Romain Rolland 2.2

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PORTRAIT DU JEUNE ÉCRIVAIN EN PROFESSEUR

Normalien, puis agrégé d’histoire, élève de l’École française de Rome, docteur ès lettres de l’université de Paris, c’est tout naturellement, mais sans vocation aucune, que Rolland commence une brillante carrière de professeur. Il est d’abord chargé de cours d’histoire de l’art au lycée Louis-le-Grand et de cours d’enseignement de la morale à l’école primaire supérieure Jean-Baptiste-Say, puis chargé du cours complémentaire d’histoire de l’art à l’École normale supérieure et de cours d’histoire de la musique à l’École des hautes études. En 1904, il est chargé du cours complémentaire d’histoire de l’art à la Sorbonne : il y fait place peu à peu à la musique, inaugurant ainsi l’enseignement de cette discipline à l’Université.

Bien qu’il confesse n’avoir aucun goût pour l’enseignement – c’est du temps perdu pour son œuvre –, on trouve toutefois dans ses écrits intimes de nombreux témoignages tout à fait étonnants sur ses pratiques d’enseignant ! Ainsi de sa première année d’enseignement d’histoire de l’art, où un cours, en comité privé, a lieu… au musée du Louvre : « Je vous quitte pour aller au Louvre. J’y dois expliquer certains détails de peinture à quelques-uns de mes petits philosophes de Louis-le-Grand. Pour cela au moins j’ai bien réussi ; ils se sont pris d’une grande affection pour moi et pour l’art. » Lettre de Romain Rolland à Malwida von Meysenbug, 12 juin [1895], dans Choix de lettres à Malwida von Meysenbug, Paris, Albin Michel, 1948, p. 137.

Ainsi également de ses cours d’enseignement de morale où il préfère au programme officiel la lecture des Misérables : « [Ainsi] j’eus l’instinct de lire – ou plutôt, de faire lire à haute voix, à mes élèves de l’école J.-B.-Say Les Misérables de Hugo. L’effet a dépassé ce que j’en attendais. Dans ces classes remuantes, dont il fallait toujours tenir la bride serrée, un silence frémissant s’établit ; les plus indisciplinés étaient les plus ardents à écouter ; les yeux brillaient, les bouches avides happaient en jubilant la morale en action, que leur versait à pleins seaux le grand bavard, grisé de sa vertu sublime et de son énorme éloquence. Il faisait ma besogne. Je me croisais les bras. » Romain Rolland, Mémoires et fragments du journal, Paris, Albin Michel, 1956, p. 242.

Ses cours d’histoire de la musique en Sorbonne, enfin, sont tout aussi peu conventionnels : « J’ai, cette année, un monde fou à mes cours. Les dames s’asseyent par terre, sur les marches de l’amphithéâtre, ou restent debout sans broncher pendant une heure. Et ce que ces malheureuses prennent de notes ! – Je vous jure pourtant que je ne suis guère intéressant. Je me trouve fort ennuyeux. Bien des fois, pendant que je parle, il m’arrive de m’écouter – (c’est rare) – et je pense : “ Bon Dieu ! que tu es assommant ! Est-ce que tu n’as pas bientôt fini ? ” – Alors, je vais au piano, et j’en joue tant que je peux. » Lettre de Romain Rolland à Sofia Guerrieri-Gonzaga, 23 décembre 1907, dans Chère Sofia. Choix de lettres de Romain Rolland à Sofia Bertolini Guerrieri-Gonzaga, tome I : « 19011908 », Paris, Albin Michel, 1959, p. 327.

J’ai souffert toute ma vie d’être professeur ; car je n’ai en aucune façon l’âme d’un professeur ; je ne puis supporter ni de suivre, ni de faire des cours. Il y a dans tout cours une rhétorique nécessaire, un caractère factice et conventionnel, qui me déplaît. Je n’ai jamais eu d’autres maîtres que mes livres, et ma vie. Lettre de Romain Rolland à Sofia Guerrieri-Gonzaga, 5 novembre [1904].


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