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Commerce
Bernard Letu
L’AMANT DU LIVRE D’ART
Rue Jean Calvin, Bernard Letu règne depuis trente-huit ans sur une librairie d’art unique où les nouvelles pépites se partagent la vedette avec des livres rares et des livres introuvables.
Photos de Elo Durand Les territoires d’exploration de Bernard Letu: les arts appliqués, les arts décoratifs, la mode, la musique, la photographie et les arts orientaux.
Si les livres venaient à manquer, Bernard Letu disparaîtrait aussi. C’est pour cela qu’il les dévore, les consomme et s’en nourrit. A l’odeur, on jurerait qu’il saurait nous dire si le livre a été imprimé en Italie, en France, Angleterre ou ailleurs. Absorption totale. Présence absolue. Ce jour-là, il vous reçoit dans son espace un peu en désordre, avec, sur le sol, des piles d’ouvrages pointus sur la bijouterie prêts pour le salon international GemGenève à Palexpo. Mais comme toujours, le rectangle de ciel arboré qui traverse sa devanture de la rue Calvin éclaire l’effervescence de titres qui tapissent les murs, exhumant ici et là l’émerveillement de textes et images rares ou d’ouvrages épuisés qui font le bonheur, via aussi le site de la librairie, de collectionneurs internationaux. «Je ne pouvais concevoir le métier de libraire qu’en relation avec l’art, racontet-il. Tous mes choix sont le fruit d’une recherche esthétique, que ce soit dans le domaine des arts appliqués, bijoux, verre, tissus, céramique, dans l’univers de la photographie, de l’architecture ou de la décoration intérieure.» Son hédonisme, c’est aussi Byzance, la Perse, le Livre des Rois, le Cantique des Oiseaux ou Leily et Majnun, l’œuvre mythique de la culture orientale reprise par les Editions Diane de Selliers et traduite par Patrick Ringgenberg qui signera l’ouvrage dans la librairie de la Vieille-Ville, le 25 novembre prochain.
De la Seine au Nil Parisien, Genevois d’adoption, Bernard Letu, hormis son rêve persistant de transmettre la beauté, a vécu tout sauf une trajectoire rectiligne. Il rappelle le Paris de son enfance sous l’Occupation, un père juriste à la SNCF, une mère au foyer. Rien que de très banal. Sauf qu’il est passionné de musique classique et brille au lycée où son inséparable ami de classe durant cinq ans l’abreuve de culture artistique. Serait-ce pour fuir le dégoût de l’époque, il s’inscrit à la Libération à l’Ecole des langues orientales où il apprend l’arabe
A la Libération, il s’inscrit à l’Ecole des langues orientales où il apprend l’arabe classique, passe une licence de droit et s’imagine secrétaire d’ambassade
classique, il passe une licence de droit, s’imagine secrétaire d’ambassade. Une bourse d’études sera sa porte de l’Orient. Un saut en Syrie, un autre au Liban, avant d’être engagé au Caire comme apprenti diplomate, mais il ne passera jamais le concours. Sous les drapeaux de la marine française, il va être enrôlé au Vietnam comme traducteur. C’est la fin de la guerre, il ne sert pas à grand-chose, en profite pour passer en mode immersif dans la culture du pays, «Saigon et le quartier chinois Cholen, enfer du jeu et fourmi industrieuse, ne sont pas loin de la base.» De retour au pays, il entre à la BNP, il y gravit les échelons notamment à Agadir et à Alger où il se marie en 1961. Aujourd’hui, avec sa compagne originaire de Turquie, il cultive son plaisir avec discernement, s’échappe de rythmes urbains trop stressés, en laissant ses pensées voguer vers les architectures de Sinan ou les soies ottomanes.
Genève, le grand tournant La maladie sera décisive. Le sanatorium est proche de Genève. Il aime la ville, va s’y installer. D’abord comme gérant de fortune. Mais très vite, son rêve artistique le rattrape. Bernard Letu change radicalement de vie. L’appui d’un banquier lui donne l’opportunité d’ouvrir une galerie. En 1973, il pose son enseigne rue Saint-Léger, en lisière de Vieille-Ville, qui célèbre le surréalisme et la gravure fantastique contemporaine. C’est lui qui introduit M.C. Escher à Genève, expose Dominique Appia, ce peintre établi dans la ville, et publie un livre à cette occasion. Il fera de même avec le graveur français, Philippe Mohlitz, et d’autres artistes. Il éditera une douzaine d’ouvrages avant de se mettre à vendre les livres des autres. Il faut dire qu’au mitan



La librairie d’art située rue Jean Calvin ouvre en 1983, pour devenir un véritable îlot du plaisir rare.
Parisien d’origine, Genevois d’adoption, il témoigne dans tous ses domaines de prédilection d’une remarquable justesse de goût
des années 1970, surréalisme et gravure n’ont plus la cote. En 1983, la librairie d’art s’ouvre rue Jean Calvin, pour devenir un véritable îlot du plaisir rare.
Deux femmes lui succèdent L’impulsion aux changements de trajectoire serait-elle propre à ce lieu un peu magique? En fin d’année, Bernard Letu prendra sa retraite, emportant avec lui sa passion pour la gravure et les feuillets épars écrits sur ses voyages qu’il n’a encore jamais eu le temps de publier. La librairie sera reprise par deux jeunes femmes. Julia Cincinatis, une commerciale belge éprise d’art, entrée un jour dans le magasin par hasard et qui a, dès lors, décidé d’un nouveau destin, et Alix Ripoll qui a toujours baigné dans les livres et qui seconde Bernard Letu depuis deux ans. La maison de l’esthétisme a encore de beaux jours devant elle. Viviane Scaramiglia
Leily et Majnun, l’œuvre mythique de la culture orientale aux Editions Diane de Selliers, traduite par Patrick Ringgenberg qui signera l’ouvrage ici, le 25 novembre prochain, dès 18 heures.
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