votre

événements peuvent se passer. C’est peut-être un

nouveau roman À la lumière du petit matin

mal pour un bien. Je suis assez fataliste. Peut-être

(Michel Lafon), le personnage d’Hortense

que cela devait se passer ainsi.

vous ressemble-t-il ou doit-on en conclure que c’est un personnage de fiction ?

LFC : Il y a un phénomène de bascule dans vos livres, mais aussi dans la réalité avec cette

AML : Dans tous mes romans, mes personnages

histoire.

sont des personnages de fiction. Ce ne sont

76

jamais des amis ou des connaissances. C’est

AML : Complètement. C’est quelque chose qui

quelque chose que je ne me vois pas faire, car

nous dépasse et que l’on ne contrôle pas. C’est

j’aime profondément créer des personnages en

peut-être l’occasion de trouver un autre projet

ne partant de rien. Hortense a trente-neuf

avec d’autres gens. Cela n’a pas été un coup de

ans, comme moi. J’aime grandir en même

massue et je ne l’ai pas mal vécu. Le cinéma

temps que mes personnages, cela coule de

n’était pas une fatalité en soi. Tout ce que je

source plus naturellement. Dans ce livre, j’avais

demande, c’est de continuer à écrire mes romans.

envie de parler du rapport au corps qui est un

C’est tout ce qui compte pour moi.



LFC MAGAZINE

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MAI 2018

SÉLECTION DU PRIX FRANÇOISE SAGAN

MARINA DE VAN

PHOTOS EXCLUSIVES ET INTERVIEW PAR CHRISTOPHE MANGELLE ET QUENTIN HAESSIG PHOTOGRAPHIES : PATRICE NORMAND LEEXTRA


Avril 2018, nous avons rendez-vous au cœur de Paris avec Marina de Van réalisatrice (Dans ma peau, Ne te retourne pas, sélection officielle du festival de Cannes, avec Sophie Marceau et Monica Bellucci), scénariste S Ede L I Nses A Rpropres I C H A R D S longs-métrages et pour d’autres cinéastes (Sous le sable et Huit femmes de François Ozon, Je pense à vous de Pascal Bonitzer), comédienne, mais aussi l’auteur de romans, unanimement salués par la presse. Rencontre avec la romancière qui publie "Betty la nuit" chez Albin Michel. LFC : Nous nous rencontrons pour la sortie

Blue Jasmine de Woody Allen. Une femme

de votre quatrième roman Betty la nuit

complètement électrique entre champagne et

disponible aux Éditions Albin Michel.

valium, toujours sur le fil du rasoir. J’ai toujours eu cette idée de grande bourgeoise déjantée

MDV : Mes deux premiers livres étaient des

très à fleur de peau.

récits autobiographiques. C’était un exercice vraiment différent. Mon troisième livre était un

LFC : Comment le personnage de Betty est-il

roman bien qu’il soit inspiré en grande partie

né dans votre esprit ?

de mon expérience personnelle. Betty la nuit est donc mon deuxième roman, le plus ouvert

MDV : Il est né de mon expérience de vie

et le plus accessible, contrairement aux

parisienne qui n’est pas toujours si facile.

autres qui étaient plus âpres.

Lorsque vous êtes seule, c’est une vie compliquée, surtout quand vous sortez d’une

LFC : Vous avez quand même gardé cette

rupture où l’on a tendance à être mise de côté.

âpreté dans ce roman et c’est quelque

De plus, quand vous approchez la

chose qui nous a beaucoup plu. Votre

cinquantaine, vous avez le sentiment que cela

héroïne, ou anti-héroïne est un personnage

se dégrade et qu’il est difficile de s’intégrer

assez fascinant.

socialement. Je me suis inspirée d’une sorte de drame social.

MDV : Ce personnage me fait penser au personnage de Cate Blanchett dans le film

79

LFC : Nous avons le sentiment que Betty n’a


M A R I N A

D E

V A N

LA REMISE DU PRIX FRANÇOISE SAGAN A LIEU ENTRE LA PREMIÈRE ET LA DEUXIÈME SEMAINE DE JUIN, AU CŒUR DE SAINT-GERMAIN-DES-PRÉS, LORS D'UNE SOIRÉE OÙ SE RENCONTRE LE MONDE DES LETTRES, DES ARTS, DE LA MODE, DU SPECTACLE ET DE LA PRESSE.


pas peur de ces faiblesses et qu’elle est en recherche d’authenticité. MDV : C’est quelque chose qui vient certainement de ma propre personnalité. J’aime dire ce que je pense et ce que je dis dépend beaucoup de l’état intérieur dans lequelSjeEme LINA trouve. Betty fait la même chose, elle n’essaye pas de se prendre pour quelqu’un qu’elle n’est pas. Si on prend l’exemple du repas auquel elle se trouve où tout le monde parle de politique, elle essaye à un moment donné d’intervenir. Mais

Lorsque je ne me sens pas lucide, je suis malheureuse. René Char a dit : la lucidité est la blessure la plus proche du soleil. Je trouve que c’est une très belle phrase qui la douleur que R I C Hsouligne ARDS peut causer la lucidité. Cependant, je préfère la douleur et la lumière au confort et l’ombre.

cela ne marche pas du tout, car il y a des codes

LFC : Nous notons à la lecture de votre roman un

qu’elle ne connait pas. C’est un personnage qui

côté très drôle. D’où vous viennent toutes ces

n’est pas dans la représentation.

idées ?

LFC : Le personnage de Betty est-il né avant ou

MDV : J’ai beaucoup ri en l’écrivant. C’est un humour

après avoir voulu raconter cette histoire ?

assez cruel, c’est vrai, mais j’ai simplement suivi mon intuition. Je n’analyse pas ce que je fais. J’ai un

MDV : L’histoire n’existe pas sans ce personnage

modus operandi assez naturel.

et vice-versa, les deux sont identiques. J’ai une imagination où les personnages se révèlent dans

LFC : Ce livre parle également de solitude. Pouvez-

des situations. Ce qui vient sans doute du

vous nous en dire quelques mots ?

cinéma. MDV : Je travaille beaucoup sur ce thème en ce LFC : Pour le lecteur, ce qui frappe dans ce

moment, car je monte un film documentaire qui

roman, c’est la lucidité du personnage. Parfois,

s’appelle Ma nudité ne sert à rien et qui parle d’une

n’est-ce pas dangereux de voir le monde de

femme de quarante-sept ans qui est seule et nue

manière aussi lucide ?

chez elle. C’est une nudité qui n’est pas dans l’interaction. Je ne trouve pas que la solitude soit

81

MDV : Ce n’est pas la première fois que l’on me

douloureuse, mais plutôt pesante et qui a tendance à

pose cette question. Lorsque je ne me sens pas

enfler. Plus vous êtes seule, plus tout devient difficile.

lucide, je suis malheureuse. René Char a dit : la

Si l’on prend l’exemple de Betty, plus elle est seule,

lucidité est la blessure la plus proche du soleil. Je

plus elle dit des conneries, car sa vie intérieure

trouve que c’est une très belle phrase qui

devient déconnectée de la réalité. J’ai une vie assez

souligne la douleur que peut causer la lucidité.

solitaire même si j’ai beaucoup d’amis. Mais il

Cependant, je préfère la douleur et la lumière au

m’arrive durant l’été de rester trois semaines toute

confort et l’ombre.

seule. Il y a une sorte d’hypnose qui se crée au point


M A R I N A

D E

V A N


que lorsque vous revoyez des gens, vous

LFC : Vous n’êtes pas seulement

êtes déconnectée de leur réalité.

écrivain, vous travaillez également dans le cinéma. Quels sont vos

LFC : C’est au moment où son couple s’arrête que la vie de Betty se complique.

SELINA

prochains projets ?

RICHARD S MDV : Je termine le montage de ce documentaire sur la solitude qui

MDV : Sa vie de couple s’arrête. Mais sa

sortira l’hiver ou le printemps

vie sociale également. C’est la première

prochain. J’ai également deux films

fois où elle se retrouve face à elle-même

qui attendent un financement. Un

et où elle va essayer d’exister seule. Cette

avec Charles Berling qui est une

période va être un échec retentissant.

histoire de huis clos sur la jalousie et

Mais à ce moment-là, elle ne le sait pas.

les sentiments. Un autre avec Ana

Quand elle décide de venir à la capitale,

Girardot et Felix Moatti sur le drame du

c’est comme si elle partait à la conquête

Heysel qui sera un film sur la résilience

de quelque chose de nouveau. Il y a une

que je n’ai pas écrit, mais que l’on m’a

force de vie et Betty croit beaucoup en

proposé. Tout est incertain tant que

elle. Ce n’est pas une fille qui se sous-

nous n’avons pas trouvé de

estime.

financement. Mais je travaille activement sur tous ces projets.

LFC : Le style de votre livre est très fort, avec des punchlines qui font mouche et cela incite vraiment à continuer la lecture. MDV : Certains m’ont dit qu’ils avaient lu mon livre comme un polar. J’ai une écriture assez naturelle. J’écris un premier jet que je ne corrige pas et que j’envoie directement à mon éditeur. Il me répond en me disant quels aspects sont intéressants et quels aspects ne le sont pas. Cela me donne du recul. Et je peux ensuite revoir ma copie quatre à cinq fois, puis finaliser mon livre.

83

Certains m’ont dit qu’ils avaient lu mon livre comme un polar.


M A R I N A

D E

V A N


PHOTOS EXCLUSIVES ET INTERVIEW PAR CHRISTOPHE MANGELLE ET QUENTIN HAESSIG RAPHAËL DEMARET LEEXTRA

LUCA DI FULVIO LFC MAGAZINE

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MAI 2018


C'est avec "Le Gang des rêves" qui se déroule dans le New York des années vingt que Luca Di Fulvio touche notre cœur. Véritable page-tuner de 700 pages, grand succès en Italie, mais aussi en Allemagne où le livre s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires, il est publié en France en juin 2016 chez Slatkine & Cie, et s'impose rapidement S E L I N A Rcomme I C H A R Dun S succès continu de boucheà-oreille avec la version poche publiée l'été dernier (2017) chez Pocket. Après "Les enfants de Venise" (actuellement chez Pocket), il marque son grand retour en librairie avec "Le soleil des rebelles" que vous allez dévorer d'une traite. Photos exclusives et entretien inédit lors de son passage exceptionnel à Paris. Rencontre.

LFC : Nous nous étions rencontrés pour Le

êtes prêt, c’est une question de maturité.

gang des rêves en 2016, un livre qui a connu un succès incroyable en France.

LDF : Je suis un ami d’Andrea Camilleri, un

Comment l’avez-vous vécu ?

auteur à succès en Italie, qui lui a connu le succès à soixante-dix ans. Je suis donc assez

LDF : Ce qui est amusant, c’est que j’ai été

précoce ! (Rires)

invité au Salon Quais du Polar à Lyon alors que je n’écris pas de polars. J’étais très

LFC : Cela donne de l’espoir pour les jeunes

heureux, car beaucoup de lecteurs très

écrivains… Il faut simplement qu’ils

souriants et très accueillants sont venus me

persévèrent…

demander des dédicaces. Vous savez, il y a deux choses fondamentales. La première,

LDF : On trouve son chemin lorsque l’on a

c’est que j’ai compris que les Français aiment

plus de liberté. J’ai écrit deux polars qui ont

la culture. On peut le remarquer dans l’hôtel

été traduits dans la série noire Gallimard. Et je

où nous sommes puisqu’il y a des photos

n’ai pas été traduit parce que mon livre était

d’Oscar Wilde et d’autres personnages

bon. Mais simplement parce que Fanny

influents de notre époque. La seconde

Ardant était mon amie. (Rires) Il y a une

chose, c’est que je n’ai plus vingt ans et qu’il

période où le cinéma italien était très

est plus facile de gérer le succès.

intéressé par mon écriture. Et je me suis trop focalisé sur cela. Je ne pensais plus assez à

LFC : Le succès arrive une fois que vous

86

écrire pour moi.


L U C A

D I

F U L V I O


LFC : Le gang des rêves ferait d’ailleurs un très bon film. Qu’en pensez-vous ? LDF : Les livres se sont bien vendus en France, en Allemagne également où j’ai vendu un million et demi d’exemplaires. Il y a eu beaucoup de propositions, mais très peu

SELINA

qui me plaisaient d’un point de vue artistique. Il a été annoncé hier à Cannes que Le gang des rêves allait être une série en huit ou dix épisodes. La télévision devient plus intéressante et moins politiquement correcte

"Le gang des rêves" va devenir une série en huit ou dix épisodes. La télévision devient plus intéressante et moins R I politiquement CHARDS correcte surtout avec des plateformes comme Netflix.

surtout avec des plateformes comme Netflix. Désormais, il faut trouver les financements.

LFC : Comment réussissez-vous à emporter le lecteur de cette façon dans vos histoires ?

LFC : Avez-vous déjà écrit le script ? LDF : J’ai décidé d’écrire lorsque j’étais petit LDF : Oui, nous avons déjà écrit la première

garçon. Ma grand-mère me racontait des

version avec Giacomo Bendotti, un jeune

histoires le soir et j’étais sans cesse bouche

italien plein de talent. Nous garderons un

bée. J’ai toujours pensé que c’était la plus belle

contrôle sur le scénario, ce qui est une bonne

chose que de pouvoir écouter une histoire de

nouvelle. Nous essayons de trouver des

cette façon. Aujourd’hui, j’essaye de mettre les

situations différentes de celles du livre. Dans

lecteurs dans cet état.

le livre, l’histoire parle de deux enfants qui deviennent adultes. Dans le scénario, nous

LFC : Pourquoi est-ce si important pour vous

essayons de mélanger ces deux périodes.

de raconter des histoires et de les écrire ?

LFC : Le soleil des rebelles, c’est votre

LDF : Parce que je les sens, je les vois, je les vis.

nouveau roman, un livre que l’on n’a pas

Je me les raconte à moi-même.

envie de finir. LFC : Vous écrivez toujours de gros livres. À

88

LDF : C’est la plus belle chose que vous

titre d’exemple, Le gang des rêves compte

pouvez dire à un écrivain. Votre métier de

environ sept cents pages. C’est quelque

journaliste vous demande de lire le livre

chose qui fait peur au début, mais

entièrement et de savoir les moindres détails

finalement, le lecteur remarque que vous

du roman, de ce fait le lecteur qui est en vous

prenez le temps de nous raconter les

est sacrifié. J’aime que vous vous

choses. C’est une lecture fluide et

positionniez en tant que lecteur.

agrippante.


L U C A

D I

F U L V I O


Parler d'un jeune garçon, c’est comme avoir une feuille blanche devant soi et regarder vers l’avenir. Chacun d’entre nous est ce garçon. Quand je vais me laver les dents le soir, je prends un coup au moral, car je m’aperçois que je SELINA RICHARDS ne suis plus ce petit garçon. LDF : C’est exactement ma démarche. Et

LDF : J’avais lu un essai sur

comme vous voyez, je parle aussi

l’humanisme que j’avais trouvé

beaucoup dans la vie ! (Rires, car Luca Di

très intéressant. Au Moyen-Âge,

Fulvio est très bavard)

Dieu était au-dessus de tout. Puis, il y a eu la Renaissance où

LFC : Comme dans Le gang des rêves,

l’homme est devenu le centre du

certains personnages sont des enfants et

monde. L’humanisme est le pont

ils tiennent une place conséquente. Ils

entre les deux. Ce livre raconte

ont une résonance avec les adultes qui

l’histoire d’un Prince, Dieu, qui

sont à côté d’eux.

doit recommencer sa vie à zéro en vivant avec les cerfs.

LDF : Je cherche encore à analyser ce phénomène une fois par semaine. (Rires) Si

LFC : Comment est née cette

le héros de ce livre avait mon âge, il

histoire ?

n’arrêterait pas de regarder dans le passé. Parler de jeune, c’est comme avoir une

LDF : J’admire mes collègues qui

feuille blanche devant soi et regarder vers

savent répondre à cette question.

l’avenir. Chacun d’entre nous est ce

Moi, je ne sais pas vous répondre.

garçon. Quand je vais me laver les dents le

Je pourrais vous donner une

soir, je prends un coup au moral, car je

réponse très intelligente et

m’aperçois que je ne suis plus ce petit

cultivée. Mais je ne peux pas. Les

garçon.

choses arrivent comme ça. Il y a une image dans le bouddhisme

90

LFC : Dans tous vos livres, vous

qui me plaît beaucoup. C’est une

choisissez un moment de l’histoire.

lumière qui arrive droit au centre

Pourquoi avez-vous écrit sur le

du crâne, puis dix petites

quatorzième siècle ?

lumières qui sortent des dix


L U C A

D I

F U L V I O


Il y a une image dans le bouddhisme qui me plaît beaucoup. C’est une lumière qui arrive droit au centre du crâne, puis dix petites lumières qui sortent des dix doigts. Mon seul mérite, c’est tous les S E Lde I N A me R I C H Alever RDS matins et d’utiliser ces dix lumières. doigts. Mon seul mérite, c’est de me lever

LDF : Merci pour ce compliment.

tous les matins et d’utiliser ces dix

J’ai déjà rencontré des gens que

lumières.

j’admirais qui m’ont beaucoup déçus. J’apprécie votre remarque.

LFC : Dans la première partie du livre, le prince, qui n’est plus prince, doit dompter sa peur. C’est une thématique qui s’applique à nous tous, cela nous rappelle l’enfant que nous étions. LDF : Je suis convaincu que tous ceux qui écrivent ont peur. Écrire, c’est remettre la vie en ordre et retirer le KO qui nous fait peur. D’après moi, celui qui écrit a plus peur que les autres. LFC : Vous sentez-vous chanceux ? LDF : Nous avons tous une vie. Et moi, j’en ai plusieurs à travers mes livres. C’est une grande chance. LFC : Nous sommes très heureux de cette rencontre, car nous ne sommes pas déçus du livre et de l’auteur. C’est quelque chose de rare.

92

Je veux être quelqu’un de vrai.


LFC MAGAZINE

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MAI 2018

LOUISIANE C.DOR

PHOTOS EXCLUSIVES PAR CHRISTOPHE ET INTERVIEW MANGELLE

ET QUENTIN HAESSIG ARNAUD MEYER LEEXTRA


Louisiane C. Dor écrit des livres concis et précis, avec des chutes parfois incisives parfois drôles. Elle réside actuellement dans le sud de la France après avoir vécu deux ans au Brésil. Elle est l’auteure de sommeil ?", chez S"Les E L I Nméduses A R I C H A R ont-elles DS Gallimard, dont l’édition de poche (Folio) a reçu le prix Renaudot Poche 2017. Chroniqueuse à Technikart, elle prend le temps d'une pause photo et d'un entretien inédit pour nous parler de son recueil "Ceci est mon cœur" (Robert Laffont). Rencontre. LFC : Nous nous rencontrons pour parler

LFC : Votre premier livre Les méduses ont-

de votre deuxième livre, un recueil de

elles sommeil ? (Folio) a obtenu le Prix

nouvelles aux Éditions Robert Laffont

Renaudot Poche 2017. Quelle a été votre

intitulé Ceci est mon cœur. Pourquoi avoir

réaction ?

choisi ce format ? LCD : On me l’a annoncé à la télévision. Je LCD : C’est un format que j’apprécie et que je

n’étais pas du tout au courant. Je savais que

trouve très efficace. Je n’aime pas m’étaler

j’avais ma chance, mais jamais je ne pensais

sur des détails qui n’ont pas d’intérêt. Je

que je pouvais gagner. De plus, c’est Frédéric

préfère donner un détail qui permettra aux

Beigbeder qui a annoncé mon nom, un des

lecteurs de comprendre le décor

auteurs qui m’a fait aimer la lecture. C’était

instinctivement plutôt que de m’étendre sur

absolument formidable. J’ai mis un moment à

la couleur des rideaux ! (Rires) Je n’aime pas

m’en remettre.

écrire des gros pavés. LFC : Vous n’imaginiez pas que ce texte LFC : Et en tant que lectrice, que préférez-

pouvait vous amener jusqu’ici ?

vous ? LCD : J’ai écrit mon premier livre au Brésil.

94

LCD : C’est la même chose. Des histoires

J’étais recluse de tout. Je me revois en train de

courtes et bien écrites. Je privilégie la forme

l’écrire dans ma petite maison au bord de la

plutôt que le fond.

plage, complètement isolée. J’étais loin de


L O U I S I A N E

C . D O R


m’imaginer tout ce qui allait se passer. LFC : Le texte vous a appartenu pendant le temps de l’écriture, puis il vous a échappé. LCD : Exactement. D’autant plus que c’est un récit autobiographique. Ce n’est pas

SELINA

forcément évident de partager son histoire. LFC : Pouvez-vous nous résumer ce premier livre ? LCD : C’est l’histoire d’une jeune fille

provinciale qui monte à Paris dans l’espoir de

J’ai écrit mon premier livre au Brésil. J’étais recluse de tout. Je me revois en train de l’écrire dans ma petite maison au R I C H A bord RDS de la plage, complètement isolée. J’étais loin de m’imaginer tout ce qui allait se passer.

devenir quelqu’un… Sauf qu’au lieu de cela, elle se perd et elle n’est plus personne. Elle

avec une personne que j’aimais énormément et j’ai

tombe dans les méandres de la drogue, de la

compris ce qu’était l’amour. La passion n’est pas

nuit et de la fête à outrance.

forcément sainte.

LFC : Votre deuxième livre Ceci est mon

LFC : La passion dont vous parlez n’est pas

cœur vient juste de sortir et la première

raisonnable. C’est ce que l’on sent dans vos histoires.

chose qui a attiré notre œil, c’est le titre. Quelle est la thématique de vos nouvelles ?

LCD : J’imagine qu’il y a des passions qui sont raisonnables à partir du moment où il y a de l’amour.

LCD : C’est la passion amoureuse et son

D’autres passions, quant à elles, émanent de

mauvais côté. La passion peut être

frustrations. On peut par exemple éprouver de la

réciproque. Mais peut aussi ne pas l’être. Elle

passion pour quelqu’un qui ne veut pas de nous, mais

peut être raisonnable ou non. Dans ce recueil,

que l’on s’obstine à poursuivre. La passion peut nous

il y a onze nouvelles déraisonnables dont les

faire du mal. L’amour est censé nous faire du bien, là est

trois quarts ne concluent absolument à rien.

toute la différence.

Et d’autres qui auraient mieux fait de ne pas aboutir.

LFC : Comment sont nées ces onze histoires dans votre esprit ?

LFC : Ces nouvelles parlent-elles aussi d’amour ?

LCD : Elles m’ont été inspirées par des situations et par ce que j’avais en tête. Je vivais une histoire d’amour très

96

LCD : Non. J’ai voulu faire la différence entre

stable. Et pourtant, je sentais que j’avais un manque de

l’amour et la passion. Je suis restée cinq ans

passion cruelle et déraisonnable. J’ai pu observer la vie



On peut par exemple éprouver de la passion pour quelqu’un qui ne veut pas de nous, mais que l’on s’obstine à poursuivre. La passion peut nous faire du mal. L’amour est censé nous faire S E L I Ntoute A R I C H A Rla D S différence. du bien, là est des autres. Et également la vie que j’avais

Comme ces gens qui s’ennuient en soirée, mais qui prennent

auparavant pour faire la différence entre

quand même un selfie en montrant qu’ils sont heureux et souriants.

l’amour et la passion. J’ai compris que c’était

Une personne a dit un jour que pour qu’un moment de vie soit

deux choses qui n’avaient rien à voir.

vécu, il faut le prouver avec une photo. Étaler sa vie pour faire croire aux autres que l’on a une vie passionnante, je trouve que c’est pour

LFC : Vous parlez de la télé-réalité dans ce

combler un vide.

recueil. Pouvez-vous nous en dire plus ? LFC : La première nouvelle est une histoire sur les apparences. LCD : Cette nouvelle est très symptomatique de notre société. J’ai fréquenté quelques

LCD : C’est une fille qui est dans l’illusion totale. Elle a l’impression

personnes qui avaient fait de la télé-réalité et

de vivre quelque chose d’extraordinaire alors que ce n’est pas du

j’ai senti qu’en faisant ces émissions, ils

tout le cas. On a tous rencontré quelqu’un comme cela. C’est une

avaient un besoin de reconnaissance. Ce

manière une nouvelle fois de combler un vide et de se voiler la face.

besoin ne vient pas de nulle part. Il vient d’un vide qui ne peut pas être comblé par

LFC : À qui adressez-vous ce livre ?

des téléspectateurs qui ne vous connaissent même pas. C’est une nouvelle différente des

LCD : À moi-même déjà. C’est comme si j’avais répondu à des

autres que j’avais envie d’écrire.

questions que je me posais. J’ai écrit le livre que j’aurais aimé lire. Et j’adresse également ce livre aux autres afin qu’ils se sentent moins

LFC : Dans une autre nouvelle, vous parlez

seuls et qu’ils comprennent la différence entre la passion et l’amour.

