Lire les sentiers - bilan automne 2023

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LIRE LES SENTIERS BILAN AUTOMNE 2023

Index I.Lou Plantié ou les bienfaits de l’école buissonnière II.Des chiffres et des cartes III.Marcher : pour quoi faire? IV.Les entretiens V.Quelques réflexions sur le système de notation VI.Souvenirs de sorties culturelles


Lou plantié Frédéric Mistral, “Papeligosse”, Almanach provençal, 1861, cité in Frédéric Mistral, Contes de provence. Collecte choisie et présentée par Françoise Morvan, Editions Ouest-France, Rennes, 2015, pp.41-48.

“De notre temps, le rêve de tous les polissons qui allions à l’école était de faire un plantié. [...] Un plantié désigne, en Provence, l’escapade qui fait l’enfant loin de sa maison paternelle sans avertir ses parents et sans savoir où il va. Les petits provençaux font cette école buissonnière [...], ils plantent là l’école et père et mère ; advienne que pourra, ils partent à l’aventure et vive la liberté ! C'est chose délicieuse, incomparable, à cet âge de se sentir maître absolu, la bride sur le cou, d'aller partout où l'on veut et en avant dans les garrigues ! Et en avant aux marécages ! Et en avant par la montagne !” [Suite]


© Marcel Berry, “Chapitre n°26. Frédéric Mistral”, dans Une semaine avec ... Manuel de littérature pour Collège, Hachette, Paris, 1938.


Nous avons besoin de légendes, de mythes, d’histoires. Certaines se répandent, d’autres périclitent ; quelques-unes sont redécouvertes - en quelque sorte déterrées comme de vieux ossements - ou transmises… et mieux encore, réinvesties. L’improbable croisement entre la vieille légende de l’île mystérieuse de Pamparigouste avec la carte routière Michelin de l’année 2015, a ainsi éclos d’une exploration éco-poétique de l'étang de Berre, suivi d’un laboratoire plastique du même étang. Papeligosse - autre nom de Pamparigouste - faisait déjà trembler le jeune Mistral, bien avant les artistes-marcheurs du Bureau des guides du GR2013. C’est une grand-mère à qui Mistral demande l’hospitalité lors d’une de ses escapades, qui l’effraie avec cette légende. Un mythe est fécond quand il est réapproprié, réincarné, hybridé avec les enjeux de l’époque. Aujourd’hui, la mère-grand en habit de guide continue de transmettre cette légende - sans volonté d’effrayer cette fois - à des élèves lors d’une journée d’escapade sur le sentier du GR2013. Aux histoires de fées et de sirènes s’ajoutent celles des zostères et des styrènes. Et pourquoi pas considérer le programme Lire les Sentiers comme un plantié, une escapade, une école buissonnière dans les plants de vigne, dans les garrigues et les montagnes. Le plantié pourrait être considéré comme une prémisse de l’école-dehors. Une journée passée à comprendre et à explorer l’environnement, la faune, la flore, l’orientation et à planter, littéralement comme métaphoriquement, les graines de végétaux mais surtout du goût pour l’aventure. Une journée pendant laquelle se transmettent histoires légendaires et histoires bien réelles. Une journée pour changer le regard que l’on porte sur ce qui nous entoure. Une journée à marcher. Une journée dehors !

© Frédéric Mistral, Lou Tresor dóu Felibridge ou Dictionnaire Provençal - Français, 1878.


Les chiffres et la carte


Le nuage de mots Chaque intervention débute par un nuage de mots. Les élèves donnent plusieurs mots qu’iels associent au terme « marcher » pour ouvrir leur imaginaire sur la journée à venir. Quelques thèmes reviennent souvent. Ce sont des lieux souvent reliés à la nature : montagne, lac, mer, route, sentier, rivière, terre, forêt, ruine, allée, flaque d’eau, Sainte-Victoire, arbre. Ce sont des sensations : douleur, épuisé, pfff!, ennuyeux, fatigant, digestion, crampes… mais aussi bien-être, bien-être, vivre, odeurs, détente, silence, beauté, aventure. Ce sont des actions : courir, randonner, se balader, avancer, manger, boire, explorer, regarder, jouer, cavaler, parler, vagabonder, écouter, sauter, cheminer, glisser, dégourdir, transpirer, voyager. Ce sont des outils et des objets : jambes, pieds, chaussures, livre, articulation, indications, cairn, trottinette, talon, chaussettes, GPS, boussole, bâton de marche. Ce sont des activités associées : cueillir des champignons, visiter, tourisme. Et puis souvent quelques mots blagueurs : marché du soleil, faire marcher - raconter des salades !

