Ça marche !

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Roadbook réalisé par le Bureau des guides du GR2013 pour accompagner la marche de la Fédération Française de la Randonnée Pédestre de Nice à Paris en passant par Marseille, février 2024.



En état de marche Un pied devant l’autre. C’est par là que ça commence, la marche, non ? Onze articulations, trente muscles et des mouvements contradictoires. Accélérer, freiner. Coup de talon gauche, coup de talon droit. Phase d’appui, phase d’oscillation. Un mouvement qu’on fait sans réfléchir, et pourtant si complexe pour les anatomistes. Les premiers pas sont toujours titubants, un peu vertigineux. Mais d’ailleurs, qui fait le premier pas ? Et vers qui ? Vers quoi ? Peut-on parler de marche sans parler de paysage ? C’est qu’on marche rarement dans le vide, à part à l’instant où l’on se réveille en sursaut. Et qui marche d’abord ? Tout un tas de choses ! Les humains, les animaux, les corps collectifs comme les troupes, les armées, les révolutionnaires - en avant, marche - mais aussi les corps célestes, les idées, les outils, les appareils. Ça marche ! Comme une télé ou un grille-pain. Et quand ça ne marche pas, frustration, grognements. Les cent pas. On voudrait que tout soit en état de marche. Impatients, nous ? Sauf quand on marche. Sur deux pieds, c’est peut-être un peu lent, mais au moins c’est du solide. Et si on a besoin de prendre de la distance, ou de la hauteur, il n’y a qu’à trouver une marche, se hisser au-dessus d’un muret ou d’une foule pour regarder plus loin. En ce sens, la science adore la marche. Les chercheurs fouillent le sol en quête des premiers marcheur·euses. «Sahelanthropus tchadensis [Toumaï pour les intimes ] , il y a environ 7 millions d’années, suivi par Orrorin tugenensis, il y a 6 millions d’années», nous dit Wikipédia. Avaient-iels déjà le goût du pays ? Les paléontologues suivent les traces : celles qui ont le gros orteil collé et parallèles aux autres. Pourquoi ? Parce que «L’homo erectus construit son monde et le réfléchit avec ses pieds», nous dit Antoine de Beacque, dans l’excellent podcast «Marcher, une histoire des chemins». C’est que sur deux pieds, on libère ses mains. C’est bientôt l’âge du faire et des outils. Mais on voit surtout plus haut, plus loin. On rencontre alors le paysage, on contemple, on ressent. Et donc, à ce moment-là, être marcheur·euse, c’est peutêtre aussi se tenir quelques instants immobiles et oisifs ? D’Homo Erectus à Homo Tourismus, n’y a-t-il qu’un pas ? Ce texte est inspiré de l’écoute de l’épisode 1 de la série, Marcher, une histoire des chemins, par Antoine de Beacque disponible sur France Culture.


Fossiles d’Orrorin, un des premiers bipèdes connus

Chronophotographie d’Étienne-Jules Marey (1883)


Jean.ne Touriste Dans l’imaginaire collectif, les marcheurs et marcheuses ont souvent comme arrière-plan une belle montagne, des sentiers bucoliques qui s’enroulent autour du paysage et ce qu’il faut de matériel sur le dos. Normal, la pratique de la randonnée est en plein essor depuis quelques décennies et devient même un enjeu touristique fort pour de nombreuses régions. D’ailleurs, le premier office de tourisme est né à Grenoble, porte d’entrée des Alpes, en 1889. Mais les montagnes ne sont pas le seul théâtre de nos nouvelles pérégrinations. Dès le XIXe siècle, apparaît un nouveau corps de marcheur, intimement lié à la modernité, aux métropoles, à l’urbanisme et au cosmopolitisme : le flâneur. Artiste bien souvent bourgeois, qui arpente la ville tout sens dehors pour en capter le pouls et y puiser de l’inspiration. XIXème siècle : ça flâne pour moi. «Pour le parfait flâneur, pour l’observateur passionné, c’est une immense jouissance que d’élire domicile dans le nombre, dans l’ondoyant, dans le mouvement, dans le fugitif et l’infini. Être hors de chez soi, et pourtant se sentir partout chez soi ; voir le monde, être au centre du monde et rester caché au monde.» C’est ce corps-là aussi, bourgeois, qui invente le tourisme, du mot anglais «touring» : «Grand Tour», sorte de voyage d’éducation aristocratique, destiné à parfaire l’éducation des jeunes gens des plus hautes classes de la société européenne. On visite et on se forme, tout en gardant la forme. Le concept culmine au XIXème siècle : Côte d’Azur, Alpes, Rome, Paris, tout est terrain de jeu et d’apprentissage. Les trains et les bateaux vrombissent, mais la marche continue d’avancer. Les bruits de talons qui battent le sol donnent la mesure des villes et des œuvres littéraires, la forêt de Fontainebleau se pare de son premier balisage sous l’égide du sylvain Charles-François Denecourt. Les peintres et les écrivains s’y précipitent.


