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Comment la pop culture créa le monde (et vice-versa)
from Nota numéro 1
by genevebm
Fukubukuro
L’archipel des surprises pop
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i © Dylan Gonzales / Pixabay / CC
Dans le catalogue des BM
Mathieu Rocher Japop' : tout sur la popculture japonaise !
Paris : La Martinière Jeunesse, 2019 Mathieu Rocher Le Japon raconté aux enfants
Paris : La Martinière Jeunesse, 2021 « Sac à bonheur ». C'est ainsi que se traduit, littéralement, le mot fukubukuro, qui désigne les pochettes-surprise vendues les premiers jours de l'an au Japon, remplies d'objets qu'on achète les yeux fermés à des prix cassés. C'est ainsi, aussi, que ce pays apparaît au reste du monde à travers ses pop cultures : comme un réservoir de trouvailles irrésistibles, avec lesquelles on s'éclate sur la Terre entière, même lorsqu'on ne comprend pas très bien de quelles histoires elles sortent et pourquoi elles nous font cet effet.
Parmi les manières de plonger là-dedans, en voici trois (en ordre non chronologique) : une immersion dans le Japop'avec le journaliste français Mathieu Rocher, une exploration de l'univers Godzilla et de ses ramifications dans l'histoire du pays, et un atelier de création de personnages kawaii destinés — qui sait ? — à une trajectoire potentiellement planétaire, avec Luan Banzai.
Mathieu Rocher, plongée en « Japop »
Une première façon de partir en immersion est celle de Mathieu Rocher, journaliste français qui atterrit, quelque part au cours des années 2010, dans l'agglomération de Tokyo, la mégapole la plus peuplée du monde. « Quand, pour la première fois, j'ai aperçu la ville au loin dans la voiture qui me conduisait depuis l'aéroport de Narita, je n'ai vu que d'immenses bâtiments gris rectangulaires qui s'apparentaient à des gaufriers géants. Où étaient les couleurs ? », se demande-t-il au début de son livre Japop'. Et puis ? « Et puis la voiture a plongé vers la rue, et le voyage a commencé. Un Kamé Hamé Ha de sensations pop s'est alors déchaîné », poursuit-il. (« Kamé Hamé Ha », au cas où, se traduit littéralement par « Vague destructrice de la tortue » et désigne une technique de combat inventée dans le manga Dragon Ball, consistant à faire des dégâts à l'aide d'une décharge d'énergie qu'on produit avec son propre corps.)
Face à cette déferlante, Mathieu Rocher plonge, jubile, se pose des questions. Pourquoi, par exemple, Mario, le héros de jeu vidéo le plus connu, a-t-il une moustache ? Parce que lorsque le personnage est introduit, sous le nom de « Jumpman », dans le jeu d'arcade Donkey Kong au cours de la lointaine année 1981, « la machine ne permettait de créer que des graphismes avec des gros pixels. Le mouvement des cheveux et de la bouche était trop difficile à animer. Il fut donc décidé d'ajouter une casquette et une moustache pour les cacher ». Voilà. Et pourquoi la profession attribuée à Mario est-elle celle de plombier ? Parce que dans le jeu Mario Bros (1983), « les ennemis arrivent par des tuyaux ». Tout s'explique.
Les tuyaux, ces couloirs du monde souterrain, font peut-être écho à l'histoire personnelle du créateur de Mario, Shigeru Miyamoto. Le développeur est embauché en 1977 chez Nintendo, petite société spécialisée jusque-là dans les jeux de cartes, où il met au point les premiers jeux vidéo en mobilisant, parfois, d'anciens souvenirs. « Enfant, il adore explorer seul les alentours de la maison familiale. Le terrain de jeu est généreux en prés, lacs, forêts… Un jour, il découvre une grotte dans une colline voisine. Le voilà parti lanterne à la main et des frissons plein la nuque. L'exploration de cette grotte va le marquer durablement et lui donnera des idées quelques années plus tard », raconte Mathieu Rocher. Après la tuyauterie de Mario, l'imaginaire du sous-sol se déploiera largement dans un autre univers de jeu imaginé par Shigeru Miyamoto, celui de The Legend of Zelda, inauguré en 1986. Avec sa « déambulation en zone “Japop” », Mathieu Rocher se donne pour mission de « faire expérimenter ce que le Japon a de plus distrayant… et de plus profond ». Comme les aventures des personnages dans ses jeux, l'histoire de la pop culture japonaise se déroule en effet sur deux niveaux, l'un à la surface, l'autre dans l'épaisseur du passé. Chaque chose, dans cet univers, a une racine plus longue qu'on ne le croirait, et il n'y a peutêtre pas de rupture entre les raffinements de la culture japonaise classique et les chatoiements de sa culture pop, entre l'ikebana (l'art traditionnel de la composition florale, introduit par des moines bouddhistes il y a un millénaire et demi) et le manga.
Ainsi, « la première grande série de manga fut signée de l'artiste Katsushika Hokusai, à qui on doit la célèbre estampe La Grande Vague de Kanagawa. Dès 1814, Hokusai publie ses carnets de croquis, qui illustrent la vie quotidienne des Japonais (scènes de bains, lutteur de sumo etc.) », note Mathieu Rocher. La proximité entre le fantastique et l'ordinaire, le majestueux et le trivial, le naturel et le numérique… tout cela est peutêtre, notons-le au passage, une des caractéristiques frappantes et séduisantes de la culture japonaise, pop ou pas pop.

