Mémoire PFE 2018

VIGNES

Cultiver pour s’élever

Aurélie Chrétien Sous la direction de Franck Rambert École Nationale d’Architecture de Versailles - 2018

PLAN AVANT PROPOS

VITICULTURE

PARTIE I - SOUS-SOL Chapitre 1 - La part des Anges

TERRITOIRE

PARTIE II - SOL Chapitre 1 - Texture

ARCHITECTURE

INTRODUCTION

PARTIE III - HORS SOL Chapitre 1 - Tradition

Symposion - Divinités - Pharmakon

Chapitre 2 - Le fruit Fragile Vignification - Conservation - Grotte

Chapitre 3 - le vin s’élève Tradition monacale - Lieux de cuve - Chai

Terre travaillée - Terre vulnérée - Terre plastifiée

Chapitre 2 - Structure Culture - Géométrie - Morphologie

Chapitre 3 - Porosité Contexte - Lumière -Matérialté

Ivresse - Archétypes - Immobiles

Chapitre 2 - Exhibition Mobiles - Posture - Propagande

Chapitre 3 - Horizon Énergie - Architecte - Émotions

CONCLUSION INVENTAIRE BIBLIOGRAPHIE - BU/LU 3

AVANT - PROPOS Je me souviens de ce rendez-vous en terre inconnue.

Je me souviens, une nuit d’automne, ouvrir les yeux et sentir mon cœur battre. Autour de moi, des rangs feuillus, des baies, de la pierre, un château majestueux à l’horizon et des odeurs envoutantes qui parfumaient l’air. Je me souviens de la lune, au-dessus de ma tête, de cette lumière nacrée qui, ronde et généreuse, baignait ce paysage d’une poussière d’argent et révélait la peau rosée et charnue des raisins sur les grappes de cette vieille vigne de Chinon. Ce soir-là, tout mon être a vibré aux pieds de cette nature qui semblait pourtant si commune. Jusqu’alors, je n’avais jamais eu d’autre plaisir que celui de déguster une bouteille d’un bon vin mais, enfin, j’ouvrais les yeux sur un territoire, un monde, un être, un caractère, un savoir-faire, une tradition, une architecture, une passion. Je fermais les yeux et sombrais entre les bras de l’inconnu, enivrée de cet amour naissant.

Dès l’aube, je partais à la découverte de ces terres nouvelles ; j’étais attendue près de Bourgueil. Je traversais la Vienne, la Loire. Au fur et à mesure que le soleil s’éveillait, se dessinait devant moi un spectacle d’eau, de lumière et de plantes. La terre et le ciel en feu embrasait la cime des ceps. La brume, témoin de cet ébat, s’élevait pour mystifier cette toute première fois. Deux jours passés et je savais, au plus profond de moi, que je ne repartirais jamais. Pendant quelques temps, les vignes du pays de la Loire sont devenues mon lieu de travail, mon paysage quotidien. Chaque journée, unique, m’arrachait à mes racines pour mieux les ancrer là-bas. Je levais les yeux vers la lumière, j’étais subjuguée, capitulant sans conditions.

L’inconnu était devenu familier, intime. Nous ne faisions plus qu’un.

J’avais vendu mon âme et donné mon cœur ce premier soir d’automne 2015. Le temps s’était arrêté et là commençait l’histoire de l’amour de ma vie et la raison de ce travail qui lui est destiné.

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146/114, Sillons. Acrylique sur affiches arrachées. Jean-Pierre Bréchet, 2006. Collection privée

INTRODUCTION En biologie, le mot « vigne », est le nom vernaculaire donné à plusieurs taxons. C’est une liane, une plante grimpante, sarmenteuse qui, si elle n’est pas maitrisée, se transforme en jungle.

Il existe plusieurs sortes de vignes mais la plus commune, celle dont nous sommes familiers et dont le fruit en grappe, le raisin, fait tourner les têtes, appartient à la famille des Vitaceae. Parfois sauvage, la vigne que l’on cultive est une vigne domestique du genre vitis dont l’espèce principale se nomme Vitis vinifera. La vigne est plantée sur des terrains qui constituent un vignoble et dont le travail et la culture sont la viticulture. Cultivée pour ses fruits, on en tire un jus appelé le moût, que l’on retrouve ensuite transformé en vin après sa fermentation. La méthode d’élaboration du produit fini s’appelle la vinification.

Enraciné dans 5 000 ans d’histoire de l’humanité1, la vigne recouvre plus de 10% du territoire français et fait aujourd’hui partie intégrale de notre patrimoine culturel. De la domestication de la vigne à son expansion, si sa consommation est traditionnellement de type culturel, elle est aujourd’hui devenue à fort contenu d’images. Le vin, présent dans la mythologie, les contes et les légendes, enivre les esprits depuis plusieurs siècles et son travail ponctue et structure notre paysage quotidien. Construire un vignoble, c’est travailler avec la terre. Entre une affaire de goût et un enjeu scientifique, le lien qui uni l’homme à la vigne est plurimillénaire et participe à façonner nos territoires en se réalisant sur trois niveaux de strate : le sous-sol, le sol et le hors-sol.

La vigne est à la fois mystique et filante, et pourtant, elle semble régie par des conditions, des codes, des normes et autres technicités mécaniques et physiques qui aujourd’hui viennent reconstruire . « Les premiers vestiges de vinification (résidus de vin, traces de tartrate, traces de gras sur les goulots pour la conservation) permettent de dater l’apparition du vin entre – 8 000 et – 5 000 ans avant J.-C. » SCHEROMM, Pascale. Quand le raisin se fait vin, Barcelone : ed.Quae, aout 2011. Page 15.

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nos horizons viticoles. Il existe une part invisible, antique, celle des profondeurs, des divinités et du sous-sol, qui véhicule la mémoire des fondements de la tradition ; mais il existe aussi une part visible de la vigne, celle du sol, qui lui donne son image et sa réputation.

Enfin, ce qui s’en extrait ne sont que les outils de la commercialisation : berceau de la création, terrain de transformation et serviteur de l’émancipation, l’architecture viticole s´élève et s’exhibe pour séduire. Entre tradition et modernité, nature et science, … artisanat, géométrisation du territoire, de l’agriculture à l’art il n’y a qu’un pas.

Du monde de la terre où l’on naît, au soleil qui la fait croître, comment la vigne accompagne-t-elle l’homme dans la fabrication de ses territoires ?

L’histoire de la vigne et du vin se confond avec l’histoire de l’humanité.

Cultiver la vigne relève de nombreux facteurs qui incombent à l’homme et à un contexte, et se conditionnent par l’équilibre de la plante. Tout comme l’architecte, le viticulteur conçoit son projet en fonction de nombreux facteurs tels que le sol, le climat et l’exposition.

Le facteur humain, lui, donne sa personnalité au terroir par le choix du cépage planté, par son travail de culture et d’aménagement et par le soin apporté à la vigne, mais aussi par le choix des infrastructures nécessaires au processus de vinification. Les distances de plantations, l’orientation, l’exploration et l’aménagement des sols, des sous-sols, l’extrusion des volumes qui accueilleront la récolte dessinent un paysage qui a subi une évolution en correspondance étroite avec le succès de la commercialisation du produit fini. Par ce travail de recherche, nous avons voulu trouver une corrélation entre l’évolution de la viticulture avec l’architecture dans le temps et dans l’espace.

Comprendre l’influence du lien qui nous unit à notre territoire par la relation intime entre l’homme et son environnement au travers de la vigne. En effet, nous essayerons de comprendre comment cette tradition a influencé la construction du paysage viticole français, se transformant au fil des siècles, puisant dans ses ressources pour s’élever toujours plus haut et se régénérer. Des légendes, berceaux de la tradition, aux chai-d ’œuvres architecturaux, fleurons de hautes technologies, en passant par les œuvres-d ’arts viticoles dignes des plus grands théâtres, la vigne est présente dans notre paysage sous toutes ses formes, à toutes les échelles mais toujours en artiste.

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Pour nos premiers pas dans ce monde entre viticulture, territoire et architecture, nous commencerons le voyage en immersion aux racines de la plante, dans les profondeurs de la terre, afin de comprendre les origines de la naissance de la viticulture et des traditions qui en découlent. Nous remonterons ensuite à la surface afin de comprendre comment travaille un sol, et quels sont les facteurs qui régissent et contraignent sa culture. Comment l’action de l’homme se combine aux facteurs de l’environnement. Par l’analyse des paysages, de la modélisation de notre territoire, nous évoquerons plusieurs exemples témoins de la vigne pactisant avec l’homme et ses intentions afin de montrer les projets que suscitent les relations intime entre êtres et nature. Enfin, nous nous tournerons vers l’horizon, pour contempler les hauteurs que prennent les bâtiments viticoles dans notre paysage et nous nous interrogerons sur la persistance de leur existence.

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“Construire c’est collaborer avec la terre: c’est mettre une marque humaine sur un paysage qu’en sera modifié à jamais.”

Marguerite Yourcenar, Mémoire d’Hadrien

HORS-SOL ARCHITECTURE

SOL TERRITOIRE

SOUS-SOL VITICULTURE

. PITTE, Jean-Robert. Géographie culturelle: Le vin et le divin, France: ed.Les indispensables de l’histoire, 2006. Page 667-668.

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« L’une des manifestations les plus fascinantes de la vie sur terre est la fermentation. Sa vigueur étonne, car les matières dont elle s’empare gonflent, s’échauffent, bouillonnent, éclatent, répandent de puissants effluves. Tel est le cas de cette nourriture hautement nutritive et digeste qu’est le pain. On imagine volontiers la surprise hébétée du premier céréaliculteur de Mésopotamie qui a eu l’idée de mêler de l’eau à de la farine et de laisser les ferments s’y installer, qui s’est aperçu peut après que cette pâte s’arrondissait comme le ventre d’une femme enceinte. Une fois cuite dans un four imaginé pour l’occasion, elle réunit l’état solide et l’état gazeux, le croustillant et le moelleux, le sec et l’humide, le salé et le sucré. Elle est en outre merveilleusement digeste. Tout autour de la Méditerranée et dans les régions du monde où ses civilisations ont essaimé, le pain est symbole puissant de vie, ce qui explique qu’il soit devenu si important dans le judaïsme et le christianisme.

Les mêmes céréales diluées dans davantage d’eau et livrées à l’empire des ferments permettent, plusieurs millénaires avant le pain, la naissance de la bière. Celle-ci a ensuite disparu d’Orient, mais elle s’est longtemps maintenue chez les Celtes (leur cervoise) et dans le monde germanique dont elle est un symbole partagé dans l’allégresse. La cueillette des raisins sauvages dans le Caucase, puis la domestication de la plante qui les fournit, Vitis vinifera, remonte aussi à la haute Antiquité. De la sélection et de la culture naissent des fruits plus gros et plus juteux, ainsi que l’idée de les presser pour en tirer une boisson qui s’est aussitôt mise à fermenter elle aussi, à chauffer spontanément, bouillonner, à dégager du gaz carbonique.