également des réseaux sociaux qui occupent une place importante dans

LFC : Pensez-vous avoir tout dit sur ce thème ?

notre société. Quel est votre avis sur ce sujet ?

LCD : Non. Le troisième livre que je suis en train d’écrire parle encore une fois d’une histoire d’amour foireuse. C’est un thème qui

LCD : Certaines situations qui se passent sur

va me travailler tout au long de ma vie. L’amour est un thème que

les réseaux sociaux sont assez étranges.

nous avons tous en commun.

98


LFC MAGAZINE

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#9

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MAI 2018

DIDIER VAN CAUWELAERT PHOTOS EXCLUSIVES ET INTERVIEW

PAR CHRISTOPHE MANGELLE ET QUENTIN HAESSIG PHOTOGRAPHIES : RAPHAËL DEMARET LEEXTRA


Prix Goncourt pour "Un aller simple" en 1994, Didier van Cauwelaert cumule prix littéraire et succès depuis ses débuts. Plus récemment, il a publié deux comédies "Jules" et "Le retour de Jules", exceptionnels de librairie. En tant S E L I N A R I C H A succès RDS que metteur en scène, il vient de réaliser pour le cinéma "J’ai perdu Albert" (sortie dans les salles cet automne avec Stéphane Plaza et Julie Ferrier) dont le livre vient de paraître ce Printemps 2018. Séance de photos et entretien inédit. LFC : Nous nous rencontrons pour votre

LFC : Depuis combien de temps travaillez-

nouvelle comédie J’ai perdu Albert (Albin

vous sur ce projet ?

Michel) actuellement en librairie. Depuis quelques années, le mois de mai

DVC : Cela fait plus de dix ans que je l’ai dans la

symbolise très souvent la sortie de vos

tête. Je l’ai peaufiné, je l’ai décliné jusqu’à en

livres. Est-ce sur ce créneau que vous avez

trouver la bonne direction. À l’époque, c’était

décidé de vous positionner ?

un peu tôt pour le faire. Einstein était passé de mode et même lorsque je parlais d’adaptation

DVC : C’est vrai, mais à vrai dire, je ne choisis

cinématographique, cela ne passionnait pas

pas. Ce sont mes personnages et mes

grand monde. Cependant, depuis quelques

situations qui prennent le contrôle et qui me

années, Einstein est revenu sur le devant de la

disent maintenant c’est nous. Cela

scène avec de nouvelles découvertes qui lui

correspond à une nécessité intérieure. Cela

ont donné raison, une fois de plus. Dès que j’ai

traduit-il mon état d’esprit ? Certainement.

parlé d’adaptation, cette fois-ci on m’a dit oui

Les comédies que je conçois sont toujours

tout de suite. J’ai compris une chose. Lorsque

basées sur un accident ou une perturbation

vous sentez une résistance, cela signifie que les

qui va agir comme une sorte de révélateur.

mentalités ne sont pas tout à fait prêtes. Je ne

Au départ, cela bousille la vie des gens, mais

regrette pas d’avoir attendu.

c’est aussi ce qui fait rire le lecteur. Ce

100

chemin qu’ils font à travers mes personnages

LFC : Est-ce votre passion pour Albert

est un chemin qui me dirige.

Einstein qui vous a poussé à faire ce projet ?



DVC : Je dirais que c’est même bien avant. Il y a vingt ans, j’imaginais l’histoire d’une voyante très populaire et très à la mode, qui du jour au lendemain n’avait plus d’informations à donner. Au même moment, son don était passé chez quelqu’un d’autre qui n’était pas du tout prêt à cela et n’avait

SELINA

aucun mode d’emploi. Cette idée de ce

transfert de pouvoir de l’un à l’autre était présente dans ma tête. J’ai commencé à écrire cette histoire, mais je sentais que

C’est surtout aux lecteurs de ressentir ce qui va leur parler davantage. Les réactions sont d’ailleurs variées. Certains ont beaucoup ri. D’autres ont été très touchés. Ce qui RICHARDS m’intéresse dans la comédie, c’est d’aborder des sujets graves.

quelque chose me manquait. J’ai mis le projet de côté. Dans ces cas-là, souvent, d’autres

LFC : Vous parlez également de la cause

personnages s’emparent de moi, même si

animale, un thème qui est de plus en plus

l’histoire de base reste dans ma tête. Un jour,

présent dans vos livres. Pouvez-vous nous

j’ai fait connaissance avec Einstein dans un

en parler ?

roman où j’avais besoin de lui, c’était dans La femme de nos vies. Et je me suis dit, et si

DVC : Encore une fois ce n’est pas moi qui

Einstein s’invitait dans cette histoire avec

décide. Je me laisse guider par mon esprit.

Chloé et Zac, cela donnerait une dimension

L’histoire avec le chien guide d’aveugle est

géniale. C’est ce qui s’est passé, j’ai donc écrit

présente dans ma tête depuis l’enfance. Pour

J’ai perdu Albert.

les abeilles, l’idée m’est venue grâce au professeur Rémy Chauvin qui m’a fait

LFC : L’idée fonctionne très bien. Pourtant,

découvrir des choses incroyables. J’ai

sur la quatrième couverture il est indiqué

également découvert que la dernière grande

que c’est un roman et non une comédie.

passion d’Einstein, c’était les abeilles.

Nous imaginons que c’est une discussion avec l’éditeur pour ne pas enfermer le

LFC : Votre personnage Chloé est squatté

lecteur.

par Albert Einstein pendant plus de vingtcinq ans. Comment se manifeste-t-il ?

DVC : La comédie était mise en avant dans

102

mes derniers livres. C’est certain qu’il y a un

DVC : C’est une voix intérieure, un renfort de

rappel dans ce livre. Mais je crois que c’est

sensibilité et un compagnon de route. C’est

surtout aux lecteurs de ressentir ce qui va leur

son point d’appui. Dès son enfance, sa mère lui

parler davantage. Les réactions sont d’ailleurs

a dit qu’elle était l’arrière-petite-fille d’Albert

variées. Certains ont beaucoup ri. D’autres

Einstein, illégitime hélas. L’un des renforts de

ont été très touchés. Ce qui m’intéresse dans

ce livre, c’est une citation d’Einstein qui a dit :

la comédie, c’est d’aborder des sujets graves.

Je crois en une vie après la mort, car l’énergie



J’ai tourné le film cet automne. Ce n’est pas du tout la structure du livre. J’avais besoin de ces deux manières de raconter cette histoire. Il n’y a aucune voix off dans le film. Cette forme romanesque est très présente dans le livre, mais parce que cela permet de voir le regard que les personnages portent l’un sur l’autre. Dans le SELINA RICHARDS film, il y a plusieurs époques. C’est un langage cinématographique différent du style du roman, mais l’esprit reste le même. ne peut pas mourir. Elle se transforme, elle

Il avait arrêté toutes ses

circule et ne s’arrête jamais. Cette phrase

émissions pour se concentrer sur

est vraiment le diapason du livre.

ce projet et il a été absolument formidable dans ce rôle de loser

LFC : Ce livre est très cinématographique

dynamique. Il arrive d’ailleurs à

et ce n’est pas un hasard…

une conclusion en se demandant à quoi cela sert-il de connaître

DVC : Exactement. J’ai tourné le film cet

l’avenir si ce n’est pour gâcher le

automne. Ce n’est pas du tout la structure

présent. Ce personnage a un

du livre. J’avais besoin de ces deux

côté pessimiste revendicatif, puis

manières de raconter cette histoire. Il n’y a

soudain un côté idéaliste qui

aucune voix off dans le film. Cette forme

reprend le pouvoir. Julie Ferrier

romanesque est très présente dans le livre,

joue le personnage de Chloé.

mais parce que cela permet de voir le

J’avais besoin d’un personnage

regard que les personnages portent l’un

où l’on capte directement le

sur l’autre. Dans le film, il y a plusieurs

naturel avec lequel elle cohabite

époques. C’est un langage

avec Einstein. Il y a très peu

cinématographique différent du style du

d’actrices qui pouvaient jouer ce

roman, mais l’esprit reste le même.

rôle avec autant de justesse et d’énergie. Elle a un côté punchy

LFC : Nous avions rencontré Stéphane

et une grande sensibilité au

Plaza en décembre dernier (LFC #5) qui

niveau du tempo. Tous les deux

nous avait parlé de son rôle dans le film.

forment un couple impossible. Au

Quels sont les autres comédiens ?

casting, il y aura également Josiane Balasko, Virginie

104

DVC : Zac est donc incarné par Stéphane

Visconti, Bernard Le Coq, Alex

Plaza qui joue son premier rôle au cinéma.

Vizorek, Etienne Draber…


LFC : Ce qui est assez inédit, c’est que vous êtes à la fois l’auteur du livre et le réalisateur du film. C’est assez fou vous ne trouvez pas ? DVC : En toute modestie, j’ai ce point en commun avec Einstein, je suis très rigoureux, mais aussi complètement barré. C’est pour

SELINA

cela que ce projet me plaisait. Le principe de précaution, je ne connais pas. Seulement l’énergie compte. C’est ce qui nous permet d’aller vers les autres. Sur le tournage, tous les techniciens que j’avais choisis pour leurs qualités professionnelles étaient des gens avec une humanité très forte. Je ne me suis pas trompé et eux non plus. Il y a eu une

Stéphane Plaza est l’un des hommes les plus connus et les plus appréciés en France, mais on ne comprenait pas pourquoi je le mettais dans le premier rôle de mon film. Il a également fait la meilleure recette de Paris au théâtre pendant deux ans avec RICHARDS Fabrice Luchini. Ce sont les seuls spectacles qui n’ont eu aucune annulation après les attentats de Paris, cela signifie quelque chose. Chez Stéphane, il y a quelque chose d’humain et de fraternel. LFC : Le livre vient de sortir et le film sortira à

l’automne. Comment abordez-vous ces échéances ?

osmose et une énergie incroyable tout au long du tournage. Les comédiens étaient

DVC : C’était quelque chose dont j’avais très envie,

dans un écrin qui était fait pour eux. Je ne

mais je ne maîtrisais rien du tout. Tout s’est bien

peux pas travailler avec un rapport de force, il

articulé, mais au départ, ce n’était pas forcément le cas.

faut qu’il y ait du bonheur et une énergie

Les adaptations de livres en films prennent souvent

communicative.

beaucoup de temps. Si vous prenez l’exemple du film Sans identité, il est sorti presque dix ans après mon livre

LFC : Votre livre est drôle, il parle d’amour

Hors de moi. Avec J’ai perdu Albert, nous avons trouvé

et de sujets sérieux. Vous parvenez à

cette période de six mois afin de préparer les gens au

rendre votre écriture accessible à tout le

film. Ce n’est pas une stratégie commerciale, car je les

monde. Est-ce important d’être lu par un

ai mis sur le fait accompli. Je prends ces échéances

lecteur qui n’a jamais pris un livre ?

positivement et avec modestie. Le plus difficile était de les convaincre. Stéphane Plaza est l’un des hommes les

105

DVC : Une des choses que j’aime entendre,

plus connus et les plus appréciés en France, mais on ne

c’est lorsque des lecteurs qui ne lisent pas

comprenait pas pourquoi je le mettais dans le premier

beaucoup sont allés au bout de mon livre, car

rôle de mon film. Il a également fait la meilleure recette

ils étaient pris dedans. Ou d’autres qui me

de Paris au théâtre pendant deux ans avec Fabrice

disent s’être réconciliés avec la lecture grâce

Luchini. Ce sont les seuls spectacles qui n’ont eu

à mon livre. Il n’y a pas mieux comme

aucune annulation après les attentats de Paris, cela

compliment. Il n’y a rien de plus dur pour un

signifie quelque chose. Chez Stéphane, il y a quelque

écrivain que d’écrire quelque chose de

chose d’humain et de fraternel. Je ne l’ai pas choisi

compliqué et souvent, un livre compliqué ce

pour le côté commercial, mais plutôt pour son jeu et

n’est pas un bon livre.

son énergie au théâtre.


LFC MAGAZINE

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#9

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MAI 2018

ANTOINE AUDOUARD

PHOTOS EXCLUSIVES ET INTERVIEW

PAR CHRISTOPHE MANGELLE ET QUENTIN HAESSIG PHOTOS : CÉLINE NIESZAWER LEEXTRA


Antoine Audouard est écrivain. Il a notamment publié "Adieu mon unique" et dernièrement, "La Peau à l’envers" (Gallimard). Aujourd'hui, nous le rencontrons S dans E L I N A un R I Cpalace HARDS parisien pour une séance de photos exclusives et pour recueillir son témoignage suite à un AVC qu'il raconte dans "Partie Gratuite" (Robert Laffont).

LFC : Vous publiez aujourd’hui Partie

une loupe, mais je ne voyais rien. Désormais,

gratuite où vous racontez l’AVC dont vous

j’écris à un doigt sur mon ordinateur. Au départ,

avez été victime en 2012. Comment est

je voulais simplement écrire quelques histoires

née l’idée d’écrire ce livre ?

pour en faire un petit livre. Mais quand je me suis retrouvé avec six cents pages, il a fallu que

AA : D’une certaine façon, je ne me suis

je change mes plans.

jamais dit que j’allais raconter cette histoire. La première chose que j’ai demandée à ma

LFC : Aviez-vous beaucoup de choses à dire ?

femme lorsque j’étais entre la vie et la mort, c’était mon stylo, mes lunettes et mon cahier.

AA : Trop. J’ai commencé à couper ce qui ne

J’ai commencé à écrire, car je m’ennuyais

me plaisait pas. Cela devient intéressant

beaucoup à l’hôpital. Quand vous voyez ce

lorsque vous coupez des choses que vous

qui passe à la télévision, autant prendre son

aimez bien. J’ai été aidé par des éditeurs

cahier et écrire.

épatants qui ont eu une attention et une amitié sans relâche.

LFC : Ce premier travail d’écriture vous a til servit pour votre livre ?

LFC : C’est la deuxième fois que vous parlez de vous dans un livre. Était-ce difficile de le

AA : Tout ce que j’ai écrit à cette époque était

faire ?

quasiment illisible, car il me manquait toute la partie gauche du monde. J’ai essayé avec

107

AA : Non. Je pense que pour écrire, il faut être



bête. Il ne faut surtout pas commencer à réfléchir. Je ne savais pas où j’allais. Mais lorsque j’ai eu fini, je me suis dit qu’en mettant les choses dans l’ordre, cela aurait peut-être du sens. Mes premiers lecteurs ont trouvé que cela en avait. Lorsque j’ai eu les premiers avis de personnes que je ne connaissais pas,

SELINA

ils me disaient qu’ils avaient trouvé du sens

dans des passages où je pensais qu’il n’y en avait pas. Je suis content que cela serve à quelque chose.

Une soignante a lu le livre et m’a demandé ce qui se cachait derrière cet humour. La réponse : rien. C’est R I C H A R Dest S simplement ma manière de voir les choses.

LFC : Vous proposez un livre très optimiste

perdiez votre boule et vous pensiez que votre

avec beaucoup d’humour.

partie est finie. Mais tout d’un coup, la bille resurgissait. C’est un peu ce qui m’est arrivé, je

AA : Je me suis rendu compte que je

suis en train de jouer ma partie gratuite. Alors

réussissais à avoir de l’humour malgré ma

j’en profite.

situation. Se moquer de quelqu’un qui souffre, c’est intolérable. Mais lorsque l’on se

LFC : Ce qui nous a plu, c’est que l’on peut

moque de soi-même, tout est permis.

lire chaque chapitre de votre livre

D’ailleurs, mes enfants se moquent de moi

indépendamment.

sans arrêt ! (Rires) Une soignante a lu le livre et m’a demandé ce qui se cachait derrière cet

AA : Comme m’a dit une copine à moi, c’est un

humour. La réponse est : rien. C’est

bon livre pour les toilettes ! (Rires) J’ai pris cela

simplement ma manière de voir les choses.

comme un compliment.

LFC : Comment le vivez-vous ?

LFC : Vous abordez le thème du handicap dans ce livre. Était-ce important d’en parler ?

AA : Très bien. Un proverbe que j’aime beaucoup dit que lorsqu’il n’y a plus

AA : Très important. J’ai fait cela sans effort,

personne pour se moquer de vous, cela

sans réfléchir et de manière très naturelle.

signifie que vous êtes mort. LFC : Combien de temps avez-vous mis à LFC : Votre livre s’appelle Partie gratuite.

écrire ce livre ?

Pourquoi ? AA : J’ai mis dix-huit mois à l’écrire et autant de

109

AA : Je suis un enfant des années soixante qui

temps pour couper des passages. C’est une

a grandi avec des flippers. Parfois, vous

étape importante.


Je suis un enfant des années soixante qui a grandi avec des flippers. Parfois, vous perdiez votre boule et vous pensiez que votre partie est finie. Mais tout d’un coup, la bille resurgissait. C’est un peu ce qui E L I suis N A R I C en H A R D train S m’est arrivé, Sje de jouer ma partie gratuite. Alors j’en profite. LFC : À qui adressez-vous ce livre ?

sens que je commence à m’énerver pour des choses

AA : Je l’adresse aux gens qui m’ont aidé,

qui énervent tout le monde !

aux rencontres merveilleuses que j’ai faites,

(Rires) C’est plutôt bon

dont celle de mon compagnon de chambre

signe.

africain qui était avec moi pendant trois mois. J’ai d’ailleurs appris il y a peu de

LFC : Continuez-vous

temps qu’il eût fait son AVC le même jour

d’écrire ?

que moi. Je l’adresse aussi au personnel hospitalier qui, pour la plupart, ils ont une

AA : J’ai des projets pour les

vie extrêmement difficile. On sait qu’ils ne

soixante prochaines années

font pas cela pour l’argent. C’était

(Rires) La raison de mon AVC

important pour moi de retourner à l’hôpital

était un état de fatigue

pour leur offrir mon livre et leur dire merci.

conséquent. C’est pour cela

Ce n’est pas quelque chose qui arrive tous

qu’aujourd’hui je prends

les jours. Il faudrait que l’on arrive à bien

mon temps. Je n’écris plus la

soigner nos soignants.

nuit comme je le faisais. Je me dis que les idées seront

LFC : Comment allez-vous aujourd’hui ?

toujours là le lendemain à mon réveil. Je prends soin

AA : Comme disait l’excellent Docteur

de moi. Et je fais attention à

Coué, chaque jour de mieux en mieux. Je

mon hygiène de vie.

Je sens que je commence à m’énerver pour des choses qui énervent tout le monde ! (Rires) C’est plutôt bon signe. 110


LFC MAGAZINE

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#9

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MAI 2018

DANIEL PRÉVOST PHOTOS EXCLUSIVES ET INTERVIEW PAR CHRISTOPHE MANGELLE ET QUENTIN HAESSIG - PHOTOS : CÉLINE NIESZAWER LEEXTRA


Un jour de Printemps 2018, nous avons rendez-vous avec l'humoriste et comédien Daniel Prévost dans un hôtel chic de la capitale pour une séance de photos exclusives et un SELINA RICHARDS entretien inédit au sujet de son nouveau livre "Tu ne sauras jamais combien je t'aime"(Cherche Midi Éditeur). Un échange touchant et surtout...sincère. Rencontre.

LFC : Daniel Prévost, votre livre s’intitule

LFC : Le public vous connaît pour votre joie,

Tu ne sauras jamais combien je t’aime

votre rire. Pourtant, dans ce livre, le lecteur

(Cherche Midi Éditeur). À quel moment

va faire connaissance avec un homme plus

avez-vous su que vous vouliez écrire ce

sombre et surtout très touchant. Vous parlez

livre ?

de la personne que vous aimiez le plus. Étaitce important pour vous ?

DP : Écrire a toujours été l’une de mes passions. Lorsque j’étais enfant, j’écrivais

DP : Ce sont des choses qui sont en vous et qui

déjà des poèmes en vers libres. Je suis de

murissent avec le temps. Je ne pense pas que

ceux qui ont grandi avec Jacques Prévert.

l’on puisse se débarrasser d’un deuil. Ce n’est

Il m’a beaucoup influencé. Petit à petit,

pas vrai. Je devais exhumer cela de moi.

l’envie d’écrire sérieusement m’est venue

Lorsque j’ai écrit ces mots, je n’ai pas voulu me

à l’âge de quarante ans environ. Je croyais

donner de contraintes. J’en avais tellement

que j’avais seulement une histoire à

marre de garder tout cela pour moi que je me

raconter, ce que j’ai fait dans le premier

suis lâché.

livre. Mais finalement quelqu’un m’a dit un jour que mon livre était bien. Et il espérait

LFC : C’est un récit autobiographique où

que j’en écrive un autre. Cela m’a fait

vous avez décidé de changer le nom des

réfléchir. Puis, j’ai commencé à en écrire

vraies personnes. Pourquoi ?

un deuxième, un troisième et aujourd’hui, c’est mon quinzième.

112

DP : Je sais que c’est de cette manière qu’il faut



fonctionner. Si on en décrit un moins bien qu’un autre, cela crée des difficultés, des conflits… C’est pour cela qu’il fallait changer les noms. C’était mieux. Les gens se reconnaîtront. LFC : Vous dites que ce sujet était en vous

SELINA

et que vous avez eu besoin de vous en libérer. Maintenant que c’est sorti, comment vous sentez-vous ?

DP : Pas bien. (Rires), Mais il fallait que je le

Ce sont des choses qui sont en vous et qui murissent avec le temps. Je ne pense pas que l’on puisse se débarrasser d’un deuil. Ce n’est pas vrai. Je devais exhumer cela de moi. Lorsque j’ai écrit ces mots, je n’ai RICHARDS pas voulu me donner de contraintes. J’en avais tellement marre de garder tout cela pour moi que je me suis lâché.

fasse. C’était un long chemin de croix. Je

tellement aimé lui dire que… Il y a une volonté

disais récemment que ma vie était faite

de construire une sorte de distance avec

d’aspérités et que ce livre n’en était qu’une

l’argument.

de plus. Je suis content que ce livre plaise aux gens et qu’il leur en fiche plein la figure.

LFC : Dans ce livre, vous n’endossez pas le bon rôle. Vous auriez pu vous magnifier,

LFC : Vous n’avez pas ménagé le lecteur,

mais ce n’est pas du tout le cas.

mais vous avez raison, car la vie est faite ainsi.

DP : Je suis quelqu’un de modeste. J’accepte que l’on me prenne pour un ringard ou pour un

DP : C’est la vérité. La chose la plus

génie. Vous pouvez d’ailleurs trouver sur

importante que je veux dire, c’est que j’ai été

internet un article de vingt pages titré Daniel

très sincère dans ce livre. Bien sûr, j’ai inventé

Prévost, génie ou ringard ? (Rires) Je suis

des choses, mais c’est le travail de l’écrivain. Il

content. Car au moins on parle de moi. Il y a

faut faire travailler son imagination. Ces

quelques années, peut-être que j’aurais réagi

situations qui sont décrites dans le livre

différemment. Mais là, je m’en fiche

touchent les gens, car certains d’entre eux les

complètement. Les gens m’aiment pour ce que

ont déjà vécus.

je représente. On peut décrire quelqu’un de façon méchante ou extraordinaire, c’est la vie,

LFC : Ce livre était-il un moyen de dire ce

c’est un immense bordel.

que vous n’avez pas pu dire à votre fils, par exemple ?

LFC : Ce qui ressort de ce livre, c’est votre sincérité.

DP : C’est un peu cela. Dans un livre, vous

114

parlez à une personne qui n’est plus là. Vous

DP : Je suis sincère et je le suis autant dans la

pouvez dire des choses comme j’aurais

débilité que dans l’intelligence profonde.



Je suis sincère et je le suis autant dans la débilité que dans l’intelligence profonde. SELINA

RICHARDS

LFC : Vous abordez plusieurs thèmes dans

DP : Lorsque j’ai publié mes

votre livre, notamment le fait de savoir si nous

livres précédents, j’en avais

pouvons aimer une seconde fois. Qu’en

vraiment l’envie. Aujourd’hui,

pensez-vous ?

j’ai pris de la distance, j’ai soixante-dix-huit ans, que

DP : Même si j’en parle, je n’ai pas la réponse. Je

voulez-vous qui m’arrive ? Ce

ne sais pas répondre aux choses ésotériques. Je

n’est pas la sensation du temps

sais simplement qu’il arrive des choses

qui passe, c’est simplement

épouvantables. Puis une main tendue. On ne

que j’assume ce que je dis.

peut pas l’expliquer, c’est de l’incohérence. LFC : Le livre parle de la mort, LFC : Le fait de le raconter était-il une façon de

mais aussi de la naissance.

déculpabiliser les gens ? DP : Absolument. À la fin du DP : Tout à fait. Je ne suis pas le seul à vivre ces

livre, je me pose la question de

situations.

savoir si je vais oublier ou non. Si j’oublie, cela signifie que

LFC : Pensez-vous que c’est un acte

j’aurais pardonné. Le reste est

courageux de publier et de partager ce livre

ouvert et c’est une autre

avec le public ?

histoire.