Conférence Ma 15.3/ 18h30
Godzilla, icône pop
Conférence de David Javet
→ BM Saint-Jean ○ Adultes dès 16 ans
Durée : env. 1h30 ▷ Inscription saintjean.bmu@ville-ge.ch
Rencontre Me 6.4 / 17h
Êtes-vous plutôt Shōjo ou Shōnen ?
Rencontre autour des mangas avec Mathieu Rocher
→ BM Saint-Jean ○ Jeune public dès 10 ans
Durée : env. 1h15 ▷ Inscription saintjean.bmu@ville-ge.ch
Rencontre Sa 9.4 / 14h30
Japop' avec Mathieu Rocher
Tout sur la pop culture japonaise ! → BM Servette ○ Jeune public dès 10 ans
Durée : env. 1h15 ▷ Inscription servette.bmu@ville-ge.ch

i © Shadman Samee / Wikimedia Commons / CC
David Javet, enquête sur Godzilla
Imaginez : vous êtes étudiant, vous avez quitté Lausanne pour vous installer pendant une année au Japon, vous suivez des cours dans une université à Tokyo et vous menez une enquête, en parallèle, sur la façon dont le gouvernement japonais a adopté la culture pop pour en faire un élément central de l'identité nationale1. En mars 2011, qui correspond pour vous à la mi-séjour, la terre tremble dans la région de Tōhoku, à 300 km de la capitale. C'est un séisme de magnitude 9,1, la plus élevée jamais enregistrée dans le pays. Le tremblement de terre déclenche un tsunami, qui atteint une centrale nucléaire dans la préfecture de Fukushima et provoque une catastrophe radioactive aux retombées mondiales. Que faites-vous ? Vous vous tournez vers Godzilla.
C'est en tout cas ce que fait David Javet. Game designer, cofondateur du groupe universitaire d'étude sur le jeu vidéo GameLab UNIL-EPFL, chercheur en études japonaises et en cultures numériques, le jeune universitaire se lance alors dans une exploration au long cours de la science-fiction produite au Japon, entre utopie technologique et imaginaire catastrophique, qui sera le sujet de sa thèse de doctorat, achevée en 20202. L'enquête le met donc sur les traces de Godzilla, monstre colossal qui surgit de son oubli préhistorique pour venir piétiner Tokyo dans chaque film où il apparaît. En amont de cette créature, la piste le conduit également à l'un des tout premiers mangas modernes, Astro, le petit robot.
Créé en 1951, ce récit « raconte l'invasion de la Terre par des extraterrestres qui se trouvent être les exactes répliques — à l'individu près — de l'espèce humaine : chaque envahisseur possède en effet le même corps et les mêmes caractéristiques que son “correspondant” humain ». Le seul Terrien qui n'est pas dupliqué est Astro, « un enfant robot construit par le docteur Tenma à l'image de son enfant mort dans un accident », résume David Javet dans une étude intitulée « Manga et science-fiction au Japon » 3 .
Heureusement, Astro parvient à rétablir la paix et les aliens s'en vont. Mais un paradoxe se niche dans son cœur : « il est protecteur de l'humanité et de la Terre, mais son énergie, sa “vie”, provient du nucléaire. Le petit robot tire en effet sa force formidable d'un réacteur nucléaire logé dans son torse ». Astro — qui s'appelle d'ailleurs « Atom » dans la version originale — carbure donc à la même énergie que les bombes atomiques larguées sur Hiroshima et Nagasaki en 1945, porteuses d'une destruction que personne sur Terre n'avait encore subie. Comme si une des manières de traverser le traumatisme cataclysmique de ces bombes consistait à se raconter des histoires où la puissance dévastatrice de l'atome se convertit en élan de vie. En ce sens, Astro remplit la même fonction que Godzilla, mais à l'envers.
Qu'en dit David Javet ? « Gojira (Godzilla, 1954) des studios Tōhō peint sur grand écran la (re-)destruction de Tokyo, cette fois non plus sous les bombes mais sous les pieds d'un dinosaure géant, réveillé par des tests nucléaires. Le succès international du film et de ses suites va ouvrir la voie aux récits de monstres géants (kaiju) (…). La signification symbolique de tels récits est évidente : les séries de monstres et de robots géants permettent aux Japonais de “reprendre le contrôle” sur la destruction nucléaire qu'ils ont subie », analyse-t-il dans « Manga et science-fiction au Japon » .