XXéme siècle : la marche ça adhère ! La pratique commence à se démocratiser. Le Touring Club de France né. Suivront les excursionnistes marseillais, le Club Vosgien, etc. Après la Première Guerre mondiale, les Compagnons Voyageurs du pionnier Jean Loiseau voient le jour et, profitant de l’avènement des congés payés, décident de créer des outils pour rendre la pratique de la marche plus accessible. Les premiers GR naissent quelques années après, suivis par la création, en 1978, de la Fédération Française de Randonnée Pédestre. Les décennies suivantes marquent l’avènement de la randonnée, qui devient l’activité physique la plus pratiquée avec 27 millions d’adeptes recensés ayant pratiqué la randonnée ou la marche loisir au cours des douze derniers mois en 2021 !”

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XXIème : l’ère des marcheur·euses urbain·es ? Parmi tous ces marcheur·euses, commence à émerger un nouveau genre : le genre marcheur·euse urbain·e. Urbexeurs·euses et artistes marcheurs·euses réinvestissent la ville comme territoire d’exploration. Les premiers s’intéressent aux lieux abandonnés, tandis que les seconds explorent les récits. Dès les années 90, certains artistes, chercheurs, urbanistes, paysagistes, etc., se lancent dans la trace de chemins dans la ville et dans le tissage d’histoires en suivant les cours d’eau, les friches, les dalles, les périphéries, etc. À travers cette pratique, ils redessinent les cartes et remettent les villes et leurs habitants à l’échelle de nos corps. La marche devient ainsi un moyen d’appropriation et de réappropriation politique de la ville. En cela, elle révèle une volonté de redéfinir la manière dont les individus interagissent avec leur environnement urbain. La marche politique trouve également son écho dans les mouvements sociaux et les protestations urbaines. Le 15 octobre 1983, une marche pour l’égalité et contre le racisme s’élance de la cité de la Cayolle (9e) à Marseille. Composée de 32 marcheurs, elle atteint la capitale un mois et demi plus tard, le 3 décembre, accueillie par un rassemblement de plus de 100 000 personnes. Cette marche, au-delà de son objectif initial, symbolise une forme de marche politique et sociale qui transcende les limites géographiques pour devenir une force unificatrice dans la lutte contre l’injustice et la discrimination. Ainsi, elle s’inscrit dans le contexte plus large de l’évolution du rôle de la marche dans le XXIe siècle, marquant véritablement une ère des marcheur·euses urbain·es.

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Test de personnalité : quelle marcheur·euse êtes-vous ? Vous êtes un·e passioné·e de marche et allez débuter votre balade préférée. Les humain·es marchent depuis la nuit des temps et des pèlerin·es aux joggeur·euses, il existe toute une typologie de marcheur·euses. Alors, enfilez vos chaussures et découvrez quel·le marcheur·euse vous êtes ! Avant de partir, vous enfilez : 1-6. Des chaussures de randonnée : j’adore marcher en forêt, à la campagne ou à la montagne. 4. Des chaussures adhérentes pour escalader des bâtiments abandonnés. 5. Des baskets. Mes balades ne sont pas contraignantes mais je me pare à d’éventuels détours imprévus. 2-3. Qu’importe, je marche en ville. Vous préférez marcher : 1-2. Seul·e. 3-4. Avec des ami·es. 5-6. Avec votre groupe. Pour vous, la marche est l’occasion : 2. De rêver en léchant les vitrines des grands magasins 1. De se laisser envahir par le sublime des paysages grandioses 4. De ressentir l’adrénaline d’une pratique risquée et illégale 6. De faire communauté grâce à la bonne ambiance d’un groupé sportif soudé 3. D’une aventure ludique et festive 5. De relier différentes communautés et composantes territoriales entre elles