Lorsque j’ai publié mes livres précédents, j’en avais vraiment l’envie. Aujourd’hui, j’ai pris de la distance, j’ai soixante-dix-huit ans, que voulez-vous qui m’arrive ? Ce n’est pas la sensation du temps qui passe, c’est simplement que j’assume ce que je dis. 116


LFC MAGAZINE

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#9

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MAI 2018

HÉLOÏSE D'ORMESSON

PHOTOS EXCLUSIVES CHRISTOPHE ET INTERVIEW PAR MANGELLE

ET QUENTIN HAESSIG CÉLINE NIESZAWER LEEXTRA


LFC : Racontez-nous pour quelles raisons vous avez décidé de créer le Prix Jean d’Ormesson… HO : Mon père a dit : J’ai toujours défendu l’idée qu’il n’y a pas de devoir de culture et que la littérature est d’abord un plaisir. C’est

SELINA

sous ce signe que l’on a placé le Prix Jean

d’Ormesson, c’est un prix du bonheur de lire et du plaisir de découvrir de nouvelles lectures. Le jury de ce nouveau prix littéraire, placé sous le signe de l’amitié et de l’amour des livres , est présidé par Françoise d’Ormesson et onze autres personnes, dont cinq académiciens : Dominique Bona, Marc Fumaroli, Dany Laferrière, Erik Orsenna et

L'éditrice Héloïse d'Ormesson, fille de l'académicien Jean d'Ormesson décédé en décembre 2017, a annoncé en mars 2018 la création RICHARDS d'un nouveau prix littéraire baptisé "prix Jean d'Ormesson" qui sera décerné le 6 juin. Fin avril 2018, Héloïse d'Ormesson nous reçoit dans son bureau pour une séance de photos et un entretien inédit.

Jean-Marie Rouart. Ce cercle illustre toutes les facettes de la vie de mon père. C’est un

son coup de cœur. Ces derniers se sont révélés être

jury très atypique et très ouvert. Plus

des classiques méconnus pour la plupart. Les

confidentiellement, nous avons d’abord créé

classiques consacrés ou étudiés ne pouvaient pas

ce prix pour perpétuer la mémoire de mon

figurer dans cette liste. Nous voulions avant tout

père, mais également pour soutenir et aider

des classiques oubliés ou négligés. Voici la liste des

ma mère qui traverse une période très

douze livres sélectionnés : Tchinguiz Aitmatov,

difficile. Nous nous sommes dit que ce prix

Djamilia (Denoël, Folio), Jacques Stephen Alexis,

lui permettrait de retrouver mon père dans

L’Espace d’un cillement (Gallimard), L’imaginaire,

des circonstances beaucoup plus festives et

Jean-Paul Delfino, Les Pêcheurs d'étoiles (Le

joyeuses. En partant de ce principe, rien n’est

Passage), Gerald Durell, Ma famille et autres animaux

classique dans ce prix puisqu’il ne ressemble

(La Table ronde), Yasushi Inoue, Le Fusil de chasse

à aucun autre. On ne s’interdit rien.

(Stock, Le Livre de Poche), Patrick Leigh Fermor, Un temps pour se taire (Nevicata), Claudio Magris,

LFC : Comment avez-vous procédé pour le

Danube (Gallimard, Folio), Robert Margerit, Mont-

choix des livres ?

Dragon (La Table Ronde), Eric Newby, Un petit tour dans l'Hindu Kouch (Payot, Petite bibliothèque

118

HO : Nous sommes douze. Nous venons

Payot), Odile d’Oultremont, Les Déraisons

d’horizons très différents. Et nous sommes

(L’Observatoire), William Styron, La Proie des

des amoureux des livres. Pour la première

flammes (Gallimard, Folio), Gladys Huntington,

sélection, chaque membre du jury a choisi

Madame Solario (Les Belles Lettres).


H É L O Ï S E

D ' O R M E S S O N


LFC : Cinq livres de cette liste ont été retenus pour la deuxième sélection. Pouvez-vous nous les citer ? HO : Oui. Ces cinq livres sont : Gladys Huntington, Madame Solario (Les Belles Lettres), Tchinguiz Aitmatov, Djamilia (Denoël, Folio), Jacques Stephen

SELINA

Alexis, L’Espace d’un cillement (Gallimard), Gerald Durell, Ma famille et autres animaux (La Table ronde) et Danube de Claudio Magris (Gallimard,

L’idée de ce prix était la lecture bonheur et plaisir. Ce sont les deux maîtres-mots de ce prix. L’ambition est de faire découvrir des livres aux lecteurs et de leur offrir un bouquet de livres. R IComme C H A R D S dans un bouquet, il y a des fleurs qui sont plus capiteuses et d’autres, un peu plus rares. Il n’y a aucune fleur plus belle que les autres.

Folio). Le prix sera remis le 6 juin 2018 au

LFC : La période estivale est-elle pour vous le

Centre National du Livre. Nous avons eu

meilleur moment pour les lecteurs d’avoir le

l’idée de ce prix assez rapidement après la

temps de lire ?

mort de mon père. Et lorsque nous nous sommes réunis la première fois, nous ne

HO : Exactement. L’idée de ce prix était la

savions pas vraiment ce que nous

lecture bonheur et plaisir. Ce sont les deux

voulions faire. Les enjeux et l’ambition de

maîtres-mots de ce prix. L’ambition est de faire

ce prix, ont été déterminés au fil de l’eau.

découvrir des livres aux lecteurs et de leur offrir

Après l’annonce de cette première liste, je

un bouquet de livres. Comme dans un

me suis rendu compte que finalement, ce

bouquet, il y a des fleurs qui sont plus

que l’on retient, c’est que mon père était

capiteuses et d’autres, un peu plus rares. Il n’y a

un découvreur, quelqu’un de très curieux.

aucune fleur plus belle que les autres.

Il aimait partager ses coups de cœur et ses plaisirs de lecture qui allait de Pascal à

LFC : Vous considérez qu’il est nécessaire de

Montaigne en passant par Jeanne Hersch.

travailler avec les libraires, comme vous

Si on arrive à faire rayonner ce prix comme

venez de nous le dire. Pouvez-vous

nous le souhaitons, je suis sûre que les

développer ?

libraires joueront le jeu. Dans cette

120

démarche, être lauréat de ce prix, c’est

HO : Le but est de s’inscrire dans la durée. Dans

très bien. Mais je pense que faire partie de

dix ans, lorsque l’on se retournera sur les

la sélection est tout aussi important. Cela

différentes éditions du prix, il y aura de très

permet aux lecteurs d’avoir le choix entre

grands livres, c’est certain. Mais à titre

cinq livres très bons et très différents.

personnel, étant tourné plus vers le métier du

Certains sont résistants et pointus.

livre, le travail avec les libraires est quelque

D’autres sont plus accessibles et

chose de très important. Comme ce prix a peu

divertissants.

de chance d’être attribué à un auteur vivant,



Nous avons tous découvert des ouvrages. Tous ces livres sont des plaisirs de lecture. Et c’est tout l’objectif de ce prix : faire découvrir aux S E L I Ndes A R I C Hlivres ARDS lecteurs. Et aux auteurs ! nous nous sommes dit que la dotation pourrait

libraires très riche et cela est très appréciable.

être des affiches ou du matériel que l’on offrira aux libraires afin de promouvoir les livres de la

LFC : Le résultat sera donné le 6 juin 2018.

dernière sélection.

Même si le gagnant n’est pas le plus important, comment allez-vous mettre le

LFC : Avec l’idée de ce prix, vous offrez une

livre en avant ?

seconde chance pour le livre dans une période où les livres sont parfois noyés parmi

HO : Maintenant que la liste est réduite, nous

les nouveautés…

sommes déjà en contact avec les éditeurs afin qu’ils s’engagent à remettre le livre en avant

HO : Une nouveauté chasse l’autre en effet.

grâce à un bandeau. Nous nous sommes dit

Aussi bien pour les libraires que pour les

que si le livre était disponible en version

éditeurs ou les journalistes. Nous sommes

poche. Nous privilégierons cette version, car

nombreux à vouloir que des livres importants

elle est plus accessible. C’est pour cela que

demeurent, qu’ils soient visibles le plus

nous avons plus approché des éditeurs

possible, mais la réalité du marché, c’est que

comme Folio ou Le Livre de Poche.

cela ne se passe pas ainsi. Il est important de dire que tous les livres de la sélection sont

LFC : Ce prix a-t-il permis aux membres du

disponibles. Nous avons été obligés d’en retirer

jury de découvrir des livres ?

certains de la première sélection, car ils n’étaient plus publiés. Cependant, cela ne nous

HO : Absolument. Nous avons tous découvert

empêchera pas de faire les démarches auprès

des ouvrages. Tous ces livres sont des plaisirs

des éditeurs pour les rééditions. Ces livres,

de lecture. Et c’est tout l’objectif de ce prix :

nous les avons quand même assez facilement

faire découvrir des livres aux lecteurs. Et aux

trouvés, ce qui est une bonne surprise et

auteurs !

quelque chose de réjouissant vis-à-vis des libraires français. Nous avons un réseau de

122


NATACHA CALESTRÉMÉ

PHOTOS EXCLUSIVES ET INTERVIEW PAR CHRISTOPHE MANGELLE ET QUENTIN HAESSIG PHOTOGRAPHIES : JULIEN FAURE LEEXTRA

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MAI 2018


Journaliste et réalisatrice d'une trentaine de documentaires sur le thème de la santé et de l’environnement, Natacha Calestrémé a publié plusieurs essais et trois thrillers psychologiques "Le Testament des abeilles", "Le Voile des apparences" et "Les Racines du SELINA RICHARDS sang" aux éditions Albin Michel. Aujourd'hui, elle nous présente son nouveau roman "Les blessures du silence", un livre comme une évidence pour la romancière. Séance de photos avec Julien Faure et échange chargé d'émotion avec Christophe Mangelle. LFC : Nous nous rencontrons pour la

NC : Je suis très attachée à lui. C’est un

sortie de votre livre Les blessures du

personnage qui a une histoire. Au fil de mes

silence aux Éditions Albin Michel. Il est

livres, on apprend différentes choses sur sa vie

écrit que c’est un roman même s’il y a

privée et également sur sa vie amoureuse qui a

certains codes qui appartiennent au

commencé avec Le testament des abeilles.

thriller. Avez-vous eu une discussion

Dans Les blessures du silence, son histoire

avec votre éditeur pour le choix du

d’amour prend une tournure plutôt positive.

genre ?

C’est mon personnage chouchou que j’ai toujours plaisir à retrouver. C’est quelqu’un qui

NC : Nous nous sommes interrogés en

m’aide beaucoup dans mon écriture.

effet. Finalement, Francis Esménard, le patron des Éditions Albin Michel, a tranché

LFC : On découvre un pan différent à chaque

pour que ce soit un roman, bien qu’il y ait

aventure. Est-ce voulu de votre part ?

une enquête et une disparition. Mais vous savez, aux Éditions Albin Michel, même

NC : Effectivement. Sur le plan personnel, le

lorsque c’est un thriller, il est indiqué

héros évolue à chaque livre. Mais chaque

roman sur la couverture du livre.

roman fait l’objet d’une thématique que je développe. Je suis journaliste, ce qui signifie

124

LFC : On retrouve le Major Clivel dans

que j’approfondis beaucoup les domaines sur

cette nouvelle histoire. Pourquoi tenez-

lesquels je travaille. Sur celui-ci dont les thèmes

vous autant à ce personnage ?

sont le harcèlement conjugal, l’emprise et la


peur d’une vengeance. Après avoir étudié le

Chacun de mes livres doit apporter une aide aux lecteurs même si c’est subtil. "Les blessures du silence" a RICHARDS encore plus de sens par rapport aux précédents.

sujet, je me suis rendu compte que ce n’était

un polar ou une histoire. Ce qui est important,

aucun de ces phénomènes.

c’est le sens que j’y mets. Chacun de mes livres

manipulation. J’ai été impliqué, car une de mes amies proches en est morte. Pour ce livre, j’ai passé plusieurs années à faire des recherches sur la question. Et surtout, je me suis demandé pourquoi je n’ai pas pu l’aider, pourquoi je suis tombée dans tous les pièges dans lesquels tombe l’entourage. Lorsque

SELINA

l’on voit les souffrances, on ne les comprend pas. On traite les gens de faibles. On se dit que finalement elles sont un peu

masochistes. On se dit aussi qu’ils restent par

doit apporter une aide aux lecteurs même si LFC : Quels types de recherches avez-vous

c’est subtil. Les blessures du silence a encore

faites ?

plus de sens par rapport aux précédents. Les Éditions Albin Michel ont décidé que ce livre

NC : J’ai lu beaucoup de rapports médicaux

devait se positionner comme un polar

et psychologiques. Pour ceux qui me

guérisseur. Je n’ai pas pu aider mon amie dont

connaissent un peu mieux, j’ai réalisé des

j’étais très proche. Mais j’espère que ce livre

Enquêtes extraordinaires sur M6. Cela fait

pourra aider d’autres personnes. Ce livre pose

quinze ans que je travaille sur ce que ne nous

des mots sur un fléau invisible qui est au cœur

explique pas la science. Je me suis

de notre société.

rapprochée aussi de médiums et de guérisseurs pour essayer de comprendre

LFC : Vous parlez avec beaucoup de détails

pourquoi les personnes n‘arrivent jamais à

et de précisions des pervers narcissiques.

partir. J’avais besoin de savoir précisément ce

Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

qui pouvait expliquer cela et ce qui pouvait me permettre de comprendre mes erreurs.

NC : Généralement, ce sont des personnes qui appartiennent à une catégorie sociale élevée.

LFC : Avec ce livre et en tant que

Ce sont des gens qui prennent soin des autres

romancière, vous avez décidé de rentrer

comme des médecins, des journalistes, des

dans un mécanisme que vous n’avez pas

professeurs… Nous n’attendons pas de ces

réussi à comprendre dans la réalité ?

gens qu’ils se comportent de cette manière. Le plus souvent, l’entourage va remettre la faute

125

NC : Mes livres ont toujours un objectif.

sur la victime et pas sur le pervers narcissique.

Jamais je n’écrirais de livre juste pour écrire

C’est une double injustice. Ce livre a pour



L’âme véhicule l’estime de soi, la lumière, la façon de penser et tout cela est pris par le pervers narcissique. La raison pour laquelle la personne ne part pas, c’est tout simplement, car la personne en S face de vous a quelque ELINA RICHARDS chose qui vous appartient. mission d’expliquer ce processus

NC : Sans coups et sans élever la voix.

d’emprise qui est diabolique. Je le décris,

C’est terrible. Le pervers narcissique va

petit à petit. Le pervers souffle le chaud et

avoir une attitude différente par rapport

le froid. Il isole la personne de ses proches.

aux gens qu’il a autour de lui. Il est

Il enlève de l’autonomie financière. Il

insoupçonnable. La question

critique son travail, l’humilie. Puis, il y a

fondamentale que je me suis posée avant

ensuite des injonctions paradoxales où il

d’écrire ce livre, c’était de savoir pourquoi

donne deux informations contradictoires

les personnes ne partaient pas. Je vais

où vous ne savez plus quoi faire. Le silence

vous donner un exemple. Imaginons que

est une arme pour eux. Cette situation

vous êtes amputé d’un bras à cause d’un

d’inconfort met les personnes touchées en

accident. Le corps va créer des

situation de stress. Un des critères pour

endorphines pour éviter que vous

l’entourage, c’est le syndrome post-

souffriez pendant une heure, car c’est un

traumatique. On peut dire tout ce que l’on

accident qui est très brutal. Il faut créer

veut. Seulement le corps ne ment pas.

des choses positives. Dans le cas de

Quand le pervers narcissique remarque

violences psychologiques et mentales,

qu’il est allé trop loin, il y a une période où il

c’est exactement la même chose. Il y a

va s’excuser et où parfois même, il peut y

une partie de nous, de notre mental qui va

avoir des chantages au suicide. Et

s’échapper pour se protéger, comme si

finalement, dès que la personne s’est

vous perdiez une partie de votre âme.

relâchée, la sanction est encore plus lourde

L’âme véhicule l’estime de soi, la lumière,

par la suite.

la façon de penser et tout cela est pris par le pervers narcissique. La raison pour

127

LFC : On remarque une chose dans tout

laquelle la personne ne part pas, c’est tout

ce que vous venez de nous dire, c’est que

simplement, car la personne en face de

tout cela peut se faire sans coups.

vous a quelque chose qui vous appartient.


LFC : Ce n’est donc pas simplement une

mettre de la distance avec cette expérience

histoire de faiblesses… Comme certains

personnelle ?

peuvent le penser… NC : Je suis professeure de scénario à la Cité du NC : Ces personnes ne peuvent pas partir

Cinéma. Les scénarios sont capitaux pour moi.

d’elles-mêmes. Très souvent, la manipulation

Savoir raconter une histoire, c’est très important.

et la perversion sont des choses qui sont

SELINA arrivées durant la période de l’enfance. Le

J’aurais très bien pu écrire un guide manuel sur

RI CHARDS comment sortir de l’emprise, mais ce n’était pas

pervers, inconsciemment, va comprendre

mon objectif. Raconter des histoires, c’est tout ce

qu’il va pouvoir vous manipuler. C’est pour

que j’aime. J’ai aussi la chance d’avoir pu

cela qu’il tombe amoureux de vous, qu’il va

rencontrer certains gendarmes lors d’un salon du

chercher dans l’autre ce qu’il lui manque. Il se

livre où ils avaient construit une scène de crime. En

sent bien lorsqu’il a complètement détruit

parlant avec eux, je leur disais que j’avais des

l’autre.

difficultés dans l’écriture de mon livre Les blessures du silence où il y a une scène dans laquelle je

LFC : Ce qui est plus compliqué, c’est que le

cherchais un retournement de situation que je ne

pervers n’est pas conscient de tout cela.

trouvais pas. Ils m’ont dit que grâce à un procédé, ils avaient réussi à remonter dans le temps pour

NC : Exactement. Il ne se soignera jamais et il

trouver de nouveaux indices dans une de leurs

ne peut pas se remettre en question. Ce sont

enquêtes. J’ai utilisé cette technique dans le

les victimes qui se remettent en question. À

roman, mais je ne vous en dirais pas plus ! (Rires)

partir du moment où vous vous posez la question, cela signifie que vous n’êtes pas

LFC : Vous avez dit que ce livre était fait aussi

fautif.

pour faire du bien aux gens.

LFC : Au-delà de tout ce dont nous avons

NC : Lorsque l’on est sous l’emprise de quelqu’un,

parlé, c’est un livre très divertissant. Il est

très souvent on ne le sait pas. Une dame m’a dit

important de le dire à nos lecteurs.

qu’elle savait qu’elle était sous l’emprise de sa mère et de son premier mari. Et elle venait juste de

NC : Vous avez raison. Même si l’on n’est pas

découvrir qu’elle était sous l’emprise de son

concerné par ce thème, c’est un livre

conjoint actuel. Elle ne l’avait pas découvert alors

passionnant avec beaucoup de suspense.

qu’elle avait vécu cette expérience par le passé.

Certains liront ce livre avec plus de

Parfois, trop d’amour peut faire des ravages. J’ai

profondeur, tandis que d’autres le liront avec

également des personnes qui m’ont dit qu’ils

plus de légèreté. C’est tout ce que je

allaient l’offrir à leurs amis afin qu’ils comprennent

souhaitais en l’écrivant.

ce qu’ils vivent et qu’ils voient qu’ils ne sont pas nuls. La plupart des victimes sont des gens brillants

LFC : Comment êtes-vous parvenue à 128

avec du caractère. C’est un livre à part pour moi.


N A T A C H A

C A L E S T R É M É -

L F C

M A G A Z I N E

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LFC MAGAZINE

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MAI 2018

A.J. FINN

PHOTOS EXCLUSIVES ET INTERVIEW PAR CHRISTOPHE MANGELLE ET QUENTIN HAESSIG PHOTOGRAPHIES : ARNAUD MEYER LEEXTRA


A. J. Finn, de son vrai nom Daniel Mallory, est journaliste, auteur et aussi éditeur. Cette année, avec son premier roman "La femme à la fenêtre", il a fait une entrée fracassante dans le monde du thriller avec 1 million d'exemplaires vendus aux États-Unis. Traduit dans plus de trente-huit pays en un temps SELINA RICHARDS record, "La Femme à la fenêtre" s'annonce comme le phénomène éditorial de 2018. La Fox est déjà en train de l'adapter pour le grand écran avec Amy Adams dans le rôle principal. Rencontre à Paris avec A.J. Fin pour une séance de photos exclusives à l'hôtel de l'Abbaye et un entretien inédit. LFC : Nous sommes ravis de vous

du succès. Vous savez, c’est pareil pour

rencontrer pour parler de votre livre La

Cinquante nuances de Grey ou La fille du train,

femme à la fenêtre (Presses de la Cité).

c’est le genre de chose impossible à prédire. Je

Comment est-il né ?

suis très heureux que le livre marche dans le monde entier.

AJF : J’ai travaillé dans le milieu de l’édition pendant près de dix ans. J’étais spécialisé

LFC : Dans La femme à la fenêtre, vous partez

dans l’édition de thrillers très précisément.

d’une idée très simple : votre héroïne est

J’ai vu passer les livres de J.K. Rowling,

témoin d’un crime, mais elle ne sait pas

Dennis Lehane ou Agatha Christie, et j’ai

comment convaincre la police, car elle doute

appris comment construire une histoire. Cela

de ce qu’elle a vu. Et pourtant, malgré une

faisait longtemps que je voulais passer à

idée peu originale, vous avez réussi à faire de

l’écriture. Seulement, je ne savais pas

ce livre quelque chose d’inédit.

comment m’y prendre. AJF : J’ai écrit ce livre en hommage à Alfred LFC : Votre livre rencontre un franc succès

Hitchcock et au film Fenêtre sur cour qui est

dans le monde entier. Comment

l’un de mes films préférés. Hitchcock a la

expliquez-vous ce succès ?

particularité de placer ses intrigues dans des huis clos. C’est ce que j’ai voulu faire. Mais je

131

AJF : Malheureusement, je ne saurais pas

me suis aperçu très vite que c’était très

vous l’expliquer. Je ne connais pas la recette

compliqué. C’est quelque chose qui demande


beaucoup d’ingéniosité, car il ne faut pas lasser le lecteur. C’est vrai que le pitch de Fenêtre sur cour a déjà été utilisé maintes fois. Mais tout dépend de la manière personnelle de raconter l’histoire. LFC : Vous vous êtes inspiré d’une

SELINA

douloureuse expérience, car c’est à la

suite d’un burn-out que vous avez inventé le personnage d’Anna. Racontez-nous. AJF : C’est de là que tout est parti.

J’ai écrit ce livre en hommage à Alfred Hitchcock et au film "Fenêtre sur cour" qui est l’un de mes films Rpréférés. ICHARDS Hitchcock a la particularité de placer ses intrigues dans des huis clos.

Cependant, je ne voulais pas explorer ce que j’avais subi. Et je ne voulais pas écrire

LFC : Avez-vous fait beaucoup de

un livre sur la dépression. Ce que j’aime

recherches pour ce livre ?

dans les polars, c’est le fait qu’une histoire puisse être expérimentée de plusieurs

AJF : J’ai eu la chance d’étudier à Oxford, je

façons. Par exemple, Gone Girl de Gillian

savais de quoi je parlais. Au départ, je savais

Flynn a un côté très provocateur, c’est le

que je voulais écrire. Mais je n’avais pas

genre de livre que j’aime lire. J’ai aussi

d’histoire à raconter. Ce que j’ai appris durant

beaucoup travaillé sur les personnages. J’y

toutes ces années, c’est qu’il est très important

ai mis de moi à l’intérieur. Quand vous lisez,

d’être authentique et honnête lorsque vous

vous devez vous sentir en empathie avec

êtes écrivain. J’ai attendu mon heure. Et elle

eux.

est venue.