Ainsi, dans le Japon de l'après-guerre, les mangas et les films de science-fiction contribuent à façonner l'imaginaire qui est à l'œuvre dans les débats sur le futur du pays, entre terreurs technophobes bien compréhensibles et discours optimistes prônant la « reconstruction nationale par la technologie ». D'un côté, la menace Godzilla, celle d'une technologie qui réveille la monstruosité de la nature. De l'autre, la promesse Astro/Atom, celle d'une machine toute choue, d'un personnage mascotte qui incarne, selon les termes de David Javet, « le souvenir rêvé d'une technologie innocente et pure » . Les pop cultures japonaises, le « cool Japan », comme on l'appelle dans les milieux politiques et économiques qui travaillent l'image de marque du pays, héritent ainsi à la fois des méchants monstres et des gentils robots, deux faces d'une même pièce. Les Godzilla, les Astro et leurs descendantce contribuent à faire rayonner le Japon dans le monde, consolidant le soft power du pays, comme on dit, c'est-à-dire sa puissance de séduction culturelle. Même si en réalité, comme le remarquait David Javet dans son mémoire de Master sur ce sujet45, « les cultures populaires à succès au Japon n'appartenaient en aucun cas uniquement à un pays mais étaient plutôt l'expression d'une globalisation des échanges particulièrement dans la zone de l'Extrême-Orient ». Autrement dit,
le Japon cartonne en s'appropriant les cultures pop produites autour de lui. Un phénomène typique, probablement, des pop cultures en général, qui sont toujours le fruit de mélanges, d'appropriations, et de généalogies aussi étranges et compliquées que celles des monstres et des gentils petits robots.
1 David JAVET, L'idéologie du Japon cool dans les discours de la diplomatie japonaise du début du 21ème siècle : soft power ou « nationalisme soft » ?,
Mémoire de Master à l'Université de Genève, 2013, en ligne sur academia.edu
2 David JAVET, « Projet de thèse : Le Péril chrome :
Études des représentations populaires de la technologie dans les films et jeux vidéo japonais (1945-2014) », en ligne sur academia.edu.
« Soutenance de thèse de M. David Javet »,
L'Agenda, Université de Lausanne, en ligne sur agenda.unil.ch
3 David JAVET, « Manga et science-fiction au
Japon », in Pop Art, mon Amour : L'art de Tadanori
Yokoo et du manga, Lausanne/Yverdon-les-
Bains, Presses polytechniques et universitaires romandes/La Maison d'Ailleurs, 2016, en ligne sur academia.edu
4 David JAVET, L'idéologie du Japon cool… (cf. note 1) Atelier Me 2.3 / 14h30

Kawaii Chara-Design avec Luan Banzai
Comment créer des personnages attachants → BM Cité / Espace le 4e ○ Dès 8 ans
Durée : env. 2h30 ▷ Inscription bmgeneve.agenda.ch Luan Banzai, le superpouvoir kawaii
Prenez Kirby : une boule rose avec vaguement des bras et des jambes, des grands yeux tout en longueur, une bouche, deux taches de rousseur. Autant dire trois fois rien en termes graphiques. Et pourtant, 38 millions de jeux se sont vendus dans le monde depuis 20 ans avec cette boule rose dans le rôle principal. Voilà donc une spécialité typiquement japonaise : la capacité de créer et de faire exister des personnages dont le superpouvoir et la force de frappe résident avant tout dans leur côté irrésistiblement kawaii (chou, mignon). Luan Banzai a assimilé ce trait lors de ses séjours au Japon. Artiste visuel basé à Genève mais travaillant à l'échelle de la planète, Luan crée des images fixes et animées, parfois pour des projets purement artistiques, parfois pour des entreprises en phase avec son imagerie grouillante et colorée. Les BM l'invitent pour un atelier de chara-design, c'est-àdire de conception de personnages (characters), évidemment kawaii. Trois questions.

Quels sont les liens entre votre univers visuel et la culture pop ?
« Je viens du Brésil et j'ai beaucoup voyagé, en habitant à plusieurs endroits. Ces mouvements m'ont mis en lien avec une forme de globalisation qui est très présente dans l'univers pop, avec des éléments culturels qui tournent entre différents pays. Dans mon monde visuel on retrouve ainsi le Brésil, l'influence des États-Unis vécue à travers la culture brésilienne, le Japon où j'ai été plusieurs fois pour étudier et pour travailler… Avant de faire mes études à la HEAD, Haute école d'art et de design de Genève, j'ai co-créé au Brésil le Banzai Studio, qui produit des vidéos publicitaires et musicales, au sein duquel j'ai fait pas mal de travail pour MTV Brésil. J'ai donc toujours été immergé dans la culture pop, qui a une résonance très forte dans mon travail au niveau des formes, des couleurs, des moyens de diffusion.
À un moment donné, je ne me sentais plus à ma place dans le monde du marketing et de la pub, où ce langage visuel et ces éléments culturels étaient exploités pour vendre des produits et faire du profit. Je suis passé par un rejet total, je ne voulais plus rien savoir des médias et je ne dessinais plus qu'au stylo noir… Heureusement, après cette réaction extrême, j'ai vu que des gens, dans le monde et autour de moi, continuaient à utiliser ces codes visuels pour faire des
choses belles, qui avaient un sens. Lorsque j'ai décidé de transférer mes références pop dans un travail artistique, c'était donc un peu pour subvertir l'usage que j'en avais fait avant. Je voulais voir comment utiliser ce bagage culturel pour apporter quelque chose de positif, amener de la joie et aller dans la direction d'un monde meilleur, du moins dans un sens affectif, celui des liens entre les personnes et entre les gens et les choses.
