Belba le cave N°6

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Belba le cave n°6 Une vaste gamme de livres, de périodiques, de potions et de lotions alimentent nos élucubrations. Entre autres : Livres : Le président des riches. Enquête sur l’oligarchie dans la France de Nicolas Sarkozy, Michel Pinçon et Monique PinçonCharlot ; Le petit-bourgeois gentilhomme, Alain Accardo ; La convivialité, Ivan Illich ; 1OOO Pin Up Girls Périodiques : le canard enchaîné ; La Mèche ; Le Monde diplomatique ; La Décroissance, CQFD ; Fakir ; Manière de voir/Le Monde diplomatique ; Le Sarkophage, la revue Agone Contrairement aux apparences, de plus en plus de personnes perdent leur temps avec ce torchon ! Honte sur eux : LP, le gâteau sous la cerise ; Lou et Fraise des Bois pour les jolis (?) dessins ; Nico, ? ; Cyrille, NB ; Rémy, hot & cool ; Jean, service d’ordre

Bienvenue à tous.

Edito

Suite à un sondage Belba le cave – opinion path, il s’est avéré que la quasi-totalité de lecteurs et des concepteurs de Belba le cave sont de sublimes abrutis. Oh, ils sont gentils, mais à part une libido affreusement développée, ils (et elles) sont irrémédiablement attardés : ce sont des enfants. Et d’ailleurs, que n’avons nous pas entendu ces rengaines : ‘Pffff… C’est aride, hein !’, ‘Il n’y a pas assez d’images et en plus, elles sont toutes déjà coloriées’, ‘ça manque de chats morts’, ‘ça manque de merguez’, ‘et si on foutait le feu à grand-mère ?’… Mais n’ayez pas peur, c’est chose faite (pardon mamie). De GROS titres, de nombreuses images et même des Pin-Ups… Le Seigneur a dit : « Laissez venir à moi les petits enfants ! » (Sans préservatif)

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Tu montes ? rAdio Toulouse International p4

Et pourtant, elle tourne

Zoom : Menteurs ! p16 France p20

L’empire du pire empire Zoom : Les grains de sable p31

Etc. p32

La preuve par l’absurde

Interlude sans intérêt… (10)

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Hordü Komn – Quelle folie fut la mienne

Décoloniser l’imaginaire

p36 C’est une critique impitoyable de la classe moyenne, de sa paresse et de ses renoncements moraux que nous vous présentons cette fois. Le petit-bourgeois gentilhomme c’est vous, c’est moi. Mais cet électrochoc doit servir à l’action. Alain Accardo, l’auteur de ce réquisitoire, fut l’élève de Bourdieu : tout comme lui il croit que c’est en explicitant les mécanismes de la servitude qu’on peut espérer lutter contre eux.

Exclusif !

p51

Le nouveau visage du parti socialiste.

Blah blah le livre : la convivialité p52

Pourquoi la surproduction de services nous menace-t-elle tout autant que la surproduction d’objets ? Comment l’homme peut-il se réconcilier avec l’outil ? Voilà quelques unes des questions sur lesquelles se penche Ivan Illich dans cet ouvrage.

Les belles affiches p55

On vit vraiment une époque formidable…

Greatest Pin-Ups p56

They’re all pretty !

? L’habitat l’air de rien p57

Un sujet original : l’énergie dans le bâtiment

Nous Donnons Le Reste

NDLR p62

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rAdio Toulouse, International ************************************************************************************************

INTERNATIONAL La fuite aux sommets ‘Le sommet de la dernière chance’, ‘le dernier espoir’, ‘liquidation avant fermeture’… On a entendu toutes sortes de choses à propos du sommet de Copenhague, sensé déterminer l’avenir de la planète, et finalement… rien. Pschitt. Walou. Malgré la présence de dizaines de Chefs d’Etats (dont l’ineffable Nicolas S. qui en avait fait son combat personnel. Mais puisque c’était la dernière chance de sauver la planète, serions nous donc tous perdus ! ?

Et bien non (?) puisque les sommets de la ‘dernière chance’ se suivent à un rythme finalement assez soutenu, et se ressemblent… Cancun (sur le climat), Nagoya (sur la biodiversité)… Il s’agit en général d’annoncer que la situation va très mal mais que les choses ne peuvent néanmoins pas changer (le monde est plus complexe voyons !). Cependant, en créant de nouveaux marchés et de nouveaux gadgets, on arrivera bien à s’en sortir…

Le fonctionnement normal du marché carbone en France « Rappelez-vous, c’était à Kyoto en 1997. Une dizaine d’Etats, dont la France (ils sont 183 aujourd’hui) décidaient pour sauver la planète de créer un ‘marché du carbone’. L’idée : repérer les gros pollueurs, leur donner une certaine quantité de gaz à effet de serre à émettre, et, s’ils crèvent leurs quota, les obliger à acheter des droits à polluer (…). A charge pour chaque pays de recenser les joueurs et de leur distribuer les cartes, à savoir les permis à polluer. Le temps que tout le monde se mette d’accord, la partie de Monopoly n’a débuté qu’en 2005. En France, 1018 sites polluants se sont retrouvés autour de la table, avec dans le rôle du croupier le ministère de l’Industrie. Le hic, c’est que la distribution des cartes s’est faite à la tête du client. D’un côté, une dizaine d’universités et de centres hospitaliers, comme le CHU de Poitiers, d’Angers ou de Nancy, auxquels on octroie des quotas si riquiqui qu’ils sont obligés d’acheter les droits à polluer qui leur manquent sur le marché du carbone. De l’autre, de vrais champions de la pollution, si généreusement servis qu’ils peuvent revendre les permis qu’on leur a distribué en trop. » Les dossiers du canard enchaîné, N°115, Les profiteurs du bizness écolo

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esCrO2 Excusez du peu, mais il fallait être un tantinet naïf pour penser qu’en confiant la diminution de l’émission de gaz carbonique à un marché, on règlerait le problème. Enfin bon, puisqu’on allait voir ce qu’on allait voir… Et bien, on a vu. En plus de la spéculation (légale et encouragée), on a vu un autre classique des marchés : l’escroquerie (il ne faut pas se faire prendre). Des petits malins avaient trouvé la combine : « Il s’agissait en fait de quatre escrocs français basés à Paris et à Neuilly, qui achetaient hors TVA des droits d’émettre du CO2 à l’une des quelque 11000 firmes européennes qui en disposent, les revendaient avec TVA sur le marché du CO2 et empochaient la taxe par le biais de sociétés écrans au lieu de la reverser au fisc. En une année, cette fraude dite ‘au carrousel’ à permis aux petits malins de piquer 160 millions d’euros au fisc français et 5 milliards en tout » (le canard enchaîné, 16/12/09)

BOUM ! Des réacteurs nucléaires qui explosent et de grosses doses de radioactivités répandues : gageons que nous aurons l’occasion de reparler du drame qui a frappé les japonais.


Horizonzon Heureusement qu’on a l’énormité des catastrophes écologiques aujourd’hui pour casser un peu la monotonie des désastres provoqués par l’industrie (Bhopal, Tchernobyl, Erika, AZF…). La fuite de pétrole brut provoquée par une explosion (qui a coûté la vie à 11 pers) sur la plate-forme de forage Deepwater Horizon (exploitée par BP) s’est poursuivie pendant plusieurs mois (d’avril à juillet 2010) à un rythme moyen

qu’on évalue à 5000 barils par jour, pour un total d’environ 5 millions de barils.

Mais bon, la leçon valait bien un fromage. Quel fromage ! Et quelle leçon ?

Pour information, un baril US égale 42 gallons ou encore 158, 984 l.

Après tout, il nous faut bien du pétrole si l’on veut tenter de prolonger la délicieuse ‘American way of life’. Rien d’étonnant à ce que les exploitations continuent. Rien d’étonnant non plus au fait que les prospections off-shore se multiplient, notamment au large des Etats-Unis et de la France !

Pas facile de réparer une fuite en profondeur en haute mer et les plombiers de BP nous ont fait rêver pendant des mois avec, entre autres, des cloches géantes et des tamponséponges en cheveux jetés à la mer…

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Joyeux

futur !


BREAKDOWN La crise ? La crise ? Les crises ! Quelle crise ? La crise écologique ? Économique ? Sociale ? Laquelle on vous sert ? Mais d’abord, si l’on définissait un peu le sujet ? Une crise c’est, selon le Petit Larousse (2005), un « changement subit, souvent décisif, favorable ou défavorable, du cours d’une maladie ». Si le « changement » est sûrement « défavorable », il n’est pas si « subit » (loin s’en faut) et le futur nous montreras si il est vraiment « décisif ». Mais une deuxième définition, plus pertinente pour le sujet qui nous intéresse, attire notre attention : « Manifestation soudaine ou aggravation brutale d’un état morbide ». On touche ici au vif du sujet ! La crise écologique. Nous sommes sûrement rentrés dans une phase d’accélération mais le carnage est dénoncé depuis des décennies, voire quelques siècles. Depuis les années 1970, il est particulièrement bien documenté. La crise économique. Laquelle ? Celle des subprimes ? Celles de la bourse des technologies de l’information et de la communication ? Celle des marchés asiatiques ? Le deuxième choc pétrolier ? Le premier choc pétrolier ? Nous sommes en ‘crise’ économique depuis les années 1970, et le plein emploi n’est même plus un rêve (que l’on se souvienne, à ce sujet, des promesses des néolibéraux !). La crise sociale. Voir l’état de nos sociétés et de leurs membres. Mais puisque, paraît-il, à chaque jour suffit sa peine, c’est à la crise économique que nous consacrerons ce petit encart.

Le taureau de Wall Street

Et puis dans les années 1990 il est entré de plain pied dans la ‘modernité’ de l’économiecasino. « Un véritable conte de fées comme aime à en raconter Alain Minc, le soir à la veillée à ses petits enfants. Le dynamisme du secteur financier est époustouflant. (…) Couplée avec une libéralisation économique, une modernisation de la fiscalité des sociétés, l’économie se diversifie : logiciels, biotechnologies, équipements médicaux,

* Ver ælum öll Vous aimez les sagas nordiques ? Je m’en vais vous conter une bien étrange histoire, et véridique pourtant. Celle de l’Islande, passée en quelques années de la noble routine au rêve, puis au cauchemar. Ce pays vivait modestement dans son coin, principalement de la pêche, un peu du tourisme.

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télécommunications, compagnies d’aviation, etc. Que du moderne, du high-tech, de l’eéconomie. Les taux de croissance s’envolent, jusqu’à 7% en 2004, champagne ! (…) D’où vient l’argent ? De la bulle spéculative mondiale. Les principales banques islandaises font comme les autres, pire sans doute. Elles spéculent comme des folles, achètent des titres qui ne valent rien, les revendent pour très cher et gagnent un argent qui ne vaudra bientôt plus rien » (La Décroissance, 04/10)

* PIIGS ! Et non, il ne s’agit pas de ces cochons de spéculateurs (Pigs ! Piigs ! Piiiiiiiiiiiiiigs !) mais des pays qui subissent leur prédation. PIIGS, c’est un charmant acronyme (pig signifie porc ou cochon en anglais) lancé par les milieux financiers anglo-saxons pour désigner des pays européen à la fiscalité laxiste : Le Portugal, l’Italie, l’Irlande, la Grèce et l’Espagne (Spain en anglais). Parfois on n’y inclut pas l’Irlande, on parle donc des PIGS.

En 2008 les banques islandaises sont ruinées, emportant dans leur chute l’économie nationale (le PIB est divisé par deux et la monnaie perd 2/3 de sa valeur), ainsi que les économies d’épargnants islandais, mais aussi britanniques et hollandais – 320.000 d’entre eux ayant placé leur argent chez Icesave, une filiale qui proposait des taux alléchants (et pas peu louches), jusqu’à 17,5% (320.000, c’est aussi le nombre d’habitants en Islande).

Ces pays connaissent des situations très différentes (celle de la Grèce est beaucoup plus inconfortable que celle de l’Italie) mais ils ont tous en commun d’avoir un budget en déficit, une dette publique solide (bien que la dette de l’Espagne soit inférieure à la française) et des perspectives économiques déprimantes. Ce qui en fait des proies faciles pour les traders, qui ont spéculé sur leurs pertes (y participant).

Le gouvernement islandais rembourse les épargnants islandais, celui de Grande-Bretagne, les britanniques et le néerlandais les hollandais. Et puis… les gouvernements britannique et hollandais présentent la facture : le gouvernement islandais (et donc finalement l’ensemble des habitants de ce pays) devra payer « 3,8 milliards d’euros, soit l’équivalent de 40% du produit intérieur brut (PIB) islandais ou 12.000 euros par habitant » (Alternatives Économiques, 02/10).

Finalement le gouvernement économique de l’Union européenne s’est vu obligé de préparer un ‘plan de sauvetage’ éventuel de plusieurs centaines de milliards d’euros avec l’aide du FMI pour éloigner le spectre de la faillite et repousser les prédateurs – en particulier les banques, sauvées de la faillite il y a quelques mois grâce à l’argent injecté par les Etats ! Mais bien sûr, pas sans garde-fous ni quelques concessions. Pour satisfaire l’UE et les marchés financiers les PIIGS (et, en fait, les autres pays de l’UE, on parle déjà des FUK [France, United Kingdom]) vont devoir faire des ‘réformes structurelles’ – concrètement, il s’agit d’économiser beaucoup d’argent en faisant des coupes claires dans tous les budgets sociaux.

Et pas question d’y échapper, la petite île est menacée de toute part, en cas de refus le FMI prétend vouloir la laisser couler, l’Union européenne bloquera le processus entamé d’adhésion, les agences de notation (les fameuses !) baisseront encore la note de l’Islande, enchérissant le coût de ses emprunts… Le parlement ratifie donc le remboursement. Mais devant le tollé populaire que cela provoque, le président organise un référendum. Le pays doit-il rembourser, oui ou non ? Et malgré toutes les menaces, le non triomphe.

la mauvaise Grèce Là oui, on va le dégraisser le mammouth. Un pays européen ‘sous tutelle’, auquel on va pouvoir imposer toutes sortes d’ ‘ajustements structurels’, voilà qui nous prépare des lendemains qui chantent…

C’est l’histoire d’une petite île qui résiste, mais un peu tard…

Et parlant de souveraineté : l’Allemagne s’indigne que la Grèce ne vende pas une partie de ses îles pour payer ses dettes et se reconstituer de la trésorerie.

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Looney Tunes !

On a souvent comparé les marchés financiers à des junkies. Il leur faut absolument leur dose – une dose de plus en plus importante ; ils sont prêts à voler et à tuer pour s’injecter des liquidités ! Mais il y a un autre aspect, plus souvent négligé : le fait que ceux-ci sont profondément lunatiques : ils sont soumis à de violents changements d’humeur. On en a eu une fort instructive démonstration lors de la ‘crise’ grecque, mise en lumière de façon éclairante par le canard enchaîné (19/05/10) :

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* Zéro pointé ! Les agences de notation sont à la fois les yeux et la voix de l’économie et de la finance. Au nombre de 3 (Fitch, Moody’s, Standard & Poor’s) , elles distribuent des bons et des mauvais points à tous les grands acteurs de l’économie, ainsi qu’à certains de leurs produits. Les grandes entreprises, les produits financiers et même les Etats sont notés par leurs soins.

« Mais qui a donné à ces agences des pouvoirs exorbitants ? Précisément ceux qui s’en plaignent aujourd’hui. Et en premier lieu, les institutions internationales (FMI, Banque centrales, etc.). Ainsi les nouvelles ‘normes de solvabilité’ bancaires – Bâle II, réglementation de la BCE, etc. – sont toutes fondées sur les notations des agences. » (le canard enchaîné, 05/05/10)

d’ordre du Fonds Monétaire international, depuis les années 80 dans les pays en voie de développement. Au nom de ses ‘plans d’ajustement’, des continents entiers ont sacrifié l’éducation de leurs enfants, la santé de leur population. C’est au tour de l’Europe désormais. Mais le FMI n’opère plus en première ligne : ce sont les agences de notation, aujourd’hui, qui font office de gendarmes des états. Et qui négligent une option pour combler les déficits publics, inquiétants, en effet : que soient taxés les flux financiers, les produits des multinationales, les dividendes des actionnaires… » (Fakir, 07/10)

Ce qui frappe d’abord, c’est leur incroyable puissance : en fonction de la note qu’elles attribuent (qui représente le risque ou la sécurité de l’investissement) les acteurs économiques disposent d’un certain crédit qui peut soutenir le cours d’une action ou d’un prix et qui surtout permet de lever des fonds à des taux plus ou moins avantageux. « dans le privé : compagnies d’assurances, caisses de retraite, fonds d’investissement et banques prévoient dans leur règlements de se débarrasser des titres des entreprises dès que leur cotation, par les agences de notation, descend au dessous de la note BB+. (…) Que la France voie sa notation baisser, et le risque qu’elle représente pour ses créanciers augmentera. Leur taux grimpera aussitôt, et il faudra alors trouver 10, 15 ou 20 milliards de plus chaque année pour les intérêts de la dette française. » (le canard enchaîné, 05/05/10) Ce qui frappe ensuite c’est leur nullité et la longue trace de leurs échecs, ainsi que la nocivité de ces derniers. Enron, Parmalat, les subprimes… Tous disposaient de très bonnes notes, des investissements ‘sûrs’. Laxistes avec les grosses entreprises, les agences se font impitoyables avec les Etats, et se proposent non seulement de scruter la gestion présente, mais aussi celle à long terme : « lorsqu’il s’agit des états, Moody’s, Standard &Poor’s et Fitch préviennent le danger à l’avance, poussent des cris d’orfraie, exigent des réformes structurelles. (…) C’était le mot

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La chasse est ouverte ! La Palombe ? La Galinette cendrée ? Non, l’immigré – bronzé de préférence, ou bizarre. En Italie, c’est un sport populaire, comme nous le démontre le « pogrom antiAfricain de Rosarno, en Calabre » (CQFD 03/10) au début 2010. « Une horde sauvage – italienne et catholique – a fondu sur les Africains vivant là, dans des abris de fortune, payés 1 euro le cageot de fruits ramassés. Pour leur peine, ils ont été attaqués à coups de pierre, de fusils de chasse, roués de coups, menacés d’être brûlés à l’essence. Bilan : au moins 30 blessés. (…) On soupçonne le N’drangheta, la mafia calabraise, d’avoir tiré les premiers coups de feu sur les Africains, le 7 janvier, déclenchant une manifestation de protestation, suivie de ces ratonnades. » (le canard enchaîné, 13/01/10) Mais tout de même activement soutenu par l’Etat. Sans parler de Berlusconi, on se souviendra qu’en 2007, c’est le maire de Rome qui avait ouvert la chasse aux Roms (Manière de voir, 06/10) En France, pays du doigt de l’homme, c’est l’Etat qui détient le monopole de la violence légitime, mais il s’en occupe avec zèle. Et si les bons citoyens veulent donner un

coup de main, ils sont les bienvenus – pourvu qu’ils ne se trompent pas de combat.

Du blé ! En Russie, de grands incendies et la canicule ont dévasté de nombreux champs de blé durant l’été 2010. En Ukraine et au Kazakhstan, la canicule a fortement réduit les rendements. Au Canada, ce sont les inondations… Que pensez-vous qu’il s’est passé ? Une grande coordination mondiale, un élan de solidarité pour que la faim dans le monde (qui touche aujourd’hui près d’un milliard d’êtres humains) ne s’aggrave pas ? Et bien non, bien sûr que non. La spéculation a vite pris le relais. En effet, après les produits financiers, les matières premières sont devenues le nouvel Eldorado des traders. Et pour un spéculateur, une situation de rareté accidentelle est un don du ciel. Dans le cas présent, la Russie (3e exportateur mondial de blé) a puissamment aggravé la spéculation, en bloquant ses exportations de blé pour profiter à fond de la hausse du cours du boisseau de céréales sur le marché mondial.

De juin à septembre 2010, les catastrophes naturelles et (in)humaines ont provoqué une hausse du prix du blé de 50% ! (Alternatives Économiques, 09/10)

Élections en Côte d’Ivoire De nombreuses élections ont eu lieu ces derniers temps en Afrique subsaharienne. Les résultats, rarement indiscutables ou réjouissants ont reçu un traitement médiatique très partiel et partial – et parfois pas de traitement du tout. Ainsi, à notre connaissance, la seule élection qui a été largement commentée dans les médias est l’ivoirienne. Et son traitement fut… particulier. C’est à cette bataille des représentations que nous souhaitons jeter un coup d’œil ici. Le récit de l’élection en Côte d’Ivoire ferait un bon synopsis pour un blockbuster américain : Un autocrate (Laurent Gbagbo) s’accroche désespérément au pouvoir après avoir perdu des élections libres. Son adversaire victorieux, Alassane Ouattara, un démocrate soutenu par la communauté internationale, assiste impuissant et rageur à ce Coup d’Etat.

Le printemps arabe Deux dictateurs obligés de s’enfuir, suite à des mouvements populaires spontanés. Incroyable mais vrai : on peut encore rêver. Alors, bien sûr, tout n’est pas réglé, loin de là, et de nombreux périls attendent les tunisiens et les égyptiens, les vieux prédateurs sont à l’affût… En attendant c’est une formidable bouffée d’air fraîche pour les populations du monde entier, et en particulier, bien sûr, celles du monde arabe. Amis tunisiens, amis égyptiens, bravo et mille fois merci.

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Une belle histoire non ? Mais légèrement maquillée. Je ne doute pas un instant que Mr Gbagbo soit un autocrate désespérément accroché au pouvoir – cette partie de l’histoire est très crédible et depuis son coup d’Etat de fait il a fait massacrer des centaines de personnes, parfois des opposants, souvent des innocents de la mauvaise ethnie ou du mauvais quartier… Pour le reste, cela paraît un peu simple. En creusant un peu, on s’aperçoit : Tout d’abord que monsieur Ouattara n’est pas n’importe qui, c’est le candidat des puissances occidentales et notamment du FMI qui l’a imposé à la Côte d’Ivoire comme premier ministre dans les années 80 : « C’est un économiste libéral formé aux EtatsUnis, ancien directeur adjoint du FMI. Il fréquente la haute société. Son épouse, française, gérait les nombreux biens immobiliers d’Houphouët. (…) Pour la petite histoire, Sarkozy a marié Ouattara à Neuilly… » (CQFD, 01/11) Ensuite que les conditions n’étaient pas réunies en Côte d’Ivoire pour des élections libres, avec des groupes rebelles armées qui contrôlent près de la moitié du pays. Ce qui ne veux pas dire que l’on devait laisser Gbagbo gouverner à sa guise, mais que la victoire de Mr Ouattara est loin d’être aussi incontestable qu’on le dit. Et finalement que si Mr Ouattara est impuissant, ses conditions d’exil devraient calmer sa rage. « A mesure que l’image se brouille, la crédibilité de l’ONU, de l’Union européenne, de la France, qui ont mis le paquet sur cette élection phare, s’effrite. Leur apport le plus visible aujourd’hui, est

« Ils en ont franchement assez, les chefs d’Etats africains, de cette crise ivoirienne. A cause de l’entêtement de Gbagbo ? Non ! Mais parce qu’il devient délicat pour certains, arrivés au pouvoir par un putsch ou des élections truquées, de défendre avec conviction ce processus démocratique cher à l’ONU, à Washington et à Paris. Ainsi Blaise Compaoré, l’un des ‘sages’ que vient de choisir l’Union africaine pour négocier avec Gbagbo, se voit rappeler sa prise de pouvoir par la force au Burkina (1987) et son soutien au coup d’Etat manqué de 2002 en Côte d’Ivoire. Nouveau patron de l’Union africaine (UA), Teodoro Obiang, dictateur de la GuinéeÉquatoriale depuis 1979, a calmé le jeu, le 30 janvier, au sommet d’Addis-Abeba : ‘ Les concepts de démocratie, droits de l’homme, bonne gouvernance (…), il convient de les adapter à la culture africaine.’ Tandis que le Conseil de sécurité de l’UA, où siège notamment le grand humaniste Zimbabwéen Robert Mugabe, décidait la constitution d’un comité de réflexion dirigé par le président mauritanien Ould Abdel Aziz, artisan de deux coups d’Etat. » le canard enchaîné, 09/02/11

de soutenir à bout de bras la minuscule ‘République du Golf’, du nom de l’hôtel où s’est réfugié Ouattara. Ils assurent l’entretient et la protection de 1200 personnes dans 306 chambres dont la moins chère coûte 138 euros la nuit. Et de 800 casques bleus avec blindés pour les protéger. Un ravitaillement de luxe par hélico. L’exfiltration et le transport des journalistes. La facture gonfle et le spectacle commence à troubler les Ivoiriens. Presque autant, bientôt, que celui de Gbagbo s’agrippant à son pouvoir ? » (le canard enchaîné, 09/02/11)

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New times ? L’élection de Barack Obama à la présidence des Etats-Unis avait soulevé de grands espoirs, dans son pays comme à l’étranger. Passée les élections de mi-mandat (où il a perdu la Chambre des représentants mais conservé le Sénat) il est temps de dresser un premier bilan. Et force est de constater que celui-ci est, pour le moins, en demi-teinte. Concernant les questions intérieures, il a réussi à taxer la finance, mais sans la réguler (ce qui aurait été étonnant vu les personnages dont il s’est entouré [voir Belba le cave n°5 page 21]) et il a réformé le système de santé, mais sans réussir à créer une option publique. Ce sont des dizaines de millions d’américains qui n’étaient pas couverts et le seront bientôt. Néanmoins les assurances privées en sortent renforcées. Sur les guerres étasuniennes la situation est la même : réforme. On cache le sang que l’on a sur les mains et on sourit… Abou Ghraïb ferme, on retire une partie des forces armées US de l’Irak – et dans le même temps les bombardements ‘ciblés’ et les opérations barbouzes se multiplient en Afghanistan, Pakistan, Yémen, Iran… (voir pages suivantes)

Colonisation La colonisation de Jérusalem Est et de la Cisjordanie se poursuit, au nez et à la barbe de la prétendue ‘communauté internationale’, qui déplore (on vous prie de le croire) mais laisse faire.