LFC : Le sentiment qui prédomine dans ce

LFC : Comment vivez-vous ce succès ?

livre est l’honnêteté. Êtes-vous d’accord ? AJF : J’aimerais avoir écrit ce livre plus tôt ! AJF : Oui, c’est vrai et merci de le souligner.

(Rires) La première chose que je voulais en me

On me pose souvent une question très

lançant dans ce projet, c’était d’écrire le mot

ennuyante en me disant que mon livre est

The end. Juste cette étape aurait été un

une suite de Gone girl ou de La fille du train.

accomplissement majeur. À vrai dire, je ne

Beaucoup de livres sont des copies, mais

pensais même pas que ce livre allait être

pas le mien. Certains écrivains se servent

publié. Le fait d’avoir travaillé dans l’édition

d’un livre à succès pour en faire une

m’a beaucoup aidé.

imitation. Gone Girl a influencé beaucoup

132

d’auteurs, tout comme Le silence des

LFC : Comment votre travail d’éditeur a-t-il

agneaux l’avait fait à l’époque.

influencé votre écriture ?


A J

L F C

F I N N

M A G A Z I N E

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Je suis très heureux. Le roman sera adapté par le réalisateur Joe Wright qui vient tout juste de réaliser le film "Les Heures sombres" avec Gary Oldman dans le rôle de Winston Churchill. Je ne peux pas encore rien vous dire pour le rôle d’Anna*, mais aux dernières nouvelles, le studio a choisi Smon premier avis. C’est un ELINA RICHARDS grand privilège et une grande chance. AJF : Je crois que désormais je serai moins

droits. D’ailleurs, c’est la même chose pour le cinéma, je fais

sympathique avec les auteurs. (Rires)

entièrement confiance au studio. Chacun son rôle pour que

Certains ne se rendent pas compte de la

le projet marche au mieux.

chance qu’ils ont d’avoir une équipe autour d’eux. Ils sont souvent en train de se

LFC : Ce livre a-t-il changé votre vie ?

plaindre. Et je ne comprends pas pourquoi. J’ai travaillé dix ans dans l’édition et je

AJF : Oui, j’ai gagné ma liberté et j’ai gagné beaucoup

crois qu’ils n'ont pas conscience à quel

d’argent ! (Rires) Cinq jours avant la sortie du livre, j’ai arrêté

point un livre peut être puissant. En tant

mon métier d’éditeur. Je peux désormais vivre de ce que

qu’auteur, vous ne pouvez pas dire à votre

j’aime faire. C’est un grand privilège de promouvoir ce livre.

éditeur que vous voulez toucher seulement un petit cercle de lecteurs. C’est

LFC : Travaillez-vous sur d’autres projets ?

irrespectueux pour tous les gens qui sont autour de vous. Le marché du livre est un

AJF : Je suis dans l’écriture de mon deuxième livre. Ce sera

business. Et il faut respecter cela. Prenez

un thriller. Mais cette fois-ci, ce ne sera pas un huis clos. Je

l’exemple du film Call me by your name qui

ne peux pas vous en dire plus pour le moment.

est adapté d’un livre, c’est un vrai chefd’œuvre qui a eu un succès mondial.

LFC : Vous nous l’avez confié, les droits ont été achetés par la FOX. Quel est votre sentiment ?

LFC : Aviez-vous cela en tête dès le départ ?

AJF : Je suis très heureux. Il sera adapté par le réalisateur Joe Wright qui vient tout juste de réaliser le film Les Heures

AJF : Bien sûr. Lorsque le livre est sorti, je

sombres avec Gary Oldman dans le rôle de Winston

voulais qu’il y ait un maximum de

Churchill. Je ne peux pas encore rien vous dire pour le rôle

personnes qui puissent le lire, dans le

d’Anna*, mais aux dernières nouvelles, le studio a choisi

monde entier. La cerise sur le gâteau, bien

mon premier avis. C’est un grand privilège et une grande

sûr, c’est que la FOX en ait acquis les

chance. * La comédienne Amy Adams jouera le rôle d’Anna.

134


A J

F I N N -

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MAI 2018

KARIN SLAUGHTER

PAR CHRISTOPHE MANGELLE ET QUENTIN HAESSIG PHOTOGRAPHIES : PATRICE NORMAND LEEXTRA

PHOTOS EXCLUSIVES ET INTERVIEW


Avril 2018, nous avons rendez-vous dans la suite d'un palace parisien avec Karin Slaughter, N°1 sur les listes internationales de best-sellers, l’un des auteurs les plus populaires et les plus plébiscités dans le monde. Publiée en 36 langues et vendue à SELINA RICHARDS plus de 35 millions d’exemplaires, elle est l’auteur de 16 romans, parmi lesquels figurent les séries Grant County et Will Trent. Maquillage, photos, entretien inédit pour nous parler de son nouveau roman "Une fille modèle" (Harper Collins) en librairie depuis mars 2018. LFC : Nous nous rencontrons pour la sortie

continuent d’exister. C’est vrai, elle est encore

de votre livre Une fille modèle (Harper

très présente dans mon esprit. Pour les

Collins). Comment est née cette histoire ?

personnages de Sam et Charlie, je voulais montrer que la perte d’une mère laissait une

KS : Je souhaitais écrire une histoire à propos

empreinte forte, y compris plus tard dans leur

d’une famille et plus précisément d’une mère

vie.

et de ces deux filles. Ces deux filles sont définies par la relation qu’elles entretiennent

LFC : Pour quelles raisons les lecteurs

avec leur mère. Ce livre parle de leur vie après

français devraient-ils lire ce roman ?

la mort de leur mère. KS : Car les Français sont des personnes très LFC : Pourquoi avoir choisi cette relation

intelligentes et très séduisantes. (Rires) La

entre une mère et ses enfants ?

plupart des lecteurs aiment la psychologie d’un thriller et aiment comprendre ce qui motive les

137

KS : Le personnage de la mère ressemble

gens qui sont différents d’eux. Cela permet

beaucoup à l’une de mes professeurs

également d’espérer que certaines épreuves ne

d’anglais lorsque j’avais douze ans. Je suis

nous arrivent pas dans notre propre vie. Un bon

restée très proche d’elle toute ma vie. Elle est

roman peut vous donner une compréhension

devenue une sorte de mentor et m’a

plus ample de la condition humaine. C’est ce

beaucoup inspiré. Elle est décédée d’un

que j’essaye de faire dans mes livres. Je ne veux

cancer il y a quelques années. Un ami m’a dit :

pas seulement vous montrer qui sont les gens,

lorsque quelqu’un décède, les relations

mais plutôt pourquoi ils sont de cette façon


et pourquoi ils prennent ces décisions. LFC : Comment faites-vous pour être au plus près de la psychologie de vos personnages ? Enquêtez-vous ? Faitesvous des recherches ?

SELINA KS : Chaque livre est différent. Premièrement, j’ai rencontré beaucoup d’avocats. La formation d’avocat donne une perception beaucoup plus poussée que celle que nous avons en tant que personne lambda. Les

Un bon roman peut vous donner une compréhension plus ample de la condition humaine. C’est ce que j’essaye de faire dans mes livres. Je ne veux pas R I C seulement HARDS vous montrer qui sont les gens, mais plutôt pourquoi ils sont de cette façon et pourquoi ils prennent ces décisions.

avocats américains ont une particularité, c’est

situations, je veux montrer aux lecteurs que l’on

qu’ils se demandent toujours pourquoi en

peut toujours s’en sortir.

premier lieu. Ils veulent comprendre et protéger les gens. Deuxièmement, je suis

LFC : Quels conseils donneriez-vous à de jeunes

sœur d’une fratrie et je suis très au fait des

auteurs qui souhaiteraient se lancer dans

histoires familiales. Une sœur est la personne

l’écriture ?

que vous aimez et que vous détestez le plus au monde.

KS : Il faut tout d’abord comprendre ce que le succès signifie. Si la notion de succès est celle

LFC : Vos livres ont la particularité de se lire

d’être numéro un des ventes, vous n’y arriverez

très vite. Est-ce votre manière

pas. Si la notion de succès est celle d’être fier de

d’accompagner au mieux les lecteurs ?

ce que l’on a écrit, alors il y a une possibilité de réussir. Puisque cette réussite est entièrement

KS : Je relis plusieurs fois mes romans. La

entre vos mains. Personnellement, si je me rends

première lecture n’a souvent pas beaucoup

compte que les objectifs que je me fixe ne sont

de sens. La deuxième lecture est faite pour

pas réalistes, alors je vais sombrer dans une

lire les intrigues du point de vue de mes

déprime. Je veux toujours écrire le meilleur livre

personnages. Je vérifie que tout a un sens et

possible.

une continuité. Je m’assure également que la

138

tension dramatique soit toujours présente. Un

LFC : Vous avez beaucoup de succès dans le

bon livre est une sorte de grand huit. Même

monde entier. Ce succès vous donne-t-il une

quand j’aborde des sujets très sombres, je

certaine liberté pour continuer d’écrire ou au

m’arrange toujours pour que ces moments

contraire complique-t-il, car les lecteurs

soient toujours suivis par des moments de

s’attendent à ce que vous écriviez toujours la

lumière et d’espoir. Quelles que soient les

même chose ?


K A R I N

S L A U G H T E R

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L F C

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J’ai monté une association caritative qui s’occupe de lever des fonds pour aider les bibliothèques. Ils montent des programmes de lectures pour les enfants, des séances de lectures après l’école. Beaucoup de bibliothèques pâtissent du manque d’investissement du gouvernement fédéral et local. De ce fait, certaines ne peuvent ouvrir que trois heures par jour. Nous essayons de les financer S E L I N A plus R I C Hlongtemps. ARDS pour qu’elles ouvrent C’est un long travail, mais c’est une très belle aventure. KS : Je n’écris pas toujours la même chose. D’un

KS : J’ai monté une association caritative qui

côté il y a mes séries et de l’autre côté il y a des

s’occupe de lever des fonds pour aider les

livres plus indépendants. Si l’on prend Une fille

bibliothèques. Ils montent des programmes de

modèle et mon prochain livre qui va sortir aux

lectures pour les enfants, des séances de

États-Unis, les intrigues sont très différentes. Le

lectures après l’école. Beaucoup de

rythme, les éléments de l’enquête,

bibliothèques pâtissent du manque

l’environnement ne sont pas les mêmes. J’ai la

d’investissement du gouvernement fédéral et

chance d’avoir un éditeur qui me soutient. Et ce

local. De ce fait, certaines ne peuvent ouvrir

n’est pas seulement parce que je vends beaucoup

que trois heures par jour. Nous essayons de

de livres. Aujourd’hui, je pourrais arrêter ma

les financer pour qu’elles ouvrent plus

carrière d’écrivain. Mais j’aime ce que m’apprend

longtemps. C’est un long travail, mais c’est

l’écriture. À chaque livre, je veux faire mieux.

une très belle aventure.

LFC : Pouvez-vous nous dire quelques mots sur

LFC : Que représentent les bibliothèques

le prochain livre qui va sortir aux États-Unis ?

pour vous ?

KS : Dans Une fille modèle et le précédent, j’ai écrit

KS : Quand j’étais jeune, les bibliothèques

sur la relation d’un père avec sa fille. Dans le

étaient des endroits où l’on pouvait se

prochain, je souhaitais écrire sur la relation entre

retrouver seul en tête à tête avec une histoire.

une mère et sa fille. C’est l’histoire d’une femme

Je suis la plus jeune de la famille et parfois

trentenaire qui a du mal à démarrer dans la vie aux

mes sœurs ne voulaient pas jouer avec moi,

États-Unis à cause de sa situation. Elle se rend

alors je décidais d’aller à la bibliothèque.

compte que sa mère a un secret et se lance dans

C’était un lieu de refuge et de découverte. En

une enquête pour découvrir qui elle est

grandissant, je me suis rendu compte que tout

véritablement.

ce qui me passionnait venait de ces moments passés à la bibliothèque. Il était donc

140

LFC : Pouvez-vous nous parler de votre

important pour moi de renvoyer l’ascenseur en

investissement dans les bibliothèques aux

essayant de favoriser le bourgeonnement et la

États-Unis ?

naissance de nouveaux auteurs.


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MAI 2018

DANIEL COLE

PHOTOS EXCLUSIVES ET INTERVIEW

PAR CHRISTOPHE MANGELLE ET QUENTIN HAESSIG PHOTOGRAPHIES : CÉLINE NIESZAWER LEEXTRA


Avril 2018, nous rencontrons Daniel Cole à Paris chez son éditeur, Place d'Italie. Auteur du best-seller "Ragdoll", notre coup de cœur de l'été dernier (2017), le romancier nous fait S E L I Nl'honneur A R I C H A R D Sde nous parler de "L'appât", un page turner encore plus efficace. La barre était déjà haute avec "Ragdoll". Avec "L'appât", c'est un cran au-dessus. Indispensable ! LFC : Vous êtes l’auteur de Ragdoll, notre

LFC : Ce métier d’ambulancier a-t-il

coup de cœur de l’été 2017. L’idée de

influencé votre travail d’écrivain ?

départ du livre : c’est que la police découvre un cadavre recomposé à partir de

DC : Je crois que cela m’a beaucoup influencé.

six victimes démembrées et assemblées

Je n’ai jamais vu de choses aussi horribles de

par des points de suture. Comment cette

ma vie. Tous les jours, vous développez votre

idée assez loufoque est-elle née dans votre

sens de l’observation et cela devient une sorte

tête ?

de mécanisme. Vous passez du rire aux larmes sans jamais savoir à quoi vous attendre. Cette

DC : C’est vrai que l’idée était assez folle. Mais

expérience a été longue et difficile.

j’aimais cela. C’est une manière assez choquante de commencer le roman, je

LFC : On le sent dans le livre, il y a un côté

l’avoue, mais dès les premières pages, je

très humain. Notamment à travers vos

souhaitais capter l’attention de mes lecteurs.

personnages.

LFC : Nous avons lu que vous avez été

DC : Dans un livre, je pense que les

ambulancier pendant plusieurs années.

personnages sont le squelette de l’histoire.

L’êtes-vous toujours ?

Peu importe si vous avez la meilleure intrigue qui soit, si vos personnages ne sont pas bien

143

DC : Oui c’est vrai, j’ai été ambulancier

construits, cela ne fonctionne pas. Dès le

pendant quelques années, mais je ne le suis

début, j’ai travaillé sur leur physionomie et

plus depuis cinq ans. Désormais, je me

leurs traits de caractère. J’aimais le fait qu’il y

consacre entièrement à l’écriture.

en ait beaucoup afin que l’on puisse les suivre


tout au long de l’histoire. LFC : Des influences cinématographiques nourrissent Ragdoll… Ce roman nous rappelle un film…

SELINA

DC : Je suppose que vous parlez du film Seven de David Fincher. C’est vrai que ce film s’en rapproche. C’était une de mes

J’ai été ambulancier pendant quelques années, mais je ne le suis plus depuis cinq Rans. I C H A R DDésormais, S je me consacre entièrement à l’écriture.

influences majeures. Si je devais définir mon livre, je dirais que c’est Seven, mais en plus marrant. (Rires)

J’ai changé quelques perspectives par rapport au premier livre, c’était important

LFC : Comme vous nous l’avez dit, vous

pour moi. Cependant, je ne voulais pas

avez été ambulancier. Vous avez

tout changer en créant de nouveaux

également été sauveteur en mer pour la

personnages. Baxter est inspirée de ma

National Lifeboat Institution. Bref, vous

petite sœur. C’est une fille très drôle,

êtes au service des gens, seulement dans

parfois impolie, mais qui me fait

votre livre… Vous aimez les tuer ! (Rires)

énormément rire avec son franc-parler. C’est une personne incroyable.

DC : Je me suis déjà demandé d’où me venaient ces idées macabres. En cherchant

LFC : Est-ce un hommage ou une

bien, je crois que cela vient de ma jeunesse.

vengeance vis-à-vis de votre sœur ?

Avec mon meilleur ami, nous allions très souvent au cinéma et nous regardions tous

DC : Un peu des deux ! (Rires) Elle a lu le

les films les plus horribles.

livre et elle est très fière de savoir qu’elle m’a inspiré ce personnage. Elle ne m’en

LFC : Dans votre nouveau livre L’appât, on

veut en aucun cas.

retrouve le personnage de Baxter,

144

inspecteur principale, dans une nouvelle

LFC : L’appât est-il une suite logique de

enquête.

Ragdoll ?

DC : Pour moi, Baxter a toujours été le

DC : J’aime l’idée de conséquences. Je

personnage principal de mes livres, même

ne voulais pas tout recommencer à zéro.

s’il y avait l’inspecteur Wolf dans Ragdoll.

C’était important qu’il y ait des références


D A N I E L

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au premier tome. J’ai voulu faire évoluer mes personnages de manière naturelle. LFC : Dans ce deuxième livre, la pièce découvre le corps de William Fawkes

SELINA en dessous du pont de Brooklyn avec un mot gravé sur ton torse mutilé : L’appât. D’où vous vient cette idée ? DC : C’est difficile de vous dire dire d’où cette idée m’est venue. J’aime l’idée des meurtres où l’on pense qu’il s’agit d’un suicide. Dans cette histoire, l’inspecteur est mort et la police n’a aucune idée de ce qui a pu se passer. C’est un bon début d’histoire, n’est-ce pas ? LFC : Il y a beaucoup d’action dans ce

Baxter est inspirée de ma petite sœur. RICHARDS C’est une fille très drôle, parfois impolie, mais qui me fait énormément rire avec son francparler. C’est une personne incroyable.

livre, votre style est dynamique. Estce important pour vous d’écrire de cette manière ? DC : C’est la problématique d’écrire une suite. Il ne faut pas tomber dans le piège de se répéter. Le premier tome était construit de la même façon. J’aime les scènes d’actions, J’aime que ce soit dynamique et fluide. C’est important pour les lecteurs. En ce moment, j’écris le troisième livre de la trilogie et j’ai un peu plus de mal. LFC : Était-ce évident dès le départ que vous alliez écrire une trilogie ?

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Ragdoll est disponible en version poche chez Pocket et L'appât en version grand format chez Robert Laffont / La Bête Noire


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DC : Oui. Je le savais depuis le départ et cela

DC : Je le pense. Nous avons vendu les droits à

m’a permis de suivre les règles classiques

une société de production en qui j’ai vraiment

d’une trilogie afin de ne pas m’égarer. Mon

confiance. Pour l’anecdote, ils ont engagé un

éditeur souhaitait que j’en écrive plusieurs,

scénariste qui vient de la comédie plutôt que

mais j’ai préféré rester sur mon idée de base.

du thriller, ce qui promet d’être génial. J’ai eu

Je ne voulais pas tomber dans le cliché.

la chance de lire quelques pages du scénario. Il est très talentueux. Et surtout il a

LFC : Pensez-vous que vos livres feraient une bonne série ou un bon film ?

147

parfaitement capté le ton du livre.


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MAI 2018

CAMILLA GREBE

PHOTOS EXCLUSIVES PAR CHRISTOPHE MANGELLE ET INTERVIEW ET QUENTIN HAESSIG PHOTOGRAPHIES : FRANCK BELONCLE LEEXTRA


Camilla Grebe est une romancière suédoise. En 2009, elle écrit, en collaboration avec sa sœur Åsa Träff (1970), psychiatre spécialisée dans les troubles neuropsychiatriques et de l'anxiété, "Ça aurait pu être le paradis", un romanS policier qui se déroule dans le milieu des ELINA RICHARDS cliniques psychiatriques. Aujourd'hui, elle publie "Le journal de ma disparition" (Calmann-Levy), Prix du meilleur polar suédois et "Un cri sous la glace" en version poche (Le livre de poche). Rencontre avec la romancière pour une séance photos exclusives et un entretien passionnant.

LFC : Camilla Grebe, nous nous

CG : J’ai écrit trois livres dans la série Moskva

rencontrons pour deux actualités : la

Noir avec Paul Leander-Engström. Ce sont des

sortie de Le journal de ma disparition

thrillers qui se passent à Moscou. Paul a vécu

(Calmann-Levy) et Un cri sous la glace

là-bas pendant quinze ans et a travaillé pour le

(Le Livre de Poche). Revenons à vos

département de La Défense. C’était une

débuts, comment êtes-vous venue à

expérience très enrichissante.

l’écriture ? LFC : Vous avez travaillé en duo pendant CG : En 2004, j’ai écrit le premier chapitre

plusieurs années. Et désormais, vous êtes

d’un livre. Puis je l’ai envoyé à ma petite

seule. Comment le vivez-vous ?

sœur en lui disant qu’elle devait en écrire le deuxième. Nous avons commencé de cette

CG : C’était étrange au départ, mais finalement

façon au départ, comme un hobby. Puis à

tout se passe bien. Beaucoup de mes ami(e)s

un moment donné, nous nous sommes

auteurs n’auraient pas pu travailler avec une

retrouvés avec des manuscrits complets. Et

autre personne. Je trouve que c’est un travail

nous avons senti qu’il y avait quelque

plus difficile, mais qui était logique pour

chose à faire.

commencer ma carrière. En duo, vous pouvez résoudre les problèmes ensemble. C’est

LFC : Vous avez écrit plusieurs livres par

simplement un équilibre à trouver.

la suite. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

149

LFC : Qui est votre acolyte désormais ? Votre


éditeur ? CG : On peut voir les choses de cette manière. Nous discutons souvent du texte, et nous sommes constamment en train d’essayer de créer le meilleur livre possible.

SELINA

LFC : Ce livre se déroule en Suède. Était-ce

une évidence pour vous de placer l’intrigue dans ce pays ? CG : C’est certain qu’il était plus facile de placer l’intrigue en Suède, car je suis née là-

J’ai aimé écrire ce genre de narration. Le fait d’écrire à la première personne crée une intimité avec les lecteurs. De plus, comme le livre se passe en Suède, je n’ai pas eu besoin de faire beaucoup de RICHARDS recherches. C’était naturel. J’ai eu plus de facilités à créer le personnage d’Anna que celui de Peter. loin des clichés avec ces personnages.

bas. Lorsque nous avons fait la série Moskva Noir, cela nous a demandé énormément de

LFC : Ce livre à trois voix rend le livre plus

recherches. Dans Un cri sur la glace, l’héroïne

fort, notamment au niveau de la

Emma aurait pu être française ou allemande,

psychologie. Qu’en pensez-vous ?

mais le lieu serait resté le même. J’y tenais. CG : En effet. J’ai aimé écrire ce genre de LFC : Votre héroïne Emma est une jeune

narration. Le fait d’écrire à la première

Suédoise qui a un secret : son patron

personne crée une intimité avec les lecteurs.

Jesper, qui dirige un empire de mode, lui a

De plus, comme le livre se passe en Suède, je

demandé sa main, mais il ne veut surtout

n’ai pas eu besoin de faire beaucoup de

pas qu'elle ébruite la nouvelle. Deux mois

recherches. C’était naturel. J’ai eu plus de

plus tard, son fiancé disparaît sans laisser

facilités à créer le personnage d’Anna que celui

de traces et l'on retrouve dans sa superbe

de Peter.

maison le cadavre d'une femme, la tête tranchée…

LFC : Le journal de ma disparition est votre nouveau livre. Vous proposez au lecteur une

CG : Ce qui est intéressant, c’est

nouvelle enquête fascinante avec toujours

qu’initialement, il n’y avait qu’Emma dans le

au casting Hanne et Peter. Pourquoi avoir

rôle du narrateur. Mais, mon éditeur sentait

voulu garder ces personnages ?

qu’il fallait quelque chose de plus complexe.

150

C’était bien d’avoir un personnage plus jeune

CG : Au début, je ne pensais écrire qu’un seul

et un autre plus âgé, cela donnait une

livre, mais les gens sont tellement tombés

dimension intéressante et plus de possibilités

amoureux d’Hanne que j’ai été obligée de

pour dramatiser l’histoire. Emma, Peter et

l’inclure dans le deuxième. Petite précision

Hanne forment un beau trio. Je voulais rester

pour les lecteurs, vous pouvez lire le deuxième


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Je suis dans l’écriture du troisième, les personnages centraux ne seront pas les mêmes, mais Hanne S E L I N A R I là. CHARDS sera toujours livre indépendamment du premier.

finir avec Eddy Bellegueule d’Edouard Louis que j’ai beaucoup aimé. Quand j’ai écrit mon deuxième livre, il

LFC : Travaillez-vous sur un troisième

m’a beaucoup inspiré.

livre ? LFC : Comment expliquez-vous que les Scandinaves CG : Effectivement. Je suis dans l’écriture

dominent le genre du polar depuis maintenant très

du troisième, les personnages centraux ne

longtemps ?

seront pas les mêmes, mais Hanne sera toujours là.