Pendant la balade, vous vous perdez dans vos pensées et butez sur un grillage : 1-6. Tant pis ! Je fais marche arrière et retrouve le sentier. 3-4. Super ! J’adore transgresser la propriété privée, vous sautez par dessus le grillage. 5-2. Mince ! un paysage singulier et attirant s’étale au-delà du grillage, je regarde s’il y a un trou dans le grillage. Finalement, vous rentrez à la tombée de la lueur, vous êtes content·e si : 1. J’ai découvert de nouveaux endroits splendides 6. J’ai profité d’un bon moment convivial 4. Je me suis surpassé·e 3. J’ai vécu une belle aventure 2. J’ai réussi à me perdre 5. Je comprends mieux le territoire

Quel est votre adage ? 1. « J’ai la nostalgie d’une de ces vieilles routes sinueuses et inhabitées qui mènent hors des villes... une route qui conduise aux confins de la terre... où l’esprit est libre… » 2. « Flâner est une science : c’est la gastronomie de l’oeil. » 6. « La marche c’est d’abord et avant tout quelque chose d’utilitaire quelque chose que nous savons tous faire à partir de l’âge d’un an, c’est dommage d’oublier ce mode de transport, ce mode de déplacement qui est le premier chez les Français. » 3. « La formule pour renverser le monde, nous ne l’avons pas cherchée dans les livres, mais en errant » 5. « La marche collective comme palabre ça commence très simplement, c’est partir marcher et se raconter des histoires. Et de proche en proche, dans le temps long du processus, se réinventent (ou se redécouvrent) de potentiels communs territoriaux. » 4. « Ne rien prendre à part des photos, ne rien laisser à part des traces de pas, ne rien tuer à part le temps.”

id : Henry Dav de citation oré Dans l’ordre poète), Hon aturaliste et rté Thoreau (n arianne Cla crivain), M rd de Balzac (é ), Guy Debo de la FFR 13 o-fondatrice (présidente uer (c ), ), Julie de M du GR2013 (théoricien des guides du Bureau ur urbain) s (explorate Ninjaliciou

Vous faites une pause et prenez le temps de regarder autour de vous : 2. Je scrute la foule foisonnante depuis l’avenue d’une grande ville. 4. J’observe une ruine depuis le toit instable d’une usine abandonnée. 1-6. Je contemple la nature depuis une table panoramique ou depuis la crête d’une montagne. 5. J’invente une histoire sur le détail d’une infrastructure remarquable. 3. Je me laisse imbiber par les contrastes des ambiances d’un quartier.


1. Vous êtes un·e promeneur·euse ! Romantique dans l’âme, vous poursuivez comme Henri David Thoreau avant vous l’appel des paysages grandioses et la béatitude qu’offre la nature.

2. Vous êtes un·e flâneur·euse ! Tel Baudelaire ou Balzac, vous battez le pavé des grandes villes sans but aucun si ce n’est de dévorer par vos yeux le paysage urbain mouvant.

3. Vous êtes situationniste ! Pour sortir des schémas classiques de déplacement et de cartographie, vous dérivez à la recherche d’aventures et de contrastes urbains.

4. Vous êtes un·e urbexeur·euse ! Les vestiges du passé vous attirent inéluctablement dans des lieux abandonnés ; usines, métros, toits, chantiers, sous-sols, monuments sont vos terrains d’exploration.

5. Vous êtes un·e artiste-marcheur·euse ! Votre art n’est pas confiné aux musées, il est constitué des paysages, des gens, des rencontres. C’est une beauté en situation qu’il faut vivre collectivement.

6. Vous êtes un·e randonneur·euse de la FFRP ! Vous avalez les distances avec votre groupe et avez déjà parcouru plusieurs GR. Les sentiers n’ont plus de secrets pour vous et constituent votre richesse partagée.


