Connexions 42

Page 94

Culture

« Un secteur en ébullition mais encore immature »

© Anne Severine Douard

Jean Chalopin est une légende du dessin animé, depuis plus de vingt ans, il a produit des séries en Europe, au Japon et aux Etats-Unis. Installé en Chine depuis deux ans, il porte un regard d’expert sur le marché du dessin animé. Connexions : Vous avez ouvert vos bureaux à Pékin depuis deux ans mais en Chine, le dessin animé ne représente qu’une partie très marginale de votre activité, pourquoi ? Jean Chalopin : Tout simplement parce qu’il n’y a pas de vrai marché pour le dessin animé en Chine. Les télévisions chinoises achètent très peu de séries d’animation et à des prix très bas. Nous avons quelques projets de séries pour la Chine en trois D, mais nous savons déjà que nous ne pourrons pas couvrir les frais de développement. Il n’y a pas de demande et l’offre est inadaptée, de médiocre qualité. Les méthodes de travail des entreprises chinoises ne sont pas en adéquation avec les standards internationaux, il n’y a pas d’approche marketing. La Chine produit des millions de minutes chaque année, mais elles n’ont aucune valeur sur le marché international. C. : Il existe pourtant des studios chinois, que produisent-ils ? J.C. : Oui, il existe des studios qui travaillent pour le marché intérieur et qui subsistent surtout grâce aux subventions ou à des investissements sporadiques. Un magnat de l’immobilier peut, par exemple, décider de financer le dessin animé, soit pour se conformer à une directive du gouvernement, soit pour assouvir une passion personnelle. Mais cela ne correspond pas à une vision ou à une stratégie sur le long terme. Ces investissements sont donc sans lendemain. A Shenzhen, par exemple, sous l’impulsion du gouvernement local, plusieurs dizaines d’entreprises se sont créées pour profiter des mesures incitatives : les bâtiments étaient fournis gratuitement, sans facture d’électricité, etc… mais aujourd’hui, c’est déjà fini ! Seules deux ou trois entreprises ont survécu. Il ne suffit pas de monter des 94  Connexions

studios, encore faut-il du travail et donc un marché pour les faire tourner. Pour l’instant, l’animation est donc un secteur en ébullition qui brasse de l’argent mais qui ne produit pas de résultats solides. C. : Quelle est l’ampleur de la sous-traitance effectuée en Chine, est-ce important ? J.C. : La Chine, avec Taiwan, l’Inde et les Philippines, fait partie des lieux de fabrication des dessins animés dans le monde. Il existe des studios qui sous-traitent les dessins animés qui seront diffusés en Europe ou aux Etats-Unis. La plupart de ces entreprises sont détenues par des Taiwanais, elles sont souvent installées dans les villes de Suzhou ou Hangzhou pour profiter des subventions publiques. Mais ces studios ne travaillent pas pour le marché chinois, d’ailleurs, pour un étranger, c’est très difficile de vendre des séries en Chine, l’ouverture du marché est encore limitée. C. : Le marché chinois du dessin animé n’est donc pas mûr selon vous. Mais c’était un peu la même situation en France au début des années 80 quand vous avez commencé à produire des séries pour la télévision, quelle est la différence ? J.C. : C’est vrai, à l’époque, en France, il n’y avait pas de marché et nous l’avons crée en demandant aux télévisions de libérer des créneaux pour le dessin animé. Quand j’ai fait Bof avec Hélène Fatou en 1972-73, c’était un des tous premiers programmes pour enfants, mis à part « le manège enchanté ». En Chine, il y a des programmes pour enfants mais il n’y a pas de marché pour soutenir ces programmes, donc ils ne génèrent pas de revenus à la télévision. Le seul marché qui s’est bien développé en Chine, c’est celui de la sous-traitance pour les productions


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.