Photo montage de plusieurs nuages de mots sur les tableaux de classe


Les entretiens Avec Alice Durot, guide du programme Lire les Sentiers Un mot pour décrire tes balades de l’automne 2023 ? Surprenantes. Surprenantes parce qu’elles sont beaucoup moins cadrées et prévues que ce que l’on peut croire. Même si on prévoit quelque chose en regardant la carte à l’avance, il y a toujours des surprises, en termes de météo, de passage, de terrain, de groupe… Il y a une réadaptation constante de la balade en temps réel. Entre le jour du repérage et le jour de la balade, il y a souvent des changements. Qu’est-ce qui est le plus important pour toi pendant ces balades ? Qu’on passe un bon moment évidemment. Mais une des conditions pour passer un bon moment, c’est d’arriver à surprendre un peu les enfants. Pour que la journée soit prolifique, il faut avoir montré un petit aspect nouveau. Que ça soit un chemin nouveau, une idée nouvelle, un regard nouveau à la classe. Je l’ai senti à chaque fois, avec des différences selon les classes. Pour Istres, on a moins eu le sentiment d’avoir fait découvrir un nouveau sentier aux étudiant·e·s puisqu’iels le connaissaient déjà, mais je pense qu’on a apporté un regard nouveau, celui de l’analyse de la biodiversité de l’étang de Berre. Que penses-tu que les élèves retiennent ? Que voudrais-tu qu’iels retiennent ? La chose principale que je voudrais qu’iels retiennent, c’est l’idée qu’avec nos simples jambes, on peut partir « à l’aventure », qu’on peut passer des journées amusantes pas loin de chez soi et que le protocole est très simple et apporte plein de choses : des découvertes, des rencontres, des changements d’habitudes… Ce que je pense qu’iels retiennent, c’est qu’iels ont passé une agréable journée à l’extérieur avec leurs ami·e·s et probablement aussi des micro-détails de certaines activités. Iels auront retenu les « principes actifs » et les referont, notamment les activités des yeux bandés ou de la cueillette qui marchent très bien. Quels liens as-tu avec les élèves et avec les profs et comment les améliorer ? J’aimerais avoir un peu moins une position verticale avec les élèves, mais elle est nécessaire par moment pour la sécurité, notamment quand on traverse un canal ou une route. En revanche, entre les élèves un·e à un·e et moi, une relation presque amicale se tisse parce que j’ai beaucoup d’empathie pour elles et eux. Avec les profs, cela dépend. Toustes les profs n’ont pas la même humeur ni la


