Lire les sentiers, c’est une expérience sensible du paysage et des territoires à destination des élèves d’école primaire, de collège et de lycée C’est une journée de marche partant de l'établissement scolaire accompagnée par un e artiste marcheur euse, assisté e d’un e service civique qui guide la marche et propose des activités tout au long de celle-ci.
Chaque marche est l’occasion d’une grande cueillette de sensations et de connaissances des endroits où l’on marche Lire les sentiers fait appel à l’observation et à l’imagination des élèves Il s’agit tant d’observer ce qui est là que d’imaginer ce qu’on ne voit pas. Ce n’est pas une activité notée mais une expérience à vivre
Comment se déroule la sortie ?
La rencontre en classe avant la marche
Avant de partir marcher, il faut déjà se rencontrer pour savoir avec qui l’on va marcher Une semaine avant la journée de marche, les artistes marcheur euse s, les élèves et leur professeur e prennent un temps d’ une heure en classe pour se rencontrer, discuter avec les élèves de la notion de marche et aborder avec elleux la cartographie L’artiste présente ensuite son travail et échange avec les élèves autour de sa pratique
Le nuage de mot
Durant ce temps de rencontre, le guide interroge les élèves sur leur rapport à la marche et regroupe leurs réponses sous la forme d’un nuage de mots. Cette représentation visuelle permet aux artistes marcheur·euse·s de faire connaissance avec la classe afin d’adapter leur balade. Elle permet aussi aux élèves de prendre conscience de leurs propres représentations et de la diversité de ces dernières
Boule de mots les plus récurrents cette année
Découverte de la carte sensible
Lors de la rencontre en classe, les artistes marcheur·euse·s montrent des exemples de cartes sensibles pour faire comprendre qu’il ne s’agit pas d’un exercice de dessin mais d’un moyen d’expression
Cartes sensibles d’artistes-marcheurs
Julien Rodriguez
Mathias Poisson
Alice Durot et Elsa Noyons
Sébastien Maufroid
La carte sensible est un des éléments clé de Lire les sentiers. C’est à travers elle que chaque élève retranscrit ses impressions et les connaissances acquises pendant la marche Il s’agit d’un fond de carte vierge contenant seulement le tracé de la balade sur lequel les élèves inscrivent ou dessinent des informations, des noms, des formes de bâtiment, de cours d’eau, de plantes, de routes, de montagnes, de monuments… mais aussi des impressions (odeurs, souvenirs personnels, sensations…).
Carte vierge distribuée aux élèves
La marche
Les marches sont construites de manière dynamique : elles alternent moments de brouhaha de ville et silence d’espaces plus naturels, le bitume et la terre, moment de marche pure et arrêts pédagogiques. En moins de 10 kilomètres, elles permettent de montrer aux élèves la diversité des paysages qui les entourent : zone commerciale ou de centre ville, chemins terreux dans des massifs montagneux, plaines périurbaines, ruines, bords de cours d’eau, usines...
Les balades sont également constituées de moments de transmission, durant lesquels le guide explique aux élèves comment se repérer, raconte des histoires du territoire, l’architecture des lieux, les types de plantes que l’on peut trouver sur le chemin, etc.
La marche part de l’école et passe par une portion du sentier métropolitain GR2013, dans la mesure du possible aucun moyen de transport n’est utilisé : tout se fait à pied Le matin, les élèves sont rassemblés dans la cour par leur professeur et se voient distribuer un roadbook par le guide, un carnet de route regroupant à la fois les diverses activités qu’ils seront amenés à faire, mais également le tracé de la balade qu’ils devront compléter tout au long de la journée pour en faire une carte sensible Accompagnés de leur roadbook, les élèves s’élancent le long du sentier.
