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UN MAÎTRE À PENSER DE L’ENTRE-DEUX-GUERRES Dès les années 1900, Romain Rolland apparaît comme une figure influente dans la formation intellectuelle et morale des institutrices et instituteurs : plusieurs textes issus des Vies des hommes illustres figurent, dès leur parution, dans des sujets de concours d’écoles normales ou dans les conseils de lectures de vacances des enseignants. À son tour, Jean-Christophe est accueilli avec enthousiasme par des éducateurs en quête de valeurs : « [Cet] Évangile de notre temps renferme de belles et fortes leçons de morale ; c’est une morale en action. Morale humaine, forte, vaillante, sincère. Morale laïque, dans son sens le plus plein […]. » M. T. [Laurin], « Un homme, une œuvre : Jean-Christophe », dans la Revue de l’enseignement primaire et primaire supérieur du 19 janvier 1913, p. 186-188.
C’est que l’œuvre et la figure publique de l’écrivain répondent à toutes les attentes – littéraires, pédagogiques, morales, pacifistes – d’un milieu enseignant en pleine effervescence pédagogique dans l’entre-deux-guerres, instituteurs de l’école publique comme acteurs de la pédagogie nouvelle.
L’œuvre de Rolland répond avec force aux espoirs pacifistes d’une génération d’éducatrices et d’éducateurs fortement mobilisés dans l’entre-deuxguerres en faveur d’un combat pour le rapprochement franco-allemand et le « désarmement moral » des consciences d’enfant. Jean-Christophe n’est-il pas un héros allemand ? La jeune directrice d’école Marguerite Hélier-Malaurie, qui adapte en 1932 le roman en manuels de lectures, écrit dans sa préface : « Nos enfants seront conquis par ce petit compagnon qui, pour être né de l’autre côté du Rhin, n’en est pas moins un des leurs. » Marguerite Hélier-Malaurie, Jean-Christophe de Romain Rolland, raconté aux enfants, livre de lecture, Paris, Albin Michel, 1932, « Avant-propos », p. V.
C’est elle qui choisit en exergue à son manuel le sous-titre « Vers la paix par l’intelligence et l’amour ». Hélas, moins de dix années plus tard, l’espoir pacifiste s’effondre et ce manuel sera l’un des rares ouvrages censurés par le régime de Vichy.
Ainsi du jeune instituteur Célestin Freinet. Gravement blessé lors de la première guerre mondiale, c’est durant sa convalescence qu’il découvre Au-dessus de la mêlée. Rolland sera l’un des premiers à soutenir, avec l’écrivain Henri Barbusse, ses expériences de l’imprimerie à l’école. En 1933, alors que l’instituteur est attaqué dans le cadre de l’« affaire de Saint-Paul », il reçoit le soutien de l’écrivain qui sera également, en 1936, président d’honneur du « Front de l’Enfance », mis en place dans le contexte du Front populaire. Madeleine, la fille du couple de pédagogues, se souvient : « [Ma] mère nous [les élèves de l’école Freinet] lisait Jean-Christophe, et on en avait pour la saison. Romain Rolland correspondait avec nous, et sa grande écriture échevelée était au mur de la classe. » Madeleine Freinet, Élise et Célestin Freinet. Souvenirs de notre vie, tome I : « 1896-1940 », Paris, Stock, 1997, p. 443 [rentrée scolaire 1938-1939].
Si votre Œuvre, dont je suis, Monsieur, une modeste, mais sincère et enthousiaste admiratrice, a contribué à ma formation spirituelle, elle m’a puissamment servi dans ma tâche d’institutrice ; l’histoire de votre Jean-Christophe, en particulier, a été pour mon enseignement une sorte de Bible qui m’a aidée à mettre un peu de beauté et de lumière dans la vie presque toujours humble, souvent douloureuse, de nos enfants du peuple. Lettre de la directrice d’école Marguerite Hélier-Malaurie à Romain Rolland, 23 juillet 1931.