même implication, ça ne crée pas les mêmes journées. Ce qui fait la différence, c'est la préparation en amont de l’intervention pour faire le lien avec leur programme et mieux les intégrer dans la journée en termes d'encadrement pédagogique. Comment appréhendes-tu le rapport sensible au paysage avec les élèves ? La journée est construite autour d’une balade avec des arrêts. Les arrêts servent à regarder le paysage avec les yeux, mais aussi avec les mains, les oreilles, le nez et les pieds. Le fait de marcher ensemble permet de montrer des choses avec le corps, une montagne, une fleur, un bâtiment, une ligne et permet des interactions spontanées avec les espaces qu’on traverse. Le rapport sensible est aussi porté par l'enthousiasme des personnes qui encadrent le programme Lire les Sentiers. Pour ma part, c'est les plantes qui m'intéressent, je sais que je transmets cette passion et aussi une façon de se rapporter au paysage. Qu'est-ce que tu voudrais mieux réussir la saison prochaine ? J'aimerais théâtraliser un peu plus l’intervention, peut-être en rajouter un accessoire pour créer un décalage un peu comique avec la posture de sachant·e. C'est quoi les problèmes que tu rencontres pendant les sorties ? Le vent est un souci parce que ça perturbe l'attention, fatigue le cerveau et les sens, fait voler les feuilles. Mais bon ça c'est la vie, c'est la météo. La principale difficulté, c’est de gérer un groupe en termes d’autorité, de sécurité en même temps que d’animer la balade. La prochaine fois j’apporterai des bonbons [rires]… Que penses-tu de la marche urbaine avec les élèves ? Marcher dans l'urbain et dans la nature sont aussi intéressants l’une que l’autre. Montrer à un·e enfant les Calanques, sa vue, ses crêtes, ses plantes, son odeur, son calme, etc., c’est super. Montrer à un·e enfant qu'il y a des fermes urbaines au coin de sa rue, qu’il se passe des choses étonnantes autour de l’Etang de Berre alors qu’iel le voit tous les jours, etc., c’est tout aussi formidable. Le principe de Lire les Sentiers, c'est d'ouvrir le regard en partant de chez soi, donc à partir de la ville. Mais chaque balade intègre une séquence “nature”, c’est le passage de l’une à l’autre que je trouve intéressante. C'est quoi ta sortie idéale ? Ma sortie idéale est une sortie qui a lieu une fois par semaine avec la même classe. Pour moi, il faut que les enfants fréquentent davantage ce qu’on appelle le “dehors”. Une sortie régulière permet de développer de vraies relations avec les enfants, c’est le principe de l'éducation populaire. C’est-à-dire qu'à force de fréquenter les mêmes enfants, on se met à saisir leurs difficultés individuelles, relationnelles, familiales. On peut alors devenir des adultes peut-être pas référent·e·s mais en tout cas aidant·e·s et peut-être inspirant·e·s. Nous, ce qu’on veut fabriquer avec Lire les Sentiers, c’est de la familiarité avec notre environnement ; parce qu’une fois qu’on est familier avec, on a envie d’en prendre soin. Prendre soin nécessite familiarité, familiarité nécessite régularité, c’est une équation très simple, non?


Avec Sébastien Maufroid, guide du programme Lire les Sentiers Un mot pour décrire tes balades de l’automne 2023 ? Panorama. Un panorama des niveaux scolaires. Comme expérience pédagogique, c’est assez nouveau. Ensuite, panorama de paysages évidemment. Entre Miramas, les bords de mer, le centre de Marseille, les Chartreux et la Valentine, c’était différent. Les balades étaient très variées même s’il y a quelque chose de commun à toustes les enfants d’une classe. Iels ont souvent les mêmes références, les mêmes marques de chaussures et aussi le même rapport à la randonnée. Qu’est-ce qui est le plus important pour toi pendant ces balades ? C’est que les élèves prennent plaisir. En plus, on n’est pas dans une formulation ni un cadre tout à fait scolaire. C’est évident à dire mais ce qui marche le mieux en éducation, c’est quand il y a de l’envie, de la curiosité, du plaisir, de l’enthousiasme et le fait de marcher dehors procure tout cela. Que penses-tu que les élèves retiennent ? Que voudrais-tu qu’iels retiennent ? Les élèves retiennent sans doute des lieux. Soit dans un sens enthousiasmant, quand ce sont des lieux nouveaux qu’iels ne connaissent pas comme les sentiers de terre et de cailloux, quand il faut mettre les mains sur les rochers ou se frotter aux arbustes. Cela, les élèves le retiennent. Soit, quand iels vont dans des lieux déjà connus ; ce qui change, ce qu’iels y vont dans un autre contexte, celui de la classe, et avec d’autres intentions ce qui crée des souvenirs et modifie le regard qu’on porte sur les lieux, autrement qu’une simple distance d’un point à un autre. Mais ce que j’aimerais qu’iels retiennent avant tout, c’est la curiosité, le goût pour la différence de lieux, la flânerie, les détails architecturaux, les indices qui permettent de relever des histoires dans le paysage… En fait, j’aimerais qu’iels se souviennent du plaisir d’une qualité d’observation. Qu'est ce que tu penses de l'école dehors ? On passe trop de temps à l’intérieur des écoles, c’est une évidence. L’école a un côté bibliothèque. On est au calme pour étudier ; c’est important le calme en ville. Mais c’est dommage de se contenter uniquement de l’aspect bibliothèque, du calcul, de l’écrit, il faut aussi aller dehors. Le sport, c’est de l’école dehors en quelque sorte, on se met en relation avec l’eau, la terre, les autres. Quels lieux pour accueillir régulièrement des élèves qui ne sont pas des écoles ? Peut-être des associations, des artisans, des ateliers ? Dans les pays du Nord, l’école dans les bois essaye de mettre en place cette