Démarches Urbaines “Se promener en ville est un art qui détermine une manière particulière de marcher. C’est une question d’allure, de rythme, d’attention divagante au paysage de la matérialité urbaine, de perception des autres, des œuvres croisées sur son cheminement, de son propre corps.” De Baecque, Antoine. « Flâneries et autres démarches urbaines » Au cours des deux dernières décennies, une nouvelle pratique a essaimé un peu partout en Europe. Bordeaux, Milan, Marseille, Paris, Istanbul, Londres et bien d’autres villes ont vu foisonner de nouveaux sentiers métropolitains portés par des architectes, des artistes, des marcheur·euses, des commissaires d’expositions. C’est ainsi que se sont créés les premiers itinéraires de marche au long cours en milieux urbains et périurbains : le GR2013, les sentiers des Terres Communes, le Sentier du Grand Paris, etc.

Ces tracés dans et autour des villes se matérialisent en tant qu’œuvres collectives vivantes, façonnées par ceux-là mêmes qui les imaginent, les concrétisent, les photographient, les racontent et surtout les arpentent ! Ils ne sont donc pas seulement des tracés sur une carte, ce sont des «écoles buissonnières», des toiles narratives s’étalant vers et à travers le tissu urbain. On y crée de nouveaux liens, de nouveaux usages et de nouvelles histoires. Espaces publics d’un nouveau genre, à la fois infrastructures de transport, voire de sport, équipements touristiques pour les habitants et centres culturels mouvants, ces sentiers reconnectent, à travers la marche, les citoyens et les curieux à leurs territoires de vie. À travers eux, nous sommes invités à penser et dessiner la ville avec nos pieds. La marche devient dès lors un outil de compréhension de la ville et de son environnement. On ne part pas chercher de nouveaux horizons, on se glisse dans les traces de milliers de marcheur·euses du quotidien, on embarque dans un voyage alternatif sur le fil de la civilisation, on joue, on explore et on compose avec la beauté et la compléxité des cités, qui sont, in fine, les toiles vivantes de nos vies.


(Re)lier Marseille et Paris à travers les sentiers Dans l’imaginaire collectif, un Paris-Marseille et vice versa, c’est le Classico, jour de match, la compétition, les bravades et les défis qui s’enchaînent d’un côté comme de l’autre. L’esprit compétitif, quoi ! Cela pourrait fonctionner dans une année où la France accueille les Jeux Olympiques et attend du pays qu’il se tienne en haleine. Mais toutes les marcheuses et tous les marcheurs savent que deux villes, deux points géographiques offrent toujours l’occasion de se (re)lier. Et pour cela, il faut savoir garder son souffle et son esprit d’équipe. Cette marche entre Marseille et Paris - à travers Marseille et Paris - a donc pour but premier de tisser du lien : avec les lieux qu’elle traverse, avec les habitants qu’elle rencontre. Co-portée par la Fédération Française de Randonnée et le Bureau des guides du GR2013, elle invite les promeneurs à vivre une expérience au long cours entre deux métropoles, à considérer les espaces entre proches et grandes banlieues comme des terrains de jeu et d’observation pour se reconnecter à la ville. Plus que l’opposition, c’est la continuité et la curiosité qu’elle cherche dans “des espaces urbains si vastes et si complexes, que personne ne peut prétendre les connaître - ni les habitants ni les experts” Le rôle du GR 2013 et de tous les sentiers métropolitains, c’est de mesurer avec le compas de notre corps les milliers de kilomètres carrés de nos métropoles. C’est de réajuster nos représentations mentales à la réalité extérieure. C’est de goûter le territoire comme ce qu’il n’a jamais cessé d’être : le jardin qui nous fait. Baptiste Lanaspèze, Libération, 2 Juin 2016 Tribune “Marcher pour changer notre regard sur les territoires”


Le GR2013, le tout premier sentier métropolitain homologué et balisé. L’itinéraire choisi démarre donc à Marseille, sur les traces du tout premier sentier métropolitain homologué et balisé. Né au début des années 2010, dans le cadre de la manifestation Marseille Provence 2013, ce grand huit (la forme du sentier) a été pensé par des artistes marcheurs marseillais. Il sinue dans la métropole, au coeur des quartiers, à la lisière des villes, aux frontières géographiques et sociales de cette ville palpitante. Dès sa première année, il acceuillait 150 000 visiteur.euses et aujourd’hui encore, de nombreus.es arpenteur·euses foulent son tracé, en compagnie du Bureau des Guides du GR2013, qui y développe des projets artistiques et culturels.

