De la santé (et) de la ville

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« La médecine a fait tellement de progrès que plus personne n’est en bonne santé » Aldous Huxley

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H I S T O I R E

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S A N T E

U R B A I N E

Mémoire en vue de l’obtention du diplôme d’architecte, Réalisé par Bastien Dullier, sous la direction de Nadia Casabella, U L B - Fa c u l t é d ’ a r c h i t e c t u r e L a C a m b r e - H o r t a 2 0 1 5 - 2 0 1 6



Remerciements; J’aimerais en premier lieu remercier mon frère, Dorian, et toi Lucile. Merci pour m’avoir permis d’ouvrir les yeux sur les vérités de ce monde. Sans cette aide je n’en serais sûrement pas là aujourd’hui. Merci à toi ensuite, Victoria, sans qui je n’aurais peut-être pas poursuivi ces études jusqu’à la fin. Merci encore à vous: Zoé, Morgane, Marco, Nico et Camille sans qui ces deux dernières années auraient été bien ennuyantes. Enfin, je remercie le personnel de la bibliothèque, Vincent et les deux Anne-Sophie, ainsi que celui de la cafétéria, Sami et Caro, sans qui cette école serait beaucoup moins agréable.



INTRODUCTION DE LA SANTE

13

DE LA VILLE

16

METHODOLOGIE

17

UNE APPROCHE HISTORIQUE UNE APPROCHE PAR LA VOITURE UNE APPROCHE PAR L’ENVIRONNEMENT UNE PROSPECTION POUR LE FUTUR

LIMITES DE LA RECHERCHE DES CHOIX DES GENERALISATIONS

PREMIERE PARTIE: UNE HISTOIRE DES ETABLISSEMENTS URBAINS

17 17 18 18 19 19 19

21

INTRODUCTION

23 23

LA MESOPOTAMIE

24 24 25

L’EMPIRE ROMAIN

27 27 28

LE MOYEN AGE

29 29

DEREGULATION DU CYCLE DE CONCENTRATION EN CO2

COHABITATION HOMMES-BETES NAISSANCE DES PREMIERES CITES

11

CONCEPTION DES CITES ROMAINES TRANSMISSION INTER-SPECIFIQUES DES MALADIES, L’EF- FONDREMENT DE L’EMPIRE ROMAIN

TRANSFORMATION DU TERRITOIRE ROMAIN


RECONQUETE DE LA FORET FLEAUX ASIATIQUES LES NOUVEAUX MONDES REVOLUTION MEDICALE REVOLUTION RELIGIEUSE ET AGRICOLE

29 30 31 32 32

REVOLUTION INDUSTRIELLE

33 33 35 36 37 39

TUBERCULOSE, LUMIERE ET MOUVEMENT MODERNE

40

CONCLUSION

42

MISE EN CONTEXTE LA THEORIE DES MIASMES LES POLLUTIONS URBAINES DU XIXÈME SIECLE LES GRANDES ENQUETES LES GRANDS TRAVAUX HYGIENISTE

DEUXIEME PARTIE: MOTEUR, CA ROULE ! INTRODUCTION HISTORIQUE

45

IMPERMEABILISATION DES RUES

47 47

EXODE OUVRIER

49

Modifications de la voirie Du Macadam à l’asphalte

La périurbanisation L’étalement urbain L’émiettement Une condition permissive

L’AUTOMOBILITE ET SES CONSEQUENCES NOUVEAU MODELE D’ENTREPRISE LES ARCHIPELS URBAINS LES INSULAIRES

52 52 52 53

LES NAVETTEURS LA THEORIE DES ECRANS

55 56

Le paradoxe des transports en communs Sans voitures... Sans emplois


UNE THEORIE DES NON-LIEUX UN NOUVEAU RAPPORT AU TEMPS

58 59

LES POLLUTIONS AUTOMOBILES

62

UNE PRIVATISATION DU SILENCE

66

Le temps dérive de la vitesse ( Manque de ( Temps ) et santé ) Rejets atmosphériques L’altérité des véhicules Pollutions sonores

TROISIEME PARTIE: MARCHE TA RUE !

69

POUR UNE VILLE SOCIABLE

71 71

LA VILLE MEDIEVALE

73

FROM STREET TO ROAD

74

LA RUE COMME ESPACE COMMUN La vicinalité La civilité La visibilité La diversité La rue médiévale

POUR UNE VILLE QUI MARCHE

LES IMAC L’ABANDON DE LA MARCHE, LA SEDENTARISATION ASSISE

77 77 79

L’OBESITE, CE NOUVEAU FLEAU

81

LES ENFANTS ET LA RUE

82

Une marche utilitaire plutôt que récréative Une maladie mondiale Répercussion sur la santé Les enfants face à l’obésité

L’espace de la rue propice aux jeux Reconquérir la sociabilité des rues

RECONQUERIR LA SOCIABILITE DES RUES LES FAÇADES URBAINES

Elles délimitent le champ de vision Elles suivent les Hommes lors de leurs déplacements

88 88


Elles sont l’interface entre l’intérieur et l’extérieur

FRONTAGE

91

LE POTAGER URBAIN, UN ESPACE A LA MARGE

93

Une évidence L’exemple du Stoep

Lieu d’éducation à l’alimentation Lieu d’un retour à la terre Lieu de débat Le commerce de proximité

CONCLUSION

CONCLUSION QUATRIEME PARTIE: DEUX VISIONS FUTURES DES VILLES

99 105

LA TROISIEME REVOLUTION INDUSTRIELLE DE JEREMY RIFKIN

107

LA COLLAPASOLOGIE DE PABLO SERVIGNE

112 112 114 114 116

QUE SIGNIFIERAIT CETTE RÉVOLUTION INDUSTRIELLE? POURQUOI UNE TELLE TRANSFORMATION?

97

NOTRE MODÈLE AGRICOLE ACTUEL LES ENERGIES FOSSILES LA NOTION D’EFFONDREMENT L’AGRICULTURE MODIFIERA-T-ELLE ENCORE UNE FOIS NOS VILLES?

BIBLIOGRAPHIE

108 109

119



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De la santĂŠ (et) de la ville


Par tie 1

Une histoire des établissements urbains

INTRODUCTION

DE LA SANTE ET DE LA VILLE

11


12

De la santĂŠ (et) de la ville


Introduction

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DE LA SANTE « Il y a environ 100 000 substances chimiques commercialisées et, chaque

année, un millier de substances nouvelles sont mises sur le marché. Leur étude toxicologique ou épidémiologique est hors de portée pour des questions de temps et d’argent et d’ailleurs 70% d’entre elles n’ont pas été testées avant d’être utilisées.1 » Ceci est actuellement la réalité de notre monde; de toute part, nous sommes encerclés par des produits ou des nuisances dont on ne connait parfois pas la présence et la plupart du temps pas les conséquences. Jamais auparavant l’Homme n’a autant eu la capacité de produire les vecteurs nouveaux qui pourront altérer sa santé.

Il y a eu en effet un changement de paradigme en l’espace des deux-cents dernières années. Au début du XIXème siècle, naissait la médecine préventive et la santé publique. Ce fut l’ère de l’hygiénisme, de l’aération des villes et des grands travaux Haussmannien. Cette époque a conduit la médecine à se pencher sur les conséquences de l’environnement de vie des humains sur la santé de ces derniers. Une conception environnementale de la santé humaine naissait et elle perdura jusqu’au début, voir au milieu du XXème siècle. A partir de cette période, la découverte des vaccins et des antibiotiques,

1

. Dab, William, Santé et environnement (Paris: Presses universitaires de France, 2012), p38


14

2

. Zardini, Mirko, Giovanna Borasi, Margaret Campbell, and Centre canadien d’architecture, En imparfaite santé: la médicalisation de l’architecture (Montréal: Centre canadien d’architecture, 2012), p35

3

. Illich, Ivan, Némésis médicale: L’expropriation de la santé (Paris: Éditions du Seuil, 1975)

4

. Dab, William, op.cit.

5

. Zardini, Mirko, Giovanna Borasi, Margaret Campbell, and Centre canadien d’architecture, op.cit., p23

De la santé (et) de la ville

ainsi que les avancées effectuées dans le domaine de la recherche scientifique opérèrent un basculement. On va alors, dans les années d’après-Seconde guerre mondiale, assister à une vision de plus en plus médicalisée de la santé, et oublier graduellement le facteur environnemental. La pharmacologie se développa et la conception de la santé passa au tout médical, durant une période de l’histoire consacrée, rappelons le, aux avancées technologiques et scientifiques. La médecine s’enferme dans des laboratoires et des cabinets médicaux mais surtout, ce phénomène de médicalisation va « enclencher

un processus qui fait que de plus en plus de problèmes courants, a priori non médicaux, deviennent des enjeux médicaux 2 ». C’est ce que Ivan Illich appellerait la iatrogenèse médicale : la médecine est à la base de la création de

problèmes de santé qui n’existeraient pas si celle-ci n’avait pas été elle-même inventée 3. Pendant des nombreux siècles, donc, la gestion de l’environnement fut le déterminant principal de la santé humaine, jusqu’à l’apparition de la médecine moderne. Ce que l’on s’aperçoit aujourd’hui, c’est qu’à l’instar du XIXème siècle, notre société contemporaine crée des problèmes sanitaires que la médecine scientifique n’a pas les moyens de soigner. Plus que ça, la médecine moderne et sa pharmacopée seraient à l’origine de certains de ces problèmes sanitaires. En réalité, on s’aperçoit qu’entre le début du XVIIIème siècle et nos jours, nous sommes passés d’un environnement insalubre qui apportait principalement des maladies infectieuses, à un environnement insalubre en ce qu’il est maintenant le vecteur d’une série de maladies chroniques agissant par petites doses, sur le long terme. Il serait ainsi urgent de nous tourner encore une fois sur la gestion de notre environnement pour résoudre ces problèmes. On observe en effet, depuis les années quatre-vingt, une tentative de retour vers une conception d’une santé plus environnementale qui impliquerait, ainsi, une gestion à nouveau publique de la santé qui tendait à disparaitre derrière une conception individualisée. Parmi les huit grands objectifs du millénaire pour le développement de l’Organisation des nations unies, sept relevaient d’ailleurs explicitement de considérations sanitaires et environnementales 4. Citons aussi le mouvement des villes santés lancé courant des années quatre-vingt qui se rattachait au concept de développement durable défini peu de temps auparavant. Ce concept de ville santé était, et est toujours, malheureusement fondé « sur

l’assurance de pouvoir remédier aux dysfonctions urbaines et aux inégalités face à la santé grâce aux ressources de la science, à une planification rationnelle et à la participation des collectivités. 5 » On retrouve donc dans les villes santés

l’idée moderne du patient – la ville – qu’il faut soigner. Ce qui ne correspond toujours pas à une pensée environnementale de la santé qui agirait plus comme une conception préventive de celles-ci.


Introduction

15

La santé a donc du mal à retourner vers une conception environnementale de sa pratique. Pourtant, de nombreux experts et publications attestent bel et bien que l’environnement est un des facteurs principaux de la santé, si pas le premier, puisqu’il est aujourd’hui consenti que près de 80% de notre capital santé tient à notre environnement. Les dernières avancées dans le monde de la biologie auraient d’ailleurs dû laisser la porte grande ouverte à la médecine environnementale suite à la découverte de l’épigénétique. L’épigénétique est la dernière grande découverte de ces sept dernières années dans le domaine de la biologie 6 . Avant cette découverte, le monde médical divisait notre ADN en deux partie, 15% de celui-ci était considéré et connu pour être utile à la vie en codant pour « les machines-outils » faisant fonctionner les cellules du corps humain, les enzymes et les protéines. Les 85 autres %, étaient considérés comme une accumulation résiduelle résultant de notre évolution; cette partie de notre ADN, jugée inutile se serait accumulée avec le temps, on la nommait « ADN poubelle ». Cependant, au cours de cette décennie, la découverte de l’épigénétique a bouleversé cette croyance. Ces 85%, loin d’être inutiles, permettent en fait la fabrication de molécules d’ARN circulant en permanence dans notre corps et régulant le fonctionnement de nos gènes. L’épigénétique, c’est la régulation de l’expression de nos gènes en fonction de notre comportement. Dépendant de : - Ce que l’on mange - L’exercice que l’on fait - Si on sait manager ou non notre stress, si on y est soumis ou pas - Si on a du plaisir dans ce que l’on fait - Si on a un réseau social et familial qui fonctionne bien Ces cinq éléments, combinés entre eux, vont conduire à la production de petites molécules s’accrochant aux enzymes, lesquelles vont rentrer dans le noyau cellulaire de nos cellules, où demeure notre ADN. Le noyau est protégé par une gaine, les histones. Or l’ouverture de ces histones permet de polymériser l’ADN en ARN messager qui vont permettre de fabriquer les protéines et les enzymes, ou non. Dans notre ADN, il y a donc des gènes qui s’expriment, qui sont silencieux et d’autre qui sont inhibés et cela dépend donc de notre comportement. L’épigénétique, par cela, est la clé d’une toute nouvelle médecine préventive, à la place de la médecine thérapeutique actuelle. Ce domaine offre au monde la possibilité d’être en partie responsable de sa propre santé.

6 . Comment construire un nouveau futur, avec Joël de Rosnay, Etienne Klein, et Jacques Attali, Débat dirigé par Eric Jouan, 2013


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De la santé (et) de la ville

On s’aperçoit cependant que cela n’est pas réellement en train de se produire, l’épigénétique est actuellement utilisée par les grands groupes pharmaceutiques afin, non pas d’agir sur l’environnement, mais de créer de nouvelles thérapies géniques afin de soigner les maladies épigénétiques et non les en empêcher. Le problème de la santé est donc ainsi et aussi un problème qui repose sur notre société et notre vision du monde, encore si souvent sous l’emprise de la révolution industrielle et de la modernité qui l’a accompagnée.

DE LA VILLE A l’heure actuelle, 50% de la population mondiale vit en ville. Ce taux passe à 80% lorsque l’on s’intéresse aux pays industrialisés, et les autres nations suivront très certainement cette tendance.

7

. Hénaff, Marcel, La ville qui vient (Paris: l’Herne, 2008), p10

En 1800, la population urbaine avoisinait les 8%; en 1900, les 10%; en 1950, les 30%. Il y a désormais dans nos villes plus d’habitant qu’il n’y en avait dans le monde il y a une septantaine année 7. Avec une augmentation qui avoisine les 65 millions de nouveaux habitants par an, la population citadine devrait atteindre les 80% d’ici 2050. La ville est ainsi le parfait terrain d’étude pour aborder le sujet de la santé environnementale puisqu’elle constitue l’environnement de 80% de la population européenne. Statistiquement, elle est donc l’endroit où l’on retrouve le plus de personnes malades; mais surtout, l’évolution du concept de santé est irrémédiablement liée à celui de la ville et à ses évolutions. S’intéresser à la ville et à la santé revient alors à étudier un lien étroit entre deux concepts s’alimentant l’un l’autre. Comment les villes ont influencé les questions sanitaires? Et inversement? Qu’en est-il aujourd’hui, alors que la ville, telle qu’elle a été définie par le passé, tend à disparaitre au profit d’une urbanité de plus en plus diffuse? C’est ce genre de questions qui sera abordé dans les pages qui suivent.


Introduction

METHODOLOGIE La restitution de la recherche est organisée selon quatre parties. La première rend compte de la recherche du lien historique entre la question de la santé et celle de la ville. La deuxième aborde plus spécifiquement les répercussions sur la santé humaine et urbaine du développement de la voiture. La troisième s’attarde sur l’incidence d’un développement de la marche à pied et de la sociabilité des rues alors que la dernière, présente deux visions possibles du monde post-carbone et tente d’en extraire le possible futur des villes et leurs impacts sur la santé urbaine. Cette organisation, en parties différenciées, est une tentative de restitution qui ne suit en rien la chronologie de la recherche effectuée, le travail de recherche ayant débuté sans questions précises si ce n’est un souhait de parfaire mes connaissances ainsi que ma vision personnelle du sujet. Cette reconstitution est donc à lire comme une suite de sujets ayant pour but d’élargir la vision que l’on se fait de la santé des êtres humains qui demeure trop souvent limitée à la vision médicale et pharmaceutique.

UNE APPROCHE HISTORIQUE Cette approche par l’histoire repose sur la nécessité de prendre du recul sur la conception des villes actuelles ainsi que leur développement passé et futur. Nous avons en effet pris l’habitude de penser le développement des villes en des termes de grands mouvements architecturaux, en laissant trop régulièrement sur le côté certains faits ayant impactés leurs transformations au fil du temps. Cette partie propose ainsi une approche du développement et de la transformation des villes basés sur les épidémies et les besoins sanitaires des citadins. Cette histoire de la ville est donc toute aussi limitée que celle se basant sur les mouvements architecturaux; mais permet cependant, de mettre en perspective certaines périodes afin de les regarder d’un œil nouveau. Pour cette raison, en plus de la première partie consacrée à l’histoire des villes, les deux parties qui la suivent intégrerons une partie historique venant étayer l’histoire principale et replacer les éléments dans leur contexte propre.

UNE APPROCHE PAR LA VOITURE Au fil des recherches, il est devenu évident que le développement de l’automobile ne pouvait être mis de côté dans un travail sur la santé, qu’elle soit urbaine ou humaine. Le développement de l’automobile sera donc utilisé comme fil conducteur dans la partie deux et trois pour aborder de manière

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De la santé (et) de la ville

plus structurée - je l’espère - les différentes questions qui vont nous intéresser.

UNE APPROCHE PAR L’ENVIRONNEMENT Ayant déjà une vision environnementale de la santé avant d’entreprendre ce travail, et ayant déjà une certaine connaissance portant sur les maladies liées à notre cadre de vie. L’étude du sujet s’est réalisée principalement en suivant mon propre instinct, me poussant à approfondir tel ou tel aspect de notre environnement par rapport à tel ou tel problème sanitaire. La recherche s’est donc effectuée en partant des problèmes sanitaires pour aller vers leurs causes environnementales. Cependant, pour une compréhension et une lecture plus cohérente, ce sera le contraire qui sera appliqué lors de cette restitution. Ce sera donc l’environnement et ses transformations qui guideront le lecteur au long de ce travail.

UNE PROSPECTION POUR LE FUTUR La dernière partie de cet ouvrage est un peu particulière, elle suit la Conclusion de la recherche et propose un parallèle entre deux visions du monde post-carbone. Le travail de recherche s’établissant autour de l’histoire des rapports entre la ville et la santé, de l’environnement et de la voiture, il me semblait intéressant, après m’être attardé sur le passé et le présent, de me porter vers une vision d’avenir. La société étant amenée, je le pense, à se transformer dans un futur proche, les villes devraient en faire de même. Cette partie boucle alors ce travail par une rapide étude de l’impact que pourrait avoir ces deux visions de la société de demain et donc, de l’environnement de demain.


Introduction

LIMITES DE LA RECHERCHE Certaines limites apparaissent bien évidemment dans ce contexte. Elles sont fondées d’une part sur des choix, d’autre part sur une généralisation.

DES CHOIX Le sujet de la santé est vaste et peut être abordé d’une multitude de manières différentes. Afin de ne pas me perdre dans la recherche et la restitution de celle-ci, certains sujets ont été délibérément mis de côté afin de restreindre la recherche. Le choix a donc été fait par exemple de ne pas m’aventurer sur la question de la santé liée aux logements. Bien qu’implicitement abordée, la thématique du logement mériterait, vu sa complexité, un mémoire à elle seule. De même, les questions liées aux matériaux mis actuellement en œuvre dans le domaine de la construction ou de l’ameublement des habitations, bien que constituant une part importante de notre environnement immédiat, ne seront pas sujet à cette recherche. Un travail sur ces matériaux nécessiterait d’ailleurs une connaissance pratique importante dans la mise en œuvre de ces derniers et se prêterait davantage il me semble à une étude réalisée dans le cadre d’une pratique architecturale appliquée.

DES GÉNÉRALISATIONS Les sujets abordés dans la deuxième et troisième partie doivent effectivement être compris comme une généralisation, ou bien une réduction, des problèmes que l’on peut rencontrer en Europe et parfois même à l’échelle mondiale. J’ai bien entendu consciences qu’il est impossible de modéliser une ville type européenne, et qu’il est donc réducteur de les affubler des mêmes maux sans distinction. Elles n’ont pas été construites de la même manière, ni à la même époque, elles n’ont pas été influencées par les mêmes cultures et les politiques nationales ou régionales ont entrainées des transformations qui ne sont nulle part les mêmes. Cependant, il me semblait tout de même que certains des problèmes et ainsi, certaines des solutions que l’on pouvait y apporter, se retrouvaient, à différents niveaux, dans une grande partie de ces villes et agglomérations européennes, celles-ci ayant toutes, plus ou moins, été influencées par l’industrialisation de l’Europe au cours du XIX et XXème siècles. Ces amalgames, si l’on peut dire ainsi, résultent alors de la recherche qui s’est effectuée sur les villes en générales plutôt que sur l’étude d’une seule et même cité ainsi que sur la volonté de faire paraître ces phénomènes sanitaires comme les problèmes généraux qu’ils sont, et qui proviennent d’une politique et d’une économie d’échelle international résultant de ce fait de notre mode de société contemporain.

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Par tie 1

Une histoire des établissements urbains

PREMIERE PARTIE

U N E H I S TO I R E DES E TA B L I S S E M E N T S U R BA I N S

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De la santé (et) de la ville

Cette première partie se propose d’aborder de manière succincte l’histoire des établissements humains et urbains, en essayant d’appréhender comme le climat – les réchauffements et refroidissements climatiques –, le gaz carbonique ou les aspects sanitaires ont pu influer sur le mode de fonctionnement et de transformation des villes au cours de l’histoire ; et en retour, comment ces transformations ont influencé les questions sanitaires. Cette page d’histoire, loin d’être exhaustive, doit être comprise comme une recherche des différents facteurs liés aux thèmes principaux de ce mémoire, à savoir : la santé et les villes. Loin d’être complète, elle s’attarde sur, ou passe outre, certains éléments afin de nous fournir des clefs de lecture, une base de connaissance et de compréhension qui sera, au cours des parties suivantes, actualisée ou complétée selon les sujets abordés.


Par tie 1

Une histoire des établissements urbains

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INTRODUCTION DÉRÉGULATION DU CYCLE DE CONCENTRATION EN CO2 Depuis la fin du XXème siècle, de nombreuses voix s’élèvent contre l’augmentation de la teneur en CO2 dans notre atmosphère. Cette augmentation, comme chacun le sait, a pour effet de diminuer la capacité de dissipation de la chaleur solaire vers l’espace extraterrestre, les rayons lumineux solaires étant bien entendu réfléchis par notre planète vers l’espace. Au cours de diverses recherches et expérimentations, les climatologues ont établi que cette teneur en gaz carbonique avait toujours présentée des variations extrêmes comprises entre 175 et 180 particules par millions1, représentant un « couloir compris entre 7 et 15° Celsius de température moyenne de la surface de l’ensemble de la planète. 2 » Nous sommes actuellement, et depuis déjà un moment, sorti de ce fameux couloir avec des concentrations en CO2, entre autre, supérieures à tout ce que l’espèce humaine avaient pu connaitre. Ce couloir, comme nous le rappelle Jacques Vicari, marque aussi les limites inférieures et supérieures du niveau maritime, les liquides se dilatant sous l’effet de la chaleur. Les paléo-géologues estiment ce « couloir marin » à deux cents mètres de variation. Le niveau actuel serait alors de soixante mètres sous le niveau supérieur. Noel Cramer, astronome genevois, déclarait en 2005 que « nous devrions déjà avoir entamé une nouvelle glaciation depuis quelques millénaires, mais la lente décroissance de concentration de ces gaz amorcée il y a 11 000 ans s’inversa vers 3000 ans avant notre ère. Nous savons que les gaz à effet de

1

. Vicari, Jacques, Écologie urbaine: entre la ville et la mort (Paris: Infolio éd., 2008), p9

2

. Ibid.


24

De la santé (et) de la ville

3

serre produits actuellement par l’activité humaine conduisent à un rapide réchauffement global. Mais qu’en est-il des cinq millénaires précédents? 3 »

. Cramer, Noël, communication de l’observatoire de Genève du 25 juin 2005

ABANDON DU MONDE NOMADE Le début de l’histoire du CO2 commence il y a 400 millénaires, avec la découverte du feu par les prédécesseurs de l’homo sapiens. Ainsi, l’inversion signalée par Cramer pourrait être le résultat d’une déforestation généralisée par le brulis au cours des âges.

4. Vicari, Jacques, op.cit., p15

Durant ces millénaires les peuplades du monde, échappant aux montées des eaux résultant d’un réchauffement climatique, se rependent sur les terres « mettant les forêts à feu et à cendres.4 » Ces peuples vont alors, petit à petit, passer du monde nomade au sédentarisme abandonnant par la même occasion la cueillette et la chasse au profit de l’agriculture. L’humanité va ainsi entrer dans l’ère de la combustion qui la mènera longtemps après aux énergies fossiles et à l’augmentation exponentielle des concentrations de CO2, c’est le passage du paléo- au néolithique.

LA MESOPOTAMIE COHABITATION HOMMES-BÊTES

5

. Hénaff, Marcel, La ville qui vient (Paris: l’Herne, 2008), p23

Les premiers témoignages d’établissements sédentaires sont retrouvés dans la région du Croissant fertile dans le Moyen-Orient. Ce territoire est à l’époque recouvert par d’immenses forêts qui seront donc déboisées par brulis, créant les clairières et ainsi les premiers lieux de sédentarisation. C’est l’apparition de ces clairières qui vont attirer les premiers animaux à être domestiqués. Soyons cependant clairvoyant, la domestication animale n’a bien entendu pas été inventée avec la sédentarisation - les nomades disposaient assez logiquement de bêtes de somme leur servant au cours de leurs nombreux déplacements - mais elle s’inscrit cependant, selon les termes de Marcel Hénaff « dans une transformation des rapports symboliques de

l’homme et de l’animal, où émerge un désir neuf de domination de l’ensemble du biotope.5 »

C’est avec cette première cohabitation homme-bête prolongée que vont apparaitre les premiers problèmes sanitaires liés aux établissements humains. Effectivement, avant la sédentarisation, les peuples nomades prenaient l’habitude de laisser derrière eux les déchets et résidus inhérents


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Une histoire des établissements urbains

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à leur condition humaine. Avec le passage au monde sédentaire, ces derniers s’accumulent ; mouches, larves et rongeurs recouvrent alors les déjections et les restes de repas non seulement des humains, mais aussi des leurs bétails. Car, non seulement les humains deviennent permanents, mais ils vont aussi, dès lors, partager avec ces animaux leurs lieux de résidence. Déchets, « densification » et animaux, cette triade va profiter aux virus et autres bactéries ; ainsi, des dizaines de maladies – rougeole, tuberculose, petite vérole, grippes, coqueluche, paludisme – seraient passées du règne animal aux humains. Les paléo-pathologues nous racontent d’ailleurs que les premiers peuples sédentaires, ainsi que leurs animaux, se fragilisèrent, rapetissèrent au fil du temps, souffrirent de maladies sérieuses et moururent plus jeunes que leurs ancêtres. Afin de conserver une population stable, ces peuples vont doubler voire tripler leur taux de natalité espérant voir survivre deux ou trois de leurs progénitures. La sédentarisation engendra donc des risques sanitaires tels qu’ils persisteront plusieurs millénaires avant qu’un modus vivendi ne soit trouvé entre les virus, les bactéries et leurs hôtes, les humains ; que la démographie ne se stabilise puis croisse exponentiellement. Après deux milles ans de ce « statu quo », « les premiers villages sortiront littéralement de terre 6 ». Les villes suivront.