idée utopique d’arriver à susciter en premier lieu chez les enfants la curiosité, par du jardinage, des constructions de cabanes, des marches… Mais ça demande des moyens, du temps, de l’encadrement. Comment appréhendes-tu le rapport sensible au paysage avec les élèves ? Tout le monde a un rapport sensible au paysage, sinon on ne pourrait pas le développer. Là où je peux intervenir peut-être, c’est de le souligner. A côté de nous, il y a des enfants qui jouent au foot dans un endroit qui n’est pas prévu pour, c’est une manière de se raconter le paysage et de l’investir. Notre rôle, c’est de pousser la curiosité et faire voir d’autres choses, de multiplier les types de paysages, d’urbanisme, les matières, les reliefs. On donne aussi un petit vocabulaire et ça élargit les possibilités d’usages du paysage. Quels liens as-tu avec les élèves et avec les profs et comment les améliorer ? On se voit le temps d’une journée, ça n’est pas très long. On pourrait partir plusieurs fois avec la même classe. Rien que pour les prénoms, ça marche déjà mieux dès qu’on les connaît. On aurait le temps de mettre plus de jeux dans les sorties Lire les Sentiers, on pourrait aussi créer plus de connivence, de cohésion pour réussir à rentrer dans leur rapport de groupe et de créer une relation de confiance. C'est quoi les problèmes que tu rencontres pendant les sorties ? J’aimerais bien faire crapahuter les élèves de manière plus engagée. Souvent, iels n’ont pas l’habitude des sentiers un peu compliqués, ça pose des problèmes techniques, la peur, la fatigue ou un dénivelé trop important. Mais c’est parce qu’on est à Marseille et qu’on a la chance d’avoir les Calanques, les Goudes, la Sainte-Baume, le Garlaban, l’Etoile et pour qui aime s’éloigner un peu de la ville et aime se perdre, ce sont des super terrains de jeu. Ta sortie idéale ? Ça serait de faire du hors-sentier dans les espaces naturels. On doit réfléchir au projet d’un bivouac avec des élèves. C’est une chose qui me semble importante de vivre le plus jeune possible. Dormir dehors dans une tente, se lever au petit jour, s’organiser en groupe pour le repas, faire l’expérience de l’autonomie. Là on apprend des trucs, on ressent des émotions et on comprend l’utilité des savoirs appris. Dormir dehors permet d’appliquer les savoirs, la géographie, l’orientation dans un objectif tout de suite concret qui est de se sentir autonome.


Avec Carole Joscht, enseignante ayant expérimenté le dispositif Lire les sentiers en 2023 avec sa classe

