Nota numéro 1

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Pop cultures

nota n°1

février – juin 2022

L'émancipation par le karaoké — ateliers avec Amal Alpha Pas facile de monter pour la première fois en solo sur la scène d'un karaoké, de se saisir du micro et de se lancer. Pas facile, même pour Amal Alpha, qui chante pourtant, depuis toute petite, dans des formations chorales. « Femme queer algérienne née en France et grandie au Mexique, chercheuse en neurosciences, actuellement en études de traduction », comme elle se résume en faisant le tour de ses identités, Amal a la révélation du karaoké aux États-Unis. Elle officie aujourd'hui comme KJ ou karaoke jockey sur les scènes genevoises, animant des événements queeraoké ou karaopo et des ateliers où on se réapproprie des tubes en réécrivant leurs paroles. Ouverts à tout le monde, le queeraoké et l'atelier d'écriture « Ah zut, c'est ça les paroles ? » aux BM proposent un cadre où on peut monter sur scène sans craindre le jugement d'autrui, ainsi qu'un moment de déconstruction et de réappropriation jubilatoire de la pop culture. Quelle est votre histoire avec le karaoké ? « Pendant mes études en France et en Suisse, il m'était arrivé de m'y essayer. C'était la situation typique, celle d'un groupe de potes ivres qui montent sur scène en bande pour se donner du courage et qui beuglent n'importe comment sur une chanson… Après, je suis partie vivre à Oakland, en Californie, où j'ai découvert une culture de la performance et un rapport au jugement très différents. Les gens n'hésitent pas à monter sur scène et à faire leur truc en sachant qu'ils auront le soutien du public et que tout ce qu'ils feront sera jugé super. C'est là que j'ai réalisé à quel point j'étais inhibée. Je n'arrivais pas à faire le pas, alors même que je chantais depuis toujours… J'ai commencé à fréquenter les karaokés animés par Dana, une femme trans qui en organise un peu partout dans la Bay Area (Oakland, Berkeley, San Francisco), et c'était génial. Elle réussit à créer un cadre où des personnes dont on sent qu'elles ne sont pas méga à l'aise socialement, un peu inhibées, anxieuses, ou à qui on ne donne pas de place dans la société en raison de leur identité queer, racisée ou neuroatypique1, montent sur scène et font des performances hallucinantes, indépendamment du fait qu'elles sachent chanter ou pas. Cette manière de créer de l'échange, de la communauté — celle que j'appelle affectueusement queerdos, à la fois queer et weirdos, c'est-à-dire atypiques, dans les interstices de nos mondes —, c'était assez merveilleux. »

i « Ce qui se passe dans un karaoké, c'est que tout le monde voit s'afficher les paroles à l'écran, et c'est souvent à ce moment-là qu'on réalise ce qu'il y a dedans ». Amal Alpha dans la peau de « Burney Spears » en 2020 (© Laxatif's)

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Comment avez-vous développé votre façon particulière d'être karaoke jockey ? « De retour en Suisse, en 2016, je me suis dit que cette approche du karaoké comme espace de libération manquait par ici. J'ai commencé à animer des queeraokés avec un collectif appelé Queer Fish, mais


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