6

. Vicari, Jacques, op.cit., p25

NAISSANCE DES PREMIÈRES CITÉS Pour qu’apparaissent les premiers villages, il aura fallu une innovation architecturale. Jusqu’ici, les habitations des peuples sédentaires prennent encore la forme ronde de l’architecture nomade. Le trait majeur de ces nouveaux villages fut l’abandon de cette forme au profil de l’habitat quadrangulaire auquel s’ajouta une « sortie de terre », il s’entend que ces maisons cessèrent d’être enterrées pour s’élever depuis le sol ; basculement que J. Cauvin explique ainsi : « La maison ronde atteignait d’emblée sa surface d’occupation définitive et aboutissait donc, dans la perspective d’une extension à une impasse 7 ». Le modèle d’habitat rectangulaire sera par conséquent adopté afin de pouvoir répondre à la croissance démographique en ouvrant la voie de l’extension de l’habitat que ce soit pour le logement ou pour le stockage alimentaire. Des villages comme Catal Huyuk sortent alors de terre. Cette forme, inventée dans les villages mésopotamiens, « parce qu’elle s’est révélée efficace pour l’organisation des espaces intérieurs d’habitation, des voies intra-urbaines de circulation, mais aussi pour la construction des murs extérieurs et des monuments 8 », sera développée dans l’architecture

urbaine. « Il y a donc de ce point de vue une continuité morphologique très

7

. Cauvin, Jacques, Naissance des divinités, naissance de l’agriculture (Paris: Flammarion, 1997), 66sq. et 175 sq. :«L’habitat au carré»

8

. Hénaff, Marcel, op.cit., p26


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De la santé (et) de la ville

9

significative 9 ».

. Ibid.

Comparant la morphologie des villes et des villages mésopotamiens, on peut remarquer que contrairement aux établissements villageois – où les habitations ne se différencient pas les unes des autres – les établissements urbains affirment, eux, une forte distinction entre l’habitat des élites – qu’elles soient politiques, religieuses ou sociales – et celui du peuple commun. Dans la ville s’est donc établie une hiérarchie originale, lisible à travers l’architecture. Autre fait important, « la révolution agricole du croissant fertile, nous dit Marcel Henaff, se produisit dans les collines [alors que] les villes

10 . Hénaff, Marcel, op.cit., pp28-29

11 . Vicari, Jacques, op.cit.

12

. Ibid., p29

13 . Marguerons, JeanClauce, Les Mésopotamiens (Paris: A. Colin, 1991), p22

se développent avant tout dans les vallées et plus particulièrement au bord des fleuves et des rivières. On verra bel bien se développer des bourgs plus ou moins importants dans les collines, mais les signes distinctifs de la ville ne s’y manifesteront pas. Ce qui voudrait dire que la seule croissance des ressources agricoles, contrairement à ce que l’on a souvent soutenu, ne permet pas de rendre compte du phénomène urbain. Il aura fallu autre chose, et tout d’abord, qu’apparaisse une nouvelle situation dans l’exploitation des ressources, supposant d’une part des conditions matérielles et d’autre part des conditions sociales 10 ».

Cette « autre chose », ce sera un changement climatique. Ce crée à cette époque en basse-Mésopotamie, une situation nouvelle. Le CO2 augmente dans l’atmosphère, les températures suivent et l’Euphrate s’assèche. Vont alors apparaître ce que nous appellerions aujourd’hui des réfugiés écologiques. Ceux-ci migrent vers le Nord, au pays de Sumer qui, comme nous l’avons vu, a depuis plusieurs siècles atteint un profil d’équilibre physique et social11. Pour faire face à cette situation, les anciens innovent et inventent « une

organisation permanente hiérarchique permettant pour la première fois la réalisation de biens publics de grande envergure avec le consentement de tous [...]. Ce que Max weber nommera plus tard la bureaucratie.12 » De nouveaux

canaux sont creusés et les cultures céréalières sont transférées au bord du fleuve – le Tigre -, le sol y est plus fertile et la production agricole explose.

Toutefois, en se déplaçant dans la vallée, les populations firent face à un manque de ressources premières tel le bois, la pierre de construction, les minerais… Nous avons alors d’un côté un surplus de denrées alimentaires et de l’autre, un manque de matières. Face à cette problématique les peuples mésopotamiens vont encore une fois innover, ils vont importer ; ils vont commercer avec d’autres villages. L’essor des villes ne fut donc pas exclusivement dû à l’agrandissement des domaines agricoles comme on l’a longtemps imaginé, mais aussi au développement du commerce13; comme ce ne fut pas non plus le fleuve comme point d’eau nécessaire à cette agriculture, mais ce même fleuve comme axe fluvial.


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Cette dynamique, née en 3500 avant notre ère se propagea le long des rives du Tigre. On trouve d’ailleurs en Syrie du Nord la ville de Habuba Kabira, nous montrant à quoi ressemblaient ces cités de conception sumérienne ; comportant enceinte, voirie, ainsi donc que des formes différenciées d’habitat; loin des logiques uniformes des villages en grappes et en damiers. Ces villages quant à eux continuèrent de vivre aux côtés des cités. Sans eux, la ville n’aurait pas survécu. Nous avons vu qu’avec la ville se créent les remparts. Si ceux-ci ont bien une fonction défensive évidente, il s’agit là d’abord de défendre la ville contre un espace extérieur plus qu’un ennemi. A partir de cette époque, l’espace agricole entourant la ville ne va plus avoir de statut que par rapport à celle-ci. Il y aura l’intra- et l’extramuros. Dedans, c’est la ville, dehors, la campagne. Naquirent ainsi les premiers rapports ville-campagnes.

L’EMPIRE ROMAIN CONCEPTION DES CITÉS ROMAINES Comme décrit précédemment, ces villes se développèrent et se propagèrent, selon ce même modèle rectangulaire, durant plusieurs millénaires jusqu’à la formation de l’Empire romain qui l’améliora et le perpétua à son tour. Passant outre les mythes fondateurs religieux, les villes romaines se conçoivent selon deux axes ; un axe Nord-Sud, le cardo ; et un axe Est-Ouest, le decumanum. Sur ces axes se dessine une grille orthogonale de places et de rues. Cette grille permet une relativement bonne aération des villes de l’Empire selon les préceptes de Vitruve14. Cela, combiné aux ensembles de bains et de thermes fit des cités romaines les premières villes hygiéniques de l’histoire ; seul restait alors à se débarrasser des déchets et des eaux noires de la ville. La réponse fut apportée par un certain Tarquin le Grand qui, en réponse à la surpopulation que subissait la capitale de l’Empire, creusa le Cloaca Maxima. Initialement prévu pour assécher les zones marécageuses du bas de la vallée de l’Esquilin, celui-ci recueilli par la suite les eaux de surface, les immondices et les eaux usées dans ce qui devint le premier égout à ciel ouvert jamais créé avant d’être progressivement voûté pour en supprimer les émanations nauséabondes.

14 . Vitruve, Traité «Des airs, des eaux et des lieux»


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De la santé (et) de la ville

TRANSMISSION INTER-SPÉCIFIQUES DES L’EFFONDREMENT DE L’EMPIRE ROMAIN

MALADIES,

Nous abordions plus haut le problème de la cohabitation prolongée entre les hommes et leurs animaux. Ce problème a été résumé par les épidémiologistes comme étant le suivant : « Depuis toujours, les maladies des

15 . Vicari, Jacques, op.cit., p53

animaux domestiqués s’expriment avec d’autant plus de virulence qu’ils sont confinés en grand nombre et qu’ils sont écartés de leurs conditions de vie à l’état naturel […]. De plus, ils ont constaté que le mode de transmission interspécifique des germes morbides d’origine animale est proportionnel à la population15 ». Prenons le cas de l’Auroch. Domestiqué au Moyen-Orient depuis le néolithique ; la femelle, réduite au servage, s’affaiblit pour devenir la vache que l’on connait aujourd’hui. Son lait profite aux enfants mais aussi, à la bactérie qu’il abrite. D’un éternuement, cette mycobactérie est transmise à l’adulte ; d’interspécifique, la transmission devient intraspécifique. Cette mycobactérie dont on vient de retracer le mode de transmission n’est autre que l’agent porteur de la tuberculose connu plus tard sous le nom de bacille de Koch, découvert en 1882. Depuis, Louis Pasteur nous permet d’éviter la tuberculose par voie lactée à l’aide de la pasteurisation du lait.

Durant les premiers siècles de notre ère, cette peste blanche, comme on l’appelle parfois, proliféra. N’étant reliée ni à la qualité de l’air, ni à celle de l’eau, ni aux déchets, l’hygiénisme des cités romaines ne permit pas d’en endiguer l’épidémie. Celle-ci, combinée aux diverses insertions barbares, entraina l’effondrement des activités de productions et d’échanges mises en place sous l’Empire et précipita sa chute au cours du Vème siècle. Les populations urbaines diminuèrent. La ville se rétrécit, brouillant le modèle antique de la ville damier. Les rescapés récupérèrent le centre de la ville et celle-ci se replia concentriquement autour des édifices religieux nouvellement construits. Ce nouveau centre-ville s’entoure d’une couronne, à l’intérieure de laquelle les potagers et les champs remplacent les anciens quartiers, et d’un rempart. L’habitat se concentre, les rues s’entrelacent « reconstituant presque instinctivement un autre plan : celui des camps des

16 . Hénaff, Marcel, op.cit., p58

tribus nordiques qui pendant près d’un demi-millénaire ont pénétrée l’Europe de l’Ouest et du Sud.16 » Cette couronne de terre arable devra subvenir

aux besoins de tous, aux habitants de la couronne autant qu’aux habitants intramuros vivant dans ce castrum nouvellement bâti. Au Vème siècle, de ce lien d’interdépendance, naquit le régime féodal qui s’établit sur le réseau urbain hérité du Bas-Empire.


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LE MOYEN AGE TRANSFORMATION DU TERRITOIRE ROMAIN A cette époque apparaissent les douves, au départ peu larges et peu profondes; l’eau s’y écoule naturellement. Mais avec la guerre de cent ans - voir dessous -, celles-ci s’élargissent, leur débit baisse, l’eau stagne et elles sont alors propices au développement des moustiques, dont l’anophèle véhicule le plasmodium, le parasite responsable de la malaria. La transformation des territoires romains s’opéra en un peu plus d’un siècle et eu de vastes conséquences : en Syrie et en Libye, les villes greniers de l’Empire retournèrent à la steppe ; en Europe, les vastes étendues anciennement cultivées par les esclaves furent abandonnées et retournèrent à la forêt. On passa alors d’un système romain basé sur la maitrise du temps et de l’espace17, et de la mobilité assurée par des réseaux terrestres et maritimes rapides favorisant la diffusion des épidémies ; à un système féodal, peu peuplé, quasiment autarcique mettant un frein à la propagation des maladies sur un territoire vaste. Petit à petit, les douves sont modifiées, l’eau domestiquée au profit des artisans, « donnant naissance à une pré-industrialisation propre à l’occident.18 » Cette complémentarité topographique des métiers lié à l’eau, que l’on connait, perdura jusqu’au XIIème siècle, quand des mesures de précaution durent être prises. « La situation se dégrada alors non par défaut mais par excès.19 » « Bon an mal an, depuis l’effondrement de l’époque gallo-romaine, les populations étaient restées stationnaires, entre 8 et 9 millions d’habitants dans cette région du monde. Or en 300 ans, entre 950 et 1250, elle passèrent à 20 millions.19 »

RECONQUÊTE DE LA FORÊT Avec l’augmentation rapide de la population, les terres laissées à la forêt durent être défrichées à nouveau. A l’instar de l’époque du néolithique, une reconquête des terres nourricières se met en marche. Les récoltes restèrent maigres jusqu’au Xème siècle puis brusquement, les conditions changèrent : un changement climatique, l’optimum climatique du Moyen Age. Une fois de plus le climat changea la condition humaine. Avec l’augmentation de la production agricole il redevint possible d’envisager des travaux de longue haleine. Depuis la haute Antiquité, les paysans cultivaient un champ sur deux, cependant débuta à cette époque l’élargissement des couronnes de champs autour des villes, Ce rapport de un sur deux est modifié et passe à deux sur trois avec la création de l’assolement triennale : le premier champ pour les céréales, le deuxième pour les

17

. Ibid.

18 . Vicari, Jacques, op.cit., p65

19

. Ibid


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légumineuses et le troisième en jachère pour le pâturage. Cette transformation de l’agriculture fut à la base d’un boum démographique sans précédent. Cette explosion démographique faisant, la population comprise entre l’Atlantique et la Vistule passe de 20 à 45 millions au milieu du XIIème siècle. Cette explosion demanda un besoin d’espace vital. Cependant, l’expansion à l’Ouest est bloquée par Gengis Khan et l’Empire Mongol alors qu’à l’Est la forêt fait barrage. Les populations ont faim, nous sommes à la veille de la guerre de cent ans avec pour enjeu, la maitrise des terres nourricières. Surtout qu’à cette époque, le froid s’installe, et la production agricole diminua avec l’augmentation des intempéries.

FLÉAUX ASIATIQUES En 1894, un jeune médecin originaire de Suisse isole dans un laboratoire le responsable du plus grand fléau européen : le bacille de Yersin, du nom de son découvreur : Alexandre Yersin. Le bacille existe chez le rat noir d’Asie infesté de vermine à l’état naturel. Véhiculé du rat à l’homme par les puces, ce dernier se recouvre de bubons et décèdent en quelques jours.

20. Ibid., p69

Début du XIVème siècle, deux fléaux arrivèrent justement d’Asie, la peste et la poudre noire – l’un allant influencer l’autre. « De 1337 à 1345, les quarantecinq millions d’européens furent réduit à quinze 20 ». Venant de la Chine par la route de la soie, la peste noire résolut les problèmes démographiques en à peine sept ans, réduisant la population de deux tiers. En effet, il nous fallut attendre la fin du XIXème siècle pour soulever la relation qu’il existe entre déchets, dans lesquels pullulent les rongeurs, immondices et peste. Avec les siècles, les déchets et résidus humains qui les accompagnent l’Homme depuis le néolithique se sont accumulés allant jusqu’à surélever le niveau des villes. Avec la peste noire, ce niveau augmenta encore. Les rumeurs sur la propagation de la maladie par contact entraina le rejet des effets des pestiférés dans les rues – faute de poubelles : « Otez et éloignez tout ce qui peut nuire au corps humain » disaient-ils.

21

. Ibid., p71

C’est là qu’intervint le deuxième fléau asiatique, la poudre noire. Ne l’oublions pas, nous sommes en période de guerre, et face aux fortifications construites aux siècles précédents seul le canon est efficace. La poudre noire, sans laquelle ce canon n’existerait pas, est d’ailleurs obtenue d’un mélange composé de souffre, de charbon de bois et de salpêtre, le sel de pierre. « Or, la

terre, les pierres de rempart, les murs des maisons se décomposent à longueur d’années au contact des déjections et des ordures. Il faut 120 tonnes de résidus putréfiés pour obtenir une tonne de salpêtre. La ville resta donc putride par


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Loin d’en rester là, la poudre « remodela la ville à coups de boulets 22». L’augmentation de la puissance des canons entraîna l’élargissement des murs d’enceinte alors que les douves furent comblées par les résidus de salpêtre, condamnant les cours d’eau et par la même occasion les ateliers. Avec la portée des canons, l’écart entre l’enceinte et les prés alentours s’agrandit, les faubourgs sont rasés entraînant un nouveau rapport entre la ville et la campagne.

22

obligation.21 » . Ibid.

LES NOUVEAUX MONDES Un siècle suffit pour revenir à une population aussi élevée qu’au précédent de l’épidémie. Cependant il serait illusoire de penser à un retour à l’initial. Si la totalité des terres cultivables fut récupérée, il en est autrement concernant l’autorité des seigneurs et des propriétaires fonciers sur leur ancienne maind’œuvre : les serfs, les marchands et les artisans. Les liens entre ville et campagne quant à eux se sont distendus. La société médiévale s’en transforma. La baisse temporaire de la main-d’œuvre entraina des améliorations quant au travail de la terre, notamment avec la transformation de la charrue. La puissance agricole revenue, la démographie explosa une nouvelle fois atteignant cent millions d’habitants au début du XVIème siècle. Comme ce fut le cas au XIIème siècle avec l’Empire Mongol, les frontières sont toujours bloquées à l’Est par un empire, Ottoman cette fois-ci. Ceux-ci, contrairement aux Mongols contrôlèrent la route de la soie. L’Europe va cette fois-ci éviter une guerre aussi longue qu’éreintante avec la découverte de la route des Indes aussi que du Nouveau Monde. Grand bien/mal leur fasse. Car au fil des siècles voire des millénaires, ces populations distantes par les océans se sont battues et endurcies fassent à des maladies fort bien différentes. « L’absence des grandes maladies eurasiennes laissait les populations

autochtones sans défense. Avant même de rencontrer les conquistadores et leur armée, la petite vérole et la tuberculose avaient tué la moitié de la population aztèque. L’histoire lugubre se répète chez les Incas et les peuples du Mississipi qui furent infestés par les peuples de la côte, contaminés par les Espagnols. Seul un autochtone sur vingt survécut. 23 »

En échange, les équipages de Christophe Colomb virent leur peau tomber en lambeaux et mourraient bientôt. La syphilis, développée outre Atlantique par la fréquentation malsaine des habitants avec leurs camélidés, prenait ses quartiers en Europe.

23

. Ibid., p59


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En contrepartie des maladies, les pères Jésuites partis évangéliser l’Equateur en 1530, ramenèrent un arbre, le quina-quina dont l’écorce, réduite en poudre, devint le quinquina ; remède miracle contre la malaria. Ce remède ouvrit par la suite les portes de l’Afrique aux colons européens que le paludisme n’effrayait plus.

RÉVOLUTION MÉDICALE

24

. Ibid., p77

Depuis deux millénaires, toutes les fièvres étaient attribuées à un dérèglement des quatre humeurs – sang, flegme, billes noire et jaune – dans le monde païen ou à un dérèglement de la conduite dans le monde chrétien. Dans ces deux mondes, cela provoquait un excès de bille faisant fermenter le sang et conduisant à un excès de température que l’on « guérissait » par la saignée ou quelque fois la purge. La mort du patient signifiant d’un écart de conduite irrémédiable. Or le traitement des Jésuites faisait baisser la température sans effet néfaste ni état d’âme. Ce remède entrouvrit la porte de l’hygiénisme en s’opposant à l’attitude millénaire de l’Eglise pour qui le corps n’est que le reflet de l’âme en agissant, justement, sur ce corps. « Nous pouvons maintenant écrire sans nous tromper

que la poudre à canon a bouleversé la forme de la ville aussi sûrement que la poudre des Jésuite a relégué la cité céleste divine […] derrière la cité humaine et imparfaite. 24 »

RÉVOLUTION RELIGIEUSE ET AGRICOLE Au début du XVIème siècle encore, en Angleterre, se déroula deux évènements qui modifièrent les habitudes. Premièrement, le Roi Henry VIII promulgua le BILL ou Actes des six articles, réorganisant ainsi l’Eglise anglo-saxonne et provoquant la rupture avec la papauté qui fut à l’origine de l’anglicanisme. Clercs, évêques et autres prêtres peuvent désormais se marier et avoir des enfants. Cette nouveauté est à la base d’un bouleversement sans précédent. Suite à ce changement dans la morale religieuse anglaise, le clergé se vit permettre de prodiguer des conseils concernant une partie de la vie qui leur était proscrite jusqu’à présent. Entre-autre, ils vont pouvoir prodiguer des conseils aux femmes de la ville, aux femmes enceintes par exemple, ce qui engendrera une baisse du taux de mortalité en couche. Le taux de natalité baissa, les couples étant assurés de voir survivre leurs progénitures. Ce même couple prit alors une signification nouvelle, dans une société qui se renouvelle lentement.


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Deuxièmement, à la même période à peu près, vit le jour le mouvement des enclosures menant à la fin de l’assolement triennal et à la clôture des

champs par des barrières ou des haies afin d’y parquer des moutons. Durant ce même siècle, ce mouvement passe la manche donnant naissance au bocage normand, un damier de champ délimité par des haies, puis finit par se répandre dans toute l’Europe. L’origine de ce processus est assez simple : les gens ont froid ! Nous sommes au plus fort de ce que l’on appela par la suite la « petite ère glaciaire ». Résultat, la demande en laine augmente, l’élevage des moutons avec. On produit de la laine, encore, toujours et même trop de laine. Trop par rapport au rouet, l’instrument permettant de la tisser. Le mouvement des enclosures produisit alors un exode rural, vers les manufactures, des personnes qui en sont les victimes; ce mouvement ayant entrainé la disparition du droit de chaume et de regain par le pâturage des moutons et la refonte du système agricole, ne permettant plus à une partie de la population d’en vivre. Ceux-ci se reconvertirent en cadreurs, fileurs ou encore tisserands. L’augmentation de la productivité est là, accompagnée d’une main-d’œuvre abondante et remplaçable car paupérisée, engendrant une baisse des coûts de production. De deux hommes par métier à tisser, l’invention de la navette volante réduit cette demande à un seul homme en 1733. En 1771, il est actionné par la force hydraulique puis par la machine à vapeur de Watt brevetée en 1769… « C’est ainsi qu’à la suite d’un refroidissement, l’Angleterre contracte une fièvre ardente et contagieuse [tout comme les maladies qu’elle apporta] qui se propage à tout le vieux continent. Et quand la terre reprit son réchauffement […] rien ne fut plus comme avant. 25 » Avec l’extraction massive de houille et de charbon servant à la fabrique et au fonctionnement des machines, l’ère de la consommation des matières fossiles non renouvelables commença. Et le réchauffement climatique ne fit alors plus que s’emballer. Nous sommes à l’aube de la révolution industrielle et du XIXème siècle.

REVOLUTION INDUSTRIELLE MISE EN CONTEXTE En ce début de XIXème siècle, on assiste alors à un exode rural massif qui commença dans les contrées anglaises avant de se poursuivre et de contaminer l’ensemble du continent européen. Cela s’explique en grande partie, comme cela est souvent le cas, par une augmentation des rendements agricoles vers la fin du XVIIIème siècle. Nous l’avons vu, au cours du siècle, la spatialisation

25

. Ibid., p87


34

26 . Bourguignon, Claude, and Lydia Bourguignon, Le sol, la terre et les champs: pour retrouver une agriculture saine (Paris: Sang de la Terre, 2008)

27 . Barles, Sabine, La Ville Délétère: Médecins et Ingénieurs Dans L’espace Urbain, XVIIIe-XIXe Siècle, Collection Milieux (Seyssel: Champ Vallon, 1999), pp7-8

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de l’espace agricole se modifie sous l’influence du mouvement des enclosures anglais ; les cultures se subdivisent et se clôturent. Ce qu’il se produit alors est très intéressant du point de vue de l’agriculture, puisque empiriquement, les agriculteurs et paysans du XVIIIème siècle allaient recréer artificiellement ce que l’on appelle aujourd’hui, et ce sur quoi repose le modèle de l’agroforesterie et de l’agroécologie en général, l’équilibre agro-silvio-pastoral26. En réimplantant l’arbre au sein du domaine agricole, sous forme de haies de séparation, les agriculteurs, sans le vouloir, recréèrent le modèle de l’agriculture préexistant à l’état naturel. Cela occasionna une augmentation phénoménale de la production alimentaire, et comme c’est souvent le cas dans l’histoire, celle-ci engendra une forte augmentation démographique. Toutefois, nous avons aussi vu qu’en ces temps, des évolutions techniques furent apportées aux outils agricoles diminuant à l’occasion le besoin de maind’œuvre, toute proportion gardée à l’égard de l’augmentation de la population. Cette population rurale, faute de moyens de subsistance à la campagne, partit rejoindre la ville afin d’y trouver un emploi dans les nouvelles industries et les manufactures. Les usines, fort de cette nouvelle main-d’œuvre bon marché et des innovations techniques apportées par l’électricité et les énergies fossiles, virent augmenter leur production et leurs rendements. Nous entrâmes dans l’ère de la révolution industrielle et de la consommation. Cette période, comprise entre la fin du XVIIIème siècle et celle du XIXème siècle, sur laquelle nous allons porter notre regard dans les pages qui suivent, a été fortement bien résumée par Sabines Barles dans « la ville délétère » : «[ La période qui voit le passage de la ville délétère du XVIIIème siècle à la ville

hygiéniste du début du XXème siècle] semble bien connue et les conditions de cette transformation ont été largement analysée. Schématiquement, on considère que le milieu urbain s’assainit tout au long du XIXème siècle, passant de la stagnation miasmatique encouragée par les activités artisanales à la dynamique industrielle symbolisée par la rectification urbaine d’Haussmann [par exemple] qui associe percées, aménagement du réseau viaire, nettoiement généralisé de l’espace public grâce aux égouts et à la distribution des eaux, renouvellement de l’air grâce aux grands mouvements urbains, humains et économiques. Cette profonde mutation de l’environnement urbain comme de sa gestion s’appuie sur la révolution industrielle qui marque l’avènement de matériaux nouveaux ou le perfectionnement et la baisse du coût de production d’anciens qui trouvent ainsi de nouveaux débouchés. Mais elle est aussi motivée par un consensus de la communauté intellectuelle qui s’accorde à dénoncer la nocivité de la ville de l’ancien régime [en parlant de la France]. Et les ennemis sont tout désignés : l’ennemi c’est l’air corrompu par les exhalaisons de toutes sortes et d’autant plus dangereux qu’elles y sont concentrées et qu’il se renouvelle difficilement dans les habitations trop petites, dans les rues trop étroites et les trop nombreux culs de sac, dans l’enceinte fortifiée qui de protectrice devient délétère ; l’ennemi, c’est aussi l’humidité


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qui suinte de toute la surface de la ville et dont se charge le fluide aérien qui en devient d’autant plus lourd et difficilement mobile : l’ennemi, c’est enfin l’homme lui-même et ses excrétas : respiration, transpiration, excréments. Cette communauté de vue permet de passer au XIXeme siècle de la dénonciation à la correction. La première est en particulier le fait des médecins qui tentent de définir une géographie du miasme ; la seconde est prise en main par les ingénieurs qui traduisent leurs idéaux scientifiques dans l’aménagement urbain. Ils mettent ainsi en œuvre un système cohérent basé sur l’application généralisée de la dynamique des fluides et du réseau. Pour que la ville satisfasse aux exigences de la ville industrielle, qu’elle soit hygiénique ou économique, il faut que les flux y soient parfaitement canalisés dans des ouvrages qui soient les moins rugueux possibles, c’est-à-dire qui ne fassent en aucun cas obstacle à l’écoulement qui doit être, lui, aussi rapide que possible. Cette rapidité ne peut être obtenue qu’au prix de la séparation des circulations, selon l’expression aujourd’hui consacrée : piétons sur les trottoirs, voitures sur les chaussées; contact minimal entre l’air l’eau, propre ou sale, évacuée souterrainement, etc.27 » De très éclairant que soit ce texte, il convient néanmoins d’en préciser certains aspects qui me semblent importants dans l’élaboration de notre propos.