Paris, à travers le GR2024 et le Sentier du Grand Paris. Une fois une bonne partie de la France traversée à pied, c’est Paris qui se découvre, non pas pour des flâneries, mais via deux tracés métropolitains qui invitent à sortir des sentiers battus. D’un côté le GR2024 (ou GR75) inauguré en juin 2017 et créé dans le cadre du plan d’accompagnement de la candidature aux Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 pour encourager la marche comme une activité sportive. De l’autre, le sentier du Grand Paris : 615km, 40 jours de marche et 3 ans de repérages publics. Un véritable équipement culturel qui plonge dans la métropole au contact de ses 10 millions d’habitants. Initié en 2016 par un groupe d’artistes, d’architectes, d’urbanistes, d’auteur·ices est réalisé en partenariat avec les collectivités, médias, écoles d’architectures et associations locales, ce projet chemine dans le paris du XXIe siècle, le long d’une ligne continue se croisant par 3 fois et esquissant la forme d’un trilobe, une piste sans fin qui redessine la métropole au-delà de ses frontières.


La marche comme pratique populaire... Jean Loiseau, ex-scout passionné de nature et autodidacte de la cartographie, “père des GR”, aura ainsi l’idée de concevoir un réseau national, ponctué d’auberges, de refuges et de repères rouge et blanc, “pour être mieux vu à la tombée de la nuit et les différencier du rouge des forestiers”. Et c’est en 1947, qu’il inaugure les sentiers de grande randonnée, les fameux GR, coordonnés par un comité national. En lien ténu avec le territoire provencal, les topoguides des “Excur” permettent une meilleure connaissance de ce dernier, en facilitant sa découverte par la marche.

Les questions soulevées par la démocratisation de cette pratique replacent ainsi la marche dans l’espace urbain...

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En fondant le club des Excursionnistes marseillais, Paul Ruat participe à rendre la marche accessible à toustes. Il en facilite l’accès et communique sur les différents sentiers dont les tracés se précisent peu à peu, ce qui permet à cette activité - qui procure un bonheur simple et répond à un besoin primaire d’activité physique - de se démocratiser.

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...et politique ! Paul Cabouat, arrière-grand-père et pionnier des GR

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À l’âge de 59 ans, Paul Cabouat fait partie des bénévoles qui vont contribuer à l’épopée naissante de la randonnée. Il intègre dans le tracé du GR7 les lieux de la Résistance qu’il connaît bien - et à laquelle ns Paul, les m archeu il a participé pendant la Première Guerre rs Mondiale. r e v i t encore à su Avec d’autres amateurs de nature, raien ils partagent le même goût pour le le ou pittoresque, la beauté modeste, et la tes goudronn lenteur, se distinguant ainsi des adeptes de ée la marche sportive, très populaire pour les . s » n i français de la fin du XIXè siècle. el

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À la fin du 19è siècle, le mot RANDONNEUR n’existe pas vraiment. On parle plutôt d’excursionniste, de promeneur, ou même de campeur pédestre.

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Marc Monod, compagnon de marche

Paul Cabouat, à 90 ans, lors d’une mission d’entretien du balisage de son sentier : «Arrête-toi là, à ce carrefour. Moi je reste assis dans la voiture. Tu prends le chemin tout droit. Au troisième gros chêne, à cinq cent mètres, tu tournes à droite. Tu remplaces la balise si elle a reçu des balles des chasseurs. Si elle n’est plus là, tu mets celle-là.» Et sa fille d’ajouter : «L’espace d’un après-midi, on était ses jambes. Et il fallait avoir bien entendu la consigne, revenir avec la boîte, sinon ça le mettait en colère. Pas contre nous. Contre lui. Parce qu’il avait le sentiment de ne pas avoir bien décrit le trajet.» Les propos et textes de cette double-page sont tirés de l’article écrit par son arrière-petite-fille Lucie Tesnières, publié dans le numéro 53 de la revue XX1, dans l’intimité du siècle