LA GUERRE C’EST LA PAIX Pax Americana Où l’on reparle des guerres plus trop fraîches et pas vraiment joyeuses de l’empire américain. Bientôt dix ans qu’a commencée la campagne du ‘Grand Moyen Orient’ : d’abord l’Afghanistan, puis l’Irak. En quelque sorte, le Pakistan et le Yémen – ainsi bien sûr que le Liban et Israël/Palestine. Et gare à l’Iran et à la Syrie ! Quel plus beau terrain de jeu pour des incendiaires qu’un énorme champ de pétrole ?!

* Extension Mais les Etats-Unis ne se limitent bien sûr pas à un seul terrain de jeu, quelle que soit sa superficie. Pour ‘débarrasser’ la Somalie des Tribunaux islamiques, ils n’ont pas hésité à embraser la corne de l’Afrique. Pas plus qu’ils n’hésitent à envoyer des enfants à la guerre. On a ainsi pu voir des enfants de 10 ans et plus combattre pour le Groupement de transition somalien, financé par les Etats-Unis. Mais après tout, qui pourrait leur reprocher ? Ni les Etats-Unis ni la Somalie n’ont ratifié la convention relative aux droits de l’enfant. (le canard enchaîné, 30/06/10)

* Afpak ‘Afpak’ : ce néologisme désigne la zone frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan.

* Irak Alors que les soldats américains ont ‘quitté’ le pays, celui-ci est ‘stabilisé’, mais à quel prix ?

Après 10 ans de guerre en Afghanistan, les forces de l’alliance ne contrôlent pas grand chose. Cette zone à cheval sur deux pays est désormais considérée comme prioritaire par les Etats-Unis, qui tentent d’y installer un réseau d’infiltration (ce qui n’est pas chose aisée) et qui y font intervenir des drones (avions pilotés à distance) pour l’espionnage et des assassinats ciblés.

Après des années de guerre civile, un nouveau pouvoir autoritaire (aux dernières législatives, 500 candidats ont été ‘refusés’) émerge, chiite celui-là, et de nature parlementaire. La mixité interconfessionnelle entre chiite et sunnites n’existe pratiquement plus, particulièrement dans les quartiers de Bagdad.

Est-il utile de préciser que certaines personnalités et certains groupes pakistanais n’apprécient guère d’observer impuissants à des opérations militaires étrangères sur leur

Le calme règne et le feu couve.

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« Dans les assemblées du gouvernement, nous devons donc nous garder de toute influence injustifiée, qu'elle ait ou non été sollicitée, exercée par le complexe militaro-industriel. Le risque potentiel d'une désastreuse ascension d'un pouvoir illégitime existe et persistera. Nous ne devons jamais laisser le poids de cette combinaison mettre en danger nos libertés et nos processus démocratiques. Nous ne devrions jamais rien prendre pour argent comptant. Seule une communauté de citoyens prompts à la réaction et bien informés pourra imposer un véritable entrelacement de l'énorme machinerie industrielle et militaire de la défense avec nos méthodes et nos buts pacifiques, de telle sorte que sécurité et liberté puissent prospérer ensemble. »

territoire, décidés de manière unilatérale par les Etats-Unis ? Une belle poudrière, qui n’est pas près de s’éteindre. Merci monsieur prix Nobel de la paix.

* Obarbouze Les opérations de renseignement et les opérations militaires occultes, ainsi que les opérations de piratages informatique, enfin bref, tout ce que l’on a coutume de nommer la ‘barbouze’, se multiplient dans le cadre de la guerre des Etats-Unis aux ‘Grand MoyenOrient’.

Allocution de fin de mandat (1961) du président des Etats-Unis, David Dwight Eisenhower

nouvelle indignation : entre les périodes 20002004 et 2005-2009, les ventes d’armes dans le monde ont progressé de 22%.

Non seulement dans la zone Afpak, mais également en Iran, où les Etats-Unis se sont alliés à Israël et à la Grande-Bretagne pour lancer une vague d’attaques terroristes contre les installations liées au nucléaire ainsi que les scientifiques qui y travaillent (plusieurs d’entre eux ont été tués ou blessés, ainsi que des membres de leurs familles).

« Et en 2010 c’est le prix Nobel de la paix Obama lui-même qui montrera l’exemple, avec un budget militaire de 755 milliards de dollars aux Etats-Unis. » (Alternatives Économiques, 04/10)

* SIPRI Nouveau rapport du SIPRI (Stockholm International Peace Research Institute) et

« Cinq anciens de l’équipe Bush ont été conservés par Obama. Cinq personnages enrôlés par l’ancien président pour régler son compte à l’axe du mal. A savoir, le patron du Pentagone, le grand chef des armées le secrétaire adjoint à la Défense pour les opérations spéciales, le directeur du Conseil national de sécurité (combat antiterroriste) et le directeur adjoint de la CIA. Leur bilan n’est pas terrible, mais ils sont toujours là. » le canard enchaîné, 13/01/10

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De belles idées… Rafael Correa, le président équatorien, a déjà fait parler de lui – en divisant son salaire par 2, ou encore en organisant une constituante. Et voilà qu’il se fait encore remarquer avec une idée farfelue : vendre du pétrole non foré. « En effet, le président équatorien a pris tout le monde de court en proposant un marché pas ordinaire aux pays occidentaux : je laisse une partie de mon or noir sous la forêt amazonienne en contrepartie de quoi vous compensez financièrement mon pays pour l’effort fait pour la préservation de l’environnement. (…) Le sacrifice de l’Équateur n’est pas négligeable pour un pays dont un tiers des ressources repose sur le pétrole, or, c’est là le cœur de l’argument, il profitera à la communauté internationale dans son entier. D’où l’idée saugrenue de

mettre à contribution les pays les plus riches pour la préservation des ressources écologiques par les pays moins développés. » (La Mèche, 17/09/10) Le marché porte sur le parc national de Yasuni, 950.000 hectares de forêt amazonienne sous lesquels dorment 850 millions de baril de pétrole. « Pour préserver le parc, le pays s’est engagé à ne pas exploiter ces gisements en échange d’un financement international de 2,7 milliards d’euros, soit la moitié de ce que l’exploitation pétrolière aurait rapporté. En août dernier, le gouvernement a créé un fonds pour accueillir les contributions volontaires étrangères. » (Alternatives Economiques, 09/10) On soupçonne bien sûr que les pays volontaires ne vont pas se bousculer pour abonder le fonds,

EUROPE Nouvelle présidence Le traité de Lisbonne (Putsch législatif) devait doter l’Union européenne d’une direction. Un président qui puisse incarner l’unité de l’Europe, un interlocuteur privilégié et disponible pour les partenaires de celle-ci. En novembre 2009, c’est finalement la solution d’une direction bicéphale qui a été retenue : Herman Van Rompuy est ainsi devenu Président du Conseil européen des chefs d’Etats et de gouvernements, tandis que Catherine Ashton était nommée à la tête du ministère européen des Affaires étrangères.

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malgré les grands discours. On se demande d’ailleurs comment vont réagir les Etats-Unis qui ont souvent reproché au Brésil de ne pas préserver l’Amazonie – incroyable réservoir de biodiversité et ‘ poumon de la Terre’.

… ne peuvent rester impunies. Devant cette avalanche de bonnes résolutions, il n’a pas fallu longtemps aux ‘élites’ pour réagir : un coup d’Etat a ébranlé le régime équatorien. Bien qu’il ait été obligé d’établir l’état d’urgence, le président Correa n’a pas été renversé. Cet épisode, un de plus (voir ‘Coup d’Etat au Honduras’, Belba le cave n°5 p11) souligne la fragilité du soi-disant ‘consensus démocratique’ en Amérique latine.


Un choix illisible pour les citoyens européens, ces deux illustres inconnus sont néanmoins le résultat d’un compromis qui ravit les chefs d’Etat comme les membres des institutions communautaires (Parlement, Commission…). Et pas parce qu’il est conservateur tandis qu’elle est libérale, mais parce que tous deux sont transparents et ne feront d’ombre à personne ! Dame Ashcroft en particulier, potiche blairiste, ne risque pas de prendre position et de gêner qui que ce soit. Mais gageons que sieur Rompuy ne fera pas beaucoup de vagues non plus… Et malgré tout cela, l’Europe ne fait pas rêver, on se demande vraiment bien pourquoi…

OGMiam La commission européenne a enfin autorisé un autre OGM à la culture et à la commercialisation en Europe : la pomme de terre Amflora, destinée à des applications industrielles et à l’alimentation animale. Que l’innocuité de ce nouveau fleuron du groupe BASF (un des plus gros industriel de la chimie au monde, une transnationale dont le siège est en Allemagne) soit sujette à controverse (l’Organisation mondiale de la santé [OMS] a émis des réserves) n’a pas inquiété l’Agence européenne de sécurité des aliments, qui a donné son feu vert. (Alternatives Économiques, 04/10)

Après des années de gel, les OGMs font leur retour en Europe, par la petite porte.

Démollegraphie Au 1er janvier 2010 la population de l’Europe a officiellement passé la barre des 500 millions selon Eurostat. L’augmentation est principalement due à l’arrivé de migrants (pour 63%). « L’immigration reste donc le principal moteur démographique de l’Union européenne. Pour autant le solde migratoire s’est sensiblement réduit par rapport à ce que l’on a pu observer en 2008 (de 2,9 à 1,7%O). Et le solde naturel, lui aussi en baisse, n’est pas là pour prendre le relais. Il a diminué de 1,2 à 1%O. » (Alternatives Économiques, 10/10)

* * *

« Il n’est pas facile, quand on parle d’Europe, d’être tout simplement entendu. Le champ journalistique, qui filtre, intercepte et interprète tous les propos publics selon sa logique la plus typique, celle du ‘tout ou rien’, tente d’imposer à tous le choix débile qui s’impose à ceux qui sont restés enfermés dans sa logique : être ‘pour’ l’Europe, c’est-à-dire progressiste, ouvert, moderne, libéral, ou ne pas l’être, et se condamner ainsi à l’archaïsme, au passéisme, au poujadisme, au lepenisme, voire à l’antisémitisme… Comme si il n’y avait pas d’autre option légitime que l’adhésion inconditionnelle à l’Europe telle qu’elle est, c’est à dire réduite à une banque et une monnaie unique et soumise à l’empire de la concurrence sans limites… Mais ce serait une erreur de croire que l’on échappe vraiment à cette alternative grossière dès que l’on parle d’ ‘Europe sociale’. Les discours sur l’ ‘Europe sociale’ n’ont eu jusqu’ici qu’une traduction insignifiante dans les normes concrètes qui régissent la vie quotidienne des citoyens : travail, santé, logement, retraite, etc. Alors que les directives en matière de concurrence bouleversent chaque jour l’offre de bien et de services et défont à grande vitesse les services publics nationaux – sans même parler de la politique que la Banque centrale européenne peut mener hors de tout débat démocratique. On peut élaborer une charte ‘sociale’ et dans le même temps conjuguer austérité salariale, réduction des droits sociaux, répression des mouvements de contestation, etc. La construction européenne est pour l’instant une destruction sociale. Ceux qui, comme les socialistes français, ont recours à ces leurres rhétoriques ne font que porter à un degré d’ambiguïté supérieur les stratégies d’ambiguïsation politique du ‘social libéralisme’ à l’anglaise, ce tatchérisme à peine ravalé qui ne compte, pour se vendre, que sur l'utilisation opportuniste de la symbolique, médiatiquement recyclée, du socialisme. » Pour un mouvement social européen Pierre Bourdieu Le Monde diplomatique (06/99), reproduit dans : Pierre Bourdieu, Contre-feux 2

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Zoom : Menteurs ! ************************************************************************************************

Les grands groupes, financiers et industriels, se sont trouvés une conscience. Désormais responsables et vertueux, ils œuvrent au salut du monde. Ce n’est donc plus la peine que nous-mêmes, personnes morales ( ?) bêtement mortelles, nous nous fassions du souci. Suivons donc leurs judicieux conseils et leur leadership en bon consomm’acteurs avisés et le monde sera sauvé. N’en doutons pas.

La sornette d’alarme Après avoir nié ou minimisé pendant des décennies les effets délétères de l’industrie sur la nature et sur les hommes, les grandes entreprises se sont aujourd’hui autoproclamées championnes du ‘développement durable’ (DD), de la croissance verte, des futures générations et des petites fleurs. Le retournement s’est fait progressivement mais on trouve désormais peu d’entreprises qui ne se vantent pas de faire leur petit plus pour la planète. Pour donner des points de repère à ce mouvement, on peut selon nous remonter au sommet sur la planète de Rio en 1992, où les entreprises se sont rendues compte du potentiel du DD – notamment en terme de communication. Puis 2002, et le sommet sur la planète de Johannesburg, où les entreprises prêtent

massivement concept.

allégeance

au

Il existe dorénavant d’innombrables pactes, labels, associations, etc., qui visent à ‘sauver la Terre’ – finalement moins menacée que l’humanité (admirons au passage le World business council for sustainable development [WBCSD] ou Conseil mondial des affaires pour un développement durable. C’est beau et irréel comme Rhône Poulenc & TF1 qui sponsoriseraient une émission écologique).

Cette scène rappelle parfois de vieilles comédies grinçantes où l’on voit un aréopage de médecins aussi cupides qu’incapables tuer à petit feu un malade qui aurait surtout besoin d’un peu d’air frais.

« Les grands pollueurs ont tout intérêt à ce que le ‘développement durable’ soit avant tout un problème de responsabilisation du consommateur-citoyen, faisant ainsi de la pollution un manque de civisme et de la consommation une solution : la meilleur façon de protéger la nature, c’est encore de consommer… Et le consommateur n’a plus que l’embarras du choix : entre Leclerc et Carrefour, lequel soutenir de son acte d’achat ‘écologique’ et ‘éthique’ ? Quelle enseigne oligopolistique vouée à la consommation de masse, poussant au productivisme, au dumping social et aux délocalisations, jetant sur les routes un flux exponentiel de camions, est la plus engagée sur la voie du ‘développement durable’ ? » Benoît Eugène La revue Agone n°34

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Développement durable : on lave plus vert Alors on a inventé le développement durable, « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ». C’est donc un développement réellement ‘durable’ puisque il se donne à lui-même les moyens de sa perpétuation, notamment en organisant la solidarité entre les générations. Mais ce concept n’oublie pas le social, qui en est un des piliers, à travers « le concept de ‘besoins’, et plus particulièrement des besoins essentiels des plus démunis, à qui il convient d’accorder la plus grande

priorité ». Tout est pour le mieux donc : on se soucie enfin des générations futures, des plus pauvres et de la nature, le monde est sauvé. Sauf que…

pollution (de l’air, de la terre, de l’eau) continue d’exploser, suivant en cela la courbe de la demande. Les inégalités idem et le sort des générations futures ne paraît pas particulièrement enviable.

Si c’est à ses fruits qu’on reconnaît un arbre, il est désormais patent que celui du développement durable est pourri de la racine à la cime.

Les solutions ‘soutenables’ sont plus loin que jamais, tandis que les catastrophes annoncées sont déjà là et s’aggravent à chaque instant.

A part pour le développement fulgurant de nouveaux marchés (des nouvelles technologies, de la communication, de la certification), les résultats sont pour le moins ambigus : si certaines des nouvelles technologies sont utiles, la

Un bio gâchis Il était une fois des légumes que l’on faisait pousser dans la terre (dans la terre – quelle drôle d’idée !) et au soleil. Mais il s’agit là d’une époque reculée, archaïque. Trop cher, trop sale, trop de personnes qui travaillaient la terre plutôt que de s’épanouir à faire la queue au Pôle emploi ou devant la télé. On fit donc pousser des tomates sous serres, sur roches, qui grossissent au liquide nutritif (dans des pays qui manquent d’eau) – c’est beaucoup plus rationnel. Mais l’on s’est rendu compte au bout d’un moment (je ne vous dit pas combien d’ingénieurs ont travaillé d’arrache-pied) que c’était moins nutritif, et qu’en plus, c’était moins bon pour le

sol, les écosystèmes alentours, le corps humain… Pour finalement recommencer à cultiver des légumes dans la terre, au soleil, et sans arsenal chimique digne d’un ‘rogue state’. Mais comme on sait plus trop faire, et que ça coûte plus cher (cela rapporte donc moins – sauf si une demande solvable est prête à passer outre), on décide de conserver la filière qui produit des denrées médiocres – et souvent nocives, afin de permettre aux pauvres de continuer à se gaver de mauvais produits (on sait que leur cœur les y porte).

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Les écotartuffes Le tartuffe est un personnage classique de comédie que le Petit Larousse (2005) qualifie de « faux dévot ». Une fois le sens initial rappelé, le néologisme formé par les objecteurs de croissance devient limpide. Un néologisme dont ils ne sont pas avares et qu’ils ont attribué à quantité de personnes. Les plus connus de ces écotartuffes sont bien sûr Nicolas Hulot et Yann Arthus Bertrand, les hélicologistes fous qui vous conseillent de ‘fermer le robinet quand vous vous brossez les dents’ pour sauver la planète (oh, et accessoirement de verser de l’argent à des fondations, comme, par exemple, la Fondation pour la nature et l’homme ou Good Planet.). Mais on en trouve partout ! En politique avec Chirac, son productivisme et sa « maison » qui « brûle » ; Borloo & Sarkozy, les avocats d’affaires, et leur ‘Grenelle’… Dans le milieu associatif, avec entre autres Serge Orru, le serial signeur… Chez les stars du show-biz on ne peut plus les compter… Le vert, c’est le nouveau noir ?


Plus label la vie Les nouvelles indulgences Toute la communication autour des produits écologiques et/ou équitables est à la fois fascinante et dérangeante. Mais ce qui me scandalise peut-être le plus, ce sont les nouvelles ‘indulgences’ que représentent ces produits. « La planète brûle », mais certains ne regardent pas ailleurs, consomm’acteurs éco-responsables et éthiques, ils font leur petit plus pour la planète ou le petit producteur : Du panneau solaire sur la villa au café équitable, de la voiture hybride à la compensation carbone, en passant, bien sûr, par le tee-shirt en coton bioéquitable… L’attitude que ces héros des temps modernes ont envers la foule du commun varie : de l’indignation à la condescendance, du dégoût à la volonté d’évangéliser… Que l’on puisse s’acheter des produits de qualité supérieure et même une bonne conscience lorsque l'on a de l'argent, rien de nouveau sous le soleil… Mais quand on pousse cette logique à fond, c’est à la guerre civile qu’elle conduit.

Le ‘commerce équitable’, voilà une idée formidable, bien que l’intitulé soit un peu de mauvais goût. En effet, prendre le soin de préciser que ce commerce-ci est équitable, c’est impliquer que le reste du commerce – l’immense majorité – ne l’est pas. C’est d’autant plus fâcheux que le commerce équitable s’adapte avec une facilité déconcertante aux circuits commerciaux existants, ce qui laisse penser que la différence est peut-être marginale. Le petit producteur touche quelques centimes de plus : génial ! Certains esprits chagrins se demanderons peut être si le petit producteur ne préférerait pas s’occuper de cultures vivrières pour nourrir les siens… Et puis, d’autres questions viennent à l’esprit : qu’en est-il du magasinier qui a trié ces produits, des dockers et camionneurs qui les ont chargés/déchargés, de la caissière qui les vend ? Pas de pitié : on ne peut pas mettre

tout le monde sur l’affiche, et le sourire d’un producteur africain ou d’une petite indienne est tellement plus vendeur… Qui profite le plus de cette imposture intellectuelle ? Les distributeurs et les publicitaires (pardon, dans ce milieu on dit ‘communicants’) sont les premiers bénéficiaires de ce secteur en plein essor. Mais les industriels n’ont pas trop à se plaindre non plus : non seulement ils disposent là d’un nouveau marché (et vivent les petits producteurs – sur les affiches !), mais même les consommateurs raisonnables (voire éclairés) continuent de faire leurs courses dans les supermarchés et à acheter tout un tas de gadgets – du moment que ceux-ci sont labellisés – en toute bonne conscience.

Kyoto, Nagoya et cie… De sommets mondiaux de la planète en sommet pour le CO2 ou contre la biodiversité, les grands de ce mondes n’en finissent plus de le courir pour le sauver (la plupart des déplacements se faisant en avion, il est permis de ricaner doucement). Que peut-on espérer de ces gesticulations ? L’étude de ces pingouins-là ne nous apprendra pas grand-chose, sinon que derrière les beaux discours le poing du marché n’est jamais vraiment loin. Et pourtant, la nécessité d’une coopération internationale est évidente. Est-elle possible dans les conditions actuelles ? On peut en douter. Mais alors quoi, faudra-t-il encore attendre une catastrophe – ou plusieurs ? Ou la bonne volonté de nos maîtres ?