Dans le milieu de l'animation, où je suis actif, je retrouve beaucoup de gens qui ont ce point de vue, qui veulent améliorer notre connexion avec le monde émotionnel et qui pensent que c'est une chose très importante pour le développement de nos sociétés. Aujourd'hui, je peux à nouveau participer à des projets commerciaux, avec des critères pour les choisir. J'arrive à mieux négocier les contenus de mes mandats et à transformer ou influencer les propositions. Ici en Suisse, je fais pas mal de projets en lien avec la culture, l'art et l'éducation, ainsi que de l'illustration et de l'art urbain en duo avec l'artiste Noémie Creux, sous le nom de Hanazu. »
Qu'allez-vous proposer dans l'atelier Kawaii Chara-Design ?
« En cours de route, j'ai commencé à me dire que mon travail pouvait aussi consister à inspirer les gens à produire eux-mêmes quelque chose, à devenir acteurs et actrices de la pop culture en créant leurs propres éléments pop plutôt que de seulement suivre cette culture. L'atelier propose de faire un premier pas dans cette voie-là en créant des personnages. Il s'agit d'abord de se documenter sur ce qu'est un personnage de vidéo, de jeu ou de dessin animé qui vient habiter notre monde affectif, parfois de manière assez prenante, comme Totoro ou les personnages de Toy Story, parfois de manière très banale, comme les smileys qu'on utilise pour communiquer et qui sont investis de liens d'affection. Ensuite, chaque participant-e est invité-e à créer visuellement un personnage à partir d'un sentiment ou d'une chose qu'on aime — un fruit, un légume, une couleur, un bonnet qu'on a sur la tête… — et à développer l'univers de ce personnage : ce qu'il fait, ce qui le caractérise, ce qui lui donne une vie. » Quelles sont les résonances entre ce travail et la culture pop japonaise ?

« Dans le projet qui est un peu à la source de cet atelier, j'ai créé le personnage d'une pomme dessinatrice appelée Pommo, qui poste ses propres dessins sur Instagram. Dans mon imagination, son univers pourrait se développer, devenir une série d'animation, un jeu vidéo… Ce projet est en résonance avec ce que je perçois de la culture japonaise, où tout à coup une figure comme Kirby, une boule rose avec des yeux, peut devenir un élément important dans la culture et l'univers affectif de tout un pays. En Occident, on n'imaginerait pas que la carrière d'un tel personnage puisse aller aussi loin, touchant aussi bien les adultes que les enfants, car on a tendance à dire que ce n'est pas sérieux. Au Japon, on laisse ce potentiel s'exprimer au maximum et on considère que créer de tels personnages, ça peut tout à fait être un vrai métier. Je me réjouis donc de partager un peu de ce que j'ai appris là-bas et de voir comment il se traduit dans des créations qui prennent place ici. »

i © Luan Banzai
« Délivre-moi tes secrets » : c'est la demande soufflée par les BM dans une série de rencontres autour d'albums jeunesse. Maëlys, Fifi, Chien Pourri
Avant les dévoilements attendus sur place, voici déjà deux ou trois choses qu'on sait à propos des artistes invité-e-s et de leurs personnages : Marc Boutavant (Ariol et Chien Pourri), Christine Pompéï (Les enquêtes de Maëlys), Magali Attiogbé (Rouli Rouli Roulette), Marie-Noëlle Horvath (L'Ours). Et Fifi Brindacier, qui vient se parachuter toute seule au milieu de cette brochette.
Christine Pompéï, un million de livres et 24 mystères
Christine Pompéï est l'auteure des Enquêtes de Maëlys, romans illustrés qui explorent une série de mystères dans des villes suisses. Voici, en gros, ce qu'on sait d'elle…
— Elle a commencé à écrire à 39 ans. Comment ? Elle l'a souvent raconté — c'est un peu son récit de fondation —, par exemple dans une interview pour la RTS, en juin 2017 1 : « Au départ, j'ai commencé à inventer des histoires pour mes filles : au lieu de leur lire un livre, je leur inventais une histoire où elles étaient les héroïnes. Puis elles ont commencé à me redemander des histoires que je leur avais inventées quelques jours avant. Je ne m'en rappelais pas toujours exactement, donc j'ai commencé à noter les histoires dans un cahier. Petit à petit, j'ai eu plusieurs histoires et je les ai proposées à des éditeurs. »
— Sa maison d’édition, Auzou, compte atteindre le million d'exemplaires vendus en 2023. Le succès n'est pas arrivé d'un coup, explique-t-elle dans une interview au journal Le Temps en mars 2021 2. « Chaque semaine j'écrivais des textes et chaque semaine j'en envoyais à des éditeurs. J'avais toujours des refus ! Mais je me disais que ce n'était pas grave et que ça marcherait bien un jour. » Des centaines de milliers d'albums plus tard, sa réussite n'est pas tout à fait celle que les enfants imaginent…
— et aussi une femme entre deux chaises et une brodeuse d’ours

Rencontre Sa 12.2/ 10h30
Les rendez-vous « Délivre-moi tes secrets »
→ BM Minoteries ○ dès 8 ans
Durée : env. 2h ▷ Inscription minoteries-jeunes.bmu@ ville–ge.ch « Quand je vais dans des classes, ils ne s'attendent pas du tout à mon profil ! Ils ont une vision de l'auteur très âgé et même très riche ! Une fois, on m'a même demandé pourquoi je n'ai pas de chauffeur privé ! Ils comprennent alors que tout le monde peut écrire car je n'ai rien d'exceptionnel ou d'inaccessible. »
— Christine Pompéï écrit ses livres à côté de son double travail de responsable du domaine « Éducation aux médias » à la RTS et de mère. Comment fait-elle ? « Je pense un peu comme toutes les mamans, j'écris beaucoup le soir quand tout le monde est couché et puis je fais des petites nuits », explique-t-elle dans l'interview à la RTS citée ci-dessus.