Un mot pour décrire tes balades de l’automne 2023 ? Ludique. Je repense au haïku et quand les élèves se sont bandé·e·s les yeux. Qu’est-ce qui a été le plus important pour toi pendant la balade ? Qu’il y ait des activités comme celles que je viens de citer qui permettent de faire des pauses mais qui amènent à la fois un temps de réflexion sur ce que les élèves sont en train de faire sans qu’iels s’en rendent forcément compte. Que penses-tu que les élèves ont retenu ? Et que voudrais-tu qu’iels aient retenu s’il y a une différence à ces deux questions ? Je ne pourrais pas dire à leur place. Mais ce que j’aimerais bien, moi, qu’iels retiennent, c’est qu’iels peuvent explorer des endroits seul·e·s qui sont près de chez elles et eux qu’iels ne connaissent pas, en fait le rapport à l’autonomie. Se rendre compte qu’il y a des sentiers qui existent et sur lesquels iels peuvent aller se promener seul·e·s en suivant le balisage. C’était quoi ton moment préféré ? C’est un peu indirect comme réponse mais le moment du pique-nique, parce que les enfants se sont amusé·e·s alors que je pensais qu’iels n’auraient pas envie de s'asseoir par terre par peur de se salir ou qu’iels allaient dire qu’il fait froid, que c’est nul, qu’iels ont envie de rentrer. De les voir jouer à cache-cache dans les oliviers toustes ensemble, c’était assez joyeux et inattendu, c’est le signe pour moi qu’iels ont passé un bon moment. Ta sortie randonnée idéale ? De rester dormir sur place. Là on est en train d’étudier une nouvelle de Jack London avec les 6ème qui s’appelle Construire un feu. Iels étaient hyper excité·e·s à l’idée de construire et de partager un feu, à savoir qui avait déjà tenu un briquet ou des allumettes ! Je leur ai dit qu’on allait en faire un dans la cour de récré (bon ça s’est pas fait au final). Bien que les élèves soient passionné·e·s par les téléphones, les centres commerciaux et les baskets, l'aspect aventure et survie les intéresse également tout autant ! J’ai découvert qu’il y a un petit refuge sur le massif de l'Etoile - le refuge de Palama - il faut voir si c’est assez grand pour accueillir une classe, ça pourrait être intéressant pour une prochaine balade (ou bivouac) !


Quelques réflexions sur le système de notation Le débat sur le système de notation revient régulièrement sur le devant de la scène médiatique. Faut-il arrêter de noter les élèves ? Mais comment attester leurs connaissances ? Comment les orienter ? Par quoi remplacer les notes ? Si le sujet fait beaucoup parler, c’est le statu-quo qui l’emporte pour le moment. Le système de notation français actuel est fonctionnel et ancré depuis de nombreuses décennies. Les différentes tentatives de réformes n’aboutissent pas et cet immobilisme pose de nombreux problèmes. Les problèmes de la notation Les travaux en docimologie (les études statistiques des notes) montrent depuis les années 1930 déjà que la note d’une même copie varie selon le correcteur et peut faire l’objet d’écarts considérables. La note est aussi influencée par les biais sociaux du correcteur. A copie identique, les études montrent que les filles ont de meilleurs résultats que les garçons ; que les élèves redoublant·e·s sont noté·e·s plus sévèrement ; que les enfants de cadres supérieurs sont mieux noté·e·s que les enfants des autres milieux sociaux ; et que le rang de la copie dans la pile influence aussi la note finale. Les mauvaises notes produisent aussi des sentiments forts de dépréciation et précipitent le décrochage ; les rituels de stigmatisation des professeurs lors de la remise des copies sont encore courants. La “constante macabre” P. Merle (2007) montrent que les notes sont le résultat de plusieurs arrangements. Arrangements internes entre le ou la prof et ses élèves : par exemple par la non-prise en compte du contrôle le moins bien réussi, un point bonus pour bon comportement, une pondération favorable, le poids des questions faciles etc. Il y a aussi un arrangement externe, entre le ou la prof et la norme de la distribution des notes attendue d’une classe. Cette norme différencie les résultats d’une évaluation en trois groupes de niveaux équivalents, les bons, les moyens et les mauvais et ce, indépendamment de la valeur réelle des copies. C’est ce qu’A. Antibi (2003) nomme la « constante macabre » : le pourcentage systématique de mauvaises notes, mises inconsciemment sous la pression de la norme du système de notation, ce qui crée un échec artificiel pour les élèves classé·e·s dans le dernier tiers. L’école comme dispositif de sélection Les notes sont loin d’être objectives mais le reconnaître revient en remettre en cause le mythe fondateur de « l’égalité des chances » de l’école de la République. Les travaux de sociologie, notamment ceux de P. Bourdieu, ont bien montré l’importance du capital culturel familial dans la réussite scolaire d’un·e élève. Les élèves ne partent pas avec les mêmes chances de réussir. Pourtant, depuis la Révolution française, les hiérarchies sociales ne sont plus justifiées par le statut, le revenu ou la naissance, mais par le mérite. Et c’est à l’école