Les activités
Cette promenade collective, loin de n’être qu’un exercice de marche, est composée de multiples activités animées par le guide, mobilisant des blocs de compétences et disciplines présents dans le programme scolaire du second degré
Ecriture
❖ Haïku ou acrostiche
Français
Placés dos à dos par groupe de cinq au croisement de cordes disposées en forme d’étoile, les élèves avancent pas à pas sur les branches de ces cordes en notant les objets ou éléments qu'ils voient ou imaginent voir, et ce en portant toujours plus loin leur regard Une fois les mots réunis, ils rédigent leur poème personnel en s’inspirant de la structure des haïkus, célèbres poèmes d’origine japonaise caractérisés par leur brièveté
❖ Le monde dans 100 ans
Français, Histoire-Géographie
En se basant sur les explications du guide, les élèves doivent rédiger un court texte dans lequel ils imaginent ce que deviendra un lieu dans 100 ans Cela leur permet de faire appel à leur fantaisie autant qu’à leur connaissances du territoire
❖ Question à un être vivant
Français, S VT
Les élèves rédigent plusieurs questions à adresser à un animal ou à une plante de leur choix, empathie et compréhension de la faune et de la flore sont explorés au cours de cet exercice d’écriture
Dessin
Motricité, confiance en soi et les autres
❖ Marche aveugle
Education Physique et sportive
Deux par deux, cette activité consiste à prendre soin et guider son camarade qui à les yeux bandés sur une partie du sentier sans lui parler Véritable test de confiance, cet exercice a donné lieu à de beaux moments de complicité entre les élèves.
❖ Mesurer la taille d’un arbre
Mathématiques
En se basant sur leurs connaissances mathématiques (théorème de Thalès, proportion de Vitruve), les élèves mesurent la taille d’un arbre à l’aide d’un bâton ou encore de la longueur de leur bras
❖ Skyline
Géographie, Arts Plastiques
Les guides ne perdent pas une occasion de faire représenter aux élèves les paysages qui les entourent Ils le font notamment par le dessin de la skyline au sommet d’un belvédère
❖ Les visages du paysage
Arts plastiques
Connaissez-vous la paréidolie, autrement dit, la tendance instinctive à trouver des formes familières dans notre environnement (dans les nuages, les constellations, les prises murales ) ? C’est précisément ce que doivent expérimenter les élèves en cherchant à reconstituer un visage qu’ils perçoivent parmi les édifices, les arbres, le mobilier urbain qui les entourent
Découverte de la flore
❖ Réaliser un herbier
S V T
Profitant de la présence de la flore urbaine sur le sentier, les élèves apprennent à réaliser un herbier
❖ Dessin d’empreintes
S V T, Arts plastiques
De la délicatesse pour réaliser des empreintes et en révéler les nervures.
Ecoute active
Musique
On serait surpris de ce que l’on entend, si l’on garde les yeux fermés pendant une minute. Que ce soit le bruit du vent qui souffle, des voitures qui klaxonnent ou des mâts des bateaux qui s'entrechoquent, les élèves restituent ce qu’ils ont pu entendre sous forme d’onomatopées et d’interjections
❖ Onomatopées
Le fil rouge de la balade : la carte sensible
Enfin, comme mentionné en première partie, l’activité principale sera la conception de la carte sensible. En effet, cette dernière se construit tout le long de la marche, les élèves s’inspirant des éléments autour d’eux pour la concevoir Les activités évoquées ci-dessus sont autant d'éléments permettant d’enrichir la carte
Les chiffres 2024/2025
Sur cette année scolaire, ce sont 21 interventions qui ont été réalisées auprès de 543 élèves dans 9 collèges et 3 lycées issues de 6 villes de la métropole Aix-Marseille-Provence
Répartition des classes en 2024/2025
Aix-en-Provence : collège La nativité
Aubagne : collège Joseph Lakanal
Fos-sur-mer : André Malraux
Marseille : collège Edouard Manet ; collège
Marie Laurencin ; collège Darius Milhaud ; collège Rosa Parks ; collège Arthur Rimbaud ; lycée Antonin Artaud ; lycée Don Bosco
Martigues : lycée Paul Langevin
Plan de Cuques : collège Olympe de Gouges
Carte des établissements qui ont participé à Lire les sentiers en 2024/2025
Qu’avez-vous pensé de Lire les sentiers ?
Ce qu’en disent les élèves
A la suite de la sortie, nous avons envoyé un questionnaire aux élèves Sur les 543 élèves âgés de 10 à 16 ans que nous avons emmenés en balade, 86 nous ont répondu, 16% d’entre eux. Et ils semblent avoir apprécié la sortie ! Plus de la moitié de ceux ayant répondu sont même motivés à marcher davantage pour découvrir de nouveaux paysages
Quelques uns de leurs retours
“J'ai beaucoup aimé cette journée et j'ai hâte de continuer les randonnées avec mes parents en Savoie pendant les vacances ”
“J'aimerais faire plus de cours hors du lycée.”