Le vin était né. Les peuples du Croissant fertile y prennent gout et éprouvent ses effets euphorisants, voire enivrants au-delà d’une certaine consommation.

On conçoit aisément qu’une boisson vivante qui, de plus, procure à ses consommateurs de si grands effets soit au cœur de la naissance des religions, c’est-à-dire des croyances et rituels reliant les hommes à leurs dieux. Plus même, les religions grecque et romaine fusionnent le vin et un dieu majeur de leur panthéon : Dionysos ou Bacchus2. » 17

LA PART DES ANGES La « part des anges » est une expression apparue au XVIIIe siècle évoqué pour la première fois par le curé de Segonzac dans une petite commune de Cognac. On raconte que le prêtre qui voulait remercier son invité, l’évêque d’Angoulême en lui offrant à boire un verre de cognac, aurait constaté une perte de volume du fameux spiritueux alors que le tonneau dans lequel il était contenu était parfaitement scellé. Le religieux ne pouvant comprendre ni élucidé ce mystère, en conclu que c’étaient les anges qui étaient venu prendre leur « part ». Une fois dite, l’expression fût répétée et devint très rapidement populaire. Toutefois, une autre origine pourrait lui avoir donné naissance car le terme « ange » était également utilisé par l’alchimie pour désigner les « substances volatiles » … En vérité, en viticulture, cette belle expression désigne, avec beaucoup de poésie, le volume d’alcool qui s’évapore des fûts lors de la conservation.

C’est un processus tout à fait naturel pendant lequel le degré d’alcool diminue jusqu’à atteindre le titre1 voulu. Ce joli nom divin que portent ces vapeurs n’est pas sans répercutions. Les substances volatiles libérées nourrissent des champignons microscopiques appelés « torula compniacensis ».

Ces levures accompagnent le vin dans son processus de maturation.

En proliférant, elles recouvrent les pierres des murs alentours, leur donnant cette couleur noire caractéristique qui permettait jadis de repérer des productions clandestines. C’est la constitution d’un milieu.

Aux récits de la naissance du monde, on raconte que les dieux conçurent la vigne et par elle, l’homme et la femme. L’architecture fut elle aussi l’œuvre des divinités. Ces divinités de la terre, du monde souterrain et des Enfers dites « chtoniennes », du grec ancien Kton qui signifie terre, sont les personnifications de la Terre et de ses cultes par les hommes. Siège de la fertilité ou royaume des morts, on distingue parmi les divinités chtoniennes le laboureur et le vigneron, des divinités infernales. Les souterrains se reflètent dans l’imaginaire collectif comme la face cachée, hideuse et fantasmée, tapie sous la 19

surface du sol où les plus curieux trouveront un monde à explorer. « Intime, est la cavité quand elle se replie sur toi. Tu y reviendras, y séjourneras. C’est à la fois un voyage introspectif vers l’origine, et initiatique vers le destin des vivants. Le berceau et le caveau.3» Dans cette première partie, nous réaliserons un voyage au cœur de la terre au travers des récits de Jean Robert Pitte et nous découvrirons les légendes qui ont forgées la place du flacon divin dans nos civilisations.

. KAFKA, Daria. Les divinités chtoniennes, et mythologie souterraine, L’empire de la mort. 02 Mars 2012 [en ligne], Avril 2017, Disponible sur : <http://ktakafka.free.fr/dieuChthonien.html> 3

SYMPOSION4 [...] « Il n’est pour les hommes deux divinités primordiales. Au premier rang est Déméter, la Terre, de quelque nom qu’on le nomme, celle qui nourrit les mortels de ferme nourriture. Le second, égal en puissance, c’est le fils de Sémélé, venu à son tour apporter aux hommes la substance liquide tirée de la grappe : elle délivre de leurs angoisses les pauvres mortels ; quand ils se gorgent de la liqueur de la vigne, elle leur fait don du sommeil, oubli des maux de chaque jour. Point d’autre baume à leur douleur. Il se verse en libation aux autres dieux, lui un dieu, et en lui les hommes trouvent félicité. » Extrait d’Euripide, Les Bacchantes. « Le poète tragique Euripide, qui vivait au Vème siècle av J.-C. décrit

dans Ion un banquet et un Symposion tels que ceux auxquels il devait participer souvent et où il trouvait probablement une part de son inspiration. Ion offre un banquet aux Delphiens, venus du haut lieu grec par excellence de l’effusion avec les dieux. Les convives s’apprêtent à la rencontre sacrée avec le grand Dionysos. Ils se parent de fleurs et comblent largement leur appétit afin que leur estomac ne se rappelle pas douloureusement à eux au moment du rite sacré. On commence à rire, y compris du vieillard qui s’emploie par ses pitreries à créer parmi les convives l’atmosphère de sociabilité indispensable.

Puis ce même personnage donne le signal de la célébration et du glissement progressif vers l’ivresse sacrée, sans se départir de sa bonne humeur. Alors circulent le cratère, les phiales d’or et les coupes d’argent. Dionysos descend de l’Olympe chez les hommes.

Le symposion est au cœur de la sociabilité masculine grecque; il rapproche les esprits et les cœurs ; il est une métaphore de la politique. Rien de bon ne peut arriver à la Cité sans sa pratique régulière. Il est surtout un acte religieux par lequel les hommes s’adonnent à Dionysos et se fondent en lui. Lorsque survient l’ivresse, 3

. Symposion : en grec symposion ou symposio, vient de sympinein, “boire ensemble”.

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le dieu se laisse entrevoir et il envoie ses consolations. Euripide le dit explicitement : Dionysos « se verse en libation aux autres dieu, lui un dieu et en lui les hommes trouvent leur félicité ». Ainsi, le symposion est non seulement un rite social, un hommage au dieu mais aussi un véritable sacrement au cours duquel les adorateurs s’abiment dans la contemplation de leur dieu. » Le culte romain de Bacchus n’en est guère éloigné et les bacchanales s’inspirent beaucoup des fêtes dionysiaques.

Mais ce qui frappe dans le banquet et le symposion, c’est qu’ils préfigurent l’Eucharistie. Le christianisme plonge ses racines dans les religions de la Méditerranée orientale. Il a conservé des symboles et des rites venus de Mésopotamie, d’Égypte, de Grèce, de Rome.

Ce qu’il a évacué, comme l’avait déjà fait le judaïsme, c’est l’ivresse totale (et non l’euphorie…). Celle-ci est trop dangereuse en ce qu’elle ravale l’homme au rang de la bête. Elle risque de lui faire commettre les pires excès des sens, la violence et, surtout, le blasphème. Les religions païennes magnifient l’abandon total de l’esprit dans les dons des dieux que sont la nourriture, le vin, la sexualité. Les monothéismes prônent la tempérance et la maitrise de soi qui permettent de garder la conscience claire du mystère insondable de Dieu. L’islam ira plus loin encore en prêchant l’abstinence totale du vin.

Cependant, dans le sacrifice de la messe chrétienne, bien des détails du rite sont directement hérités du monde grec. Le calice de métal précieux est héritier du cratère. La communion des prêtres autour de l’autel au même calice empli de sang du Christ rappelle le symposion et la circulation du grand cratère plein de Dionysos lui-même. Le mélange de vin et d’eau, réalisé au moment de l’offertoire, symbolise le sang et l’eau qui sortirent du Christ en croix, transpercé par la lance du soldat romain, mais se rattache aussi à un usage antique général.

Seuls les barbares négligeaient cette marque de civilisation. La manière de boire de l’aristocratie qui découvre la nouvelle boisson et ses effets plus visibles que ceux de la cervoise sont les prémices des déviances de l’égarement produit par l’enivrement. Les marchands se frottent les mains et reçoivent un esclave pour prix d’une amphore du breuvage que les Gaulois ne savent pas encore confectionner. Rien de dionysiaque dans cette recherche d’une ivresse « coup de massue» 22

qui n’est rien d’autre que de l’éthylisme avancé, quelque chose de comparable à ce que connurent les peuples africains, amérindiens, Inuits ou du Pacifique Sud lorsqu’ils rencontrèrent les Européens et leur « eau de feu », funeste habitude dont certains ne sont pas remis….

L’usage de l’eau mêlée au vin s’est perpétué jusqu’à une date très récente en France, y compris dans les milieux aisés et d’amateurs de bons vins. On se gausse de Napoléon qu’additionnait son chambertin d’eau glacée. Il faisait en réalité comme Louis XIV avec son vin de Vosne. La glace était même le signe d’un suprême raffinement.

L’habitude de boire le vin pur n’est apparue qu’avec le champagne mousseux, mais n’a atteint la manière de boire le vin rouge qu’au XIXème siècle et même au XXe siècle. Dans les années 1950, la plupart des Français buvaient du vin à table et le coupaient encore d’eau dans leur verre. Désormais, seuls les prêtres maintiennent l’usage antique.

Le souvenir de Dionysos est particulièrement cher aux chrétiens de Paris, puisque leur premier évêque – Denis – portait ce nom et qu’il fut décapité à Montmartre au IIIe siècle, au milieu des vignes qui couvraient déjà la colline d’où elles ne disparurent qu’au XIXe siècle sous les coups de l’urbanisation triomphante.5 »

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. PITTE, Jean-Robert. Op.Cit n°2 Page 671-674.

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Portrait de Bacchus, Le Caravaje

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Scènes de Dyonisos sur vasques antiques

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Selon une légende, Dyonysos aurait offert le premier plant de vigne à l’un de ses amis, un certain Ampelops - Roger Lamouline

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DIVINITÉS « Noé, le cultivateur, commença de planter la vigne. Ayant bu du vin, il fut enivré et se dénuda à l’intérieur de sa tente. Cham, père de Canaan, vit la nudité de son père et avertit ses deux frères au dehors. Mais Sem et Japhet prirent le manteau, le mirent tous deux sur leurs épaules et, marchant à reculons, couvrirent la nudité de leur père ; leurs visages étaient tournés en arrière et ils ne virent pas la nudité de leur père. Lorsque Noé se réveilla de son ivresse, il apprit ce que lui avait fait son fils le plus jeune. Et il dit : “Maudit soit Canaan !

Qu’il soit pour ses frères Le dernier des esclaves ! “ Genèse, 9, 20-25 Lot monta de Çoar et s’établit dans la montagne avec ses deux filles, car il n’osa pas rester à Çoar. Il s’installa dans une grotte, lui et ses deux filles. L’ainée dit à la cadette : “Notre père est âgé et il n’y a pas d’homme dans le pays pour s’unir a nous a la manière de tout le monde.