Rio + 10, une OPA sur les Nations Unies « L’incongruité frappante entre la rhétorique clinquante du ‘développement durable’ adoptée par les gouvernements du Nord et leur absence de volonté politique d’entreprendre des actions concrètes fit de ce sommet une farce. Les négociations avaient en effet pour but de redéfinir le ‘développement durable’ en fonctions des intérêts commerciaux et industriels des gouvernements du Nord et de ‘leurs’ entreprises. La globalisation néolibérale sous l’égide des intérêts industriels et le cycle de négociations de l’OMC à Doha furent entérinées et présentés comme des facteurs clés du ‘développement durable’. La commercialisation du ‘développement durable’ atteint un tel point que Mark Malloch-Brown du Programme des Nations unies pour le développement [PNUD] put décrire le sommet, et c’était pour lui tout à fait positif, comme ‘la plus grande foire commerciale du monde’. » La revue Agone, N°34, 2005

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Les deux écologies Petite comparaison ludique : Etes-vous capable d’identifier le camp de chacune de ces personnes ? « Le label et la réglementation européenne ont permis de développer un marché international facilitant la libre circulation des produits, le commerce et la concurrence. Nous ne nous reconnaissons pas là-dedans. » Jordy Van den Akker, Ancien président de l’association Nature et Progrès

« Europe écologie exprime, d’une certaine façon, la fin des abus, des excès, et marque l’attention que nous voulons tous porter à la question des ressources, à la question d’un monde fini dans des ressources limitées. Je voudrais dire par là que c’est quelque chose que nous, les entreprises, nous intégrons et il me semble que la société française aujourd’hui a totalement compris cet enjeu. (…) Le projet que beaucoup de chefs d’entreprises veulent porter, c’est le projet du développement durable » Laurence Parisot, présidente du Médéf Le grand jury RTL-LCI-Le Figaro (11/04/10)

« Près de 20 ans que Carrefour s’engage en faveur du développement durable ! Carrefour agit depuis près de 20 ans pour préserver la biodiversité et les ressources naturelles. »

« La prise en compte des exigences écologiques conserve beaucoup d’adversaires dans le patronat. Mais elle a déjà assez de partisans capitalistes pour que son acceptation par les puissances d’argent devienne une probabilité sérieuse. Alors mieux vaut, dès à présent, ne pas jouer à cache-cache : la lutte écologique n’est pas une fin en soi, c’est une étape. Elle peut créer des difficultés au capitalisme et l’obliger à changer ; mais quand, après avoir longtemps résisté par la force et la ruse, il cédera finalement parce que l’impasse écologique sera devenue inéluctable, il intégrera cette contrainte comme il a intégré toutes les autres. (…) La prise en compte des coûts écologiques aura, en somme, les mêmes effets sociaux et économiques que la crise pétrolière. Et le capitalisme, loin de succomber à la crise, la gérera comme il l’a toujours fait : des groupes financiers bien placés profiteront des difficultés des groupes rivaux pour les absorber à bas prix et étendre leur mainmise sur l’économie. Le pouvoir central renforcera son contrôle sur la société : des technocrates calculeront des normes ‘optimales’ de dépollution et de production, édicteront des réglementations, étendront les domaines de ‘vie programmée’ et le champ d’activité des appareils de répression. (…) Direz-vous que rien de tout cela n’est inévitable ? Sans doute. Mais c’est bien ainsi que les choses risquent de se passer si le capitalisme est contraint de prendre en compte les coûts écologiques sans qu’une attaque politique, lancée à tous les niveaux, lui arrache la maîtrise des opérations et lui oppose un tout autre projet de société et de civilisation. Car les partisans de la croissance ont raison sur un point au moins : dans le cadre de l’actuelle société et de l’actuel modèle de consommation, fondés sur l’inégalité, le privilège et la recherche du profit, la non-croissance ou la croissance négative peuvent seulement signifier stagnation, chômage, accroissement de l’écart qui sépare riches et pauvres. Dans le cadre de l’actuel mode de production, il n’est pas possible de limiter ou de bloquer la croissance tout en répartissant plus équitablement les biens disponibles. » André Gorz Leur écologie et la notre (1974)

« Ce que nous avons su faire il y a plusieurs décennies pour le nucléaire, nous allons le faire pour le développement durable. (…) Le développement durable, c’est pas moins de croissance, c’est plus de croissance » Nicolas Sarkozy Le 20 mai 2008 à Orléans

« En effet, à quoi rimerait de nous battre pour garder ‘propres’ notre air, notre eau, nos énergies et tout notre environnement, si c’était pour accepter de garder, individuellement et collectivement, une âme ‘sale’ et intoxiquée, c’est-à-dire continuer à cultiver et à transmettre à nos descendants les mêmes mentalités barbares qui, depuis pratiquement la sortie des cavernes, ont fait de notre espèce une engeance de prédateurs insatiables, à la fois un Prométhée et son propre vautour. » Alain Accardo, Ecologie (Toutes les citations sont tirées de la Décroissance et du Monde diplomatique)

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rAdio Toulouse, France ************************************************************************************************

Délinquance en col blanc Cela ne pouvait plus durer ! Les hommes d’affaires et les financiers en France étaient persécutés, comme tout le monde le sait. Mais heureusement le pouvoir a trouvé une solution fort astucieuse : ne plus faire d’enquêtes sur leurs malversations. C’est Maryvonne Caillibotte, directrice des Affaires criminelles et des Grâces qui s’est fait l’écho de cette bonne nouvelle dans le rapport 2009 de politique pénale, qui n’est pas destiné au public mais dont le canard enchaîné du 28 juillet 2010 s’est fait un plaisir de citer des passages (les citations du chapitre suivant en sont tirées). Ainsi, selon ce rapport, les délinquants en col blanc bénéficient désormais d’un « sentiment d’impunité » imputable, en particulier, à deux phénomènes principaux :

Tout d’abord, il n’y a plus grand monde pour lutter contre eux : « La quasi-totalité des parquets signale le manque criant de services et unités d’enquête qualifiés pour diligenter les procédures en matière économique et financière ». Cela a le mérite d’être clair. Ensuite, si un enquêteur décide tout de même de s’intéresser à cette délinquance de haut vol, il devra le faire au détriment de sa carrière, puisque les enquêtes longues et minutieuses s’accordent mal avec les objectifs chiffrés imposés à la Justice : « plusieurs parquets ont le sentiment que l’investissement des services enquêteurs dans la délinquance économique et financière serait difficilement compatible avec des objectifs quantitatifs leur étant assignés ».

verbaux dressés par l’inspection du travail ont diminué de moitié sur la même période.

Rien d’étonnant donc, à ce que pour plus de cent informations judiciaires ouvertes par les pôles économiques et financiers des parquets en 2000, on en compte plus que 12 en 2009 ! On ne s’étonne pas plus d’apprendre que les procès

Et voilà comment Nicolas Sarkozy a rempli, de façon indirecte, une de ses promesses de campagne : la dépénalisation (et même la dévitalisation) du droit des affaires.

C’est bien sûr parce que les patrons et les cadres supérieurs, touchés par la bonne volonté des pouvoirs publics, sont devenus vertueux! « Pas sûr, grincent Godefroy-Mucchielli [Thierry Godefroy et Laurent Mucchielli, chercheurs au CNRS], qui recensent surtout les empilements de textes renforçant l’impunité économique et le pouvoir filtrant du parquet au détriment des plaintes de particuliers et des enquêtes de juges d’instruction. Un lâcher de chloroforme sur les tribunaux, accompagné de discours compréhensifs, voire complices, de certains élus… » (le canard enchaîné, 17/11/10)

« ‘Tout est fait, nous a confié un juge ayant travaillé dans ce service, pour clore le chapitre de la délinquance financière des cols blancs. La juridiction financière, les saisines des juges financiers se raréfient. (…)’ Les grands patrons doivent avoir les coudés franches et se savoir à l’abri des dérives idéologiques et irresponsables des magistrats indépendants, libres de venir ruiner les montages les plus juteux. Isabelle Prévost-Desprez parle de ‘drogue’ pour caractériser le rapport à l’argent des hauts délinquants financiers qu’elle a à juger (…) La véritable violence sociale n’est-elle pas là, dans cette ‘gouvernance par la délinquance’ comme mode de régulation de la finance folle, selon l’expression d’un magistrat spécialiste de la criminalité financière ? N’est ce pas de là que naissent le désespoir, les vies gâchées avant même de s’être épanouies ? » Michel Pinçon & Monique Pinçon-Charlot, Le président des riches, enquête sur l’oligarchie dans la France de Nicolas Sarkozy

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Les hausses courent L’INSEE a rendu public les chiffres de l’inflation pour l’année 2010 : 1,8%. Très bien. Bien, bien… On attend toujours de savoir de quel pays parle l’Institut. Tout comme on attend encore des chiffres crédibles concernant la France. En attendant tout cela, nous avons choisi de vous présenter une petite sélection des augmentations récentes qu’ont subi les français. La liste n’est ni exhaustive ni représentative, mais elle donne le ton… Et on a encore rien vu ! - Gaz : Les tarifs ont augmenté au 1er avril (!) 2010 de 9% en moyenne, puis une nouvelle fois au 1er juillet : + 5 % - Electricité : Augmentation au 15 août 2010 : 3% en moyenne pour les ménages ; 4 à 5,5% pour les entreprises (Alternatives Économiques, 09/10). « l’an dernier, la hausse moyenne affichée [par EDF, ndlr] était de 2%. Mais, pour les clients les plus modestes (ceux qui ont un compteur 3kVA), le prix de l’abonnement avait alors bondi de 172% ! Cette année, il faut examiner à la loupe ces 103 pages pour découvrir que certains clients – ceux qui ont un compteur de 6kVA et un contrat ‘heures creuses’ – avaleront 8% de hausse sur le prix du kilowatt. Pas grave, ‘cela concerne une infime quantité de clients’ a assuré le ministère de l’Economie. Une infime quantité qui représente juste 10% des ménages, soit 3 millions de foyers. » le canard enchaîné 18/08/10

Le compteur ‘Linky’ bientôt mis en service devrait coûter 240 euros par foyer sur 20 ans tandis que la loi NOME, concernée par l’ouverture de l’énergie aux opérateurs privés devrait occasionner une hausse des tarifs de 20 à 30% en 5 ans. - Frais bancaires Selon un rapport publié en juin 2010 par UFC-Que Choisir et portant sur la période 20042009 : « La situation s’aggrave ». Le prix de la carte bancaire a ainsi augmenté de 13% durant cette période – alors que son coût pour les banques a diminué de 9%. « Selon l’association, l’inflation tarifaire s’est concentrée en particulier sur les incidents de paiement, et donc sur les clients les plus fragiles. Au total, 40% des revenus des banques de détail proviennent des frais perçus sur ces clients. Or, ces derniers financent des réseaux qui sont de moins en moins à leur service. Ainsi, alors que le nombre de conseillers particuliers a diminué de 10% en cinq ans dans les banques, celui des traders a augmenté dans le même temps de 58% et celui des chargé de

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communications de 109%… » (Alternatives Économiques, 07/10). - Autoroutes : « C’est fou ces autoroutes. Plus elles sont amorties, plus elles coûtent cher à ceux qui les empruntent. Depuis 2005, le tarif des péages a grimpé plus vite que les cyclistes dopés sur le tour : +7,8% sur les axes exploités par Cofiroute, +11% pour les Autoroutes du sud de la France (ASF). Et encore, c’est une moyenne. (…) Jackpot ! En 2009, les trois principaux exploitants (Cofiroute, ASF et Sanef) se sont goinfrés : 1,3 milliard de bénéf à eux trois et des nèfles pour l’Etat. » (le canard enchaîné, 30/06/10)

Famille, je vous aime… Voilà l’histoire réconfortante d’une entreprise qui ne connaît pas la crise : ma tante ! Le crédit municipal (prêt sur gages) enregistre une affluence record : 650 personnes s’y pressent chaque jour en 2010, contre 400 en 2007. (Selon une information du Parisien, citée par le canard enchaîné du 14/10/10)


LA FRANCE DE NICOLAS (2010) Bilan d’étape C’est sans tambour ni trompette que Sarkozy a fêté ses trois ans au pouvoir. Lui qui est si obsédé par les résultats chiffrables, n’est pas revenu sur son bilan. C’est dommage, on dispose pourtant de quelques jolis chiffres. Ainsi, entre mai 2007 et décembre 2009 on est passé : De 2.036.600 chômeurs à 2.661.300. De 1142 milliards d’euros de dette publique (64% du PIB) à 1498 milliards (77,6%). « Mais c’est la faute à la crise. A la conjoncture. A la Grèce. Au volcan. A pas de chance. Signalons au passage que la crise, beaucoup l’avaient prévue (…), mais que nos dirigeants refusaient résolument de la voir venir : voilà deux ans, Christine Lagarde parlait de simple ‘trou d’air’, de ‘correction brutale des marchés’. Gouverner c’est prévoir, dit-on… » (le canard enchaîné, 12/05/10) Et en la matière, quelle virtuosité ! Se priver de précieuses recettes fiscales (bouclier fiscal, baisse de la TVA en restauration… ) et défavoriser l’embauche (exonérations de cotisation sur les heures supplémentaires…) à l’approche d’une crise économique majeure, il faut oser ! Surtout si l’on persévère. Et finalement Nicolas Sarkozy, le ‘candidat du pouvoir d’achat’ instaure la rigueur. Certes, le mot est soigneusement évité, mais c’est bien celui auquel pensait François Fillon en annonçant (le 6 mai 2010 !) : « le gel immédiat des dépenses de l’Etat pour les trois ans à venir, la diminution de 10% des dépenses de fonctionnement et pour faire passer la pilule, le rabotage de quelques niches fiscales » (ibid.) Joyeux anniversaire, donc.

* Sarkontre-attaque

Un petit peu de ‘sécurité’… On croit constater une hausse des violences scolaires, quelles conclusions en tirer ? Qu’il serait temps d’arrêter de supprimer des postes d’enseignants et d’encadrants ? Ou peut être qu’il faudrait en revenir à une application plus stricte de la ‘carte scolaire’, afin de favoriser la mixité et la cohésion sociale ? Non. On va injecter des moyens dans l’école, mais d’une autre façon. Le gouvernement veut introduire des technologies de surveillances dans les établissements. Caméras, portiques de sécurité…

Après avoir reçu une bonne baffe aux régionales, début 2010, Nicolas Sarkozy a décidé de repartir à la conquête de son électorat traditionnel. « Nicolas Sarkozy et ses troupes font rarement dans le point de croix. Mais, là, c’est carrément de la grosse ficelle. Rien qu’au cours de la semaine dernière ils ont ouverts trois fronts qui, on l’aura compris, visent le même objectif : reconquérir les électeurs de l’extrême droite ainsi que les personnes âgées, qui les ont fuis aux dernières élections régionales. » (le canard enchaîné, 28/04/10)

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Chroniques de la « république irréprochable » Les scandales se suivent et ne se ressemblent pas à la tête de l’Etat ! C’est un véritable festival, un florilège. En voici quelques-uns, présentés sans aucune volonté d’exhaustivité. -Brice Hortefeux, ministre de l’intérieur, est condamné en première instance le 4 juin 2010 pour injure à caractère raciale (puis à nouveau en décembre, pour : atteinte à la présomption d’innocence). -Nicolas Sarkozy est personnellement mis en cause dans l’affaire des rétro-commissions d’une vente de sous-marins au Pakistan : ces rétro-commissions ont servi à financer la campagne présidentielle d’Edouard Balladur dont il était un des plus proches lieutenants. -La femme d’Eric Woerth, alors ministre de l’économie et des finances (et trésorier de l’UMP, bonjour le mélange des genres !), organise l’évasion fiscale de la première fortune de France, Liliane Bettencourt. Une partie de son magot est néanmoins restée en France : des valises d’argent liquide (au moins 150.000 euros) qui ont servi à financer la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy, dont le trésorier n’était autre qu’un certain… Eric Woerth. -Entre juillet 2009 et juin 2010 Christian Blanc, le secrétaire d’Etat au développement de la région capitale (le grand Paris), a fumé pour 12.000 euros de cigares aux frais du contribuable (le canard enchaîné, 16/06/10). Est-ce pour cela que le malheureux est harcelé par le fisc ? Non pas. Il est fortement soupçonné d’avoir truqué sa déclaration d’impôt sur le revenu pour l’année 2008, ainsi que ses déclarations au titre de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) des années 2004 à 2008 (le canard enchaîné, 09/06/10). -Le secrétaire d’Etat à la Coopération, Alain Joyandet, s’était déjà fait remarquer en mars 2010 pour un coûteux voyage en Martinique dans le cadre de son travail (mais bon, 116.500 euros pour un aller retour en jet privé, c’est pas si cher…). Cette fois-ci il s’est carrément fait attraper avec la main dans le pot de confiture. Avec l’aide d’Alain Benedetto (maire UMP), il a déposé une demande de permis de construire ouvertement fausse afin de contourner les règles d’urbanisme dans une zone d’espaces naturels classée ‘1N’. -Pour calmer Christine Boutin (ex-ministre du Logement), acheter son silence et éviter qu’elle ne se présente à la prochaine élection présidentielle, Nicolas Sarkozy l’a gratifiée d’une mission (bidon) sur « les conséquences sociales de la mondialisation » (le canard enchaîné, 09/06/10) assortie d’un salaire (bien réel, celui-ci) de 9500 euros bruts. Cela détend, forcément. Et après cela, Mme Boutin a bizarrement arrêté d’embêter Nicolas S. -Fadela Amara fait bénéficier sa famille d’un logement de fonction et du personnel afférant. Le gouvernement, après avoir fait la sourde oreille, a été obligé de réagir à toutes ces ‘affaires’ (dévoilées par le canard enchaîné) et à l’indignation qu’elles ont provoqué. Finalement, Christian Blanc et Alain Joyandet ont été remerciés, ainsi que Mme Boutin. Et monsieur Fillon d’annoncer que dorénavant les dépenses des ministres et secrétaires d’Etat seraient surveillées (c’est bien le moins !). Et Mr Nicolas Sarkozy d’annoncer qu’il renonçait à la Garden Party de l’Elysée pour le 14 juillet 2010 (Trop aimable !). Trop peu, trop tard, ces mesures n’ont pas empêché que le gouvernement soit discrédité une fois de plus. Et, encore une fois, la France est la risée du monde entier.

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Bienvenue à l’école du troisième millénaire !

importe que les solutions qu’il a proposées à cette occasion « pour la plupart sont anticonstitutionnelles, contraires au droit européen ou ont déjà prouvé leur inefficacité » (ibid.), notre VIRP national est ici en représentation.

Et beaucoup de nationalisme… Les croisés du gouvernement partent en bataille, mais en ordre quelque peu dispersé. D’abord sur la Burqua : un vrai vaudeville. Une femme se fait verbaliser au volant d’une automobile, parce qu’elle portait le voile. S’en est suivi une véritable farce : un dialogue entre un mari musulman louche mais à gouaille et les (70 ?) vierges effarouchées du gouvernement et de l’establishment. Celles (et ceux aussi, en fait) – ci ont menacé le mari de toutes sortes de châtiments qu’ils n’étaient aucunement en mesure de lui infliger, tandis que celui-ci se vantait de n’être pas polygame, mais seulement un mari volage. Et puis le drapeau aussi. Le gouvernement s’est trouvé là un adversaire à sa hauteur : un photographe amateur au goût douteux, c’est épique. La FNAC organisant un concours de photographie sur le ‘politiquement incorrect’, un des participants a pris une photo de quelqu’un (lui-même ?) s’essuyant les fesses avec le drapeau français. Quoi ! Horreur ! Brouhaha ! Etc. ! Les grands sensibles du gouvernement Fillon sont grimpés aux rideaux (s’y sont-ils essuyés ?). Et ont fait de l’insulte au drapeau un délit. Sûr qu’ainsi, tout rentrera dans l’ordre.

Alors, bien sûr, les cœurs sensibles s’indignent et la France s’est vue admonestée, entre autres, par le Vatican, l’Union européenne, l’ONU… Mais bon, on va pas chipoter pour si peu.

* Une de plus Nous vous reparlerons bientôt de la Loi d’Orientation et de Programmation pour la Performance de la Sécurité Intérieure (LOPPSI). Cette loi est probablement une des plus régressives de ces dernières années en terme de libertés, bien que la compétition soit pour le moins féroce. Mais c’est bien parce qu’elle n’arrive pas de nulle part : c’est la suite logique – et non l’aboutissement – de la logique sécuritaire que poursuivent nos sociétés. Jusqu’où nous conduira cette logique ?

* Terreur ! Code rouge ! Code rouge !

* Encore et toujours

Après l’été, les autorités nous ont refait le coup de la ‘menace terroriste’. « Cette menace est réelle », nous dit Hortefeux, alors ministre de l’intérieur (cité par le canard enchaîné, 22/09/10).

En réaction, cette fois-ci, aux divers scandales qui ont fait surface durant l’été, le petit Nicolas a montré ses gros bras. Quelle surprise ! Naboléon s’est servi de faits divers tragiques et de mouvement violents dans les banlieues pour essayer de se tailler une stature de chef d’Etat (et pour renforcer un ‘arsenal’ sécuritaire déjà inquiétant).

Il oublie juste de préciser un détail : non seulement cette menace est réelle, mais elle est soigneusement entretenue, tant par la ‘politique de la peur’ qui terrorise la nation que par des politiques internationales indignes qui nourrissent la haine (sans parler même des barbouzes de tous bords qui prolifèrent sur le chaos et la misère).

N’ayant aucune peur de s’enfoncer dans la caricature, notre Leader Minimo s’est distingué lors du désormais fameux ‘Discours de Grenoble’ ou Il a déclaré la « guerre nationale » à la délinquance. « Inutile d’épiloguer sur les fortes qualités morales du propos. Toutes les barrières ont été franchies, les tabous brisés : assimilation claire entre délinquance et immigration, désignation des ennemis : étrangers, nomades, jeunes, racailles. Rien ne manquait au registre des mauvais jours du Café du commerce à l’heure du cinquième pastis. » (le canard enchaîné, 04/08/10). Et peu

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comme il se voit très très grand, il a voulu des jouets à la hauteur. C’est comme cela qu’il a eu l’idée d’Air Sarko One, l’Avion du Président, sur le modèle de Air Force One, l’avion du président des Etats-Unis.

* Nicatho Après les gesticulations guerrières, les génuflexions religieuses… Comme il le fait régulièrement, Le chanoine a réaffirmé sa foi dans les valeurs de l’Eglise catholique. Cela ne correspond à rien, mais il ne faut négliger aucun marché.

C’est un Airbus A330 qui a été réaménagé à cet effet. « Dans sa version VIP, il compte désormais une soixantaine de fauteuils de type ‘classe affaires’, contre 324 en version bétaillère. Sarko disposera d’une chambre et d’une salle de bains (…) ‘il voulait absolument une baignoire’, explique au ‘canard’ un technicien de la Direction générale de l’armement. Et il n’a pas été facile de lui faire admettre qu’en cas de turbulences une trop grande quantité d’eau risquait de se répandre dans l’appareil. Mais comme Sarko ne voulais pas d’une banale douche, il a fallu installer une baignoire sabot. Autre pomme de discorde : la possibilité pour le président de fumer à bord. Et donc l’obligation de repenser entièrement le système d’évacuation de fumée. Tout propre et cigare aux lèvres, le chef de l’Etat pourra réunir conseillers et invités dans une salle d’une douzaine de places. Evidemment, téléphones, fax, ordinateurs, connexion Internet et communications cryptées seront à leur disposition. Côté sécurité, la carlingue a été renforcée et l’appareil doté de leurres antimissiles. » (le canard enchaîné, 28/07/10)

* « … ça commence à bien faire ! » De quoi pensez vous qu’il s’agisse ? De la dérive xénophobe et fascisante du pouvoir politique ? Du manque totale de scrupules et de décence des riches ? Et bien non : il s’agit en fait des considérations écologiques. C’est Notre Glorieuse Grenaille de l’environnement qui l’a annoncé en personne, le 6 mars 2010 au Salon de l’agriculture : « l’environnement, ça commence à bien faire ! » Et pour une fois not’ bon président, qui s’adressait aux agro-industriels, ne parlait pas dans le vent : il parlait du broyage méthodique des quelques mesures de régulation du projet de loi d’application du ‘Grenelle de l’environnement’. En l’occurrence, les agroindustriels pourront continuer à utiliser les pesticides dont-ils sont tant friands (la France est le 3e utilisateur mondial). « ‘La plupart des amendements soutenus par la FNSEA ont été retenus par les députés’ reconnaît benoîtement la fédération sur son site Internet. Et d’énumérer les concessions obtenues. » (le canard enchaîné, 28/04/10)

Comme le Père Noël n’existe qu’un jour par an, le reste de l’année il faut payer pour s’acheter des joujoux. Celui-ci ne fait pas exception. « Montant de l’achat : 176 millions d’euros, dont 91,5 millions pour l’aménagement et la déco de la cabine. Et 25 millions pour doter ‘Air Sarko One’ d’un dispositif d’écoutes et de brouillage… D’après le parlementaire [le député PS Jean-Claude Viollet, chargé de l’examen du budget de l’armée de l’air, ndlr], l’entretien du coucou coûterait 49 millions d’euros par an pendant les trois premières années. Et 10 millions les suivantes pour 700 heures de vol. L’Airbus présidentiel précédent coûtait annuellement 4,1 millions pour 1400 heures de vol… » (le canard enchaîné, 10/11/10) Mais rien n’est trop beau pour le petit Nico.