“J'ai trouvé que ça nous change des cours ordinaire donc j'ai beaucoup apprécié ”
“J’ai tellement aimé que j'y retournerais avec ma famille et je ferais le rôle de la guide ”
“J'ai beaucoup aimé les 5 minutes de silence j'ai aimé la pluie ”
Concernant ce qu’ils ont retenu de la balade Beaucoup d’élèves ont parlé de la beauté des paysages, d’endroits qui les ont marqués, des plantes comestibles qu’ils ont découvert, des bruits qu’ils ont entendus Ils évoquent leur expérience physique de la marche, son impact sur la santé, la fatigue qu’elle peut engendrer Plusieurs ont été marqués par les moments de convivialité qu’ils ont pu avoir entre elleux durant les piques niques Viennent ensuite les activités qu’ils ont réalisé durant la journée, dont le dessin de paysages, élu activité favorite de la journée, suivi du haïku Pour finir, nombre d’entre eux semblent avoir mémorisé les explications des guides sur les légendes du territoire et les histoires des quartiers
Ce qu’en disent les professeurs
● Mathurin, professeur d’histoire-géographie de deux classes de 4ème
Qu’est ce qui t’as donné envie d’être professeur ?
J'étais convaincu qu’il y avait un moyen de faire mieux que ce que j’avais connu au collège J’ai trouvé que c’était un moment difficile et que souvent, on a tendance à mépriser les élèves, à les prendre pour des idiots Je ne voulais pas répéter ça
Quelle est ton approche de l’enseignement ?
J’aime bien la phrase de Montaigne : “un élève ce n’est pas un vase qu’on remplit, c’est un feu qu’on allume ” Quand il y a une obsession à l’excellence, à connaître plein de choses par cœur, pour moi, on se trompe de voie Il vaut mieux arriver à aider les élèves à entrer dans l’adolescence et dans la vie d’adulte, donc à s'épanouir
J’ai une matière qui leur permet de s'intéresser au monde donc je trouve que c’est d’autant plus cool pour ça On a surtout un rôle éducatif et pas un rôle disciplinaire
Quelles sont les techniques que tu utilises pour enseigner ?
Je consacre beaucoup de temps à sécuriser le groupe et à passer par le jeu. L’un ne va pas sans l’autre : le jeu permet d’impliquer les élèves, mais s’ils ne se sentent pas en sécurité, cela peut vite tourner à "qui prendra le plus la parole, qui écrasera les autres"
La gestion de la prise de parole en groupe est essentielle, surtout à cet âge Il est indispensable de connaître rapidement ses élèves et de s’assurer que chacun ait pu s’exprimer au moins une fois Ceux qui n’osent pas parler doivent être encouragés, car sans cela, non seulement ils ne prendront jamais la parole, mais ils ne se sentiront jamais légitimes pour le faire.
Pour moi, la sécurité passe par la valorisation de chaque parole et l’inclusion de tous Il s’agit d’impliquer chaque élève, de lui donner une place et un rôle, ce qui est particulièrement important à l’adolescence C’est aussi une éducation à l’empathie : apprendre à écouter et à reconnaître la valeur de la parole de l’autre
Quelles sont les contraintes que tu rencontres dans le système scolaire ?
On est contraint par un emploi du temps fixe, qui ne s’adapte pas toujours aux besoins réels de l’apprentissage. Le cadre imposé ne correspond pas au rythme ou à la dynamique du moment, ce qui peut être frustrant
Quel dispositif spatial adoptes-tu vis-à-vis de tes élèves?
Je garde la classe en rang classique. Bouger les tables, je le fais occasionnellement, ça bouscule les élèves dans leurs habitudes et ils s’en souviennent mieux, mais en même temps avec les fameuses 55 minutes, parfois on n’a pas le temps
Pourquoi recourir à des intervenants ?
Parfois, je préfèrerais me dire : “voilà là on prend la matinée avec une classe, j’y vais avec un ou une collègue d’une discipline et on va bosser dehors ou d’une autre manière” C’est pour rompre avec la routine Mais c’est un temps plus accepté par la direction si je fais appel à des intervenants.
Et puis c’est hyper important que les élèves rencontrent d’autres gens. Ils ne peuvent pas être toujours en contact avec les profs ! Rencontrer des gens qui vont leur parler d’une autre manière, c’est vraiment intéressant
Qu’est ce qui t’as donné envie de faire Lire les sentiers ?