Viens, faisons boire du vin à notre père et couchons avec lui ; ainsi, de notre père, nous susciteront une descendance.” Elles firent boire, cette nuit-là, du vin à leur père, et l’ainée vint s’étendre près de son père, qui n’eut conscience ni de son coucher ni de son lever. Le lendemain, l’ainée dit à sa cadette : “ Hier, j’ai couché avec mon père : faisons-le boire encore cette nuit, et va coucher avec lui ; ainsi de notre père nous susciteront une descendance.” Elles firent boire du vin à leur père encore cette nuit-là et la cadette alla s’étendre près de lui, qui n’eut conscience ni de son coucher ni de son lever. Les deux filles de Lot devinrent enceintes de leur père. L’ainée donna naissance à un fils et elle l’appela Moab ; c’est l’ancêtre des Moabites d’aujourd’hui. La cadette aussi donna naissance à un fils et elle l’appela Ben Ammi ; c’est l’ancêtre des BenéAmmon d’aujourd’hui. » Genèse, 19, 30-38 «Aussitôt sauvés des eaux déchainées, Noé le Juste scelle une alliance

avec Dieu en plantant une vigne afin de produire du vin. Le texte de la Genèse est l’un des plus anciens témoignages écrits du rapport entre le vin et le divin. Aucune religion née dans le Croissant fertile et sur les rives de la Méditerranée ne l’oubliera plus. Dès le IIIe millénaire, 29

les Mésopotamiens, buveurs de bière, importent le vin des confins de Taurus et du Caucase. C’est une grande émotion que d’y songer en parcourant les vignobles plantés aux alentours du monastère de Saint-Grégoire l‘Illuminateur, haut lieu du christianisme arménien qui se dresse face à l’Ararat, l’inaccessible montagne située aujourd’hui en Turquie musulmane. Ils sont parmi les plus anciens du monde et leur vin se boit plutôt agréablement.

Dès son entrée dans l’histoire de la révélation de Dieu aux Hébreux, le vin se présente avec ses facettes multiples, séduisant, malicieux, dangereux, artisan de joie, mais aussi du dépassement. La fascination qu’il inspire tient à ce qu’il est, comme le pain, fruit de la terre (donc de la Création des cinq premiers jours) et du travail des hommes et que, une fois la fusion accomplie, la vie s’en empare. Le processus de fermentation tiendra du prodige tant que l’on n’aura pas découvert l’existence des levures qui le provoquent. La pâte pétrie de farine et d’eau lève dans la tiédeur du fournil comme dans le sein d’une mère.

Le jus de raisin s’échauffe dans la cuve, bouillonne, se colore jusqu’à ressembler à du sang. Muni de ces deux viatiques, l’homme ne craint ni la faim, ni la soif. Ainsi apprivoisés par les ferments, cet aliment et cette boisson conviennent admirablement à l’appareil digestif humain. Avec un soupçon d’huile d’olive, un peu de fromage (lui aussi fermenté) et quelques fruits, ils constituent le fameux « régime crétois », gage de longue vie terrestre et de sveltesse.

Mais le vin possède une vertu supplémentaire : il engendre l’euphorie, sentiment indispensable à l’acceptation de la condition humaine, à la conscience de la mort. Ce qu’il procure se situe entre la paix, la joie et l’oubli. En boire réclame un peu d’abandon, sans refus de sa nature d’enfant de Dieu, sans se prendre pour Dieu Lui-même. C’est pourquoi l’interprétation de la Genèse selon laquelle l’arbre de la connaissance du bien et du mal serait une vigne est si belle. Une fois le péché originel commis, Dieu laisse aux hommes la consolation de l’usage de cette plante et de la boisson qu’on en tire. Mieux même, Il leur confère une place centrale dans la Rédemption. Le Messie se compare à un cep dont ses disciples, les sarments à qui il lègue l’eucharistie, mystère de son sang qui prend les apparences du vin.

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Ayant donc planté le provin et bu son vin sans précaution, Noé s’endort sous sa tente, non sans s’être auparavant dénudé, révélant ainsi à ses fils le triomphal instrument de leur naissance, autre arbre de vie et de la connaissance du bien et du mal. Ce geste est d’une immense portée, puisqu’il rappelle l’état d’innocence d’Adam et Eve. Il préfigure l’effacement du péché originel par l’incarnation et la passion du Christ, fusion avec Dieu dans le vin de l’eucharistie, l’enlèvement de la tunique du Christ au moment de sa mise en croix et le retour de son âme à Dieu, le corps dépouillé de tout vêtement.

Au-delà, il annonce le retour des élus à l’état d’innocence, l’intimité éternelle avec Dieu qu’ils connaitront au paradis, là ou plus aucun vêtement ne sera nécessaire pour voiler le corps glorieux. Tout cela, Noé le voit en songe grâce aux vertus de son vin. Sainte sieste ! Le désordre véritable, la transgression majeure, ce ne sont donc pas l’ivresse et l’apparente impudeur de Noé, mais le rire épais de Cham qui ne comprend pas le sens de la scène qu’il surprend. Bien que n’ayant pas bu, c’est lui qui commet la faute fatale en se moquant de l’auteur de ses jours, de l’ami en qui Dieu a mis toute sa confiance pour refonder l’humanité.

Comme Caïn, il est maudit pour longtemps, jusqu’à la Rédemption tout au moins. Au contraire, ses frères, saisis d’effroi, comme s’ils pressentaient le caractère sacré de la scène, avancent à reculons pour couvrir leur père sous sa tente, comme plus tard l’Arche d’alliance couvrira les tables de la loi dans le temple, le linceul, le corps du Christ au Sépulcre et le tabernacle, l’eucharistie dans les églises. Dans toutes les religions, les objets sacrés sont voilés aux yeux des fidèles ; leur ostension appelle, aussitôt jeté un regard furtif, la prosternation et les yeux clos.

La Genèse comporte un autre épisode révélant les effets bouleversants du vin. Ayant fui Sodome dont les habitants tournaient en dérision les mystères de la Vie, Lot ne parvient pas à marier ses filles dont les fiancés ont préféré Sodome et ont donc péri. Comme Noé, il s’enivre et se couche nu dans sa grotte. Mais loin de se moquer de lui ou de le recouvrir d’un vêtement, ses filles s’unissent à lui afin de perpétuer la ligne du Juste. Interdit majeur, l’inceste est alors aussi nécessaire qu’il le fut naguère entre Eve et ses fils. D’un mal apparent peut naitre 31

un grand bien. Rien n’est plus conforme à la lettre et à l’esprit de la Révélation : “Bienheureuse faute originelle qui nous a valu l’Incarnation du fils de l’Homme ! “ La Bible est emplie de bénédictions à peine tempérées de prudentes mises en garde à l’égard du vin “qui réjouit le cœur de l’homme “ (Ps, 104,13-15). Conformément au choix des filles de Lot, seul l’acte d’amour le surpasse : “Qu’il me baise des baisers de sa bouche Tes amours sont délicieuses plus que le vin. “» (Cantique des cantiques, I,1)6

. PITTE, Jean-Robert. Op.Cit n°2 Page 677-680.

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Noé. La malédiction de Cham

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Les filles de Loth enivrant leur père - peinture à l’huile - collection privé de François Lemoyne

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Loth et ses filles - Anonyme anversois -vers 1520 - Musée du Louvre, Paris

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PHARMAKON « Le pharmakon n’a ni identité idéale, ni essence stable, ni caractère propre7 » Dans notre société moderne, boire du vin est un rituel, un acte fortuit, de célébration ou de désespoir. C’est un geste spontané que l’on réalise, à sa convenance, en petite ou grande quantité mais toujours pour une raison, le sentiment d’abandon. S’abandonner, c’est se donner, se livrer entièrement, s’oublier dans l’allégresse du moment, capituler. Pour décupler une joie, célébrer, ou la provoquer en oubliant la tristesse d’une situation. S’abandonner pour le plaisir de se sentir libre, ne plus rien sentir, flotter. Jean-Robert Pitte le dit plus haut : « Mais le vin possède une vertu supplémentaire : il engendre l’euphorie, sentiment indispensable à l’acceptation de la condition humaine, a la conscience de la mort. Ce qu’il procure se situe entre la paix, la joie et l’oubli. En boire réclame un peu d’abandon, sans refus de sa nature d’enfant de Dieu, sans se prendre pour Dieu Lui-même. » Dans le don de soi, il y a cette approche ultime que procure l’abandon des sens, il modifie la notion des perceptions, les humeurs. Par cette citation l’auteur révèle le pouvoir divin de l’outil du plaisir, celui de faire bruler ardemment le cœur et de nous donner à vivre, à sentir la vie si fort, que cette prise de conscience nous plonge aussitôt dans la crainte de la mort, dans « l’acceptation de notre condition humaine », et dans l’odieuse réalité qu’elle peut donc aussi, à tout moment, nous abandonner à jamais. Le vin nous rend mortel. En parcourant les textes antiques, bibliques ou divins, des légendes aux écrits qui traversent les temps, s’ouvre devant nous les portes des abysses.

L’ambivalente sensations que procurent le jus juste est trompeuse. . DELAIN, Alain, Les mots de Jacques Derrida, In situ. (ed.Guilgal, 2004-2017). 22 février 2007, [En ligne], 07 mai 2018. Disponible sur: <https://www.idixa.net/Pixa/pagixa-0702221451. html>.

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Comme nous le prouve les légendes du Symposium grec, de Noé ou de Lot, les tourments de l’ivresse transcendent les hommes et les transportent de l’euphorie à l’inceste. C’est le Pharmakon. Dans le livre de Jacques Derrida, La Dissémination, on en trouve une définition : « La signification du mot grec pharmakon peut facilement s’inverser : remède bénéfique ou poison maléfique, dedans/dehors, parole/ écriture, il n’a rien d’une substance. Ce n’est pas un élément ni un composé d’éléments, c’est un milieu ambivalent, le medium à partir duquel s’effectue toute dissociation. Il est analogue à l’imagination, une sorte de mixte, ni sensible, ni intelligible, capable de réaliser l’unité des contraires (comme l’écriture, qui facilite un certain type de mémoire - morte - mais décourage la mémoire vive). Même la potion mortelle bue par Socrate sous le nom de ciguë (en grec pharmakon) est ambivalente : instrument de mort et/ou véhicule vers l’immortalité de l’âme, poison et/ou instrument de salut. » Si le symposium était le remède bénéfique où l’ivresse sacrée ouvrait la porte des mondes et permettait aux hommes de communier physiquement avec leur dieu, la boisson qui saoule Lot et le libère de son désespoir est le poison maléfique. Mais là encore, si l’on tente de lire entre les lignes, le vin n’est autre que l’instrument de la constitution d’un milieu, celui de la communion. La communion de l’esprit des Hommes qui s’unissent dans leur songe à Dionysos pour leur salut ; et la communion des corps des deux filles de Lot qui s’unissent à leur père pour leur honneur. On entre dans un milieu instable, entre rêve et réalité où l’on couvre pour ôter du regard l’objet du péché pour en faire la révélation et lui donner une importance. L’ivresse est un Pharmakon ; de la moquerie ou de l’inceste, seul prône la vie qu’elle engendre.

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Matinée d’ivresse (Morning of ecstasy) inspiré par Arthur Rimbaud - Tino Rodriguez,

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LE FRUIT FRAGILE

Le fruit de la vigne est fragile. Le raisin est vivant, émotif, et sensible. C’est un fruit de tous les soins qui demande une attention particulière et technique. Sa transformation en vin ne peut se réaliser qu’en respectant ses conditions strictes de « confort ». De sa vendange à son conditionnement jusqu’à sa consommation, le raisin puis le vin, demande tour à tours de la lumière puis de l’obscurité, de la chaleur puis une douceur ambiante, jamais trop d’eau mais beaucoup d’humidité… La moindre altération dans le processus pourrait le faire tourner vinaigre. Le vin provient du monde de la terre où il naît.