CG : Tout le monde me demande cela. Mais à vrai dire, je ne sais pas vraiment. C’est vrai que nous avons

LFC : Vous avez obtenu le Prix du Polar

beaucoup de bons auteurs. C’est peut-être parce qu’il

en Suède, le public est nombreux à vous

fait souvent noir et froid dans notre pays, ce qui

suivre. Quel est votre sentiment ?

constitue un bel environnement pour créer une histoire ! (Rires) Nous avons un modèle de société qui est très

CG : Je vais utiliser une phrase d’une de

propre et qui fonctionne bien. Nous voulons peut-être

mes amis qui m’a dit un jour : Je me fiche

trouver quelque chose qui nous sorte de notre ordinaire.

des prix jusqu’à ce que j’en gagne un ! (Rires) Je trouve cela amusant. Plus

LFC : Vous allez avoir la chance de rencontrer vos

sérieusement, c’est une grande joie d’avoir

lecteurs lors de votre passage en France. Êtes-vous

obtenu ce prix. De plus, le jury est excellent.

excitée ?

Cela m’a permis d’avoir plus de visibilité. CG : Je suis très excitée et très heureuse à l’idée de les LFC : Quels genres de livres lisez-vous ?

rencontrer. Pour un écrivain, la meilleure chose, c’est de pouvoir rencontrer ses lecteurs. Lorsque l’on écrit un

152

CG : Je lis beaucoup de polars, de

livre, on est seul pendant longtemps. Et lors de la

nouvelles, de romans du monde entier. Je

promotion, c’est enfin le moment où l’on peut parler. J’ai

suis assez ouverte. J’ai lu récemment En

hâte.


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MAI 2018

COLIN HARRISON

PHOTOS EXCLUSIVES ET INTERVIEW PAR CHRISTOPHE MANGELLE ET QUENTIN HAESSIG PHOTOGRAPHIES : CÉLINE NIESZAWER LEEXTRA


Colin Harrison a plusieurs casquettes : il est un écrivain américain, mais aussi éditeur chez Scribner en 2000. Diplômé d'anglais du Haverford College, il obtient par la suite un Master de S E L I N A Rlittéraire I C H A R D S à l'université de l'Iowa. création Aujourd'hui, de passage à Paris, dans un hôtel parisien, il nous reçoit pour quelques photos avec Céline Nieszawer et nous parler de son nouveau roman "Manhattan Vertigo" (Belfond) LFC : Nous nous rencontrons pour parler

mon travail d’éditeur et vice-versa. Être éditeur

de votre livre Manhattan Vertigo

m’a aussi aidé en tant qu’écrivain. Ils sont

disponible aux Éditions Belfond. Vous êtes

désormais indivisibles et font partie du même

également éditeur. Écrire des livres, est-ce

cerveau, le mien.

une sorte de récréation pour vous ? LFC : Écrivez-vous les livres que vous CH : À vrai dire, j’écris des livres depuis que

souhaiteriez lire ?

j’ai l’âge de vingt ans. Je travaille comme éditeur depuis plus de trente ans, mais je suis

CH : C’est une très bonne question. En tant

écrivain depuis aussi longtemps. Je prends

qu’éditeur, je vois passer beaucoup de livres

cela très au sérieux.

que j’admire beaucoup. Je me rends compte qu’il y a des livres que je serai incapable

LFC : En tant qu’éditeur, vous voyez

d’écrire. Je me pose toujours la question de

passer beaucoup de textes. Vous mettez

savoir si j’aime un livre en tant qu’écrivain ou en

des auteurs en avant. Par moment, vous

tant qu’auteur. C’est souvent un bon indicateur

êtes-vous dit : pourquoi pas moi ?

lorsque je me place du côté de l’écrivain.

CH : J’ai commencé à écrire avant même

LFC : Avez-vous mis longtemps à écrire ce

d’être éditeur. Et ces deux passions se sont

livre ?

rencontrées à un moment donné de ma vie. Je pense que le fait d’écrire m’a aidé dans

155

CH : Oui. Il y a plusieurs raisons à cela. En tant


qu’éditeur, je suis quelqu’un de très occupé. J’ai également trois enfants dont je dois m’occuper. J’ai ensuite passé beaucoup de temps à étudier les cartes, que je collectionne aussi personnellement. Je cherchais une raison pour amener ces cartes dans mes livres. C’est pour cela que j’ai voulu prendre mon temps pour l’écrire.

SELINA

LFC : Votre héroïne Jennifer ne sait plus à quel homme se vouer. D’un côté, son mari, Ahmed Mehraz, businessman iranien à l’ascension irrésistible. De l’autre, Bill, son amour de jeunesse, gentil GI texan qui souhaite la ramener au pays. Pouvez-vous

On ne sait pas qui va sortir gagnant de ce triangle. Nous sommes tous en quelque sorte sur une carte. Parfois, nous sur une carte où R I C sommes HARDS nous sommes heureux et parfois non. Il y a une toujours une carte que ce soit dans le temps ou dans l’espace. C’est ce que vous verrez en lisant ce livre.

nous parler de ce triangle amoureux ? personnage à part entière dans ce livre. CH : On ne sait pas qui va sortir gagnant de ce

Qu’en pensez-vous ?

triangle. Nous sommes tous en quelque sorte sur une carte. Parfois, nous sommes sur une

CH : C’est absolument vrai. La ville est en trois

carte où nous sommes heureux et parfois

dimensions avec des gens qui vont vers le haut

non. Il y a une toujours une carte que ce soit

et vers le bas, d’autres qui tournent autour des

dans le temps ou dans l’espace. C’est ce que

uns et des autres. Tout le monde a peur de

vous verrez en lisant ce livre.

tomber dans cette ville, d’où le terme Vertigo. Les grandes villes sont remplies de relations,

LFC : Pourquoi les thématiques du pouvoir,

d’institutions qui créaient des drames

de l’argent, de l’art vous fascinent-elles

tragiques. Chacun vient chercher quelque

tant ?

chose à New York. Il faut toujours garder la foi.

CH : Elles sont importantes pour chacun

LFC : Votre écriture bien précise dans ce

d’entre nous. Je pense que c’est parce que

livre a parfaitement été retranscrite par le

j’aime observer la façon dont se comporte

traducteur.

notre société. New York en particulier. Vous pourriez écrire un million de livres à propos

CH : J’ai dîné avec le traducteur hier soir. Bien

de cette ville, vous aurez encore de la matière.

que je ne puisse pas lire la traduction, j’ai eu

Cela doit être la même chose pour Paris.

une longue conversation avec lui. Et j’ai senti qu’il avait parfaitement compris là où je

LFC : La ville de New York est un 156

souhaitais aller. Il a fait du très bon travail.


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Vous pourriez écrire un million de livres à propos de New York, vous aurez encore de la matière. Cela doit être la même chose pour Paris. SELINA

RICHARDS

LFC : Comment définiriez-vous

À la fin de l’histoire, tout se

votre style ?

casse la figure et fait sens. J’aimerais qu’il comprenne

CH : Je dirais que c’est un style

cela. Durant la lecture, je crois

multidimensionnel. Il peut être

qu’il y aura des larmes et des

rapide, profond, conceptuel, ou

rires. Mais je pense que leur

intellectuel. J’aime à penser que je

esprit sera plus ouvert.

peux aborder les choses de différentes manières.

LFC : Aimeriez-vous que ce film devienne un film ?

LFC : Une fois que le lecteur termine ce livre, quelle idée

CH : Bien sûr. C’est un livre

aimeriez-vous qu’il retienne ?

difficile à adapter au cinéma car il y a beaucoup de perspectives

CH : J’aimerais que le lecteur

différentes. Il faut trouver le bon

referme le livre en se disant qu’il ne

réalisateur pour le projet. Peut-

s’attendait pas du tout à vivre cela.

être pouvez-vous m’aider ?

J’aimerais que le lecteur referme le livre en se disant qu’il ne s’attendait pas du tout à vivre cela. À la fin de l’histoire, tout se casse la figure et fait sens. 158


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PATRICIA MACDONALD PHOTOS EXCLUSIVES ET INTERVIEW PAR CHRISTOPHE MANGELLE ET QUENTIN HAESSIG PHOTOGRAPHIES : FRANCK BELONCLE LEEXTRA


De passage à Paris, Patricia MacDonald nous consacre toujours un peu de temps pour nous rencontrer. Auteur de nombreux best-sellers, d’"Un étranger dans la maison" à "Message sans réponse", chez Albin Michel, S E L I N A R Itous C H A Rpubliés DS Patricia MacDonald s’est imposée comme l’une des reines du suspense familial et psychologique. Elle publie aujourd'hui "La fille dans les bois" (Albin Michel). Rencontre.

LFC : Nous nous rencontrons pour la sortie

coupable. Pourquoi avoir choisi ce thème ?

de votre roman La fille dans les bois (Éditions Albin Michel). Comment est née

PMD: J’ai voulu parler de ce thème, car la

l’idée d’écrire ce livre ?

plupart du temps, mes héroïnes enquêtent sur des affaires qui n’intéressent plus les policiers…

PMD : J’aime placer la famille au cœur de

Je trouvais cela intéressant de partir de ce point

mes livres. Dans ce roman, il y a plusieurs

de départ.

idées que j’ai mélangées. Premièrement, j’ai voulu écrire un roman qui commençait avec

LFC : Pourquoi êtes-vous tant fascinée par

cet aveu de Céleste sur son lit de mort. Cela a

les crimes ?

été le point de départ. Deuxièmement, j’ai voulu écrire sur le désastre qu’est la politique

PMD : Les faits divers sont ma principale source

dans notre pays avec Donald Trump et enfin

d’inspiration. Au-delà des crimes, ce qui

troisièmement, j’ai imaginé ce crime que les

m’intéresse le plus ce sont les relations entre

lecteurs découvriront…

les individus. À travers l’enquête, j’ai essayé de créer une situation où la solution n’est pas

LFC : Votre livre parle de deux sœurs :

évidente à trouver pour l’héroïne. Il ne faut pas

Céleste qui est atteinte d’un cancer et

que ce soit trop simple. Si c’est trop simple pour

Blair. Avant de partir, Céleste fait une

moi, ce sera trop simple pour mes lecteurs.

confession à sa sœur en lui disant que le

161

meurtrier de sa meilleure amie Molly,

LFC : Était-ce important pour vous que la

actuellement en prison, n'est pas le

personne qui mène l’enquête soit une


femme ? PMD : Je choisis toujours des personnages féminins, tout simplement, car je suis une femme. Je pense comme une femme. C’est une zone de confort. On m’a plusieurs fois demandé pourquoi je choisissais un

SELINA personnage féminin en tant que personnage principal. Mais pourquoi pas ? LFC : L’oncle Ellis est un autre personnage du livre. Il a la gentillesse de s’occuper de ses deux nièces au début de l’histoire, puis

J’ai essayé de créer une héroïne avec une vie limitée par son ambition. C’est un personnage compliqué qui n’a pas envie d’avoir d’enfants. Je crois que la plupart du les héroïnes R I C H A Rtemps, DS dégagent quelque chose de positif. Mais là, ce n’est pas le cas. Elle me semble assez réelle dans un sens. d'une femme. Pouvez-vous nous en parler ?

il commence à boire et rentre dans une spirale négative.

PMD : Il s’adoucit, mais c’est surtout grâce au personnage du neveu qui aime les passions de

PMD : Ce n’est pas ce qu’il voulait au départ.

l’oncle Ellis comme la chasse ou la pêche. C’est

Tout cela, c’est à cause de sa femme qui

très agréable pour lui. La femme dont il tombe

n’avait pas du tout envie d’élever ces deux

amoureux était l’infirmière de sa nièce.

nièces. Il y a quelque chose de bon et de très mauvais en lui.

LFC : Qu’est-ce qui vous a plu lors de l’écriture de ce livre ?

LFC : Le très mauvais, c’est qu’il a une collection d’objets nazis chez lui. Comment

PMD : J’ai essayé de créer une héroïne avec

expliquez-vous que l’on puisse avoir deux

une vie limitée par son ambition. C’est un

facettes si différentes ?

personnage compliqué qui n’a pas envie d’avoir d’enfants. Je crois que la plupart du

PMD : C’est quelque chose qui existe. L’oncle

temps, les héroïnes dégagent quelque chose

Ellis n’est pas plus terrible que d’autres

de positif. Mais là, ce n’est pas le cas. Elle me

personnes. Il a des idées dégoûtantes et c’est

semble assez réelle dans un sens.

une situation difficile pour ses nièces. Cependant, malgré ses mauvais côtés, il

LFC : Votre style d’écriture est très fluide et

continue de s’en occuper du mieux qu’il peut.

agréable pour le lecteur. Est-ce un exercice

C’est une personne compliquée, mais comme

difficile en tant qu’écrivain ?

nous tous. PMD : C’est dur de trouver une solution à mon

162

LFC : Quelques années plus tard, l’oncle

intrigue. Je ne veux pas que ce qui se passe

Ellis est plus calme et tombe amoureux

dans mon livre soit une évidence pour le


P A T R I C I A L F C

M A C D O N A L D

M A G A Z I N E

# 9


Beaucoup de jeunes écrivains ont besoin d’être lus et ont besoin de reconnaissance. Il faut toujours rester humble et ne pas sans cesse chercher l’approbation de tout le monde. Tout ce dont vous avez SELINA RICHARDS besoin, c’est d’avoir confiance en quelques lecteurs qui sauront vous dire les mots justes. lecteur. J’ai imaginé ce crime à la fin du

écrits. Je ne suis pas constamment en

livre en me demandant pourquoi l’on fait ce

train de penser à mon œuvre. Le plus

genre de choses. Si quelque chose est

important, c’est toujours le prochain.

difficile, c’est forcément intéressant. LFC : Continuez-vous d’écrire ? LFC : Vous avez écrit de nombreux romans. Avez-vous le sentiment d’avoir

PMD : Je prends une petite pause en

encore beaucoup de choses à raconter ?

ce moment. Je n’ai pas encore trouvé l’idée qui m’intéresse suffisamment

PMD : C’est de plus en plus difficile pour

pour le prochain. C’est de plus en

être honnête. Mes lecteurs dépensent leur

plus difficile de créer quelque chose

argent pour acheter mes livres et je ne veux

qui plaira aux lecteurs. Chaque livre

pas leur donner quelque chose de

est un nouveau défi.

réchauffé. Après une vingtaine de livres, c’est difficile de trouver un sujet nouveau et

LFC : Quels conseils donneriez-

original. Aux États-Unis, certains lecteurs

vous à un jeune écrivain ?

m’ont reproché que la fin du livre fût la même que le film Room, alors que je ne l’ai

PMD : Beaucoup de jeunes écrivains

jamais vu.

ont besoin d’être lus et ont besoin de reconnaissance. Il faut toujours rester

LFC : Quel bilan tirez-vous de tous vos

humble et ne pas sans cesse

livres ?

chercher l’approbation de tout le monde. Tout ce dont vous avez

164

PMD : Tout d’abord, vingt livres, c’est un

besoin, c’est d’avoir confiance en

bon numéro. (Rires) Honnêtement, je ne me

quelques lecteurs qui sauront vous

souviens pas de tous les livres que j’ai

dire les mots justes.


P A T R I C I A

L F C

M A C D O N A L D

M A G A Z I N E

# 9


L'ENTRETIEN DE LA COVER

MAI 2018

PHOTOS EXCLUSIVES pour LFC Magazine avec notre partenaire l'agence LEEXTRA, photographies de Franck Beloncle

INTERVIEW INÉDITE

FRANCK THILLIEZ

par Christophe Mangelle et Quentin Haessig


Franck Thilliez, c'est le BOSS du thriller en France sur le rythme d'un polar par an avec un zeste de notion scientifique. ll fait aujourd'hui partie des dix auteurs les plus lus en France. Franck Thilliez a accepté l'invitation de LFC Magazine pour une séance de photos avec Franck Beloncle, et un entretien inédit dans lequel il nous parle pour la première fois de son métier d'écrivain et de son nouveau roman "Le manuscrit inachevé". LFC : Nous nous rencontrons pour la sortie de votre roman "Le manuscrit inachevé". Dès le titre, nous remarquons l’effet miroir entre l’auteur et le personnage. Pouvez-vous nous en parler ? FT : Quand j’écris des romans qui sont en dehors de ma série, j’aime bien m’amuser. À la fois dans l’histoire que je veux raconter et dans la manière dont je construis le livre. Cela me permet de faire des extravagances, de le construire différemment. L’idée était de trouver quelque chose en plus de l’histoire, une dimension supplémentaire. Il existe plusieurs mises en abyme dans ce livre, plusieurs couches intérieures afin que le lecteur puisse se plonger dans la tête du romancier. LFC : Ainsi,vous pouvez parler de votre métier… FT : C’était l’occasion de parler de mon métier, mais d’une manière un peu plus personnelle. Dans mon nouveau roman, ce n’est pas un écrivain comme les autres. C’est une romancière qui écrit des thrillers comme les miens. Elle a les mêmes obsessions que moi et reste un vrai

LFC MAGAZINE #9 | 167

personnage de roman, bien qu’elle soit très proche de moi. Il y a toujours cette frustration lorsque l’on est romancier, car on raconte des histoires. Bien entendu, nous ne pouvons pas expliquer aux gens tous les écueils que nous rencontrons, la manière dont nous les construisons, ce que l’on ressent. Le fait de prendre un personnage qui me ressemble me permet de parler de ce métier. LFC : Au bout de dix-huit romans, avez-vous encore autant de choses à dire ? FT : Oh oui ! J’ai encore beaucoup d’histoires à raconter. (Rires) Ce personnage est un vrai personnage de thriller. Elle dit même qu’elle écrit des thrillers et que ce qu’elle vit dans le livre est quelque chose qui pourrait arriver à l’un de ses personnages. Sa vie va devenir un enfer. Et c’est très amusant, car elle a l’impression d’être un personnage de roman, ce qu’elle est ! (Rires) Je m’interroge moi-même làdessus. Peut-être qu’à l’heure où l’on se parle, je suis un personnage de roman. Seulement, je ne le sais pas. L’objectif de ce livre était de se plonger dans l’esprit du romancier qui raconte une histoire. LFC : Comment cette idée est-elle venue dans votre tête ?


FT : Elle me vient d’une idée assez obsessionnelle. Au début du livre, la fille de mon personnage disparaît et je me suis demandé ce qui se passerait si j’attrapais l’assassin présumé de ma fille. C’est une idée que je trouvais dramatiquement très forte sur la culpabilité : que ferait-on si l’on vivait avec une personne dont on sait qu’elle a fait du mal à nos enfants, sans savoir exactement si cela est vrai ? Pour rendre l’idée encore plus intéressante, j’ai rajouté le thème de l’amnésie. C’était le nœud initial du livre. LFC : L’idée du miroir de l’écrivain est-elle venue après ? FT : Mon idée de départ, comme je vous l’ai dit, était que je me retrouvais face à l’assassin de ma fille, mais je ne savais pas si ce devait être un policier, un personnage lambda… Finalement j’en suis venu à l’écrivain. Je trouvais intéressant que l’un des personnages vive le drame de ses livres. On se pose toujours des questions. Même moi, j’écris des choses terribles à propos de mes personnages et je sais que je pourrais être l’un d’entre eux. Ce livre est une manière de parler du métier d’écrivain de manière frontale. LFC : Comme dans tous vos livres, il y a une dimension scientifique. Ici, vous parlez de l’amnésie. Pourquoi ? FT : Tout ce qui concerne la mémoire m’intéresse beaucoup.

LFC MAGAZINE #9 | 168

Nous ne pouvons pas expliquer aux gens tous les écueils que nous rencontrons, la manière dont nous les construisons, ce que l’on ressent. Le fait de prendre un personnage qui me ressemble me permet de parler de ce métier. Il y a trois formes que je traite dans ce livre : l’amnésie, avec le personnage du mari, l’hypermnésie, avec un des policiers dont l’arme est sa mémoire, et la cryptomnésie. Cette troisième forme est propre aux écrivains. Ce phénomène, c’est de croire que l’on est soi-même et que l’on est à l’origine d’une idée, alors que finalement, c’est quelque chose que l’on a assimilé un jour en pensant vraiment que ça nous appartenait. Ce livre parle aussi du plagiat. C’est une question que l’on se pose tous lorsque l’on finit un livre : est-on bien à l’origine de l’idée de départ ? LFC : Une angoisse d’écrivain ? FT : Moins maintenant. Je me dis que mes histoires sont tellement complexes et personnelles avec un traitement parfois irréaliste que même si j’utilise des thèmes comme l’amnésie, je sais que je suis dans mon univers. Mon traitement est vraiment particulier. Tout le monde sait que les grands sujets ont déjà été traités. Nous sommes les derniers à passer en quelque sorte. Nous ne pouvons plus rien inventer. Les thèmes de la vengeance, le triangle amoureux, la trahison, le mensonge… Il faut simplement trouver l’angle. LFC : Connaissez-vous le thème de votre prochain livre ?


FRANCK THILLIEZ - LFC MAGAZINE #9


FT : Oui, je le connais. Au moment où sort ce livre, je suis déjà plongé dans le prochain depuis le mois de janvier environ. Il parlera de toutes les données que l’on donne aux machines. Ce sera un livre sur l’intelligence artificielle. Je me suis aussi demandé vers quoi avance l’homme en abordant le thème du transhumanisme. Le progrès va-t-il nous être bénéfique ? Ce sont les grandes questions du moment. Je parle également des objets connectés. LFC : Cette thématique est très intéressante puisqu’elle stimule les peurs. FT : Tout va très vite. De plus, personne ne sait vraiment comment cela fonctionne. Cent mille milliards de données par jour remplissent ce qu’on appelle le big data, mais on ne sait pas où cela va. J’ai regardé beaucoup de choses sur l’intelligence artificielle qui sont assez effrayantes. Même si, in fine, c’est l’homme qui conçoit ces machines, il en reste le maître. Tous les plus grands groupes comme Amazon, Google, Facebook et Apple investissent des millions de dollars dans la recherche sur l’immortalité, sur les robots… Tout cela fait très peur et bouscule la science traditionnelle qui est beaucoup plus lente. LFC : Avez-vous des livres en cours d’adaptation au cinéma ou à la télévision ? FT : Pas mal des droits de mes livres sont dans les mains de boîtes de production. Le gros chantier, ce sont les romans où l’on retrouve mon personnage de flic, il y a cinq romans. Avec Escazal Films, nous sommes en train de créer un document d’adaptation que l’on va remettre à des diffuseurs et des chaînes. Il faut que ce soit un document solide. S’ils sont partants, ils lancent le projet. C’est plutôt bon signe, ça bouge bien. Puzzle a été adapté en film, pour le cinéma. Le tournage vient de se terminer. C’est un film de genre. J’aime ce type de film, car s’il marche, vous pouvez les retrouver en Corée, à Taïwan… À suivre. Il y a d’autres livres en cours d’adaptation, mais le cinéma est quelque chose qui prend du temps. Contrairement aux plateformes comme Netflix où tout va très vite.

LFC MAGAZINE #9 | 170

Je crois qu’ils se sont rendu compte que si des adaptations sortaient dix ans après, cela n’avait plus de sens. LFC : Continuez-vous votre métier de scénariste ? FT : Oui. Je suis toujours sur la série Alex Hugo que j’ai écrite avec Nico Tackian, qui est d’ailleurs devenu auteur de polar (Calmann Levy). Nous prenons toujours autant de plaisir et la série plait puisque les épisodes font partie des meilleures audiences de France 2. C’est notre bébé et c’est pour cela que l’on ne veut pas le lâcher. Quand quelque chose marche au bout de dix épisodes et que l’on nous fait confiance, cela nous donne une certaine liberté. Le seul hic, ce sont les budgets qui baissent chaque

Niko Tackian et moi-même prenons toujours autant de plaisir et la série "Alex Hugo" plait puisque les épisodes font partie des meilleures audiences de France 2.


année. Avec un peu moins d’argent, on nous demande d’imaginer des films toujours aussi beaux. Ce sont de vrais défis, mais c’est très stimulant. LFC : Vous vous êtes également mis à la bande dessinée ! FT : Nous avons créé La brigade des cauchemars avec YomGui, le premier tome est sorti en octobre 2017 et les jeunes lui ont réservé un bel accueil. C’est une bande dessinée qui s’adresse aux jeunes de huit à quatorze ans. Le deuxième tome sortira prochainement. LFC : Vous écrivez des romans, des BD, des scénarios… Ce sont des formes d’écriture différentes, mais complémentaires. Les librairies vous soutiennent, les lecteurs vous lisent, les médias vous encensent : vous sentezvous privilégié ? FT : Chaque matin lorsque je m’assois à mon bureau, je me dis que j’ai de la chance. De voir le bonheur que l’on procure aux lecteurs, c’est très gratifiant. Cependant, c’est quelque chose qui s’entretient. C’est un travail intense avec de grosses journées au bureau. Mais également dans les salons où il faut se rendre disponible pour les lecteurs. Il faut leur rendre ce qu’ils nous ont apporté. Je suis très redevable de tout cela.