LA THÉORIE DES MIASMES Cités par deux fois dans ce cours passage, le miasme est une théorie qui nous vient du début du Ier siècle et que l’on attribue le plus souvent à Vitruve lorsqu’il décrivit les meilleurs emplacements dédiés aux habitations urbaines. La théorie fut ensuite reprise par Hippocrate au cours du Vème siècle dans son traité « Des airs, des eaux et des lieux ». Cette théorie des miasmes mortels 28 va dominer la conception de la santé jusqu’à la révolution pasteurienne fin du XIXème siècle . Si l’on s’en tient à cette doctrine, les maladies seraient le résultat d’émanation du sol rempli de particules, les miasmes, altérant la qualité de l’air et des eaux et engendrant par conséquent ces dites maladies. De ce constat, la prise de conscience du XIXème siècle dont nous parle Sabine Barles va porter sur l’amélioration de l’environnement afin de séparer du sol et de la terre urbaine nocive ; à la fois l’eau, et l’air ; deux fluides qui doivent demeurer purs pour assurer la salubrité des lieux. Il n’est alors pas surprenant de voir apparaitre durant ce siècle de grands travaux infrastructurels proposant à la fois la séparation des évacuations des eaux et des déchets, du sol urbain méphitique, ainsi que des percements censés améliorer la circulation de l’air afin de renouveler ce fluide potentiellement vicié. Le

28 . Bernhardt, Christoph, Le démon moderne: la pollution dans les sociétés urbaines et industrielles d’Europe, Histoires croisées (Clermont-Ferrand: Presses Universitaires Blaise-Pascal, 2002)


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mouvement est alors gage de salubrité. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard que la malaria porte ce nom. De l’italien « mal’ aria » ou « mauvais air », cette maladie propagée par le moustique était fréquente dans les zones marécageuses où humidité, eau et terre se mélangeaient. En termes de salubrité, le XIXème siècle va par conséquent s’attacher à l’amélioration de l’environnement urbain, et cela en reprenant certains des grands principes de l’Antiquité, à savoir : l’aération et les égouts.

LES POLLUTIONS URBAINES DU XIXème SIÈCLE Avant d’en arriver aux moyens techniques mis en œuvre pour répondre aux insalubrités, parlons d’abord de ces différentes pollutions urbaines qui affublent les villes du siècle révolutionnaire. Car, comme ce fut le cas durant la période du Moyen Age avec la course à la production de salpêtre, les déchets urbains sont de nouveaux – ou toujours – présents pour une raison certaine. Même si celle-ci n’en est pas la cause principale, elle engendra tout de même de vives contestations à l’encontre du mouvement hygiéniste et retarda la mise en place de certains de ses procédés concernant l’évacuation et le traitement des déchets; avant que des épidémies comme celles du choléra n’en accélérèrent le mouvement. Les déchets faisaient en effet partie intégrante de l’espace urbain depuis des siècles, voir des millénaires. Au fil du temps s’était donc mit en place toute une économie du déchet avec pour but d’en rentabiliser les moindres éléments. Certaines des catégories les plus pauvres de la ville en vivaient maigrement alors que les concessionnaires et l’Etat en tiraient un bon bénéfice. Etait ainsi mise en œuvre toute une rationalité du cycle trophique des ordures afin d’en éviter leur stagnation dans les rues. On distingue plusieurs catégories de déchets : « Les gadoues - urines et

29 . Barles, Sabine, op.cit., p238

30 . Guerrand, Roger-Henri, ‘Comment “Paris-Cloaque” a Appris La Propreté’, Urbanisme, 278-279, 1994, pp. 40–44

matières fécales -, immondices, boues des rues, déchets d’origine artisanale. Les premières sont en théorie recueillies par les fosses d’aisance, périodiquement vidangées. Pour le reste, une partie est lessivée par les ruisseaux [les caniveaux centraux des rues] ; une autre s’infiltre dans le sol et enfin la dernière et plus importante constitue les boues qui recouvrent l’espace public.29 »

L’ensemble de ces éléments constituait donc des débouchés économiques pour des classes différentes de la population. Des déchets ménagers et artisanaux vivaient les chiffonniers, « le terme désigne les premiers fouilleurs de déchets urbains30 ». Apparaissant durant le Moyen Age, ils auraient été presque dix milliers à la fin du XIXème ; récupérant les vieux tissus servant à la fabrication du papier, vivant du ramassage des bouteilles, des métaux…etc. Mais ce qui nous intéresse particulièrement ici, ce sont les boues et les


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gadoues puisque celles-ci constituèrent l’un des derniers rapports existant entre la ville et sa campagne. Précisément, la qualité des boues de Paris, en exemple, par sa teneur en minéraux et en humus représentait un puissant engrais pour les terres du département de la Seine. « Or ces matières organique », qui font la richesse du fertilisant, « provenaient à la fois des ordures ménagères, des résidus des marchés et des déjections animales trouvées sur la chaussée.31 » Dans un kilo d’urine, il y aurait quantité d’azote que pour la production d’un kilo de blé . La ville était donc une fois encore insalubre par nécessité. Quant aux gadoues, celles-ci sont récoltées dans les fosses d’aisance des habitations, une fois pleines celles-ci sont vidangées et leurs matières menées aux voiries, ces routes où on les entrepose ; puis retirées par les agriculteurs qui les utilisent également comme engrais . On notera que le système des fosses a de nombreux inconvénients. Elles sont rarement étanches et rarement vidées dans les habitations de populations paupérisées. Souvent elles débordent à l’intérieur de celles-ci, suintent des murs voisins, laissant les ouvriers vivre dans leurs propres déjections. L’opération de la vidange, de plus, se trouve être dangereuse provoquant régulièrement des accidents causant la mort des vidangeurs par émanation putride ou septicémie. Ainsi, quand Eugène poubelle inventa le réceptacle portant son nom, ce fut tout une tranche de la population qui en fut durement touchée. Et quand on mit en place les toilettes anglaises et le principe du tout-à-l’égout, cela affecta non seulement les populations agricoles mais aussi les populations urbaines qui « du jour au lendemain » se virent obligées l’installation à leurs frais des systèmes de tuyauterie prescrits par le pouvoir public, bafouant ainsi le domaine de la propriété privé. Cette époque vit s’élever une partie de la population contre ces dispositions liberticides32 qui se voyait déjà se retrouver en plein socialisme, ce qui n’était pas forcement une bosse chose pour l’époque.

LES GRANDES ENQUÊTES Les questions que l’on peut légitimement se poser sont alors: Que se passe-t-il qui change la donne au XIXème siècle ? Pourquoi commence-t-on à se préoccuper de la salubrité des villes avec un tel engagement, menant aux politiques de grandes transformations que nous connaissons tous ? Deux raisons sont à mettre en avant. Premièrement, la densité des villes industrielles croît de manière démesurée, Manchester atteint quatre cent mille habitants au milieu du siècle et Londres 1.6 million. Deuxièmement, c’est désormais cette population urbaine qui constitue la main-d’œuvre faisant tourner le secteur des industries et avec lui l’ensemble de l’économie capitaliste naissante. Résumons cette problématique comme ceci:

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31 . Barles, Sabine, op.cit., p243

32 . Guerrand, Roger-Henri, op.cit.


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des ouvriers en mauvaise santé sont des travailleurs moins efficaces. Il va donc falloir agir pour le bien de la sacrée sainte économie.

*. Lévy, Albert, Ville, urbanisme & santé: les trois révolutions (Paris: Éditions Pascal, 2012), p32

A cela s’ajoute une vision de la ville perçue comme de plus en plus dangereuse par une partie aisée de la population, la bourgeoisie et l’Etat s’inquiètent de ces villes dotées maintenant d’un dynamisme et d’une autonomie propre. La ville prolifère créant banlieues et taudis à l’intérieur desquels règne le chaos. L’insalubrité va ainsi être amalgamée avec l’insécurité et la criminalité. Le début du siècle va dès lors être marqué par les grandes enquêtes sanitaires entreprises tout d’abord en Angleterre puis en France sous Napoléon III. Celles qui marqueront le plus durement les esprits et engendrèrent le mouvement hygiéniste sont menées par Edwin Chadwick et sont aux origines de « la réforme sanitaire anglaise avec la loi de 1848, le Public Health Act qui installa le General Board of Health * ». Ce qui distingue ces enquêtes des précédentes réalisées au XVIIIème est la mise en interrelation constante entre l’environnement physique et malsain et la faible espérance de vie ; c’est aussi ce perpétuel aller-retour qu’il instaure entre l’économie sociale et l’environnement populaire ainsi que la réduction de cet environnement aux composantes techniques tels que les égouts, le ramassage des ordures, le traitement des eaux, leurs formes architecturales… La santé et l’insécurité devinrent des problèmes techniques qu’il s’agit de maîtriser avec l’aide des ingénieurs. Ces enquêtes et celles entreprises en France par la suite, démontrèrent le souhait de prévenir en agissant sur les causes des maladies : l’environnement, plutôt que sur ses effets. Les grands travaux en découlèrent sous les yeux ébahis de Napoléon Bonaparte, résidant en Angleterre durant les années 1840, qui décida dès son accession au pouvoir de mettre en place pour Paris les mêmes réformes infra-structurelles. C’est ainsi qu’Edwin Chadwick se trouva dans la capitale française où il abordera de manière fort intéressante les thèmes de la santé et de la durée de vie au cours d’une conférence, « les unions ouvrières du point de vue criminel » : « Si l’on jette les yeux sur une foule mutinée, si l’on en voit les

meneurs influents et redoutés, on remarque que la grande majorité de ces rassemblements se compose d’hommes qui sont presque des enfants, et que les hommes murs s’y trouvent en très petits nombres. […] En regardant ainsi les choses de près, il est devenu évident pour moi que les mauvaises conditions hygiéniques dans lesquelles vivent les ouvriers, malgré des salaires élevés, que le manque d’aire dans les ateliers où ils sont entassés, l’abus de liqueurs fortes, l’influence délétère de l’air empesté qu’ils respirent et, comme effet de toute ces causes, les épidémies meurtrières qui les déciment, ne permettent qu’un tout petit nombre d’entre eux d’arriver à la vieillesse et même à l’âge mur. […] La trop manifeste brièveté de la vie […] amène un état d’esprit analogue à celui qu’on a observé dans les temps de grande peste, dans les villes assiégées et parmi les soldats à la veille d’une lutte désespérée ; elle fait naitre le désir


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Une histoire des établissements urbains

avide de jouissance immédiate33 ». Après cela, je pense que tout a été dit des motivations des grands travaux et de l’hygiénisme.

LES GRANDS TRAVAUX HYGIÉNISTE « S’attaquer aux causes de l’insalubrité est donc devenu impérieux, et, pour cette action, écoles, ingénieurs, médecins vont s’associer dans un projet commun et global pour transformer l’espace malsain et pathogène en un espace sain, purifié des miasmes. Pour cela, il faut impérativement séparer les éléments comme l’eau, le sol, dont le contact et le mélange sont néfastes à la santé : étanchéifier le sol et l’assécher, canaliser les liquides et les séparer, ouvrir l’espace et le ventiler, évacuer les déchets et éliminer les rejets, empêcher la stagnation et le cumul des matières organiques, éloigner les activités et les métiers polluants… Et, pour ce faire, percer, éclairer, ensoleiller, aérer, assécher, drainer, nettoyer… passer du tout-à-la-rue au tout-à-l’égout ; remplacer la « ville-marais », ou tout stagne, s’accumule et pourrit, par la «villeflux » ou tout coule, circule et respire.34 »

Sous l’influence de la pensée miasmatique et d’Edwin Chadwick les grands travaux se mirent en route peu avant le milieu du XIXème siècle. Percements, aération et infrastructures d’égouts furent les fers de lance servant à contrer l’insalubrité et l’incivilité sur leur territoire de prédilection : l’espace public, où se concentrent les boues, les poussières et les gens. C’est aussi dans cet espace que l’on va pouvoir s’attaquer au sol urbain, ce sol responsable des émanations. Il fallut l’assécher pour y séparer l’eau de la terre, avant que les pavés ne le recouvrent séparant ainsi ces deux éléments. Dès lors, il fallut le nettoyer, régulièrement, afin de le déblayer de ses boues qui stagnaient alors sur cette surface imperméable et les chasser dans les égouts en cours de réalisation. Le système d’assainissement mit en place pour les rues reposait alors sur une grande consommation d’eau puisqu’il ne fallait assurément pas que celleci stagne et qu’elle ne dégage elle-même des miasmes par évaporation, une fois mélangée avec les ordures urbaines. L’époque vit apparaître des centaines de borde-fontaines dans le haut des quartiers. Le tracé des rues, cependant, se prêtait mal à ce nettoyage qui nécessitait, pour en garantir l’efficacité, des tracés rectilignes. Par conséquent, l’espace public s’en trouva fortement transformé par des percées rectilignes traçant au milieu de ces quartiers hérités à la fois du Moyen Age et d’une construction rapide et anarchique de la fin du XVIIIème siècle. Rappelons toutefois que ces percées furent d’abord et avant tout déterminées par le tracé des égouts qui, loin de pouvoir suivre la forme des rues, doivent suivre un pente minimale tout au long de leur parcours vers le

39

33 . Chadwick, Edwin, Conférence «Les unions ouvrières du point de vue criminel», reproduite dans, Richardson, Benjamin Ward, Frédérique Lab, and Michelle Perrot, Hygeia: une cité de la santé : [communication au congrès de 1875 de la Social science association (Paris: Editions de la Villette, 2006)

34 . Levy, Albert, op.cit., p41


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fleuve où ils se déversent. Ces égout traversèrent donc en effet des parties entières de quartiers insalubres engendrant leurs destructions et finirent par parcourir l’ensemble des rues des grandes agglomérations. La totalité des habitations s’y relia, on passa dès lors, fin du siècle, au système du tout-àl’égout avec l’apparition des toilettes anglaises résolvant ainsi le problème des fosses d’aisance refluant dans les habitations, engendrant les contestations susmentionnées d’une partie de la population. S’il est certain que l’on peut reprocher certaines choses à l’hygiénisme mis en place durant les années 1800, on ne peut réfuter que fin du XIXème siècle, les villes européennes sont proches de la salubrité pour la première fois de leur histoire. Les épidémies de choléra diminuèrent peu à peu pour disparaitre fin du siècle.

Tuberculose, Lumière et Mouvement Moderne

35 . Murard, Lion, and Patrick Zylberman, L’haleine des faubourgs (Recherches, 1977)

Cependant, une grande affection va persister dans les villes du XXème siècle : la tuberculose. Elle sera le grand danger sanitaire du début des années 1900 en Europe. S’il est vrai que les percées hygiénistes ont permis une amélioration sans précèdent de la santé urbaine, il est aussi démontré que pendant tout un temps, ces même percements n’ont fait que déporter les population ouvrières un peu plus loin de leur foyer d’origine, où elles s’entassèrent dans des îlots devenus plus denses et insalubres que jamais. C’est à l’intérieur de ces îlots, que l’on nommera en France « îlots insalubres », que résista la maladie pulmonaire, avant qu’elle ne recommença à se propager une fois de plus dans l’ensemble urbain. En 1911, toujours en France, les maladies pulmonaires, en très grande partie dues à la phtisie, une forme de la tuberculose ; représentèrent 42% de la mortalité du pays35 . Il fallut attendre 1943 et la découverte de la streptomycine suite aux travaux de Pasteur, Koch et Waksman pour parvenir à guérir cette maladie. Entre-temps, de nombreuses études médicales paraissent et établissent un lien de causalité entre le Bacille de Koch et l’obscurité. La lumière, et plus particulièrement le soleil, sont élevés au rang salvateur pour combattre l’épidémie. Encore une fois, car ce fut le cas avec l’hygiénisme, on fit appelle à la discipline de l’urbanisme pour traduire dans la conception de nouvelles formes architecturales et urbanistiques, ce besoin de lumière. Après l’assainissement urbain on assista à l’aseptisation des villes afin de lutter contre les germes, découverts par Pasteur dans les années 1860, que tout le monde craignait et qui se développèrent, selon les dires de l’époque, dans les endroits sombres et humides. Bien que souvent contesté sur le plan médical, ce mythe de la lumière


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salvatrice perdura et influença, selon les théories de Albert Levy , les travaux des architectes du mouvement moderne, des CIAM et bien évidemment de Le Corbusier : « Ses travaux, avec ceux de toute l’avant-garde architecturale,

vont progressivement conduire à une rupture radicale avec la ville historique existante par une double dissolution des formes bâties traditionnelles, condamnées à disparaitre, parce que pathogènes par nature, obstacle à l’introduction de l’air, de la lumière et du soleil salvateur, à l’intérieur des espaces aseptisés : dissolution de l’îlot, pour la forme urbaine, produisant un nouveau tissu urbain ouvert, et dissolution de la paroi, pour la forme architectural, créant un nouveau langage architectural.36 » Fort de cette vision, comment ne pas s’interroger et s’imaginer en effet, que les cinq points d’une nouvelle architecture de Le Corbusier ne sont pas une réponse à la maladie sévissant. 1. Les pilotis libèrent le sol et suppriment les locaux sombres et les caves permettant à l’air de circuler sous le bâtiment et à la végétation de s’installer. 2. La façade libre avec ses larges ouvertures permet une pénétration maximale de la lumière. 3. Le plan libre décloisonne l’espace favorisant le brassage de l’air et la pénétration de la lumière profondément dans les logements. 4. La fenêtre en bande, cf. point 2. 5. Le toit-terrasse reproduisant l’équivalent du sanatorium - conçu pour y soigner ces mêmes malades tuberculeux - dans les habitations. A cela s’ajouta l’utilisation de peinture blanche, symbole de l’hygiénisme et de la pureté, non seulement des formes, mais aussi sanitaire ; l’introduction de l’inox et du linoleum afin de faciliter le nettoyage des logements et éradiquer les germes. Ces idées d’aseptisation et de lumière se retrouvèrent par la suite au sein même de la Chartes d’Athènes, plus précisément de celle modifiée et publiée par Le Corbusier en 1943 ; celle-là même qui devint la référence d’une série d’architectes, d’urbanistes et de politiques dans la reconstruction d’aprèsguerre. Parmi les 95 propositions numérotées de la Chartes, de nombreuses mettent véritablement l’accent à la fois sur l’impératif sanitaire, si bien que l’on ne peut nier l’influence de la santé sur celle-ci ; mais aussi, et de manière explicite sur les moyens de lutter contre la tuberculose. Cette dernière, au travers de la Chartes Corbuséenne, influença donc partiellement la construction des établissements humains jusque dans les

36 . Levy, Albert, op.cit., pp63-64


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De la santé (et) de la ville

années soixante avec, notamment en France plus qu’autre part ailleurs, les grands ensembles; où à l’intérieur des villes européennes – mais pas que – avec sa conception aérée de l’urbanisme.

CONCLUSION Quoiqu’il en soit, entre la fin du XVIIIème siècle et le milieu du XXème, la mortalité décrût comme jamais auparavant à l’intérieur du Vieux Continent, l’espérance de vie augmenta et avec elle le nombre de naissances. « La prise de conscience de ce phénomène, comme l’énonce Jacques Vicari, conduisit 37 . Vicari, Jacques, op.cit., pp95-96

38

. Ibid., p97

les couples à la seconde phase [du processus – la première étant énoncée ci-dessus], révolutionnaire pour les femmes, la réduction du nombre des naissances. Mais plusieurs générations peuvent séparer ce phénomène37 »,

poursuit-il. C’est ainsi que la démographie européenne crût énormément. La population anglaise passent par exemple, entre les années 1700 et 1930, de 5.5 à 40 millions. Chaque pays va alors poursuivre ce même phénomène et subir l’un après l’autre une explosion démographique. Amorcé dans les années 1750 en Angleterre, ce processus va parcourir le tour du monde, il fallut cependant attendre près de deux siècles pour le voir franchir les frontière du continent chinois qui, on le voit aujourd’hui, se situe toujours entre les deux phases de ce processus avec une population qui devrait commencer à se stabiliser dans les décennies à venir. « Si son émergence ou celle de l’Inde [d’ailleurs]

est comparée de nos jours à l’essor de l’Allemagne du XIXème siècle et à celui des Etats-Unis du XXème siècle, toutes les nations doivent être rapportées au même point de départ : l’Angleterre du XVIIIème siècle.38 »

Dans tous ces pays, le rapport d’un citadin pour huit ruraux se transforma, ainsi virent-ils leur population urbaine augmentée et avec cela naquit une chose nouvelle : l’étalement urbain. Le rapport ville-campagne qui persistait encore un tant soit peu au XIXème siècle change de nom pour s’appeler « taux d’urbanisation ». Au tournant du XXIème siècle, celui-ci est estimé à 50%. Autrement dit, la moitié de la population mondiale est devenue urbaine, l’autre moitié la nourrit. Il est cependant important de noter que ce taux d’urbanisation de 50%, s’il devait être rapporté à l’Europe seule, aurait été atteint vers le milieu du XIXème siècle. Le taux mondial n’est alors que la conséquence des pratiques sanitaires mises en place en Europe au cours des années 1800. Dans ces villes remaniées, l’intra- et l’extramuros ont désormais disparu, tout comme la connexion entre ville et campagne. Les politiques d’accès à la maison individuelle comme la loi Taeye en Belgique ou les « habitats à bon marché » en France, créées pour mettre à l’écart des villes les populations ouvrières puis afin de les rapprochées de leur industries, elles-mêmes délocalisées hors de celles-ci fin des années 1800 ; ont fait voler en éclat la


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Une histoire des établissements urbains

densité de nos cités - si on peut encore les appeler comme cela - et engendré la périurbanisation que l’on connait actuellement, mettant en route le phénomène d’accaparement des campagnes par la ville diffuse et la disparition du dernier lien qu’il existait – s’il persistait – entre elles. Tout d’abord reliées par le train, permettant aux ouvriers de gagner la ville et leurs lieux de travail, la ville et la campagne voient durant les trente glorieuses l’apparition et la démocratisation de la voiture individuelle, accélérant encore cette périurbanisation. De ville des flux sanitaires au XIXème siècle, la ville du XXIème est devenue ville des flux automobiles. Avec tous les problèmes que cela engendra…

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SECONDE PARTIE

M OT E U R , CA ROULE !


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De la santé (et) de la ville

Il y a de cela quelques semaines, mes parents venaient à Bruxelles pour se faire un restaurant en ma compagnie. Une fois arrivé, le temps de se parquer, nous nous mettions en marche vers un endroit proche de la place Flagey. Arrivé à un passage pour piétons où se rencontraient voitures, trams et bus, ma mère se vit presque horrifiée de me voir traverser comme si de rien n’était alors qu’elle, s’était arrêtée net de peur de se faire renverser. Tout de suite après, alors que l’on se trouvait encore dans les pots d’échappement du bus 71, elle me demandait comment je faisais pour vivre dans un environnement pareil, avec autant de bruit, de voitures; tout cela après m’avoir, encore toute stresser, demander si j’étais inconscient d’avoir traversé la rue comme cela. «Et puis, me dit-elle, tu sens cette pollution? Moi je la sens, ça pue vraiment.» Il ne fallu après ça que quelques minutes pour qu’elle me propose de revenir à la maison pendant les vacances pour y écrire ce mémoire: «Il y a moins de bruit, un jardin. C’est quand même plus calme pour travailler. Et puis, je ne travaillerai pas, tu pourras prendre ma voiture tous les jours.» Je souriais. Loin d’émettre le doute qu’avant tout, ma mère voulait simplement me voir rentrer chez moi plus souvent; elle avait, en l’espace de quelques minutes, résumé à peu de chose près les principaux problèmes liés à la ville et à la voiture: stress, bruit, pollution, espaces verts et dépendance du milieu rural à l’automobile. Ce qui était paradoxale, c’est qu’à côté d’elle se tenait mon père qui, tous les jours, parcourt une centaines de kilomètres et supporte trois heures d’embouteillage pour venir travailler à Bruxelles, résumant ainsi le problème de l’étalement urbain.


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Moteur, ça roule !

INTRODUCTION HISTORIQUE IMPERMÉABILISATION DES RUES Comme évoqué lors du chapitre précédent, le XIXème siècle vit sa lutte contre les émanations miasmatiques prendre la voie d’une imperméabilisation des rues des grandes agglomérations. Le présent chapitre retracera par cette voie de l’imperméabilisation des sols, l’émergence de la voiture – à cheval puis à moteur – qui encombre à l’heure actuelle nos rues. Ce sera notre fil conducteur pour dégager les éléments urbains impactant la santé. Modifications de la voirie La première modification de la voirie imputable à la fois à l’automobile et à l’hygiénisme, fut la transformation de la section des rues, à l’époque concaves, avec en leur milieu le ruisseau - voir p36 -, en rues bombées. Cette transformation, qui permit aux diligences de ne plus se heurter en leur sommet, engendra deux modifications notables : la création de caniveaux, non plus centraux mais latéraux, et la création des trottoirs mettant hors d’atteinte des eaux néfastes, ruisselant maintenant des deux côtés de la chaussée, les piétons. C’est l’apparition des premières séparations modales entre piéton et

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De la santé (et) de la ville

automobilistes. Le souci, qui se posa aux ingénieurs des ponts et chaussée, fut alors de trouver le matériau le plus adéquat pour l’imperméabilisation des voiries. Le pavage sera la première de leur solution. Les améliorations dont il a hérité à l’époque en améliore et en facilite la pose ainsi que sa durée de vie, il imperméabilise le sol et restreint les boues dans les intercales que sa mise en œuvre crée. Cependant, de la même manière qu’il empêche les vapeurs et les miasmes de s’évaporer du sol, il empêche aussi aux eaux de s’y infiltrer et de renouveler par la même occasion les nappes phréatiques alimentant les puits de la ville. Ce qui entraina l’abandon du pavé comme revêtement sera pourtant, bel et bien l’hippomobile – la voiture à cheval. Du Macadam à l’asphalte 1

. Barles, Sabine, La Ville Délétère: Médecins et Ingénieurs Dans L’espace Urbain, XVIIIe-XIXe Siècle, Collection Milieux (Seyssel: Champ Vallon, 1999)

2

. Ibid., p234

3

. Giovanni rajberti, il viaggio di ignorante ossia, Ricette per gli opicondriaci composta dal dottore Giovanni Rajverti (Guida Editor, 1985), p68. Cité dans: Schivelbusch, Wolfgang, Mirko Zardini, and Centre canadien d’architecture, Sensations urbaines: une approche différente à l’urbanisme (Montréal: Centre canadien d’architecture, 2005), p241

4

. Schivelbusch, Wolfgang, Mirko Zardini, and Centre canadien d’architecture, Sensations urbaines: une approche différente à l’urbanisme (Montréal: Centre canadien d’architecture, 2005)

Nous sommes en 1818, en Angleterre, et John Loudon Mac Adam, chargé de la maintenance des routes de Bristol, invente le procédé qui porte son nom 1. Il est ensuite importé en France pour les même raisons que celles ayant menées à sa création; il s’agit à l’époque de « profiler la route

et de dessiner la voiture de façon à ce que la première oppose le moins de résistance à la seconde qui ne doit pas fatiguer la première.2 » L’optimisation

de la voirie résultera donc par la mise en place d’un revêtement opposant le moins d’obstacle et de friction possibles, afin de facilité le travail des chevaux et la vitesse des voitures. Le Macadam engendra toutefois de nombreux inconvénients qui joueront en sa défaveur quelques décennies plus tard. S’il joue parfaitement bien son rôle en assurant une meilleure circulation urbaine, la technique d’empierrement des chaussée, dite Macadam, provoque une augmentation de boues - qui puis-est de mauvaise qualité quant à son utilisation comme fertilisant -, engendrant des chaussées et des trottoirs glissants, ainsi que l’encombrement des réseaux d’égouttage par les matières inertes qui le compose. « Il suffit qu’il pleuve un quart d’heure pour que Paris redevienne [...] une ville de boue: une vase qui menace de vous faire tomber à chaque instant, qui abime vos habits et vous colle jusqu’aux os 3 ». Le Macadam sera graduellement abandonné, tout d’abord recouvert de goudron pour être par la suite remplacé par l’asphalte. Il est important de remarquer, comme le note Walter Benjamin 4 , que ce fut tout d’abord pour les trottoirs que l’asphalte fut utilisé et qu’avant de servir de surface idéale pour l’automobile ce matériau fera tout d’abord le bonheur des piétons et des cyclistes. Ce n’est que plus tard, une fois passé au tout-à-l’égout et débarrassée de ses boues et gadoues que la rue se sépara du Macadam. Car une fois les rues propres, la macadamisation de celles-ci révéla une autre problématique, la poussière. Composé d’une succession de granulat concassé, le macadam, sec, produit énormément de poussière; amenant à la création d’accessoire divers – voilette,


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Moteur, ça roule !

chapeau, masque – pour s’en protéger. Pour remédier à cela, un arrosage constant des chaussées est nécessaire, mais cela ne suffit pas; nous sommes alors en pleine révolution pasteurienne, les germes ont été découverts, les épidémies de Tuberculose sévissent et la poussière est largement incriminée. Les premières ligues anti-poussière vont naître en France dès 1904, voulant convaincre les administrations de recouvrir les rues d’asphalte. Ce matériau fait diminuer les bruits des carrioles, des diligences et des chevaux en général; mais va surtout introduire dans la ville moderne une surface lisse et ininterrompue sur laquelle il sera plus tard aisé d’y tracer le marquage destiné à gérer le trafic autoroutier. L’asphalte sera le matériau parfait afin de rendre la ville moins bruyante, plus hygiénique mais surtout, adaptée à l’usage de la voiture, avant son heure. Pour l’opinion publique actuelle, l’asphalte représente désormais la principale alliée de l’automobile, de son monde et l’ennemi de la vie urbaine 5 qu’il faille dorénavant combattre.