Cette filiation s’enracine dans une logique ancestrale de protection, à l’instar de l’architecture troglodytique, où l’abri en sous-sol prévient les méfaits de la lumière du soleil sur le moût récolté. Cette césure avec le monde extérieur marque l’intériorité intestine de l’élaboration vinicole. L’univers des sous-sols est le lieu de sa fabrication, celui d’une alchimie ancestrale où la privation calculée et maîtrisée de certains éléments enfante un breuvage qui, quant à lui, est promis à un retour à la surface où il servira à célébrer une vie de fête.

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VINIFICATION De la cuve à la bouteille, le vin reste un objet constant de préoccupation. Il faut l’élaborer, le perfectionner, le mener à terme, le stocker, le faire vieillir tout en le protégeant des nombreuses divergences naturelles. Depuis la grappe, cueillie sur le pied de vigne, jusqu’à la bouteille que l’on déguste autour d’une bonne table, la vinification nécessite un long processus. Dans ce cas, l’architecture s’appréhende comme un écrin pour le vin. Pour comprendre les lieux qui l’abritent, il faut comprendre comment le vin se comporte dans son milieu. Ses exigences de confort évoluent selon les étapes de sa vie. Il en existe six. Pour comprendre la place qu’occupe la vigne et le travail de son fruit dans notre territoire, il faut connaitre ces processus de transformation, ces temporalités, savoir de quoi se constitue l’emprise d’un vignoble, et à quels impératifs correspond son programme : 1º Faire le vin Première étape, la viticulture. Il s’agit de faire faire produire à la vigne des baies saines et riches en sucres, et les récolter lors des vendanges.

C’est un travail main dans la main avec la plante, son entretien, son équilibre. Les sous-étapes, dans l’ordre sont : planter la vigne, attendre 3 ans (la troisième feuille) pour avoir les premiers raisins, tailler la vigne, plier les baguettes pour permettre aux bourgeons du rameau sélectionné de produire des grappes plutôt que du bois, travailler les sols pour éviter trop de concurrence par la végétation entre les rangs, ébourgeonner pour enlever les pousses de rameaux non fructifères (les branches qui ne produisent pas de raisin), relever le palissage (les fils de fer qui pendent de chaque côté du rang et qui, quand on les remonte, vont redresser les feuilles pour laisser pendre les grappes), et enfin la vendange ! C’est un travail qui s’effectue exclusivement dans les vignes, sur le terrain.

Deuxième étape, la vinification. Transformer le jus de raisin en vin.

Là il s’agit d’accompagner le vin qui va naturellement, en cuve, 43

subir deux processus, la fermentation alcoolique, et la fermentation malolactique. La cuverie représente le volume le plus important de tous les bâtiments annexes au vignoble.

La fermentation alcoolique se fait en cuve, avec des raisins souvent éraflés (défaits de leur grappe). Là le jus sucré qui s’écoule des baies entre en contact avec les levures présentes naturellement sur la peau du raisin. Ces levures consomment les sucres du jus de raisin, et recrachent de l’alcool et du gaz carbonique. Pour les vins rouges, on laisse le gaz s’échapper, mais pour les vins pétillants, on referme la bouteille avant la fin de cette étape, pour que les gaz qui sont rejetés par les levures soient emprisonnés dans la bouteille. Ce qui fait les bulles ! Quand la fermentation arrive à son terme, on sort les raisins de la cuve, et on les presse dans un pressoir pour extraire les dernières gouttes de jus, ainsi que les couleurs. Toute la couleur d’un vin lui est fourni par les pigments contenus dans la peau du raisin. Le jus de raisin est toujours blanc, même pour les raisins rouges. C’est pourquoi on laisse à macérer les raisins avec leur peau, appelée la pruine, pour en extraire la couleur qui donnera la robe du vin.

Pour faire du vin rosé, on laisse le raisin macérer quelques heures seulement, puis on le presse. Pour faire du vin blanc, on utilise des raisins blancs, et on le presse instantanément. La fermentation alcoolique, quand elle se fait naturellement, dure de 3 semaines à 3 mois. Il existe quelques variétés de vignes qui ont le jus coloré, mais elles sont interdites par les AOC, car elles sont le résultat d’hybridation de différentes espèces. On appelle ces cépages « teinturiers ». Par exemple le Gamay de Bouze. La fermentation malolactique se réalise en général à la suite de la fermentation alcoolique. Elle se fait par l’intervention de bactéries anaérobies présentes naturellement dans le jus de raisin en fermentation. Ces bactéries transforment les acides maliques en acides lactiques, et de fait diminuent l’acidité ressentie dans le vin. Elle est faite pour tous les vins rouges, mais souvent évitée pour les vins blancs, afin de conserver leur caractère nerveux, leur vivacité.

L’étape des fermentations est complexe et peut être dangereuse pour l’homme. Le vin qui fermente chauffe dans les cuves et dégage du gaz carbonique en grande quantité. Il faut être méticuleux et les 44

manipulations en solitaire sont à éviter car ces gaz sont extrêmement toxiques et peuvent provoquer la mort.

2º Le conserver vin La destinée naturelle du jus de raisin est de finir en vinaigre. Le vin est une découverte de l’homme, qui a su maitriser les stades de la transformation et stabiliser le jus fermenté à l’étape recherchée.

Une fois les fermentations à terme, le vin est transféré de la cuve de fermentation à la cuve d’élevage. Cette étape est peut-être la plus importante et précède la mise en bouteille. Elle permet de purifier le vin et de faire évoluer ses arômes pour lui donner son goût définitif en le rendant « consommable ». Il existe deux grandes catégories d’élevage. L’élevage en cuve inox, acier ou béton majoritairement qui peut durer de 1 à 2 mois pour les vins nouveaux (Beaujolais) et l’élevage en barrique de bois pour les vins plus élaborés nécessitants un vieillissement allant jusqu’à 10 à 12 mois. Pendant cette période, les fines particules présentent dans le jus vont se déposer dans le fond pour y former une lie. Seul le haut des cuves sera ensuite soutiré pour remplir les bouteilles. Ces espaces de cuviers sont extrêmement sensibles à l’air et aux altérations atmosphérique. Il nécessite un grand espace hermétique.

3º En avoir pour en boire Une fois l’élevage arrivé à son terme, le jus est transvasé pour remplir les bouteilles et traditionnellement bouché avec du liège. On voit parfois aujourd’hui des bouteilles avec des bouchons en plastique, voir même des capsules. Celles-ci seront ensuite stockées dans les caves de vieillissement ou envoyées directement dans les espaces de vente pour leur consommation. Le rendement moyen en France est de 50hl/ha de vigne. En considérant une bouteille de 75cl contenant donc 0,0075hl, 1 hectare de vigne produit, une fois retiré la part des anges, les lies, les pertes, les fonds de cuves et de barriques et quelques gouttes échappées, environ 4 500 bouteilles/ha. Dans un environnement bien agencé, on peut espérer compter 180 bouteilles/ m3 soit 1 800 bouteilles pour 4m2. Tout cela implique une organisation spatiale ainsi qu’une importante capacité de stockage mais aussi de gestion des flux des entrées et sorties de livraisons.

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4º En faire vieillir pour le plaisir Faire vieillir un vin, c’est un peu comme patiner un meuble, rouiller une tôle d’acier ou un bois de façade. C’est laisser la trace du temps, de son environnement, le façonner et s’y confondre. Les caves de vieillissement sont les espaces nobles des vignobles et ceux dont l’image est la plus répandue car « un vieux vin est un bon vin ». Et bien non ! Ou du moins, ce n’est pas suffisant. Car pour que le vieillissement soit optimal et que les tanins et le bois s’arrondissent, cela demande de l’exigence. Le processus peut être réaliser en deux étapes. Pour cela, on préfèrera les grands volumes qui permettent une meilleure structuration du vin. La première peut se faire dans des futs de chêne, qui seront soit ouillés c’est-à-dire remplis de vin régulièrement pour combler la part des anges, soit oxydatifs c’est-à-dire qu’on accepte l’évaporation de la part des anges – les vins jaunes du Jura par exemple – et qu’on laisse un voile naturel de bactéries s’installer à la surface du vin pour le protéger du contact de l’air. La deuxième étape se fait directement dans la bouteille. Toujours dans une logique de rapport air/volume, on préférera les magnums aux bouteilles de 0,75cl. Toute considération de volume à part, une bouteille devra impérativement être conservée à l’horizontale. Cela permet de garder le bouchon toujours humide et d’éviter trop d’évaporation des effluves d’alcool, très volatiles. Si cette règle n’est pas respectée, on observera au bout de quelques années un phénomène de « coulure » qui détruira les arômes du vin. Celui-ci sera considéré « passé ».

5º En garder pour les mauvaises années La visite se poursuit dans les caves annexes où l’on retrouvera la production d’anciens millésimes, après vieillissement ou simplement stockés afin de pouvoir être en mesure de répondre à la demande des consommateurs pendant les années moins fructueuses. Car une fois encore, le fruit est sensible et les conditions climatiques et changements violents de température pendant les saisons dites sèches que nous observons depuis quelques années peuvent détruire toute une récolte…. Si l’action de l’homme régit le travail de la vendange de la baie jusqu’à sa vente en polissant son breuvage, c’est la nature qui est maitresse de la récolte et de la production. Une chute de grêle, le gel ou une inondation en plein ébourgeonnage entre février et octobre…. Et c’est tout un millésime qui disparait.

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6º Ne pas se le faire voler Denrée précieuse et convoitée, il arrive que certains viticulteurs envoient « par mégarde » mais toujours en humble conscience, leurs vendangeurs innocents cueillir les grappes des rangs de la plantation voisines. En effet, les limites parcellaires ne sont que très rarement signalisées, ce qui provoque de vives altercations. Bien sûr, construire et diriger un vignoble, c’est aussi en assurer sa sécurité et la tranquillité de la récolte, et de ses bouteilles vieillissantes, qui se traduiront dans le choix des matériaux de construction et des techniques d’innovations.

Faire du vin relève d’un processus complexe, d’une méthodologie, d’une gestion des flux humain et liquide, d’un peu d’alchimie et de beaucoup de poésie. Tout cela est réalisable grâce à la gestion parfaite et consciencieuse de l’espace qui accueille ce vaste programme.

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Grappes de raisins vendangée

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Ancien pressoir traditionnel

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Photographie du travail de tri des grappes de raisin après la vendange.

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Cuves de transformation du raisin

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Schéma de vinification du vin rouge du Domaine Peiros, en Provence

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Réaction chimique du raison pour l’extraction du moût pendant la fermentaiton en cuve

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CONSERVATION Une fois le programme établi, il faut ensuite s’intéresser aux besoins et aux contraintes de « l’occupant ». Le vin, contenu, et le milieu, contenant. Au cours des 6 étapes de fabrication du vin, apparaissent des contraintes et s’introduit la notion de confort.