— À côté des Enquêtes de Maëlys, elle a publié la série Mes p'tits contes et d'autres livres centrés sur le folklore et les légendes, suivant un goût qui lui vient, comme elle l'explique dans la même interview, de son origine bretonne : « En Bretagne, on nous raconte beaucoup de légendes, et quand je suis arrivée en Suisse — il y a maintenant presque 20 ans —, je cherchais des livres de légendes pour mes filles. Je n'en ai pas trouvé pour les enfants, j'ai trouvé des livres de légendes, mais plutôt pour les adultes, avec des légendes qui étaient un peu horribles parfois, et donc j'ai fait des recherches pour en trouver d'autres, parce qu'il y en a plein, bien sûr… »

— Ses livres ont un impact sur les relations parents-enfants dans la vraie vie : « Il y a beaucoup d'enfants qui lisent les histoires et qui après emmènent leurs parents sur les lieux. Je trouve ça assez incroyable qu'un enfant de 8 ans dise à ses parents “ce week-end, je veux aller au château de Chillon”, donc c'est l'enfant qui emmène ses parents », raconte-t-elle dans une autre interview RTS, cette fois radio, en novembre 2018 3 .
— La première aventure de Maëlys, L'Énigme de la cathédrale de Lausanne, paraît en 2013. Aujourd'hui, la série Les enquêtes de Maëlys compte 24 tomes (dernier en date : Vent de panique à Fribourg). Une adaptation en dessin animé est annoncée pour 2022. En l'espace de presqu'une décennie, la vraie Maëlys a grandi. Et celle des livres ? Christine Pompéï répondait dans le journal 24 heures en 2016 : « J'avais envie qu'elle vieillisse, comme mes filles de 11 et 9 ans. Parce qu'elles demandent des livres plus épais, et que je veux me renouveler. Mais l'éditeur préfère garder cette tranche d'âge. »
— Le nom de famille de l'auteure semble évoquer un mystère, lui aussi. Pompéi, n'est-ce pas la ville près de Naples dont la population a été pétrifiée par une éruption volcanique à l'époque romaine ? D'où lui vient ce nom ? Elle répond dans une autre interview à 24 heures en 2015 : « Je l'ai gardé de mon ex-mari, en pensant à mes filles. Dans un petit village de Corse, d'où il vient, il y a tout plein de familles Pompéï, sans doute arrivées jadis à la suite d'une éruption et surnommées ainsi. Les Pompéï. »
1 « "Les enquêtes de Maëlys", une série de romans pour enfants à succès », RTS, 27 juin 2017. 2 Cédric GARROFÉ, « Christine Pompéï : “Un enfant qui lit, c'est un adulte qui lira” », Le Temps, 4 mars 2021.a
3 « L'invitée du 5h-6h30 — Christine Pompéï, auteure des enquêtes de Maëlys et Lucien », RTS, 21 novembre 2018.
o © Raphaëlle Barbanègre / Éditions Auzou Marc Boutavant, l'âne bleu et le chien qui pue
Marc Boutavant est le dessinateur des séries Ariol et Chien Pourri. Que sait-on de lui, et surtout d'eux ?
— Ariol est un petit âne (un ânon, comme on dit). Il appartient à une espèce animale qui, malgré sa présence importante dans la vie quotidienne de l'humanité, apparaît peu dans les histoires qu'on se raconte 4 et n'a presque jamais le rôle principal dans une bande dessinée. Son prénom est emprunté au mot arioul (ou aghyoul), qui signifie « âne » en berbère, un groupe de langues parlées depuis l'Antiquité en Afrique du Nord.
— Signe particulier : Ariol est bleu, contrairement à un âne ordinaire, qui est généralement gris. Pourquoi ? Pour deux raisons, que Marc Boutavant explique dans une interview donnée en mai 2021 à des enfants dans une médiathèque de Bois-Colombes, dans la banlieue de Paris 5. 1) À cause du ciel : « Quelquefois le gris, sous le ciel bleu, un peu comme la mer, apparaît comme bleu, surtout que les poils des ânes sont soyeux, donc ils reflètent la lumière du ciel. » 2) À cause des Schtroumpfs : « J'ai énormément décalqué les Schtroumpfs, c'est peut-être pour ça aussi qu'Ariol est bleu. En CE2-CM1 [l'équivalent français de la 5e et 6e primaire en Suisse], je faisais des fausses BD de Schtroumpfs. »
— Autre signe particulier : Ariol porte des lunettes avec des verres gigantesques. Résultat : « Parfois les enfants croient que c'est un moustique. » Malgré cela, Marc Boutavant se déclare « content de ses lunettes ». Et « content », chez lui, ce n'est pas courant. « Les premiers épisodes sont vraiment dessinés avec les pieds. J'ai mis quelques années avant que je sois assez content de mon travail comme aujourd'hui. Sur la vingtaine d'années qu'on produit Ariol, je trouve que dans les dix dernières, je m'en sors pas mal », déclarait-il en 2021 dans une interview au magazine Zoo6 à propos de ses premiers dessins pour Ariol, qui sont aussi ses toutes premières BD.