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5

. Ibid.

EXODE OUVRIER Parallèlement à l’imperméabilisation des rues pour cause d’insalubrité publique, se produit, à partir du milieu du XIXème siècle plusieurs phénomènes, qui auront une incidence directe et/ou indirecte sur la propension de l’usage de la voiture. Avec la révolution industrielle, les usines s’installèrent en ville, rameutant avec elles une bonne partie de la population rurale qui engendra, par leur établissement au plus proche de leur lieu de travail, les taudis et les quartiers insalubre. L’hygiénisme naissant, trois phénomènes vont avoir lieu. Premièrement, suite à des lois réglementant la pollution de l’air et des cours d’eau dans les zones urbaines, de nombreuses usines ne souhaitant pas se conformer aux normes ou n’en ayant pas les moyens, vont s’exporter dans la périphérie attirant encore une fois avec elles, leur main-d’œuvre. Ce fut le temps des cités ouvrières financées par le patronat. Ensuite, nous l’avons abordé; la classe ouvrière, entassée dans ces quartiers où règne la criminalité, engendra la peur et la méfiance vis-à-vis d’une certaine classe bourgeoise à laquelle s’ajoutèrent les préoccupations des institutions politiques envers les émeutes ouvrières. Ainsi bien évidemment que la question de l’insalubrité manifeste de ces mêmes quartiers. Ce fut alors le temps des aides à l’accession de la propriété à l’aide de primes et de garantie de l’Etat afin d’encourager le logement individuel hors de la ville – Habitat à bon marché en France ou encore loi de Taeye en Belgique. Ce sera aussi l’époque des premiers abonnements bon marché délivrés par les chemins de fer 6. Troisièmement donc, l’essor des chemins de fer permettant aux ouvriers de se loger hors de la ville et d’y retourner travailler tous les matins.

6

. Dessouroux, Christian, and Alice Romainville, ‘La production de logements en Belgique et à Bruxelles: Acteurs, dynamiques, géographie’, EchoGéo, 2011


50

7

. Bernhardt, Christoph, ed., Le démon moderne: la pollution dans les sociétés urbaines et industrielles d’Europe, Histoires croisées (Clermont-Ferrand: Presses Universitaires Blaise-Pascal, 2002)

8

. Allemand, Sylvain, François Ascher, and Jacques Lévy, eds., Le Sens Du Mouvement: Modernité et Mobilités Dans Les Sociétés Urbaines Contemporaines (Paris: Belin, 2004)

9

. Ibid

De la santé (et) de la ville

Ces aides massives à la propriété privée, couplées à l’essor ferroviaire, vont mener à l’émergence de la périurbanisation et alimenter la filière de construction des habitations individuelles. Toutefois, ce retour à la campagne, puisque rendu possible par le trafic ferroviaire, restera limité le long de ses rails durant une certaine période; le besoin de mobilité lié à la locomotive restreindra l’étalement des villes. Ce fut la démocratisation et l’émergence de la voiture individuelle et des infrastructures routières qui occasionna la périurbanisation et l’étalement urbain qui caractérise notre temps; et dont les matériaux nécessaires à sa mise en place, l’asphalte en premier lieu, furent élaborés en réponse à l’insalubrité de ces mêmes villes. Ce phénomène automobile prit tout le monde de vitesse. Les voitures remplacèrent les calèches, ce qu’applaudirent les hygiénistes, mais très vite elles proliférèrent, se rangèrent le long des trottoirs et accaparèrent les rues 7 . L’extension radiale de la ville liée au chemin de fer se transforma vite en une immense tache d’huile s’éparpillant et polluant nos campagnes, toujours plus loin que la ville d’origine. L’imperméabilisation des villes gagna ainsi la campagne et augmenta en intensité. La raison en est simple: en ville dense, en tenant compte des coûts marginaux liés aux infrastructures de déplacement, un logement entraine l’imperméabilisation de 10.32m² par personne. La même famille qui irait s’installer en périurbain en engendrerait 113.8 Face à l’arrêt des subventions des maisons individuelles, l’imaginaire l’emporta, la ville qui fut quittée pour des raisons sanitaires est toujours malsaine et celle quittée à cause de l’incivilité est toujours dangereuse. La ville dense rend impossible l’intimité, est bruyante et polluée par rapport à la campagne qui est propre, calme et verte; et l’habitat périurbain, l’émiettement du territoire ou encore la rurbanisation continuèrent leur chemin. La périurbanisation C’est le processus involontaire, pour une ville, par lequel sa population va s’exporter au-delà des limites de son agglomération vers des villages ruraux. On parle alors d’étalement périurbain lorsque ce processus se caractérise par un développement peu dense.9 L’étalement urbain

10 . Hamelin, Éric, and Olivier Razemon, La Tentation Du Bitume: Où S’arrêtera L’étalement Urbain? (Paris: Rue de l’échiquier, 2012)

On parle d’étalement urbain pour caractériser une agglomération dont l’espace croît plus rapidement que sa population, lorsque chaque nouveau résident consomme plus d’espace que son prédécesseur. Cette définition, comme nous le proposent Eric Hamelin et Olivier Razeman 1 0, mérite d’être légèrement plus complète. En effet, selon celle-ci, une ville très dense qui désirerait relâcher un peu sa maille s’étalerait alors qu’une ville très peu dense qui continuerait son expansion, consommatrice


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d’espace, ne le ferait pas. Ils proposent de la compléter avec la formule de « dilatation de l’espace urbain »11. « On comprend ainsi, disent-ils, que l’étalement urbain ne ressemble

11

plus à cet exode rurale des champs vers la ville […] cette dilatation de l’espace urbain n’est pas non plus imputable à l’expansion d’une ville en forte croissance démographique, toujours à la recherche de nouvelles surfaces pour absorber son accroissement naturel. Non, l’étalement urbain concerne bien un espace qui s’étend sans progression significative du nombre d’habitant, ni d’emploi. 12 » Cet étalement est ainsi caractéristique d’une diminution de

la densité des portions nouvelles des villes, permise par l’augmentation de la mobilité due essentiellement à la motorisation et à une faible planification des villes de la part des autorités qui en ont la charge.

. Ibid., p41

12

. Ibid., pp41-42

L’émiettement On parle d’émiettement lorsque le territoire s’étale de manière dispersée, parcelle par parcelle et le long des routes, autour des villages. Il s’agit, toujours d’après E. Hanolin et O. Razemon, de la « forme la plus ancienne mais aussi la

plus courante d’étalement urbain […]. Cette désorganisation, plus encore que les autre formes d’étalement, limite les dessertes en transport, services publics ou commerces.13 »

13

. Ibid., p42

Une condition permissive Loin d’être exhaustifs les uns par rapport aux autre, ces trois modèles de dédensification urbaine se retrouvent souvent conjugué ensemble sur un même territoire. Il serait aussi non éloquent de ne pas nuancer mes propos. Ci-dessus, j’ai décrit l’étalement urbain comme étant un phénomène principalement lié aux crises sanitaires et à l’émergence de l’automobile, ce que Marc Wiels appelle la mobilité facilité 14. Si la question était de savoir si la voiture était la cause de l’étalement urbain, il serait préférable de dire, toujours selon ses propos qu’elle en est une condition permissive et que tout un tas d’autres enjeux: politiques, personnels et économiques entre en jeu pour faire survivre ce phénomène dans l’ère actuelle. Comme énoncé dans l’introduction, le fil conducteur de ce mémoire restera le lien entre les enjeux de santé et la voiture, certains éléments seront donc passés sous-silence pour ne pas perdre ce fil en nous entrainant dans des élucubrations sans fin. Il me semblait important de le rappeler. Ayant rapidement retracé l’émergence de la voiture et de son corollaire, la périurbanisation; la suite de ce chapitre se tardera d’en exposer les aspects négatifs qu’ils font peser sur différentes tranches de la population.

14 . Wiel, Marc, Étalement urbain et mobilité (Paris: La Documentation française, 2010)


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De la santé (et) de la ville

L’AUTOMOBILITE ET SES CONSEQUENCES NOUVEAU MODÈLE D’ENTREPRISE Ce phénomène de périurbanisation s’est mis en branle suite à la délocalisation des entreprises en périphérie. Afin de saisir les logiques d’exclusion sur lesquelles cette partie va porter, il me semble important de rappeler que ces entreprises de l’époque moderne étaient basées sur un modèle tayloriste ou fordiste fondé sur la demande, la prévisibilité, la production en série qui s’assurait de disposer à la fois d’une main-d’œuvre abondante mais aussi fidélisée. « C’est cette garantie de l’emploi qui permettait aux travailleurs

15 . Le Breton, Eric, Bouger Pour S’en Sortir: Mobilité Quotidienne et Intégration Sociale, Sociétales. Mondes Sociaux (Paris: A. Colin, 2005), p18

de s’installer à proximité de leur lieu de travail. Le bassin d’emploi se superposait au bassin de vie. Dans cette configuration les besoins de mobilité étaient réduits.15 »

Le monde dans lequel nous vivons actuellement et dont je considère que la voiture en est le parfait symbole, n’est cependant pas celui des trente glorieuses. La production de masse, la gestion des stocks… sont remplacés par une «production en flux tendu» adapté à une demande. Plus de stock, mais une gestion flexible et réactive combinée à un réajustement immédiat des volumes de main-d’œuvre, voilà ce qui caractérise le modèle de société actuel. Le chevauchement des zones d’emploi et d’habitat s’effrite donc, les emplois sont aussi moins stables et les demandeurs doivent ainsi aller chercher leur nouveau travail là où il se trouve. Nous décidons, en conséquence, de moins en moins de l’endroit où nous résidons en fonction de notre lieu de travail, puisque celui-ci n’est plus assuré. Dû à ce changement, la capacité de mobilité est devenu un impératif beaucoup plus important que par le passé. Qu’arrive-t-il alors lorsque la périurbanisation rencontre un manque d’accès à cette mobilité?

LES ARCHIPELS URBAINS 16

. Ibid.

Dans « Bouger pour s’en sortir 16 », Eric Le Breton appelle ces personnes privées de mobilité: les insulaires. Il poursuit en les décrivant comme « des personnes durablement assignées à des territoires étroits et empêchées d’accéder aux ressources de la vie quotidienne par des difficultés de mobilité.» Cette insularité combine ainsi isolement social et rapport contraint au territoire et serait observable dans le périurbain, les zones rurales mais aussi dans le cœur des grandes agglomérations. Ce défaut de ressource est bien entendu une conséquence de l’étalement urbain et/ou de la périurbanisation; et si ces deux phénomènes sont si souvent


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Moteur, ça roule !

attribués à l’émergence de l’automobile, comme ce fut le cas ci-dessus aussi, c’est alors essentiellement parce que vivre dans un environnement étalé supporte l’idée du tout-à-la-voiture pour accéder aux infrastructures socioculturelles de la vie courante. Habiter dans un environnement diffus sans moyen de transport motorisé est alors souvent synonyme d’une perte de ressources « tant en matière d’emploi que d’aménités de vie quotidienne 17». Dans une société d’archipel, selon l’expression de Jean Viard 18, chaque personne est supposé pouvoir choisir ses lieu de vie, d’iles. Pour les personnes en situation précaire ou les allocataires de minima sociaux sans moyens de locomotion, la pratique de cette archipel se retrouve bien souvent limitée à une et seule île.

53

17

. Ibid., p52

18

. Viard, Jean, La société d’archipel ou les territoires du village global (Editions de l’Aube, 1994)

LES INSULAIRES Pour ces personnes a revenu réduit, la part de mobilité dans le budget familial prend immédiatement une place fort importante. Pour cette tranche de la population, la mobilité occupe ainsi le second poste de dépense du foyer après le logement. C’est ainsi un quart de leur budget qui s’en va dans les déplacements 19. Pour cette part de la population précarisée possédant tout de même une voiture malgré son coup relatif, celle-ci est alors souvent ancienne. Elle a dix, quinze ou vingt ans, elle est fragile et il va falloir la ménager et l’utiliser parcimonieusement puisque le cas échéant, ces familles n’auront la plupart du temps pas les moyens de la remplacer. De plus, il s’agira bien souvent, d’un véhicule à usage collectif, dans le sens de la famille, et dans celui où elle ne sera utilisée que pour des causes d’intérêts communs. Nullement questions de l’emprunter pour se balader, de faire des détours, pour se distraire, etc. La voiture ne va servir qu’au profit du réseau social de la famille et pour faire ce qui ne pourrait être fait autrement. Pour ces foyers, l’automobile n’est donc pas l’objet libérateur des publicités dans lesquelles de grands monospaces nous transportent en vacances. Le coût de la voiture, quand celle-ci est indispensable, sera bien souvent ce qui les empêchera de partir à la plage. Les usages de la voiture sont alors très restrictifs et l’on peut distinguer trois grandes raisons pour lesquelles on prendrait le risques de la sortir: les courses alimentaires, l’entretien du réseau social et surtout familial – pour ceux qui en ont un -, et la recherche d’emploi. Pour cette partie de la population qui ne dispose par contre pas du saint grâle qu’est l’automobile, les transports en commun resteront le seul moyen d’effectuer un déplacement plus ou moins long sans avoir à quémander l’aide d’un proche. Cependant, bien qu’en centre-ville, les réseaux de transport

19 . Le Breton, Eric, Domicile-Travail: Les Salariés À Bout de Souffle, Modes de Ville (Paris: Carnets de l’info, 2008)


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en commun sont efficaces, ce n’est pas particulièrement le cas des réseaux périurbains ou ruraux. Dans ces territoire, le maillage des transports est lâche et le temps d’attente important. De plus, nous dis Le Breton, « la théorie

20

. Le Breton, Eric, Bouger Pour S’en Sortir: Mobilité Quotidienne et Intégration Sociale, Sociétales. Mondes Sociaux (Paris: A. Colin, 2005), p94

21

. Dupuy, Gabriel, and François Bost, eds., L’automobile et Son Monde, Société et Territoire (La Tour d’Aigues: Editions de l’Aube : Diffusion, Harmonia Mundi, 2000) 22

. Ibid., p78

de la captivité considère que les pauvres sont obligés d’utiliser les transports collectifs. La réalité est symétriquement inverse.20 » Plus les individus seraient économiquement dépendant des transports en commun, moins ils les emprunteraient. Le paradoxe des transports en communs Ajoutons à ces faits que selon une étude réalisée sur les transports publics et la motorisation en France et en Angleterre, il ressort qu’une augmentation de l’offre des transports publics ne se traduit pas par une motorisation moindre 21. Dans les deux pays, et en dehors du cas de la capitale; l’étude démontrait l’interdépendance entre l’étalement du territoire et la voiture pour un ensemble de petits trajets. Ainsi, « pour l’ensemble des ménages dit insulaire,

la motorisation intervient comme un facteur d’accentuation des inégalités dès lors qu’être motorisé est de plus en plus incontournable et obligatoire.22 »

Reste alors pour ces personnes la marche à pied. Celle-ci permet une autonomie relative, libère de l’attente de l’arrêt de bus mais surtout, libère de cette dépendance omniprésente aux institutions pour au moins, un domaine de la vie.

23 . Le Breton, Eric, 2005, op.cit., p97

Pour toute ces familles, il parait évident que le choix du mode de transport n’en est pas vraiment un, et que souvent, un seul trajet en combinera plusieurs, rendant celui-ci à la fois long à organiser, long à parcourir et épuisant dans son ensemble. Il convient aussi de tenir compte du fait que le choix de l’un ou de l’autre moyen modal cité ci-dessus n’affranchira pas les insulaire de leur île. « Pour les

insulaire, les territoires de la marche, du bus et de la voiture ont presque les mêmes frontières. 23 » Sans voitures... Sans emplois

24

. Ibid.

Moins 23% pour les habitants d’une zones urbaines sensible possédant un permis de conduire, moins 20% pour les personnes possédant un moyen de transport individuel, moins 8% pour ceux bénéficiant de titre de transport gratuit 24. Ces chiffres sont éloquents, ils se réfèrent à la diminution du temps des périodes de chômage par rapport à la capacité de mobilité et démontrent une fois encore la dépendance de notre société à la voiture, que ce soit pour le loisir, l’accès au ressource et ici, l’accès au travail. En France, à l’occasion du Grenelles de l’insertion, une question fut posée lors d’une enquête menée auprès d’un millier d’allocataires au RMI :


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De quoi auriez-vous le plus besoin pour travailler? 24 La réponse est évidente, 20% y ont répondu par un moyen de transport. Le besoin de véhicules va croissant et ne semble pas devoir s’arrêter, les prix de l’immobilier continuent de grimper et poussent les populations paupérisés à s’exiler là où les prix sont abordables. La pauvreté n’est plus réservée aux zones urbaines sensibles, elle s’installe dans le périurbain ou à l’intérieur des zones rurales, loin des agglomérations; elle apparait chez des familles appartenant à la classe moyenne suite à un souci quelconque: problème de santé, perte d’un véhicule, perte d’emploi, décès du conjoint, etc. Cet éloignement de la ville entraine systématiquement un éloignement des centres commerciaux et des magasins, des écoles et des lieux de travail; obligeant la motorisation de ces foyers. Mais dans certains cas, le coût à gagner d’un nouvel emploi sera contrecarré par le coût et/ou la longueur des déplacements qui y sont liés. Si les déplacements deviennent un travail en soi en engendrant des coûts non compensés par le faible salaire, il arrive que les demandeurs d’emploi choisissent de rester délibérément au chômage, puisque cette situation leurs rapporteraient plus d’argent que s’ils se mettaient à travailler. Les personnes au chômage rentrent dans une boucle sans fin, dans laquelle, loin de la ville, la motorisation devient la solution pour décrocher un travail mais aussi la raison de ne pas en accepter.

LES NAVETTEURS Pour comprendre la dure réalité de notre monde, plongeons nous dans un lotissement périurbain en plein milieu d’après-midi; les allées, bondées de voitures pas plus tôt que le matin même, sont maintenant vide; tout comme le sont les maisons qui s’alignent le long de ses rues. Chaque matin, les voitures se mettent en marche, arrachant leur propriétaire de leur résidence pour les emmener sur leur lieu de travail, avant de les y ramener le soir venu. Entre temps, celle-ci l’aura déposé devant le supermarché, puis devant la boulangerie après l’avoir mené devant l’école, où il ramassera ses enfants qu’une autre voiture avait déposé le matin même. Il arrive même de temps en temps que ce soit le conducteur qui amène son véhicule devant une pompe à essence, histoire de l’abreuver pour qu’elle puisse reprendre son rôle… Pour cette tranche de population qui peut acquérir une ou deux automobiles sans peine – ou presque -, le débat est alors tout autre. Souvent issues de la classe moyenne, ces personnes disposent la plupart du temps, d’une part, d’un emploi stable et assuré et d’autre part, d’un revenu assez important pour que la part de la mobilité dans le budget n’empiète pas sur

55

24 . Le Breton, Eric, 2008, op.cit.


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25 . Orfeuil, Jean-Pierre, Transports, pauvreté et exclusion (l’Aube, 2004)

leurs autres activités de loisir. Pour cette population plus aisée, la part de mobilité avoisine les 18% du total du budget familiale, cependant il s’avère que le nombre de kilomètres parcourus est presque deux fois plus élevé que celui des insulaires 25. Effectivement, le quart d’un budget insulaire ne représente pas le même montant que le quart du salaire d’un revenu moyen. Les classes moyennes dépensent donc plus dans leur part de mobilité que les populations insulaires tout en en dépensant moins relativement au pourcentage de leur budget total.

26 . Le Breton, Eric, 2008, op.cit.

Pour ces personnes, le choix du mode de transport participe alors plus d’un choix dans l’organisation de leur vie quotidienne, ou encore d’un choix idéologique - par rapport à l’écologie par exemple - que d’un choix financièrement contraint. La stabilité de ces choix modaux constitue ainsi la stabilité de leurs trajets quotidiens et de leur style de vie qui se répète encore et encore. Ces individus ne connaissent alors pas beaucoup le changement, ils savent qu’ils seront dans les embouteillages entre telle et telle heures ou qu’ils resteront debout dans les transports en commun entre tel ou tel arrêt parce que le bus y sera bondé. Cependant, la mobilité de ces navetteurs, comme les appelle une fois de plus Eric Le Breton 26, reste massivement, entre 60 et 80%, une automobilité. Ces navetteurs font partie de cette population à hypermobilité contrainte – selon l’expression de Jacques Douzelot – imposé par la séparation territorial des zones d’emploi et de travail, associé à un établissement résidentiel dans le périurbain à laquelle nous allons nous intéresser. Cette population, coincée dans cette réalité, avait donné vie au slogan «métro-boulot-dodo». Elle pourrait bien accouché encore une fois du même slogan, la voiture remplaçant simplement le métro quotidien.

LA THÉORIE DES ÉCRANS

27 . Mongin, Olivier, La Ville Des Flux: L’envers et L’endroit de La Mondialisation Urbaine (Paris: Fayard, 2013)

Pour comprendre ce que vivent jour après jour les navetteurs de Le Breton, arrêtons-nous un moment sur la notion de paysage en mouvement énoncé par Olivier Mongin 27 et attardons nous encore une fois sur l’histoire. C’est au XIXème siècle que l’on commence à avancer sur des routes en terre à une allure différente de celle de la marche. Avant cela, c’était le temps des chemins, de la marche à pied et des sabots de l’âne guidant Stevenson dans les Cévennes. La route, contrairement au chemin, a une détermination technique, et sera ainsi à l’origine d’une nouvelle relation au paysage. Les chemins ne menaient visuellement nulle part, la route quant à elle, permet au regard de se porter au-delà de celle-ci et de découvrir un paysage plus lointain. Cette invention de la route, une fois combinée à la vitesse du chariot ou de la diligence, rend possible la naissance d’un paysage en


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mouvement particulier vu de la route; au travers d’un cadre constituant un

paysage multisensoriel et multiscalaire. Ce paysage peut ainsi être détaillé dans le lointain, l’intercalaire et le proche. « La route du XVIIIème siècle n’est [alors] pas seulement une aventure technique, c’est aussi un paysage 28 ». La route, indissociable alors de la vitesse de la voiture à cheval, est donc le révélateur spatial qui assure la visibilité des paysages traversés. Par après, suite à l’apparition de la locomotive qui engendra la périurbanisation, le paysage en mouvement changea. La vitesse ferroviaire entraina avec elle une dépossession du voir due à une mise en recul du paysage et de l’environnement proche. Le train sera le véhicule du paysage que l’on contemple, l’air hagard et rêveur, perdu dans nos propres pensées en regardant au travers de la vitre un paysage inatteignable.

28 . Desportes, Marc, Paysages en mouvement (Gallimard, 2005), p79 cité dans: Mongin, Olivier, La Ville Des Flux: L’envers et L’endroit de La Mondialisation Urbaine (Paris: Fayard, 2013)

Le chemin de fer laissa toutefois vite sa place à l’automobile qui favorisa les métamorphoses de l’espace urbain et favorisa des connexions plus rapides entre les territoires urbanisés, avec la création de l’autoroute. Au temps de la création de cette dernière, l’automobile n’est cependant pas plus rapide que le train, toutefois, la vision depuis le véhicule poursuit la dépossession du territoire et du paysage débuté par le voir ferroviaire. Assis derrière son volant, le conducteur ne peut se laisser porter par ses pensées et ses rêves, et doit dès lors conserver toute son attention pour la concentrer sur la route qui s’illumine devant lui. Le regard latéral, propre aux anciennes formes de déplacement est par conséquent proscrit, remplacé par les rétroviseurs. Ce déficit de latéralité qui constituait le paysage en mouvement de la diligence et du train, devient alors la condition d’une poussée vers l’avant, le paysage disparait et l’espace découvert durant le trajet autoroutier ressemble de plus en plus, avec l’augmentation des vitesses, à une « troué vers l’avant, dont les bords fuiraient inexorablement. La

perspective générale du cadre extérieur est [à cette occasion] modelé par cette orientation frontale: les éléments très lointains apparaissent presque immobile et offrent le fond du décor. 29»

Le conducteur se trouve au milieu d’un couloir d’espace et de temps, le véhicule lancé à toute vitesse ne dispose pour lors plus de cette fenêtreécran latérale, qui était encore présente dans le train. La vision autoroutière est donc une vision contrainte et normalisée par les médiations inédites que sont le pare-brise – cet écran tourné vers l’avant - et les rétroviseurs latéraux et centraux. Là où le train proposait encore un monde discontinu mis en place autour de connexions et d’arrêts; le passager-conducteur de l’automobile, comme s’il était prisonnier d’un réseau, est entraîné, quant à lui, dans une fuite désespérée vers l’avant, passant de connexion en connexion dans un univers frontal où tout imprévu est vécu comme un surgissement. C’est ce que Hartmut Rosa 30

29

. Ibid., p312

30 . Cité dans: Mongin, Olivier, La Ville Des Flux: L’envers et L’endroit de La Mondialisation Urbaine (Paris: Fayard, 2013)


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nomme l’immobilité fulgurante. Une très grande vitesse combinée à un sentiment de surplace. Le point d’arrivée se confond avec le point de départ, phénomène amplifié par l’accoutumance des trajets inlassablement répétés.