Mais à travers cette déclaration, c’est à tous les industriels que s’adressait Sarkozy. « Tout le Grenelle 2 (soumis au vote ce mardi 11 mai) a été à l’avenant : de timides avancées, de nombreux reculs. L’écoscepticisme a gagné, et JCDecaux se frotte les mains. » (le canard enchaîné, 12/05/10) Cocus de toutes les associations, … * Les joujoux du pitit Nicolas Pour les grands enfants, il faut de grand jouets, not’ bon président en est bien conscient. Et

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Emploi Touché Les emplois aidés – c’est-à-dire subventionnés par l’Etat – sont supprimés en grand nombre, rayés d’un coup de plume. « Ce ‘plan social’, qui frappe surtout d’anciens chômeurs en grande difficulté, est l’un des premiers effets du serrage de ceinture budgétaire. A la fin de chaque premier semestre, Pôle emploi adresse en effet au gouvernement un bilan des boulots aidés. Et chiffre la rallonge éventuelle que l’Etat devra mettre au pot pour boucler l’année. En septembre dernier, changement de programme : le secrétaire d’Etat à l’Emploi, Laurent Wauquiez, a annoncé que le gouvernement ne verserait pas un centime de plus pour ces jobs aux plus démunis. Combien de ces anciens chômeurs se retrouvent-ils ainsi dans la charrette ? Il n’existe, heureux hasard, aucune estimation nationale. Mais la direction des statistiques du ministère du Travail fournit un indice. En septembre, elle indiquait que le nombre de ces contrats aidés avait chuté – dans le seul secteur ‘non-marchand’, notamment les associations qui font dans l’accompagnement social – de 100.000 par rapport à septembre 2009. Cent mille : c’est exactement le nombre d’emplois aidés supplémentaires que Sarko s’était engagé à créer lors de son discours de Rethel, fin 2008. » (le canard enchaîné, 10/11/10) On ne reviendra pas ici sur les promesses trahies du pitit Nicolas. Mais on se permettra par contre de souligner le style et la nocivité de cette mesure. Le style, tout d’abord, quelque peu cavalier. C’est en effet du jour au lendemain que cette mesure a été annoncée.

Souvent par des référents locaux qui n’y peuvent, mais… La nocivité de cette mesure semble évidente, mais mérite que l’on y revienne plus en détail. Souvent les personnes qui bénéficient d’emplois aidés sont en situation d’insertion ou de réinsertion sur le ‘marché du travail’ – merci pour eux et rendez-vous au Pôle emploi. De plus, la plupart des emplois aidés qui travaillent dans le secteur non-marchand remplissent, le plus souvent au sein d’associations, des missions d’intérêt général qui ne sont pas ou peu assurées par d’autres acteurs, dans des domaines aussi variés que l’aide médico-sociale, la culture, le sport… Les répercussions à attendre sur la société sont donc bien plus vastes que celles qui vont toucher les soi-disant seuls ‘publics concernés’

Emploi Coulé Le chômage se développe, Pôle emploi est en crise – que faire ? Supprimer des postes bien sûr ! Alors que : « le nombre de personnes tenue de faire ‘des actes positifs de recherche d’emploi’ s’élève à près de 4 millions, soit une hausse de plus d’un million en deux ans. » (Alternatives Économiques, 01/11, comme le reste des citations qui suivent) Alors que l’objectif annoncé lors de la création du Pôle emploi était un ratio d’1 conseiller pour 60 demandeurs d’emploi et que les chiffres officiels font état d’un ratio actuel de 1 pour 103. Et que

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certains avancent des chiffres bien pires encore : « ‘Mais en réalité on est plus proche des 200’, estime Michel Abhervé, qui enseigne l’économie sociale et les politiques publiques à l’université de Paris EstMarne-la-Vallée. » Alors que 320.000 demandeurs d’emplois ont été sous-traités au privé (qui coûte bien plus cher et choisit ses clients). Alors que les agents et les utilisateurs craquent. L’annonce, par la loi de finance 2011, de la suppression de 1800 postes (1500 CDD et 300 CDI), est restée en travers de quelques gorges.

Ah mais eux !… C’est dans ce contexte d’abondance généralisée que des députés UMP ont décidé de limiter l’accès aux soins des sans-papiers. « Ainsi, fin décembre, fut adoptée la loi rendant payante la Sécu, jusqu’ici gratuite, des sans papiers. Les plus démunis (moins de 634 euros par mois) devront régler un forfait annuel de 30 euros pour être soignés. Et encore, avec des soins limités… » (le canard enchaîné, 12/01/11) Et peu importe que de nombreuses études (notamment celles étayant les rapports de 2007 et 2010 de l’Inspection des finances et des affaires sociales sur ce sujet) dénonce une restriction contreproductive (à long terme, cette décision va coûter beaucoup plus d’argent qu’elle ne va en rapporter) et un grave danger pour la santé publique : on punit ici le bouc-émissaire.


Les débats Deux beaux et grands débats ont animé la saison 2009-2010 en France. Un débat sur l’identité nationale et un débat sur le développement des nanotechnologies. Chacun à leur façon, ils sont représentatifs de ce que sont devenues les consultations populaires en France. A ce titre, ils méritaient bien un petit coup de projecteur. Le débat sur l’identité nationale : il s’agit d’un coup politique – raté. Ce débat c’est tenu fin 2009 début 2010 à l’initiative de l’Elysée et sous la supervision du ministre de l’Identité national et de l’immigration (la dérive est dans le titre) Eric Besson. Il devait permettre à l’UMP de reprendre la main avant les élections régionales, en chassant des électeurs sur les terres du FN tout en raffermissant son emprise sur son électorat traditionnel : vieux et cathos qui seraient ravis que l’on parle de la France, de « notre patrimoine », « nos églises et nos cathédrales », de « notre art culinaire »… Las, le débat ne s’est pas tout à fait passé comme prévu

(comme prévu par l’Elysée, au moins). Plutôt qu’une chasse discrète sur les terres du FN, c’est le contraire qui s’est passé, soulignant au passage la délicatesse de certains élus UMP : « ‘On va se faire bouffer, il y en a déjà 10 millions qu’on paye à rien foutre !’ , a grogné André Valentin, maire UMP de Gussainville (Meuse), et le Front national en joie investit les débats dans les préfectures. » (le canard enchaîné, 09/12/09). Mais Sarkozy n’était pas au bout de son ‘bâton merdeux’ puisque ce débat a tout de même provoqué un certain remue-méninges, la plupart du temps farouchement hostile aux politiques gouvernementales, parmi les universitaires : il y a été question de l’évasion fiscale, de la Sécu, des Droits de l’homme… Toutes sortes de sujets que naboléon aurait souhaité éviter. Le débat sur les nanotechnologies. Il s’agit ici de faire de la pédagogie – au sens où l’entend le PPA : Faire accepter par le grand public des choix déjà effectués en haut lieu. Tout était prévu d’avance. Les investissements, bien sûr, qui

ont commencé et vont se poursuivre (des milliards ont déjà été investit dans le technopôle grenoblois). Et les débats, qui devaient endormir les citoyens de leurs doux ronrons pendant deux mois sur plusieurs grande villes Là non plus, le débat ne s’est pas exactement passé comme prévu. Un peu énervé par le passage en force, des trublions ont gâché la fête, à coups de banderoles, de mousse à raser, de confettis et de slogans. Mais le patron de la CNDP, malin, a trouvé la parade. A travers Internet bien sûr, mais pas seulement. Il sait faire preuve d’une « folle inventivité : pour éviter la confrontation avec ces opposants mal embouchés, il a mis sur les rails des débats publics sans public. C’est ainsi que le 15 décembre, à Metz, c’est déroulé un décoiffant ‘débat public’ où le public était installé dans une salle, tandis que dans la salle d’à côté étaient prudemment enfermés les intervenants. Et c’est par vidéotransmission qu’ils ont pu échanger leurs vues ! Carrément transgénique. » (le canard enchaîné, 16/12/09)

« Le débat public passe pour un recours à la démocratie. Dès qu’il faut régler une controverse sociétale, de l’usage des nanotechnologies à la définition de l’ ‘identité française’, le pouvoir propose un ‘débat public’. Et presque toutes les associations en redemandent, croyant faire ainsi avancer les intérêts des citoyens. ‘On veut un débat public !’, exigent les défenseurs de la société civile. Sur ce point, le Grenelle a fait l’unanimité. Comme si l’accolement de deux termes connotés positivement créait l’irruption de la liberté, de la sagesse ou de la justice. On oublie que ‘débat public’ est une marque déposée dans la loi depuis 2002, et que son exploitant désigné est une structure désignée par l’Etat : la Commission nationale du débat public (CNDP). Or, cette procédure n’est pas le meilleur moyen de conduire au respect de l’intérêt commun, surtout quand il s’agit d’enjeux concernant toute l’humanité. Le jeu consiste à faire parler des experts (information) puis à laisser s’exprimer le public (débat) avant qu’un rédacteur labellisé récapitule (bilan), ce qui permettra au pouvoir de faire des choix (arbitrage). On peut reprendre chacune de ces phrases de manière plus critique et mettre en cause le choix des ‘experts’ (ce choix ne préjuge-t-il pas du contenu de l’expertise ? Pourquoi pas des experts de la société civile ?), le débat (les citoyens qui s’expriment, toujours rares, sont-ils représentatifs de l’intérêt commun ?) ou le bilan (Comment retenir et pondérer équitablement l’ensemble des avis exprimés ?) Mais la grande arnaque est bien de laisser croire à l’objectivité de l’arbitrage, lequel se montre toujours favorable à la croissance et à la compétitivité. Voilà pourquoi les choix politiques précédent le débat public ! » Jacques Testart Le débat public : un leurre démocratique La Décroissance, 04/10

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NOS AMIS LES RICHES Les doux délices Si certains sont nés pour ‘la nuit sans fin’, d’autres sont nés pour de ‘doux délices’. La fortune n’accable pas tout le monde de la même façon. La fortune, ils en ont eux, même si « les caisses sont vides ». Laissez moi vous présentez nos amis très très chers : les riches. Vous pensez peut-être en faire partie ? Dépensez-vous 6000 euros pour acheter un fauteuil qui trônera dans une de vos résidences secondaires ? Faites-vous appel à Starck pour décorer l’intérieur de votre yacht ? Touchez-vous 360.000 euros du Fisc, par chèque, en raison du bouclier fiscal ? Si c’est le cas, il faut me contacter immédiatement : je suis un jeune homme brillant en société – mais effacé, et prêt à toutes les vilainies pour l’argent ; je saurais vous faire apprécier ma compagnie.

* Seulement ?

« La lutte des classes existe, mais c’est la mienne, la classe des riches, qui mène la lutte, et nous l’emportons »

Frank Riboud, PDG de Danone, est le patron le mieux payé du CAC40. Et cela avec seulement 4,4 millions d’euros de salaire annuel (366.670 par mois) ! Heureusement qu’il y a les stockoptions pour mettre un peu de beurre dans le caviar.

Warren Buffet, première fortune mondiale en 2008, Dans un entretien au New York Times. Cité par François Ruffin dans La guerre des classes

Et pour qu’il ne tombe pas dans la pauvreté durant ses vieux jours, en plus de la retraite du régime de base et de la retraite complémentaire, on lui a préparé une petite rente qui pourrait atteindre jusqu’à 75% de son salaire.

* Normal Selon un récent rapport du Conseil des prélèvements obligatoires « ce sont les plus petites entreprises qui se tapent le taux implicite d’imposition le plus élevé, jusqu’à 30% pour les micro-entreprises de moins de neuf salariés. Mais seulement 8% pour les multinationales du CAC40… » (le canard enchaîné, 16/12/09)

« On l’imagine aisément : les autres pédégés du CAC40 ne sont pas en reste. Retraites chapeaux par-ci, rente viagère par-là, ils n’ont pas attendu la grande reforme mitonnée par Sarkozy pour veiller amoureusement sur leurs intérêts. Les temps sont durs pour tout le monde, voyons… » (le canard enchaîné, 28/04/10)

Paradis fiscaux, jeux entre filiales, niches fiscales… On est content de constater, une fois encore, que les ‘forces vives’ savent prendre leurs affaires en main.

*Plus ! Ou peut être Carlos Ghosn (Renault-Nissan) est-il le PDG le mieux payé de France. C’est dur à dire, son statut est particulier : il est payé à la fois en France et au Japon.

* Pourquoi pas vous ? Pour payer moins d’impôts, pourquoi ne pas vous exiler ?

Mais ce qui est sûr, c’est qu’avec 6,7 millions d’euros annuels, il fait honneur à la France des gagneurs.

En Suisse ? Comme « quelques membres éminents des familles Peugeot, Hersant, Bich,

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« Depuis fin 2009, le marché des produits de luxe comme l’art, , le vin et les voitures a repris avec des enchères à succès en Europe et en Amérique du Nord. » Le Monde, 24/06/10 Cité par le canard enchaîné, 30/06/10

* Ouf ! On est soulagé de savoir que nos méritants banquiers n’auront pas longtemps été privés de bonus : 2010 est l’année de leur retour chez Dexia, Natixis, BNP Parisbas…

Bouygues ou Bleustein-Blanchet. Une fois fortune faite, à coup de dividendes, jetons de présence, stock-options ou parachutes dorés, des ex-pédégés comme Antoine Zacharias (Vinci) ou Paul Dubrul (ex-Accor et exsénateur UMP !) ont préféré y jouir de leurs biens, en oubliant ISF, IRPP, CSG ou CRDS. » (le canard enchaîné, 07/07/10)

« En plus de leur petit salaire honnêtement gagné comme on sait, et qui allait jusqu’à 1 million d’euros dans l’année (pour Mariani), ils ont empochés entre 560.000 euros pour le plus modeste (Michel Pébereau) et 1.425.000 euros pour le plus génial (Baudouin Prot). » (le canard enchaîné, 12/05/10)

Ou encore en Belgique, « où il est facile d’échapper aux droits de succession, elle sert notamment de refuge à certains héritiers Mulliez, Darty ou Defforey. Des familles dont la fortune provient de la grande distribution puisqu’elles ont détenu ou détiennent des enseignes comme Carrefour, Auchan, Décathlon, Norauto, Darty, etc. » (idem.)

Seul petit regret : ces bonus sont un peu moins élevés que ceux d’avant la crise. Pourquoi s’acharne-t-on ainsi sur ces pôvres banquiers ? Ils ont déjà tellement souffert, psychologiquement.

Paloma, le yacht de Vincent Bolloré

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5° R C’est beau la politique, jamais mesquin. Surtout en France. Mais des fois ça sent un peu… Le 15 septembre 2010, le canard enchaîné nous annonçait : « C’est la dernière que l’on raconte dans les cuisines du ministère des Finances. Le brie de Meaux a été remplacé récemment par le brie de Melun. C’est une consigne de Laurent Wauquiez, le secrétaire d’Etat à l’Emploi basé à Bercy, qui refuse, paraît-il, de faire de ‘la pub’ à son ennemi intime Jean-François Copé, patron des députés UMP et maire de Meaux. » Cette information, à elle seule, est tordante – mais ses séquelles sont pires : elle a déclenchée la Guerre du fromage. Dont acte. La Confrérie des compagnons du brie de Meaux

organise un communiqué de presse musclé le 17 septembre : « ‘Il est extrêmement regrettable qu’un monument de la gastronomie française, participant au rayonnement international du savoir-faire français, soit l’otage d’enfantillages bien éloignés des responsabilités du gouvernement’, s’indignent ces braves gens, dont l’association est domiciliée… à la mairie de Meaux. Pas coulants du tout, ils demandent à Christine Lagarde, la ministre de tutelle, de rétablir coûte que coûte le brie de Meaux aux tables de son ministère. Laquelle s’exécute le jour même, désavouant sans trembler son secrétaire d’Etat. » (le canard enchaîné, 22/09/10)

Gastro française Cocorico !

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Le ‘repas gastronomique Français’ a été inscrit patrimoine immatériel l’humanité par l’UNESCO fin de l’année 2010.

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Youpi ! Cela veut dire que l’on mange bien en France ! Pas du tout : « le fait que l’on mange bien ou mal n’a aucune importance », comme le confirme l’UNESCO (citée par le canard enchaîné du 09/02/11). Ce qui a été relevé et salué par l’UNESCO, c’est la tradition de se réunir autour des repas. « Pour bien faire, et pour que l’idée de burlesque fût complet, les animateurs de la mission française à l’origine de cette candidature auraient dû solliciter son inscription au ‘patrimoine immatériel nécessitant une sauvegarde urgente’ » (Le Monde diplomatique, 01/11)


Zoom : Les grains de sable ************************************************************************************************

Le système. Le fameux ‘système’. Souvent imaginé comme une sorte de Juggernaut, une machine colossale et folle (mais impersonnelle et froide), dont l’emballement menace de nous écraser tous. Que peux faire un homme ou une femme seul contre ce système ? Par sa taille, son ampleur, son histoire… Il nous dépasse et nous englobe dans toutes ses dimensions. Et pourtant il est constitué, ou du moins incarné, par des hommes et des femmes. Vous, moi et les autres. Une infime portion de la population le maintient et le dirige dans le sens de son propre intérêt. Et la grande majorité suit. Pour en profiter, par foi, par habitude, par désœuvrement… Quel autre choix nous est offert ? Résister. Dire non. Il ne s’agit pas de faire ici l’éloge des rebelles de bacs à sable, du refus puéril, de la posture… C’est dans les gestes du quotidien que se joue le plus gros du combat. Agir avec un peu de décence dans un monde de démesure, c’est déjà résister. Mais parfois, par le hasard des circonstances, des gens ordinaires en viennent à s’organiser pour refuser l’inacceptable. La plupart sont anonymes, d’autres se font connaître, parfois sans le vouloir. Nous voudrions ici vous présenter quelques uns de ces grains de sable qui mettent le

‘système’, la ‘machine’, en danger. Leurs actions peuvent parfois paraître dérisoires, mais que l’on ne s’y trompe pas : ils heurtent les puissants. Parce qu’ils montrent, par l’exemple, que le refus est possible, ou que la décence est encore de ce monde. Parce qu’ils nous apprennent, par l’exemple, à nous tenir debout. Prenez par exemple ces désobéisseurs scolaires, dont le plus connu est sans doute Alain Refalo. (mais qui sont plusieurs milliers déclarés). Ils refusent de noter, de cataloguer et d’étiqueter les enfants. N’est-ce pas une honte ? Si vous ajoutez à cela qu’ils refusent d’obéir à divers ordre de leur hiérarchie (que certains esprits chagrins qualifieront de proto-fasciste, mais nous ne sommes pas de ces gens là et ne nous permettrons pas ce genre de commentaire, qui rappelle les heures les plus noires etc.)… Et il y a pire. Qu’un gendarme passe outre au devoir de réserve, c’est extrêmement sérieux. Et qu’un autre le fasse en vers, c’est sérieusissime. « Viré, radié à vie ! Une première dans le genre, le chef d’escadron Matelly était officier de gendarmerie mais il souffrait d’un lourd handicap. Major de sa promo, il était aussi chercheur en sciences politiques et,

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non content de ça, multipliait les publications savantes. Son dernier livre s’intitulait ‘Police. Des chiffres et des doutes’. Franchement il y en a qui cherchent des ennuis. » (le canard enchaîné, 31/03/10). Et quand un adjudant de gendarmerie écrit de la poésie (au vitriol) en hommage au chef d’escadron – il est lui même suspendu sur le champ. « Et de deux ! puisque, à l’évidence, la mise à l’écart de Matelly n’a pas suffi à museler la base, la gendarmerie (re)fait un exemple pour crime de lèse-Sarko. » (le canard enchaîné, 07/04/10) Mais comment choisir de qui nous vous parlerons dans ces colonnes ? ! ? Doit-on développer les esquisses que nous avons tracées ou vous parler d’autres encore ? Comme Eric Duran, qui a volé 39 banques sans arme ni violence : juste en se servant de leur propre cupidité (une sorte de judo bancaire, en somme), il a souscrit des crédits à la consommation dans toutes ces banques sans avoir la moindre intention de les rembourser et il a employé cet argent pour débroussailler d’autres possibles… Ils sont nombreux ceux dont nous pouvons vous parlez dans cette rubrique, ils se bousculent déjà.


rAdio Toulouse, Etc ************************************************************************************************

Nuage nuage

RATP ordure Des poubelles jaunes pour les papiers et les emballages, c’est bien. Mais c’est mieux de ne pas les jeter en fin de journée en vrac avec les ordures ménagères… C’est pourtant ce qu’à fait la RATP pendant au moins deux ans, entre 2007 et 2009. L’a direction s’est expliquée : « nous manquons de place » pour stocker les déchets entre deux collectes. (le canard enchaîné, 02/12/09)

Ils manquent de place, mais pas d’air ! Allez, roule…

Télé Parlons maintenant d’une autre source de pollution : la télévision. Selon l’institut ‘Médiametrie’ cité par Alternatives Economiques (04/10), la consommation qu’en font les français stagne depuis 5 ans autour de 3h20 par personne et par jour.

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Ce qui ne veux pas dire que ceux-ci ne se font pas happer de plus en plus par les écrans : ordinateurs, téléphones portables, guichets automatiques, consoles de commande…

Pffffttt… Connaissez vous la Speakers Academy ? Et non, ce n’est pas la dernière émission de télé-poubelle


d’Endemol, mais une officine hollandaise qui se prend fort au sérieux. Celle-ci propose une sélection de conférencier du monde entier, disponibles pour venir parler de tout et de son contraire, contre rémunération. Ainsi vous pouvez louer BHL, Attali, ou encore Ségolène Royal (7.500 à 12.500 euros) et bien d’autres ! Pour vos conférences, vos présentations, mariages, communions, BarMitsva…

Miam ! Quelle période d’abondance nous vivons ! Plus besoin de se casser le cul… Un petit tour au supermarché, et voilà notre caddie rempli de toutes sortes de nourritures : toutes les couleurs, les formes et les

matière grasse végétale comme l’huile de palme blanchie avec des solvants, des sous-produits de l’industrie laitière tels que la caséine, une protéine que l’agroalimentaire et les fabricants de peinture utilisent comme liant. Ajoutez-y des farines blanches à gogo, c’est-à-dire tellement raffinées qu’elles ne valent plus grand chose sur le plan nutritionnel, et le fameux amidon, que l’on retrouve un peu

Maquillage Vous aimez le maquillage ? Vous aimez les bébés ? Alors vous allez adorer ‘Neocutis’, une crème de beauté vendue aux Etats-Unis dont l’ingrédient principal est le fœtus humain (le canard enchaîné, 21/04/10).

Buzz Les abeilles disparaissent.

saveurs que l’on peut imaginer – plus quelques unes. Seulement voilà, il y a comme un hic : « les deux tiers sont des produits industriels transformés, fabriqués avec pas plus d’une dizaine d’ingrédients de base. Toujours les mêmes. Des ‘ingrédients de remplissage’ dans le jargon. Du sucre, la plupart du temps ajouté sous forme de sirop de glucose, de la

partout, juste pour donner du volume aux produits. Le tout rehaussé de sel et de saveurs artificielles : ‘Plus de la moitié des aliments ont maintenant un goût manipulé par les arômes’, précise Rémésy. » (le très bon ‘conflit de canard’ du canard enchaîné [17/11/10] recense le livre de Christian Rémésy : L’alimentation durable) Bon appétit !