— Ariol a 9 ans, l'âge où chez les humain-e-s, paraît-il, « on commence à comprendre que la vie réelle prend le pas sur l'imaginaire » 7. Entre la première histoire, publiée en 1999 dans le magazine J'aime lire, et le dernier album en date, La chouette classe verte, paru en 2021, Ariol a toujours 9 ans. Comme l'explique l'auteur des textes, Emmanuel Guibert, au magazine Zoo, « La règle que je me suis donnée pour Ariol depuis le début, c'est que depuis plus de 20 ans, il ne vit qu'une seule année, son année de CM1 [la 5e primaire, donc]. C'est une source inépuisable. Un an de la vie de quelqu'un, c'est une collection infinie d'histoires. » Emmanuel Guibert a donc pioché dans ses propres souvenirs de cet âge-là. Ce qui amène Marc Boutavant, quelque part, à vivre dans l'enfance de son coéquipier lorsqu'il dessine Ariol : « Par exemple, quand on dessinait les vacances d'Ariol et son ami Ramono, j'avais l'impression d'être en vacances avec Emmanuel chez ses grands-parents. Emmanuel a eu des grands-parents très aimants, et moi, n'ayant pas connu ce lien, j'ai eu beaucoup de mal à le dessiner. C'est son histoire d'enfance, moi, j'essaie de me glisser dedans », déclaret-il dans la même interview. D'ailleurs, « depuis 15 ans, Emmanuel m'appelle Ram pour Ramono, le copain d'Ariol, et moi, je l'appelle Ariol » .

Rencontre Sa 14.05/ 14h30
Rencontre avec Marc Boutavant
Les rendez-vous « Délivre-moi tes secrets »
→ BM Cité / Le Multi ○ Dès 7 ans
Durée : env. 2h ▷ Inscription bmgeneve.agenda.ch
4 Dans l'encyclopédie en ligne Wikipédia, on trouve une « Liste d'ânes de fiction » qui en dénombre 24 de l'Antiquité à nos jours.
5 « FESTIVAL BD 2021 — Interview de Marc Boutavant », Marie de
Bois-Colombes (chaîne YouTube), 5 mai 2021. i © Marc Boutavant


— L'âge du public d'Ariol est plus varié que celui du personnage. Les albums sont destinés avant tout aux 6-10 ans. La série existe depuis 22 ans, ce qui signifie que les enfants qui l'ont lue à ses débuts ont commencé aujourd'hui à devenir parents… En l'espace d'une génération, le monde a changé, mais l'enfance un peu moins, explique Emmanuel Guibert au magazine Zoo. « Jusqu'à 10 ans, même si aujourd'hui les enfants ont accès à pleins de nouveaux objets, je trouve qu'ils continuent à vivre exactement comme tous les enfants des générations précédentes et suivantes. C'est-àdire qu'ils ont une façon de jouer, de se comporter, qui globalement reste identique. Je pense que ce sont surtout les adolescents qui ont beaucoup changé, et Ariol n'en est pas un. Je pense que les enfants d'aujourd'hui regardent Ariol comme un copain qu'ils peuvent rencontrer dans la cour de récré, c'était le cas aussi il y a 20 ans. »
— Et Chien Pourri ? C'est un chien errant qui vit dans une poubelle, avec un copain chat qui s'appelle Chaplapla parce qu'il a été aplati autrefois par un camion. « Comme Chien Pourri, je suis un peu une serpillière : j'attrape les travers de la société. Je parle de misère, d'exclusion, du fait que les gens ne sont pas tendres avec les pauvres », explique l'auteur des textes, Colas Gutman, dans une interview au magazine Le Point en 2020 8. Comment fait-on des histoires drôles et tendres avec tout cela ? En demandant les dessins à Marc Boutavant. Celui-ci, note Colas Gutman, apporte « une tendresse à laquelle je ne croyais pas trop au départ ! Moi, j'imaginais des dessins à la Reiser, un truc pas convenable pour des mômes. Et lui l'a rendu très mignon, très attachant, avec une patte vintage qui me plaît beaucoup. Moi qui n'aime pas particulièrement les chiens, je m'y suis attaché à travers son regard. Il en a fait un vrai livre pour enfants ». Le premier album sort en 2013, le 14e et dernier en date, intitulé Chien Pourri et le gourou Toutou, en 2021.