UNE THÉORIE DES NON-LIEUX

31 . Augé, Marc, Non-Lieux: Introduction À Une Anthropologie de La Surmodernité, La Librairie Du XXe Siècle (Paris: Seuil, 1992)

32

. Ibid., p122

Après avoir été confronté à cette vision de la mobilité automobile, propre à ces navetteurs de Le Breton, et décrite par O. Mongin; je n’ai pu m’empêcher d’y entrevoir un rattachement possible avec une certaine définition des nonlieux spécifique à Marc Augé 31. Comment n’aurais-je pu voir, en effet, dans cette fuite frontale de l’automobilité, dans la perte du paysage en mouvement, dans ce couloir automobile caractérisé par les panneaux de signalisation que l’on entrevoit dans ce lointain déjà si proche; la définition des non-lieux de la surmodernité qui se définissent par les mots et les textes qui nous imposent leur mode d’emploi, s’exprimant de manière prescriptive, prohibitive et informative et ayant recours au pictogrammes et autre idéogramme codifié par les institution. Il n’est d’ailleurs pas étonnant que dans « non-lieux », M. Augé prenne explicitement l’exemple de l’autoroute pour définir et approfondir sa théorie: « On ne traverse plus les villes, y écrit-il, […] le voyageur est en quelque sorte dispensé d’arrêt et même de regard […] le paysage prend ses distance et ses

détails architecturaux ou naturels sont l’occasion d’un texte, parfois agrémenté d’un dessin schématique lorsqu’il apparait que le voyageur de passage n’est en réalité pas vraiment en situation de voir le point remarquable signalé à son attention[…] le parcours autoroutier […] évite par nécessité fonctionnelles, tous les hauts lieux dont il nous rapproche, mais il les commente 32 », faute de

33

. Ibid., p126

nous laisser le temps de les entrapercevoir. Ces textes de Marc Augé qui saturent l’espace automobile sont les mêmes textes qui se retrouvent dans les supermarchés devant lesquels d’immenses parkings attendent patiemment que l’on vienne y garé notre véhicule. Une fois à l’intérieur de ces magasins, on y circulera – d’ailleurs; le vocabulaire n’est pas anodin – silencieusement derrière son cadi, on évitera certains des allées inutiles à nos achats, en y planifiant notre parcours le long de rayons portant leur nom propre, on consultera les étiquettes, y pèsera nos fruits et légumes à l’aide d’une machine avant de se rendre à la caisse enregistreuse où une personne peu loquace y scannera nos articles, avant d’insérer sa carte de crédit dans une machine un peu plus bavarde, dans ses encouragements constituant cependant de véritables rappels à l’ordre.. Toutes ces « interpellations qui émanent de nos routes, de nos centres commerciaux […] visent simultanément chacun de nous,[...] n’importe lequel d’entre nous : elles fabriquent l’homme moyen 33 » qui tous les matins ne rechignera pas à entamé sa journée de la même manière que la précédente, à la même heure, par les mêmes embouteillages, et qui se nourrira des produits


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qu’on en commun ces mêmes grandes surfaces qui le formate jour après jour. A l’intérieur de ces non-lieux, les individus s’oublient, ils sont pour un certain temps libéré de leur identité, ils sont ce qu’ils y font et ce qu’ils y vivent en tant que clients passagers et passagers-clients. L’environnement qu’ils habitent dans ces lieux, qui n’en sont en fait pas, les éloigne de leur propre personne. Que les personnes assises derrière leur volant se permettent tant d’incivilité et changent parfois même de comportement, n’a pas à être considéré comme un phénomène étrange, ceci est le résultat d’une dépersonnalisation lié à l’environnement temporaire qu’ils occupent et qui les met à l’écart, par ce rapport frontal et cette fuite vers l’avant, du paysage environnant qui forme leur vraie personnalité. « C’est avec une image de lui-même qu’il se trouve confronté, nous raconte M. Augé, mais une bien étrange image de la vérité.

34

. Ibid., pp129-130

Le seul visage qui se dessine, la seule voix qui prenne corps, dans le dialogue silencieux qu’il poursuit avec le paysage-texte qui s’adresse à lui comme aux autres, ce sont les leurs – visage et voix d’une solitude d’autant plus déroutante qu’elle en évoque des millions d’autres. Le passager des non-lieux ne retrouve son identité qu’au contrôle de douane, au péage ou à la caisse enregistreuse. En attendant, il obéit au même code que les autres, enregistrent les mêmes messages, répond aux mêmes sollicitations. L’espace du non-lieu ne crée ni identité singulière ni relation, mais solitude et similitude. 34» De ces lieux qui n’en sont pas résultent principalement deux choses. La première est le dessin d’un monde de consommation dans lequel tout individu agit de la même manière, un monde remplit de message snous formatant continuellement et paradoxalement, par ce phénomène de désingularisation, nous individualisant. La deuxième est qu’il est alors évident, qu’un individu qui avance vite et sans réfléchir ne se retourne pas. Il apparait irrémédiablement que ces paysagetextes sont présents pour une certaine raison, nous orienté; toujours plus, toujours plus souvent et toujours plus rapidement. La rapidité est synonyme de vitesse, la vitesse est la dérivée du déplacement par rapport au temps et le temps, comme disait Benjamin Franklin, c’est de l’argent.

UN NOUVEAU RAPPORT AU TEMPS Au fil des siècles, les êtres humains ont construit leur environnement selon trois éléments principaux: « les opportunités spatiales, le surplus économique dégagé par ses activités et [enfin,] le temps. C’est cette dernière

dimension temporelle qui devient centrale dans l’émergence d’une nouvelle société urbaine 35 ».

35 . Gwiazdzinski, Luc, ed., La Ville 24 Heures Sur 24: Regards Croisés Sur La Société En Continu (La Tour d’Aigues: Aube : Datar : Diffusion Seuil, 2002), p20


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36 . Rabhi, Pierre, Vers la sobriété heureuse (Arles: Actes Sud, 2013)

Mais il n’en a pas toujours été ainsi, au début de son roman: « la sobriété heureuse », Pierre Rabhi 36 nous conte l’époque où l’industrie de la houille n’était pas encore apparu dans son petit village d’Algérie, le temps était alors celui des marchands, de l’alternance répétitive du jour et de la nuit et de la succession des saisons.

37 . Minkowsi, Eugène, Le temps vécu (Neuchatel, Delachaux et Niestlé, 1978). Cité dans : Gwiazdzinski, Luc, op.cit., p20

Eugène Mirkowski quant à lui dans « le temps vécu » nous dis « qu’à travers les découvertes techniques, l’homme cherchait sans cesse à vaincre l’espace et le temps 37 ». Je pense que l’homme a en effet toujours voulu

vaincre l’espace, le dominer; en ce qui concerne le temps par contre, j’estime qu’il s’agit d’une tout autre histoire. L’apparition du temps comme valeur comptante n’est, quand on y pense, que toute récente puisqu’elle apparait, il me semble, avec la révolution industrielle et la fin du XVIIIème siècle; à l’heure – justement – de la de la généralisation des cadrans et des aiguilles de l’horloge sous leur forme portable: la montre. Ce fut par la suite, l’invention du pointage dans les usines, ainsi que de la sirène remplaçant les cloches de l’église rythmant les périodes de la journée. La société industrielle imposa au monde son temps, ignorant les temps morts du jour et de la nuit, ignorant les saisons, les temps religieux et tout cela, au nom du temps de la production capitaliste de masse.

38 . Rabhi, Pierre, op.cit., p19

Mais être productif dans quel but? Pierre Rabhi nous raconte ainsi l’histoire des premiers mineurs algériens qui, après avoir empoché leur premier salaire, se remirent pour un temps à leurs activités séculaires. Quelques semaines plus tard, de retour aux mines, leur embaucheur leurs demanda pourquoi ils n’étaient pas revenu travailler plutôt, la réponse fut simple et immédiate: « ils répondirent avec candeur

qu’ils n’avaient pas fini de dépenser leur argent: pourquoi donc travailleraientils? 38 »Avec la société moderne, le temps est devenu argent et l’argent le seul

moyen qu’on nous enseigna pour subvenir à nos besoins et à nos attentes en tant qu’Homme. Le temps fut alors irrémédiablement la notion après laquelle tout le monde couru, et comme explicité ci-dessus, du temps dérive la vitesse. Le temps dérive de la vitesse

Le XXème siècle sera dès lors l’époque de la vitesse et de la course après le temps. « Alors que le temps de travail s’emballe dans la frénésie de produire 39 . Gwiazdzinski, Luc, op.cit., p23

et grignote sur la nuit, le temps libre est devenue [quant à lui] un temps rempli d’obligations 39 » qu’on ne sait plus comment combler.

Paradoxalement, la réponse à la question de ces ouvriers algériens, inventée en ces temps, fut la consommation de masse. Ce fut la plus belle réussite du monde moderne: faire en sorte que nous produisions par notre


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travail ce pour quoi nous travaillerons. Face à ce temps dont on ne sait plus que faire, la vitesse procura un sentiment de libération et de fuite, nous dispensant de nous poser les questions sur le but de notre existence. Alors le monde courra, encore et toujours plus, s’en oublier d’accélérer, par la même occasion. La seconde des temps modernes sera remplacée par la microseconde de l’économie, de la bourse et du néocapitalisme. « Sous pression, soumise à cette idéologie de l’urgence et de l’emballement

et face à tant de responsabilité, nos emplois du temps craquent et nous avons sans cesse l’impression, éternels frustrés, de manquer quelque chose. L’attente [et le temps libre] ne sont plus promesses ou perspectives mais deviennent des retards irritants à la concrétisation d’une demande urgente. 40 »

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40 . Gwiazdzinski, Luc, op.cit., p24

( Manque de ( Temps ) et santé ) A la recherche du temps soi-disant perdu, l’Homme le trouva dans la nuit. Poursuivant le grignotage des temps morts, la société colonisera le dernier espace-temps disponible. La lumière prend possession de l’espace urbain supprimant l’obscurité inquiétante de la ville. Mais cela aura un prix. Peu de gens en ont connaissance, mais en l’absence d’une stimulation extérieure régulière telle que l’alternance du jour et de la nuit ou d’horaire fixe et régulier, le corps humain ne fonctionne pas selon un rythme journalier de vingt-quatre heures, mais bel et bien de vingt-cinq. C’est ce que l’on appelle la période propre du rythme du corps humain. Cette période s’ajuste et se calque sur les vingt-quatre heures de la journée sous l’influence de paramètres environnementaux que l’on appel pour cette raison, des synchronisateurs. « Il

apparait ainsi que l’homme est sensible au synchronisateurs environnementaux, mais il l’est plus encore aux impératif de la vie familiale et de la vie sociale […] ces activités qui se répètent chaque jour avec une grande régularité ont pour effet de synchroniser les rythmes des fonctions physiologique sur une base de vingt-quatre heures. 41»

41

. Ibid., p90

Dans la ville en continue, ou globale, pour reprendre les mots de Saskia Sassen, la ville dans laquelle nous vivons donc actuellement; l’espace-temps nocturne se voit graduellement colonisé par la vie diurne qui se prolonge après le couché du jour. « Les conditions de vie se rapprochent alors des

conditions expérimentales du libre cours, du fait de la mise hors circuit des synchronisateurs qui remettent à l’heure quotidiennement les rythmes de l’individu. 42 » Les phases du rythme biologique sont perturbées, provoquant

des troubles comportementaux, migraines, sensation de fatigue…

Le sommeil est aussi synchronisé par la mélatonine que l’on surnomme d’ailleurs l’hormone du sommeil. C’est sa sécrétion qui donne au corps humain l’envie de sommeil, seulement celle-ci est influencée par les cycles lumineux.

42

. Ibid.


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43 . Adieu sommeil, DATA GUEULE n°43, Vidéo youtube

L’éclairage nocturne ainsi que la lumière bleus qui jaillit des multiples écrans dispersés dans les moindres recoins de notre journée, joueraient le rôle de perturbateur hormonal décalant ainsi notre cycle de sommeil. 43 Mais si les gens se couchent plus tard, l’heure du réveil quant à elle ne se modifie pas. Entre le début du XXème siècle et nos jours, le sommeil moyen a baissé de trois heures et trente minutes. Et nous savons pourtant que le manque de sommeil engendre obésité, diabète et maladie coronariennes…

44 . Gwiazdzinski, Luc, op.cit., p39

Soumis à la dictature de l’urgence, des conflits apparaissent en chaque être humain afin d’établir ses priorité. Le conflit devient permanent entre d’une part notre nous-consommateur de richesse et notre nous-producteur voulant conserver sa qualité de vie: « entre le salarié et l’usager, la schizophrénie guette. 44 » Mais revenons à notre fil conducteur. Si l’on vient de voir que la voiture, en tant que symbole d’un monde qui s’accélère, produit, amplifie et nous offre à voir les méfaits de ce monde en continu des réseaux mondiaux, l’automobile produit d’autres effets indésirables, plus palpables que le temps et son accélération.

LES POLLUTIONS AUTOMOBILES Si nous avions dû, au XVIIIème ou au XIXème siècle, aborder le problème de la pollution atmosphérique, ce chemin nous aurait mené à la description des odeurs émanant de la ville, toutes plus insidieuses et corrompue les unes que les autres. Nous aurions décrit les abattoirs, les boyauderies et les suiferies qui empestaient la cité par leurs activités. Sans revenir sur les ordures, les boues ou encore les fleuves dans lesquels les égouts se déversaient. Au début du XXème siècle, nous nous serions arrêtés sur le smog anglais, contraction des mots « smoke » et « fog », le terme est inventé en 1905 pour décrire le mélange de fumée et de brouillard qui se répandait périodiquement dans les rues de Londres engendrant des vagues d’épidémie de maladies respiratoires. Aujourd’hui, toutes ces sources visibles de pollution atmosphérique ont disparu de notre paysage quotidien, les abattoirs ont quitté les centres-villes, les industries en ont fait de même et celles qui y ont persisté sont désormais régies par des normes environnementales drastiques. Les pollutions atmosphériques urbaines, de nos jours, ne sont principalement plus assurées que par les automobiles qui y roulent; et les derniers scandales en date, à commencer par l’entreprise allemande Volkswagen, démontre que cette pollution risque belle et bien de perdurer. Une récente étude française ayant suivie le scandale dévoilait en mai 2016


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que 100% des 52 modèles automobiles testés produisaient entre 20% à 50% de gaz carbonique en plus que ce qui était légalement déclaré.45 Rejets atmosphériques

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45 . Pollution Automobile : 52 Modèles Testés, 52 Infractions. Un sans Faute Pour La Triche, La Relève et La Peste, 04.05.16 [EN LIGNE]

Le trafic automobile constitue une source de pollutions urbaines sous deux formes différentes, sous formes d’émissions gazeuses, principalement, mais aussi sous diverses formes résultant de l’altération des composants du véhicule. Pollutions gazeuses L’essence, nourriture inconditionnelle de l’automobile, est composée d’un mélange très volatile d’hydrocarbure, de composants chimiques dérivés du pétrole brut ainsi que, dans le cas du diesel plus spécifiquement; de substances chimiques sous forme de gaz ou de particule comme les oxydes d’azotes, le monoxyde de carbone, le formaldéhyde ou encore le benzène. Dégageant, une fois brulée à l’intérieur du moteur à combustion, des millions de microparticules fines et ultrafines. La réaction entre l’oxyde d’azotes et certains de ces composants volatiles organiques crée par exemple l’ozone urbain, composant le smog dont les alertes deviennent de plus en plus courantes de nos jours. Une fois inhalée, l’ozone provoque des symptômes comme l’aggravation de l’asthme, des maladies pulmonaires en générale et des maladies cardio-vasculaires. Menée dans les année nonante en Californie, l’étude Children’s Health 46observa sur les enfants vivant dans des quartier présentant un fort taux d’oxyde d’azote un retard de 10% dans le développement de leur système pulmonaire ainsi que des apparitions plus fréquentes de bronchite et d’asthme chez les enfants passant de long moment à l’air extérieur. Que ce soit les particules fines, l’ozone, le monoxyde de carbone, les oxydes d’azote et de souffre, tous ces composants sortant des pots d’échappement entrainent systématiquement des problèmes de santé principalement pulmonaires et cardiovasculaires, ainsi que des irritations aux niveaux des globes oculaires et des maladies des voies respiratoires comme la gorge ou la trachée. Selon l’organisation mondiale de la santé – OMS -, 10% des cancers seraient aussi directement imputables à la seule pollution atmosphérique.47 En Région de Bruxelles-capitale, le coût de la pollution de l’air est de septante millions d’euros par ans.48 L’altérité des véhicules Bien que moins importante, la pollution automobile passe aussi par toutes sortes de dégradations des composants qui la composent.

46 . Cité dans: Demers, Marie, Pour une ville qui marche: aménagemement urbain et santé (Montréal: Éditions Écosociété, 2008)

47 . 80 % Des Cancers Dus À La Dégradation de L’environnement : L’urgence D’agir, La Relève et La Peste, 21.06.16 [EN LIGNE]

48. IBGE, rapport 2007-2010, www.environnement.brussels


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49 . Barles, Sabine, Le Sol Urbain, Collection Villes (Paris: Anthropos, 1999)

50

. Ibid.

De la santé (et) de la ville

Cela va du carburant, des huiles et des graisses de moteur qui se répandent sur les chaussées, à l’abrasion des pneumatiques et des plaquettes de frein, en passant par la détérioration de la carrosserie par les pluies acides – résultant de la pollution atmosphérique – ou en hiver, par le sel d’épandage contre le verglas.49 L’usure des pneumatiques libère des résidus de caoutchouc et des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), de souffre, de zinc et de calcium; les plaquettes de frein, des métaux lourds; et les carrosseries, du fer, du nickel, du chrome ou encore du cuivre. A cela s’ajoute l’usure des revêtements routiers qui libère du quartz, du talc, des particules de bitumes, de granulats enrobés, du calcite ainsi que des composants de peinture servant à la signalétique.50 Tous ces composants se retrouvent par la suite dans les rues, sur les trottoirs, sous nos chaussures puis dans nos maisons. Dès les premières pluies, toutes ces particules sont alors entraînées par ruissellement vers le système d’égouttage puis acheminées, soit vers les stations d’épuration, soit directement rejetées dans les cours d’eau ou dans les sols par infiltration. Ceux-ci polluent alors ces mêmes cours d’eau ainsi que les lieux qu’ils traversent. En ville, le ruissellement les entraine parfois jusque dans les espaces verts ou dans nos jardins où certains de ces composants pourront par la suite, sous l’effet de l’humidité, se dilué dans l’air ambiant et contaminer les résidents et les passants par voies respiratoires. Pollutions sonores

51 . IBGE, op.cit.

Le bruit est une notion subjective, on la définit habituellement comme un son perçu comme désagréable. Il se mesure physiquement en décibel – dB – mais lorsqu’il s’agit de rendre compte du niveau sonore réellement perçu par l’oreille humaine, on utilise le décibel pondéré A, dB(A). Deux autres notions du son souvent utilisées sont le Lnight, celle-ci caractérise le bruit nocturne enregistré le long des façades, et le Lden qui caractérise le niveau sonore pondéré sur 24h avec la prise en compte de correction en décibel pour les périodes du soir - +5dB(A) – et de la nuit +10dB(A) –, les bruits durant ces deux périodes étant ressenti comme plus gênants. Dans la partie précédente de ce chapitre était abordés les méfaits sur la santé causés par un manque de sommeil régulier. Il ne nous semblera sûrement pas surprenant qu’avec la luminosité, le bruit est un des facteurs principaux impactant le sommeil des populations urbaines. Dans son rapport 2007-2010, l’institut bruxellois pour la gestion de l’environnement – IBGE – publiait une étude consacrée à l’exposition de la population de la Région de Bruxelles-capitale aux bruits.51 Il en ressort que le trafic autoroutier représente la première cause d’affection par le bruit.


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Moteur, ça roule !

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Quarante-trois pourcents des Bruxellois sont ainsi susceptibles d’être exposés à des niveaux Lden supérieurs à 55 dB(A), seuil à partir duquel l’environnement sonore est considéré comme «relativement bruyant»; et onze pourcents à des niveaux dépassant les 65 dB(A), qualifiés de «bruyant». La nuit apporte les mêmes données avec quarante-sept pourcents, encore, des Bruxellois qui seraient exposés cette fois à des intensités sonores nocturnes, Ln, supérieures à 45 dB(A); ce qui est le seuil pour lequel l’OMS considère la perturbation sur le sommeil comme étant modérée à forte. Et cela, pour le seul bruit routier. Si les impacts du manque de sommeil nous sont déjà connu, il s’agit maintenant d’en explicité ceux relatifs à une exposition prolongée de stimulus sonores considérés comme bruyant au cours de la journée. Perturbation du pouls, de la pression artérielle et de la transition du rythme cardiaque; anxiété, dépression, stress chronique ainsi que baisse de la concentration en sont les symptômes courants. Différentes études menées par des psychologues de l’industrie au cours du XXème siècle ont aussi mis en évidence la perte d’efficacité des travailleurs exposés aux bruits 52 et les tensions infligées au système nerveux par ces travailleurs afin de contrecarrer cette baisse de rendements. Cependant, fort de toutes ces données, le niveau sonores ne fait encore qu’augmenter. A cette profusion incessante de bruits automobiles, notre société, par son mode de vie, y rajoute de nouvelles sources; dans les magasins, les restaurants, les cafés, les musiques d’ambiances par exemple sont aujourd’hui omniprésentes, allant dans certains magasins de vêtements jusqu’à dépasser les limites autorisées pour les lieux publics. Technique de marketing ou « antidote à la peur diffuse de n’avoir rien

à dire […] la musique d’ambiance serait devenu une arme efficace contre une certaine phobie du silence.53 » Pour s’en convaincre, rien de mieux qu’un

voyage en transport en commun, les casques sur la tête, les écouteurs dans les oreilles, le silence règne par l’absence de conversation mais dans les écouteurs, le son est bel et bien au maximum.

52 . Schivelbusch, Wolfgang, op.cit.

53

. Ibid., p205

Pour notre société postmoderne, le silence serait pour certains auteurs un reste, le dernier espace en friche de notre civilisation, libre d’usage. Mais dès lors, cet espace-temps libre, selon une logique marchande et productiviste propre à notre économie, ne sert à rien, note David Le Breton. « Il occupe

un temps et un espace qui pourrait bénéficier d’un fin vouée à un meilleur rendement. […] Le silence est un reste, ce que le bruit n’a pas encore pénétré ni altéré, ce que les moyens ou les conséquences de la technique épargnent encore.54 »

54

. Ibid.


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De la santé (et) de la ville

UNE PRIVATISATION DU SILENCE Avec cette dernière partie portant sur le silence, j’aimerais nous amener à orienter notre attention sur un dernier constituant de notre santé qui est particulièrement mit à mal dans les villes: notre capacité d’attention, justement. « L’attention, nous rappel Matthew Crawford, est la chose la plus

55 . Cité dans: Comment le monde actuel a privatisé le silence, Télérama, 07.03.16 [EN LIGNE]

personnelle qui soit: en temps normal, nous sommes responsable de notre aptitude à la concentration, et c’est nous qui choisissons ce à quoi nous souhaitons prêter attention. Mais l’attention est ainsi une ressource, comme l’air que nous respirons ou l’eau que nous buvons. Sa disponibilité est au fondement de toutes nos activités. De même, le silence, qui rend possible l’attention et la concentration, est ce qui nous permet de penser. Or le monde actuel privatise cette ressource, ou la confisque. 55 » On nous la confisque, en effet, avec la musique ambiante; on nous la confisque avec le son des voitures, on nous la confisque avec l’abondance de technologie mis à notre disposition, on nous la confisque lorsque le bruit incessant nous oblige à nous retirer en dessous d’un casque audio, et on nous la confisque avec une abondance d’information incessante.

Les rouages de notre société actuelle craignent le silence, parce que celui-ci nous permet de ralentir, de réfléchir. Il stoppe cette fuite en avant, cette accélération constante, produit de notre environnement technologique. La ville étant le terrain de jeu de l’économie produisant l’accélération, celleci a l’obligation de ne pas ralentir, le silence ne peut exister. La journée se prolonge dans la nuit et emprisonne le silence nécessaire à notre sommeil et à notre récupération; la musique s’insinue partout et à toute heure; les klaxons, définition parfaite du symbole de l’impatience, nous agresse à longueur de journée, et dans les rues fleurissent les informations visuelles, trop d’informations visuelles. Car l’attention humaine est loin d’être une ressource infinie, et quand elle s’épuise, le corps et l’esprit vacillent avec elle, le corps se fatigue. Et pourtant, les paysage-textes d’Augé remplissent de plus en plus le paysage urbain: panneaux de circulation, panneaux d’information qui se superposent désormais à une masse d’information indicible: affiches de concert, de cinéma, de théâtre, d’exposition; enseigne de restaurant et de magasin, écrans géants, écrans d’arrêt de bus, horaires d’ouverture et de fermeture, publicités et j’en passe. Un trop plein d’informations optiques, mais aussi auditives que le cerveau n’arrive pas à gérer. Un fois l’esprit et le corps fatigués, la patience s’en va, le temps-patient spécifique à la réflexion n’est plus et sans cela, le temps de l’urgence reprend son droit, le stress et la dépression se réinstalle si cela n’était pas déjà fait. Un jour, l’Homme devra réapprendre à être patient, il y sera obligé. Quand la machine économique boostée au pétrole s’épuisera, viendra le


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temps du ralentissement, la fuite en avant cessera, l’Homme se retournera et comprendra que le déficit de latéralité qui tient tant à Olivier Mongin, corollaire de la vitesse qui accompagna l’Homme dans ses mouvements jusqu’à ce moment présent, n’était peut-être pas qu’une théorie. Espérons qu’il soit cependant prêt à en découvrir les conséquences.

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Une histoire des établissements urbains

TROISIEME PARTIE

MARCHE TA RUE!

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Les dictionnaires de la langue française définissent l’interstice comme «l’espace situé entre les éléments d’un tout» ou simplement comme « un espace entre deux éléments». Ces dernières années, la question de l’interstice a été étudiée par bon nombre de spécialiste désireux, la plupart du temps, de convertir ces nombreux sousespaces de la ville – allant de l’arrière-cour aux terrains vagues, en passant par des ilots en chantier – à l’aide de microprogrammations; ces programmes servant la plupart du temps comme activateurs de lieux afin de créer ou de recréer du lien social, de favoriser les échanges, d’accentuer l’entraide, etc. Il semble cependant qu’aux cours de ces années, la plupart de ces personnes soient, de manière délibérée ou non, passé à cotée de la question du plus grand interstice qu’offre la ville: la rue.


