Carnet d'Art n°00 - Les origines de la raison d'être

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questions, on considère les aspects scéniques, pas seulement le sens. Être acteur, c’est un métier sportif ? Si c’est avoir une hygiène de vie, non ! On peut, sans doute, mettre son corps et son esprit au service d’une performance, comme dans la danse, mais je ne suis pas dans cette attente ; je pense qu’il faut mettre son corps et son esprit au service de l’imaginaire. Quel est votre rapport à la critique et aux commentaires (de la presse, par exemple) ? Très mauvais : on n’a que peu affaire à une vraie critique, c’est, trop souvent de la paraphrase ; dans ce cas ça ne m’intéresse pas, je ne la lis pas. Ce que j’attendrais d’un critique de théâtre, c’est d’abord qu’il sache ce qu’est le théâtre, qu’il soit intelligent,

qu’il montre les liens et qu’il puisse dire ce que lui a vu et entendu, pourquoi, comment… Un mot revient quand on vous écoute et qu’on lit votre biographie, c’est « révolté » ? C’est vrai, même si ça fait un peu adolescent. Mais comment ne pas l’être de nos jours ? C’est d’ailleurs ce qui m’intéresse dans La vie de Jésus. Tout me révolte : la bêtise ou la « bienpensance » des journalistes qui parlent à la place de ceux qu’ils interrogent : ils sont, comme disait Philippe Muray*, « ces hommes qui meurent en bermuda ». Ils paraphrasent le monde, ils ne font que mettre le monde entre guillemets, sans tenter de comprendre ou d’expliquer. Ou encore, j’ai du mal à ne pas me révolter quand je vois ce qui

se passe dans le train et quand j’entends ce qui se dit dans le bus. Voir et entendre mes concitoyens. Je pense qu’il nous faudra arriver à un vrai extrême ; on ne dit pas assez non, on n’agit pas assez. On reste au niveau de l’indignation, et après ? Ma révolte est présente, pour le moment dans des gestes artistiques, mais je sais qu’elle est limitée. Aurais-je un jour assez de courage pour aller à l’insurrection ? J’ai mes lâchetés, un enfant, bientôt deux, je convertis ma révolte dans mes productions artistiques : Fuck le Millenium par exemple. Et je voudrais qu’elle soit magnifique… Le jour où j’arrêterais la mise en scène, je voudrais ne plus rien faire et disparaître. C’est tout de même étrange : à chaque fois qu’une personne disparaît, jamais la société ne se remet en question. La disparition de quelqu’un est un discours sur la société, non ?

Je voudrais une vraie disparition ...

Emmanuel Moreaux

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