J’avais un professeur passionné par la géographie du sensible, c’est-à-dire une approche qui ne se limite pas à l’étude de l’espace, mais qui prend en compte la façon dont on le perçoit et le ressent Cette approche permet de créer des liens avec d’autres disciplines et d’intéresser les élèves en partant de leur ressenti pour les amener vers des questionnements plus larges.
Pour moi, faire de la géographie signifie aller dehors Parler de l’espace et des lieux sans
quitter la salle de classe n’a pas de sens Avec Lire les sentiers, l’idée était de consacrer une journée entière à l’exploration du sensible et des émotions, en immersion dans l’environnement J’étais aussi très curieux de voir comment la guide allait construire la balade et articuler ce lien avec le sensible
Enfin, je voulais offrir aux élèves une parenthèse hors du cadre scolaire habituel, et je trouvais particulièrement intéressant de partir du collège pour cette expérience
Qu’est ce qui t’as plu dans la journée de marche ?
Le fait de partir du collège et d’arriver en hauteur avec une vue panoramique, puis de leur faire repérer le collège au loin pour qu’ils réalisent la distance parcourue à pied Ce moment de prise de conscience est toujours marquant.
Mais ce qui fonctionne le mieux, c’est qu’ils aient passé une journée dehors, une expérience qu’ils n’auraient pas vécue d’eux-mêmes. C’est ce qui crée des souvenirs Cette classe était composée d’élèves studieux, mais qui ne se parlaient pas entre eux. La sortie a vraiment débloqué quelque chose En conseil de classe, on est tous d’accord : depuis cette journée, il y a eu un vrai changement Ils ne sont pas tous devenus amis, mais au moins, ils se connaissent.
C’est une expérience que je défends : chaque classe devrait vivre au moins une journée complète de sortie comme celle-ci. Cela développe l’empathie et la bienveillance, désamorce de nombreux problèmes et améliore le bien-être des élèves.
Qu’est ce qui change quand tu fais cours dehors par rapport à la classe ?
Dès que tu les sors de leurs habitudes, il faut refaire les règles. J’ai vu des classes qui ne savaient pas du tout se comporter dehors mais ce n’est pas parce que ce sont des sauvages mais parce qu'ils n’ont pas l’habitude Personne n'est habitué à se balader à 30 dans une ville, donc il est essentiel de rappeler les règles : on reste en groupe, on marche calmement, etc
La différence principale, c’est la question de l’attention Plus il y a de stimuli autour, plus ils vont facilement se déconcentrer, et dehors, tout est un stimulus ! C’est pour ça qu’il est crucial de prendre encore plus de temps pour capter leur attention avant de parler
Enfin, le fait qu'ils soient en mouvement change beaucoup de choses Moi qui les vois généralement assis en classe, cela me permet de les observer autrement En étant dehors, je découvre de nouvelles facettes de leur
personnalité, et je peux les valoriser différemment en fonction de leur manière de se déplacer ou d’interagir dans cet environnement.
Une chose qui t’as surpris ?
L’activité où ils fermaient les yeux et se donnaient la main Je n’imaginais pas qu’ils le feraient aussi facilement, mais ils se sont vraiment impliqués Rien que le fait de se toucher, de se faire confiance, c’est quelque chose de fort À cet âge-là, je n’aurais pas cru qu’ils seraient aussi ouverts à ce genre d’exercice.
Une chose que tu as aimé ?
J’ai aimé le parcours, qu’on prenne le temps de passer dans tout le périurbain, les lotissements et surtout la petite rivière-canal J’ai trouvé ça super bien, c’est typiquement le genre de choses qui les bouscule un peu dans leurs a priori.
● Sandrine, professeure de français d’une classe de seconde
Qu’est ce qui vous a donné envie de devenir professeure ? Quelle est votre approche de la pédagogie en tant qu’enseignante de l’éducation nationale ?