LFC MAGAZINE #9 | 171

LFC : Nous avons lu dans une interview que lorsque vous échangez avec vos lecteurs sur vos bouquins, vous en apprenez beaucoup sur vous. FT : Oui tout à fait. Il y a une partie subconsciente dans mes livres dont je ne me rends pas compte. Les gens sont vraiment extraordinaires et bienveillants. Ils ont envie de partager la joie qu’ils ont eue en lisant mes livres. J’en apprends sur moi-même et il me donne aussi des idées.

Chaque matin lorsque je m’assois à mon bureau, je me dis que j’ai de la chance. De voir le bonheur que l’on procure aux lecteurs, c’est très gratifiant. Cependant, c’est quelque chose qui s’entretient. C’est un travail intense avec de grosses journées au bureau. Mais également dans les salons où il faut se rendre disponible pour les lecteurs. Il faut leur rendre ce qu’ils nous ont apporté. Je suis très redevable de tout cela.


FRANCK THILLIEZ - LFC MAGAZINE #9


L'ENTRETIEN DE LA COVER - MUSIQUE

INTERVIEW INÉDITE par Christophe Mangelle et Quentin Haessig

TINA ARENA MAI 2018 PHOTOS EXCLUSIVES pour LFC Magazine avec notre partenaire l'agence LEEXTRA, photographies de Arnaud Meyer


Avril 2018, nous avons rendez-vous avec Tina Arena à 10h dans un très bel hôtel au cœur de Paris. Après dix ans d'absence en France, la chanteuse revient nous présenter son nouveau disque "Quand tout recommence", onze titres en français. Séance de photos exclusives et entretien inédit avec l'interprète des tubes de la belle époque "Aller plus haut", "Aimer jusqu'à l'impossible" ou "Je m'appelle Bagdad". Rencontre.

LFC : Comment allez-vous Tina ? TA : Je vais bien, merci. Comme toutes mes promotions de disque, c’est un marathon. Mais c’est très agréable. J’ai reçu un très bel accueil de la part du public français. Cela m’enchante. LFC : Étiez-vous anxieuse de la réaction du public français après dix ans d’absence ? TA : Il ne faut pas se laisser porter par ses peurs. Il arrivera ce qu’il devra arriver. Le destin, c’est le destin. Je ne sais pas comment cela se manifestera, mais je m’accroche. LFC : Comment expliquez-vous cette si longue période d’absence ? TA : Parce que la vie continue. J’ai énormément travaillé durant ces dix dernières en me concentrant sur mes objectifs. Je pense que je ne m’étais pas assez impliquée dans mon pays d’origine. J’avais besoin de passer du temps là-bas, de me reconnecter, après des années d’absence. Et

LFC MAGAZINE #9 | 174

j’avais aussi besoin de m’occuper de mon fils, de prendre le temps de le voir grandir. Ce sont des moments très précieux. LFC : Votre dernier album est intitulé "Quand tout recommence". On sent l’idée d’un cycle et ce n’est pas un hasard de vous revoir à ce moment-là. Qu’en pensezvous ? TA : Je suis d’accord. Le timing est quelque chose de crucial. Le temps est quelque chose qui est bien plus fort que nous. On peut planifier beaucoup de choses, mais quand le moment est bon, cela se manifeste tout seul. C’est complément le cas avec ce projet. En quarante ans de carrière, j’ai beaucoup grandi et j’avais besoin de vivre d’autres aventures pour mieux revenir. LFC : Vous avez commencé votre carrière à l’âge de sept ans, on comprend mieux pourquoi vous aviez besoin de faire une pause. TA : Nous vivons dans un monde où il est très important de prendre du recul. C’est ce qui vous maintient. Je ne peux pas constamment vivre dans la lumière, sur les réseaux sociaux, dans le monde de la célébrité… Je suis une battante, je fais mon travail, je m’accroche et je sais ce que cela veut dire que de travailler. Une fois mon travail terminé, j’ai besoin de


TINA ARENA - LFC MAGAZINE #9


me retirer et de vivre ma vie ! LFC : Se retirer, c’est une manière de revenir dans le monde réel… TA : Le monde réel est la chose la plus importante et il ne faut pas l’oublier. Il était important pour moi de continuer à vivre une vie normale. LFC : Le premier single "Tant que tu es là" parle des proches qui vous entourent. C’est une thématique très importante pour vous. TA : Je ne peux pas faire correctement mon métier sans être bien accompagnée. Ce n’est pas possible. Il y a tellement de choses à gérer. Je serai incapable de le faire seule. LFC : C’est un album très mature. Expliquez-nous cette volonté de proposer uniquement des textes en français ? TA : Il fallait assumer le projet jusqu’au bout. Le français est un angle qui me correspond tellement bien. Je prends de plus en plus de plaisir à chanter dans cette langue. J’ai senti que c’était le bon moment pour partager des idées avec le recul que j’avais pris. La France a beaucoup changé ces dix dernières années, je voulais en parler à travers cet album. LFC : Vous êtes auteur, compositeur, interprète. Vous êtes une artiste complète. Vous maitrisez tout artistiquement.

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Il fallait assumer le projet jusqu’au bout. Le français est un angle qui me correspond tellement bien. Je prends de plus en plus de plaisir à chanter dans cette langue.La France a beaucoup changé ces dix dernières années, je voulais en parler à travers cet album. TA : C’est très important, surtout l’écriture. C’est quelque chose que je fais depuis que j’ai vingt ans. C’est mon moyen d’expression et j’y tiens beaucoup. LFC : Beaucoup d’artistes ont participé à votre album. Comment cela s’est-il articulé ? TA : Il y a eu un intermédiaire qui m’a présenté les textes, les auteurs. J’ai écouté ensuite les chansons. Puis je sélectionnais celles qui me parlaient le plus. J’écoute des chansons qui sont écrites par des personnes qui sont bien installées dans le milieu, mais pas seulement. J’aimais l’idée d’élargir ma vision artistique en faisant rentrer les petits nouveaux dans l’équation. Je veux jouer ce rôle de véhicule pour que ces compositeurs soient entendus. LFC : Considérez-vous le milieu trop fermé ? TA : Il faut ouvrir le marché. Je trouve absolument normal de fonctionner de cette manière. Il faut laisser la place à la nouvelle génération. Si j’en ai l’opportunité, c’est avec plaisir que je le fais. LFC : Les thèmes que vous abordez dans cet album


TINA ARENA LFC MAGAZINE #9


vous sont-ils chers ? TA : Ce sont des thèmes que j’ai choisis avec précaution. Le titre Parfait parle du perfectionnisme qui est quelque chose que nous souhaitons tous, mais qui ne peut pas exister. Nous avons besoin de diversification dans ce monde. Quand tout recommence parle du changement, de l’étonnement et du fait que rien n’est acquis. J’avais besoin de parler de tout cela, je ne suis pas seulement une artiste dont la France a entendu parler il y a vingt ans. LFC : Vous avez eu un destin incroyable dans un pays où il est difficile de se faire un nom. TA : Qu’une chanteuse australienne parvienne à rentrer dans le patrimoine français, c’est quelque chose d’assez incroyable, en effet. Je me suis beaucoup impliquée. J’ai fait tout ce qu’il fallait pour y arriver et je me sens complètement à l’aise dans cette configuration.

TA : Peut-être que grâce à cet album, le public parviendra à faire connaissance avec l’être humain que je suis, et non seulement la chanteuse. Il y a une grande part de sensibilité dans ce projet. Je ne suis pas seulement une chanteuse à voix. Derrière tout cela, il y a un discours et un tout qui ne doivent pas être dissociés. LFC : Vous avez mis beaucoup de douceur dans cet album. TA : Je crois que les français en ont besoin. Je ne veux pas les agresser. LFC : Allez-vous partir en tournée ? TA : Il y aura une tournée en 2019. La fin de l’année 2018 va être consacrée au théâtre. Je vais jouer le rôle d’Eva Perón dans la pièce Evita. Ce projet commencera à l’Opéra de Sydney cet été. Je me sens très chanceuse et je n’oublie jamais d’où je viens.

LFC : Encore aujourd’hui, vous vous impliquez beaucoup. TA : Je ne suis pas quelqu’un qui vient à l’improviste pour faire une sorte de lavage de cerveau. Je suis une femme passionnée et investie. LFC : Quel lien avez-vous avec le public français ? TA : À chaque fois, ce sont de belles retrouvailles. C’est un public particulier avec qui j’ai grandi. Tous les jours, j’ai des inconnus qui me disent que j’ai bercé leur enfance. Je me sens privilégiée, c’est magnifique comme concept. La France est un pays extraordinaire. LFC : Que voudriez-vous que le public retienne de cet album ?

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Je vais jouer le rôle d’Eva Perón dans la pièce Evita. Ce projet commencera à l’Opéra de Sydney cet été. Je me sens très chanceuse et je n’oublie jamais d’où je viens.


Le nouveau disque de onze titres de Tina Arena, Quand tout recommence, disponible en magasin et sur toutes les plateformes digitales.

TINA ARENA LFC MAGAZINE #9

Peut-être que grâce à cet album, le public parviendra à faire connaissance avec l’être humain que je suis, et non seulement la chanteuse. Il y a une grande part de sensibilité dans ce projet. Je ne suis pas seulement une chanteuse à voix. Derrière tout cela, il y a un discours et un tout qui ne doivent pas être dissociés.


Musique LFC MAGAZINE #9 • MAI 2018

THE BLIND SUNS SONT NOS INVITÉS

Et aussi... AUTOMAT SEEMONE LE ROI ANGUS ASTRE


The Blind Suns, le groupe de rock psyché qui va pulser ton été ! Les trois membres du groupe The Blind Suns nous ont fait l'amitié de nous rejoindre au cœur de Paris pour une séance de photos. Nous sommes très heureux de les recevoir dans nos colonnes dans le but de vous présenter leur nouvel album Offshore, avec comme extrait Ride soutenu par un clip inspiré par le cinéma fantastique et la SF et Brand New Start leur deuxième single dévoilé miavril. Actuellement en tournée américaine et française, vous devez absolument les voir sur scène. Entretien inédit. LFC : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

ans et c’est à ce moment-là que j’ai rencontré Romain, suite à un

Dorota Kuszewska : Nous sommes The Blind Suns ce qui signifie Les

échange scolaire. Cela a été un

soleils aveugles pour ceux qui ne parleraient pas anglais. Le groupe est

déclic pour moi, j’avais un besoin

composé de Romain Lejeune (guitare et chant), Jérémy Mondolfo

d’aventure immédiat.

(batterie et arrangements) et moi-même (guitare et chant). Chacun a un double rôle dans le groupe.

Romain Lejeune : C’était un coup de foudre musical. Aujourd’hui,

Romain Lejeune : C’est un nom assez contradictoire. Notre musique est

cela fait dix ans que l’on est

à la fois sombre et pleine de lumière. Nous voulions quelque chose qui

ensemble et nous sommes basés

nous ressemble.

à Angers. C’est d’ailleurs dans cette ville que Dorota et moi

Jérémy Mondolfo : Si on devait définir notre musique, je dirais que nous

avons rencontré Jérémy.

faisons de la musique dream pop / psyché. Sur scène, il y a beaucoup d’énergie.

Jérémy Mondolfo : J’ai fait beaucoup de projets auparavant,

LFC : Comment vous êtes-vous rencontrés ?

mais je sentais qu’il me manquait quelque chose. Lorsque j’ai

Dorota Kuszewska : Je suis venue de Pologne lorsque j’avais dix-neuf

LFC MAGAZINE #9 181

rencontré Dorota et Romain,



INTERVIEW CHRISTOPHE MANGELLE QUENTIN HAESSIG

PHOTOS JULIEN FAURE LEEXTRA

L’album s’appelle Offshore. Les thèmes de cet album sont le voyage, l’évasion… Nous aimons parler du fait de rompre la routine. C’est une sorte de road album. j’ai décidé de m’investir à 100%, car humainement et

Dorota Kuszewska : Romain et Jérémy composent

professionnellement, c’était parfait.

la musique. Pour les textes, c’est plus moi, même si parfois nous nous y mettons tous ensemble.

LFC : Dorota, pourquoi avez-vous décidé de quitter la Pologne ?

Jérémy Mondolfo : Il n’y a pas forcément de règles au sein du groupe, nous nous adaptons. Les

Dorota Kuszewska : Cela s’est fait instinctivement.

collaborations sont toujours intéressantes et

J’avais déjà un groupe en Pologne. Mais lorsque j’ai

enrichissantes.

rencontré Romain, c’était une évidence de partir vers de nouveaux horizons. Je ne connaissais pas

Romain Lejeune : Avec Dorotha, nous avons

beaucoup la France, mais j’aimais le fait de partir

l’habitude de travailler ensemble au niveau des

vers l’inconnu. J’avais envie d’essayer. Et cela a

textes, cela fait plus de dix ans que l’on se connait.

fonctionné.

Nous savons où nous voulons aller. En général, c’est assez efficace.

LFC : Partagez-vous l’idée que la musique n’a pas de frontières ?

LFC : Votre album est sorti le 20 avril 2018. Pouvez-vous nous le présenter ?

Jérémy Mondolfo : La musique est un voyage. Elle permet de s’évader et de ne pas rester dans une

Dorota Kuszewska : L’album s’appelle Offshore. Les

routine quotidienne.

thèmes de cet album sont le voyage, l’évasion… Nous aimons parler du fait de rompre la routine.

Romain Lejeune : De plus, elle permet de s’évader

C’est une sorte de road album.

physiquement lors des tournées. Romain Lejeune : Cela fait quatre ans que l’on part LFC : Comme vous nous l’avez dit, vous êtes très

en tournée aux États-Unis et tous ces voyages nous

complémentaires. Vous composez, vous arrangez,

ont beaucoup influencés.

vous écrivez. Racontez-nous qui fait quoi ! LFC : Comment avez-vous été accueilli aux

183 LFC MAGAZINE #9



INTERVIEW CHRISTOPHE MANGELLE QUENTIN HAESSIG

PHOTOS JULIEN FAURE LEEXTRA

Une des valeurs du groupe, c’est le partage. L’exemple de Dorota est très inspirant. Elle a quitté son pays pour rencontrer d’autres gens et faire de la musique. C’est cette image-là que nous aimons véhiculer. États-Unis ?

jouer et il nous a proposé de travailler avec nous sur notre album.

Jérémy Mondolfo : Très bien. On sent une ambiance amicale à chaque fois que l’on joue

LFC : Quelles sont vos prochaines dates de concert ?

devant ce public. Romain Lejeune : Nous serons le 2 mai au FGO Romain Lejeune : Notre genre musical

Barbara à Paris et le 30 mai au Ferrailleur à Nantes

correspond plus à ce qui se fait aux États-Unis.

pour la release party de l’album.

C’est une musique qui leur parle. Dorota Kuszewska : Nous partons ensuite en tournée LFC : N’est-ce pas compliqué de promouvoir

jusqu’à fin septembre dans toute la France. La scène

une musique anglophone en France ?

est quelque chose de très important pour nous, il se passe des choses que l’on ne peut pas vivre lors des

Dorota Kuszewska : C’est toute notre difficulté.

enregistrements.

Mais c’est un défi que de convaincre le public français de nous écouter. Certes nous sommes

Jérémy Mondolfo : Il y a toujours beaucoup d’énergie

français, mais nous faisons avant tout de la

et c’est différent chaque soir, tout dépend du public

musique qui nous inspire.

que nous avons en face.

LFC : Quels sont les groupes qui vous ont

LFC : Si l’on devait retenir une phrase qui définisse le

influencé ?

groupe, laquelle choisiriez-vous ?

Jérémy Mondolfo : Déjà, j’aimerais faire un clin

Romain Lejeune : Une des valeurs du groupe, c’est le

d’œil au producteur de l’album qui s’appelle

partage. L’exemple de Dorota est très inspirant. Elle a

Charles Rowell et qui joue dans le groupe

quitté son pays pour rencontrer d’autres gens et faire

californien Crocodiles. Nous l’avons vu en

de la musique. C’est cette image-là que nous aimons

concert il y a cinq ou six ans et cela a été une

véhiculer.

révélation pour nous. Nous avons ensuite joué avec ce groupe à Austin (USA) l’an dernier. Et

Dorota Kuszewska : Cela n’a jamais été facile, mais

nous avons sympathisé avec lui. Il nous a vu

c’est excitant. Il ne faut jamais rester sur ses acquis.

185 LFC MAGAZINE #9


THE BLIND SUNS joueront le 19 et 20 mai 2018 à la 32ème édition du Festival International de Musique Universitaire à Belfort. Ce festival gratuit réunit chaque année 100 000 spectateurs autour d’une centaine de groupes. Vous allez vous régaler !


AUTOMAT

LFC MAGAZINE #9 187


Les quatre membres du groupe Automat nous ont fait l'amitié de nous rejoindre au cœur de Paris pour une séance de photos. Nous sommes très heureux de les recevoir dans nos colonnes dans le but de vous présenter leur nouvel album Pandora. Bonne humeur, rire, passion et musique sont les mots-clés de cette première rencontre fort sympathique. Entretien inédit. LFC MAGAZINE #9 188

LFC : Comment vous êtes-vous rencontrés tous les quatre ? Maxime : Nous sommes des amis de longue date. Nous nous sommes rencontrés au début de l’adolescence vers treize ans. Samuel : Il y a eu un concert à notre première journée d’école au collège et c’est un peu cela qui nous a rapprochés. Le courant est passé tout de suite entre nous.


INTERVIEW CHRISTOPHE MANGELLE QUENTIN HAESSIG

PHOTOS CÉLINE NIESZAWER LEEXTRA

Plusieurs groupes ont fait cette démarche de venir en France, comme les Cowboys Fringants. Et c’est ce genre de succès qui nous motive. Mathieu : Par la suite, nous avons joué dans des

contrat en maison de disque, nous étions prêts à

groupes différents. Et le destin a fait que nous

faire tout ce qu’ils nous demandaient sans même

nous sommes retrouvés à jouer dans le même

prendre le temps de réfléchir. En vieillissant, nous ne

groupe Automat.

faisons plus ce genre de compromis, nous cherchons à faire ce qui nous rend meilleurs.

LFC : Pouvez-vous nous expliquer la signification de Automat ?

LFC : L’industrie musicale change, car elle fait écho au monde dans lequel on vit. Qu’en pensez-vous ?

Max-Antoine : Il n’y a pas forcément de signification. On trouvait que le nom sonnait

Maxime : Oui, surtout avec l’arrivée d’internet. Cet

assez bien et de toute façon, il fallait que l’on se

outil est formidable pour nous, car il nous permet de

trouve un nom. C’est chose faite ! (Rires)

nous exporter et de faire découvrir notre musique à beaucoup plus de monde. Les changements dans

LFC : Vos débuts sont intéressants, car l’idée de

l’industrie sont vraiment positifs.

départ remonte à votre jeunesse. Vous avez fait mûrir cette idée dans vos têtes. Et aujourd’hui

LFC : Vous avez déjà une belle carrière au Canada.

vous êtes devenus professionnels. Pensiez-vous

Vos disques marchent bien. Pourquoi le marché

un jour en arriver là ? Quel regard portez-vous sur

français vous intéresse-t-il ?

votre parcours ? Max-Antoine : On trouve les Français sympathiques Samuel : C’est une bonne question. Nous nous

tout d’abord. Et même si nous avons notre propre

sommes vus évolués ensemble, non seulement en

culture au Canada, nous vivons un peu comme vous.

tant que musiciens, mais aussi en tant

Cette démarche est naturelle.

qu’humains. Le fait de voyager, de vivre de notre passion est quelque chose d’un peu irréel. On

Samuel : Nous aimons aussi beaucoup le vin !

rêvait de tout cela lorsque l’on était enfant. Et

(Rires)

maintenant c’est devenu réalité. Mathieu : Plusieurs groupes ont fait cette démarche Mathieu : Le regard que l’on porte sur l’industrie

comme les Cowboys Fringants. Et c’est ce genre de

musicale a changé au fil des années. Par

succès qui nous motive.

exemple, lorsque nous avons signé notre premier

189 LFC MAGAZINE #9



LFC : De plus en plus d’artistes canadiens ont du

Mathieu : Nos textes et notre

succès en France.

direction musicale nous représentent bien. Nous sommes

Maxime : Au Québec, c’est un petit marché dans un

des gars heureux et positifs. Même

très grand pays. Nous sommes venus en France,

quand nous n’allons pas bien, il y en

car on sentait qu’il y avait un plus gros potentiel. Et

a toujours un dans le groupe pour

c’est la même chose en Suisse ou en Belgique.

nous remonter le moral. Notre

C’est un challenge pour nous.

musique c’est une sorte de thérapie.

LFC : Vous êtes à Paris pour défendre votre album.

LFC : Le fait d’être ensemble est-il

Déjà un de vos titres tourne en boucle sur une radio

une force ?

nationale. Êtes-vous heureux ? Max-Antoine : Tout à fait. Le groupe Samuel : Très heureux. Pour nous, c’est une

Automat, c’est avant tout une

manière de recommencer de zéro. Nous revivons

grande histoire d’amitié. Samuel :

toutes les étapes que nous avons vécues au début

C’est même étonnant après toutes

de notre carrière au Québec. Et le fait de voir que

ces années que l’on s’entende

cela fonctionne en France est quelque chose

toujours aussi bien.

d’extraordinaire. LFC : Il y aura bientôt de la scène au LFC : Pouvez-vous nous parler du titre S’enfuir en

programme. Comment abordez-

duo avec la chanteuse Alexe ?

vous cette aventure ?

Max-Antoine : C’est la deuxième version de la

Mathieu : Sur scène, c’est une

chanson. Alexe amène vraiment quelque chose de

complicité entre quatre garçons qui

spécial. C’est une chanson qui parle d’émotion,

sont heureux. Il y a des rires, de la

d’amour et d’évasion entre un homme et une

folie et une grosse dose d’énergie.

femme. Maxime : Nous avons hâte de jouer Samuel : C’était important pour nous d’avoir Alexe

en France et de montrer au public

sur ce titre. C’est une collaboration gagnant-

français à quoi ressemble un show

gagnant qui s’est très bien passée.

d’Automat.

LFC : Comment définiriez-vous votre musique ?

Max-Antoine : Nous venons juste de terminer notre tournée canadienne.

Maxime : Je dirais que c’est de la musique positive.

Les choses se mettent en place

Nos textes sont remplis d’espoir. Et nous avons

doucement en Europe. Nous

d’ailleurs eu la chance de faire une tournée de deux

espérons déjà que l’album aura un

mois dans des écoles. Pour les jeunes, c’est bien

bon écho ici.

d’avoir ce genre de discours.


LFC : Avez-vous une appréhension par rapport à l’album ? Samuel : Nous avons été un peu naïfs par rapport à cela. Nous étions surtout très contents de venir à Paris ! (Rires) Nous sommes sur notre petit nuage. Maxime : Nous n’avons aucune appréhension. Nous sommes très confiants. Peu importe ce qui se passe, l’aventure continue. De plus, nous avons une super équipe autour de nous. Mathieu : Nous faisons confiance à la vie. Nous proposons des chansons. Puis, nous les laissons vivre par elles-mêmes.


Seemone

Mars 2018, nous avons rendez-vous avec Seemone pour nous parler de ses débuts prometteurs de chanteuse. Après deux reprises et un morceau inédit Que reste-t-il de nous ? paru à la mi-octobre 2017, Seemone dévoile enfin le clip de son tout premier single Nightbird. Interview découverte. LFC MAGAZINE #9 193



INTERVIEW CHRISTOPHE MANGELLE QUENTIN HAESSIG

PHOTOS DR

Mes influences sont principalement américaines. Mais plus j’ai grandi et plus je me suis mise à écouter de la variété française. Aujourd’hui, je pense que c’est une force pour un artiste de ne pas se mettre de limites. J’aimerais beaucoup faire une chanson en espagnol par exemple. LFC : Pouvez-vous nous expliquer votre

rendre compte que nos différences c’est ce qui

pseudonyme ? Est-ce un hommage à Nina Simone

fait notre force. J’ai mis du temps à le

?

comprendre et à l’accepter. Mais comme j’étais très bien entourée, tout s’est bien passé.

Seemone : Au lycée, tout le monde se donnait des surnoms et mes amis m’appelaient Simone.