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Marche ta rue !

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POUR UNE VILLE SOCIABLE LA RUE COMME ESPACE COMMUN La rue n’est ainsi qu’un vide entre les immeubles, nous apparaissant comme un espace de circulation pour les nombreux piétons et les plus nombreuses automobiles. La rue est l’espace par excellence de circulation des corps. Ce qui est visé ici, c’est bien entendu la rue moyenne des villes, principalement occidentales; avec ses trottoirs, ses cafés, ses trams, ses boutiques, etc. Cette rue est la rue qui condense les réalités du fait urbain, en tant que telle, elle devrait, il me semble, revenir comme la question principale de l’espace construit. Cette rue est par excellence le lieu où se construit la vie commune, le lieu où peuvent se distinguer les relations entre la vie publique et la vie privée. La rue est enfin, la forme urbaine où se constitue, ou plutôt s’exemplifie, la sociabilité nécessaire à la vie commune d’une cité, d’un quartier. Marcel Hénaff illustre dans « La ville qui vient », les composantes de la vie commune, créées dans et par la rue, pour en retenir quatre: la vicinalité, la civilité, la visibilité et la diversité.1

1

. Hénaff, Marcel, La ville qui vient (Paris: l’Herne, 2008)


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La vicinalité

2

. Jacobs, Jane, Déclin et survie des grandes villes américaines (Liège (Belgique): Mardaga, 1991), p66

Elle marque le caractère de solidarité, qui se crée entre les habitants d’une même rue ou d’un même quartier, elle est liée au sentiment d’appartenance à ces derniers. Effectivement, l’entrecroisement répété des membres d’un voisinage occasionnent des rencontres, des discussions fortuites ou tout simplement une reconnaissance de l’autre. « La plupart des contacts sont superficiel, mais leur somme ne l’est pas 2 », c’est ce que notait Jane Jacobs dans son essai sur le déclin des villes américaines. La civilité Puisque la rue est le lieu où l’on croise les habitants de son quartier et que cela occasionne un sentiment inné d’appartenance; elle est par là même, l’endroit où se manifeste cette reconnaissance par la courtoisie. « Cette civilité de la rue, nous fait remarquer Marcel Hénaff, est d’autant plus remarquable

3

. Hénaff, Marcel, op.cit., p208

qu’elle assume la certitude que ces gens croisés un instant resteront probablement [...] des étrangers 3 ». La rue offre, il est vrai, cette étrange relation de voisinage dans laquelle on se surprend à sourire chaleureusement à l’une ou l’autre personne, tout en sachant pertinemment qu’il ne se passera rien d’autre au-delà de ce geste de savoir-vivre. Ce sentiment tend par la même occasion à se dissiper à mesure que l’on s’éloignerait de son lieu d’habitation ou même, dès lors que l’on quitterait tout simplement sa rue. Cette rue, en ce qu’elle s’offre comme un espace commun serait alors ressentie comme une offre de paix et de sérénité dans laquelle, à la fois l’espace privé, à défendre, disparait; et dans laquelle l’espace public des protocoles ne se manifeste pas encore. En cela, il appartient à toutes et à tous comme espace de liberté et d’estime de l’autre. La visibilité La rue s’offre également comme un lieu de rencontre. Rien ne vous empêche effectivement de franchir le pas du sourire bienveillant et d’entamer une conversation avec les personnes croisées. Mais la rue est aussi ce lieu d’exposition de soi où l’on peut être vu sans être reconnu. La rue devient ainsi cet espace où finalement, tout le monde vous importe puisque tout le monde peut vous voir et vous estimer. C’est pourquoi, on ne sort rarement dans la rue sans un souci de représentation et un désir de plaire. La diversité La rue est donc le lieu de la diversité. L’endroit où tout le monde s’exposent est, et demeurera, la rue. Elle le restera, justement parce que,


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contrairement aux cafés, aux restaurants ou aux magasins, elle ne propose aucun programme qui pourrait exclure une partie de la population. La rue demeure inégalée comme espace de diversité, d’accueil et d’expression. Pour ces raisons, le refus d’accès, à une rue, engendré par des évènements publiques ou privés – cérémonies politiques, sportives, religieuses ou culturelles – peut apparaitre inacceptable en ce qu’il revient à nier la ville par l’intermédiaire de la rue. Plus précisément, c’est que la rue est perçue comme le creuset de la liberté, comme une expression de la démocratie et comme espace d’ouverture inconditionnel. L’expression descendre dans la rue, lorsque le peuple sort défendre ses libertés, est alors toute venue. La rue serait ainsi l’espace privilégié relevant du monde commun, explicité par ses composantes et relevant la multiplicité des atmosphères propres aux différents quartiers. Ce lieu commun est dès lors, l’espace constitué des pratiques interrelationnelles élaborées dans la rue, comme le sont les liens de voisinages marqués par les rencontres mais plus essentiellement encore, par les mœurs et les traditions de toutes sortes, qui s’y installe par le débordement de la sphère privé dans l’espace public. Toutes ces pratiques du monde commun sont ainsi ce qui confère la particularité et l’identité de ce que l’on entend par monde social. « Elles forment l’atmosphère dans laquelle est ressenti et compris la relation à l’espace public. 4 »

LA VILLE MÉDIÉVALE La ville qui a sans aucun doute, le mieux supporté cet espace de la rue comme espace commun et comme lieu de sociabilité serait la ville médiévale de l’époque du Moyen Age. La rue médiévale Comme explicité dans la premier partie de ce mémoire - p29 -, la ville du Moyen Age se crée à partir de celle de l’Antiquité, en brouillant le plan aéré en damier qui configurait cette dernière, en rétrécissant et en s’organisant autour du castrum où s’abritait la noblesse; des rues étroite se forment, s’entrecroisent et s’enlacent alors à l’intérieur d’un habitat regroupé. C’est dans ce dédale de rues, indifférent aux effets de perspectives, où le regard se déplace de proche en proche, où les rues débouchent par surprise sur de minuscules places, que va grandir cette culture de la vicinalité que nous venons d’aborder. C’est dans ce fouillis urbain dense que va naître et se développer la vie

4

. Ibid., p200


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5. Ibid., p60

De la santé (et) de la ville

communautaire et ce que nous appelons depuis, l’habitabilité: « Un espace où il fait bon vivre, où s’établit une familiarité entre le corps et les lieux: où il est agréable de marcher et de se rencontrer 5. »

L’image même de cette ville, qui apparait dans les iconographies d’époque, se manifeste comme un ensemble dense et monumental dans son ensemble, comme un tout compact et organique. C’est dans ces villes médiévales que s’affirmeront d’ailleurs les libertés civiques, que les classes marchandes et artisanales s’émanciperont du pouvoir féodal, que les droits communaux s’affirmeront et que se créeront les lieux de savoir que sont les universités. L’espace de la ville médiévale rompait avec la perspective de la ville antique, ce avec quoi renoua la période renaissante. Durant la Renaissance, le voir prit le dessus sur l’habiter. Les espaces médiévaux, organisés pour le débat citoyen, se transformèrent en espaces théâtraux où y furent mises en valeur les caractéristiques de l’espace scénique du spectacle qu’était devenue la ville. Plus vraisemblablement, les rénovations de la Renaissance tendent à négocier avec les espaces hérité du médiéval qui y demeurent bien présents. Vint, après la période renaissante, la période industrielle; la ville s’étend ainsi en se constituant de taudis où, malgré l’insalubrité, continua de se développer cette habitabilité de la ville, jusqu’au milieu du XIXème siècle, où les percements et la délocalisation de la main-d’œuvre engendrèrent une aération des villes ainsi qu’une dédensification de celles-ci. L’hygiénisme aurait-il ainsi entamé la destruction de la sociabilité des villes européennes? Rien n’en est moins sûr.

FROM STREET TO ROAD En parallèle de la mise en place de l’hygiénisme, le développement de la voiture - une fois encore – hippomobile puis motorisée engendra diverse slégislations bousculant certaines habitudes urbaines. Jusqu’à la fin du XVIIIème siècle, à l’époque où le tissu urbain médiéval et renaissant cohabitent toujours, la circulation urbaine était évidemment fort différente de ce que l’on a l’habitude de vivre de nos jours. Les piétons circulaient dans les rues, entourés de cavaliers, de voitures à cheval et de bétails sans qu’aucune différenciation hiérarchique ne soit visible dans la configuration de l’espace de la chaussée. Vint ensuite l’apparition du trottoir au début du XIXème siècle. Initialement conçu pour mettre à l’abri des eaux ruisselantes les piétons, les trottoirs marquent par la même occasion la séparation des flux piétonniers des autres choix modaux, permettant alors pour la première fois de gérer le trafic hippomobile grandissant lentement au sein des villes.


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Les premières législations se mettent donc en place afin d’implanter le trottoir dans les rues - à Bruxelles, l’obligation d’aménager un trottoir devant chez soi se retrouve, par exemple, dans chaque permis de bâtir dès les années 1820 – ainsi que, par la même occasion, se créent des législations visant à dégager ces trottoirs de tout ce qui pourrait faire obstacle à la circulation piétonne: interdiction des saillis pour les habitations par exemple ou encore, obligation pour les habitants de nettoyer le pas de leur porte, etc. Malgré cette première séparation hiérarchique de la chaussée, de nombreuses gravures où photographies d’époque nous dépeignent des piétons se déplaçant toujours au beau milieu de la chaussée. Inertie culturelle d’une part, choix logique de l’autre, puisque malgré l’instauration des réglementations, rares sont les trottoirs qui sont bâti selon les normes en vigueur, la plupart étaient de véritable parcours du combattant, à la fois glissants mais aussi parsemés de pièges, à l’instar des soupiraux des caves ou autres rigoles, ensevelis sous les boues et les gadoues qui continuent de recouvrir les rues. À l’inverse, la chaussée, transformée pour permettre le passage sans encombre des voitures, n’abrite dorénavant plus aucun danger pour les piétons, si ce n’est ces mêmes véhicules qui demeurent cependant peu nombreux. Ce fut, désormais, la prolifération des hippomobiles qui, dans un premier temps, relégua les piétons sur les côtés des rues; donnant lieu, à la fois à de véritables législations régulant l’uniformité des trottoirs, leur largeur – limitée à trois mètres de large dans la ville de Bruxelles durant les années 1800 afin de ne pas incommoder les portes cochères inventées quelques décennies auparavant pour ces même voitures 6 -, mais aussi à certaines lois subjuguant la vie urbaine en limitant les évènements urbains comme les bals, le colportage, le déballage et le commerce ambulant afin de dégager, encore une fois, les espaces de circulation.

6. Loir, Christophe, Bruxelles Néoclassique: Mutation D’un Espace Urbain, 1775-1840, Collection Lieux de Mémoire (Bruxelles: CFC-éditions, 2009) Fig 1. Gravure reproduite dans: Loir, Christophe, Bruxelles Néoclassique: Mutation D’un Espace Urbain, 1775-1840, Collection Lieux de Mémoire (Bruxelles: CFC-éditions, 2009), p230

Figure 1: Gravure du milieu des années 1800 représentant l’absence de hiérarchie modales


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7. Ibid

De la santé (et) de la ville

Dans une deuxième période, vint la voiture à moteur qui, cependant, n’engendra dans l’immédiat aucunes modifications majeures, l’allure réglementaire étant toujours limitée à 15km/h, ce qui correspondait à l’allure du trot. Ce ne fut qu’en 1930 – à Bruxelles par exemple – que les premières voiries intégrèrent de manières formelles la place de l’automobile dans leur conception avec, en 1935, un basculement essentiel puisque les premières réglementations autorisant le parcage des véhicules dans l’espace public sont créées. Cette ordonnance engendra un élargissement dans la conception des nouvelles voiries ou la diminution de la place du piéton, par un rétrécissement des trottoirs, dans celles préexistantes.7 Ce ne fut toutefois, réellement, qu’avec la prolifération massive des véhicules, couplés à l’augmentation démesurée de leur vitesse de roulage, que les piétons furent définitivement relégués sur les accotements de la chaussée. Un code de piéton vit même le jour pour enseigner les nouvelles pratiques de la rue afin de ne pas entrer en confrontation avec celui, nouveau, des automobiles. Paradoxalement, alors que la prolifération des voitures engendra des règlements pour éviter l’encombrement des trottoirs, l’augmentation de la vitesse de leur descendantes motorisées occasionna la création d’une signalétique, propre à éviter les accidents, provoquant la prolifération de panneaux de signalisation colonisant les trottoirs et entrant en conflit avec les flux piétons. De la ville médiévale à nos jours, deux phénomènes se mettent donc en place, malmenant les acquis des périodes précédentes relatifs à la sociabilité de la rue: l’élargissement de celles-ci pour des raisons, tout d’abord de théâtralité durant la période renaissante, puis pour des raisons de contrôle et d’hygiène lors de la révolution industrielle. Ensuite, la différenciation modale provoquée par l’avènement des véhicules à cheval puis à moteur, reléguant dans un premier temps les piétons sur les trottoirs, puis secondement, provoquant une conception élargie de l’ensemble des nouvelles voiries entrainant la monopolisation de l’espace de la rue par l’automobile.

8

. Rudofsky, Bernard, Streets for People: A Primer for Americans (New York: Van Nostrand Reinhold Co, 1982)

9

. Duhl, Léonard, The urban condition (Basic books, 1963)

Pour reprendre les propos que Bernard Rudofski élabore dans « Streets for people »: la rue - street - est devenue, avec l’avènement de la voiture, route - road. 8 Loin de vouloir faire l’éloge de la ville médiévale, la première partie de ce mémoire ayant démontré les problèmes d’insalubrité qui lui sont liés, il convient toutefois de signaler que l’hygiène mentale ne coïncide pas toujours avec l’hygiène physique et ne dépend du coup pas d’elle nous rappelle Léonard Duhl.9 Jane Jacobs, plus ou moins à la même époque, se dressait d’ailleurs, avec


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force, contre l’urbanisme moderne et le spatialisme hygiénisme en notant à propos des cités-jardins que: « Les choses ont changé depuis le temps où

Ebenezer Howard, étudiant les taudis de Londres, concluait que, pour sauver leurs habitants, il fallait abandonner la vie urbaine. 10 »

S’il est vrai que l’époque nécessitait ces changements afin de préserver les populations qui habitaient la ville. Il convient également, puisque aujourd’hui ces dangers sont maitrisés, de se retourner pour examiner ce que l’on a perdu; en ayant bien en tête, que les changements des dernières décennies sont toujours dans la droite lignée des transformations du XIXème et du début du XXème siècle, de la révolution industrielle, et de la société qui en a émergée. Nul doute alors que le contrôle des populations est toujours à l’ordre du jour et que la voiture continue son appropriation de l’espace urbain – bien que des solutions se mettent petit à petit en place dans différente partie du monde.

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10 . Jacobs, Jane, Déclin et survie des grandes villes américaines (Liège (Belgique): Mardaga, 1991). Cité dans : Lévy, Albert, Ville, urbanisme & santé: les trois révolutions (Paris: Éditions Pascal, 2012), p198

Faudrait-il donc constater la disparition et l’échec de notre ancienne civilisation? Ou bien ne serait-il pas pertinent de rechercher et de comprendre quelles sont les finalités de la ville traditionnelle que nous avons perdue? Je pense pour ma part qu’il serait plus séduisant de repenser à la fois l’architecture et l’urbanisme et de se demander quel sens donner ou redonner aux espaces de la ville, en priorité à la rue, afin de réarticuler de manière intelligente les fonctions sociales qui leur sont, ou du moins leur étaient, inhérentes. Tout cela, bien entendu, avec le souci de retrouver cette sociabilité propre à l’espace de la rue et à la bonne santé urbaine; tout en continuant de suivre notre fil conducteur, responsable de tant d’altération du tissu urbain: la voiture.

POUR UNE VILLE QUI MARCHE LES IMAC Entamons donc cette partie avec une notion particulière, mise en œuvre par Jacques Levy: les interactions multisensorielle aléatoire au contact, abrégées IMAC. 11 Les IMAC sont caractérisées par des liens faibles et souvent éphémères dans un contexte de confrontation de l’acteur, qui les exerce, avec les altérités urbaines. Les IMAC sont en fait ces interrelations qui caractérisent la civilité, la vicinalité et la diversité des rues urbaines. Cette notion va nous importer en ce qu’elle est spécifique aux lieux urbanisés ou du moins qu’elle sied plus spécifiquement aux lieux urbains qui

11 . Allemand, Sylvain, François Ascher, and Jacques Lévy, eds., Le Sens Du Mouvement: Modernité et Mobilités Dans Les Sociétés Urbaines Contemporaines (Paris: Belin, 2004)


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eux seuls, produisent ces interactions en nombre suffisant, et parce qu’elle met explicitement en parallèle deux choix modaux: la marche et la voiture. Supposons alors, comme le fait J. Levy, un espace public formé d’une voie de circulation mixte comportant piétons et automobiles, et ses environs. Les IMAC ne sont donc possible que dans l’espace de la rue en ce qu’elle est arpentée. C’est-à-dire que les interactions créant de la sociabilité ne sont possibles que dans une démarche pédestre. Considérons ensuite que ces interactions ne sont possibles qu’à partir du point où l’on se situe, dans toutes les directions et dans un espace que l’on va supposer, pour la démonstration, d’égale densité d’opportunité. « C’est donc la superficie qui est ici l’indicateur 12

. Ibid., p161

pertinent: celui qui peut couvrir la plus grande surface cumulée - en restant sur place ou en se déplaçant - aura la plus grande quantité de virtualité d’IMAC – vIMAC. 12 » Considérons, selon les capacités visuelle humaine, qu’un cercle

de cent mètres de rayon est accessible sans mouvement et instantanément, on le dénommera unité élémentaire de vIMAC, ou U. Supposons encore que U se renouvelle tous les quart d’heure pour les personnes mobiles, mais que ces mobilité ne touchent que la moitié des réalités humaines concernée par le rayon du cercle, on peut calculer qu’en l’espace d’une heure, une personne aura vu passer quatre fois la population du cercle, 4U. Si la personne marche, dans ce même environnement à une vitesse normale de 4km/h, celle-ci aura accès à 20U. Si cette même personne se trouvait maintenant au volant d’une voiture, roulant à 30km/h, et parcourait la même distance, elle ne disposerait, en tenant compte du temps de parcage et du temps utilisé pour se retrouver à l’endroit originel du cercle, que de 7.28U. En supposant une densité urbaine de 20 000 Habitants/km², les U représenteraient 618 habitants. Un piéton aura donc accès à 12560 habitants par heure de marche alors que l’automobiliste à seulement 4582 personnes et cela à condition qu’il se soit arrêté, ce qui rendrait par la même occasion son temps de parcours improductif. En conclusion, l’automobile et sa vitesse, malgré qu’elle permet l’accès plus ou moins rapide à de nombreux territoires, contraint le passager à devoir mettre en place des commutateurs adéquats, comme le stationnement, pour avoir accès aux relations qu’offre la ville, qui sont consommateurs à la fois de temps mais aussi d’espace –la place de stationnement. Conséquemment, le choix modal de la marche à pied en zone urbaine apparait comme le meilleur choix de déplacement pour bénéficier des interactions multiples qu’offre la ville et qui la font. L’usage généralisé de la voiture, décrite tout au long de ce mémoire, aura malheureusement fini par entrainer le développé d’un environnement souvent incompatible avec la logique pédestre. En cela, elle aura aussi modifié notre comportement, tant individuel que collectif.


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En tant que telle, l’automobile, en circulant librement, en accaparant les espaces disponibles et en vidant nos stock d’énergie renouvelable, serait presque devenu une espèce à part entière contre laquelle nous sommes en train de mener bataille. Durant les années 2003, 583 000 personnes décédaient dans des accidents de la route. 13 La voiture se place avec cela comme la première cause de mort violente au monde. Mort non intentionnelles peut-être mais certainement plus accidentelles. Les accidents se produisent bel et bien parce que nous continuons de tolérer un modèle de développement urbain les rendant possible mais aussi, dorénavant, probables; et qui de plus ne produit pas les interactions composant la vie urbaine.

13. Demers, Marie, Pour une ville qui marche: aménagemement urbain et santé (Montréal: Éditions Écosociété, 2008)

Nous avons vu, au début de ce chapitre les quatre composantes de la sociabilité des villes et fait remarquer avec la partie sur les interactions multisensorielles aléatoires au contact que la marche à pied était le choix modal qui permettait de créer le plus facilement ces interactions faisant la sociabilité de la rue et ainsi, la ville.

L’ABANDON DE LA MARCHE, LA SÉDENTARISATION ASSISE Les endroits favorables à la marche se font pourtant de plus en plus rare et notre mode de vie et de société, basé sur l’immédiateté et la vitesse, nous incite de moins en moins à marcher. Ces deux composantes de notre société, selon Marie Demers, ont dès lors modifié notre perception du temps et de l’espace à tel point que « la distance que nous sommes prêts à parcourir à pied rétrécit constamment. 14 » Malheureusement pour nous qui ne marchons plus, l’intérêt de la marche ne réside pas uniquement dans la destination à atteindre. La marche est également un des meilleurs moyens de pratiquer de l’exercice et de rentrer en contact avec son environnement physique et social. Il est un fait paradoxal que la voiture, en accélérant notre cadence de vie n’arrive cependant pas à accroître notre temps disponible pour le loisir. Ce paradoxe relevé par Ivan Illich 15 en 1973 s’illustre par le fait qu’au-delà d’un seuil critique, la vitesse provoque une pénurie de temps plutôt qu’un gain, de manière à ce que l’automobile elle-même crée la distance plus qu’elle ne l’abolit. Les gens, à notre époque, passent alors la plupart de leur déplacement assis dans leur automobile dans laquelle, aucune activité physique n’est à déclarer, et n’ont après cela plus le temps d’en faire, en marchant par exemple. Ce problème pourrait être compensé par une profession entrainant un travail d’ordre physique, ce qui est de moins en moins le cas, l’homme passe de

14

. Ibid., p75

15 . Illich, Ivan, La convivialité (Paris: Éd. Points, 2014)


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cette manière, la plupart de son temps assis soit dans sa voiture, soit derrière son bureau. Et malheureusement aussi, devant sa télévision.

16 . Surface transportation policy project, transportation and health (2003). Cité dans: Demers, Marie, op.cit. p143

17. Ibid.

Ce mode de sédentarité assise, que bon nombre de travailleurs adoptent par choix ou par contraintes, contribue à plusieurs maladies : le diabète, l’obésité, les maladies coronariennes, les accidents vasculaires cérébraux, l’ostéoporose et certains cancers; ainsi, toute cause confondues, qu’à diminuer la durée de vie. Selon le Center for Disease Control and Preventive - CDC -, cette sédentarité ne serait dépassée que par le tabagisme et l’obésité pour les causes de décès. 16 Toujours selon cet organisme, une légère augmentation de l’activité physique entraînerait une diminution de la mortalité de l’ordre de 5 à 9% dues aux maladies coronariennes, aux cancers du côlon et au diabète. 17 Le coût des soins de santé liés à cette inactivité seule représenterait d’ailleurs plus de 215 euros par personnes et par ans, représentant un minimum de 2.5 milliards d’euros, à l’échelle d’un pays comme la Belgique, qui pourraient être économisés par l’établissement de la marche - comme du vélo d’ailleurs – comme moyen de transport. Une marche utilitaire plutôt que récréative Il est vrai que les personnes pourraient très bien se mettre à marcher dans le seul but de faire de l’exercice, plutôt que de choisir la marche comme moyen de déplacement journalier. Ces deux activités aideraient de la même manière à réduire les maladies précédemment citées. Cependant, contrairement à la marche utilitaire nous menant fonctionnellement d’un point A à un point B par nécessité; la marche récréative implique souvent le choix d’un bel endroit, propice à la promenade et impliquant un déplacement supplémentaire en voiture pour atteindre ce lieu de marche devenu à l’occasion, lieu de loisir. Un déploiement communautaire de l’usage de la marche utilitaire, quant à lui, entraînerait une réduction des risques d’accidents, de la pollution atmosphérique et du réchauffement climatique par la diminution de l’utilisation de l’automobile, servirait à accroître donc la sécurité routière, l’équité sociale et le sens de la communauté par les interactions recréées dans les rues; et aiderait, selon une liste non exhaustive plus large à « protéger les

18 . Demers, Marie, op.cit., p182

habitats fauniques, les ressources non renouvelables et les terres agricoles; à économiser beaucoup d’argent en diminuant les coût liés aux soins de santé, aux réseaux d’égouts, à l’utilisation de l’automobile, à la construction et la réparation des routes et parcs de stationnement, à la perte du temps dus aux bouchons de circulation, et ainsi de suite. 18 »

De plus, les solutions actuellement mises en place afin de lutter contre le manque d’activité de la population font appel à un changement de


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Marche ta rue !

comportement individuel. Cela ne suffirait vraisemblablement pas à maintenir la population en forme, pour de simples raisons de motivations. Une étude menée dans quinze pays européens démontre effectivement que les adultes passant de long moment en position assise, faisaient tout simplement moins d’exercices dans leur temps libre, semblaient d’ailleurs plus âgés et étaient aussi plus susceptible de souffrir d’obésité, non y reviendrons. 19 Les personnes les moins motivées sont donc essentiellement celles qui ont le plus particulièrement besoin de pratiquer des activités physiques. Cela devrait dès lors susciter la mise en place de moyen d’action communautaire afin d’inciter les personnes à faire de l’exercice physique; la marche étant le moyen le plus simple et le moins coûteux, pour ceux évidemment dont l’environnement urbain le permet.

L’OBÉSITÉ, CE NOUVEAU FLÉAU Une maladie mondiale A l’heure actuelle, l’obésité est sans aucun doute la maladie symbolique de notre mode de vie sédentaire, de l’usage de la voiture et de la périurbanisation. Le terme globésité est d’ailleurs très récemment apparu afin d’appuyer le caractère mondial du phénomène. Bien qu’étant dans un premier temps limité aux Etats-Unis, l’obésité morbide s’est par la suite rapidement répandue à travers le monde, tout d’abord au Canada, au Mexique et en Australie, puis en Chine avant de contaminer l’Asie et finalement l’Europe. L’obésité est devenue une maladie planétaire emblématique de notre mode de vie mondialisé. Répercussion sur la santé Maladies coronariennes, cholestérol, hypertension, ostéoarthrite, diabète de type II, cancers, apnée du sommeil, troubles musculo-squelettiques, dysfonctionnement de la vésicule biliaire, dépression, Alzheimer, cancer de l’appareil reproducteur féminin, reflux gastro-œsophagien entrainant le cancer de l’œsophage… L’obésité avec le tabagisme est une des premières causes de mortalité dans le monde et ne serait imputable qu’à notre environnement et notre mode de vie. Selon l’American Medical Association – AMA -, le premier objectif dans le combat contre l’obésité serait d’encourager les gens à marcher en ajoutant que l’autre objectif principal serait de réintégrer cette activité physique dans la routine quotidienne des personnes. La marche utilitaire apparait encore une fois comme une excellente solution aux problèmes rencontrés.

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19 . Martinez-Gonzales, M et al., Physical inactivity, sedentary lifestyle and obesity in the european union, International journal of obesity, 23, 1999, pp1192-1201. Cité dans: Demers, Marie, op.cit.