Marcher, une méditation Arpenter la terre, partout ? librement ? Ce n’est pas si simple. Le droit de déambuler, le droit d’aller et venir, la liberté de circuler sont des droits issus de multiples histoires complexes. Une histoire des frontières nationales et des accords internationaux ; une histoire de l’espace public, entre propriété privée et usages considérés comme déviants par rapport à ce qui est défini comme bonne moeurs ; une histoire de la circulation des biens et des matières, en lien avec les marchés et les systèmes de transport.

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Le droit de passer peut être exercé de manière isolée (par un forgeron, un migrant ou un promeneur), il peut être revendiqué par des communautés plus ou moins diffuses ou organisées (celles des pèlerins, des manifestants, des randonneurs ou des gens du voyage…) comme par des communautés villageoises dans l’exercice de leurs droits d’usage collectifs (de cueillette, de pacage ou d’affouage…) ainsi que par des corporations de métier (celles des prud’homies de pêche ou du compagnonnage). On le constate, les droits d’accès sont condition nécessaire à l’exercice de la plupart des droits fondamentaux et rendent possible de penser les droits relatifs au commun.

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Les droits de passage s’analysent souvent en des servitudes réelles ou prédiales, plus précisément, en des servitudes de passage. Ces obligations pèsent donc sur des fonds de terre, au bénéfice d’autres fonds de terres. En d’autres termes, ces liens de droit dessinent des relations entre des lieux : ce sont des rapports juridiques entre entités territorialement ancrées. Les droits de passage se trouvent attachés aux terres plutôt qu’aux humains. Axées sur les relations entre les entités terrestres plutôt que sur le pouvoir des sujets sur les objets, les servitudes de passage dévoilent la possibilité d’une vision éco-centriste du droit.


sur le droit ? Revendiquer un droit simple de déambuler dans les paysages n’est pas une chose neutre. Exercer notre « ius deambulandi» selon la juriste Sarah Vanuxem peut devenir un quadruple rituel faisant trembler une vision du droit un peu trop figée, que les urgences écologiques et sociales nous demandent de remettre en mouvement.

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Les questions de passage n’intéressent pas uniquement les humains. Les êtres pour qui la question des chemins importent sont innombrables : les oiseaux migrateurs – flamants roses, oies, hirondelles ou cigognes –, les prédateurs d’ovidés – loups ou renards –, les grappilleurs de céréales – corbeaux ou corneilles –, les utilisateurs de corridors écologiques – chevreuils ou hérissons –, les espèces végétales vagabondes – molènes ou onagres –, mais aussi les eaux qui, chargées de sédiments, s’écoulent. Toutes ces entités ont ce besoin vital : pouvoir passer. Le droit de déambuler des humains questionnent sur celui des non-humains : une réserve naturelle sans corridor écologique est-elle une assignation à résidence ?

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Face à l’espace sédentaire, strié de murs, de clôtures et de chemins, les modes de passage du transhumant, du nomade et du migrant soulèvent la question du sens même du Droit : la loi est elle à prendre au sens du logos, laquelle départage l’espace une fois pour toute « en assignant à chacun sa part, et en réglant la communication des parts » ou plutôt au sens du nomos, où « les hommes (ou les bêtes) se distribuent dans un espace ouvert », « sans frontières, ni clôtures » en cherchant à s’accorder ?


Qu’est-ce que ça apporte de marcher en groupe ? Juste on est ensemble, on est fatigué, et en fait l’épreuve collective de la fatigue, elle est vachement chouette. On a construit un entre soi avec des mots, et au-delà des mots, on l’a construit avec nos corps, et tout ça. On est au bout des mots, on les trouve plus, on est au bout des corps, on est fatigué, et on est bien. Voilà. Dans l’immensité de tout ce qui est possible, ensemble, on a vu qu’il y a une espèce de gabarit qui est le temps passé ensemble. Ça, c’est une expérience, toujours la même : on a deux bras, deux jambes, et on est fatigué au bout de douze bornes.