— Et Marc Boutavant, que sait-on de lui ? Il vit à Paris mais il est né en 1970 dans un village de la région de Dijon, en Bourgogne, où il a grandi. « J'habitais près d'une décharge où j'allais avec mes frères et dans laquelle je trouvais énormément de Journaux de Mickey. Dans le village d'à côté, il y avait un marché d'occasion où j'ai acheté beaucoup de bandes dessinées américaines, de super-héros », raconte-t-il dans une interview au site Comixtrip 9. Il fait partie d'un groupe de bédéistes appelé Atelier des Vosges (avec David B., Christophe Blain, Frédéric Boilet, Émile Bravo, Marjane Satrapi, Joann Sfar et Lewis Trondheim). 1,6 millions d'Ariol et 1 million de Chien Pourri ont été vendus jusqu'ici dans le monde. Ariol, Mouk (dont le héros est « vaguement un ours » ) et Chien Pourri ont été adaptées en séries pour la télévision.
6 Dimitry JAFFRÈS, « Emmanuel Guibert et Marc Boutavant, une complicité lancée il y a plus de 20 ans avec Ariol », Zoo, 24 et 25 février 2021.
7 Comme le signale Mélanie Chalandon, animatrice de l'émission
Culture BD sur France Culture, dans « Ariol, vingt ans d'un héros de la bande dessinée jeunesse » (en ligne).
8 Sophie PUJAS, « Colas Gutman, l'irrévérencieux maître de Chien pourri : “Il faut dépasser les bornes” », Le Point, 14 octobre 2020.
9 Damien CANTEAU, « Marc Boutavant, rencontre avec le dessinateur de Ariol », Comixtrip, 17 février 2018. Rencontre Sa 11.06/ 10h30
Magali Attiogbé, la foultitude en images
Un bout de racine au Togo où elle a passé le début de son enfance, un autre en France où elle vit, la tête dans le monde foisonnant qui remplit ses pages, Magali Attiogbé est en lice pour le Prix P'tits Mômes 2022 avec son album Rouli, rouli, roulette, déroulant l'histoire d'un petit pois en cavale. Questions-réponses.
En vous présentant sur votre site Web, vous dites que vous avez « les fesses entre deux chaises ». Est-ce une manière de dire que vous êtes un peu nulle part, dans l'espace vide au milieu, ou alors que vous vous sentez assise sur les deux à la fois ?
« Plus jeune, je ressentais en moi une sorte d'appel à être soit d'un côté, soit de l'autre. Je n'arrivais pas à faire exister les deux mondes en même temps et j'ai mis du temps à voir qu'ils pouvaient se mélanger. Aujourd'hui, dans mes dessins j'ai une façon de représenter les choses en deux dimensions qui s'approche de certaines approches picturales que j'ai pu voir en Afrique, notamment au Bénin. En même temps, j'intègre une culture de l'illustration et de la gravure qui sont typiquement de tradition européenne, avec par exemple une façon de placer des motifs ou de travailler le noir sur des aplats de couleur. »
Il y a beaucoup de monde dans vos cases, dans lesquelles on voit une humanité plus vaste et aux couleurs plus variées que dans la moyenne des albums pour enfants.
« Comme je suis un peu un trait d'union, ma vie et mon regard sont forcément empreints des deux continents. Et dès qu'on dit qu'il y en a deux — j'ai envie de dire —, on intègre l'idée qu'il n'y en a pas qu'un seul, et du coup on ouvre à une foultitude… Chez moi, dans mes dessins, il y a cette propension irrésistible pour les foules de personnes, d'animaux ou d'objets. C'est ma manière de répertorier le monde et de faire tenir dans mes livres cette diversité infinie, toutes ces façons de vivre, d'être, de se comporter, de s'habiller. Je trouve fascinant que le monde soit aussi riche et j'ai donc souvent envie de tout représenter. Mais comme le livre a un cadre et un bord, je dois m'arrêter à la limite de la page… »
… et du coup, on dirait que, ne pouvant déborder vers l'extérieur, vous le faites vers l'intérieur des cases. Au passage, on voit souvent des animaux et des humaine-s ensemble dans vos images, alors que souvent ces mondes sont plutôt séparés.
« À la base, ce n'est pas un choix volontaire de ma part, je dirais même que c'est plutôt le contraire. Il m'arrive de réfléchir à des projets en me disant : soit tu fais un livre avec des humains, soit avec des animaux, tu n'es pas obligée d'avoir les deux. Mais quand je me mets au travail, ce sont systématiquement les deux qui me viennent. Je finis donc par me dire que c'est bien de les mélanger, parce que notre monde est fait de tous les êtres vivants. Les insectes, les êtres humains, on a plus d'interactions qu'on ne croit. »
Comment se fait votre connexion avec l'enfance, par des souvenirs ou par le contact avec les enfants d'aujourd'hui ?
« J'ai côtoyé beaucoup d'enfants depuis toute jeune, parce que ma mère travaillait comme infirmière dans ce qu'on appelle en France “Protection maternelle et infantile” (PMI), des structures sociales qui accueillent des mamans et des enfants en bas âge. J'accompagnais régulièrement ma mère au travail et j'ai appris très tôt à reconnaître quel âge avait tel enfant ou tel bébé en regardant sa taille, sa tête, son comportement… Ensuite, ma formation dans une école d'art à Paris s'est axée sur l'édition jeunesse, mais mon parcours professionnel est parti d'abord dans une autre Rencontre / atelier avec Magali Attiogbé
Les rendez-vous « Délivre-moi tes secrets »
→ BM Cité / Le Multi ○ Dès 3 ans
Durée : env. 1h ▷ Inscription bmgeneve.agenda.ch

direction, celle des illustrations pour des organismes de santé ou médico-sociaux.