que revient la charge d’être le dispositif de tri de la société du mérite. Elle doit orienter et sélectionner les élèves vers leur juste place et pour ce faire, doit mesurer leurs compétences de façon équitable et donc objective. La société du mérite est “une société de la mesure” (Merle, 2007). C’est bien sur la note qui est au centre de ce processus de mesure qui sert de soubassement à la sélection, bien plus qu’elle n’a comme fonction d’attester les connaissances des élèves. Le débat sur la notation devrait s’emparer de son enjeu plus fondamental, celui de la sélection de l’école. L’EPCC L’enseignant·e doit retrouver sa fonction de formation, non de sélection. Pour dépasser les évaluations classificatoires, les recherches en didactiques ont élaboré le concept d’évaluation formative, nommée Évaluation Par Contrat de Confiance (EPCC). Elle repose sur l’encouragement et un climat de confiance, non sur des questions pièges et la concurrence. Son rôle est plus d’évaluer les connaissances qu’à classer les élèves. Une EPCC est par exemple constituée pour l’essentiel d’exercices traités en cours. Autres alternatives En attendant de sortir du paradigme de la sélection, de nombreuses améliorations sont envisageables pour les pratiques de notation actuelles. P. Merle (2007) propose quelques pistes. Il faudrait selon lui recourir à des barèmes de notation, qui permettent aux élèves de mieux comprendre leur note, surtout dans les disciplines littéraires dans lesquelles les élèves ont parfois l’impression d’être noté·e·s à la « tête du client ». Les classes pourraient également mutualiser leurs épreuves d’évaluation. Ce qui par un consensus entre professeur·e·s sur la notation à tenir permet de réduire les incertitudes d’évaluation et d’anonymiser (relativement) les élèves, supprimant ainsi les biais sociaux des correcteurs. Contre ces biais sociaux de notation, il faut tendre vers une anonymisation des copies et la suppression des fiches de renseignements demandées le premier jour de l’année. P. Merle montre l’importance de ces fiches, qui altèrent la notation tout au long de l’année en fonction des renseignements donnés sur les catégories socioprofessionnelles des parents. De plus, il faut pour lui préférer la notation encourageante à la croyance en la note vraie. Si l’on convient que la note est variable, il faut davantage se pencher sur les importants effets contre-productifs que les mauvaises notes induisent. Et bien sûr, pourquoi ne pas s’inspirer des systèmes de notation d’autres pays ? La Finlande tend le plus vers une notation bienveillante, avec une modalité d’évaluation sur 10 points, dont la plus mauvaise est le 4 sur 10. Le 4 signifie l’échec et les notes de 5 à 10 signifient une réussite. Cette notation réduit effectivement la démotivation des élèves. L’EAC Quelles conséquences pour l’Éducation Artistique et Culturelle (EAC) ? L’EAC n’a pas pour vocation de rentrer dans le carcan utilitaire qui se renferme de plus en plus sur l’Education Nationale. Au contraire, les sorties cherchent à transmettre des expériences qui ne sont pas


nécessairement valorisables par des notes car ce sont avant tout des expériences sensibles. C’est le principe développé par le philosophe J. Dewey selon lequel l’apprentissage, pour être approprié, doit passer par l’expérience d’une pratique sensible. C’est une expérience qualitative qui n’est pas forcément quantifiable. L’EAC ne rentre ainsi pas dans le même registre que le système de notation. On ne cherche pas à mesurer une performance de la part des élèves mais à élargir leur conception du monde en les faisant sortir de l’école. L’EAC est une manière parmi d’autres de cultiver des connaissances sans passer par le prisme de la notation… Pour conclure… Si une tendance de l’Education Nationale à changer le système de notation a émergé sous les mandats de N. Vallaud-Belkacem et de B. Hamon, on assiste désormais au retour du paradigme de la sélection. La note sort d’ailleurs des écoles et se retrouve sous une forme étoilée dans les moindres recoins de la vie quotidienne. Après avoir été noté à l’école, à notre tour de noter notre café, notre plombier ou notre cinéma. Nous n'en avons certainement pas fini avec les notes !