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Les enfants face à l’obésité

20 . Demers, Marie, op.cit. 21 . http://www.who.int/ dietphysicalactivity/childhood_why/fr/

22

. Ibid.

23 . Demers, Marie, op.cit.

Généralement, l’activité physique tend à décroître avec l’âge, il est cependant inquiétant d’en constater la diminution chez les enfants. La moitié des personnes âgées de 12 à 20 ans ne pratiqueraient pas d’activités physiques rigoureuses et les plus jeunes passeraient la plupart de leur temps de jeu à pratiquer des activités sédentaires. 20 En 2010, l’organisation mondiale de la santé estimait le nombre d’enfants en surpoids ou obèses à plus de quarante-deux millions dans le monde relevant d’un « déséquilibre entre les calories consommées et les calories dépensées 21 », reconnaissant par la même occasion que cette augmentation de l’obésité résultait de changements survenus dans la société, relatif à l’alimentation et à l’activité physique, en pointant du doigt « le développement social et économique ainsi que les politiques mises en œuvre comprenant [entre autre] les transports, les planifications urbaines, l’environnement et l’éducation. 22 » Parallèlement à cela, nous apprend M. Demers, le taux d’enfants victime d’accidents routiers tend à diminuer dans de nombreux pays ces deux dernières années. Toutefois, ces statistiques refléteraient plutôt une diminution de l’exposition des enfants à la circulation.23 Ceux-ci passeraient donc moins de temps dans les rues considérées de plus en plus comme dangereuses par leurs parents. Toucherions-nous là la clef du problème?

LES ENFANTS ET LA RUE

24 . Jacobs, Jane, Déclin et survie des grandes villes américaines (Liège (Belgique): Mardaga, 1991), p83

« Si seulement on pouvait enlever de la rue ces pauvres enfant démunis et les mettre dans des jardins publics ou des terrains de jeux dotés d’équipement sportif, d’espace pour courir, et de gazon pour élever leurs âmes! Brefs, des endroits limpides et joyeux, remplis du rire d’enfants heureux de se trouver dans un si bel environnement 24 » écrivait ironiquement J. Jacobs en 1961. Alors, pourquoi s’intéresser aux enfants? Premièrement parce qu’ils sont les adultes de demain, mais plus sérieusement parce que l’étude de leur environnement pourrait nous servir à mettre en lumière l’environnement urbain, et plus précisément celui de la rue et la diminution de la sociabilité de celle-ci On peut aisément le constater, la rue n’est plus un endroit où l’on y voit de jeune enfants jouer. Alors, si l’on ne peut plus y jouer parce qu’elle est devenue dangereuse, envoyons les jouer dans les parcs. De nombreuses cages pour enfants virent donc le jour avec leurs horaires d’ouverture et leurs règles prédéfinies; et si ce n’est pas dans un parc, les enfants joueront dans le jardin, à l’abri du monde extérieur. Cette transformation de l’espace-temps réservé aux jeux des enfants


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Fig 2. http://www.playscapes.com/wp-content/ uploads/2010/03/aldo-van-eyck0005-1022x1024.jpg

Figure 2: Installation de jeux pour enfant d’Aldo van Eycke


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engendre et supporte différents problème qu’il faudrait aborder. Premièrement, cet espace-temps est désormais un temps de plus en plus encadré et planifier dans l’horaire des parents. Déjà surchargé par leurs tâches journalières, ceux-ci doivent maintenant trouver le temps pour aller faire jouer leurs enfants. Deuxièmement, d’un point de vue éducationnel, aller faire jouer un enfant est un non-sens, d’une part parce qu’un enfant a besoin pour se développer d’un temps d’épanouissement à l’air libre plus important que ce que leurs parents pourraient leurs offrir, d’autre part parce que l’on ne peut pas inciter un enfant à jouer et à y prendre du plaisir selon des horaires prédéfinis. Forcer des enfants à aller jouer dans un parc selon les horaires que leurs parents arriveraient à s’accorder est donc le contraire d’une éducation bien menée. Ensuite, ces espaces de jeux réservés sont souvent de piètre qualité et planifié selon des règles d’hygiène, d’esthétisme, d’harmonie ou de sécurité absurdes pour le développement des jeunes enfants. Dans son chapitre portant sur les processus de stérilisation réglementaire, Nicolas Soulier dépeint, à l’aide des réglementations des parcs, toutes les absurdités de ces lieux censé être conçus pour l’épanouissement et l’expérimentation des enfants: « les surfaces 25

. Soulier, Nicolas, Reconquérir Les Rues: Exemples À Travers Le Monde et Pistes D’actions: Pour Des Villes Où L’on Aimerait Habiter (Paris: Ulmer, 2012), p24

de zones accessibles des équipements ne doivent comporter ni pointes, ni arêtes saillantes, ni bavures ou surface rugueuses, susceptibles s’occasionner des blessures ou des strangulations, les angles et ouvertures au voisinages des zones dans lesquelles des mouvements incontrôlés du corps sont prévisible [sic!] ne doivent présenter de risque d’accrochage ou de coincement des parties du corps ou de vêtements…25 ».

Des espaces planifiés pour des jeux planifiés dont la gestion des risques demeure le souci majeur, et non pas la satisfaction de l’enfant. Mais ce qui nous intéresse principalement ici, sont les changements qui sont survenu et qui ont entraîné cette mise à l’écart de la rue des plus jeunes; ainsi que les caractéristiques de ces rues dans lesquelles ils jouaient autrefois. L’espace de la rue propice aux jeux Pour que la rue soit un bon terrain de jeu, elle a tout d’abord besoin de trottoir intéressants. Ces trottoirs, assez larges pour que puisse y jouer les enfants tout en n’encombrant pas le flux des circulations, sont ainsi les garants d’une certaine sécurité physique tout en permettant aux enfants de se livrer à toute sorte de passe-temps de manière informelle; fournissant toute une série d’endroits pour s’y amuser et apprendre. Les activités que pratiquent volontairement les plus jeunes pour se divertir n’ont souvent rien d’extraordinaire et ne requièrent généralement rien


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Fig 3. Photo Personnelle

Figure 3: Sur la photo, un tobogan au milieu d’un espace aseptisé et en bac-à-sable pour enfants entouré d’une clôture. Etterbeek


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d’autre que des escaliers, des balustrades ou de simples renfoncements dans une ou l’autre des façades des maisons; ils discutent entre eux, font du roller, pratiquent des échanges, montent et descendent la rue en courant, etc. L’attrait de ces jeux réside en partie dans le sentiment de liberté qu’ils éprouvent en parcourant librement la rue. Nul besoin donc de les enfermer dans des lieuxclos ou de leur fournir du mobilier spécialisé. Cependant, et le nœud du problème est là, laisser jouer des enfants dans nos rues actuelles nécessiterait le même temps de surveillance de la part des parents que dans un de ces parcs barricadés. Car, si le trottoir a besoin d’être intéressant et large pour les enfants, il a aussi besoin d’être animée pour être sécurisé: « Ça ne rime à rien de programmer que les enfants auraient la 26 . Jacobs, Jane, op.cit., p94

possibilité de jouer sur les trottoirs, si ceux-ci ne servent pas à bien d’autres usages et à bien d’autres personnes. 26 » L’animation des rues, non pas au sens

festifs du terme mais bien dans le sens du lieu social habité, est précisément ce qui disparait et qui ne permet plus de laisser gambader les jeunes enfants sans la surveillance constante de leurs parents.

27. Ibid., p90

Ce qui sous-entend donc la possibilité pour les enfants de jouer sans surveillance parentale dans la rue, est l’animation de celle-ci; supposant que non seulement, des gens y circulent à pied, mais aussi qu’ils y demeurent. Les enfants étaient donc auparavant sous la responsabilité d’un nombre constant d’adultes, se renouvelant au long de la journée; se trouvant dans la rue parce qu’ils sortaient faire leurs courses dans de petits commerces de proximité , et que ceci ne nécessitait pas l’usage de la voiture; ou tout simplement parce que l’on habitait bien plus l’espace de la rue à l’époque, que bien plus de déplacements s’effectuaient en marchant, et que grâce à cela; les personnes d’un même quartier se connaissaient bien mieux qu’actuellement. Dans notre société, nous avons pris l’habitude de penser que chaque parent se devait d’éduquer personnellement ses propres enfants. Si l’on se penche sur d’autre partie du monde, principalement, il est vrai, dans les pays du sud: on constate que dans ces contrées où la culture ancienne est encore présente, l’éducation des enfants est bien plus un acte communautaire que de par chez nous. Cela demeure possible parce que justement, beaucoup d’activités quotidiennes se déroulent toujours sur la voie publique. Dans ces cultures, comme cela fut aussi le cas dans la nôtre, il n’est alors pas rare de voir un habitant réprimander un enfant, qui n’est pas le sien, parce que celui-ci aurait fait quelque chose qui ne devait pas; sans que cela ne paraisse anormal. Dans ces culture, les citadins se considère comme responsable de ce qui se passe dans la rue; « les enfants qui ont la chance de profiter de la vie sociale dans ce contexte assimilent cette notion très rapidement. 27 » La rue animée supporte ainsi, une partie de l’éducation des plus jeunes. Cela repose sur une civilité et une vicinalité propre et la définition de la rue comme espace commun.

« Nul doute que certaines rues sont de mauvais endroits pour élever des


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Fig 4. https://www.pinterest. com/explore/street-children/

Figure 4 Fig 5. https://www.pinterest. com/explore/street-children/

Figure 5 Fig 6. http://architectureireland.ie/the-city-the-shrinkingplay-ground-of-dublin-the1950s-versus-now

Figure 6


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*. Ibid., p94

enfants, écrivait encore J. Jacobs, car elles sont de mauvais endroits pour tout le monde.* »

Les caractéristiques des rues propices aux enfants sont donc, celles qu’il nous faille retrouver pour y favoriser le développement de leur animation, autrement dit, la vie sociale et la marche. Il serait donc contre-productif de vouloir développer l’usage de la marche à pied en pensant que celle-ci créera l’environnement agréable dont elle a besoin. C’est le développement de cet environnement agréable qui mènera au développement de la marche.

RECONQUERIR LA SOCIABILITE DES RUES 28

. Gehl, Jan, Pour des villes à échelle humaine (Montréal: Éditions Écosociété, 2012)

29

. Ibid., p44

Selon Jan Gehl, jusqu’au début des années 60, les villes se développaient toujours en tenant compte de l’expérience accumulée au long de leur histoire. La vie à l’intérieure de nos cités était alors encore le moteur du développement des villes. 28 La raison pour laquelle cet environnement s’est détérioré est l’expansion urbaine soudaine des villes dans les années 60, du moins dans une grande partie des pays européens. Effectivement, le développement des villes a, à partir de cette période, été confié à des planificateurs de professions: les urbanistes, ainsi qu’aux ingénieurs de la circulation, tous deux chargés d’assurer des conditions favorable au développement de la circulation automobile. Les fonctions sociales et culturelles passèrent au second plan, et c’est ainsi que les espaces traditionnels de l’espace urbain comme lieu de rencontre et d’agora se virent limités et menacés. Cette partie s’attardera sur les moyens à mettre en place afin de favoriser les fonctions sociales et traditionnelles des rues urbaines en y réintégrant la dimension humaine. L’étude des qualités physiques de l’espace urbain, incitant les citadins à sortir de chez eux, sera un facteur important. « Un piéton, avec ses attributs, son potentiel et ses limites: voilà le client de l’urbaniste et de l’architecte. Intervenir à l’échelle humaine signifie [, dès lors,] créer des espaces propices à la marche qui tiennent compte du potentiel et des limites du corps humain. 29 »

LES FAÇADES URBAINES Le rôle des façades dans une ville est multiple: elles servent de protection aux passant qui s’y adossent durant leur période d’attente, dos à celle-ci ces personnes peuvent alors embrasser pleinement l’espace et y voir tout ce qui s’y


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déroule; elles sont l’interface entre l’intérieur et l’extérieur, entre l’espace privé et la sphère de l’espace public; elles délimitent l’espace et le champ de vision de l’Homme dans la ville et enfin, elles suivent les passants tout au long de leurs déplacements dans l’espace de la cité. Les façades ont ainsi toute leur importance dans l’animation de la rue. Elles délimitent le champ de vision Les façades contribuent largement à créer le paysage que l’homme perçoit durant ses déplacements, elles peuvent donc donner l’impression d’un espace organisé et sécurisé, ou non. Le piéton qui y fait attention est en mesure d’en apprécier les moindres détails, leurs couleurs, leurs moulures et leurs matériaux, ce qui concourent à l’intérêt de son parcourt. Il est alors important que les rez-de-chaussée, directement au contact du passant, demeurent visuellement riches et attractifs. De cette manière, les déplacements deviennent plus intéressants et semblent durer moins longtemps. Elles suivent les Hommes lors de leurs déplacements Selon certaines études, il semblerait que les sens de l’être humain aient besoin d’être régulièrement stimulés, et cela, toute les quatre à cinq secondes, afin de maintenir un équilibre raisonnable entre un surplus ou un manque de stimulus. Il est alors intéressant de constater que dans les villes européennes, les quartiers les plus anciens ou ceux du moins, construits avant les grandes théories modernistes, sont constitués de maisons faisant plus ou moins de cinq à sept mètres de largeur. A la vitesse de la marche, cela représente une nouvelle façade toute les cinq secondes, contribuant ainsi, tout comme les détails de celles-ci, à augmenter l’attrait d’une rue. Les rues, dont les éléments constituant les façades qui la forme sont disposés selon un axe vertical, sont plus propices à la marche car cela les rend plus attrayantes et les font sembler moins longues à parcourir. Suivant cette logique, les façades à prédominance horizontale sont à proscrire si l’on veut conserver l’attractivité d’une rue. Pour que des rues paraissent moins longues il faut donc, soit un enchainement régulier de maisons de faibles largeurs, soit une prédominance d’éléments verticaux recréant cet enchainement régulier. Elles sont l’interface entre l’intérieur et l’extérieur Ici aussi, de nombreuses études ont mis en exergue l’attractivité qu’exerce les façades dites fermées ainsi que le manque d’intérêt suscité par les façades qui, à l’opposé, sont considérées comme fermées. Les façades ouvertes, aussi appelées façade actives, auraient ainsi tendance

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à faire ralentir et s’arrêter les passants, à les faire tourner la tête attirant par la même occasion leur attention. De plus, il est observé qu’à l’intérieur des rues composées de façades majoritairement actives, de nombreuses personnes –sept fois plus que dans les rues composées de façade fermées – y pratiqueraient diverses activités allant du simple coup de fil à une discussion prolongée. Les façades ouvertes impactent donc de manière importante la vitalité et l’animation des rues. Les façades constituant presque l’ensemble du panoramique urbain, rien n’aurait plus d’effet sur la qualité de l’environnement, sur la sociabilité des rues et sur la promotion de la marche que leur conception. Par conséquent, des rues constituées de façades richement détaillées, à composante verticale et en même temps ouvertes, participeraientt à redonner ou à conserver l’attractivité d’un quartier, rendraient sensoriellement ses espaces de circulation moins longs à parcourir et favoriseraient à la fois la marche à pied mais aussi leur appropriation par les habitants.

Fig 7. Gehl, Jan, Pour des villes à échelle humaine (Montréal: Éditions Écosociété, 2012)

Figure 7: A gauche une rue aux façades fermées, à droite, leur transformation en façades actives

Fig 9. http://www.vivreetmouriramontreal.com/ pvt-pourquoi-il-y-aut antde-francais-a-montreal-explique-aux-quebecois/

Figure 9: Quartiers des plateaux à Montréal


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FRONTAGE Pour Nicolas Soulier, une des solutions, voir la solution pour recréer ces paysages urbains détaillés, agréables, ouverts et favorisant la marche, serait la (re)mise en œuvre de ce qu’il appel pour sa démonstration: le frontage, ou le jardin de devant.30

30. Soulier, Nicolas, op.cit.

Fig 8. Photo personnelles

Figure 8: Exemple de Frontage. Etterbeek

Le frontage semble en effet capable de créer ou de recréer des façades ouvertes et intéressantes dans des endroits dépourvu de commerces, puisque la caractéristique de ces jardins tient en ce que les habitants y jardinent, y plantent, y laissent jouer leurs enfants; en somme, y vivent une partie de leur journée. Ces espaces sont ainsi actifs, ils sont animés. Les frontages organisent donc une interface particulière entre la sphère privée de l’habitation et l’espace commun de la rue. Les habitants ne se renfermeraient plus à l’intérieur de leur maison, mais laisseraient au contraire déborder celle-ci dans cet espace, donnant à l’espace urbain une certaine vitalité et le métamorphosant en en espace attractif et animé. Ici, dans le quartier des plateaux à Montréal - Fig 9 -, les frontages ont une caractéristique particulière, des escaliers reliant les étages supérieurs avec l’espace de la rue. Ceci pourrait être une solution applicable dans des villes comme Bruxelles où de nombreuses maisons sont subdivisées en appartements, empêchant une partie des locataires à avoir l’accès, non seulement au jardin arrière, mais


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surtout, à l’espace de la rue. L’application de cette possible solution engendrerait un autre phénomène avantageux; les pièces de vie se tourneraient vers la rue et le frontage, les chambres à coucher seraient alors reléguées à l’arrière de l’habitation, vers l’intérieur d’îlot, plus calme. Ainsi, les résidents de ces appartements pourraient profiter de l’espace de la rue et ne pas pâtir de l’animation négative - le bruit de la circulation - ou positive - la sociabilité - de la rue durant leur périodes de repos. Une évidence Il est bel et bien incontestable, que les caractéristiques physiques des rues et des façades animées qui viennent d’être exposées ne sont pas totalement absentes de nos rues européennes. Il est aussi certain que là où elles le sont, il n’est pas possible, ni même souhaitable, de tout démolir pour pouvoir mettre ces caractéristiques en place. Ne soyons donc pas dupes, ces éléments constituent plutôt une liste non exhaustive de principes à garder en tête lors de reconstruction, de rénovation ou lors de l’établissement d’un nouveau quartier, afin de pouvoir mener, en parallèle, une politique efficace de déplacement, différente du tout-à-la-voiture des décennies précédentes. Cependant, si ces principes ne sont pas applicables aux rues préexistantes, il demeure de savoir ce que l’on pourrait y faire pour en augmenter le capital social. L’exemple du Stoep Le stoep est une tradition hollandaise assez ancienne, qui persiste toujours aujourd’hui au plat pays, consistant, de manière moins formelle que le frontage, à déborder dans l’espace dans la rue. Cette pratique se rapprocherait plus, d’ailleurs, d’une logique d’appropriation de l’espace urbain. Fig 10. Photo personnelle

Figure 10: Exemples de Stoep. Ixelles


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Là où le frontage nécessite que les bâtiments soient construit en retrait par rapport à l’alignement prescrit par les règlements d’urbanisme; nécessitant que le principe soit approuvé lors du dépôt de permit d’urbanisme, le stoep, plus discret, peut être mis en place par les résidents de manière simple et informelle. L’espace occupé est moins volumineux que pour un frontage, certes, on y passera probablement moins de temps; mais ils ont le mérite d’égayer les rues en proposant des espaces visuellement attrayant ainsi que la possibilité pour les passants de s’y arrêter; comme c’est le cas dans la rue où je réside. (photo)

LE POTAGER URBAIN, UN ESPACE À LA MARGE Depuis quelque temps, l’agriculture urbaine revient en force au cœur de nos villes. Soyons cependant clair dès le début, l’agriculture urbaine ne nourrira pas nos villes, Pablo Servigne le dit haut et fort, les potagers urbains ne sont pas là pour nourrir les populations urbaine; c’est un complément alimentaire en fruits et légumes tout au plus. Le rôle des potagers est à aller chercher ailleurs; ce sont des lieux de sociabilité, des lieux de débats, de retour à la terre et d’éducation à l’alimentation.31

31 . Servigne, Pablo, Nourrir l’Europe En Temps de Crise, Conférence, 19.06.14

Lieu d’éducation à l’alimentation Bien que la question de l’alimentation n’ait pas été abordée au cours de ce travail, celle-ci demeure un des déterminants, si pas le déterminant principal de la santé des êtres humains. Depuis le commencement de l’ère du pétrole et de la chimie, notre façon de concevoir l’agriculture a radicalement changée; l’agriculture paysanne s’est transformée en agriculture industrielle sous l’influence du pétrole et de la pétrochimie, autorisant l’emploi de machines agricoles imposantes et d’intrants agricoles sous formes d’engrais et de produits phytosanitaires, tous deux dérivés de l’industrie pétrolière. Les répercussions de cette transformation de l’agriculture sur notre santé sont innombrables, citons en quelques-uns : cancers, démence précoce, problèmes hormonaux, autisme, hyperactivité chez l’enfant, Alzheimer, parkinson… Une récente étude relève même une relation entre l’agriculture industrielle et la baisse du quotient intellectuel moyen en Europe.32 Le potager, biologique par essence, devient le lieu parfait permettant de revenir aux fondements d’une alimentation saine et équilibrée et redécouvrir le bon sens et les principes du vivant que nous tendons de plus en plus à perdre.

32 . L’inversion de La Courbe Du... Q.I., Le Point, 23.06.2016 [EN LIGNE]


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Lieu d’un retour à la terre Comme l’a relevée la partie historique, depuis la sédentarisation de l’espèce humaine et la création des premières cités, et ce jusqu’à la période industrielle; la ville a toujours entretenu une relation étroite avec sa campagne productrice. Cette relation a commencé à disparaitre vers la fin du XIXème siècle lorsque la population rurale migra vers les industries urbaines, et a continué à décroître avec l’industrialisation de l’agriculture à la sortie de la seconde guerre mondiale et l’industrialisation de la distribution des aliments. Aujourd’hui, ce lien semble complètement perdu entraînant la rupture du lien qui existait entre la terre et notre assiette; les gens ne connaissent plus ce qu’il mange ni d’où cela vient. Les produits alimentaires sont acheminés vers des usines où ils sont triés et empaqueté avant de se retrouver en magasin où ils seront vendus de telle manière que l’on pourrait penser qu’à part ce qui nous est proposé dans les rayons, rien d’autre n’existe. On a donc perdu une certaine diversité dans l’alimentation avec la production de denrées industrielles, sélectionnées pour pouvoir être disponibles n’importe quand et peu importe où. Les espace potagers sont alors d’excellents endroits où retrouver ce lien à la terre et par la même occasion au temps. L’agriculture permet en effet à la personne qui la pratique de redécouvrir la lenteur du temps qui passe et la patience. Il faut du temps, non seulement pour pratiquer l’acte de jardiner, mais aussi avant de pouvoir en apprécier les résultats. L’agriculture est donc un excellent palliatif à notre monde motorisé du tout, tout de suite et toujours plus rapidement; elle nous ré-enseigne à prendre notre temps. Lieu de débat 33 . Antonioli, Manola, Machines de guerre urbaines (Paris]; [Dijon: Loco : Ensa-V ; Ecole nationale supérieure d’art de Dijon, 2015)

Le territoire du potager est avant tout un endroit de sociabilité, où l’on peut y discuter, y prendre le temps d’échanger sur les différences de culture et par cela, un lieu de débat politique où l’on aborde des sujets peu médiatisés et où l’on y développe son esprit critique.33 Il est intéressant de remarquer, par la même occasion, que la plupart des espaces urbains, que je qualifierai comme des lieux malheureusement toujours en marge de notre société; à un moment ou à un autre, alors qu’ils n’étaient pas prévus nécessairement pour cela, vont intégrer la question de l’alimentation. Ce qui se traduira dans la majorité des cas par des plantations et des expérimentations agricoles. Ces lieux, comme l’est par exemple le projet des grands voisins à Paris - Fig 11, 12 - , sont des espaces qui se consacrent, effectivement, en premier lieu à recréer de la sociabilité dans des endroits qui en étaient dépourvus, des lieux de débat ainsi que de démocratie. En outre, ces espaces sont la plupart


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Fig 11, 12. https://www. facebook.com/LesSourciers/ photos/

Figure 11: Les Grands Voisins, Ferme aquaponique. Paris

Figure 12: Les Grands Voisins, espaces extĂŠrieurs


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34. Ibid.

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du temps des endroits où est remise en question l’économie néo-libérale qui supporte notre modèle de société mondialisée. Ce sont alors également des territoires qui prônent l’autosuffisance et qui proposent un modèle de société alternative – ou du moins une vision – à celui en place qui favorise les multinationales et les supermarchés au mépris des marchés locaux.34 Un des maillons les plus important de cette autosuffisance étant, bien évidemment, l’alimentation. Cette autosuffisance ne signifie bien entendu pas qu’ils souhaiteraient couvrir eux-mêmes la totalité de leurs besoins, cette autosuffisance est bien plus une autosuffisance relative aux moyens de productions-distributions qui sont actuellement mis en place. Cela signifie qu’ils préconisent une modification dans ce système de production-distribution centralisé, afin de redistribuer le marché de la production des biens de consommation à une échelle plus locale. De telle sorte, ils militent pour un retour de la production en ville, que ce soit la production de biens ou de services. Le commerce de proximité Constatons alors que le manque de commerces de proximité, de commerces de détails où d’ateliers productifs en ville, est un des éléments qu’il nous manquait pour valoriser le développement de la marche à pied. Les rues auront beaux être agréables, il subsiste que si les résidants d’un quartier continuent de se rendre dans les grandes surfaces une fois par semaine pour y réaliser d’immenses courses, ou continuent de gagner les lieux de chalandises spécialisés pour leurs achats; le besoin de l’automobile ne disparaîtra pas. Un retour de nombreux commerces de proximité est donc essentiel à la promotion de la marche comme moyen de déplacement quotidien, à la sociabilité, ainsi qu’à la bonne santé des rues. Les programmes lancés cette années par l’Institut Bruxellois pour la Gestion de l’Environnement – IBGE – : Good Food, Be-circular ou encore Boeren Bruxsel Paysans, projets pilotes pour la mise en place d’une économie circulaire, de circuit-cours et portant pour deux d’entre eux sur la production agricole en Région de Bruxelles-Capitale; démontrent l’intérêt grandissant porté envers les alternatives à notre société et l’envie de se préparer à une société post-pétrolière.


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CONCLUSION Il pourrait sembler étrange pour certains de consacrer une partie entière de ce mémoire à la pratique de la marche urbaine, un tiers presque du volume de ce livre. Je finirai donc cette partie en rappelant simplement les incidences positives qu’exerce une pratique de la marche quotidienne. - Amélioration de la condition physique - Réduction de la pression artérielle - Contrôle du cholestérol - Diminution de l’adiposité abdominale - Perte de poids - Baisse du risque de maladies cardiovasculaires - Amélioration de la santé mentale - Prévention de l’ostéoporose et des fractures de la hanche - Augmentation de la force musculaire et de la souplesse - Contribution à l’autonomie des personnes agées - Réduction du risque de diabète - Prévention de la constipation - et donc du cancer du colon - Prévention de la dysfonction érectile - Effets bénéfiques chez la femme enceinte - Prévention du cancer du colon et du sein - Diminution du risque de démence - Accroissement de la longévité - ... Et cela ne représente, en définitive, que les bénéfices de l’activité physique de la marche. A ceux-ci, il faudrait encore ajouter ce qu’apportent, mentalement et socialement, les interactions liées à cette pratique ainsi que les bienfaits de l’environnement créé pour promouvoir son développement. Nul doute alors que la marche à pied est un des premiers promoteurs de notre capital santé.