« La grande distribution expose la population à une offre alimentaire à risques » Christian Rémésy, ancien directeur de recherche à l’institut national de la recherche agronomique (INRA), L’alimentation durable

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Interlude sans intérêt… (10) ************************************************************************************************

Hordü Komn ( Quelle folie fut la mienne.) ( Poème nordique aussi épique qu’incommensurablement médiéval ) Ä ! Köll mink tovaak det som gähr-huun ! Ah ! Ce cri puissant et douloureux ! Ozküld mekktalt ge hertminkoviaak tar ahkensu, Porteur d’espoir et de revanche, Hvys mijnn kaffölt maläk ge stupensu ! Comme il pourfend le silence de manière effrayante !1 ... Angke ge-meun. … Dans l’obscurité.2 Ölan pertkoviak Grjünn nahr engang vörrh ? Est-ce la déesse Grjünn3 et sa terrible louche4 ? Ovv Loki mojn na klarrnalggövi isahn ge-histt ? Ou Loki le fourbe et sa boîte à rythme ? Aggehn ktal nagörr det som morgsenn nöhr ! Mais non, je ne suis point mort ! Leif Erikk Alström vass mijn ge nahvytt tär hoss Ragnarok... Et (ou car ) mon nom est Erikk Alström et le restera jusqu’au Crépuscule des Dieux… Urr Odin sktalaange mist ge sömm det gorn alastoss Le banquet d’Odin semble remis à plus tard Innje gunnär björnstrand det som filosofem askë burzum (Les éminents linguistes auxquels nous avons soumis ce texte se sont tous déclarés incapables de traduire cette dernière ligne. L’un d’entre eux, le Docteur Marmaduke J. Carmichael, s’est suicidé de honte en 1987. R.I.P.) Häzgeldt vurr det miijnn ge-sunnghe ölsniavk ährum Alors bon, ben, j’ai empalé ma petite sœur. Jornn handkë vuhrr köviak org visk …Denn ktaln det Aegir urskkel. Et j’ai bu toute la nuit de l’alcool de phoque… Le vent souffle de nouveau sous l’aurore boréale. Glää glää glää Il fait froid.

1

Traduction approximative, la forme syntaxique employée dans le texte original étant elle-même bancale. Ou « dans l’adversité ». Ou « dans la Twingo de Bernard Lavilliers » (mais c’est moins probable ). 3 Déesse de la mort, de la guerre, de la maladie et des perversions sexuelles rigolotes (elle ne respectait pas la loi sur le cumul des mandats). En plus, c’était la maîtresse de Thör. 4 Grjünn versait de la soupe aux lentilles dans le nez des guerriers mourants avant de les emporter au Walhallah en leur chantant tous les tubes de Daniel Balavoine. 2

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Ä ! Köll mink tovaak det som gähr-huun ! Ah ! Ce cri puissant et douloureux ! Urske nystt gä ingmar bergman det sünnge nährrt Comme il brise mon cœur déjà meurtri pourtant (ah, ben si, quand même). Ordet bryhl ? Qui donc hurle à mes oreilles engourdies par le froid de la nuit hivernale ce prénom que je connais trop bien et que j’aurais pourtant préféré oublier à jamais si cela avait été possible mais bien sûr, il est trop tard maintenant, oh oui, beaucoup trop tard, tellement tard et la torture est blême comme un matin de cuite, mes frères, attendez-moi, je sais que vous me comprenez, et je ne voulais qu’accomplir mon humble mission d’homme ?…( Aaaah, si ! J’ai le cœur meurtri et puis c’est tout ! J’aimerais bien vous y voir …). « Det fürn oss gudmunsdöttir frost ! » Jean-Louis, prend ton écharpe !

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Décoloniser l’imaginaire ************************************************************************************************

Dans cette rubrique nous avons d’abord explicité et dénoncé certaines des structures externes de l’asservissement, et en particulier la propagande (Belba le cave n°4). Puis nous avons tenté de fournir quelques armes pour l’autodéfense intellectuelle face à ces structures externes (Belba le cave n°5). Il s’agit à présent de regarder en nous-mêmes, c’est à dire de comprendre comment les mécanismes de l’asservissement sont intériorisés pour devenir des structures internes. Si tout le monde convient que le milieu et l’éducation forment les individus en conditionnant, sinon tous ses choix, au moins son mode normal de fonctionnement, personne ne semble vouloir en tirer les conséquences : oui, nous sommes bel et bien « des automates dans les trois quarts de nos actions ». Il ne s’agit pas ici de tenter de s’émanciper de toutes les influences : c’est impossible. Mais par contre, ce qui est possible, c’est de découvrir – et peut être d’élargir – l’étendue et la nature de notre libre arbitre. Et peut être ainsi apprendra-t-on un jour à s’en servir… On peut rêver !

Le petit-bourgeois gentilhomme, Alain Accardo Alain Accardo est un sociologue dans la lignée de Pierre Bourdieu (il a été son élève). Il utilise largement les travaux de celui-ci pour approfondir une « sociologie critique » active et réflexive. C’est également un militant déclaré. Longtemps adhérant au parti communiste français, il a fini par quitter celui-ci, mais pas l’action militante. Il est aujourd’hui engagé dans de nombreux journaux alternatifs, ainsi que dans des associations prônant la décroissance. Ce livre peut être considéré comme l’élargissement d’une réflexion plus personnelle développée dans De notre servitude involontaire, une tentative de socio-analyse de l’engagement politique ou associatif. Cet ouvrage, sans remettre en cause l’importance des luttes, pointait les insuffisances et les incohérences de la plupart des ‘engagés’. Le présent ouvrage va plus loin, puisqu’il déniche chez chacun d’entre nous (engagés ou pas !) cette tendance à obéir et à favoriser l’ordre établi. Son travail n’est pas particulièrement novateur, dans aucun des champs qu’il aborde. Son apport consiste à relier ces champs, et surtout à tirer des conséquences de savoirs à la portée de tout le monde.

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« En fait, l’ardeur et la sincérité mêmes de notre engagement civique, en nous enfermant dans un jeu politique qui nous impose ses règles et ses enjeux, en arrivent à nous masquer que celui-ci ne consiste pas seulement en une réalité (économico-politique) objective extérieure à nous-mêmes, qui nous contraint du dehors, mais qu’il est aussi, et inséparablement, une réalité intérieure qui opère du dedans (…) Un système social, quel qu’il soit, existe toujours sous cette double forme : autour de nous sous une forme objective, dans le foisonnement des institutions, des appareils, des organisations, des techniques, des classements, des distributions, des répartitions, des réglementations, des codes, etc., et en nous sous forme d’ensembles structurés, plus ou moins cohérents et compatibles, de dispositions personnelles, inclinations, tendances, motivations, compétences et aptitudes à fonctionner dans un tel environnement objectif. Pour qu’un tel environnement social fonctionne et se reproduise, il faut qu’il y ait une relative congruence entre structures externes et structures internes façonnées par une même histoire (…) A l’origine, les déterminations sociales viennent de l’extérieur, mais une fois intériorisées, moyennant les inculcations et apprentissages nécessaires, elles jouent de l’intérieur, à la façon de réflexes automatiques, d’inclinations spontanées ou de sentiments personnels (d’obligation, de devoir, etc.) plus ou moins rationalisés. Dans tous les cas, elles ne sont plus ressenties comme des contraintes extérieures mais comme des mouvements dont le point de départ, intimior intimo meo, se situe dans l’intimité la plus profonde de notre moi. L’adhésion, c’est cette transformation d’une nécessité d’origine externe en disposition personnelle à agir spontanément dans une logique donnée. Ce mécanisme est une condition sine qua non du fonctionnement de tout système socio-économique. De son fonctionnement durable, s’entend. Il est toujours possible en effet de contraindre une masse d’agents à l’obéissance en recourant à une répression plus ou moins féroce. Mais un système fonctionnant uniquement à la coercition ne serait pas viable longtemps. Pour éviter d’avoir à casser continûment des têtes, il vaut mieux façonner durablement les corps et ‘l’esprit’ qui les habite. Pour la longévité d’un système, il faut impérativement que ceux qui le font fonctionner soient disposés à le faire de leur plein gré, au moins pour l’essentiel. Et plus leur adhésion est spontanée, moins ils ont besoin de réfléchir pour obéir, mieux le système se porte. » Alain Accardo, De notre servitude involontaire

1. La décomposition du champ politique Les grands clivages politiques ne sont plus représentés et c’est sur un système d’alternance politique binaire de type anglo-saxon que « les pays démocratiques sont invités à s’aligner partout dans le monde ». C’est par ce triste constat que nous plongeons dans le vif du sujet. Dans ce système, il ne s’agit plus pour les différents partis de vouloir faire la révolution, ou de vouloir l’empêcher, mais de gérer aux mieux les affaires de la cité. « Le triomphe apparent du modèle anglo-saxon pourrait en effet donner à penser que la domination du capital sur le travail n’est plus en débat désormais et que la seule question acceptable aujourd’hui, celle qui justifie encore l’existence de plusieurs formations politiques distinctes en concurrence pour le pouvoir, c’est la question de l’aménagement interne du système capitaliste, et plus précisément celle de la gestion des revendications et des frustrations que la persistance ou l’aggravation des inégalités ne peuvent manquer de provoquer dans le corps social (…) Pour cette raison décisive que, dans ledit modèle d’alternance, les deux

grandes formations en compétition, au-delà de leurs pieuses intentions réformatrices (proclamées rituellement, de façon toute rhétorique, ad usum populi), sont fondamentalement d’accord sur la fin de l’action politique qui est, à leurs yeux, de gérer au mieux une société capitaliste considérée comme la forme achevée (au double sens du terme) de la démocratie et même de la civilisation » Que cette ‘fin de l’histoire’ corresponde à un sabordage du fait politique par les partis euxmêmes ne semble ni les émouvoir, ni même les interpeller. On retrouve cette fable qui voit dans la phase actuelle du capitalisme (‘le pire des systèmes à l’exception de tous les autres’) le triomphe définitif de la démocratie et de

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la liberté (fut-elle celle du fameux ‘renard libre dans un poulailler libre’). On trouve également là la fable qui fait de la ‘bourgeoisie éclairée’ une sorte d’avant-garde de l’humanisme. Or, « S’il est historiquement vrai que la bourgeoisie possédante des siècles passés a œuvré efficacement à l’instauration des régimes démocratiques, cette démarche a dans la pratique, toujours et partout, rapidement rencontré ses limites, chaque fois qu’il s’est agi d’étendre au peuple tout entier, et a fortiori à d’autres peuples, les libertés conquises par les castes privilégiées en révolte contre le prince. Au grand dépit de ces dernières, il se trouve que, la démocratie reposant par principe et définition sur la souveraineté du dêmos, c’est-à-dire du peuple tout entier, aucun groupe


« Plus lucide que d’autres, Alain Madelin a qualifié d’ ‘assurance vie contre le retour à l’expérience socialiste’ le traité de Maastricht ratifié à l’arraché en septembre 1992. Car le paradoxe des vingt dernières années tient aussi à ce qu’elles ont détruit – consciemment, par conviction européenne donc libérale – les outils principaux que la gauche s’était autrefois forgés pour rééquilibrer à son avantage un rapport de force économique qui la soumettait presque toujours aux préférences et aux diktats du ‘mur d’argent’. Arraché par le Front populaire et consolidé à la Libération, le contrôle de la politique monétaire a été abandonné à une Banque centrale européenne ‘indépendante’ – des gouvernements et des parlements, pas des banquiers ; les marges de manœuvre budgétaires sont enserrées dans l’étau de l’euro et de ses critères de convergence ; les services publics (télécommunications, transports, énergie, postes) se heurtent à chaque instant aux croisés bruxellois de la concurrence et du marché (…) Avec, pour corollaire, un affrontement réduit au récital parodique que composent des publicitaires et qu’arbitrent moins d’un électeur sur deux. » Serge Halimi Quand la gauche essayait

social, si puissant soit-il, ne peut en revendiquer le bénéfice pour lui seul. Dès lors qu’est admis le principe de l’égalité de tous les citoyens devant la loi. Les droits reconnus à une minorité ne peuvent manquer d’être à terme revendiqués par d’autres et finalement par tous. La démocratie, fille de la raison universelle, est éprise de logique et donc de justice. Du moins sur le plan des principes fondamentaux. Dans la réalité, ce a quoi on a assisté historiquement (et à quoi on assiste encore un peu partout), c’est aux tentatives inlassables et forcenées des oligarchies en place pour éviter ou retarder le plus longtemps possible le partage avec le plus grand nombre de tous les droits (économiques, politiques, etc.) dont elles s’étaient assuré au départ la jouissance exclusive. (…)

S’il y a une chose dont les salariés européens devraient bien se convaincre, c’est qu’ils ne doivent rien de leurs droits, péniblement arrachés pour l’essentiel, à la philanthropie des classes possédantes et dirigeantes, qu’ils n’ont rien de bon à en attendre et qu’ils n’obtiendrons rien qu’ils n’aient réussi à leur imposer par la force de leurs mobilisations. Qu’il s’agisse du droit de vote, du droit de grève, du droit à l’instruction, à la santé, à la retraite, aux congés payés, des libertés d’association, d’expression, de circulation, etc., il a généralement fallu aux petites gens des luttes

longues, âpres et souvent sanglantes, génération après génération, pour battre en brèche les lois iniques et oppressives d’un apartheid social ouvertement inspiré par le racisme de classe. Il serait injuste d’oublier la part prise, dans ces luttes ‘pour le peuple’, par des groupes ou des individus appartenant aux fractions les plus éclairées de la bourgeoisie qui, soit par idéal, soit par intérêt bien compris, ont contribué à faire que les démocraties réelles soient un peu plus conformes à leur définition étymologique. Pour autant, on ne peut pas dire que les bourgeoisies possédantes aient été, dans l’ensemble, véritablement soucieuses d’instaurer ‘le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple’. (…) C’est à ce qui reste de vigilance et d’esprit de résistance contre la mondialisation économique dans les pays européens que ceux-ci doivent de n’être pas encore totalement alignés sur le modèle américain, le moinsdisant en matière d’Etat social. S’il y a une chose dont les salariés européens devraient bien se convaincre, c’est qu’ils ne doivent rien de leurs droits, péniblement arrachés pour l’essentiel, à la philanthropie des classes possédantes et dirigeantes, qu’ils n’ont rien de bon à en attendre et qu’ils n’obtiendrons rien qu’ils n’aient réussi à leur imposer par la force de leurs mobilisations. » Haut les cœurs ! Donc…

2. Le consensus par défaut Mais les « salariés citoyens » sont-ils encore en mesure de se mobiliser et de lutter « de façon suffisamment massive et déterminée pour faire échec à la coalition des puissances qui détiennent à peu près tous les pouvoirs, à l’échelle nationale et internationale » ? Et le désirent-ils seulement ? « En effet, ce qui frappe l’observateur de la réalité d’aujourd’hui, du moins dans nos sociétés ‘développées’, c’est l’acceptation en masse et en profondeur du monde tel qu’il va par des populations tellement habituées à l’état présent des choses et au cours

des événements qu’elles n’arrivent même pas à imaginer qu’il puisse en aller autrement – peut-être parce qu’elles ne souhaitent pas vraiment qu’il en aille autrement. » Evidemment il s’agit là d’une grossière généralisation, une

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« observation globale et en quelque sorte statistique » . De nombreux courants d’opposition, voire de révolte, traversent et structurent notre société (et semblent accréditer les hypothèses ‘démocratie’ et


‘liberté d’expression’). Mais le plus souvent ces oppositions sont sectorielles, catégorielles, elles portent sur des enjeux limités. « Ce qui ne signifie pas qu’ils sont dépourvus d’importance mais seulement qu’ils ne remettent pas en question les principes de fonctionnement de l’organisation sociale. » Le simple fait de concevoir l’idée d’un changement dans un domaine donné, d’imaginer qu’il est possible que les choses soient différentes de ce qu’elles sont, est déjà un progrès considérable par rapport à l’inconscience qui prévalait jusque-là. Et ce progrès initial est une condition sine qua non de toute mobilisation effective. Une condition à tout le moins nécessaire, si elle n’est pas toujours suffisante. On peut tout mettre en question… tant que l’on ne dépasse pas certaines bornes ! « Ainsi par exemple des millions de salarié(e)s peuvent-ils/elles être conduit(e)s à clamer leur colère ou leur désespoir d’être traité(e)s comme quantité jetable par leurs employeurs sans s’interroger un seul instant sur la légitimité d’une organisation sociale qui autorise un petit nombre d’êtres humains privilégiés (des managers et des actionnaires) à

s’arroger un droit de vie et de mort sociales sur une foule de leurs semblables. » Mais qui pose les bornes ? Et pourquoi les respectons-nous ? Cette façon d’aborder le consensus est stérile. « Il nous paraît plus fondé de considérer que la solidité du consensus tient en fait beaucoup plus au caractère implicite et inconscient de l’adhésion à l’ordre établi qu’à sa part intentionnelle et explicite. En d’autres termes, un aspect de l’organisation sociale qui échappe à la contestation est, selon toute probabilité, un aspect dont l’arbitraire n’a pas encore fait l’objet d’une prise de conscience claire et approfondie. Autrement dit encore, le consentement massif et durable dont bénéficie l’ordre existant est plutôt un consentement par défaut, un accord originel, aveugle et impensé, qu’une adhésion délibérée et réfléchie. Ce qui fait fondamentalement la force de l’ordre existant, c’est justement d’être là, d’être établi. (…) L’importance capitale de l’inconscient social et du consensus aveugle qu’il entretient explique à la fois la nécessité et les limites de tout travail de conscientisation de la vie sociale. Il est facile de comprendre que toute démarche visant expressément à modifier d’une façon ou d’une autre l’ordre existant, à grande ou à petite échelle, est étroitement conditionné par le degré de conscience – et donc

d’inconscience – qu’on a de la réalité dans et sur laquelle on agit. Le simple fait de concevoir l’idée d’un changement dans un domaine donné, d’imaginer qu’il est possible que les choses soient différentes de ce qu’elles sont, est déjà un progrès considérable par rapport à l’inconscience qui prévalait jusque-là. Et ce progrès initial est une condition sine qua non de toute mobilisation effective. Une condition à tout le moins nécessaire, si elle n’est pas toujours suffisante. » Il faut donc avoir une idée de son sort pour chercher à le modifier. Et c’est justement pour cela que l’éducation et l’information (et plus généralement la culture, que ces dernières fondent en partie) sont des enjeux d’une telle importance. « Notre propos n’est pas ici de procéder à un examen approfondi de cet aspect de la réalité contemporaine. Mais s’agissant de réfléchir à la question, posée plus haut, du consentement massif à l’ordre établi, on ne peut manquer de rappeler la part prise à ce phénomène par ces deux formidables dispositifs de production symbolique que sont l’Ecole et les médias d’information, dont l’action converge avec celle du dispositif politique de la représentation parlementaire, évoqué précédemment. »

e

« la LQR [langue de la V République, ndlr] vise au consensus et non au scandale, à l’anesthésie et non au choc du cynisme provocateur. C’est pourquoi l’un de ses principaux tours est (…) l’euphémisme (…) Le grand mouvement euphémistique qui a fait disparaître au cours des trente dernières années les surveillants généraux des lycées, les grèves, les infirmes, les chômeurs – remplacés par des conseillers principaux d’éducation, des mouvements sociaux, des handicapés, des demandeurs d’emploi – a enfin permis la réalisation du vieux rêve de Louis-Napoléon Bonaparte, l’extinction du paupérisme. Il n’y a plus de pauvres mais des gens modestes, des conditions modestes, des familles modestes. (…) En matière d’euphémismes, la LQR est capable de renchérir sur ses propres inventions. Aussi apprend-on qu’ ‘il ne faut pas dire restructuration, fusion, réorganisation et encore moins absorption. Après la réussite de l’Offre publique d’achat (OPA) lancée par le groupe pharmaceutique Sanofi-Synthélabo sur son homologue Aventis, le maître mot du processus d’unification est intégration’. » Eric Hazan LQR, la propagande du Quotidien

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3. Le dehors et le dedans Pour interpréter cette adhésion massive est irréfléchie c’est, sans surprise, vers la sociologie que se tourne Alain Accardo : « L’idée que tout individu est socialement façonné pour s’adapter à la société où il vit a mis des siècles à se frayer un chemin à travers les couches d’idéologie naturaliste, religieuse et philosophique qui lui faisaient barrage, mais elle est devenue pour nous une idée assez largement reçue. Du moins, sous forme de principe abstrait, de portée très générale, s’est-elle intégrée à la culture humaniste de gauche. Nous admettons volontiers de considérer que l’organisation de la société, le milieu social, les conditions sociales d’existence et de travail expliquent bien des aspects du comportement des gens et des rapports qu’ils entretiennent. La difficulté commence en pratique lorsqu’un groupe ou un individu doit s’appliquer à lui-même ce principe explicatif et examiner dans quelle mesure il est le jouet du jeu social qu’il croît jouer librement. L’agent socialement déterminé, c’est toujours l’Autre, et nous sommes généralement assez habiles à discerner dans ses vices comme dans ses vertus, dans ses succès comme dans ses échecs, des effets de sa position et de sa trajectoire sociale et des intérêts qui y sont attachés. S’agissant de soimême, cette lucidité sociologique tend à devenir moins pénétrante. »

Madame Bovary n’a pas idée qu’elle fait du bovarisme, toute persuadée qu’elle est que c’est la grandeur de son âme qui la pousse. Et nous ? Vous ? Moi ?… C’est ce qui est fascinant – cette tendance à être d’accord avec le constat : ‘les humains sont socialement déterminés’ et cette facilité – en parallèle – à ne pas en tirer de conséquences pour soi-même. C’est comme si chacun revendiquait pour luimême « l’Immaculée conception » de ses représentations sociales et de ses motifs. ‘Nous sommes libres, uniques !’ Oui, mais : les statistiques. « Pour faire court, nous nous bornerons à rappeler ici en quelques phrases que le système capitaliste n’est pas seulement le monde qui nous entoure mais qu’il est aussi, et à certains égards surtout, notre monde intérieur. Il est nous-mêmes, dans la mesure où nos structures de personnalité sont le produit d’une socialisation, d’un façonnement dans et par le système que nous intériorisons sous forme de dispositions à sentir, percevoir, agir et penser de façon compatible avec le

« La notion d’habitus (…) dit finalement quelque chose de très important : les ‘sujets’ sociaux ne sont pas des esprits instantanés. Autrement dit, il ne suffit pas de connaître le stimulus ; il y a, au niveau central, un système de dispositions, c’est-à-dire des choses qui existent à l’état virtuel et qui vont se manifester en relation avec une situation. Voilà, en gros. C’est un débat extrêmement compliqué, mais la notion d’habitus a plusieurs vertus. Elle est importante pour rappeler que les agents ont une histoire, qu’ils sont le produit d’une histoire individuelle, d’une éducation associée à un milieu, et qu’ils sont aussi le produit d’une histoire collective et qu’en particulier les catégories de pensée, les catégories de l’entendement, les schèmes de perception, les systèmes de valeurs, etc., sont le produit de l’incorporation de structures sociales » Pierre Bourdieu et Roger Chartier Le sociologue et l’historien