Bibliographie : Degiovanni, Clara, “L’extension du domaine de la note”, Publié dans Philosophie Magazine, le 26 août 2022. Dubet, François, « « La légitimité de l’État-providence ne va plus de soi, l’idée du contrat social est en train de se disloquer » », in NECTART, 2024(1), n°18, pp. 8-23, Editions de l’Attribut. Hadji, Charles, “Sortir du faux débat sur les notes à l’école” in Revue technologie, n°202, mars-avril 2016, pp.26-28. Marmouyet, Françoise, “Faut-il continuer à noter les élèves ?”, Publié dans The Conversation le 19 septembre 2022. Merle, Pierre, “L'évaluation par les notes : quelle fiabilité et quelles réformes ?” in Regards croisés sur l’économie, 2012(2), n°12, pp.218-23O, La Découverte. Merle, Pierre, Les notes, secrets de fabrication, PUF, 2007. Sourisseau, Réjane, “La fabrique du commun dans les territoires”, in NECTART, 2024(1), n°18, pp. 26-35, Editions de l’Attribut.


Souvenirs des sorties culturelles Comment améliorer les programmes EAC ? Comment parvenir à captiver l’attention des élèves dehors, à transmettre des savoirs multiples, à aiguiser l’émerveillement, à éveiller le goût pour l’apprentissage tout en sortant du cadre purement scolaire ? Les recherches en didactique proposent de nombreuses pistes, certaines réalistes ; d’autres plus utopiques. Il faudrait probablement associer les élèves aux recherches en didactique et dépasser l’opposition entre les conceptions du monde enseignant et celui des élèves. Pour une petite contribution à ces réflexions, j’ai demandé à cinq ami·e·s de replonger dans leurs souvenirs d’enfance et de me raconter, en essayant de rester fidèles à leurs émotions de l’époque, ce qu’iels en pensaient. Profils : Deux jeunes femmes et quatre jeunes hommes de 20 à 23 ans, toustes étudiant·e·s et sensibles aux questions culturelles, d’origines sociales diverses et scolarisé·e·s dans des établissements divers :

