Ça ne m'étonne pas qu'on ait toujours perdu la guerre

M athilda M olinari

Ça ne m’étonne pas qu’on ait toujours perdu la guerre Ou le journal d’une déception annoncée...

Ça ne m’étonne pas qu’on ait toujours perdu la guerre Ou le journal d’une déception annoncée...

© Mathilda Molinari, Ça ne m’ étonne pas qu’on ait toujours perdu la guerre, 2014.

Mathilda Molinari

Ça ne m’étonne pas qu’on ait toujours perdu la guerre Ou le journal d’une déception annoncée...

Cette histoire est inspirée de faits réels.

Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé est possible.

Ce roman est une création qui a le but de divertir par sa lecture.

Toute réalité est, de fait, différente selon qui l’observe.

Ceci n’est qu’un livre.

Ce livre a été possible grâce aux rencontres extraordinaires que suscite le vouloir. À mon mari, mes enfants, mes sœurs et mère. À toutes les personnes qui ont inspiré cette histoire et que j’aime. À toutes celles qui ne l’ont pas inspirée et que j’aime également. À Héloïse Letissier et Paul Van Haver.

Quand je l’ai rencontré, je l’ai très rapidement entendu dire : « Ça ne m’étonne pas qu’on ait toujours perdu la guerre… » Je ne comprenais pas bien ce que ça voulait dire.

Maintenant je sais.

Moi aussi… je suis fonctionnaire.

HERVÉ

Il s’appelle Hervé et on s’est rencontrés ici.

Dans cette ville, dans ces bureaux, dans cette administration.

Pas n’importe laquelle avec ça.

Celle des sapeurs-pompiers.

Une grande famille qu’ils disent.

Je suis arrivée là, il y a sept ans.

Avec ma détermination et mes illusions.

Je pensais être une executive woman.

J’avais des ambitions plein la tête.

De l’énergie à revendre.

Aujourd’hui, je m’ankylose, et même je m’enkilose.

Je couve un ulcère et j’ai le teint blafard.

Je viens bosser à reculons.

Et je connais mieux les programmes de la machine à café, Que ceux de mon ordinateur.

Il s’appelle Hervé et on s’est rencontrés ici. Ça non plus, ça n’a pas été de tout repos.

Parce qu’il en est.

De cette grande famille.

Qu’ils disent.

Pour comprendre comment j’en suis arrivée là.

Faut connaître le chemin parcouru.

Et lui non plus, il n’a pas été de tout repos. Ça fait dix ans. Ça fait cent ans.

C’était hier.

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PARISIANISME

J’ai 20 ans.

Je sors d’une école de communication.

Une grande expérience.

Faites des études, qu’ils disaient.

Un grand gaspillage.

Ce n’était pas le premier, mais je ne le savais pas encore.

J’avais perdu autant d’énergie que d’argent. À dérouler la longue litanie des cours aux noms improbables.

Tout devient scientifique.

Tout devient littéraire.

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Pas un cours dont l’intitulé ne soit simple.

Pas un cours dont le contenu ne soit consistant.

Un long défilé de paraîtres.

Une longue parade de faux semblants. À croire qu’on apprenait à devenir parisiens.

On s’embrasse.

On se dit « tu ».

On brasse de l’air et on ne fait rien.

Du moins, pas grand-chose.

J’aurai dû me méfier !

J’ai donc suivi des études de communication.

Ou c’est plutôt elles qui m’ont suivie.

Car j’ai, à peu près, fait ce que j’ai voulu.

Mais je n’ai pas voulu très longtemps.

Deux ans, c’était suffisant. Qu’ils disaient.

Aujourd’hui, avec mon bac +2, Je ne peux pas prétendre à grand-chose.

Si. Une ligne de plus sur mon CV. Pour ce qu’ils allaient en faire.

J’aurai dû me méfier !

J’ai passé mon dernier examen un jour de juin.

Dernier oral.

Dernier départ de Bordeaux.

La voiture pleine de tout ce que l’on entasse.

Du futile à l’inutile.

Il ne me reste, de ces années-là, que le souvenir des excès.

Excès de confiance.

Elle te jette dans la fosse aux lions.

Excès de fêtes.

Elles t’abandonnent dans la jungle urbaine.

C’est étonnant ce qu’un appartement de 15 m² peut contenir.

Tassés sur le canapé-lit, La table de nuit devient le rendez-vous de nos apéros quotidiens.

Tout est prétexte à de grands n’importe quoi.

La bière est un soda. Les curly sont des légumes.

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BORDEAUX

Les rues illuminées marquent le chemin du retour au domicile temporaire.

Les klaxons et les cris dessinent l’itinéraire.

Le slalom se fait entre seringues et restes de sandwichs écrasés.