Confort thermique et confort hygrométrique, deux paramètres indispensables tant pour l’élaboration que pour la conservation du vin alliant complexité physique, chimique et alchimique. C’est la constitution d’un milieu.

Pour faire de bonnes baies dans la vigne il faut de l’eau, du soleil et des température positives de Février à Octobre pour éviter le gel des bourgeons ou des raisins. Pour faire du bon vin, il faut une humidité atmosphérique de l’air qui circule, appelé hygrométrie, afin d’éviter le développement de certaines bactéries (notamment celles qui font tourner le vin en vinaigre) et d’en favoriser d’autres, tout en maintenant une température constante de 13ºC. Si la température est trop élevée, le vin vieillit trop rapidement alors qu’une température trop basse le cristallise. Soit, une fois récolté le raisin n’a plus besoin ni d’eau, ni de soleil ni de chaleur mais d’un équilibre constant entre humidité dans l’air et température de confort idéal, sans variations ni fuite. Lors des phases d’élevage en barrique et de stockage (étapes 4 à 6), le vin doit être maintenu dans une ambiance stable. Des variations sensibles de température tendent à réduire sa puissance aromatique. Une température trop élevée ou trop basse jouera ainsi défavorablement à la conservation du vin et altérera son goût. C’est pourquoi il faut trouver les moyens de contrôler la montée en température des cuves, qui vont s’échauffer au cours de la fermentation. Il faut pouvoir maintenir sa cave autour des 13º / 15º ou sa cuve en-dessous des 25º fatidiques, température à laquelle les levures meurent. Pour que le processus se poursuive correctement, le deuxième élément de confort du vin est le taux d’humidité dans l’atmosphère. Les variations d’hygrométrie filtrent immédiatement à travers les bouchons de liège et jouent un rôle clef dans le vieillissement. Mais il faut être prudent, 55

trop d’humidité ambiante entraine un risque de putréfaction du bouchon, et trop peu d’humidité le fera rétrécir exposant ainsi le vin à différentes invasions bactériologiques, et fatidiquement, mènera à la coulure de la bouteille.

Comme la part des anges qui, en s’évaporant, alimentent la teinte noire des roches qui l’abritent ; le raisin en mutation, puis le vin, participe à la constitution d’un milieu qui s’imposera sans condition à tous ceux qui désireront les manipuler. C’est dans la nature que se trouve le cadre et les conditions idéales, car le sous-sol répond à ces exigences sans n’avoir aucun recours à l’intervention de l’homme et offre, par ailleurs, un environnement de prédilections pour la viticulture.

Au-delà des questions géotechniques et de nature des sols, le soussol présente la caractéristique d’une température homéotherme et d’une humidité constante dans l’atmosphère appelée l’hygrométrie. Il suffit de descendre à quelques mètres de profondeur pour que toutes les conditions de confort soient parfaitement régulées. On peut également ajouter à cela un avantage financier indéniable : l’emprise foncière d’une grotte ou d’une cave troglodyte est nulle. Toutes ces qualités mises bout à bout attirent de nombreux viticulteurs à donner un usage noble à ces espaces et à investir les caves hypogées pour y aménager leurs caves de vieillissement. En puisant dans les profondeurs de la terre, on y trouve toutes les ressources naturelles indispensables à la fabrication du vin.

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“Stamnos”, vase à conserver le vin. Musée du vin de Laon

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Cave Hypogée. Hygrométrie et confort thermique constant naturellemen

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Cave de vente à température , ventilation et humidité dans l’air par des systèmes mécanisés

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Pour se conserver une bonne conservation les bouteilles de vin doivent être maintenues à l’horizontal. Getty Images/iStockphoto - L’Express Tendance

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Les bouteilles de vin sont celler par des bouchons de liège, de cire, de plastique, ou parfois même, d’une capsule.

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GROTTES Le monde sauvage, naturel, est dissocié du monde civilisé, géométrisé. La nature effraie car elle est indomptable. Les grottes et cavernes offrent une zone de confort, une sécurité et un repos. Ce sont des sentiments intimement liés à notre perception d’un dehors et d’un dedans. Il existe une limite physique entre sauvages et civilisés, celle de l’enclos. La notion de cloisonnement se décline dans de nombreuses mises en œuvre architecturales, une figure identifiable qui permet de justifier l’existence d’un contenu et d’un contenant.

L’espace qui supporte l’élaboration du vin s’appelle un chai. Il s’agit d’un mot occitan dont l’emploi s’atteste également dans le Poitevin et sous des formes éloignées comme kae, en Bretagne ou cae, en Irlande, où il prend le sens de cave ou de maison. Partageant une étymologie commune avec celle de quai, le chai traduit la notion de construction d’amarrage destinée à recueillir le vin et à pénétrer dans le sol afin d’y assurer le stockage d’une denrée vinicole s’avérant des plus sensibles au monde aérien (air, eau, soleil). En passant du stade de jus de fruit à celui de boisson fermentée, le vin réclame une coupure impeccable avec le monde extérieur. Les cuves requièrent l’hermétisme pour que la réaction fermentaire opère, se stabilise et s’achève selon des règles strictes relevant d’une précision alchimique. Le raisin est certes l’enfant du soleil et du vent, mais le vin naît indubitablement du monde souterrain. Ce constat millénaire a contribué à confiner durablement la topographie de la cave au sous-sol des exploitations viticoles. Il est donc naturel de considérer le chai, dans un premier temps, comme une construction enfouie dans la terre, pleinement dédiée à sa fonction conservatrice et élaboratrice.

Le troglodytisme ne relève pas du seul registre viticole. La fonction cavernicole répondait au temps des hommes préhistoriques à un impératif de survie associé à la prédation et à la rigueur climatique.

Seule la technologie a permis la conquête d’un habitat de surface.

Vivre hors de portée des menaces, dans un climat tempéré, et dans 63

un espace solide, constituait ainsi les trois visées fondamentales d’un monde ancestral qui a légué des « connaissances ataviques » précieuses à la science vinicole. Ceci explique l’évolution naturelle, méthodologique et architecturale des lieux et bâtiments viticoles jusqu’au XIe siècle. Leur évolution épouse en effet celle de l’art roman qui connaît alors un essor invitant une architecture plus durable. Pour cela, en France, les matériaux couramment utilisés au Moyen-âge, bois et torchis laissent place à la pierre. Que ce soit pour l’architecture militaire, religieuse ou civile, cela suscite une grande demande en matériaux de construction.

Pour cela, le plus bel exemple français se trouve sans doute incontestablement dans le sous-sol girondin. Celui-ci possède des caractéristiques non négligeables : une pierre calcaire, tendre, facile à travailler et à exploiter. Le village de Saint-Emilion, à l’est de Bordeaux, témoigne de la trace de l‘exploitation de la pierre et des sous-sols. L’extraction est datée du XIVème siècle, mais sera ensuite interdite au XIXème siècle pour des raisons de sécurité.

Actuellement, des galeries sont encore présentes sous le village et une partie du vignoble. Environ 200 kilomètres sillonnent son sous-sol. L’extraction souterraine peut surprendre mais les raisons sont rationnelles et participent à la construction de notre paysage.

Creuser à ciel ouvert entraînerait un abime d’une surface immense empêchant l’exploitations des sols pour d’autres activités de culture.

De plus, cela demanderait un long et considérable travail du sol avant de pouvoir atteindre la qualité de pierre désirée. Enfin, on peut accéder et évacuer plus facilement les pierres de manière horizontale par les flancs des collines qu’à la verticale, ce qui aurait nécessité d’importants outils de levage. Les galeries de ce village ont connu différents usages : caves, champignonnières, cachettes pendant la Révolution française, et bien sûr berceau de la viticulture.

Le château Ausone se trouve sur le plateau de Saint-Emilion à une altitude de 75 mètres. Sous terre, un monde se dévoile. Une structure majestueuse composée de piliers de dimensions variables à la répartition chaotique tantôt alignés, tantôt désaxés, entraine une confusion spatiale totale et diffusent les repères d’orientation. En observant le plan de la carrière, on distingue l’étonnante proportion 64

entre les pleins et les vides. Ausone possède 3 carrières ; la plus petite, d’une surface de 1 800 m2, abrite aujourd’hui les bâtiments viticoles de la propriété. Deux dômes ont été percés afin de laisser pénétrer la lumière naturelle. La date de ces transformations n’est pas avérée, mais déjà en 1728, on évoque « une grotte servant de chai et cuvier ». La capacité de stockage varie de 100 à 200 barriques, en fonction de la période de vinification. Elle abrite aussi le stock privé de bouteilles de la propriété, dont les plus anciens millésimes datent de deux siècles. Au même niveau, on trouve une autre carrière de 3 800 m2, où la hauteur des galeries s’élève de 4 à 6 mètres. Ici, les piliers y sont plus fins, mais toujours irrégulièrement positionnés. La portée atteint jusqu’à 11 mètres, laissant glisser la lumière du jour. A l’étage inférieur, la troisième carrière prend place sous des hauteurs plus confinées entre 1,70m et 3,5m ; en revanche, sa superficie est colossale : 8 000m2. Ce sont 153 piliers qui jalonnent cet espace, avec un entre axe d’environ 4m, donnant au visiteur une étrange sensation de forêts de rocs et d’infinie petitesse.

Depuis ces espaces hypogés, la conservation du vin est idéale.

Ventilation, température, lumière et humidité sont des facteurs gérés de manière passive en s’insérant en sous- sol dans le paysage.

Aujourd’hui cette thématique du troglodytisme reste un sujet qui intéresse bon nombre d’architectes dans leur réalisation. Question d’image, évocation d’une certaine mystique, assurance d’un air frais naturel et d’une bonne isolation thermique, quel qu’en soit l’usage… Vivre en dessous du niveau de la terre offre des réalisations qualitatives, bien qu’elles restent loin des préoccupations premières.

Il est cependant impossible, notamment financièrement, de creuser à de telles profondeurs aujourd’hui ni d’espérer pouvoir un jour trouver des solutions architecturales aux questions de surdensité dans nos sous-sols.

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Chai à barrique et galerie intérieure du Château Ausone, à Bordeaux.

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Plan des galeries souterraines des grottes du Château Ausone, à Bordeaux.

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Carte postale, L’ermitage, la grotte miraculeuse au XXème siècle, de Saint-Émilion

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Grotte du chai viticole Isamel Arroyo

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Salle de vieillissement en barrique Viña Vik, Chili

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Bodega Bell Lloc, Espagne, espace central de distribution

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LE VIN S’ÉLÈVE

Les plus belles histoires d’amour sont celles qui, en ne partant de rien, se tire vers le haut en travaillant main dans la main. Complice.