J’ai fait une fac de lettres et un de mes professeurs m’a prise sous son aile en me faisant travailler à l’université. En contrepartie, je devais passer le CAPES pour devenir prof de français A l’époque, j’avais très peur des ados, j’avais d’ailleurs écrit mon mémoire de stage sur une classe d’élèves décrocheurs, que je surnommais “les enfants terribles” . Les premières années ont été très difficiles Mais c’est à ce moment là que j’ai constaté que les élèves m’écoutaient, et c’est comme cela que j’ai pu nouer des relations avec eux
Pour ce qui est de mon approche, j’impose moins de règles qu'avant. J’essaie d’être en relation de confiance avec les élèves, et de maintenir des bons rapports avec les parents C’est très rare que je mette des punitions. Sinon, j’essaie de développer le plus possible leur vocabulaire. J’avais par exemple commencé une séance où ils devaient trouver des synonymes à ‘’présent’’ en début de cours lors de l’appel, et ça avait bien fonctionné
Je me souviens, quand j’étais dans le Nord durant mes premières années au collège, on avait un système très efficace qui n’existe pas ici : lorsqu’on faisait des sorties avec une classe, les professeurs libérés de cours prenaient en charge les autres classes en permanence, ce qui permettait de mieux gérer l’organisation
Y-a-t-il des approches de l’enseignement que vous souhaiteriez mettre en œuvre dans votre établissement actuel ?
De manière générale, je pense qu’on pourrait repenser la manière d’enseigner en évitant de forcer les ados à rester assis 8 heures d'affilée sur une chaise à écouter des professeurs qui parlent On peut mettre en place des solutions au sein des établissements, sans nécessairement libérer les élèves plus tôt. Le rythme de 8h-17h a ses avantages, comme permettre aux femmes de travailler, mais on pourrait par exemple, à certains moments, faire sortir la classe pour une pause à l’air libre en cas de fatigue. Cela leur permettrait de se ressourcer et d’être plus concentrés ensuite
Qu’est ce qui vous a donné envie d’inscrire votre classe à Lire les sentiers ?
Je voulais montrer aux élèves que la littérature n’est pas quelque chose d’abstrait, elle parle de nous. Je voulais leur faire éprouver des choses.
Nous nous sommes d'ailleurs basés sur les haïkus réalisés durant la balade pour un projet d’écriture qui s’appelle Lettre à soi, et qui est lié à un autre projet ADAGE. Nous présenterons ce projet au théâtre de la Manufacture d'Aix-en-Provence au mois de mai La thématique proposée est “Le monde se crée autour de la table" Ça leur a permis d’écrire en mêlant leur expérience de la nature lors de la marche à leurs connaissances de l'actualité et du monde
Qu’est ce qui vous a surpris ?
Le fait que les élèves veuillent manger dès 10h du matin ! (rires)
J’ai été très surprise au moment du passage près des logements sociaux C’est un quartier sur lequel j’avais beaucoup de préjugés, et le jeu qu’Alice nous a fait faire, celui de trouver les visages sur les bâtiments, me l’a fait voir sous un jour nouveau
Qu’est ce que vous avez aimé ?
Je me suis régalée du début à la fin ! J’étais déjà heureuse que les élèves soient positifs et contents même avant la balade J’ai adoré ce qu’a fait Alice, notamment le moment où elle a raconté le conte de la Tarasque et encore quand elle nous a fait faire les haïkus car j’attendais les moments littéraires et je n’ai pas été déçue ! J’ai également beaucoup aimé les interventions d’Alexis sur la feuille d’acanthe et sa présence dans l’architecture classique, c’était très intéressant.
L'ambiance de classe était aussi très bonne, vu que les élèves se connaissaient déjà du collège, ça aide. Ils ont beaucoup aimé faire les haïkus, car ils adorent écrire Même la fille qui s’était mouillé les chaussures dans une flaque au début de la balade a tenu à le faire, et avec beaucoup d’humour ! Ce moment de gêne pour elle a été au final un moment d’intégration, les élèves lui ayant envoyé un message collectif pour s’excuser d’avoir ri de ce petit incident. Depuis, elle arrive même à participer en classe et ses camarades lui laissent le temps dont elle a besoin pour s’exprimer Elle qui était si sensible et timide, a réussi à trouver sa place dans le groupe.
Qu’est ce qu’un·e guide ?