LFC : Avez-vous grandi dans un environnement

J’aimais beaucoup que l’on m’appelle de cette

artistique ?

façon, car je suis une grande fan de Nina Simone. J’ai simplement changé le i en ee pour ne pas que

S : Non, pas du tout. Ma mère fait de la

cela fasse trop copié/collé. Le résultat donne un

décoration d’intérieur, ce qui m’a permis d’avoir

nom mi-français, mi-anglais.

le goût des belles choses. Mais mes parents n’écoutaient pas forcément de musique. Pour

LFC : Comment êtes-vous arrivée dans la musique

ma part, j’ai toujours su que c’est ce que je

?

voulais faire.

S : J’ai toujours voulu devenir comédienne.

LFC : Il y a eu un premier titre à l’été 2017 Que

Comme j’avais une voix assez rauque, il était

reste-t-il de nous ? puis Nightbird qui est sorti en

difficile pour moi de porter ma voix sans qu’elle

fin d’année. Ce sont deux titres complètement

casse., Cela a été une période assez compliquée,

différents.

car je me sentais discriminée. On m’a conseillé de prendre des cours de chant. Ce que j’ai fait. J’ai

S : Je suis une artiste très entière et je n’avais

eu la chance de rencontrer Fabrice Mantegna qui

pas envie de me limiter à un seul type de

est devenu une sorte de mentor. Au bout de trois

musique. J’avais besoin de me découvrir et de

semaines, il m’a dit qu’il fallait que je pense

voir où étaient mes limites. J’étais très réticente

sérieusement à me tourner vers la musique plutôt

à l’idée de chanter en français. Finalement, je

que le cinéma.

me suis découvert très à l’aise dans cette langue. Avec Nightbird, j’ai pu me créer un

LFC : Vous avez fait de votre voix une force. Qu’en

univers et utiliser différentes facettes de ma

pensez-vous ?

personnalité. Comme je n’ai pas grandi dans un milieu musical, je n’ai pas d’œillères. Je suis

S : Complètement. Il faut être mature pour se

195 LFC MAGAZINE #9

ouverte à tout. Je suis très éclectique.



Une fois que l’EP sera terminé, je veux le chanter partout en France et ailleurs. Au Japon s’il le faut ! (Rires) J’ai besoin de me confronter à un public et faire passer des émotions. Je ne demande qu’une chose, c’est découvrir tout cela. LFC : Préférez-vous chanter en anglais ou en

LFC : Nous avons beaucoup aimé le clip de « Nightbird » qui

français ?

a un côté très esthétique. Votre expérience dans le théâtre vous a-t-elle été utile ?

S : C’est impossible de choisir, car j’aime les deux langues. Je suis très admirative de ce

S : Absolument. Cela donne une valeur ajoutée à la chanson.

que l’on peut faire avec la langue française. Il

J’ai été guidée par des gens formidables tout au long de ce

y a tellement d’artistes qui écrivent des textes

clip. Il fallait simplement que je sois moi-même et ce n’est

somptueux. J’adorerais chanter sur l’un d’eux.

pas toujours facile. Toute l’équipe a été extraordinaire.

La langue française est trop belle pour ne pas être chantée.

LFC : Vous parliez de Fabrice Mantegna en début d’interview, mais vous travaillez également avec un autre compositeur :

LFC : C’est une idée assez originale de chanter

Alexandre Mazarguil. Pouvez-vous nous parler de ce trio ?

dans les deux langues. S : J’ai rencontré Fabrice en premier. Avec lui, il y a tout de S : Mes influences sont principalement

suite eu une sorte de connexion artistique. Nous avions

américaines. Mais plus j’ai grandi et plus je

l’impression de nous connaître depuis longtemps. Quand il

me suis mise à écouter de la variété française.

m’a dit qu’il voulait que je rencontre Alexandre, c’était une

Aujourd’hui, je pense que c’est une force pour

évidence pour moi. Je savais que la rencontre allait bien se

un artiste de ne pas se mettre de limites.

passer et ce fut le cas. Avec le savoir-faire d’Alexandre au

J’aimerais beaucoup faire une chanson en

niveau des arrangements, la rigueur de Fabrice et ma

espagnol par exemple.

personnalité, nous formons un beau trio. C’est une chance inouïe d’avoir ces gens-là à mes côtés.

LFC : Vous avez également fait des reprises. Matthieu Chedid ou Matt Simons pour ne citer

LFC : Préparez-vous un EP ?

qu’eux. Que vous inspirent ces artistes ? S : Oui. Il n’y a pas encore de date de sortie, car nous S : J’ai choisi de reprendre la chanson de Matt

sommes très méticuleux, mais il devrait sortir avant l’été.

Simons, car j’aimais beaucoup ce titre à cette époque. J’aimais beaucoup le côté doux et

LFC : Avez-vous des envies de scène ?

électro à la fois. Pour la chanson de Matthieu Chedid, « La bonne étoile », c’est une chanson

S : Je fais de la musique pour la scène. Une fois que l’EP sera

qui me touche énormément. J’ai eu la chance

terminé, je veux le chanter partout en France et ailleurs. Au

de le rencontrer dans un bar à Paris où il a

Japon s’il le faut ! (Rires) J’ai besoin de me confronter à un

chanté cette chanson. J’en ai eu des frissons,

public et faire passer des émotions. Je ne demande qu’une

c’était bouleversant. Ce sont de grands

chose, c’est découvrir tout cela.

artistes, très inspirants.


LFC MAGAZINE #9 • MAI 2018

Le Roi Angus

L'INTERVIEW


Le Roi Angus Le grand retour du groupe Le Roi Angus se manifeste avec un nouvel album Est-ce que tu vois le tigre ? composé de chansons pleines de groove et de poésie. Entretien inédit avec Martin, membre du groupe.

LFC MAGAZINE #9 199


INTERVIEW CHRISTOPHE MANGELLE

PHOTOS FRANCESCA PALLAZI

Il y a un grand respect mutuel entre nous qui fait qu’on est à l’écoute les uns des autres parce que chacun est le plus pertinent dans son rôle, et cela crée une identité en cela que nous ne cherchons pas à imiter des modèles, mais au contraire à développer une singularité. LFC : Pouvez-vous vous présenter ? Pourquoi le

ciel, comme lorsque la pluie passe devant le soleil.

groupe s’appelle-t-il Le Roi Angus ?

L’album est le reflet du groupe, entre naïveté lumineuse des premiers jours et questionnements

Martin (Le Roi Angus) : On est de vrais-faux

plus intimes qui remontent inévitablement en

Suisses de Genève, avec un peu de France, de

surface lorsqu’on joue son propre rôle. Lorsque

Canada, d’Italie et de Colombie dans les veines.

l’album a été composé et enregistré, il y avait

Les premières répétitions du groupe ont eu lieu

beaucoup de fraîcheur et de lumière dans nos

à l’Épiphanie, et Augustin qu’on appelait Angus

esprits, on écoutait de la psyché californienne, ce

a tiré la fève. Ensuite, Angus est devenu un nom

qui se ressent dans le son. Cette pulsion

pour s’interpeller, et nous avons constaté que

lumineuse s’est mélangée à une sorte de

derrière la fève se cachait un royaume,

mélancolie du temps qui fuit et a commencé à

symbolique et inspirant.

façonner l’univers vaporeux et tout en clair-obscur du Roi Angus.

LFC : Comment vous êtes-vous rencontrés ? LFC : Avis d’auditeur, chez Le Roi Angus, il y a de M : Une rencontre un peu particulière ! Au

l’élégance, une véritable identité musicale, des

départ, je travaillais avec la mère de notre

textes matures. Qu’en pensez-vous ?

batteur Augustin et j’organisais des concerts dans mon appartement, juste au-dessus d’un

M : Merci beaucoup, ça sonne comme un

central téléphonique. Je l’ai invité à faire des

compliment ! La composition du groupe amène

concerts avec ses groupes et ceux de ses potes.

certainement une identité particulière au projet, on

Et finalement, nous avons décidé de faire un

tire parti de notre étrangeté d’origine, avec un

projet ensemble, en français, sans savoir

vieux entouré de quatre jeunes qui fusionnent leurs

exactement ce que ça allait donner.

expériences pour essayer de porter une voix singulière. Il y a un grand respect mutuel entre

LFC : Vous proposez votre deuxième album Est-

nous qui fait qu’on est à l’écoute les uns des

ce que tu vois le tigre ? Que retenez-vous de

autres parce que chacun est le plus pertinent dans

votre premier opus Îles Essentiel ?

son rôle, et cela crée une identité en cela que nous ne cherchons pas à imiter des modèles, mais au

M : Îles Essentiel a la mélancolie des arcs-en-

200 LFC MAGAZINE #9

contraire à développer une singularité.



On adore la scène, les scènes, chaque concert est différent, chaque espace, chaque public. LFC : Une tournée de trois semaines en

LFC : Quel rapport entretenez-vous avec la scène ?

Chine, pensiez-vous que votre passion de la musique vous permettrait de vous

M : On adore la scène, les scènes, chaque concert est

produire si loin ?

différent, chaque espace, chaque public. On arrive avec le cheptel de morceaux qu’on a imaginé pour l'occasion, avec

M : À vrai dire, nous pensions simplement

une histoire préconçue qu’on raconte un peu différemment

enregistrer un album ensemble quand on a

en fonction d’une multitude d’a priori et de sensations. Il y

commencé, donc au départ la Chine nous

a une part de narcissisme dans le fait de se produire sur

aurait vraiment semblé à l’Ouest ! Par

scène et une part évidente d’altruisme. Le public renvoie

contre, nous avons eu très vite des envies

des impulsions essentielles dont on se sert pour renforcer

d’ailleurs. Voyager grâce à la musique est

l’expérience commune. En fait, le terme concert est bien

une chance dont on souhaite profiter au

plus puissant que le mot show.

maximum. En Chine comme souvent ailleurs, c’est toujours très agréable et

LFC : Quelles sont vos prochaines dates de concert ? Vos

rassurant de constater que le français

projets ?

véhicule une culture (et un exotisme) que le public respecte et apprécie, de la même

M : Nous allons nous produire dans les festivals régionaux

façon qu’on est heureux en Europe de

jusqu’à la mi-juillet, particulièrement en Suisse, et il est

voir arriver des groupes américains qui

encore un peu tôt pour évoquer les projets futurs avec la

chantent en anglais et des groupes

sortie récente de notre deuxième album, nous sommes un

japonais qui ne chantent pas en chinois.

peu avares sur ce point !


LFC MAGAZINE #9 • MAI 2018

Astre

L'INTERVIEW NOUVEAU TALENT


INTERVIEW CHRISTOPHE MANGELLE

PHOTOS © MARIE-AMÉLIE JOURNEL

Astre publie son troisième EP Erase Everything. Ambiance pop, électro, moderne et cinématique. Entretien inédit avec un jeune talent à l'univers élégant et subtil. LFC : Qui êtes-vous Astre ?

je ne désire que m’enrichir et me donner les capacités techniques de créer ce que j’imagine.

A : Je m’appelle Enzo, j’ai vingt-et-un ans, je viens d’un petit village nommé Alixan à côté de Valence, et

LFC : Dans ce nouvel EP Erase Everything, vous parlez

je suis musicien sous le nom de Astre depuis cinq

d’une entrée dans le monde adulte, le témoignage d’une

ans environ. Ma musique se situe entre l’indie, la pop

jeunesse, la fin d’une ère et le début d’une nouvelle.

et l’electro, et puise principalement ses influences

Dites-nous en plus !

dans le cinéma. A : Erase Everything est un nom évocateur, cela parle en LFC : Pourquoi vous appelez-vous Astre ?

effet de souvenirs qu’on veut oublier, d’une réalité à laquelle on se confronte, et donc d’un cap à passer. En

A : J’avais quinze ans quand j’ai choisi ce

réalité, c’est un cercle vicieux dans lequel on est

pseudonyme. À l’origine une fascination pour

perpétuellement, je crois. Le fait de grandir, de se sentir

l’espace, mais aussi un désir de porter un nom

plus conscient qu’hier. J’aime à penser que j’ai donné

français, court, évocateur. Astre est venu

ce titre pour tromper mon cerveau et inscrire ce cap, qui

instinctivement.

se renouvelle constamment, dans le temps. Mais il n’est jamais réellement figé, il a déjà changé, et c’est surtout

LFC : Vous avez composé votre premier EP, Dreams

symbolique. J’en avais besoin à ce moment-là.

of Gold, à dix-sept ans. Comment est né ce premier disque ? Quel regard portez-vous sur vos premiers

LFC : Vos influences pour cet EP sont le jazz et le

pas dans la musique ?

cinéma des années 70. Une époque que vous n’avez pas connue. Pourquoi cet intérêt ?

A : Je suis en perpétuel apprentissage et pour moi Dreams of Gold a été le premier pas vers l’univers que

A : Mes inspirations sont en réalité multiples et pas

je souhaitais créer. J’ai un regard très critique sur

limitées par un cadre défini. Mais c’est vrai que cet EP

mes travaux passés. D’ailleurs, la réflexion autour du

en particulier parle d’un passé contemplé, de ses

titre de mon EP Erase Everything est en partie venue

fantasmes, d’une époque révolue. Je suis passionné par

de là. Mais j’ai aussi beaucoup de nostalgie face à

l’argentique et la pellicule, le processus qui permet aux

mes premières idées. Aujourd’hui,

images d’exister, des images plus touchantes,

204 LFC MAGAZINE #9


LFC MAGAZINE #9 • MAI 2018

Astre

DES COMPOSITIONS ORGANIQUES ÉLÉGANTES ET SUBTILES


INTERVIEW CHRISTOPHE MANGELLE

PHOTOS © MARIE-AMÉLIE JOURNEL

Je viens du monde de l’image à l’origine, par le dessin puis la création numérique. J’aime imaginer, diriger, et créer. plus vibrantes. C’est l’instinct qui prime. Et

A : Le concert était complet. Et

l’accident ou l’erreur a une place particulière

c’était la première fois que je

lorsqu’on filme de cette façon. Je crois que

jouais devant mes parents, ce qui

cette transposition en musique était cohérente

en fit une expérience formidable.

avec ce que je souhaitais transmettre dans cet

Se confronter à autant de gens,

EP.

cela fait aussi réfléchir et reconsidérer sa musique. Elle

LFC : Au-delà de la musique, vous créez vos

prend une tout autre dimension

propres visuels et artworks. L’envie de tout

lorsque des personnes réelles sont

faire ?

là pour l’écouter devant vous. On sort du carcan de sa chambre pour

A : C’est vrai, je viens du monde de l’image à

faire une proposition au monde,

l’origine, par le dessin puis la création

c’était une expérience super

numérique. J’aime imaginer, diriger, et créer. On

bénéfique.

n’est jamais mieux servi que par soi-même est un proverbe qui me plaît beaucoup. J’ai

LFC : Quelles sont vos prochaines

toujours plus ou moins naturellement assimilé

dates ? Vos projets ?

le fait que la personne la mieux à même de répondre à mes attentes serait moi-même.

A : Je compte de nouveau jouer

Cependant, et plus récemment, j’ai souhaité

dans la capitale prochainement,

collaborer avec d’autres artistes, m’ouvrir à

avec un tout nouveau live ! Je suis

d’autres univers, d’autres sensibilités qui me

aussi en pleine création de mon

touchent et me correspondent, qui m’aident à

premier album, ce qui prendra le

construire ma vision.

temps nécessaire. J’aimerais qu’il soit la consécration de mon

LFC : Quel souvenir gardez-vous des premières

apprentissage et qu’il apporte des

parties de Darius et Synapson ?

réponses à certaines questions.

206 LFC MAGAZINE #9


Spectacle MAI 2018 • LFC #9

LES

5

PIÈCES

DU

MOIS

À

VOIR


Et pendant ce temps Simone veille PAR NATHALIE GENDREAU // PRESTAPLUME PHOTOS : FABIENNE RAPPENEAU Au Théâtre de la Contrescarpe, on rit à gorge déployée

La mise en scène est originale, dynamique et

dans une salle bondée. Un public largement féminin

imaginative. On y brosse le portrait de trois épouses et

vibre en accord majeur avec les quatre comédiennes. Il

de leurs descendantes depuis 1940 à 2016. Une

y a comme une entente tacite, instinctive, une

fresque de quatre générations qui ne manque pas

communion solidaire, des expériences partagées qui

tantôt d’ébouriffer tantôt de dépoussiérer le passé

résonnent de concert entre toutes les femmes. D’où

depuis le balcon de la femme instruite et libérée du

vient cette magie ? Du thème proposé, pardi ! « Et

XXIesiècle. La première génération est composée de

pendant ce temps, Simone veille » est une comédie

Marcelle, France et Jeanne. Des conditions de vie

déjantée sur l’évolution de la condition féminine en

différentes, des aspirations différentes, mais un même

France depuis les années 50 jusqu’à nos jours. Un vaste

destin tracé par l’histoire écrite par les hommes qui

programme rétrospectif qui peut freiner l’élan tant le

assujettissaient la femme. Intervient alors Simone, la

sujet est rebattu. Mais c’est sans compter la magnifique

narratrice. Bon chic bon genre, elle adore tomber la

énergie des comédiennes, campant une bourgeoise, une

façade sans se départir d’une extravagante humeur

ouvrière et une femme de classe moyenne. Elles outrent

contagieuse et d’une ironie toujours saillante. Elle

le trait, provoquant des situations drolatiques voisinant

pointe les éléments de contexte, les textes de loi, les

avec le burlesque, volontairement, qui laissent

ratés à l’allumage des politiques, contient les

cependant percer un certain dépit vis-à-vis des mœurs

débordements des trois copines qui se disputent, et

qui n’avancent pas aussi vite que les idées et les

s’emberlificote joyeusement la langue pour sortir des

bonnes volontés.

contrepèteries délicieusement salaces.

LFC MAGAZINE #9 208


Quatre tableaux, quatre générations. Des femmes malmenées par les aléas de la vie qui se retrouvent entre copines et parlent de ce qu’elles vivent avec la liberté de ton propre aux confidences. Certaines se résignent ou se débattent, d’autres luttent encore. Mais, finalement, toujours mal dans leur peau malgré les droits durement acquis de génération en génération (se dispenser de l’accord du mari pour travailler et avoir un compte en banque, avorter et choisir une contraception sans être hors la loi, divorcer par consentement mutuel, etc.). En cause : l’homme, celui par qui les malheurs arrivent. Le salaud qui trompe sa femme, qui viole, qui fait un bébé et se défile, qui bat, qui injurie… Le patron qui n’admet pas qu’à travail égal, salaire égal. Combien sont ces femmes enchaînées à leur carrière qui choisissent, l’horloge interne s’emballant, l’insémination artificielle pour faire un bébé toutes seules… en Espagne ! Les thèmes de société d’aujourd’hui sont traités avec la même verve satirique, comme le port du voile et le diktat de la mode.

Chapeau bas pour les quatre comédiennes de la troupe du Pompon (Hélène Serres, Vanina Sicurani, Nathalie Portal et Marie Montoya) qui incarnent avec détermination et passion leurs différents rôles, s’amusant avec le public, dansant des pantomimes hilarantes, chantant au fil des époques des parodies de chansons très connues. Très jolis moments ces voix harmonieuses et ces textes léchés. Bref, de l’engagement incontestable pour le jeu et le sujet. Un sujet guère anodin traité avec force de conviction par l’autodérision et des réparties bien senties. Mais peut-on rire librement, avec éclats et légèreté, sur un sujet traité gravement par le divertissement et avec autant d’investissement personnel ? Il semble que oui ! Pour ma part, le rire s’émancipait par intermittence, peut-être en raison de cet entre-deux indécis entre la gravité et l’humour. « Une femme violée toutes les sept minutes en France… et ce n’est pas la même !». Si la plaisanterie est amusante, la sentence glace le sang. Ce voyage rétrospectif mené avec entrain et un humour virevoltant est en prolongation jusqu’au jusqu'au 2 septembre 2018. Et, il est à parier avec la même énergie libératrice et jubilatoire ! Un très bel hommage à Simone Veil.

Distribution Auteurs : Corinne Berron, Bonbon, Hélène Serres, Vanina Sicurani, Trinidad Artistes : Hélène Serres, Vanina Sicurani, Nathalie Portal et Marie

A

Montoya Co-Production : Le Pompon et Gosset Au théâtre de la Contrescarpe, 5 rue Blainville, Paris Ve. Du jeudi au samedi à 20h et samedis à 17h jusqu'au 30 juin 2018. Du mardi au jeudi, du 3 au 26 juillet 2018 Séances à 16h (au lieu de 17h) Les samedis 26 mai et 23 juin sont suivis d'un débat avec Femmes Solidaires Durée : 1h20 LFC MAGAZINE #9 209


MAI 2018 • LFC #9

Le monte-plats LES 5 PIÈCES DU MOIS À VOIR


Le monte-plats

PAR NATHALIE GENDREAU // PRESTAPLUME ©Pierre-Louis Laugérias ©Mayliss Ghorra Œuvre de jeunesse d’Harold Pinter (1957), Le monte-plats

Ben et Gus rongent leur frein dans le sous-sol d’un

convoque l’ennui extrême et dérangeant, dans un huis-clos

restaurant désaffecté. Sans fenêtre ni distraction. Juste

générateur de tensions et d’angoisses. Dramaturge de

une cuisine avec une bouilloire, mais sans allumette ni gaz.

l’absurde, l’auteur poursuit ici la volonté de renvoyer en

Deux tabourets, deux lits de camp. Du spartiate frisant du

boomerang les questions métaphysiques que pose l’un

carcéral ! Ils attendent leur contrat. Ben est le meneur,

des deux personnages : doit-on obéir aveuglément face à

tantôt en gros bras en Marcel laissant apparaître un flingue

l’autorité ? Gus est loin d’être le plus intelligent ou le plus

tantôt en chemise hawaïenne aux fleurs luxuriantes. Il

courageux, et pourtant c’est à travers lui que la

mâchouille un cure-dent en lisant les faits divers. Gus est

conscience se manifeste. Mais s’interroger ainsi lorsqu’on

un grand échalas qui ne sait pas quoi faire de sa peau. Il

est tueur à gages peut faire mal au matricule ! Cocasse,

s’ennuie d’autant plus qu’il ne peut pas se préparer un thé :

pourrait-on dire ? Audacieux plutôt de la part de l’auteur !

or, il ne tue jamais sans un bon thé réconfortant. Cette

Une audace qui estompe la fadeur d’un texte en apparence

impossibilité l’obsède et exacerbe son ennui. À l’affût de

anodin, truffé d’onomatopées, de mots grossiers et

cette vacance inespérée, sa conscience déferle, l’emporte

d’éloquents silences, où transpirent la colère contenue et

dans un torrent de mots, faisant déborder la patience de

la pression brutale des forces qui s’opposent. Tout est

Gus, à la tolérance relativement limitée. Un bon tueur doit

dans le non-dit ou le suggéré, renforcé par l’astuce

laisser les questions aux autres, à ceux qui réfléchissent,

scénique d’Étienne Launay qui en joue avec originalité.

ordonnent et payent. Ce jour-là, le monte-plats est le seul

Quant aux quatre comédiens, ils sont armés d’une belle

moyen de communiquer avec leur mystérieux

gueule de truand, à faire changer de trottoir tout innocent.

commanditaire qui, au lieu de leur indiquer la personne à

Leurs munitions ? Un jeu intense, des regards glaçants et

abattre, leur passe une commande. Le monte-plats va se

des silences écrasants.

révéler un piège aussi ingénieux qu’oppressant pour détecter le maillon faible !