Il existe une relation entre l’homme et la terre qui se reflète dans le travail et leurs accomplissements. Cultiver la terre pour cultiver l’âme, produire pour un jour et en avoir toujours… les lieux de vinification ont subi une évolution en corrélation avec la place accordée au vin dans notre société. L’apparition de la notion d’élevage transforment la spatialité de l’outil. De l’ombre des profondeurs à l’importance de la lumière, caractère vivant et outil nécessaire de la construction de l’espace, l’éclosion des premières architectures viticoles prend ici de la hauteur et nous entrainent jusqu’à la surface dans sa quête de vérité. Conserver pour s’élever.

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TRADITION MONACALE La tradition vinicole procède d’un héritage ecclésial transmis par les moines à travers de nombreuses générations. Dès le bas Moyen-âge, la culture viticole s’étend dans toute la France, simultanément à son affirmation au sein de la pratique liturgique. Le vin comme incarnation du sang critique trouve là une noblesse qui se retrouve dans le soin apporté à sa confection. Le travail viticole, au même titre que le travail agricole, constitue pour le clergé un moyen de maintenir un équilibre entre vie spirituelle et vie terrestre. Il est logique que ce savoir-faire ait fait l’objet d’améliorations techniques continues dont atteste, d’une certaine façon, l’évolution architecturale du bâtiments viticoles. A ce titre, apparaissent les celliers, qui petit à petit, concourent à la remontée des sous-sols vers le monde terrestre : une cave au plus-bas, des habitations au second étage et des combles, enfin, en affleurement du sol. Cette conception en strates contribue à la structuration du chai en fonction spécifique autour d’une triple préoccupation vinicole (fermentation, élevage, conservation).

Prisé par les barbares, et sacralisé par les clercs, le vin a connu tout au long du Moyen-âge une élévation spirituelle qui s’est traduite, au plan pratique, par une structuration et une « technologisation » progressive des sous-sols des exploitations viticoles. L’extension nationale d’une tradition vinicole fut facilitée par l’existence d’un patrimoine monacal recouvrant la France entière ; une culture en réseau qui a permis la généralisation de concepts et d’outils constitutifs de l’architecture viticole. Aux Vème et VIème siècles, les invasions barbares permettent aux Wisigoths de s’installer durablement sur le territoire francophone.

Bien qu’ils soient surtout amateurs de bière, de lait ou d’eau, ils ne négligent pas les vins qu’ils pillent dans les caves. Cependant, on peut leur reconnaître leur clémence, ils ne s’attaqueront pas aux vignobles, n’anéantissant pas les siècles antérieurs de viticulture gallo-romaine. Au IXème siècle, on observe le même comportement avec les invasions vikings ; que ce soit pour célébrer des morts, des 75

victoires ou des simples banquets, le vin coulera en abondance pour leurs fêtes.

Même si le vin est présent dans de multiples rites païens, le christianisme permet un maintien dans la valeur qu’elle donne au vin.

Tout au long du Moyen-âge, les évêques s’attachent à la préservation et la création de vignobles. On en trouve dans les palais épiscopaux, dans les cités, au pied des remparts, ... c’est un symbole de richesse et de bonne santé. Un grand nombre de vignobles sont dispersés sur le sol français, et si l’on en croit Roger Dion « c’est la France entière qu’il faudrait parcourir si on voulait n’omettre aucun des vignobles jadis créés par la viticulture ecclésiastique médiévale8 ». La nécessité première de la culture de la vigne dans les abbayes est liturgique. En effet, la communion sous les deux espèces, le pain et le vin, assure une perpétuelle demande et une augmentation croissante de leur consommation dues au fort taux de participation des fidèles qui communient assidument jusqu’au XIIIème siècle. Qui plus est, les évêques sont tenus de recevoir pèlerins, voyageurs, princes, rois, empereurs... Ce sont tout autant d’hôtes qu’il faut recevoir dignement et sans lésiner pour les plus prestigieux. L’abondance est maitre mot.

L’expansion du christianisme sera le corollaire de l’expansion de la viticulture dans le monde. Ce n’est que plus tard que le vin connaitra un développement et un enrichissement grâce à la commercialisation.

Il faut se détacher d’une idée préconçue selon laquelle les moines trouvaient dans le vin les consolations à des interdits. La viticulture et la vinification opérées par les moines ont été « un des plus grands services rendus à la civilisation occidentale9 ».

Les siècles durant, les moines perpétuent cette tradition viticole.

Pour sauver leurs âmes, les donations de terre par les propriétaires se répandent et les moines deviennent les héritiers de ces cultures.

Mais les textes ne précisent pas la qualité des sols et bien souvent, pauvres et ingrates, peu fécondes pour les céréales, elles sont d’une

.DION, Roger, Histoire de la vigne et du vin en France des origines au XIXème siècle, Paris: ed.Flammarion, 1959, (1977, nouvelle édition).

9 .SEWARD, Desmond, Les Moines et le vin: histoire des vins monastiques, Paris: ed.Pygmalion, 1979 8

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grande richesse pour la vigne. Les églises devenues propriétaires des vignobles, ce sont les moines eux-mêmes qui s’occupent de la culture monastique et contribuent à leur essor encore existant dont les plus beaux exemples peuvent s’admirer en Bourgogne. Régisseurs des lois divines sur terre, ils le seront également pour nos sols.

Ce qui s’apparente aux premières règles d’urbanisme apparaissent vers l’an 530 avec Benoît de Nursie qui rédige la règle de Saint Benoît. C’est une règle monastique qui guidera les moines dans leur vie quotidienne. Elle dicte tant les obligations religieuses que celles laïques et équilibre les obligations en mettant au même titre la prière, le sommeil et la culture. Le travail manuel devient une élévation personnelle au même titre que le travail spirituel : « c’est alors qu’ils seront vraiment moines, lorsqu’ils vivront du travail de leurs mains, à l’exemple de nos pères et des Apôtres10 ». Le travail des moines va profondément impacter le paysage. Sortir les sols ingrats, les tourner vers la culture et les élever de leur état de nature est tout à l’honneur de l’homme qui civilise, apporte la lumière et lutte contre la barbarie, dans l’imaginaire de l’époque. Ces gestes de conduite transcendent et favorise le développement des vignobles et très vite s’accompagne d’un remaniement des espaces qui permettront le travail du fruit récolté. La règle de Saint Benoit proclame « Le monastère doit, autant que possible, être disposé de telle sorte que l’on y trouve tout le nécessaire : de l’eau, un moulin, un jardin et des ateliers pour qu’on puisse pratiquer les divers métiers à l’intérieur de la clôture. De la sorte les moines n’auront pas besoin de se disperser au-dehors, ce qui n’est pas du tout avantageux pour leurs âmes11 ». Cette règle prône un équilibre entre le travail manuel et le travail spirituel, impliquant fortement les moines dans le travail de la vigne et l’organisation des vignobles sur le site même des abbayes. Cette tradition traversera les différentes époques du Moyen Age et six siècles plus tard, la règle de Saint Benoît sera la référence absolue des cisterciens et le premier plan référencé de l’organisation spatiale d’un domaine viticole.

.Règle de SAINT BENOIT, Chapitre 48, 8 .Ibis, Chapitre 66, 6-7

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Illustration du travail de la vigne au XVème siècle

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Moines cultivant la vigne - gravure - 1923

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LIEU DE CUVE La tradition vinicole procède d’un héritage ecclésial transmis par les moines à travers de nombreuses générations. Dès le bas Moyen-âge, la culture viticole s’étend dans toute la France, simultanément à son affirmation au sein de la pratique liturgique. Le vin comme incarnation du sang critique trouve là une noblesse qui se retrouve dans le soin apporté à sa confection. Le travail viticole, au même titre que le travail agricole, constitue pour le clergé un moyen de maintenir un équilibre entre vie spirituelle et vie terrestre. Il est logique que ce savoir-faire ait fait l’objet d’améliorations techniques continues dont atteste, d’une certaine façon, l’évolution architecturale du bâtiments viticoles. A ce titre, apparaissent les celliers, qui petit à petit, concourent à la remontée des sous-sols vers le monde terrestre : une cave au plus-bas, des habitations au niveau supérieur et des combles, enfin, en affleurement du sol. Cette conception en strates contribue à la structuration du chai en fonction spécifique autour d’une triple préoccupation vinicole (fermentation, élevage, conservation).

C’est au cœur d’un vallon que se niche le cellier aux moines, vestiges unique de l’implantation de l’Abbaye de Clairvaux construite à la fin du XIIème siècle. Les moines élaborent leur vin ici, profitant de la température constante et de l’obscurité de ce lieu. Bâtiment en pierre, la cave est classée Monument Historique, aujourd’hui, ce sont 55 000 bouteilles de champagne qui y sont stockées. Le cellier est composé de 3 niveaux ; un premier dans lequel on y trouve une cave, un second abritant l’étage d’habitation et enfin les combles. L’élément le plus notable est la grande cave, située en sous-sol. Ses dimensions sont marquantes ; elle s’étend sur environ 600m2 (34m x 17m), ponctuée de deux rangées de cinq colonnes. Le plan s’organise à partir d’un module carré de 5m (distance entre colonnes). Les différents arcs (ogives, formerets et doubleaux), à l’allure massive, sont de section rectangulaire. Ils retombent « sur des piliers octogones, dont les faces prolongent l’intrados des nervures ».

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Plan du cellier de Colombé le Sec

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Images intérieures du cellier de Colombé le sec - Orgives en pierre massi

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CHAI Pour accueillir toutes les étapes de la vinification, l’homme a dû édifier, construire un lieu nommé de nos jours « chai », mais qui a connu d’autres appellations selon les régions et les époques. Dans le dictionnaire, la définition qui est donné de ces lieux reste élémentaire : “Selon les régions, lieu destiné à la vinification et à la conservation ou uniquement à la conservation des vins”.

Derrière cette définition sommaire se cache une complexité dans l’organisation des différents espaces qui composent un chai et, qui se reflète de façon notoire dans l’architecture. Le chai comme outil, comme abri ou comme image ; de l’enfouissement à l’exhibition, la dimension architecturale du chai relève d’un caractère alchimique.

D’abord espace cavitaire niché dans le sous-sol auspicieux, le vin s’élabore dans le monde de la terre. Sa fermentation rappelle le feu de la lave par laquelle les exhalaisons sulfureuses concourent à la transformation du fructose en éthanol. Curieusement, cette maîtrise procède du monde spirituel puisque ce sont les moines qui en ont perpétré le savoir-faire tout au long du Moyen-âge. Le spirituel à l’épreuve du spiritueux, tels est le crédo propre au monde du feu, encore que cet univers n’échappe pas tout à fait à celui de l’eau que contient en partie le vin. Le monde de l’air, enfin, traduit la lente mais certaine remontée du chai vers la surface. Comme accouché de luimême, il conquiert aujourd’hui l’économie viticole en rétablissant le dialogue entre les châteaux et les maisons. Emblématique de la marque, le chai est mis en valeur, et transformer de l’outil en moyen de communication, porteur d’image, et transcende les espaces et les paysages.

