Belba le cave N°6

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gratifiantes ; ou, au contraire, d’aversion, de dégoût, d’hostilité ou simplement d’indifférence pour d’autres pratiques non valorisées par le système. Une fois la rationalité objective du système incorporée dans les agents par leur socialisation, c’est le plus souvent sans effort particulier ni calcul explicite qu’ils font ce qu’ils ont à faire, de la façon qui convient, à la place où ils sont, pour faire fonctionner les structures existantes (…) Il faut ici s’aviser que non seulement l’intéressé n’a pas besoin de réfléchir expressément pour prendre la ‘bonne’ direction mais que le plus souvent il la prend sans s’en rendre compte, en croyant aller ailleurs pour faire autre chose. Autrement dit, la signification objective de son activité ne coïncide pas nécessairement avec la signification qu’elle revêt à ses yeux. Divers intérêts, subjectivement éprouvés, viennent généralement faire écran à l’intérêt objectif. » « On méconnaît ou l’on sous-estime trop souvent, y compris chez nombre de sociologues actuels, la capacité du système à s’assurer l’adhésion de ses membres par le biais de l’intérêt qu’ils portent à leur investissement dans divers jeux sociaux, économiques, culturels et autres. Si bien que, pour se soutenir et se maintenir, le système, capitaliste en l’occurrence, n’a pas besoin de recourir en permanence à la contrainte. Au contraire, sa devise est ‘laisser faire, laisser aller’ ». Pourquoi empêcher quelqu’un… de faire ce qu’on souhaite qu’il fasse ? Ce qu’on l’a programmé à désirer… Comment changer le monde, si on ne le comprend pas ? Si on ne se comprend pas ? C’est un reproche sévère qu’Alain Accardo inflige aux

« Nous sommes des automates dans les trois quarts de nos actions » Leibniz

mouvements politiques et sociaux : selon lui, tout occupés qu’ils sont à lutter contre les structures objectives du système (armée, gouvernement, grandes entreprises…) ceux-ci passent à côté des structures subjectives : celles qui ont été intégrées aux personnalités des sujets du système et qui forment une sorte de ‘boussole morale’. On méconnaît ou l’on sousestime trop souvent (…) la capacité du système à s’assurer l’adhésion de ses membres par le biais de l’intérêt qu’ils portent à leur investissement dans divers jeux sociaux, économiques, culturels et autres. Si bien que, pour se soutenir et se maintenir, le système, capitaliste en l’occurrence, n’a pas besoin de recourir en permanence à la contrainte. Au contraire, sa devise est ‘laisser faire, laisser aller’ Quelle drôle de vision ! Morale… introspection… Et en plus on dévalorise les gens qui, à travers un engagement, travaillent (car c’est, souvent, du travail) à faire advenir un monde meilleur ! Ce discours n’est-il pas dangereux ? Ou peut-être est-il, seulement mais profondément, exigeant… D’abord, il n’est pas question de railler les engagements, ou de nier, voire même de minimiser, l’importance des luttes sociales dans la création d’un rapport de force. Ensuite,

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l’appartenance à un mouvement, fût-il progressiste, ne nous classe pas automatiquement et inconditionnellement dans le camp des ‘bons’, et ne nous dispense pas de réfléchir sur nos pratiques. « Une telle démarche n’a rien à voir avec un idéalisme moralisant. Elle relève d’une vision sociologique des rapports entre individu et collectivité d’une part, entre social objectivé et social incorporé d’autre part. Si l’on prend cette vision au sérieux, si le monde social est à la fois dehors et dedans, si le moi est social et si le social se fait moi, alors il faut en tirer les conséquences et admettre qu’on ne peut pas changer la société sans se changer aussi soi-même. Et l’erreur serait d’attendre d’avoir fait l’un pour entreprendre de faire l’autre. Les deux combats ne peuvent être dissociés l’un de l’autre sous peine de tomber dans la ruineuse inconséquence où nous nous trouvons aujourd’hui : pseudo-gauche et vrai droite confondues dans la même erreur objectiviste et dans la même impuissance à changer réellement un cours des choses dont la logique n’est pas seulement inscrite objectivement dans le monde qui nous environne mais aussi dans les plis et les replis les plus intimes de notre subjectivité personnelle. Celle-ci a été pétrie et façonnée par un environnement social dominé par les structures du système capitaliste, et l’intériorisation de la logique de ces structures a installé en chacun(e) d’entre nous une sorte d’automate, une marionnette d’autant plus asservie qu’elle se croit plus libre et qui se croit d’autant plus libre qu’elle ignore davantage par quelles ficelles elle est mue. »


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