LFC MAGAZINE #9 211


La scène au Lucernaire est définitivement séparée en deux, qu’on vous le dise ! Et au milieu, s’érige une frontière en miroir. Les quatre comédiens (Benjamin kühn, Simon Larvaron, Bob Levasseur et Mathias Minne) jouent simultanément les deux rôles, celui de Gus et celui de Ben. Les personnages dédoublés entrent côté cour et sortent côté jardin dans un ballet infatigable, se passant le relais dans un rythme effréné, que permet une évidente et nécessaire complicité. L’immense travail des comédiens se sent, se palpe et s’entend comme ce silence à couper au couteau. Si l’astuce scénique de la duplication, de prime abord, peut déconcerter, elle n’est certes pas gratuite. Elle multiplie par deux l’ennui, condensant la touffeur de l’atmosphère, tout en le sublimant par la nervosité qui s’en dégage, fouettant un texte banal jusqu’au dénouement. Les comédiens les habillent de cet ennuià la fois lourd et hyperactif, qu’ilsportent à fleur de peau.Quant à leurs dégaines, différentes dans la menace, l’une tirant sur les années 70 et l’autre sur les années 80, elles donnent le sentiment qu’une même action se prolonge, se répète ou s’éternise, comme pour exhorter l’immuabilité du débat entre le rapport avec l’autorité et le libre arbitre. Avec : Benjamin kühn, Simon Larvaron, Bob Levasseur, Mathias Minne Créateurs Auteur : Harold Pinter Traduction: Mitch Hooper, Anatole de Bodinat et Alexis Victor Mise en scène : Étienne Launay Assistant de Metteur en scène : Pierre-Louis Laugérias Production : Coq Héron Productions et la Compagnie La Boîte aux lettres Du mardi au samedi à 18h30 et le dimanche à 15h, jusqu'au 20 mai 2018. Au Lucernaire, 53, rue Notre-Dame-des-Champs, Paris 75006. Durée : 1h05. LFC MAGAZINE #9 212

A


MAI 2018 • LFC #9

Adieu Monsieur Haffmann

LES 5 PIÈCES DU MOIS À VOIR


Adieu Monsieur Haffmann

PAR NATHALIE GENDREAU // PRESTAPLUME PHOTOS : ©Evelyne Desaux Dans une atmosphère bleu nuit dépouillée d’artifice, le

réussite de cette création bouleversante, qui est très bien

drame se devine sur la scène du Petit Montparnasse.

servie par les cinq comédiens impliqués, complices et

Adieu Monsieur Haffmann nous projette à l’époque sombre

terriblement présents. Une pièce qui pourrait se voir

de l’Occupation allemande et de la collaboration, des

consacrée, le 28 mai prochain, lors de la remise des

propos antisémites diffusés à la radio TSF et des

Molières 2018, où elle est en lice dans six catégories, dont

privations. L’étoile jaune qui ponctue le « i » de « Adieu »

le « Meilleur spectacle du théâtre privé ».

sur l’affiche éclaire les escaliers qui mènent à la cave de la demeure de Monsieur Haffmann. L’histoire commence au

Paris, 1942. L’étoile jaune et la spoliation frappent les

lendemain de la rafle du Vél’ d’Hiv’. Joseph Haffmann ne

citoyens de confession juive. L’étau de la machine nazie se

peut plus fuir afin de rejoindre sa femme et ses quatre

resserre avec le zèle du gouvernement de Vichy. Joseph

enfants réfugiés en Suisse. Aussi il propose à Pierre

Haffmann ne peut plus gérer sa boutique, il ne peut plus

Vigneau, son talentueux tailleur de pierre, de lui confier la

fuir, il est pris au piège… comme un rat. Il est contraint de

gestion de sa bijouterie s’il accepte de le cacher. Si la

demander à son employé de le cacher jusqu’à ce que la

gravité du sujet promet de l’émotion et de la tension, la

situation s’améliore. Pierre connaît le risque d’héberger

pièce de Jean-Philippe Daguerre surprend par cette brise

clandestinement un Juif. Le prendra-t-il ? Et comment

comique qui décuple la force des sentiments ressentis.

convaincre Isabelle, sa femme ? Une idée fait son chemin,

Son écriture vibrionne de décalages qui conduisent la

une idée folle, immorale et délicate à mettre en œuvre. Et

pesante gravité à valser avec un humour souvent satirique.

si, en retour, il exigeait de son ex-patron qu’il couche

Cette union inattendue est le socle de la

avec sa femme jusqu’à ce qu’elle tombe enceinte.

LFC MAGAZINE #9 214


Ainsi, « face au destin, nous serons quittes ! » conclut

Avec Adieu Monsieur Haffmann, le spectateur

l’homme stérile. Au fil des semaines, Pierre Vigneau se

sonde le cœur des hommes et des femmes

plonge dans le travail et fait fructifier les affaires de la

chahutés par la grande histoire, mais aussi par la

bijouterie grâce à la clientèle nazie, comme l’ambassadeur

leur, cette vie du quotidien qui louvoie entre le

d’Allemagne Otto Abetz. L’appât du gain aurait-il étouffé

chaos collectif et les besoins individuels.

toute prudence ?

L’auteur Jean-Philippe Daguerre réussit à nous

L’argument de la pièce peut paraître un tantinet facétieux

faire entrer dans son histoire d’une grande

face à l’horreur historique qui se rejoue. Là réside toute la

humanité qui entremêle les sentiments (amour,

force d’écriture de Jean-Philippe Daguerre qui installe une

courage, lâcheté, peur). Sa mise en scène est

situation qui appelle le comique sur le lit du drame

d’une sobriété exemplaire et astucieuse, la cave

historique. Écrit d’un jet en sept jours, le scénario est une

et la cuisine occupant les deux parties de la

fulgurance d’intelligence, de rythme et d’intensité. Ce «

scène. Elle est mise en valeur par des effets de

chantage » au bébé vient dédramatiser la position

lumière signifiants qui soulignent l’intensité des

humiliante d’un homme devant se terrer pour échapper à la

échanges et l’introspection des personnages.

mort. Mais cet accord n’est-il pas une autre forme

Dans le jeu des cinq comédiens, c’est encore

d’emprisonnement qui le réduit à un objet reproducteur ?

l’économie qui frappe. L’économie des gestes et

Certes, donner la vie en temps de guerre est un message

des mots. Pas d’effets de manche ni de

optimiste. Le demander à un homme issu d’un peuple

démonstrations larmoyantes. Tout est retenu,

proscrit renverse magistralement la vapeur de ces trains de

comprimé en soi, prêt à imploser. Les regards

la mort. Cette situation n’est confortable pour personne.

habillent les mots de lumière et créent de vives

Par obligation, Joseph s’y astreint. Par besoin, la femme y

émotions. Ce soir-là, Alexandre Bonstein (Joseph

consent. Par amour, le mari met son orgueil et sa virilité

Haffmann), Charles Lelaure (Pierre Vigneau),

dans sa poche, et pour taire la jalousie qui enfle, il va

Julie Cavanna (Isabelle Vigneau), Franck

apprendre les claquettes et travailler comme un fou, sans

Desmedt (Otto Abetz) et Charlotte Matzneff (son

discernement éthique. En filigrane de cette pièce s’invite

épouse) ont endossé leur rôle à la perfection,

ainsi le thème de la collaboration, et la facilité avec laquelle

dans une belle osmose, donnant vie à leur

les bonnes excuses viennent museler la mauvaise

personnage au point de nous faire croire à la

conscience, mais aussi défaire les liens pour s’en libérer.

suprématie du cœur sur la déraison collective.

Avec : Grégori Baquet ou Charles Lelaure, Alexandre Bonstein, Julie Cavanna, Franck Desmedt ou Jean-Philippe Daguerre, Charlotte Matzneff ou Salomé Villiers. Auteur : Jean-Philippe Daguerre

A

Mise en scène : Jean-Philippe Daguerre Assistant à la mise en scène : Hervé Haine Collaboration artistique : Laurence Pollet-Villard Lumières : Aurélien Amsellem Musique : Hervé Haine Décors : Caroline Mexme Costumes : Virginie H Du mardi au samedi à 21 h et le dimanche à 15 h, jusqu’au 3 juin 2018, excepté le 1er mai et le 25 mai. Au Théâtre du Petit Montparnasse, 31 rue de la gaîté, Paris 7501. Durée : 1h30.

LFC MAGAZINE #9 215


MAI 2018 • LFC #9

Horowitz, le pianiste du siècle LES

5

PIÈCES

DU

MOIS

À

VOIR


PAR NATHALIE GENDREAU // PRESTAPLUME PHOTOS : NATHALIE GENDREAU

Impensable, ambitieux, fou, périlleux. Sur le papier, tous

La Salle Gaveau bruisse de murmures et d’impatience.

ces qualificatifs sur le spectacle Horowitz, le pianiste du

Bientôt, le rideau va se lever sur Claire-Marie Le Guay et

siècle battent la démesure. Sur scène, ce 3 février 2018

Francis Huster qui vont raviver l’âme de Vladimir

à la Salle Gaveau, à Paris, ils s’inclinent devant la

Horowitz, un artiste admiré de son vivant et de nos jours,

simplicité des talents réunis et la pureté des

autant par le public que par ses pairs. Au cours de ses

interprétations, au premier rang duquel Vladimir

récitals, il aura fait moisson de surnoms qui font échos à

Horowitz. Le virtuose à la vie tourmentée, l’explorateur

sa puissance de jeu et ses prouesses techniques : Roi

de l’ombre et de la lumière. L’aventurier ardent défenseur

des rois parmi les pianistes, L’ouragan des steppes ou

de sa différence. Un homme qui a traversé le XXe siècle

encore Le dernier romantique. Le souffle semble comme

avec la musique comme seul guide. Pour restituer le jeu

suspendu à l’idée d’assister à l’apparition d’un monstre

de ce pianiste disparu en 1989, Claire-Marie Le Guay

sacré réincarné dans la modernité de l’instant. Le

incarne ce même cœur qui bat le tempo avec fougue et

rassembler autour des mots qui relayent une existence

dextérité. Pour soutenir cette âme forte, Francis Huster

hors du commun, des musiques que le pianiste aimait

offre son timbre sans nul autre pareil, qui fait remonter

jouer et de l’album photo de ses souvenirs cristallise

des profondeurs de l’oubli une histoire passionnante et

l’ardent désir de Francis Huster d’expliquer l’homme en

singulière. Après avoir accordé le pianiste à sa musique

miroir de sa carrière retentissante entrecoupée de tristes

et à son parcours, le metteur en scène Steve Suissa lui

pauses. Il restait à associer un cœur animé de justice et

insuffle la vie grâce à un mur d’images et de séquences

dix doigts fuselés exaltés de beauté pour restituer la

filmées. Des souvenirs d’un monde sépia, des

grandeur d’un musicien à l’aune d’une personnalité

instantanés de drames et des éclats de notes. La trinité

complexe et fascinante.

indivise d’un destin glorieux. LFC MAGAZINE #9 217


Soudain, le silence et des flots de lumière se concentrent sur un piano

Le tourbillon de la musique

Steinway & Sons et un confident, siège en forme de S. Puis les mots, les

s’impose-t-il à Vladimir Horowitz

notes et les images conjugués font irruption, donnant l’illusion de l’entrée

pour conjurer le malheur,

en scène du virtuose. D’un côté Claire-Marie Le Guay prête ses mains

transcender la douleur ou

légères et fougueuses aux airs préférés du Roi des rois parmi les

l’entourer de douceur ? En

pianistes. De l’autre, l’hôte de l’âme d’Horowitz, Francis Huster porte

signant un texte d’une

l’élégance jusqu’à l’économie de gestes, jusqu’au velours de la voix,

musicalité et d’une délicatesse

jusqu’aux emportements du cœur. En fond de scène, deux écrans en

inouïe, Francis Huster propose

quinconce donnent corps à l’homme né en 1903 en Ukraine qui aura

un livret à la mesure des

approché de nombreuses fois la mort, traversant des régimes

partitions interprétées pour

autoritaires et la révolution bolchevique, fuyant les conflits mondiaux et

réunifier sans fioritures l’homme

combattant la dépression chronique avec le même courage. Sont aussi

et le virtuose. Alternant fermeté

évoqués ses parents aimants, son envie d’apprendre le piano à cinq ans,

et légèreté, intensité et fragilité,

son entrée au conservatoire de Kiev, sa passion pour la musique, ses

truculence et simplicité, les

premiers récitals à Berlin et Hambourg, Paris et les États-Unis, ses

mots résonnent par leur

rencontres décisives (son professeur Alexandre Scriabin ou le chef

évidence et les idées par leur

d’orchestre italien Arturo Toscanini), les disparitions tragiques de ses

justesse. Ils bouleversent et

parents, de ses sœurs et frères et surtout de sa fille Sonia à 40 ans. Pour

marquent les esprits. L’écriture

rapporter cette existence blessée, les grands airs des compositeurs

factuelle embellie de poésie et

comme Mozart, Liszt, Chopin, Schumann, Rachmaninov, Bizet, Ravel…

d’humour parle à tous les

accompagnent tous ses moments de vie, aussi bien dans la peine que

cœurs, qu’ils aient été bercés ou

dans la joie.

non par le Concerto n° 1 de Tchaïkovski. En apportant ce souffle épique artistique au parcours incroyable d’un homme seul sans papiers sans argent parvenu au faîte de la reconnaissance, les deux artistes et le metteur en scène réussissent leur pari d’un spectacle exceptionnel vibrant au diapason d’Horowitz, lequel n’aimait que l’inaccessible. De là à croire que l’inaccessible Avec Francis Huster et

pousse à l’atteindre !

Claire-Marie Le Guay au piano. Créateurs Auteur : Francis Huster Mise en scène : Steve Suissa Production : Jean-Marc Dumontet Productions En tournée en 2019 pour une soixantaine de dates. Durée : 1h30. LFC MAGAZINE #9 218

A


MAI 2018 • LFC #9

En attendant Bojangles LES

5

PIÈCES

DU

MOIS

À

VOIR


En attendant Bojangles

PAR NATHALIE GENDREAU // PRESTAPLUME Crédits photos : ©Evelyne Desaux Pour ceux qui ont dévoré le livre, la fidélité est

D’aucuns pourraient dire que la folie assiège la raison de

l’impression qui prédomine en découvrant la pièce de

ce couple qui n’a qu’une règle : respirer l’air de

théâtre, au théâtre de la Pépinière. La fidélité au texte

l’extravagance, de la joie sans limites et de la fête

brillant, la fidélité aux émotions suscitées, la fidélité à

ininterrompue. Faire comme s’ils vivaient le dernier jour. Et

l’intensité des personnages. En attendant Bojangles

comme l’ordinaire ne fait pas partie de leur quotidien,

vous invite à entrer dans la danse entraînante de

mission est donnée au fils d’imaginer ses journées d’école

l’auteur Olivier Bourdeaut, adaptée et mise en scène

et de les raconter avec une seule contrainte : mentir beau !

avec talent et respect par Victoire Berger-Perrin. Il faut

Le mari aime sa femme et celles qui s’éveillent en elle tant

être mû par une grande humilité pour ne pas essayer

et si bien que naît avec l’aube un nouveau prénom. Elle,

d’imposer son tempo, mais au contraire de mettre en

elle en rit de bonheur et danse le cœur si plein d’amour

musique des mots qui contiennent l’essence de la vie !

que la contrariété s’effarouche et n’ose entrer dans ce

Quant aux trois acteurs, ils donnent aux personnages

foyer chauffé au feu de la tendresse. Mais, un funeste jour,

une consistance bouleversante et une force

c’est le choc fiscal. Les impôts vont tout leur prendre,

remarquable. Le père (Didier Brice), la mère (Anne

jusqu’à menacer l’équilibre de cette magie qui les unit. À

Charrier) et l’enfant (Victor Boulenger) évoluent sous

force de lui avoir « botté le cul », le peu de raison qui

l’air de Nina Simone et tourbillonnent avec élégance

restait déclare alors forfait. Heureusement, ils ont cette

sous le souffle dramatique. Le panache est tel que l’on

richesse inaliénable qu’est l’amour absolu, irradiant,

s’identifie aux personnages divinement fous et

joyeux. Mais cela suffira-t-il pour vivre heureux jusqu’à la

follement divins !

fin des temps ? LFC MAGAZINE #9 220


En attendant Bojangles était déjà un bijou de

Anne Charrier est une épouse langoureuse et sublime, et

littérature. Avec l’intelligence de cœur de la

une mère tendre et espiègle. Elle dose avec grâce et

scénariste et metteuse en scène, c’est aujourd’hui

conscience les excès d’émotions de son personnage.

un joyau théâtral. Victoire Berger-Perrin lui

L’extravagance est juste, la déraison si logique et l’amour

insuffle la vie sur les planches avec une grande

si vivant qu’elle nous fait facilement entrer dans sa

force et délicatesse. Les impressions du livre

danse. L’air de Nina Simone favorisant l’envoûtement, la

s’estompent, la comparaison s’efface – ne venant

comédienne captive et rayonne, elle est un soleil qui

qu’a posteriori – pour offrir le tableau original

dispense lumière et chaleur. Didier Brice est un mari

d’une histoire connue. Original par le traitement

attendrissant qui sacrifie sans crainte la normalité à

qu’elle en fait, où la légèreté et la gravité sont des

l’autel de la passion. Mené par ce désir rare d’absolu, le

sœurs jumelles qui ne souffrent pas de se quitter.

comédien joue en finesse et en intensité. L’amour l’inspire

Chacune se rejoignant dans l’extrême. Les deux

et le transfigure. Il devient l’amour, la beauté l’habille de

hommes narrateurs évoquent par alternance vive

pied en cap. Entre ces deux comédiens au jeu

et rythmée la naissance de ce couple, la vie de

éblouissant, Victor Boulenger campe un enfant

cette femme hors-norme et si attachante, au point

raisonnable pour trois, qui considère ses parents avec

d’oublier sa propre raison. Est évoqué un amour

l’amour inconditionnel d’un enfant et l’amour bienveillant

qui grandit en caracolant sur la crête des

d’un adulte. Cette impression qui ressort aussi du livre est

émotions, où le moindre faux pas pourrait lui être

accentuée par le choix d’un comédien adulte. On y adhère

fatal.

d’autant plus qu’il fait croire au drame qui se noue, et à la fatalité qui va lui ravir ses parents et les jours heureux. Le courage de l’enfant serre le cœur, et le talent du comédien éblouit. À la fin, on se surprend à ne pas vouloir dissocier les comédiens de leur personnage. Ils ne font qu’un,

Du mardi au samedi à 19 heures,

inséparables dans le sacre de la sincérité. Les larmes

jusqu’au 5 mai 2018.

sont les applaudissements du cœur et appellent à un

Au théâtre de la Pépinière, 7 rue

sacre plus grand, celui des Molières. Pourquoi pas le

Louis le Grand, Paris 75002.

“Molière de la comédienne dans un spectacle de théâtre

Durée : 1h20.

privé” pour Anne Charrier ? On le lui souhaite ! Distribution Avec : Anne Charrier,

A

Didier Brice et Victor Boulenger. Auteur : Olivier Bourdeaut Adaptation et mise en scène : Victoire Berger-Perrin Assistante de mise en scène : Philippine Bataille Chorégraphie : Cécile Bon Collaboration artistique : Grégori Baquet Lumières : Stéphane Baquet Musique : Pierre-Antoine Durand Décor : Caroline Mexme Costumes : Virginie H LFC MAGAZINE #9 221


LA SÉLECTION SÉRIE/DOC DE LFC MAGAZINE

PAR QUENTIN HAESSIG

VOTRE PLATEAU TV

NETFLIX

NETFLIX

TRUMP,UNRÊVEAMÉRICAIN C

FARY IS THE NEW BLACK

omment Donald Trump est parvenu à devenir l’homme le plus puissant du monde ? Ce documentaire en quatre

parties retrace le parcours du milliardaire américain devenu

U

président. Tout commence en 1971 lorsqu’il reprend

ne scène à 360°. Un style

l’entreprise familiale, de l’immobilier au casino en passant par

inimitable. Fary enchaîne sujets légers et

la bourse et la télé-réalité, l’homme d’affaire new-yorkais se

thèmes sensibles avec une élégante

bâti un empire colossal et parvient au poste suprême,

arrogance. Le stand-up à l'américaine a trouvé son Français.

président des États-Unis. Oui, aux États-Unis, tout est possible. Trump, un rêve américain tous les épisodes disponibles sur Netflix.

À seulement vingt-six ans, Fary s’est imposé comme l’un des leaders du stand up en France. Découvert dans le Jamel Comedy Club en 2014, l’humoriste originaire du Cap-Vert ne cesse de grimper depuis quelques années. Ses passages remarqués dans l’émission « On n’est pas couché » de Laurent Ruquier lui ont permis également d’accroître sa popularité. Quelques jours après l’arrivée du spectacle

Madame de Maintenon, le roi Louis se

de Gad Elmaleh, nous sommes heureux de voir débarquer un nouveau frenchy sur la plateforme. Petit bonus, si vous aimez Fary et La Casa de Papel, rendez-vous sur la chaîne YouTube de Netflix France pour une vidéo… un peu spéciale !

retrouvera menacé par un mystérieux

CANAL +

VERSAILLES D

prisonnier… Après un an d’absence, la série Française est de retour pour une troisième saison. « La fin d’un règne… Le début d’une légende », un titre qui

ans cette nouvelle saison, le roi Louis XIV, annonce la couleur pour ce qui s’annonce être Fary is the new black, le spectacle disponible sur Netflix.

convaincu que plus rien ni personne ne pourra

la dernière saison de la série créé en 2015 par

contrecarrer ses ambitions depuis qu'il a vaincu Simon Mirren et David Wolstencroft. la Hollande, envisagera d'étendre son royaume et son pouvoir dans tout le continent.

Dix épisodes constitueront cette dernière saison avec au casting George Blagden, Alexander

C'est sans compter sur la colère du peuple

Vlahos, Tygh Runyan, Stuart Bowman, Anna

français, las de payer les impôts exorbitants de

Brewster, Maddison Jaizani, Jessica Clark… Petit

leur Roi Soleil. Désormais épaulé par une

bonus, pour gagner deux invitations pour le

nouvelle favorite, répondant au nom de

Grand Bal Masqué de Versailles, rendez-vous sur

la page Facebook de la série. Versailles, la saison 3 disponible le 23 avril 2018 sur Canal+. LFC MAGAZINE | #9 | 222


LA SÉLECTION SÉRIE/DOC DE LFC MAGAZINE

DU MOIS DE MAI 2018 THE CW/NETFLIX

THE 100 C

ela fait 6 ans que la vague mortelle a détruit tout sur son passage, laissant derrière elle une Clarke, seule, essayant tout pour survivre, tandis que ses amis sont éparpillés dans le bunker et dans l’espace. Mais une nouvelle menace fait

HULU

son apparition: un vaisseau d'anciens prisonniers cryogénisés débarque sur

NETFLIX

Terre afin de reconquérir le seul endroit viable de la Terre: Shadow Valley. Un trailer inédit de presque quatre minutes, un générique revisité en guise

CHEF'S TABLE P

THE HANDMAID'S TALE

A

près l’énorme succès de la première saison, l’oeuvre de Margaret Atwood, très

de cadeau pour les fans… Tous les

our tous les amoureux de la nourriture,

impliquée dans cette suite, est de retour

ingrédients sont parfaits pour nous faire

la quatrième saison de Chef’s Table -

pour une deuxième saison qui sera diffusée

patienter avant la cinquième saison du

Spéciale Pâtisserie est disponible en

sur HULU et OCS Max dès le 26 avril 2018.

show de Jason Rothenberg.

intégralité sur Netflix. Cette saison explorera les différents

Clarke, Bellamy, Echo et Octavia seront de

Dans cette saison se succèderont Christina

évènements qui ont conduit à l’avènement

retour le 24 avril pour une saison qui

Tosi (« Milk Bar » à New York), Will Goldfarb («

du régime totalitaire. Au casting, Elisabeth

s’annonce explosive.

Room 4 Dessert » à Bali), Corrado Assenza («

Moss, récompensée par un deuxième

Caffé Sicilia Noto » en Sicile) et Jordi Roca («

Golden Globe (le premier pour la série Top

El Celler de Can Roca » en Espagne).

of the Lake en 2014) sera toujours de la

The 100 disponible le 24 avril 2018 sur The CW puis sur Netflix.

partie. Cette deuxième saison sera Après trois saisons uniquement dédiées à la

constituée de treize épisodes que l’on

nourriture salées, nous aurons cette fois-ci le

attend avec énormément d’impatience !

plaisir de découvrir du lait au goût de céréales, de la gelato et du chocolat… Miam ! Petit bonus, la série a consacré également une saison entière à quatre chefs français. Disponible également sur Netflix. Bon appétit !

Chef’s table, l’intégralité des saisons disponibles sur Netflix.

LFC MAGAZINE | #9 | 223

The Handmaid’s tale, la saison 2 disponible sur HULU et OCS Max dès le 26 avril 2018.


LFC LE MAG :

RENDEZ-VOUS ENTRE LE 2 JUIN ET LE 10 JUIN 2018 POUR LFC #10 Cela semble impossible jusqu'Ã ce qu'on le fasse. NELSON MANDELA


DANS LE PROCHAIN NUMÉRO

À NE PAS MANQUER

PHOTO : MATHIEU GENON // LEEXTRA

MAXIME CHATTAM / JEAN-CHRISTOPHE GRANGÉ / LEJ VIRGINIE GRIMALDI / JOSÉ RODRIGUEZ DOS SANTOS / LOUIS DELORT / ET DES SURPRISES...

JUIN 2018 | #10 | BIENTÔT



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