Face à la modernisation des moyens de production et à un changement des modes de consommation, on observe une mutation progressive des temporalités dans l’usage du chai viticole. En 1862, Louis Pasteur mène des expériences et des études sur la fermentation et met au point une découverte empêchant l’oxydation du vin. En chauffant 85

le vin (entre 55°C et 70°C), le germe responsable de l’oxydation est détruit, c’est la pasteurisation. Grâce à cette dernière découverte permettant de stabiliser le vin et ainsi, de le consommer et le vendre plus tardivement, on passe d’une consommation quasiment immédiate à une conservation à long terme. C’est le point de départ d’une longue course vers l’artificialisation, la mécanisation, et l’âge d’or de l’évolution de la place du vignoble. Il faut donc repenser l’agencement des espaces pour intégrer ce nouveau programme de cave d’élevage. Le vin s’élève et élève les ambitions, les murs et les esprits pour donner au chai l’image de marque du vin qu’il servira à produire.

Traditionnellement en région méditerranéenne, la faible valeur du vin et sa consommation rapide dicte la fusion des deux fonctions, productrice et conservatrice, en un même espace. Peu à peu, le statut du vin évolue, glissant d’un vin de table à un vin plus raffiné entrainant dans ses hauteurs les lieux de fabrication du produit fini qui s’adapteront à son évolution. En parallèle et par opposition, dans la région Bordelaise, une nouvelle règle se met en place. La distinction entre le lieu de production de celui de conservation va s’introduire dans un nouveau programme. Parmi les raisons de ces changements, y participe la révolution de la bouteille. Apparue au début du XVIIIème siècle, celle-ci présente plusieurs avantages et endosses plusieurs rôles : contenir, conserver, transporter et servir. Bien qu’elle soit lourde et fragile, elle est inerte et n’apporte pas de modification à son contenu. C’est grâce à elle qu’est apparue la notion de vieillissement.

Des progrès en matière d’œnologie sont aussi en amont de cette rationalisation de la production. En effet, les processus de fabrication et d’élaboration sont mieux maîtrisés et il est dorénavant possible d’intervenir sur un critère du vin de façon indépendante (couleur, saveur, etc.). Les premiers manuels d’œnologie seront publiés dans les années 1880 ; tant d’avancées en matières de vinification qui élèveront la place du vin au rang de produit de luxe.

.Dans le monde du vin, la pasteurisation est appelée “Flash-pasteurisaton” ou “Thermoflash”.

Ce procédé a l’avantage de respecter les qualités organoleptiques du vin. Elle esert aussi à contrer l’instabilité protéique.

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Images intérieures du cellier Colombé leChâteau sec - Orgives en pierre massi Cave dede vinification, Pouget, Bordeaux

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Cellier du Grand Craboules, Vue de la cuverie et des pressoirs à vapeur

Plan du cellier de Colombé le Sec

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Châteaux Malescot- Coupe et élévation du cuvier

Images intérieures du cellier de Colombé le sec - Orgives en pierre massi

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Illustration du foulage de la vendange dans un autre château du Médoc

Plan du cellier de Colombé le Sec

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Images intérieures du cellier de Colombé le sec - Orgives en pierre massi

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HORS-SOL ARCHITECTURE

SOL

TERRITOIRE

SOUS-SOL VITICULTURE

« Et il fit de la terre et des saisons, un théâtre. » Louis Henry Sullivan Le sol est la première partie visible de la vigne, celle qui lui donne son image et sa réputation. Il est un élément du terroir, d’identité et de délimitation pour expliquer les différences entre appellations voir entre parcelles au sein d’un même domaine. “Une découpe de sol présentant les différentes strates et l’exploration racinaire est un outil très répandu dans les chais de dégustation et de vente. […] Le sol sur lequel pousse la vigne fait donc partie intégrante de l’identité du vin présenté et, à ce titre, il est un patrimoine à entretenir, à valoriser et à préserver. […] la composante « sol » relève d’un milieu « physique » (sol et climat) et, plus précisément, de l’environnement pédoclimatique

. GAVIGLIO, Christophe. Gestion des sols viticoles. Slovénie: Ed.France agriculture, 2013.

Page XII,XIV,3.

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dans lequel se développera la vigne. […] Au-dessus, prend place la composante « vigne », avec le choix du cépage et du porte-greffe, mais aussi d’autres paramètres (densité de plantation, mode de conduite, charge, orientation parcellaire, etc.) qui vont aboutir à un potentiel « vendange ». […] Enfin, tout au-dessus, la composante « vigneron » s’exprime pour transformer le potentiel « vendange » en produit fini, le vin. […]13” Cette composante humaine est l’outil qui dessina sur la terre le premier sillon sacré de Romulus et Rémus dans les légendes des fondateurs de Rome et qui fabrique nos horizons et nos paysages agricoles et viticoles que nous observons dans notre pratique quotidienne.

Contexte à l’élaboration d’un projet, la nature d’un sol intervient dans les choix de ses paramètres d’exploitation. On décrit un sol par sa texture, sa structure et sa porosité. Ces préoccupations sont à l’origine de la notion de « qualité des sols ». La construction d’un vignoble est méthodique et découle d’un travail d’esquisse, d’analyse et de réflexion autour de nombreux facteurs qui seront à l’origine d’un rendement non pas maximal mais optimal de la vigne en relation directe avec son implantation. Comme l’architecte qui, pour construire son ouvrage, se devra de tenir compte d’un contexte, dans le projet d’architecture, les paramètres d’exploitation sont : l’implantation (le sol), la structure, la matière (texture), sans jamais perdre de vue pour autant, le travail des façades et de ses percements afin d’optimiser l’orientation et l’apport de lumière naturelle (porosité)… Ils construisent, à leur échelle, dans la préoccupation première d’un rapport de densité, de confort et de qualité à l’origine des propriétés visuelles, olfactives et gustative du vin.

Entre tradition et modernité, nature et science, artisanat et mécanisation, de l’agriculture à l’art il n’y a qu’un pas. Le paysage viticole qui s’étend à perte de vue sur notre territoire semble régie par des conditions, des codes de conduite, qui viennent reconstruire nos horizons viticoles et s’élever, s’exhiber pour séduire. De la main de l’homme à la machine, la terre est la scène d’un théâtre de lumière et de couleur dans un océan planté. La vigne est présente dans notre paysage sous toutes ses formes, à toutes les échelles mais toujours en artiste. Elle est le premier acte de construire et le moteur des premières organisations spatiales à grande échelle.

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TEXTURE « La texture d’un sol se définit par ses proportions relatives. […] Ces particules plus ou moins fines interviennent sur les propriétés physiques du sol. […] La structure du sol est le mode d’assemblage des particules qui le composent ; c’est l’agencement dans l’espace de ses constituants. Elle est déterminée par la forme des agrégats - les plus petits éléments indivisibles du sol. La structuration naturelle des sols est liée à leur texture et conditionne une propriété, la porosité, qui est un facteur important de la perméabilité. Pour apprécier la structure et la porosité, il faut réaliser une coupe dans le sol pour examiner les différentes couches du sol.14 » Pour apprécier la texture d’un sol, il suffit d’ouvrir les yeux, et de balayer du regard les immenses étendues que nous offre les horizons terrestres. On y verra alors la marque indélébile de l’homme sur la terre entre travail, agressions et esthétique. Symbole d’une étroite collaboration et reflet d’un désir d’artificialisation, la marque de l’homme pactisant avec la nature se dessine sur le territoire de différentes façons. Elle peut être travaillée et exploitée pour ses richesses, c’est l’agriculture. Malheureux terrain de jeux des plus vaniteux, elle est aussi trop souvent vulnérée et martyrisée par les agressions des combats et des guerres. Dans l’art, la texture est aussi la consistance d’une toile, ses vibrations, ses irrégularités, les créations formées par la matière organique sur son support. Elle attire le regard, attrait la main, incite le franchissement et suscite la curiosité, le dégout ou l’émerveillement. Le monde est un spectacle qui inspire les plus créatifs. Portée par une volonté de se confronter à la terre, à la matière et aux éléments, de sortir du cadre… le sol devient parfois une toile expérimentale pour les arts plastiques.

. JARDINER AUTREMENT, Le site de référence pour jardiner sans pesticide, [en ligne], www. jardiner-autrement.fr [Date inconnue]disponible sur: <https://www.jardiner-autrement.fr/ teneur-sol-matiere-organique> 14

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TERRE TRAVAILLÉE Cicéron parlait de deux natures. La première est celle des origines, la nature vierge, celle d’avant l’homme, intouchée. La seconde est celle façonnée par l’Homme qu’il crée à l’aide de ses mains, celle d’après l’homme, la nature travaillée : la culture. L’agriculture c’est le développement des civilisations. Monique Mosser15 en mentionne une troisième et donne le jardin comme étant la somme de la nature et de l’art. L’étymologie du mot Nature vient du latin natus, né du verbe nascor, qui signifie naître. Le mot Culture vient du verbe colere qui signifie « cultiver » ou « honorer ». Cicéron sera le premier à l’appliquer au champs lexical de l’âme, et écrira : « Un champ si fertile soit-il, ne peut être productif sans culture, et c’est la même chose pour l’âme sans enseignement » (Tusculanes, II, 13). Voltaire suivra cette pensée en écrivant les mots de Candide « Il faut cultiver notre jardin ». Par analogie, on peut donc prétendre que le travail de la terre élève l’âme.

Le sillon est la trace produite à la surface de la terre par l’homme, l’animal ou la machine. C’est le premier geste de délimitation sur la terre, une ligne sacrée, qui marque la limite entre un dedans et un dehors, dessiné par Romulus pour créer le tracé de l’enceinte de Rome à bâtir.

Il causa la mort de son frère Remus qui, pour le défié, le franchi. C’est un tranché cinglant dans le territoire qui structure et protège le terrain.

Equidistant et régulier, il permet de structurer le sol par le travail du labour. Ce premier travail du sol est l’image de la tradition, et celle qui transcende les épaisseurs pour se refléter depuis le ciel. Le sillon représente la géométrie identifiable du travail de culture et inspire les plus belles architectures. Le Pavillon de Photographie dessiné par l’architecte Renzo Piano le décline pour le confondre au cœur des 125 hectares du vignoble Bordelais. Fondu dans la topographie, une allée en pente douce se fond dans la topographie et permet un apport de lumière naturelle dans la salle d’exposition construite en béton et en verre pour un camouflage optimal. Le pliage de sa toiture en toile tendue sur des arches métalliques graciles, dans la continuité des rangs de vigne, « en symbiose avec son cadre naturel [fait] écho 99

au rythme graphique des vignes environnantes ». L’architecte décrit l’effet créé comme « un mélange de légèreté et de simplicité, comme si le bâti se mettait au service de l’art et de la vigne16 ».

La culture est le résultat d’un processus de développement et s’organise sur plusieurs temporalités, celles du monde rural qui lui donne naissance. Implanté majoritairement de façon linéaire, on le découvre aussi oblique, circulaire et parfois même organique. Plus étroit dans les plantations, il s’élargie puis se brise pour permettre le passage des machines qui accompagne le paysan dans son travail.