M-E : 23 ans, F, scolarisée à Quito, capitale de l’Equateur

L : 22 ans, H, scolarisé dans la banlieue parisienne

P : 20 ans, F, scolarisée dans la banlieue parisienne

F : 22 ans, H, scolarisé à la campagne stéphanoise

E : 22 ans, H, scolarisé à Angers

Jakob (moi-même), 22 ans, H, scolarisé à la campagne stéphanoise


Types de sorties culturelles : musées, théâtre, cinéma, voyages, visites de lieux, parcs d’attractions, randonnées, sorties géologiques. Les sorties sont avant tout, un moment de partage avec ses camarades de classe en dehors du cadre scolaire. C’est ce qui ressort largement des cinq entretiens. Si le fond de la sortie n’est pas forcément intéressant, c’est le partage d’une journée ensemble qui est important. Sortir toustes ensemble en dehors de l’école est très rare, c’est le moment de se découvrir autrement, de sortir des relations scolaires, de l’ordinaire, de sortir de l’école où les relations sont très surveillées, restrictives. Dehors, tout est possible ensemble ! C’est parfois l’occasion d’échapper à la surveillance et de vivre une micro-aventure à plusieurs à l’écart des enseignants. Les sorties scolaires fabriquent des souvenirs communs dont on se souvient souvent par la suite. L’expérience de l’autonomie. Exemple du musée : au lieu de suivre un·e guide qui explique quelques tableaux, L. raconte qu’il préférait être lâché en groupe avec un questionnaire et devoir chercher lui-même les réponses parmi les œuvres pendant l’exploration du musée. « Ce qui est chouette, c’est d’être laisser tranquille, d’être avec des ami·e·s dans un endroit un peu chiant. De faire un jeu en groupe, de courir dans le musée à la recherche de réponses ». Selon lui, on ne retient pas grand-chose des discours prononcés par les guides et les intervenant·e·s, mais on apprend un peu plus par l’autonomie et les activités ludiques. Davantage d'extérieurs et de diversité. Selon L., souvent, les sorties culturelles ne parlent pas trop aux jeunes. Il faudrait continuer à les emmener aux musées mais aussi voir des choses qui leur parlent, comme des expositions sur les mangas, aller à des évènements musicaux, aller aussi au théâtre et au cinéma, mais en essayant de diversifier au maximum les sorties. Il regrette notamment d’avoir presque exclusivement été aux musées dans le cadre des sorties culturelles. P. se souvient qu’elle ne comprenait pas le théâtre mais que c’était amusant d’y aller avec ses ami·e·s. Elle préférait de loin les activités ludiques et bien sur les voyages. E. se souvient de nombreuses sorties au cinéma, au théâtre, au Puy-du-fou. Mais il regrette de n’avoir quasiment jamais été dehors, dans la nature, jamais « de sorties juste pour sortir ». Étrangé au milieu du monde de l’art, pour F., les sorties culturelles étaient très riches. C’était toujours un “émerveillement” de pouvoir découvrir et voir des spectacles de cirques, de patins sur glace, de visiter des studios d’enregistrement, etc. Associer les élèves à la préparation des sorties. E. se souvient qu’il aurait aimé être consulté pour le choix du film et de la pièce de théâtre. Le souvenir du non-choix est partagé par les cinq personnes interrogées. P. se souvient qu’elle avait de nombreuses sorties culturelles parce qu’elle était scolarisée en zone REP+. Pourtant elle regrette que les sorties excluaient les élèves au « mauvais comportement », perpétuant ainsi les inégalités structurelles. Le tri des élèves débutait ainsi dès la primaire ou le collège par l’exclusion de certains élèves aux sorties culturelles. La découverte et l’aventure. Les sorties qui marchent le mieux sont celles qui emmènent les élèves loin et proposent une aventure. M.-E. se souvient en particulier des nombreuses sorties en Equateur à la maison des Condors, dans la Cordillères des Andes, en Amazonie, marquées par de nombreux souvenirs liés à la découverte commune d’endroits singuliers. E. se souvient des moments ludiques au Puy-du-fou comme d’aventures épiques. Pour F. en revanche, les sorties culturelles se sont peu à peu transformées au fil de l’âge. Il allait moins dehors, les sorties étaient plus fermées, tournées vers des savoirs académiques et non plus à la découverte, vers quelque chose d’utilitariste.


F., unique interrogé ayant grandi à la campagne, rapporte ses souvenirs liés aux randonnées de fin d’année, dont il se remémore comme d’un réel apprentissage au rapport sensible au territoire. « On passait devant les maisons de mes camarades, ça construit un rapport fort au territoire ». Pour lui, il faut sortir les élèves. Il regrette qu’on connaisse si peu son environnement. Il insiste sur le fait d’emmener les enfants dehors, il adorait explorer les environs de l’école. C’est « quelque chose de très important pour la construction d’un enfant, de s’approprier le territoire où il vit et de le comprendre. Ça aide à se comprendre soi. Et c’est important ». Et pour moi ? Je me souviens des sorties comme d’un moment de partage avec les copains. C’était le plus important. Un moment où l’on peut s’échapper de la rigidité de l’école. Les sorties étaient toujours merveilleuses en ce qu’elles nous sortaient du quotidien scolaire très répétitif. Toutes les expériences faites dehors élargissent vraiment notre imaginaire, je m’en souviens encore mais elles sont surtout amplifiées par le fait de les partager avec d’autres ami·e·s et de savoir que l’on partage le même moment. C’est des moments de sociabilité très importants parce qu’on voit des camarades de classe parfois pour la première fois en dehors du cadre de l’école. Pour D. Pasquier (cité in Langeard and Bordeaux, 2024 : 39), “l’activité culturelle est recherchée en ce qu’elle génère du lien social et permet la création d’une communauté d’expérience émotionnelle”. Resserrer les liens et créer des amitiés au sein de la classe, pour moi, c’était l’essentiel pour passer une bonne scolarité. Bilan réalisé en février 2024 par Jakob Hottner en service civique au Bureau des guides du GR2013.

Contacts • Marielle Agboton Coordination des projets EAC marielle@gr2013.fr

• Noémie Behr Administration noemie@gr2013.fr S’inscrire à la lettre d’information autour des projets d’éducation artistique et culturelle du Bureau des guides → http://tiny.cc/z17suz


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