MICROPOLITIQUE DES GROUPES David VERCAUTEREN

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25 Il y a aussi, en juillet 1956, à quelques kilomètres, l’ouverture d’une nouvelle clinique à Fressange. Pendant un an, une circulation permanente va se réaliser entre les deux cliniques. Deux inventions organisationnelles vont se produire à Fressange. L’une consiste en la mise en place d’une réunion quotidienne du secteur des moniteurs, l’autre passe par la fabrication d’un dispositif de gestion collective des tâches et des personnes, dénommé « grille ». « Une instance de ce type devient nécessaire dès lors que les postes de travail et les personnes ne sont plus dans un rapport fixe et stable. […] Plus qu’un simple outil d’enregistrement de l’organisation du travail, cette grille nous apparaît comme un élément adjacent à la désorganisation qu’introduisent les tours de rôle. » En juillet 1957, une rupture s’opère entre les deux cliniques : les « labordiens » quittent Fressange, sans pour autant laisser tout derrière eux. Ils importent à La Borde les deux dispositifs organisationnels et une question, celle de l’égalisation des salaires. Cette année-là, le salaire du personnel de service est augmenté de 15 à 20 %. « Désormais, matériellement, les deux catégories sont sur le même plan. […] Les statuts économiques sont égalisés, pas encore les statuts professionnels. » L’arrivée de la « grille » à La Borde va offrir un levier au groupe : il lui permettra de briser petit à petit le cloisonnement des secteurs et d’assurer un début de mobilité entre les postes. Nadine par exemple, responsable générale de la grille, se balade entre les réunions du personnel des services et celles des moniteurs. « En se déplaçant d’une réunion à l’autre, Nadine joue le jeu, bouscule les limites, matérialise le déplacement de la problématique générale (celle du décloisonnement), tout en déplaçant les termes mêmes des problèmes qui se posent. Donner un coup de main au service de table à l’occasion d’un congé devient, pour les moniteurs, connaître les problèmes d’organisation, communiquer avec l’autre catégorie de personnel. Un circuit d’échanges et de paroles se constitue. Tâches, espaces et personnes se croisent et se chevauchent. » Les frontières entre les tâches commencent également à s’amenuiser ou à être questionnées. Par exemple, les plateaux qu’il faut monter aux malades alités : « Ces plateaux font partie de deux systèmes : il appartient à la cuisine de les préparer comme il appartient à la personne de soin de monter les plateaux aux malades alités dans leur chambre. […] Mais le moniteur affecté aux plateaux est la plupart du temps occupé ailleurs, il néglige souvent de préparer les plateaux et encore plus souvent de les rapporter à la cuisine. À partir du moment où Georgette confectionne les plateaux, à partir du moment où elle monte les chercher dans les étages, tout en protestant, elle entre dans les domaines du soin : elle rencontre les malades… Ce qui n’est pas sans valeur thérapeutique. » Ce glissement dans les tâches est pour l’instant vécu par Georgette « comme un simple surcroît de travail, qu’elle accepte ou qu’elle n’accepte pas ; elle aurait pu très bien protester à la réunion du personnel technique. » Mais ce qui est significatif de ce glissement, c’est qu’au lieu d’aller gueuler là, elle va protester à la réunion des moniteurs. Une nouvelle frontière saute. Et « puisque Georgette fait le travail d’un moniteur, un moniteur ne pourrait-il pas venir deux heures à la cuisine le soir aider Georgette pour le service de table ? Inversement, Georgette ne pourrait-elle pas, puisqu’elle confectionne les plateaux, les monter aux malades alités et les faire manger ? » La porosité s’installe entre les tâches et les fonctions, les patients s’y engouffrent : on les voit participer au nettoyage ou à la vaisselle, devenir responsables des voitures…

3. LA

BASCULE


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