Mon premier travail dans le domaine jeunesse a été pour la marque de jouets Djeco. C'est à force de faire des jouets que j'ai commencé à avoir un univers propice à une connexion avec l'enfance qui a pu inspirer des éditeurs à me confier des projets. Car avant cela, lorsque des éditeurs jeunesse voyaient mon travail, ils trouvaient que ce n'était pas assez affectif, pas assez affectueux. Avec Djeco, j'ai donc appris à créer de la tendresse, à installer un univers plus stable, plus réconfortant. Il y a en effet des codes dans ce domaine, qui sont parfois un peu cliché, le bon dosage n'est pas toujours facile. Il m'arrive encore que des éditeurs me disent ”il faudrait peut-être reprendre ce visage, parce qu'il est un peu dur, pas assez gentil”… »
On a en effet l’impression, lorsque vous dessinez les corps de vos personnages, qu’ils ne suivent pas seulement des codes typiques « album jeunesse », mais qu’ils traduisent également un regard plus objectif, plus observateur, qui est peutêtre celui que vous avez développé dans l’illustration santé…
« On est, aussi, ce dont on est issue… Mes parents n'étaient pas dans un domaine artistique, mais dans celui de la santé, du social et de l'engagement politique, qui sont donc mes terreaux. Je n'ai pas choisi une profession politique, mais je crois qu'il y a une certaine sensibilité qui se manifeste dans mon travail. Parce que la représentation d'un corps, c'est politique aussi. Elle traduit des choix sur comment on voit le monde, les interactions entre les gens. L'illustration permet tout cela aussi. » Marie-Noëlle Horvath, la brodeuse d'ours


Elle a un pied dans le dessin, un autre dans le tissu, mais c'est par un ours que tout a commencé. Questions-réponses.
Entre le monde de l'illustration et celui du textile, peut-on dire que vous avez choisi de ne pas choisir ?
« J'ai suivi une formation de dessin textile et j'ai commencé à travailler dans ce secteur, surtout dans ce qu'on appelle le Do it yourself ou “loisir créatif” : on crée par exemple un motif brodé pour un coussin ou un T-shirt et on donne les explications pour que les gens puissent le reproduire à la maison. J'ai fait des créations de ce type pour le magazine Marie Claire Idées, pour la maison DMC dans le fil à broder, pour l'entreprise Phildar dans le fil à tricoter… Mais à côté de cela, depuis toujours, j'avais cette envie de faire de l'illustration pour enfants. Un jour, une amie illustratrice m'a aidée à rassembler un portfolio, composé de dessins que j'avais réalisés pour l'essentiel sur ordinateur. J'ai trouvé des clients réguliers dans ce domaine, et je me suis embarquée dans une période de plusieurs années où j'ai travaillé de cette manière, en laissant complètement tomber le textile. Pour finir, j'en ai eu marre de ne créer que sur un écran, et j'ai eu besoin de revenir vers quelque chose de plus manuel. C'est ainsi que je me suis mise à faire de l'illustration textile. » Est-ce que les enfants — et les adultes — ont des réactions particulières face à vos illustrations textiles ?
« Ce que les parents me racontent, c'est que les tout petits grattent les images de mes livres parce qu'ils ont l'impression de pouvoir toucher les matières. Il faut dire que, pour convertir mes illustrations textiles en planches d'albums, je travaille avec un photographe qui vient de la photo d'œuvres d'art. Il parvient très bien à rendre les matières, avec ce qu'il faut d'ombres et de volume, d'où cet effet tactile, en tout cas chez les tout jeunes. À l'école maternelle, donc chez les 3-4 ans, ils se rendent bien compte en revanche qu'il s'agit des pages en papier d'un livre.
En ce qui concerne les adultes, lors de mes premiers essais pour Marie Claire Idées, il y avait eu un sujet sur le thème des ours. En réponse à cela, j'avais fait un échantillon pour trois coussins avec l'histoire de Boucles d'or, et il y avait donc un ours brodé sur mon dessin. À chaque fois que je montrais cet objet, les gens semblaient interpellés, et me disaient qu'il fallait en faire quelque chose. Même si j'ai mis du temps à revenir à ce type de création, c'est donc parti de là. »
En vous présentant sur votre site Web, vous évoquez des années d'enfance passées en Uruguay…
« C'est toujours une partie de ma vie, car j'ai une double nationalité, et c'est une partie de mon enfance, car j'y ai habité de 6 à 12 ans. J'allais très souvent chez une tante qui avait un jardin dont le souvenir m'influence encore aujourd'hui… Ceci dit, je suis née à Annemasse, où je suis revenue vivre après l'Uruguay et où je vais régulièrement voir mes parents, d'abord depuis Lyon, où j'ai fait mes études, et depuis dix ans depuis Paris. Pour vous, je suis donc une voisine. »
Rencontre Sa 11.06/ 10h30
Rencontre / atelier avec Marie Noëlle Horvath
Les rendez-vous « Délivre-moi tes secrets »
→ BM Cité / Le Tronc commun (2e) ○ Dès 3 ans
Durée : env. 1h ▷ Inscription bmgeneve.agenda.ch