Un·e guide, ou artiste marcheur·euse accompagne les élèves dans leur exploration sensible du paysage. Chaque guide a ses domaines de prédilection en termes de connaissances du territoire (botanique, architecture, légende ) mais tous tes ont en commun de prêter attention à la manière qu’iels ont de transmettre aux élèves les récits inscrits dans les sentiers et les paysages Parvenir à capter l’attention des élèves, leur parler du territoire sans les surcharger d'informations, leur laisser le temps de faire leur propre explorations et bien entendu leur laisser des moments de libre jeu
Les guides
Alice Durot
Spécialité : le dessin
Illustratrice
Alexis Feix
Spécialité : la botanique
Paysagiste et professeur en école de paysage
Sébastien Maufroid
Spécialité : la faune et la flore Guide de montagne et artiste
Caspar Noyons
Spécialité : l’histoire Architecte et artiste
Marielle Agboton
Spécialité : l’ingénierie de jeux
Coordinatrice EAC du Bureau des guides
Raphaël Caillens
Spécialité : l’urbanisme et les jardins Architecte-paysagiste et poète
Les auteurs de ce bilan (en service civique)
Les guides ne sont pas les seuls à mener la balade, puisqu’iels sont accompagné e s des volontaires en services civiques du bureau des guides, à savoir nous-même qui écrivons ce bilan Véritables binômes des guides, nous intervenons en classe avec eux et aidons à encadrer la balade. Cette année nous étions 2 et voici ce que nous retenons de cette expérience
❖ Antoine Yonnet
Au début, je voyais ces balades avec les élèves comme de simples sorties, sympas mais sans plus Mais en réalité, c’est incroyable de constater à quel point ce que je ressens un peu, elleux le vivent intensément. À chaque marche, des histoires se tissent, des drames se jouent, des conflits éclatent et se résolvent… C’est à chaque fois une véritable épopée En tant que passionné de spectacle vivant, ces aventures sont fascinantes à observer Mais au-delà du récit qu’elles me procurent, ces balades ont une importance capitale pour les élèves et même pour les professeurs. Ce n’est pas juste un moment ludique, c’est une étape essentielle dans la construction des élèves C’est l’un des rares instants où ils et elles ont la possibilité de se découvrir, de tisser des liens, de développer de l’empathie Au début, je ne mesurais pas tout ça. Mais en réalité, il y a un « après » auquel je n’assiste pas : le retour en classe, les rencontres qui laissent des traces, la confiance en soi qui grandit chez certain e s Tout cela, je ne le vois pas, mais je sais que ça existe Et ça change tout ! Ça donne envie de devenir guide, de faire pleinement partie de cette aventure pédagogico-ludico-dramatico-socialo-humaine.
❖ Julie Cassaro
Pour moi, la mission Lire les sentiers a été une expérience enrichissante pour deux raisons : La première est lorsque j’ai commencé mon service civique, je venais d'emménager à Marseille, ville que je découvrais pour la première fois Or, au travers de ces balades, j’ai pu sillonner les territoires des Bouches-du-Rhône, des quartiers nord aux massifs montagneux, goûter à des plantes comestibles goût wasabi, écouter les mythes et légendes de Provence, comprendre enfin comment trouver le nord et plus globalement apprendre à connaître l’histoire de ce territoire, dont je ne connaissais absolument rien. Ainsi, malgré le fait que j’aie le double de l’âge des élèves, j’ai appris autant qu’eux de cette expérience, voire plus ! D’autre part, quand je pensais aux sorties scolaires, je m’imaginais quelque chose de très descendant. Or, cette expérience m’a montré que l’apprentissage se faisait dans les deux sens. En effet, j’ai été agréablement surprise par la liberté ludique et créative qu'offrent ces randonnées, au travers desquels les élèves peuvent choisir comment représenter leur réalité De manière générale, j’ai adoré comment la balade leur laissait la possibilité de s’exprimer avec authenticité J’ai pris plaisir à les voir interagir entre eux avec humour et intelligence, s'émerveiller face à la nouveauté, exprimer leur personnalité par le dessin, les poèmes ou les imitations et même réagir avec virulence quand quelque chose ne leur plaisait pas Ces balades m’ont non seulement donné tort, mais elles m’ont aussi fait redécouvrir la sincérité de l’enfance
Un guide qui "capte" l'attention, à Foresta (Marseille) en 2024
En quête d’attention ou réinventer la posture de transmission dans Lire les sentiers