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fonctionnement des structures externes. Ces dispositions acquises permettent de supprimer ou de réduire au minimum le détour et le retard réflexifs dans la mesure où elles nous dotent d’un répertoire de réponses préadaptées et quasi automatiques aux sollicitations du vécu. Il y a ainsi en chacun des individus un homo oeconomicus capitalisticus en connivence immédiate avec le monde qui l’a socialisé, mais qui ne sait pas, au départ, à quel point il est une créature du monde social – pas plus qu’Emma Bovary n’est consciente d’être le jouet de son milieu, dont elle se contente de jouer le jeu spontanément, vu qu’elle n’en connaît pas d’autres (…) Une fois la rationalité objective du système incorporée dans les agents par leur socialisation, c’est le plus souvent sans effort particulier ni calcul explicite qu’ils font ce qu’ils ont à faire, de la façon qui convient, à la place où ils sont, pour faire fonctionner les structures existantes Le système capitaliste n’a pas besoin de recourir de façon prévalente à la coercition et à la répression pour soumettre les populations. Au contraire, il fonctionne d’autant mieux qu’il laisse davantage d’initiative aux gens, qu’il s’assure leur adhésion personnelle, c’est à dire qu’il laisse les individus faire d’euxmêmes, volontiers, voire avec zèle, ce dont il a besoin pour fonctionner selon sa logique propre. Ce qui n’est évidemment possible que si cette logique objective devient celle des agents en s’inscrivant dans leur subjectivité propre, grâce à une socialisation adéquate, sous forme de dispositions personnelles, de goûts et d’intérêts pour certaines pratiques utiles au système et par là même


gratifiantes ; ou, au contraire, d’aversion, de dégoût, d’hostilité ou simplement d’indifférence pour d’autres pratiques non valorisées par le système. Une fois la rationalité objective du système incorporée dans les agents par leur socialisation, c’est le plus souvent sans effort particulier ni calcul explicite qu’ils font ce qu’ils ont à faire, de la façon qui convient, à la place où ils sont, pour faire fonctionner les structures existantes (…) Il faut ici s’aviser que non seulement l’intéressé n’a pas besoin de réfléchir expressément pour prendre la ‘bonne’ direction mais que le plus souvent il la prend sans s’en rendre compte, en croyant aller ailleurs pour faire autre chose. Autrement dit, la signification objective de son activité ne coïncide pas nécessairement avec la signification qu’elle revêt à ses yeux. Divers intérêts, subjectivement éprouvés, viennent généralement faire écran à l’intérêt objectif. » « On méconnaît ou l’on sous-estime trop souvent, y compris chez nombre de sociologues actuels, la capacité du système à s’assurer l’adhésion de ses membres par le biais de l’intérêt qu’ils portent à leur investissement dans divers jeux sociaux, économiques, culturels et autres. Si bien que, pour se soutenir et se maintenir, le système, capitaliste en l’occurrence, n’a pas besoin de recourir en permanence à la contrainte. Au contraire, sa devise est ‘laisser faire, laisser aller’ ». Pourquoi empêcher quelqu’un… de faire ce qu’on souhaite qu’il fasse ? Ce qu’on l’a programmé à désirer… Comment changer le monde, si on ne le comprend pas ? Si on ne se comprend pas ? C’est un reproche sévère qu’Alain Accardo inflige aux

« Nous sommes des automates dans les trois quarts de nos actions » Leibniz

mouvements politiques et sociaux : selon lui, tout occupés qu’ils sont à lutter contre les structures objectives du système (armée, gouvernement, grandes entreprises…) ceux-ci passent à côté des structures subjectives : celles qui ont été intégrées aux personnalités des sujets du système et qui forment une sorte de ‘boussole morale’. On méconnaît ou l’on sousestime trop souvent (…) la capacité du système à s’assurer l’adhésion de ses membres par le biais de l’intérêt qu’ils portent à leur investissement dans divers jeux sociaux, économiques, culturels et autres. Si bien que, pour se soutenir et se maintenir, le système, capitaliste en l’occurrence, n’a pas besoin de recourir en permanence à la contrainte. Au contraire, sa devise est ‘laisser faire, laisser aller’ Quelle drôle de vision ! Morale… introspection… Et en plus on dévalorise les gens qui, à travers un engagement, travaillent (car c’est, souvent, du travail) à faire advenir un monde meilleur ! Ce discours n’est-il pas dangereux ? Ou peut-être est-il, seulement mais profondément, exigeant… D’abord, il n’est pas question de railler les engagements, ou de nier, voire même de minimiser, l’importance des luttes sociales dans la création d’un rapport de force. Ensuite,

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l’appartenance à un mouvement, fût-il progressiste, ne nous classe pas automatiquement et inconditionnellement dans le camp des ‘bons’, et ne nous dispense pas de réfléchir sur nos pratiques. « Une telle démarche n’a rien à voir avec un idéalisme moralisant. Elle relève d’une vision sociologique des rapports entre individu et collectivité d’une part, entre social objectivé et social incorporé d’autre part. Si l’on prend cette vision au sérieux, si le monde social est à la fois dehors et dedans, si le moi est social et si le social se fait moi, alors il faut en tirer les conséquences et admettre qu’on ne peut pas changer la société sans se changer aussi soi-même. Et l’erreur serait d’attendre d’avoir fait l’un pour entreprendre de faire l’autre. Les deux combats ne peuvent être dissociés l’un de l’autre sous peine de tomber dans la ruineuse inconséquence où nous nous trouvons aujourd’hui : pseudo-gauche et vrai droite confondues dans la même erreur objectiviste et dans la même impuissance à changer réellement un cours des choses dont la logique n’est pas seulement inscrite objectivement dans le monde qui nous environne mais aussi dans les plis et les replis les plus intimes de notre subjectivité personnelle. Celle-ci a été pétrie et façonnée par un environnement social dominé par les structures du système capitaliste, et l’intériorisation de la logique de ces structures a installé en chacun(e) d’entre nous une sorte d’automate, une marionnette d’autant plus asservie qu’elle se croit plus libre et qui se croit d’autant plus libre qu’elle ignore davantage par quelles ficelles elle est mue. »


4. La décomposition morale Si l’homme est par nature un automate (un être – socialement – déterminé), on peut dire que sa programmation (sa socialisation) est de moins en moins exigeante : fric = réussite, ce n’est pas très dur à retenir. Les boutiquiers ont triomphs et désormais la vertu se compte : elle est sonnante est trébuchante (ou, de plus en plus, virtuelle). On se paye de grands mots : démocratie, liberté, citoyen(ne), etc. ; mais, justement, ceux-ci ne restent que des mots. Des sésames que l’on se doit répéter de manière mécanique pour faire preuve de son attachement aux fameuses ‘valeurs républicaines’ – mais qui n’engagent à rien. Sitôt que l’on s’aventure sur le territoire du réel, le cynisme est de mise : ‘et pourquoi moi je ne le ferai pas ?’, ‘si je ne le fais pas quelqu’un d’autre le fera’, ‘c’est comme ça que ça se passe’… « Car enfin, il faut bien se rendre à l’évidence, quelque déplaisir qu’on en éprouve, et appeler les choses par leur nom : les démocraties occidentales en général et la France en particulier sont en état d’imposture généralisée. Le constat ne concerne pas seulement la classe politique ; il concerne malheureusement aussi, à des degrés divers, les populations dans leur ensemble, dont les pratiques, dans tous les domaines, tendent à s’écarter toujours davantage des idéaux démocratiques qui ont présidé à la naissance de la République et inspiré plusieurs révolutions en Europe et ailleurs au cours des deux derniers siècles. » Il n’est pas question de faire l’éloge ici d’un quelconque ‘âge d’or’ (qui, bien souvent, traduit un malaise face au temps présent et une incapacité à se projeter) – l’ignominie et la bassesse sont de toutes les époques, la notre n’est pas un cas unique. Ce qui est

« Que deviendra la vertu, quand il faudra s’enrichir à quelque prix que ce soit ? Les anciens politiques parlaient sans cesse de mœurs et de vertu : les nôtres ne parlent que de commerce et d’argent. (…) Ils évaluent les hommes comme des troupeaux de bétail. Selon eux, un homme ne vaut à l’Etat que la consommation qu’il y fait ; ainsi un Sybarite aurait bien valu trente Lacédémoniens. » Jean-Jacques Rousseau, e Discours sur les sciences et les arts, II partie

particulier à notre époque néanmoins, c’est la perte de ces vertus – ces repères – auxquelles on déroge mais auxquelles on aspire néanmoins. Héroïsme, générosité, sagesse… La morale de la modernité est une éthique entrepreneuriale qui se résume à une triple règle aussi catégorique que l’impératif kantien ; quoi qu’on entreprenne il faut : a) réussir ; b) dans le plus court terme ; c) au moindre coût « Nos prédécesseurs étaient eux aussi ignobles, mais ils le savaient et n’en tiraient pas gloire. Ils avaient mauvaise conscience, c’est à dire une conscience morale taraudée par le sentiment de la faute (ou du péché) et chacun(e) pouvait reprendre à son compte la formule éplorée qui était déjà celle du poète latin Ovide avant d’être reprise en substance par Paul dans ses Épîtres : ‘Je vois ce qui est bien et je l’approuve. Mais je fais le mal que je réprouve.’ C’est dans la conscience douloureuse de ce divorce (…) entre les intentions et les actes que résidait la racine de la moralité et du progrès moral. Celui-ci s’accommode mal de la bonne conscience. La mauvaise conscience est à sa façon un hommage du vice à la vertu. Au contraire, dans l’optique

« Ceux qui l’emportent, quelle que soit la manière, jamais n’éprouvent de honte » Machiavel

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moderniste qui fait prévaloir la logique de la concurrence généralisée et du chacun pour-soi, le succès justifie tous les moyens, sanctifie toute les entreprises. La lutte incessante pour les postes, les titres, les gratifications, les contrats, les parts de marché, le pouvoir et finalement la domination réclame du combattant moderne qu’il ait l’âme légère, la conscience peu encombrée de doutes ou d’interrogations, l’esprit uniquement occupé à tirer de ses investissements stratégiques le profit maximal. Dans de telles conditions, la mauvaise conscience serait un fardeau et le scrupule moral un handicap. (…) La morale de la modernité est une éthique entrepreneuriale qui se résume à une triple règle aussi catégorique que l’impératif kantien ; quoi qu’on entreprenne il faut : a) réussir ; b) dans le plus court terme ; c) au moindre coût. Ceux qui (de moins en moins nombreux) demeurent réfractaires, ou qui hésitent seulement à adopter ce pragmatisme sans scrupule, se voient immédiatement taxés d’ ‘archaïsme’ et d’arriération idéologique, marginalisés, condamnés à l’exil intérieur. » Cette décomposition morale simultanément assumée et non assumée, qui s’accompagne de l’institutionnalisation de la schizophrénie et de la déliquescence du langage, est particulièrement observable, car exacerbée, chez nos ‘élites’ économiques et politiques.


5. La moyennisation de la société Mais si nos ‘élites’ représentent une instructive caricature, malheureusement « c’est le corps social tout entier qui est, à différents degrés, atteint de cette forme de décomposition intellectuelle et morale qui semble aller de pair avec le mouvement de ‘moyennisation’ de la société développée. Par ‘moyennisation’, nous entendons non seulement le processus morphologique qui a accru quantitativement, dans des proportions considérables, la population des classes moyennes en Europe occidentale au cours du siècle dernier et en particulier au cours de sa seconde moitié ; mais encore et surtout le processus qualitatif de l’augmentation de leur influence dans l’ensemble de la société. On peut dire à cet égard que la petite bourgeoisie est devenue, avec la reprise durable de la croissance qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, avec la tertiarisation de l’économie, avec l’élévation du niveau de vie et du niveau d’instruction et l’adoption de plus en plus large du modèle américain, le vecteur potentiel du changement social, rôle qui était depuis plus d’un siècle dévolu à un autre protagoniste historique, le prolétariat (…) De sorte qu’en dépit de l’augmentation même de ses effectifs la classe ouvrière n’a cessé de perdre de son rayonnement et de sa capacité à mobiliser de l’énergie sociale autour de son projet émancipateur révolutionnaire, au bénéfice d’une petite bourgeoisie qui voyait se renforcer ses perspectives d’ascension sociale à l’intérieur du système. » Et cette petite bourgeoisie, cette fameuse ‘classe moyenne’, d’où provient-elle ? Tout phénomène de décollage économique (« lié le plus souvent, à l’origine, à un afflux de richesses nouvelles procurées par les guerres d’annexion et le pillage d’autres nations ») s’accompagne d’un changement du mode de vie des classes dominantes, qui élargissent leurs goûts et leurs appétits. « Dans l’écart grandissant entre les nantis de plus en plus riches et les pauvres toujours aussi démunis, un espace social intermédiaire s’ouvre et s’élargit, où trouvent à s’employer des énergies et des talents dont la raison d’être fondamentale est, dans le principe, de fournir aux aristocraties dominantes les forces auxiliaires dont elles ont vitalement besoin, qu’il s’agisse d’administrer leurs domaines, de gérer leurs affaires, d’assurer leur sécurité, d’instruire leur progéniture, de veiller sur leur santé physique et morale ou d’embellir leur existence. (…) Leurs membres sont, dans le principe, des substituts de maîtres. Ces derniers ne peuvent pas être partout et sont obligés de déléguer une partie de leur pouvoir à ceux qui les représentent auprès des classes laborieuses. Ainsi se constitue un formidable réservoir d’énergie sociale, riche de talents et de compétences, dont les maîtres deviennent d’autant plus dépendants qu’ils y puisent davantage d’aide et de collaboration. »

Que serait la logique du grand capital sans l’intervention zélée, compétente et convaincue de ces myriades d’auxiliaires salariés qui, à des échelons divers, dans leurs bureaux, leurs services, leurs agences, leurs chantiers, leurs ateliers, encadrent, dirigent, surveillent, contrôlent, entretiennent, expertisent, conseillent et optimisent le fonctionnement de la mécanique à broyer de l’humain, contribuant ainsi à la ‘banalisation du mal’… Cependant le rôle croissant qui leur est conféré dans notre organisation sociale accroît l’appétit de ces valets, « qui s’accompagne tout logiquement de prétentions à s’élever et à s’intégrer aux classes supérieures ». Certains, peu nombreux, y parviennent, et l’histoire de ces parvenus accrédite la fiction méritocratique. D’autres, plus nombreux, parviennent juste à grimper sur la tête de leurs voisins, et ainsi se forment toutes les nuances d’un « establishment petit bourgeois » C’est pourquoi, si l’existence de ces valets tourne toute entière autour de celle des maîtres, c’est d’une façon profondément ambivalente : une attraction qui les fait servir et les pousse à s’identifier, associée à une 43

répulsion qui les fait s’opposer et se distinguer. « La disposition à s’opposer se trouve renforcée du fait que, dans la compétition plus ou moins déclarée avec les dominants, les aspirations des membres des classes moyennes à une redistribution plus juste des cartes ne peuvent manquer de rencontrer un écho dans la partie la plus conscientisée et la moins soumise des classes populaires. On voit alors se nouer cette alliance, elle aussi caractéristique de notre histoire politique et sociale, entre certaines fractions de la petite bourgeoisie et des classes populaires, alliance plutôt boiteuse au demeurant, dans la mesure où les membres instruits, cultivés et influents des classes moyennes tendent à s’ériger en stratèges, à monopoliser la parole et à transformer les classes populaires en main d’œuvre docile. De nos jours, grâce à l’institution du suffrage universel dans nos démocraties, les partis sociaux-démocrates, ou encore certaines combinaisons électoralistes comme celle de la ‘gauche plurielle’ en France, ont porté à sa quasiperfection l’art de manipuler les classes populaires pour les maintenir sous l’emprise de la gauche petitebourgeoise dans son combat pour le pouvoir. Parler de ‘moyennisation’ de notre société, c’est dire du même coup que jamais sans doute l’ascension des classes moyennes n’a été aussi prononcée qu’à notre époque. (…) Cet état d’aliénation est aujourd’hui massif et profond. »


Il est ici évident que la tension attraction/répulsion caractérise le rapport des classes moyennes avec les classes populaires comme avec les classes dominantes. Ainsi c’est vers l’une et l’autre successivement que se porte l’admiration et le dégoût des ‘moyens’. « On risque de ne rien comprendre aux stratégies des classes moyennes si l’on ignore ou si l’on sous-estime la bâtardise sociale qui les caractérise et qui fait que leurs membres, à la fois sel et cendre du pain social, n’ont cessé historiquement d’illustrer le genre humain tout autant que de le déshonorer. » Ainsi la petite bourgeoisie (ou du moins certaines de ses franges) a participé à de nombreux combats pour l’émancipation des masses : la Révolution française, les Lumières… participation qui lui a parfois coûté bien cher. Mais le rôle premier des classes moyennes, c’est de maintenir un système qui assure la domination des puissants qui, en échange, leurs offrent des gratifications (matérielles ou symboliques) refusées au plus grand nombre. « En conséquence, la vision la plus probable que les classes moyennes puissent avoir du monde social est une vision légitimiste et légaliste, favorable à la préservation de l’ordre établi ou, à la rigueur, à des changements modérés et immédiatement avantageux pour elles. Inversement, elles tendent à se montrer spontanément hostiles à tout changement qui risquerait de perturber sérieusement les rapports de collaboration et de service qu’elles entretiennent avec les dominants et dont elles tirent de multiples gratifications. Il faut voir dans cette

disposition à la collaboration de classe bien moins la conséquence d’un calcul explicite et d’une stratégie raisonnée que l’expression d’un sens pratique construit par la socialisation même des intéressés (…) Que serait la logique du grand capital sans l’intervention zélée, compétente et convaincue de ces myriades d’auxiliaires salariés qui, à des échelons divers, dans leurs bureaux, leurs services, leurs agences, leurs chantiers, leurs ateliers, encadrent, dirigent, surveillent, contrôlent, entretiennent, expertisent, conseillent et optimisent le fonctionnement de la mécanique à broyer de l’humain, contribuant ainsi à la ‘banalisation du mal’… » On sait que rien, rigoureusement rien, rien de naturel, rien de rationnel, rien d’universel, ne justifie les inégalités monstrueuses de l’ordre établi (…). On sait enfin que le système ne fonctionne pas tout seul et que, s’il tue beaucoup de monde, il fait vivre aussi pas mal de gens à qui il donne de la besogne et, au-delà, une raison d’être. La plupart des gens qui réalisent ces travaux le font sans penser à mal. C’est même souvent poussés par la conscience professionnelle ou quelque autre noble motif (du moins leur semble-t-il) qu’ils font ce que l’on attend d’eux de la meilleure façon possible. ‘Je ne fais que mon travail’, ‘je ne savais pas’… Sauf qu’aujourd’hui on ne peut pas ne pas savoir. L’information est partout (quelle que soit par ailleurs, la qualité de l’analyse qui l’accompagne). On connaît les méfaits du capitalisme, les

famines et les guerres qu’il engendre. « On sait que rien, rigoureusement rien, rien de naturel, rien de rationnel, rien d’universel, ne justifie les inégalités monstrueuses de l’ordre établi nationalement et internationalement. On sait enfin que le système ne fonctionne pas tout seul et que, s’il tue beaucoup de monde, il fait vivre aussi pas mal de gens à qui il donne de la besogne et, au-delà, une raison d’être. Les classes moyennes savent tout cela, mais c’est un savoir sans conséquences, un savoir qui reste inerte dans la pratique, parce que, s’il était agissant, il ferait voler en éclat le confort intellectuel et moral qu’elles s’efforcent de préserver jalousement… » Mais ce « confort intellectuel et moral » vacille parfois sous les coups de boutoir de la réalité. D’abord parce que la place privilégiée des membres des classes moyennes sur l’échiquier sociale n’est pas garantie, ce qui fait réfléchir. Ensuite parce que si les classes moyennes sont anesthésiées, elles ne sont encore ni aveugles ni totalement insensibles. « C’en est assez pour leur donner un commencement de mauvaise conscience » qui pourra trouver un soulagement dans diverses directions : l’engagement humanitaire, la psychanalyse, la drogue… Le plus souvent néanmoins, les membres des classes moyennes parviennent à lutter contre cette mauvaise conscience par un travail d’euphémisation et de transfiguration de la réalité. « La transfiguration de la réalité quotidienne est une entreprise qui requiert évidemment la participation de chaque individu concerné, mais ce

« Au lieu de cela, ils croiraient aux assurances. Au lieu de cela, ils croiraient aux repas accompagnés de vin – quelque chose de bien mais pas trop prétentieux, que penseriez-vous d’un pouilly-fuissé 83, et laissez-le s’aérer un peu, garçon, voulez vous ? Au lieu de cela, ils croiraient à la télévision publique, à Gary Hart faisant de la course à pied pour lutter contres les maladies cardiaques. (…) Ils croiraient au Dr Ruth quand il s’agirait de bien baiser et au révérend Jerry Falwell quand il s’agirait d’être bien sauvé. Et chaque année qui passerait leurs rêves deviendraient plus médiocres. » Stephen King Ça, tome II

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travail serait impossible – ou beaucoup moins efficace – s’il n’était puissamment orchestré par l’ensemble des institutions qui le soutiennent de leurs appareils matériels et idéologiques. Nous avons déjà souligné plus haut le rôle joué dans la construction du consensus par certaines de ces institutions productrices de sens… » Comme les médias qui, possédés par les grands groupes capitalistes mais « largement aux mains de fractions des classes moyennes » , savent réaliser ce travail d’euphémisation de la réalité et nous indiquer vers quel Nord doit pointer notre boussole. Tout les sujets semblent être abordés grâce au fameux ‘pluralisme’, mais, en fait, « c’est le règne du bavardage logorrhéique, le triomphe du lieu commun et de l’incontinence rhétorique, où l’on ne cesse de parler pour ne rien dire ou, plutôt, pour dire toujours la même chose, pour accréditer la même représentation fondamentalement schizophrénique de la réalité (…) un diptyque dont le premier panneau aurait été peint par un émule de Bosch et le second par un peintre sulpicien… » D’un côté, tous les malheurs et les atrocités de notre vieux monde, « un enfer-sur-terre dont la description médiatique, toujours sous l’angle du fait divers, se borne à une accumulation kaléidoscopique d’images toutes plus bouleversantes les unes que les autres mais qui n’expliquent rien et ne mettent rien en cause sinon des motivations et des réactions psychologiques individuelles. » Et de l’autre, un monde de ‘rêve’, « celui que fignolent à longueur de temps les ‘créatifs’ de la publicité, les éditorialistes, les rédacteurs en chef, les présentateurs, les animateurs, les scénaristes, les producteurs de variété, les inventeurs de télé-réalité, les organisateurs de débats, de concerts, d’expositions et de festivals, les éditeurs, les critiques,

les photographes de la presse people, les interviewers de stars en gloire et de patrons en majesté, et autres montreurs de marionnettes. Un monde dont on voudrait nous persuader que tout y est ‘ordre et beauté, luxe, calme et volupté’, à quoi on pourrait ajouter, pour faire bonne mesure, ‘liberté, égalité, fraternité’, et qui est censé être celui dans lequel nous vivons quotidiennement, notre univers à nous, classes moyennes privilégiées des démocraties occidentales, qui ne mesurons pas notre bonheur… » Plus on appartient au deuxième, paraît-il, plus on s’éloigne du premier… « Malheureusement [ ?] pour les promoteurs de cette vision idyllique et flatteuse » d’un monde où « tout le monde et beau, gentil, souriant (…) un modèle hollywoodien d’humanité, avec piscine, gazon et barbecue », les classes moyennes sont loin d’avoir les moyens financiers et culturels de leurs ambitions. Et leur mode de vie sent donc le faux, l’emprunté, le simili et l’ersatz – tout comme leurs loisirs ou leurs ‘grands hommes’. « Les médias ont porté à son comble la comédie de la grandeur, c’est-à-dire la disposition structurellement conditionnée des classes moyennes à confondre l’être non pas seulement avec l’avoir, comme font les bourgeoisies, mais avec l’apparence de l’avoir. » Même si les classes moyennes n’en ont pas les moyens, la pulsion hédoniste doit absolument se réaliser, fut-ce dans une satisfaction vaine et stérile : « Mais cette évolution est logique puisque l’important n’est plus d’avoir un comportement moral, de se soumettre à une éthique, mais de vivre le plus confortablement et le plus intensément possible l’instant présent (…) A l’image de leurs ‘élites’ les plus médiatiques, les petit-bourgeois

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en sont arrivés à confondre liberté et licence et à ‘se croire émancipés quand ils ne sont que déboutonnés’, comme l’a écrit George Steiner. Une soif inextinguible de jouissance immédiate, sans fin et sans frein : tel est le trait dominant de l’ethos petitbourgeois européen d’aujourd’hui. Plus que jamais le Carpe diem est sa devise ». C’est ainsi que, par le biais de l’épargne spéculative comme par le biais de l’endettement, le système capitaliste a solidement assujetti les classes moyennes au règne de l’argent roi. Encore une fois, il ne s’agit pas de dire que cette pulsion hédoniste est nouvelle. Ce qui est inédit, néanmoins, c’est notre rapport à celle-ci : « sans fin et sans frein », c’est bien ceci qui le caractérise. Quoi que l’on puisse dire contre les religions ou les pressions sociales (notamment familiales) elles représentent (ou représentaient) un frein, une mesure. Une illustration de cette perte de mesure : dans la plupart des cas, on n’épargne plus pour se mettre à l’abri du besoin, on épargne pour consommer et spéculer. On ne consomme plus pour vivre, on vit pour consommer. A divers degrés, les produits financiers sont aujourd’hui bien connus de quiconque peut générer plus de revenus qu’il n’en consomme (titres, actions, obligations…), mais également de qui génère moins de revenus qu’il n’en consomme (crédits à la consommation, crédit revolving…) « C’est ainsi que, par le biais de l’épargne spéculative comme par le biais de l’endettement, le système capitaliste a solidement assujetti les classes moyennes au règne de l’argent roi ».