L’ivresse ne rapproche personne.

Elle efface les indices.

Certains s’effondrent dans un lit de fortune suédois.

D’autres s’affalent dans un caniveau bordelais.

Quand tous se plaignent de leur quotidien.

Ce n’est pas la même vautre quand le sommeil nous tient.

Ce n’est pas la même gueule de bois quand l’éveil revient.

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Les grands marchés multiethniques.

Les pharmacies 24 h/24 h.

Le désordre et le bruit.

Sont autant de mécaniques découvertes en ces temps.

La vie étudiante m’aura apporté un nouvel éclairage.

Néons grésillants et spots de pubs.

Force du nombre et poids de l’individualisme.

Trésors des façades et richesse en façade.

Pauvreté des trottoirs et pénurie de cœur.

La vie étudiante m’aura apporté… la ville.

Moi qui suis champêtre, rurale, campagnarde.

Fleurie, fanée, plantée.

Naïve et utopiste.

Solitaire et esseulée.

Qui suis un peu de tout, beaucoup de riens.

Je cultive les paradoxes.

Entretiens le borderline.

Souffre des désillusions.

Souffre des illusions.

La réalité est si abrupte.

Il ne me reste qu’à prendre.

Apprendre.

Entreprendre.

La vie étudiante m’aura apporté le temps.

Celui de comprendre.

Que rien n’y fera.

Ce n’est pas parce qu’ils sont nombreux à avoir tort qu’ils ont raison.

Qu’il disait.

Je vais en faire l’expérience, l’expérience d’une vie.

Moi, Lola.

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PREMIER JOB

J’ai quitté l’université comme on quitte un homme.

Sans me retourner, sans regretter.

Avec la juste dose de courage pour ne pas m’attacher.

Ni au confort matériel ni à la sécurité d’être deux.

Avec la juste dose pour me détacher.

Au lendemain des examens, On m’attend pour une saison.

Un été.

Rien de plus.

Dans un parc national.

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À l’étage des archives.

Au sous-sol de la fonction publique.

Au plus privé des arcanes de l’état.

On empoussière.

On oublie.

Destinée à ranger dans des boîtes, L’histoire de quelques hommes, Qui ont voulu préserver un bout de nature.

Retenus par l’illusion qu’ils avaient un rôle.

Un devoir à jouer.

Flanqués de leurs velours, Leurs barbes blanches cachent les lignes Du temps qui passe et laisse une marque.

Quelques anciens de nos villages.

Que je connaissais, avec qui j’ai grandi.

De leur vision du monde, Leur envie de protéger quelques arbres, rus et bâtis, Ils ont construit une administration.

Et rangent son âme, sans le savoir, Dans des cartons, dans un dépotoir.

Je serais devenue le bras armé de la mise au placard, Du combat de quelques-uns.

Au nom de l’argent d’un été, De l’honneur de mes parents.

Qui se congratulent de l’émancipation de leur enfant.

Je trahirais la mémoire de ma terre.

J’enfermerais aux archives, La passion de mes aïeuls, Faire reconnaître ce patrimoine d’exception.

Mon marais.

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MARAIS

Mon îlot de verdure.

Du vert de l’eau.

Au vert des cieux.

Du vers des maux.

Ou vers des mieux.

Si je suis née quelque part, je ne sais trop où.

Je ne suis pas mal née.

Je ne sais juste où, ni même qui.

Manque doux du qui m’aime.

Même si je ne suis pas mal aimée.

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Remontons encore un peu.

Avant là où le marais me berça.

Avant l’an où je le découvris.

Où il me sauva.

Où je m’en épris.

SEVENTIES

Mes parents se rencontrèrent dans un Paris lointain.

Le « chiche » de plus qu’un.

Une mise trop lourde.

Trop de risque. Échec.

Dans un Paris entre deux eaux.

Scène de mille vies.

Le cœur entre deux rives.

Ils ne savaient pas nager Et sont montés dans le même bateau.

Au risque de dériver.

Aux troubles ancrages s’attarder.

Ce n’est pas d’eau que leurs 20 ans se sont faits.

Mes parents se rencontrèrent dans un Paris ancien.

Utopie d’un siècle où ils n’ont pas vécu.

Coincés entre l’insurrection et l’insouciance d’un Paris cliché, D’une génération égarée entre la révolte de leurs pères, Et la révolution de leurs mères.

Une génération qui s’est finalement prise au sérieux.

Mes parents se sont restés.

Revendiquant 68 comme un évènement.

L’enthousiasme d’alors les a un peu perdus.

Leur a fait perdre surtout l’idée même du soulèvement.

Ils niaient leur éducation.

Comme si tout cadre était rigide.

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