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CONCLUSION

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Conclusion

Lors de l’introduction était abordée la transformation du paradigme de la santé environnementale: on serait passé, en l’espace de deux siècles, d’un environnement insalubre entraînant des maladies infectieuses, à une insalubrité engendrant des maladies d’ordre chronique; créant des problèmes de santé sur le long terme et donc, plus compliqués à diagnostiquer. La première partie, nous a ainsi permis d’analyser et de retracer cette transformation au long de l’histoire des modifications urbaines. Ce que l’histoire nous raconte, c’est qu’en plus de voir se réaliser ce changement de paradigme, on s’aperçoit aussi que les problèmes sanitaires d’aujourd’hui sont, en partie, les conséquences des transformations du milieu urbain, en raison des problèmes sanitaires, d’hier. On se rend compte par la même occasion que certains des problèmes anciens et actuels ont les mêmes origines, découlant du monde du travail en place à l’époque. Les problèmes sanitaires que nous rencontrons de nos jours peuvent donc être compris comme dérivant des insalubrités d’il y a deux siècles, ils se situent dans une continuité historique. Le choix de la voiture comme fil conducteur, un choix anodin? Au départ choisie comme simple fil conducteur de manière à faciliter la recherche puis l’écriture, la voiture s’est dans mon esprit, petit à petit, transformée pour symboliser à la fois ce qu’elle est réellement, une cause de

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pollution diverse, mais aussi, la société contemporaine actuelle, basée sur une économie et une politique néo-libérale, héritière de la révolution industrielle. Avec la première partie, on s’aperçoit que les villes se sont étanchéifiées, qu’elles se sont aussi aérées suite aux grands travaux hygiénistes du XIXème siècle, mettant en place certains des éléments qui allaient permettre l’émergence rapide du monde automobile presque un siècle plus tard. La seconde partie du travail met en exergue l’étalement urbain qui s’est développé suite à l’exode urbain qui accompagna la délocalisation des usines et le développement des chemins de fer. Avec cet exode, commença l’individualisation des populations ouvrières, jugées dangereuses. Les aides à l’acquisition de logements individuels entraîna certes la dédensification espérée de la ville, mais entama surtout le processus d’étalement urbain qu’exacerbera par la suite le développement de la voiture individuelle. Le tout-à-la-voiture qui suivi l’exode rural est ainsi le résultat d’une politique d’individualisation d’une part de la population, pour des raisons à la fois de contrôle, de salubrité mais surtout d’économie puisqu’il s’agissait plus de soigner une main-d’œuvre que des personnes. On a ainsi éloigné la main-d’œuvre des centres-villes, pour ensuite l’en rapprocher virtuellement grâce à l’usage de l’automobile. La voiture est donc non seulement la cause permissive de l’étalement urbain, mais aussi une des causes permissives de notre société de la vitesse puisque, on l’a vu, elle crée elle-même, ou du moins elle exacerbe, les conditions de cette fuite en avant nécessaire à notre société de consommation; tout en permettant un accès aux zones de distribution qui l’accompagne. La troisième partie peut alors être abordée de la même manière, une désocialisation des rues, entraînée par la prolifération de la voiture et une individualisation des ménages. Suite à cela, les contacts entre les habitants d’un même quartier diminuent, ceux-ci se connaissent de moins en moins, utilisent de moins en moins l’espace de la rue, les supermarchés – aisément atteignable en automobile – ayant remplacés les commerces de proximité que l’on rejoignait à pied. Les rues sont ainsi de plus en plus aseptisées, se transformant en parking à ciel ouvert et le manque d’interactions entre personnes d’un même voisinage engendrent un sentiment de méfiance, de peur diffuse et de rejet d’autrui accentuant le phénomène d’individualisation. La voiture était donc mon fil conducteur, je m’aperçois, maintenant que la rédaction de ce mémoire touche à sa fin, que j’aurai surement pu utiliser d’autre fils conducteurs – le développement du supermarché, le développement des espaces verts ou de l’économie, que sais-je – et que j’aurais tôt au tard fini par aborder les mêmes problèmes car ces problèmes, seraient à un moment ou à un autre apparut dans une boucle de rétroaction quelconque. Ce qu’il faut comprendre par cela, c’est qu’on ne plus, aujourd’hui, agir


Conclusion

dans le domaine de la santé en ne prenant en compte que celui-ci. Il faudra désormais englober non seulement l’environnement physique mais aussi l’environnement économique, politiques, etc. Si l’on veut intervenir sur les causes des problèmes de santé, agir en amont de ceux-ci, il va désormais falloir comprendre le concept de santé comme une crise systémique alimentée par notre mode de vie, et donc, par notre système sociétal dans son ensemble. On ne peut plus se contenter d’essayer d’améliorer la qualité de l’air par des procédés techniques ou de développer de nouveaux traitements afin de soigner ceux qui en sont victimes. Il faut considérer la voiture – dans ce casexemple – dans son ensemble, parce qu’on aura beau soigner les victimes de la pollution, la voiture sera toujours une des conditions de cette fuite en avant incontrôlée qui engendrera un sentiment de regard, qui engendrera l’envie de rattraper le temps perdu en prolongeant sa journée, entraînant le monde de la vie nocturne qui impactera le sommeil des habitants en raison des nuisances causées durant la nuit, par les personnes qui rentrent de plus en plus tard; et au en revient ainsi à la voiture, qui les ramènera chez eux. Cette succession de faits ou d’hypothèses n’est qu’une des boucles parmi tant d’autres, qui existent pour nous faire comprendre que les déterminants de la santé sont de plus en plus nombreux et peuvent revêtir de plus en plus de formes et intervenir de manières de plus en plus diverses. Agir sur la santé doit donc aujourd’hui, passer par un travail sur la société dans sa globalité; car non seulement nous avons bâti un environnement néfaste pour notre santé, qu’elle soit physique ou psychique, mais nous avons aussi mis en place une société qui l’alimente, à moins que ce ne soit l’inverse?! Il me semble donc qu’il va nous falloir, si on veut avoir un impact sanitaire durable, agir effectivement sur notre environnement mais de surcroit, y agir de telle manière que ce nouvel environnement opérera en retour, une modification de notre mode de vie à tous, transformant par la même occasion notre rapport à la société. L’un ne peut, et ne doit plus, être fait sans l’autre.

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QUATRIEME PARTIE

DEUX VISIONS FUTURES DE LA SOCIETE

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Ayant commencé ce mémoire il y a 400 000 ans avec un réchauffement climatique. M’étant attardé sur le passé et l’histoire de l’évolution des villes; sur les éléments qui nous aidèrent à comprendre la santé actuelle des populations et des villes. Il me semblait presque logique, après avec parlé du passé et du futur des villes, d’en aborder alors le futur. Ce n’est une surprise pour personne, nous sommes actuellement dans une période cruciale qui influencera lourdement l’avenir de notre société. Crise climatique, crise économique, crise pétrolière, crise sanitaire, crise écologique, etc. La révolution industrielle, débutant avec l’ère du pétrole, a engendrée une société qui touche maintenant à sa fin. Cette partie supplémentaire se propose de synthétiser deux visions du monde de demain et d’en analyser, en tenant compte des sujets précédemment abordés, les impacts, les conséquences et les inconvénients. La première sera la vision d’une troisième révolution industrielle de Jeremy Rifkin; la seconde, la collapsologie de Pablo Servigne.


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LA TROISIEME REVOLUTION INDUSTRIELLE DE JEREMY RIFKIN Jeremy Rifkin est un essayiste Américain spécialisé dans la prospective économique et scientifique. Ces dernières années, il est surtout connu pour son travail de conseiller auprès des pouvoirs politiques et des grandes entreprises, qu’il met à profit afin de mener notre société vers une troisième révolution industrielle qu’il appelle de ses vœux.1 Selon J. Rifkin, les grandes révolutions de l’histoire se sont toujours déroulées lorsque, à la fois, de nouvelles technologies de communication émergent, mais aussi lorsque cette émergence corresponde avec celle de nouveaux systèmes d’énergie vers lesquelles les technologies de communications convergeront. Lors de la première révolution industrielle, l’introduction de la technologie à vapeur dans le monde de l’imprimerie a transformé celle-ci, devenue le principal moyen de communication qui permit de gérer cette révolution. Les revues, les journaux et les livres proliférèrent en Amérique et en Europe encourageant une alphabétisation de la population qui mena à la création d’une main-d’œuvre prête à organiser et à diriger les « opérations

complexes d’une économie du rail et de l’usine alimentée au charbon et propulsés à la vapeur.2 »

1

. Rifkin, Jeremy, Françoise Chemla, and Paul Chemla, La troisième révolution industrielle comment le pouvoir latéral va transformer l’énergie, l’économie et le monde (Paris: Les liens qui libèrent, 2012)

2

. Ibid., p56


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Au début du XXème siècle, ce fut la communication électrique qui convergea avec la création du moteur à combustion interne, entraînant la deuxième révolution industrielle. L’électrification des industries mena à la production en série de biens, dont l’automobile, et à la mise en place du modèle d’économie fordiste. Ce dont Jeremy Rifkin se rendit compte en 1990, c’est qu’une nouvelle convergence se préparait, avec les énergies renouvelables et le moyen de communication qu’est Internet, à créer une nouvelle révolution industrielle, la troisième en date. Jusqu’à présent, cette technologie de la communication qu’est internet, n’aurait été utilisée que pour maintenir la tête hors de l’eau du modèle économique de la deuxième révolution industrielle. Dû à la centralisation des infrastructures commerciales et du système énergétique inhérent à ce modèle, cette technologie de la communication n’aurait alors pas encore déployée pleinement son potentiel. Ce qu’imagine alors Rifkin est une ère où des millions de personnes produiraient leur propre énergie renouvelable, dans leur domicile ou au bureau, et la partageraient sur un Internet de l’Energie. Pour mener cela à bien, il désigne cinq piliers sans lesquels cette révolution de serait pas possible. 1. Le passage aux énergies renouvelables 2.Une transformation des parcs immobiliers en microcentrales électriques 3.Un déploiement de techniques de stockage d’énergie directement dans les habitations, sous forme de piles à hydrogène ou d’autres combustibles 4.L’utilisation d’une technologie similaire à l’Internet afin de transformer le réseau électrique existant en réseau de partage de l’énergie 5.Le passage aux véhicules électriques

QUE SIGNIFIERAIT CETTE RÉVOLUTION INDUSTRIELLE? Ce qu’il faut avoir en tête c’est qu’à l’heure actuelle, aucun pays dans le monde ne dispose de l’infrastructure nécessaire pour que les énergies renouvelables puissent pleinement se développer. L’Union Européenne prévoyait - en 2010 - d’ailleurs, un investissement d’un millier de milliard d’euros d’ici 2020, afin de rendre son réseau électrique intelligent et compatible avec l’énergie renouvelable intermittente qui serait envoyée par des millions de producteurs-habitants. Cet objectif d’établi en accord avec le plan de la commission européenne selon lequel, les pays de


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l’Union devraient pouvoir produire 30% de leur énergie sous forme d’énergie renouvelable d’ici 2030. La création de ce réseau infrastructurel, selon Rifkin, prendrait une quarantaine d’année durant lesquelles des centaines de milliers de petites entreprises nouvelles se créeraient ainsi que des centaines de millions de nouveaux emplois. Mais le plus important, est que l’achèvement de la mise en place de ce réseau marquerait la fin de la société économique que nous connaissons, définie par la pensée industrielle et la main-d’œuvre de masse, et le début d’une nouvelle ère, « caractérisée par le comportement coopératif, les réseaux sociaux et les petites unités de main-d’œuvre techniques et spécialisées. 3 » L’organisation traditionnelle et hiérarchique, héritée du début du XXème siècle, laisserait alors la place à ce qu’il nomme: le pouvoir latéral. Ce serait l’ère du développement du tiers-secteur, des asbl et l’ère de la création d’un capital social à l’intérieur d’une société civile à caractère non lucratif. « L’activité économique resterait essentielle à la survie, mais elle ne suffirait plus à définir les aspirations humaines. 4 »

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3

. Ibid.

4

. Ibid.

POURQUOI UNE TELLE TRANSFORMATION? Avec notre modèle de société actuel, basé sur les énergies fossiles, le système de production d’énergie se doit d’être centralisé; les moyens nécessaires à l’extraction des sources d’énergie, à leurs transports, à leurs traitements, et à leurs redistributions sont tels qu’il est impossible que cela soit réalisé à petite échelle. Les énergies fossiles sont donc le monopole de grandes multinationales puisqu’elles seules possèdent les capacités financières nécessaires à leurs productions. Avec la production d’une énergie renouvelable par de nombreuses microcentrales individuelles, les multinationales ne détiendraient plus le monopole de l’énergie, tout au plus, elles se requalifieraient dans la prestation de services et d’aides à l’installation, afin d’entretenir le réseau électrique et les appareils producteurs d’énergie individuels. Dès lors, le propriétaire de chaque bâtiment-centrale détiendrait une part de l’énergie qu’il utiliserait ou échangerait sur le réseau. Dans une telle configuration, l’ancienne forme de hiérarchie verticale disparaît pour donner forme à un système de distribution horizontal, basé sur l’échange et le partage. On assisterait à une démocratisation de la productiondistribution de l’énergie qui engendrerait, par nature, des mécanismes coopératifs de gestion. « L’intérêt personnel, nous dis Rifkin, serait subsumé

par l’intérêt commun. La propriété intellectuelle de l’information serait éclipsée par un nouvel accent sur l’ouverture et la confiance collective 5 »,

en enrichissant le réseau, on enrichirait le monde, au sein d’un effort communautaire.

5

. Ibid., p166


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6

. Ibid.

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Selon les projections actuelles - datant de 2010 -, si elles sont exactes, Rifkin prévoit une infrastructure juvénile de troisième révolution industrielle vers le milieu des années quarante. En 2040, nous devrions donc entrer dans une nouvelle ère basée sur la coopération et la création de capitaux sociaux, produit par le développement du tiers-secteur à échelle planétaire. Un monde non plus dépendant d’une hiérarchie et d’un pouvoir central mais basé sur la démocratie de l’échange et un réseau coopératif de partage, qu’il soit électrique ou humain. « La troisième révolution industrielle n’est pas une panacée qui guérira

instantanément la société de ses maux, ni une utopie qui nous conduira à la Terre promise. C’est un plan économique pragmatique, sans fioritures, pour tenter la traversée jusqu’à une ère postcarbone durable. Si il y a un plan B, je ne le connais pas.6 »

Dans une société telle que décrite par Rifkin, nous assisterions alors à une modification de la perception du travail. Cela se base aussi sur la vision d’une main-d’œuvre de plus en plus robotisée que l’auteur imagine. La robotique travaillant à notre place et le réseau de la troisième révolution installé, le monde du travail et de l’économie changerait du tout au tout. L’économie actuelle basée sur l’énergie pétrolière n’existant plus, on peut se permettre d’émettre l’hypothèse que la vitesse et l’accélération qui lui étaient inhérentes ne sont plus nécessaires à notre modèle de société, on peut donc s’imaginer que le mode de vie des citoyens ralentirait et que cette fuite en avant désespérée tendrait à disparaitre. Le point d’interrogation demeure cependant sur l’impact qu’aura la voiture, désormais électrique. Bien qu’elle ne pollue plus les endroits où elle circule et que le bruit immanent au moteur à combustion ait disparu, les méfaits qui incombent à ce mode de déplacement, la vitesse et la perte de latéralité, seront-ils toujours d’actualité dans un monde où les citadins n’ont plus ce besoin de vitesse dicté par l’économie? Si un aspect n’est pas traité par J. Rifkin de manière explicite, c’est l’impact qu’aura cette révolution sur notre manière de consommer. Dans un monde où le pétrole n’existe plus et où les sources d’énergie feraient défaut, on peut imaginer l’émergence d’une série de circuits courts dû au manque de moyens de transports. Dans la société qu’il dépeint, par contre, le monde du transport ne se modifie pas, une économie mondialisée et globalisée est donc toujours techniquement possible. Demandons-nous alors, si notre mode de consommation se transformera, si l’on exportera toujours autant, si les supermarchés seront toujours les lieux principaux où nous irons faire nos achats? Si ce monde de consommation persiste, une partie des impacts sanitaires qu’il exerçait se maintiendront, on peut alors se demander si le développement du tiers-secteurs, des échanges et de la coopération réussira à créer la sociabilité urbaine nécessaire à une ville saine ou si, au contraire, les rues demeureront les


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mêmes, des parkings à ciel ouvert bénéficiant aux voitures, électriques cette fois-ci. Un défaut majeur de cette vision est qu’elle n’est explicitée que dans sa version réalisée, en aucun moment elle n’est imaginée inachevée ou en cours de réalisation. On peut donc s’interroger sur ce qu’il se passera, outre la création des emplois prévus, durant cette période. L’énergie électrique coûtera certainement chère à l’intérieur d’un réseau dépendant à la fois d’une énergie fossile en voie d’extinction et d’une énergie renouvelable nouvelle, les appareils pour la produire aussi, sans parler des nouvelles voitures qu’il faudra acquérir. Si l’on se doute qu’un tranche de la population saura y accorder une part de leur revenu ,qu’en sera-t-il des populations paupérisées qui devront se contenter de voitures anciennes fonctionnant sur une source d’énergie s’amenuisant? Dans ce cas, le début de la deuxième partie de cet écrit pourrait, malheureusement, rester d’actualité. La seule chose dont on est plus ou moins assuré, c’est que notre système alimentaire, sans le pétrole nécessaire à la production des engrais et des produits phytosanitaires, devrait – normalement – retrouver un peu du bon sens qu’il a actuellement perdu.

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LA COLLAPSOLOGIE DE PABLO SERVIGNE 7

. Servigne, Pablo, Yves Cochet, and Olivier De Schutter, Nourrir l’Europe en temps de crise: Vers des systèmes alimentaires résilients (Jambes: Ed. Nature & Progrès, 2014)

8

. Servigne, Pablo, Raphaël Stevens, and Yves Cochet, Comment tout peut s’effondrer: petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes (Paris: Ed. du Seuil, 2015)

En comparaison avec la vision d’une troisième révolution industrielle, que l’on pourrait qualifiée d’optimiste, le rapport de P. Servigne 7 est bien plus alarmiste, voir catastrophique. Deux ans plus tard, il publie d’ailleurs «Comment tout peut s’effondrer: petit manuel de collapsologie à l’usage des générations futures 8 », dans lequel il y décrit l’effondrement – collapsing – de notre système alimentaire actuel. Car, là où J. Rifkin voit la possibilité de mettre en place une économie basée sur l’énergie renouvelable en temps et en heure, d’autres s’aperçoivent qu’il est maintenant trop tard pour y arriver. La collapsologie analyse ainsi l’effondrement de notre système dans sa globalité, les causes et les moyens à mettre en œuvre afin d’en limiter les dégâts. Ayant une formation en agronomie, l’étude de Pablo Servigne se base sur l’étude de notre système alimentaire; ce qui, il me semble, constitue une suite logique dans la rédaction de ce mémoire puisque la première partie de celui-ci révélait les différents rapports que la ville a pu entretenir avec sa campagne nourricière, ainsi que les répercussions qu’a pu avoir l’agriculture sur la santé des villes et des populations.

NOTRE MODÈLE AGRICOLE ACTUEL Comme je l’ai déjà relevé plus haut, notre modèle agricole est maintenant bien différent de celui qui s’appliqua jusqu’au XIXème siècle. L’ère pétrolière qui émergea au début du XXème siècle engendra la transformation du modèle paysan de l’agriculture en un modèle industriel entrepreneuriat basé sur les énergies fossiles. Vit ainsi le jour une agriculture fortement mécanisée, fonctionnant sur l’utilisation d’intrants pétrochimiques – les produits phytosanitaires et les engrais phosphatés – ainsi que sur l’utilisation de méga-machines agricoles. Avec cette agriculture industrielle, ce fut par la suite, tout le système alimentaire, de la production à la distribution qui se transforma pour fonctionner au pétrole. Sur base de ce schéma - Fig 1 - représentant la chaine d’approvisionnement alimentaire actuelle, on se rend rapidement compte que la production de la nourriture ne consomme effectivement qu’une part infime de l’énergie correspond au système de production-distribution de notre alimentation. On s’aperçoit aussi que ce système est extrêmement dépendant de l’énergie fossile, que ce soit pour les transports, les transformations, l’empaquetage et la distribution. A chaque étape de cette chaine bien trop longue, une énergie importante est consommée.


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Fig 1. http://www.qsarticle. com/wp-content/uploads/ food-supply-chain-1620x311.jpg

Figure 1: Schéma de la chaine d’approvisionnement alimentaire

Le graphique ci-dessus - Fig 2 - met en comparaison les prix du baril de pétrole et des denrées alimentaires de base, on aperçoit aisément la corrélation qu’il existe entre les deux courbes. Fig 2. https://ipcc.ch/report/ ar5/wg2/index_fr.shtml

Figure 2: Graphique de corrélation entre l’indice du prix du baril de pétrole - en bleu - et l’index des prix alimentaires - en rouge.


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LES ÉNERGIES FOSSILES Au début des années 1900, à l’aube de la deuxième révolution industrielle, on devait injecter l’équivalent d’un baril de pétrole en énergie pour pouvoir en retirer cent, c’est ce que l’on appelle le EROEI – Energy Return On Energy Invested. En 2007, ce ratio était descendu à un pour douze. Or, on considère qu’en dessous de un pour vingt, la situation serait problématique et qu’en dessous de un pour dire, elle serait catastrophique. Aujourd’hui, ce ratio est passé à un pour huit, et nous avons commencé à dépendre, en partie, du gaz de schistes américain et des sols bitumineux – ratio de un pour trois -, nous sommes donc dans une situation énergétique catastrophique. On parle aussi souvent, lorsque l’on aborde la question de l’énergie, du pic pétrolier. Ce pic -Fig 3 - a été atteint au cours de l’année 2006. La bonne nouvelle qu’il annonçait était évidemment que si on était en haut de la courbe, il nous restait encore la moitié du pétrole disponible. La mauvaise nouvelle était qu’en raison d’un EROEI décroissant, nous ne pourrons jamais utiliser cette réserve. En fait, dans les vingt prochaines années, nous allons atteindre tout en ensemble de pic, les pics des métaux tout d’abords mais surtout, en 2030, celui du phosphore nécessaire à notre agriculture industrielle. Lorsque l’on met côte à côte notre modèle agricole dépendant du pétrole, et notre modèle énergétique défaillant, l’équation devient assez simple. Nous nous approchons de la fin de notre système alimentaire.

LA NOTION D’EFFONDREMENT Il faut ainsi noter que la notion d’effondrement n’est pas nouvelle, elle apparait pour la première fois en 1972 dans le rapport au club de Rome, ou «rapport Meadows: Halte à la croissance », dans lequel était modélisé pour la première fois notre système monde -Fig 4. Cette modélisation prédit ainsi l’évolution de notre monde pour les prochaines décennies -Fig 5. Ces prévisions, qui se sont révélées justifiées jusqu’à présent, prévoit donc un effondrement de l’ensemble de notre système aux alentours des années 2030, effondrement dont parle d’ailleurs officiellement le GIEC depuis son rapport de 2014. Là où Rifkin prévoit un monde où l’énergie renouvelable aura remplacé l’énergie fossile et préservera notre civilisation, la collapsologie, quant à elle, se demande comment limiter l’effondrement.


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Fig 3. Servigne, Pablo, Raphaël Stevens, and Yves Cochet, Comment tout peut s’effondrer: petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes (Paris: Ed. du Seuil, 2015)

Figure 3: Pic de production de pétrole

Fig 4. http://www1.udel.edu/ johnmack/frec324/pix/limits_ to_growth_global_model.png

Figure 4: Modèle World III

Fig 5. Servigne, Pablo, op.cit.

Figure 5: Prévisions du rapport Meadows


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L’AGRICULTURE MODIFIERA-T-ELLE ENCORE UNE FOIS NOS VILLES? Observant le graphique du rapport Meadows, on peut relever une diminution drastique de la démographie mondiale. Là où les Nations-Unis prévoient une population mondiale de neuf milliards d’individus au tournant des années 2050, la collapsologie en prévoit deux milliards. La raison de cet écart, nous dit Servigne, tient au fait que les chiffres de l’ONU ne sont que des prévisions hors-sols, ne se basant que sur des projections de natalité-mortalité, d’émigration... Qui ne prennent pas en compte le système dans lequel nous vivons. Juste avant, que la démographie ne chute, l’alimentation en fait de même. C’est en effet la diminution de la production agricole qui entrainera, comme par le passé, une diminution de la démographie. C’est pourquoi la réponse de P. Servigne pour limiter l’effondrement sera d’agir sur le modèle de l’agriculture, si possible avant que celui en place ne s’effondre. Pablo Servigne explique donc, à travers son rapport, le monde agricole qui devra se développer dans le monde postcarbone de demain. Ce sera un retour à une agriculture de petite échelle, puisque la puissance des machines agricoles n’existerait plus. Ce sera un retour à une agriculture plus saine, puisque les intrants pétrochimiques auront disparu. Ce sera surtout, un retour au modèle agricole paysan et un besoin de main-d’œuvre conséquent, puisque celui-ci sera désormais, basé sur l’énergie humaine. Basé sur les modèles d’agriculture écologique actuels, Pablo Servigne prévoit, que pour nourrir l’Europe en l’absence d’énergie pétrolière, le secteur de l’agriculture devrait employer 120 millions de personnes, faisant de celui-ci le premier secteur d’emploi en Europe. Qu’impliquera donc une telle transformation du travail sur la composition des villes? Qu’impliquera la diminution rapide de la démographie urbaine? Je dois avouer que je connais et analyse cette vision de la collapsologie depuis un certain temps et que je n’ai toujours pas réussi à élaborer une vision claire de ce que pourraient être les villes de demain. Assisterons-nous à la création de villes fantômes dû au déclin de la démographie ou dû à un exode urbain pour aller travailler dans les champs en bordure des villes. Ou assisterons-nous à une modification de nos villes, comme ce fut le cas au Moyen Age, avec la création d’une agriculture urbaine performante au sein même de nos villes? L’ensemble de nos transports roulant au pétrole, on peut envisager


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Deux visions futures de la société

un déclin du nombre de trajets effectués et ainsi une place plus importante disponible dans les rues permettant d’y cultiver… A ma connaissance, personnes n’a encore envisagé concrètement a quoi pourrait ressembler les rapports entre la ville et sa campagne dans un monde qui s’est effondré. Peut-être pensons-nous cela impossible ou inenvisageable pour le moment. Rien n’est pourtant encore réellement mis en place qui pourrait sauver notre système agricole…

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Une histoire des établissements urbains

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CONFERENCES - Servigne, Pablo, Nourrir l’Europe En Temps de Crise, 19.06.14

DOCUMENTAIRES - Borrel, Philippe, L’urgence de Ralentir (Arte France) - Gerhardt, Peter, Quand le bruit détruit (Arte Allemagne) - Notre bruit quotidien - Opitz, Florian, Speed : à la recherche du temps perdu (Arte Allemagne)






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