À l'école de Charles Lhullier

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Portrait de groupe À l’évocation du nom de Charles Lhullier viennent immédiatement à l’esprit ceux de Raoul Dufy et d’Othon Friesz. Car on ne saurait dissocier le maître de ses élèves. C’est sans compter sur ceux d’artistes moins connus, parfois découverts à l’occasion de cette exposition. Il s’agit en effet pour beaucoup d’une véritable (re)découverte. Peu à peu, ces noms d’artistes ont pris chair, se sont incarnés dans les œuvres qu’ils ont laissées, dans les réseaux d’amitié qu’ils ont tissés ou dans les critiques de la presse recensées. « Le Cercle de l’art moderne a pour but en réunissant, au Havre, les artistes peintres, sculpteurs, musiciens, architectes, littérateurs et les amateurs d’art attirés par sympathie commune pour les tendances artistiques modernes de faciliter les manifestations d’un art personnel, en organisant des réunions hebdomadaires, des expositions d’art, des concerts de musique de chambre et des conférences de vulgarisation artistique1. »

1S tatuts de l’association du Cercle de l’art moderne, 29 janvier 1906. 2G eorges Braque, bien qu’ancien élève de l’école d'art du Havre et membre fondateur du Cercle, ne fut pas l’élève de Lhullier. 3 En 1907, Vallin réside alors en Italie, ce qui explique peut-être qu’il ne figure pas parmi les membres fondateurs du Cercle l’année précédente. 4 Paul Védrine, Marrons sculptés, Le Havre, Maudet & Godefroy, 1887, p. 119. 5 Pierre Hepp, Préface du Cercle de l’art moderne, 4e exposition, Le Havre, hôtel de ville, juin 1909.

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Parmi les trente membres fondateurs du Cercle de l’art moderne en 1906, treize sont peintres. Dix d’entre eux au moins sont identifiés comme d’anciens élèves de Charles Lhullier à l’école d'art du Havre : Jules Ausset, Raoul Dufy, Géo Dupuis, Othon Friesz, Raymond Lecourt, Gaston Prunier, Albert Roussat, Henri et René de Saint-Delis ainsi que Maurice Vieillard, auxquels il convient d’ajouter Maurice Lesieutre, critique d’art, qui rédige la préface du premier catalogue des expositions du groupe2. Un autre ancien de l’école, Robert Vallin, est présent à l’une des expositions du Cercle sans en

être membre fondateur3. Cette génération d’artistes, nés entre 1863 (pour Prunier, le plus ancien) et 1882 (pour Lecourt, le plus jeune), a contribué, par cette expérience, à faire du Havre d’avantguerre un foyer culturel de premier plan en province. Comment expliquer que des élèves de Lhullier, connu pour l’essentiel pour ses scènes militaires ou de genre, aient eu ainsi à cœur de promouvoir l’art de leur temps ? On sait que le vieux maître, bon pédagogue, avait le souci de respecter le tempérament de ses élèves. Il s’agit là d’une condition sans doute nécessaire mais non suffisante. Force est de constater que les peintres qui ont fondé le Cercle de l’art moderne ont tous eu l’occasion de se frotter aux expérimentations picturales du début du siècle en quittant Le Havre pour la capitale. À cet égard, le journaliste havrais Paul Védrine affirmait non sans raison « Artistes, mes frères, il faut passer par Le Havre, mais ne pas y demeurer4. » Cette confrontation aux artistes parisiens éloigne par ailleurs nos peintres havrais des risques d’un régionalisme trop exacerbé et favorise l’émulation. Le critique d’art Pierre Hepp regrette en 1909 que, « délivrés de la concurrence métropolitaine, les artistes exigent beaucoup moins d’euxmêmes et s’endorment sur des lauriers complaisants, à peine disputés5. » Ainsi, les artistes fondateurs du Cercle peuvent revendiquer de s’être formés dans des institutions parisiennes. Dufy, Friesz, Lecourt, Prunier et René de Saint-Delis passent par l’École nationale des beauxarts, parfois aidés d’une aide municipale


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