Accompagner les élèves dans des parcours mettant en activité leur sensibilité, percevoir et faire percevoir la vie des territoires, c’est une tâche qui échappe à toute théorisation Chaque marche, chaque classe est unique Cependant, voici quelques éléments qui ont bien fonctionné pour nous Lorsque nous marchons dehors avec trente élèves, il est rare qu’ils nous écoutent spontanément. Les obstacles sont nombreux : soit nous ne parlons pas assez fort, soit ils sont distraits par autre chose, soit ils sont fatigué·e·s Tout cela empêche de se concentrer sur la lecture du paysage En classe, la situation est plus simple : les élèves sont assis, et nous sommes debout. C’est facile de se faire entendre, et même écouter, dans une salle fermée. Mais dehors, tout le monde est debout et en mouvement. Il faut alors revoir les stratégies pour capter leur attention
Nous avons découvert une approche qui fonctionne : jouer avec le bizarre… Ce n’est pas seulement efficace dehors ; une professeure nous a raconté qu’elle lançait un manchot en peluche pour distribuer la parole en classe Un autre professeur avait instauré un mot signal, et les élèves y répondaient en chœur. On peut aussi capter l'attention des élèves en brandissant une antenne télé, ce qui a suffi à sortir les élèves de leur distraction habituelle Ces pratiques évitent de devoir crier ou de chercher l’attention de chaque élève individuellement
La gestion de l’espace est aussi essentielle Plutôt que de créer un groupe compact, nous avons opté pour un cercle En cercle, les élèves se voient et s’entendent, ce qui permet de donner la parole à tout le monde et de favoriser une meilleure attention collective Cela permet également d’éviter qu’un groupe d'élèves se retrouve isolé à chaque prise de parole Ces méthodes visent à réduire la déresponsabilisation que certains élèves ressentent lorsqu’ils sont noyés dans la masse L’objectif est de les impliquer pleinement, de valoriser leur présence et de les encourager à prendre la parole, quelle que soit sa forme Cela aide chaque élève à se sentir en contact avec le paysage qu’il parcourt
Une autre clé de l’attention repose sur la manière dont les guides rendent désirables les savoirs liés aux territoires Plutôt que de leur transmettre des informations de manière unidirectionnelle, les guides favorisent les questionnements des élèves Les questions peuvent surgir à tout moment, et il est crucial de les saisir pour introduire des connaissances, des récits et des notions liées au territoire. Ces questions peuvent toucher des aspects simples en partant des remarques des élèves : “Pourquoi le trottoir est aussi cabossé ? Il me fait mal au pied ” (on peut alors parler de l’aménagement d’une voie piétonne, de la circulation en ville, des travaux, ) , d’une vue : “C’est quoi ces montagnes là-bas ? Pourquoi il y a des trous dedans ?” (cela permet par exemple de parler du nom des massifs, ils peuvent être “troués” par l’eau qui ronge la roche calcaire ou par des carrières), des odeurs : “ ça pue ! Pourquoi ça pue comme ça ?” (on peut parler de la proximité des bâtiments entre eux, des villes depuis Haussmann, du ramassage des déchets ) Chacune de ces interrogations devient une porte d’entrée vers des discussions sur l’aménagement urbain, la géographie, l’histoire locale
Cette approche montre que la connaissance se pratique, qu’elle est engendrée par l’environnement et les interactions que l’on a avec celui-ci On pourrait évoquer la notion d'“hétérotopie” et de “hétérochronie” Une “hétérotopie” est un îlot d’étrangeté dans un monde uniformisé, où le territoire se vit tandis que l’espace se mesure, avec des limites claires. Les guides cherchent à faire percevoir ce mouvement du territoire aux élèves en les confrontant à des altérités
La journée de marche constitue aussi une “hétérochronie”, rompt avec les horaires habituels et propose une temporalité différente Ainsi, quand un e élève nous demande l'heure ou le temps restant, on répond par une approximation, un aspect fluide du temps.
Michel Foucault soutient que c’est à partir des marges que la société reprend un élan de vitalité il en va de même pour les balades pendant lesquelles la classe se découvre dans sa diversité et dans ses multiples potentialités Des élèves se parlent pour la première fois, se touchent, se font rire, se rencontrent et se regardent. Plutôt que de bloquer la signification des êtres dans des définitions fixes, il s’agit de venir se placer dans cet infini rhizome de sens où les significations circulent sans fin pour se relier les unes aux autres Et dans ce rhizome de sens “apprendre à plier dans le mouvement sans le rompre ”1
Bibliographie :
● Deleuze Gilles, Logique du sens, 1969
● Foucault Michel, Des espaces autres, 1967
● Soulèvements de la Terre, Premières secousses, 2024
1 Damasio Alain, La horde du contrevent, 2004
Bilan réalisé en février 2025 par Julie Cassaro et Antoine Yonnet en service civique au Bureau des guides du GR2013.
Contact
• Marielle Agboton Coordination des projets EAC marielle@gr2013 fr
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