Nicolas Memain

Stéphane Brisset Quand on marche tout seul on s’émerveille de choses, et on a alors envie de les partager, de ne pas les garder que pour nous. C’est là que l’envie de marcher en collectif commence. Mais c’est aussi apprendre des autres, ce n’est pas que nous la connaissance, beaucoup de gens connaissent des choses et ça enrichit le propos. Dalila Ladjal - Et l’esprit du commun, il est hyper important dans une balade. C’est fabriquer une petite communauté pour quelques heures.

Collectif SAFI Extraits des Cahiers des itinérances Nature For City Life proposées par le Bureau des guides du GR2013


Le jour où je m’en irai, ça me fera quand même quelque chose, je le sais bien. J’aurai les yeux mouillés, c’est sûr. Après tout, c’est ici que j’ai mes racines. J’ai pompé tous les métaux lourds, j’ai du mercure plein les veines, du plomb dans la cervelle. Je brille dans le noir, je pisse bleu, j’ai les poumons remplis comme des sacs d’aspirateur, et pourtant, je le sais bien que le jour où je m’en irai, je verserai une larme, c’est certain. C’est normal, c’est ici que je suis né et que j’ai grandi. Je me revois encore, tout gosse, sauter à pieds joints dans les flaques d’huile, me rouler dans les déchets hospitaliers. Je l’entends encore, la grand-mère, me hurler de faire attention à mes affaires. Et les tartines de cambouis qu’elle me préparait pour le goûter… Et la confiture de chambre à air qui était un peu comme de l’orange amère, en plus amer… J’ai joué là au bord des voies ferrées, j’ai grimpé aux pylônes, je me suis baigné dans les bassins de décantation. Et, plus tard, j’ai connu l’amour à la casse, sur les sièges éventrés des épaves. J’ai des souvenirs qui ressemblent à des oiseaux mazoutés, mais ce sont des souvenirs quand même. On s’attache, même aux pires endroits, c’est comme ça. Comme le graillon au fond des poêles. Joël Egloff, L’étourdissement, 2006


Pas de courses aux médailles pour les marcheur·euses. Marcher, un verbe d’origine francique, «marka», signifiant frontière, représente le déplacement d’un endroit à un autre en faisant une suite de pas à allure modérée. Petit éloge de la modération. 2024. Année des JO. La course à Paris et la course aux paris. Les infrastructures et les équipements seront-ils prêts ? que diront-ils de notre rapport à la ville et aux corps ? Quand on adopte la posture d’un·e marcheur·euse, et qui plus est d’un·e marcheur·euse urbain·e, on est toujours tenté de demander à la ville de ralentir. La marche peut-être sportive, elle ne doit pas moins en rester contemplative. C’est que nous, marcheur·euses, nous aimons la lenteur, certains diront la mobilité douce. Nous on préfère dire la mobilité aigre-douce. Lorsqu’on marche en ville, on fait le choix de la durabilité : moins d’émissions polluantes, moins de dépendance aux énergies fossiles et aux véhicules motorisés. Mais on fait aussi l’expérience de la limite : celle posée par la priorité donnée aux méthodes de transports susmentionnés. “Les infrastructures de l’hypermobilité fragmentent nos territoires urbains et nous font perdre l’usage quotidien de la marche, nécessaire à notre santé”. Alors oui, le sport c’est bien, mais ce serait mieux s’il n’était pas toujours plus entravé. Et puis d’ailleurs le sport, ce n’est pas que l’activité physique. C’est aussi une histoire collective. Les J.O ont d’ailleurs pour ambition de réunir les foules autour du sport. Mais à quel prix ? On serait tenté de dire qu’il serait peut-être plus simple de renouer avec la marche en ville, parce qu’avec cette pratique, vient nécessairement l’envie de nouer des liens avec ses habitants. D’ailleurs, à quoi ressembleraient les jeux olympiques de la marche urbaine ? Épreuve du saut de barbelés, lancé de poèmes, Course de désorientation, 4 fois sans maîtres, altérophilie (portée d’inconnus), trampo-ligne de tram, autant de jeux qui ne nécessitent pas de construction massive. Ici, on fait seulement appel au génie collectif pour concevoir et penser des lieux où se rassembler. Vous en êtes ?


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