6. L’imposture réformiste Et pourtant si les classes moyennes semblent ‘vendues’ au capitalisme à travers les intérêts qu’elles peuvent retirer de leurs investissements en celui-ci, ce n’est presque jamais comme cela qu’elles se perçoivent. réformisme politique. C’est sur revendications des dominés. Pour que « D’une façon générale, il est rare ce dernier que se penche plus l’ordre établi demeure gouvernable, il que quelqu’un reconnaisse, ne seraitparticulièrement Alain faut, on le sait depuis longtemps, ce qu’à ses propres yeux, avoir agi Accardo ; selon lui, « de toutes les assurer aux dominés leur ration par pur intérêt personnel. Seuls les impostures dont souffrent les régulière ‘de pain et de jeux’. Comme cyniques admettent ouvertement avoir démocraties occidentales, l’affirmation le contenu concret de ces deux obéi à une motivation purement des vertus du réformisme, dont les catégories varie historiquement en égoïste – et encore ce genre d’aveu partis sociaux-démocrates et fonction du niveau de développement n’est-t-il bien souvent qu’une pose travaillistes se sont faits les de la société considérée, il faut provocatrice. L’éducation inhérente à principaux champions, est réajuster périodiquement les rations leur socialisation fait acquérir aux certainement une des pires ». allouées pour éviter que le degré de individus une forme ou une autre de frustration des masses ne devienne conscience morale ; et une conscience insoutenable. Ces opérations de La mise en œuvre de politiques morale, même rudimentaire, doit rectification dans l’allocation des réformistes, c’est pour le nécessairement, dans nos société ressources devraient aller de soi et système capitaliste une façon démocratiques, prendre en s’effectuer quasi automatiquement de procéder, quand il n’est plus considération l’existence et les droits puisqu’elles sont indispensables à la possible de faire autrement, d’autrui, et admettre comme un reconduction du système. Mais la aux nécessaire redistributions devoir fondamental d’accorder aux logique du profit maximal s’y oppose. sans lesquelles le mouvement autres le même respect de leur Elle aveugle les possédants au point social deviendrait explosif et personne, la même sollicitude et la qu’ils préfèrent risquer une émeute risquerait de coûter plus cher même dignité que ceux qu’on réclame plutôt que de concéder une petite aux classes dominantes que pour soi-même. En fait, nous augmentation de salaire ou une légère les concessions consenties, commençons à le savoir, si ce devoir diminution du temps de travail. Si tardivement et était inscrit non seulement dans des bien qu’il faut se battre pour arracher parcimonieusement, aux chartes mais aussi dans le la moindre amélioration des légitimes revendications des fonctionnement réel des institutions et conditions de travail et d’existence. dominés. dans la quotidienneté des mœurs, Le réformisme trouve son principe nous vivrions dans un monde dans cette triste nécessité d’imposer Imposture, car le réformisme merveilleux comme il n’en a jamais aux dominants des mesures exigées prétend vouloir changer l’ordre existé, d’où l’égoïsme individuel et par la rationalité même du système, social alors qu’en fait il l’ajuste collectif serait banni. Au lieu de quoi ‘la part du feu’ en quelque sorte – ce en permanence, lui offrant les nous nous accommodons du fossé, que les moins bornés d’entre eux moyens de sa pérennité. « La sans cesse grandissant de nos jours, comprennent fort bien d’ailleurs. mise en œuvre de politiques entre la proclamation des principes et Cette démarche corrective s’est réformistes, c’est pour le système les pratiques effectives ». institutionnalisée politiquement dans capitaliste une façon de procéder, la social-démocratie, dont la raison quand il n’est plus possible de faire Et pour vivre avec la d’être est donc, quel que soit le degré autrement, aux nécessaire contradiction, on rationalise. de sincérité et de dévouement de ses redistributions sans lesquelles le « D’où le discours développé par les partisans à la cause des peuples, de mouvement social deviendrait explosif idéologues du capitalisme et diffusé trouver des traitements palliatifs aux et risquerait de coûter plus cher aux ad nauseam par tous les médias sur défauts et dégâts du capitalisme et classes dominantes que les concessions le thème bien connu : ‘Nous ne non de le combattre dans son consenties, tardivement et pouvons ni supprimer ni accueillir principe. » parcimonieusement, aux légitimes toute la misère du monde, mais nous devons nous efforcer de la soulager.’ » « Ces ‘dissidents’ d’un temps accomplirent une tâche essentielle au Ainsi surgissent le moralisme maintien de l’ordre social : ré accorder les instruments théoriques des humanitaire (dans un louable diverses fractions de la classe dominante au diapason d’intérêts dont souci de soulager les les dirigeants ignoraient encore qu’ils fussent les leurs » symptômes, mais sans jamais Pierre Rimbert s’attaquer aux causes) et le Libération, de Sartre à Rothschild

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Le réformisme a d’ailleurs fait son entrée en politique, et conquit les masses, en affirmant que son but ultime était l’instauration du socialisme. Mais lui-même a depuis longtemps abandonné cette fiction et ne se propose plus que de critiquer, de corriger ou, finalement, d’amender le système d’organisation économique et social. Il ne s’agit alors plus du tout de révolutionner quoi que ce soit, mais de ‘gérer’ le système au mieux. Finalement, que des agents qui disposent de larges capitaux (économiques, sociaux, culturels et symboliques) comme les dirigeants et les cadres des partis sociauxdémocrates cherchent à conserver, voire à améliorer un ordre social, un jeu qui les traite plutôt bien, ne devrait pas nous étonner outre mesure. « Ce reniement serait, sinon excusable, du moins compréhensible. Mais ce qui est impardonnable c’est que, pour se justifier, sous couvert de ‘modernité’ et de ‘réalisme’, ils ont sombré dans cette forme de ‘vulgarité’, comme l’appelle Claudio Magris, qui consiste à vouloir disqualifier l’idée même de révolution et à discréditer ceux qui conservent une espérance révolutionnaire. (…) Le principe de cette pédagogie à la fois diffuse et institutionnalisée est, à défaut d’anéantir tout ferment de foi révolutionnaire, du moins de le dénaturer grossièrement, de le dévoyer en le détournant de s’exprimer sur le terrain politique, économique et social, pour mieux s’exprimer sur le terrain des mœurs et des styles de vie ; d’où le bouleversement continu, au nom de l’‘ouverture’, de la ‘mobilité’, de l’‘adaptation’, du ‘changement’ et de la ‘créativité’ érigés en impératifs absolus et en vertus suprêmes, de tous les modèles et de toutes les règles gouvernant les relations et

interactions interindividuelles. Sur ce terrain-là en effet, on a pu voir se développer, depuis la fin des années 1960, une forme de libertarisme ultra-individualiste qui, en focalisant la revendication des agents sociaux sur les problèmes interpersonnels, intersexuels, intergénérationnels, intercatégoriels, etc., présente l’immense avantage pour le système de laisser en dehors de la discussion le problème fondamental de la domination de classe dans l’organisation collective de la société. » Nous devons poser avec force et clarté que la seule politique acceptable d’un point de vue humaniste est celle qui se propose non pas de corriger, amender, rectifier ou ravauder de quelque façon que ce soit le système capitaliste, mais d’en finir avec lui. Il ne s’agit pas ici de nier ou de minimiser les problèmes sociaux et individuels induits par les différentes formes que peuvent prendre la domination ou l’exclusion : de race, de genre, de religion… « Mais reconnaître la légitimité de ces questions n’implique nullement qu’on approuve la façon dont elles sont thématisées et discutées, le plus souvent dans un registre étroitement psychologisant ». Un registre qui, bien souvent, disculpe l’organisation sociale et condamne des comportements. « Alors qu’on dénonce et conteste vigoureusement, en toute occasion et à juste raison, l’arbitraire de toutes les inégalités sociales liées au genre ou à la sexualité, à l’âge, à la nationalité, à l’ethnie et autres différences de fait abusivement transformées en critère de valeur, il est une inégalité, sociale par excellence, pour laquelle ceux qui s’obstinent à la dénoncer et appellent à la combattre passent quasiment pour des faibles d’esprit ou (ce qui revient au même) des visionnaires

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perdus d’idéalisme : l’inégalité de condition sociale, liée à l’appartenance de classe. Elle est si bien acceptée, si peu discutée, qu’on en arriverait presque à croire qu’elle est naturelle. » Et bien non, cette inégalité n’est ni naturelle, ni nécessaire. Ses dégâts ne sont plus à prouver. Des millions de vies, tous les jours et à toute heure, sont broyées par les milles têtes de cette hydre. « Et bien, quitte à faire ricaner plus fort encore les bons apôtres, nous dirons que le seul objectif qui ait encore un sens politique et une valeur morale, c’est de se proposer cette utopie révolutionnaire : la suppression, l’abolition, l’annihilation, l’éradication totale et définitive de cette inégalité indigne de sociétés qui se prétendent civilisées ». Et cet objectif ne peut être rempli avec le réformisme. En fait, on voit mal comment il pourrait l’être si on ne redistribue pas les immenses richesses confisquées par quelques uns. Mais la capitalisation est au cœur du système capitaliste. « Bref, à rebours de tout ce dont on veut nous convaincre, nous devons poser avec force et clarté que la seule politique acceptable d’un point de vue humaniste est celle qui se propose non pas de corriger, amender, rectifier ou ravauder de quelque façon que ce soit le système capitaliste, mais d’en finir avec lui. » « Ricaner de tout espoir en l’avenir fait désormais partie du répertoire obligé de la vulgarité. (…) Sans cette foi si souvent démentie il n’y a aucun progrès, aucune libération ; l’idée de révolution est un levain sans lequel on ne peut pas faire de pain, même si on ne peut pas faire de pain rien qu’avec du levain » Claudio Magris Utopie et désenchantement


7. La volonté de ne pas savoir Changer le monde serait irréalisable et même dangereux : cela ouvrirait la voie à la démagogie et à la barbarie. Mais faire durer le système tel qu’il est, est-ce réalisable ? Et la démagogie, ainsi que la barbarie, n’y sont-elles pas déjà solidement implantées ? Malgré une éducation de plus en plus poussée et une (sur)abondance d’informations, « les classes moyennes manifestent comme une volonté de ne pas savoir, un refus de comprendre ce que l’évolution des choses montre avec une évidence croissante : qu’il n’est pas possible de continuer sur cette voie dont on pourrait dire qu’elle conduit à la catastrophe si la catastrophe n’était déjà là, produisant partout toutes sortes de désastres. (…) Les éléments d’analyse sociologique que nous avons rappelés plus haut permettent de comprendre que la ‘volonté de ne pas savoir’ qui caractérise l’attitude actuelle d’une grande partie des classes moyennes ne relève pas tant, à proprement parler, d’une décision rationnelle et réfléchie d’ignorer les aspects dérangeants de la réalité, que d’une compétence pratique, une forme de savoir-être commandée en profondeurs par les intérêts les plus incorporés. Ce sens pratique, une fois constitué, nous prédispose à ne percevoir, ne ressentir, n’examiner et ne rechercher spontanément que ce qui a toute probabilité objective de nous agréer et de nous gratifier ; et au contraire de tenir à distance, éluder et contourner, sans davantage de calcul, toute interaction, occurrence ou situation ayant une grande probabilité objective

de contredire le rapport personnel que nous nous sommes construit avec nous-mêmes et le monde qui nous entoure. Il n’est en fait pas possible, comme chacun le sait d’expérience (surtout aujourd’hui) chez nous, d’empêcher radicalement l’irruption d’informations dérangeantes dans notre cocon existentiel, dont la sérénité intérieure se trouve ainsi plus ou moins sérieusement perturbée. C’est une des raisons pour lesquelles tant d’individus, dans les classes moyennes, sont affectés de malaises de gravité variable, selon le degré de fissuration de leur moi intime sous les coups de boutoir répétés de la réalité. Et peut-être davantage de petitsbourgeois trouveraient-ils leur chemin de Damas si les ‘chiens de garde’ médiatiques, politiques, philosophiques, psychologiques, médicaux et autres préposés au maintien de l’ordre dans les têtes et dans les cœurs ne se chargeaient d’interrompre leurs divagations et de les faire rentrer dans le troupeau consensuel. L’habitus et ses régulations reprenant alors le dessus, chacun continue à vaquer à ses occupations, à s’enfermer dans ses problèmes relationnels, de famille, d’alcôve, de bureau et de communication, avec par moments le sentiment étrange et pénible de ‘marcher à côté de ses pompes’. »

« C’est probablement toute notre époque et tout le système dans lequel nous vivons aujourd’hui qui excellent jusqu’à la virtuosité dans l’art de ne pas tirer de conséquences, et en particulier de ne pas en tirer de ce qu’ils ont appris et savent (ou croient savoir) grâce au travail d’intellectuels critiques comme Bourdieu. Une des choses que ceux pour qui être logique ne se distingue plus guère d’être ‘dogmatique’ ou ‘sectaire’ pardonneront le plus difficilement à Bourdieu est sûrement d’avoir été un des rares intellectuels d’aujourd’hui à être encore capable de tirer des conséquences (…) Il avait sûrement raison de penser qu’en matière sociale la volonté de ne pas savoir est aujourd’hui une chose plus réelle que jamais. » Jacques Bouveresse Bourdieu, savant et politique

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Mais si les bergers et leurs chiens de garde conduisent aussi facilement le troupeau, c’est bien parce que celui-ci, non seulement se laisse faire, mais participe activement, à travers « une inlassable complaisance envers le système, une connivence immédiate et profonde avec sa logique dominante et une propension spontanée à s’aveugler sur ses tares ou à les minimiser ; bref, une paradoxale aptitude à se convaincre qu’on ne sait pas ce que l’on sait, qu’on ne fait pas ce que l’on fait, et à incarner la version contemporaine d’une figure classique de la comédie sociale : celle du pharisien honnête ou du tartufe sincère. » En termes plus explicites, la véritable expression de l’opposition au système et de la volonté de rupture avec sa logique, ce n’est pas seulement le bulletin de vote qu’on va périodiquement glisser dans une urne ; c’est aussi et surtout le rapport vécu à la réalité tel qu’il s’exprime sur le plan des comportements effectifs dans tous les domaines de la pratique quotidienne. Les petits bourgeois ne doivent pas devenir des boucs émissaires responsables de tous les maux de la terre, mais vue la masse et l’influence qu’ils représentent, les valets des maîtres ont une lourde part de responsabilité dans l’actuel chaos social et politique. « Au demeurant, comme nous croyons l’avoir déjà suffisamment fait comprendre, le marasme politique dans lequel nous nous trouvons n’a


pas seulement des causes politiques mais aussi et inséparablement des causes morales. Si les démocraties occidentales sont tombées d’accord pour construire l’Europe du capital et du commerce plutôt que celle des peuples et de la culture, c’est précisément parce que les grands bourgeois capitalistes ont pu s’appuyer, une fois de plus, sur la collaboration des classes moyennes intéressées à l’entreprise, comme elles l’ont été précédemment à toutes les étapes de la construction du système capitaliste. Il est possible qu’à des époques historiques antérieures l’aveuglement petit-bourgeois ait eu des circonstances atténuantes. Ce n’est plus le cas de nos jours. Seuls

ignorent encore la malfaisance du capitalisme ceux qui ne veulent pas savoir, non pas nécessairement par malignité perverse mais parce que le système s’est si bien incorporé dans leur être profond qu’ils font corps et âme avec lui et qu’ils ne peuvent concevoir de s’en séparer. » Le système est critiqué, mais le plus souvent de façon parcellaire – on se mobilise pour des grandes « causes », pas de façon radicale et systémique. Et la question des pratiques personnelles est vite évacuée… Et pourtant c’est bien là que devrait commencer le travail : le capitalisme a colonisé notre

esprit et nos pratiques quotidiennes, si on ne l’extirpe pas des individus (ou plutôt, si ils ne le font pas eux-mêmes), comment (et pourquoi !) lutter contre ses structures ? « En termes plus explicites, la véritable expression de l’opposition au système et de la volonté de rupture avec sa logique, ce n’est pas seulement le bulletin de vote qu’on va périodiquement glisser dans une urne ; c’est aussi et surtout le rapport vécu à la réalité tel qu’il s’exprime sur le plan des comportements effectifs dans tous les domaines de la pratique quotidienne. »

Debout ! Le combat contre le système capitaliste est trop souvent perçu comme le seul combat contre ses structures objectives (Etat, organisation de la production…). Les dimensions subjectives (intériorisées) de la domination sont trop souvent négligées, permettant au système de se perpétuer, et même de sortir renforcé de ses propres défaites. Alain Accardo ne remet pas en cause les formes traditionnelles de lutte, mais selon lui elles doivent s’accompagner d’un engagement moral lucide et exigeant, qui passe par la remise en cause des pratiques personnelles « Il serait relativement facile d’être de gauche s’il suffisait de vouloir changer les structures objectives externes. C’est la démarche la plus fréquente chez ceux qui se disent ‘de gauche’. Il est évidemment beaucoup plus difficile de l’être quand il s’agit d’admettre qu’il faut aussi clarifier et changer la part de soi-même qui est asservie au système. » Toute la question reste de savoir quelle est la probabilité pour que, dans nos démocraties exténuées, les classes moyennes soient encore capables de sortir de leurs fantasmes de distinction

et que le bourgeois cesse de se rêver gentilhomme. « Il peut paraître insolite, pour ne pas dire plus, de conclure une réflexion qui se veut sociopolitique par un appel à l’effort moral personnel – qui n’exclut en aucune façon la lutte collective, au contraire. Mais si notre analyse est fondée, alors sa conclusion s’impose. Quand on est convaincu d’une part que le système capitaliste est un système déshumanisant, qui ne peut pas ne pas ‘déciviliser’, qui ne peut pas ne pas démoraliser (dans toutes les acceptions du terme) les rapports sociaux, un système qui réduit toutes les libertés à une seule, la ‘liberté de piller’, comme dit Noam Chomsky. Quand on a compris d’autre part de quelle façon il nous implique et nous compromet dans son fonctionnement, alors il faut en tirer les conséquences : le combat contre les méfaits du capitalisme a nécessairement une dimension morale que chacun se doit d’assumer pour son propre compte et

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sans laquelle il est vain de prétendre à un véritable changement de société. Une telle démarche n’est pas facile. Mais c’est seulement en consentant cet effort – effort déjà engagé d’ailleurs et dont on a plus d’un exemple –, au prix d’un combat mené non seulement contre les structures objectives externes mais aussi contre la connivence que celles-ci installent en chacun de leurs sujets, que nos classes moyennes peuvent refuser la désespérante médiocrité programmée par le système, retrouver par la une forme de grandeur et une chance de renouer avec le rôle progressiste qu’elles ont déjà joué dans l’histoire, en redonnant un sens au mot ‘révolution’. Toute la question reste de savoir quelle est la probabilité pour que, dans nos démocraties exténuées, les classes moyennes soient encore capables de sortir de leurs fantasmes de distinction et que le bourgeois cesse de se rêver gentilhomme. »


Quelques mots pour finir

Impossible de ne pas d’abord insister sur les difficultés que j’ai eu à écrire cette recension. Il m’a été difficile de saisir la structure de cet ouvrage, que je n’ai pas compris à la première lecture. Les chapitres semblent s’écouler de façon linéaire, mais les idées phares sont sans cesse répétées – présentées d’un autre point de vue ou poursuivis dans une autre direction, elles se développent tout au long du livre. Je n’ai pas pu retranscrire cette luxuriance des idées – pas plus que la rigueur des démonstrations. A ceux qui apprécient l’article, je ne peux que très vivement conseiller la lecture de l’original.

Aaaaahhhh ! Taper sur les classes moyennes, les masses, quel bonheur ! Attention, nous sommes ici en terrain miné. Qu’est ce qu’on leur reproche aux classes moyennes exactement, et qui sont-elles au juste ? Pour aller au plus simple, schématisons : les classes moyennes ne sont pas pauvres, ni riches. Et qu’est ce qu’on leur reproche ? Ce sont les zélés auxiliaires et consommateurs d’un système capitaliste qui conduit une humanité triste et malade à la catastrophe. Il ne s’agit pas de charger le bouc émissaire de tous nos pêchés pour l’envoyer ensuite dans le désert. A l’évidence, la bourgeoisie tient une bonne part de responsabilité : c’est elle qui impose un système injuste à son avantage. Mais cela n’exonère pas les ‘moyens’, sans nous rien ne serait possible, nous sommes les techniciens qui entretiennent le système ; les rouages et la machine. « Ils ne sont grands que parce que nous sommes à genoux »

Je suis toujours très mal à l’aise quand j’utilise des termes comme classes moyennes ou bourgeoisie. La bourgeoisie, est-ce un statut social (associé à la possession de capitaux) ou un ensemble de valeurs morales (par exemple) ? Si on prend la possession de capitaux : de quel capitaux parle-t-on ? De l’argent bien sûr, mais aussi certainement d’une façon de se comporter, de parler et de s’habiller… Quels sont les capitaux qu’ils faut détenir, la mise d’entrée ? Tout cela semble ‘aller de soi’, c’est pour cela que c’est un peu dangereux et très vague. Et si la bourgeoisie se caractérise par des valeurs, quelles sont-elles au juste ? On a parfois tendance à l’associer à un conservatisme de bon teint, elle ne serait pas aventureuse. Que vous faut-il donc ? L’espace, l’atome, le gène – les terrains de jeu de la bourgeoisie sont plus variés et dangereux que jamais, la fuite en avant se déroule à une vitesse exponentielle.

« D’un point de vue marxiste ou fasciste, la quasi-totalité des valeurs défendues par Dickens peuvent être assimilées à la ‘morale bourgeoise’ et honnies à ce titre. Mais pour ce qui est des conceptions morales, il n’y a rien de plus ‘bourgeois’ que la classe ouvrière anglaise. Les gens ordinaires, dans les pays occidentaux, n’ont pas encore accepté l’univers mental du ‘réalisme’ et de la politique de la Force. »

Dans ce texte écrit par Orwell en 1939 ce « pas encore » tient une place importante. Nous devons croire que le basculement n’a pas eu lieu.

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Exclusif ! ************************************************************************************************

Le nouveau visage du PS :

Mmmmhhh… Ooooooooook… On est peut-être allé suffisamment loin dans la libéralisation des mœurs et le sado-masochisme. Il serait peut-être temps d’aller se coucher.

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Blah Blah le livre : La convivialité ************************************************************************************************

De nombreux commentateurs ont théorisé les dommages infligés par la surproduction industrielle des biens ; dommages esthétiques, moraux ou écologiques. Ivan Illich ne s’arrête pas là, puisque dans La convivialité, c’est également à la production industrielle des services qu’il s’attaque. « La surproduction industrielle d’un service a des effets secondaires aussi catastrophiques et destructeurs que la surproduction d’un bien. Nous voici confrontés à un éventail de limites à la croissance des services d’une société : comme dans le cas des biens, ces limites sont inhérentes au processus de croissance et donc inexorables. Aussi pouvons-nous en conclure que les limites assignables à la croissance doivent concerner les biens et les services produits industriellement. Ce sont elles qu’il nous faut découvrir et rendre manifestes. » Les limites de la surproduction industrielle sont évidentes lorsque l’on parle, par exemple, d’agriculture, mais Illich affirme qu’elles sont tout aussi manifestes dans le cas des transports, de la médecine, ou encore de l’école. En fait Ivan Illich distingue dans toutes les méthodes de production, fussent-elles de services, deux seuils de mutation : un premier où les résultats semblent optimums et un deuxième où l’utilité marginale (le rendement) se met à décroître. C’est selon lui le cas de la médecine moderne

qui est devenue efficace tout en restant assez simple au début du 20e siècle. Dans un premier temps, des règles basiques d’hygiène et des traitements légers ont donné de très bons résultats. La médecine a perdu son caractère ésotérique et des diagnostiques ou des

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traitements simples étaient à la portée du plus grand nombre. « Arrivé au second seuil, c’est la vie qui semble malade dans un environnement délétère. La protection d’une population soumise et dépendante devient le principal souci, et la grosse affaire, de la profession médicale. Les soins coûteux de


prévention ou de cure deviennent un privilège (…) A l’échelle mondiale, et tout particulièrement aux EtatsUnis, la médecine fabrique une race d’individus vitalement dépendante d’un milieu toujours plus coûteux, toujours plus artificiel, toujours plus hygiéniquement programmé. » Et d’autres institutions industrielles ont dépassé le deuxième seuil, « L’éducation, les postes, l’assistance sociale, les transports et même les travaux publics ont suivi cette évolution. Dans un premier temps, on applique un nouveau savoir à la solution d’un problème clairement défini et des critères scientifiques permettent de mesurer le gain d’efficience obtenu. Mais, dans un deuxième temps, le progrès réalisé devient un moyen d’exploiter l’ensemble du corps social, de le mettre au service des valeurs qu’une élite spécialisée, garante de sa propre valeur, détermine et révise sans cesse. » C’est évident pour les transports. Les premiers trains ont transporté de nombreuses personnes à des distances, des vitesses, et dans des conditions de confort inimaginables jusqu’alors. Et des bus facilement réparables peuvent courir sur des routes de terre à 35 kilomètres heure. Qu’on pense au bonheur des tout premiers automobilistes qui n’ont pas connu les bouchons (si l’on exclut les troupeaux au milieu de la route, phénomène toutefois bien plus sympathique). Seulement bientôt le deuxième seuil est franchi, et l’utilité marginale décroît, « L’Américain type consacre, pour sa part, plus de 1500 heures par an à sa voiture : il y est assis, en marche ou à l’arrêt, il travaille pour la payer, pour acquitter l’essence, les pneus, les péages, l’assurance, les contraventions et les impôts. Il consacre donc quatre heures par jour à sa voiture, qu’il s’en serve, s’en occupe ou travaille pour elle (…)

il faut donc 1500 heures pour faire 10000 kilomètres de route; environ 6 kilomètres lui prennent une heure » Qu’on révise alors les performances comparées du vélo, un outil convivial qui n’engage pas dans un mode de production qui exclut tous les autres. La réponse à l’insatisfaction croissante des ‘usagers’ face aux mésusages de la production industrielle qui crée des besoins bien plus nombreux que ceux qu’elle peut satisfaire, et exacerbe les tensions sociales, a été une formidable fuite en avant. Le capitalisme tout comme le communisme sont des productivismes ; en substituant la machine à l’homme, on rend ce dernier esclave de celle-là. C’est notre rapport aux modes de production, notre relation à l’outil, qui doit être repensé selon Ivan Illich de façon radicale. L’outil doit être convivial, c’est à dire remplir un certain nombre de critères : « il est générateur d’efficience sans dégrader l’autonomie personnelle, il ne suscite ni esclaves ni maîtres, il élargit le rayon de l’action personnelle ». En effet, l’ « homme ne se nourrit pas seulement de biens et de services, mais de la liberté de façonner les objets qui l’entourent, de leur donner forme à son goût, de s’en servir avec et pour les autres ». Qu’il produise ou qu’il consomme, l’homme qui vit dans une société industrielle est toujours passif, un rouage de la méga machine. Selon Ivan Illich, un développement industriel avancé fait peser 5 sortes de menace contre l’homme : « 1. La surcroissance menace le droit de l’homme à s’enraciner dans l’environnement avec lequel il a évolué ;

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2. L’industrialisation menace le droit de l’homme à l’autonomie dans l’action ; 3. La surprogrammation de l’homme en vue de son nouvel environnement menace sa créativité ; 4. La complexification des processus de production menace son droit à la parole, c’est à dire à la politique ; 5. Le renforcement des mécanismes d’usure menace le droit de l’homme à sa tradition, son recours au précédent à travers le langage, le mythe et le rituel. » Ces menaces sont à la fois distinctes et interconnectées. La frustration induite par le mode de production industrielle les sous-tend toutes. Ces menaces font peser un danger mortel sur l’équilibre multidimensionnel de la vie humaine. « J’avance ici le concept d’équilibre multidimensionnel de la vie humaine. Dans l’espace tracé par ce concept, nous pourrons analyser la relation de l’homme à son outil. Appliquant l’‘analyse dimensionnelle’, cette relation acquerra une signification absolue ‘naturelle’. En chacune de ses dimensions, cet équilibre de la vie humaine correspond à une certaine échelle naturelle. Lorsqu’une activité outillée dépasse un seuil défini par l’échelle ad hoc, elle se retourne d’abord contre sa fin, puis menace de destruction le corps social tout entier. Il nous faut déterminer avec précision ces échelles et les seuils qui permettent de circonscrire le champ de la survie humaine. Au stade avancé de la production de masse, une société produit sa propre destruction. La nature est dénaturée. L’homme déraciné, castré dans sa créativité, est verrouillé dans sa capsule individuelle. La collectivité est régie par le jeu combiné d’une polarisation exacerbée et d’une spécialisation à outrance. Le souci de toujours renouveler modèles et marchandises – usure rongeuse du tissu social – produit une accélération


du changement qui ruine le recours au précédent comme guide de l’action. Le monopole du mode industriel de production fait des hommes la matière première que travaille l’outil. Et cela n’est plus supportable. Peu importe qu’il s’agisse d’un monopole privé ou public : la dégradation de la nature, la destruction des liens sociaux, la désintégration de l’homme ne pourront jamais servir le peuple. » Il convient donc selon Ivan Illich de revoir de manière radicale notre rapport à la technologie, c’est à dire à l’outil, et par là même notre mode de vie. Nos modes de production doivent être largement déprofessionnalisés afin de « rendre chacun capable de façonner son environnement immédiat, c’est à dire capable de se charger de sens en chargeant le monde de signes ». L’objectif est également de retirer les clefs du futur à une caste de spécialistes soutenue par une armée de bureaucrates, pour les remettre à des communautés d’humains. Notre nourriture, notre logement, nos rapports sociaux, l’accompagnement des faibles, des malades et des mourants, ne peuvent pas être de simples transactions. Si on retire à l’homme (ou à la femme) tous leurs pouvoirs exceptés ceux de vendre et d’acheter, on leur dérobe leur humanité. Il faut se limiter pour avoir de la qualité et du sens. Ivan Illich ne se fait pas d’illusion sur la transition. Tout

d’abord, celle-ci sera nécessairement pénible : « La désaccoutumance de la croissance sera douloureuse. Elle sera douloureuse pour la génération de transition, et surtout pour les plus intoxiqués de ses membres. Puisse le souvenir de telles souffrances préserver de nos errements les générations futures. ». Ensuite, de nombreux obstacles lui barrent la route. Parmi ceuxci Ivan Illich remarque particulièrement : « l’idolâtrie de la science, la corruption du langage quotidien et la dévaluation des procédures formelles qui structurent la prise de décisions sociales. » De plus, une telle transition peut tomber dans de nombreux travers, notamment antidémocratiques ou néoindustriels. Et pourtant, si l’on ne peut prévoir le futur, il est patent que devant les désordres actuels il soit légitime de souhaiter qu’il ne soit une simple continuation amplifiée du présent. « Si nous voulons pouvoir dire quelque chose du monde futur, dessiner les contours théoriques d’une société à venir qui ne soit pas hyperindustrielle, il nous faut reconnaître l’existence d’échelles et de limites naturelles. L’équilibre de la vie se déploie dans plusieurs dimensions ; fragile et complexe, il ne transgresse pas certaines bornes. Il y a certains seuils à ne pas franchir. Il nous faut reconnaître que l’esclavage humain n’a pas été aboli par la machine, mais en a reçu figure nouvelle. Car, passé un certain seuil, l’outil, de serviteur, devient despote. Passé un certain seuil, la société

devient une école, un hôpital, une prison. Alors commence le grand enfermement. Il importe de repérer précisément où se trouve, pour chaque composante de l’équilibre global, ce seuil critique. Alors il sera possible d’articuler de façon nouvelle la triade millénaire de l’homme, de l’outil et de la société. J’appelle société conviviale une société où l’outil moderne est au service de la personne intégrée à la collectivité, et non au service d’un corps de spécialiste. Conviviale est la société où l’homme contrôle l’outil. Je suis conscient d’introduire un mot nouveau dans l’usage courant du langage. Je fonde ma force sur le recours au précédent. Le père de ce vocable est Brillat-Savarin, dans sa Physiologie du goût : Méditations sur la gastronomie transcendantale. A moi de préciser, toutefois, que, dans l’acceptation quelque peu nouvelle que je confère au qualificatif, c’est l’outil qui est convivial et non l’homme. L’homme qui trouve sa joie et son équilibre dans l’emploi de l’outil convivial, je l’appelle austère. Il connaît ce que l’espagnol nomme la convivencialidad, il vit dans ce que l’allemand décrit comme la Mitmenschlichkeit. Car l’austérité n’a pas vertu d’isolation ou de clôture sur soi. Pour Aristote comme pour Thomas d’Aquin, elle est ce qui fonde l’amitié. En traitant du jeu ordonné et créateur, Thomas définit l’austérité comme une vertu qui n’exclut pas tous les plaisirs, mais seulement ceux qui dégradent la relation personnelle. L’austérité fait partie d’une vertu plus fragile qui la dépasse et qui l’englobe : c’est la joie, l’eutrapélia, l’amitié. »

Franz

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Les belles affiches ************************************************************************************************

Sans commentaire.

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Greatest Pin-Ups ************************************************************************************************

They’re all pretty…

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? ************************************************************************************************

Pour avoir été le premier et le plus important maquis de France, le Vercors a été martyrisé par les allemands en été 1944 (de mi juillet à mi août), la population civile y a été massacrée et y a subi les pires outrages dont on sait capable les nazis; de nombreux villages ont été définitivement effacés à cette occasion, et sont encore tas de ruines à ce jour. Dans l'un d'eux, qui était au début de cet été sanglant le QG de la résistance, et qui a été par suite particulièrement frappé par la sauvagerie nazie (plus de 70 pour cent de la population tuée, les survivants ayant souvent perdu tous leurs proches, leurs biens, leur santé mentale et physique), on peut voir jusqu'à aujourd'hui quelque chose de particulièrement étonnant, qui a en tous cas éveillé ma surprise lorsque je l'ai vue. Chez vous aussi, la vision de ce "quelque chose d'étonnant" peut provoquer une réaction plus ou moins forte, violente, choquante, plaisante, émerveillée, scandalisée, ou que sais je encore... bref, elle risque de ne pas vous laisser indifférent. Si c'est le cas, votre réaction m'intéresse vivement, et j'aimerais que vous me la fassiez partager: vous trouverez une photo de cette chose au verso de cette page. Je suis persuadé qu'une comparaison de vos réactions, si elles sont suffisamment nombreuses, peut générer un débat intelligent et constructif. Alors, si vous avez deux minutes devant vous, prenez un papier et un stylo, et écrivez un petit mot à Belba (belbalecave@yahoo.fr) où vous décrivez, très simplement, ce que vous pensez, spontanément, de cela: une ou deux lignes suffisent largement ! (après, si vous voulez en faire plus, elles seront lues avec plaisir et grand intérêt). En envoyant votre témoignage, vous devenez de fait corédacteur du compte rendu comparatif qui sera publié dans le prochain numéro, et initiateur du débat qui, je l'espère, en suivra. Tout cela, bien entendu, sous réserve que vos réponses soient assez nombreuses, et que j'aie eu raison de penser qu'elles seront très diverses. Voilà, merci à vous !

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L’habitat, l’air de rien L’énergie dans le bâtiment ************************************************************************************************

Parlons énergie dans le bâtiment !

Quel bâtiment ? Pour faire simple, le résidentiel, soit le logement (27 millions de résidences principales), en sachant que la plupart des concepts s’adaptent aussi aux autres formes de bâtiment (par exemple le tertiaire : 890 millions de m2), mais avec des problématiques différentes de choix. Mais là où on vit est ce qui nous est le plus parlant, là où l’on trouve aussi le plus d’enjeux (l’énergie consommée dans le bureau où je bosse ? ouais mais plus tard, d’abord voyons voir mes propres factures !).

Et quelle énergie ? Y’en a plein, et qui répondent à plein de besoins, en vrac : se chauffer, s’éclairer, cuisiner, prendre des douches chaudes, faire marcher des trucs et des bidules… en gros de l’énergie pour de la chaleur et de l’électricité (pour les petits malins qui répondraient « mais aussi de l’énergie motrice » car ils ont déjà investi dans une machine à laver à pédales, je dirais « oui d’accord, passez directement au paragraphe 3 et envoyez nous vos témoignages pour le prochain n° ». Le cas de

l’énergie pour se rafraîchir sera abordé plus loin mais on peut déjà dire « oulala c’est mal, on peut s’en passer ». Pour la chaleur, on utilise beaucoup le gaz (naturel, propane, issu de la méthanisation pas encore, de schiste ça va viendre mais ça a pas l’air terrible…), le fioul, le bois (sous plein de formes : bûches, briquettes, granulés, plaquettes), le soleil (moitiémoitié directement par les vitrages et par l’intermédiaire de systèmes hautement technologiques oui monsieur !)

et l’électricité (du grille-pain aux pompes à chaleur). L’électricité justement, pour le chauffage et les usages dits spécifiques (pour lesquels on a pas – encore – d’alternatives), il faut savoir que c’est un vecteur énergétique, c’est à dire qu’il n’existe pas tel quel dans la nature. Il nous faut donc la produire. Le plus utilisé est le principe de la turbine, en gros un alternateur à base d’aimants qui transforme un mouvement en courant électrique. Ce mouvement est induit par de

L’oubli de la contrainte thermique « La situation énergétique de l’habitat à la veille du choc pétrolier des années e 1970 découle de l’évolution concomitante depuis le XIX siècle de plusieurs composantes technico-économiques : - le faible coût de l’énergie (charbon puis pétrole ou gaz) ; - l’essor et le développement des machines thermiques ; - le développement des procédés de construction industriels et la recherche prioritaire de la seule performance quantitative ou esthétique (production rapide d’habitats à bas prix, mode des bâtiments en verre et acier…). (…) Parallèlement, l’évolution des modes de vie a entraîné une dépense énergétique croissante due à l’augmentation : - du nombre des pièces chauffées ; - de la durée de la période de chauffe ; - du niveau de la température. (…) Cette croissance des besoins a coïncidé avec l’occultation progressive des moyens par lesquels s’obtient le confort thermique. Ce processus d’abstraction et d’éloignement concerne tout à la fois : - la participation physique (quasiment plus de transport de combustible) ; - la perception physiologique (température homogène dans l’espace) ; - la conscience des coûts réels (facturation fractionnée et décalée dans le temps, moyens de paiements rendus abstraits…). » Samuel Courgey & Jean-Pierre Oliva La conception bioclimatique

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l’eau (barrages, marées, vagues), de l’air (éoliennes), ou de la vapeur (produite par combustion de gaz, fioul ou charbon, par fission d’uranium ou encore concentration de rayons solaires). Sinon il existe l’effet photovoltaïque ou la récupération d’énergie lors de freinages, de pistes de danse, de trottoirs (ces dernières étant pour l’instant anecdotiques). Interviennent ici les notions d’énergie « primaire » et « finale ». La première étant surtout utilisée dans le domaine réglementaire et est censée représenter « réellement » l’impact sur la planète. La seconde étant celle que l’on connaît le mieux, soit celle facturée au compteur. Elles ont pour but de prendre en compte l’intégralité de la chaîne énergétique qui permet l’approvisionnement des clients finaux. Cela est important pour l’électricité : par exemple, il faut d’abord extraire l’uranium du sol, le purifier et le transformer en combustible, le transporter jusqu’aux centrales, le fissionner pour produire de la vapeur qui fait alors tourner une turbine qui produit du courant électrique qui est acheminé par des câbles et change de tension plusieurs fois pour arriver au compteur de votre habitation… Chaque opération occasionne des pertes ce qui fait que pour 1 unité d’énergie initialement contenue dans l’uranium, on se retrouve avec bien moins au compteur final. Chaque filière a ses propres pertes, la valeur nationale étant la moyenne de tous les moyens de production (pondérée par la quantité produite). Pour l’électricité, on considère que pour 1kWh d’énergie finale au

compteur, on a pris 2,58 kWh d’énergie primaire. Pour le bois, le gaz, le fioul et le charbon, les pertes sont négligées et le coefficient est de 1 (on considère que le m3 de gaz brûlé dans la chaudière est le même que celui qui a été extrait du sol. Le solaire, le vent et l’eau sont crédités d’un coefficient de 0 puisqu’il n’y a pas de ponction dans un stock.

Problématiques Dans le cas du bâtiment qui nous intéresse, les problématiques sont à la fois d’ordres économiques (factures en augmentation, coûts d’investissement) et réglementaires (engagements internationaux de réduction des gaz à effet de serre [GES], limitation de la dépendance énergétique). En moyenne, le plus gros poste de consommation d’énergie dans le bâtiment est le chauffage (environ 65%), suivi de l’eau chaude sanitaire, et enfin de toutes les consommations électriques (éclairage, ventilation, pompes de chauffage, froid, audiovisuel, machines…). Cette répartition dépend surtout de l’année de construction des bâtiments, dont dépend le niveau d’isolation, donc du chauffage (mais nous y reviendrons plus tard…), et dans une moindre mesure des comportements sur les autres postes de consommation. Pour réduire les consommations, le chauffage va alors être notre premier centre d’attention. Mais pourquoi se chauffe-t-on au fait ? Pour le confort ! Et ce

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Listons ici les inconvénients qui font que l’on parle de réductions de consommations : * Toutes les ressources « fossiles » (gaz, pétrole, uranium, charbon) sont dites « de stock », cad un jour y en aura plus (et on s’en rapproche). Du coup, augmentation des prix et problèmes géo-stratégicomilitaires autour des lieux des réserves… * Depuis l’extraction jusqu’à la consommation finale, toutes les étapes ont un impact sur l’environnement : forages, carrières, gazoducs ou pipeline, transport routier… Sans oublier l’impact social lorsqu’elles sont réalisées par de méchantes entreprises capitalistes dans des pays gouvernés par des méchants dictateurs. * Qui dit combustion dit dégagement de GES (gaz à effet de serre) qui s’accumulent dans l’atmosphère et participent au réchauffement climatique (avec une probabilité > 90% selon le GIEC). * Le nucléaire est un cas particulier ne dégageant pas de GES, mais produisant des déchets dangereux que l’on ne sait pas traiter, plus des risques de sécurité des centrales dans le temps et en présence de désordres (non, non, ne regardez pas de l’autre côté du pacifique, il n’y a (plus) rien à voir). * L’électricité ne se stocke pas (ou très mal et pas à grande échelle, du moins pas encore), il faut donc gérer le réseau à tout instant pour faire coïncider exactement l’offre et la demande, ce qui n’est pas toujours évident…


confort dépend en premier lieu certes de la température de l’air, mais aussi d’autres paramètres sur lesquels on va pouvoir jouer lors d’une rénovation ou d’une construction : température des parois, taux d’humidité, courants d’air, modes de diffusion de la chaleur (rayonnement infrarouge, convection par mouvement d’air, conduction par toucher), acoustique, lumière… La stratégie qu’il va nous falloir viser est celle qui a été développée par un groupe d’experts sur l’énergie, réunis au sein de l’association Negawatt, qui est à notre sens extrêmement logique, et applicable à la fois à grande échelle et à toutes sortes d’actions : On cherchera d’abord la sobriété, puis l’efficacité, pour enfin tenter de couvrir les besoins résiduels par une panoplie d’énergies renouvelables.

La démarche Negawatt « L’énergie la moins chère est celle qu’on ne consomme pas ». Priorité est donné à la réduction des consommations par rapport à la production, cela se traduit en 3 étapes : 1° La sobriété : elle consiste à supprimer les gaspillages à tous les niveaux d’organisation et de comportements par la responsabilisation de tous les acteurs, du producteur au citoyen. 2° L’efficacité : réduire les pertes par rapport à la ressource utilisée. Dans le bâtiment et les transports, il est possible de réduire d’un facteur 2 à 5 les consommations à l’aide des techniques disponibles. 3° Les énergies renouvelables : Le solde est fourni à partir des seules énergies permettant d’équilibrer durablement nos besoins avec les ressources de la planète. Appliquée au cas ‘France’, le scénario développé par l’association montre que 70% des consommations prévues à l’horizon 2050 peuvent être couvertes par des négawatts, soit de la non consommation.

www.negawatt.org

Principes Appliquée au bâtiment, sobriété se traduit par :

la

* la définition des besoins, notamment la taille du logement, * la conception bioclimatique (éviter la clim), * la valorisation des apports solaires passifs. Une fois optimisés ces éléments qui permettent de partir sur les meilleurs bases possibles, la traduction de l’efficacité énergétique passe par : * une enveloppe performante – isolation de la toiture, des murs et des ouvertures, * une très bonne étanchéité à l’air couplée à une ventilation performante, * un ensemble cohérent de production de chaleur à fort rendement, de diffusion de chaleur bien dimensionnée

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associés à une régulation précise, * et pour l’eau chaude, ballon au centre des points de puisage, dans le volume chauffé. Et enfin dans la mesure du possible répondre aux besoins résiduels par les énergies renouvelables : * bois énergie, * solaire thermique, * photovoltaïque, * éolienne. Bien sûr, si on cherche à se pencher de façon sérieuse sur la consommation domestique, il ne faudra pas oublier par la suite d’étudier le détail des consommations électriques… Mais nous verrons tout cela plus en détail dans un prochain épisode. Remy


NDLR ************************************************************************************************

Belba le trimard Un accouchement dans la douleur, pas vraiment prématuré. Nous avons déjà fait notre deuil de la périodicité, d’abord trimestrielle, puis en tant que telle, mais au-delà de 1 an, c’est vraiment trop. Le prochain sera certainement un peu plus court et, avec un peu de chance, pas tout à fait périmé à sa sortie.

Belba la collectivité Nous espérons (toujours) faire de ce magazine une création plus coopérative, un espace de débat – et pourquoi pas de (dé)construction… Mais pour cela nous avons besoin de vous (oui, TOI !). Si vous voulez être informé des chantiers en cours, n’hésitez pas à nous contacter.

Belba la belle Grand concours de dessins – et de textes – autour de Bettie Page, donnez tout ce que vous avez !

Les crises en thèmes Pour le numéro 7 le thème sera : ça brûle Pour le numéro 8 le thème sera : l’horreur Toutes les contributions sont bienvenues.

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