Berceau de l’agriculture, il est omniprésent : dans les champs, les rizières, les fleurs et les vignes…

. Monique Mosser est historienne de l’architecture et des jardins. Ingénieur au CNRS rattachée au Centre André-Chastel à Paris, elle enseigne à l’École nationale supérieure d’architecture de Versailles. Née en 1947 elle est historienne de l’art française, spécialiste de l’architecture et surtout des jardins, en particulier au XVIIIe siècle. Avec la paysagiste Isabelle Auricoste et l’architecte Janine Christiany, elle fonde en 1992, au sein de l’École nationale supérieure d’architecture de Versailles, une formation de troisième cycle sur les jardins historiques, qui deviendra le Master « Jardins historiques, patrimoine et paysage », associé à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne, et aura formé au bout de vingt ans plusieurs centaines de professionnels à intervenir sur un site paysager d’intérêt historique, artistique ou culturel, qu’il s’agisse de le protéger, le réhabiliter ou le mettre en valeur. Chevalier de l’Ordre National de la Légion d’Honneur depuis 2007, elle a également collaboré avec des artistes (Gianni Burattoni, Catherine Contour) et des paysagistes tels que Gilles Clément et surtout Pascal Cribier, en particulier pour la réhabilitation du jardin des Tuileries. Elle a notamment codirigé Histoire des jardins de la Renaissance à nos jours (Flammarion, 1991, rééd. 2002).

16 . THOMAS, Anne-Lys, “Un pavillon de Renzo Piano au château La Coste”, Ideat - Contemporary Life, 23 mai 2017, 07 juin 2017. Disponible sur: < http://ideat.thegoodhub.com/2017/05/23/ pavillon-de-renzo-piano-chateau-coste/> 15

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Vue aérienne du vignoble de Blenheim, Nouvelle Zélande 101

Pavillon Château La Coste, Bordeaux, Renzo Piano 102

Image de drone de’une vigne, “Les spécificités de la vigne” 103

Vicenzo Reda, barolo di damilano, cru Cerequio 104

Photo The argentine, La terre vue du Ciel, Jean-Pierre Van Corp 105

Vigne en Italie 106

Vigne de Huelva, Espagne 107

Vignes, Route des vins, Aérodrome de Pizay 108

Paysage agricole vue du ciel 109

Paysage agricole vu du ciel 110

Vigne Rittochino, Langhe, Italie 111

Yann Arthus Bertrand, La terre vue du ciel, Chine 112

Champs de fleurs de Carlsbad, Californie, EEUU 113

James Turell, “Sooner than later” plan du projet Roden Crater, Arizona 114

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Vue aérienne des vignes du village de Geria 116

Jean-Pierre Sudre - Sans titre - Composition végétale, Galerie Alain Ferraton, Bruxelles 117

Christian Piesch, 1er prix de photo, La Geria made in Lanzarote, Iles Canaries 118

Raoul Ubac, Les mirroirs 119

Yann Arthus Bertrand, Vue du ciel 120

Paysage agricole 121

Les vignes de Lanzarote, Iles Canaries

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Vignes vue du ciel en Dracény 123 123

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TERRE VULNÉRÉE “ Je crois que la beauté du monde est partout, même là où les manuels de géographie nous décrivent la terre comme aride, infertile et sans accidents. Il est vrai que la plupart des livres ne valent rien, il nous faudra les réécrire.17” Le sol renferme la plus grande richesse de notre planète. S’il est le témoin de l’homme pactisant avec la nature, le gisement des ressources qui donnent la vie et le moyen par lequel les hommes, en le travaillant, élèvent leurs esprits ; il est aussi le spectateurs et l’acteurs de la destruction. Toute construction commence par une destruction, celle d’un site, d’un sol vivant. Les transformations que subissent nos terres vulnérées, scarifiées, surexploitées sont moteurs d’inspiration et de création.

Le travail de la photographe Sophie Ristelhueber, nous transporte et retrace son parcours des lieux dévastés par les bombardements et les guerres. Des sillons ou des cratères, ses oeuvres illustrent les bouleversements naturels ou culturels au travers d’une réflexion sur le territoire dans une approche sensible de la ruine et de ses traces.

Marquantes de la présence humaine, elle utilise le tournage pour produire des œuvres plastiques qui relatent l’absence de toute forme de vie. De la guerre du Golfe au Liban, elle écrit : « par la photographie, je m’efforce de mettre en œuvre le geste et l’empreinte de l’histoire à la fois sur le corps et sur le paysage, en rendant visibles les blessures et les cicatrices, véritables souvenirs des « actes » de l’histoire. » Ces scarifications de la terre, ces « sillons destructeurs » reflet des agressions de l’homme, ne sont pas toujours le résultat de conflits territoriaux. En France, au Canada ou en Ecosse, elles sont les vestiges des traces de l’exploitation des ressources minières. Dans

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. HILLESUM, Etty. Une vie boulversée, France: ed.Seuil, 1995.

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la Sarthe, les excavations d’argiles parsèment les plaines. Utilisé à des fins esthétique et constructive, on retrouve l’argile dans la création de poterie en terre cuite et de brique. Sur l’île de Lewis, dans les îles Hébrides, ce sont les hommes puis les machines qui, pour l’extraction de la tourbe, sont à l’origines de destructions qui structurent et dessinent les paysages. Cependant, ces agressions dirigées, participent à l’élaboration des matériaux de constructions de l’habitat écossais et sont une source de chaleur primaire pour leurs habitants. Son utilisation est aujourd’hui en déclin, bien que sa mise en œuvre dans l’architecture locale, consciencieuse de l’environnement, reste une tradition. L’ordre introduit un désordre qui, vue du ciel, s’apparente aux prémices du Land art.

La dernière forme de destruction est directement liée à nos modes de vie et de consommation. Provoquée par la surdensité de population sur terre, l’urbanisation « sauvage » des bidonvilles africains et des barrios d’Amérique centrale participe à l’étouffement des sols.

L’impact sanitaire additionné à l’impact de la surexploitation du sol bâti au mètre carré, provoque une dégénérescence des ressources et participe à la pollution des sols. Cependant, si l’on prend un peu de hauteur, fort est de constaté que le désordre vécu sur terre représente une étendue spectaculaire à l’échelle aérienne. Vue du ciel, ces océans de plastiques, de tôles ou de bois se transforment en paysage dont les géométries ne laissent pas de place au hasard.

C’est un chaos ordonné qui, sans trop d’imagination, nous rappel les rizières, les champs ou les vergers clos… les plus belles collaborations de l’homme sur la terre.

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Sophie Ristelhueber, “Fait” #60, Koweit 1991 après l’opération Desert Storm 127

Sophie Ristelhueber, “West Bank”, Beyrut 1984 128

Sophie Ristelhueber, “West Bank”, Beyrut 1984 129

Sophie Ristelhueber, ‘Fait #44’ Koweit, 1992 130

Sophie Ristelhueber, ‘Fait #44’ Koweit, 1992 131

Sophie Ristelhueber, ‘Fait #44’ 1992, épreuve chromogène 132

Sophie Ristelhueber, Because of Dust Breeding, 1991-2007 133

Sophie Ristelhueber, Eleven Blowups #3, 2006 134

Sophie Ristelhueber, Guerre du Golf 135

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Ken Kibera, bidonville, Kenya 138

Vue aérienne d’un bidonville en Afrique 139

Barrias, Caracas, Venezuela 140

TERRE PLASTIFIÉE Le sol est matière. Contrairement à l’élément air, il a une matérialité palpable et observable en plus de ces caractéristiques olfactives. L’esprit rationnel le travail, l’esprit destructeur le jonche, mais l’esprit créateur, sensible, lui, le sublime.

La perception d’un paysage varie d’une personne à une autre. On n’interprète pas la nature de la même façon. Elle nous touche individuellement et sans condition mais la variable sensible de chaque être peut entraver sa perception et son ressenti. Le paysage est vecteur de sensation, d’émotion. Son authenticité et sa mouvance lui donne une ambivalence temporelle qui, à mon sens provoque ce choc émotionnel. En effet, s’il est omniprésent et pérenne dans sa spatialité physique, nous ne maitrisons pas et ne maitriserons jamais les éléments qui le façonnent. Les saisons, la lumière, le climat, une brume qui s’élève et fait transpirer la terre, un rayon qui traverse les nuages après un orage, une lune plus ronde ou moins rouge, une tempête de neige, un automne chaleureux et vivace… sans compter le flux d’éléments vivants qui le chevauchent, le parcours, le frôlent, en décollent, s’y abritent ou y disparaissent à jamais ; et viennent le marquer d’une façon indélébile, rendant le moment présent visible mais déjà invisible pour celui qui n’est pas.

Anne Sgard, écrivain et professeur à l’université de Genève, introduit une notion personnelle, l’idée de pluridisciplinarité et de souplesse du paysage. Comme Thierry Paquot dans son livre Le Paysage, elle décrit le paysage comme une expérience personnelle poly sensoriel.

Jean Robert Pitte, géographe français spécialiste du paysage et de la gastronomie rédige sa propre définition du paysage en 1983 dans son premier volume d’Une histoire du paysage français. Il écrit « Le paysage est donc l’expression observable par les sens à la surface de la terre de la combinaison, entre la nature, les techniques et la culture des hommes. Il est essentiellement changeant […], il est une poésie calligraphiée sur la feuille blanche du climax. » 143

La nature, les matières organiques et leur représentation sont facteurs d’inspiration. Certaines personnes vont choisir d’exploiter ce caractère sensible, de le mettre en scène. Le sol devient alors la toile, le pinceau ou parfois même l’artiste. Là encore, la ruralité s’exprime par le travail des formes, des textures et des couleurs mais aussi par la mise en œuvres. Giuseppe Penone et Raùl Ubac, peintres italien et espagnol réalisent des œuvres qui renvoient au sillage de la terre. Leur peintures, réalisés avec de la terre, et les couleurs des pigments, nous rappellent les terres travaillées des champs labourés. Le paysage n’a pas de limite, que des horizons. Le Land art sort de l’échelle humaine pour s’adapter à celle du territoire, du ciel. En parcourant le monde, en franchissant les montagnes et en sillonnant les terres, un point de vue, une perspective, retient notre attention. Certain se contenteront de l’admirer, d’autres transcendés, y verront l’opportunités d’un nouveau terrain expérimental ; la terre devient alors un palais d’expositions éphémères qui participe à l’émerveillement de ses visiteurs. Mais l’esthétique n’est pas toujours le facteur premier de l’embellissement. Il n’est parfois pas exclu de lié l’utile à l’agréable. Brian Fischer, agriculteur australien, dessine un patchwork en spirale sur toute son exploitation ravagée des suite d’un incendie. Ce geste qui l’a fait connaitre sur la toile n’est autre que le résultat d’une réflexion technique de lutte contre l’érosion des sols. La distance créée par les sillons multi orientés protège les terres arables du vent et empêchant la propagation du feu.

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Vigne décoré par des cristaux de gel 145

Francis Bryss, Art en terre 146

Construction plastique en tourbe, photo Bernard Lepercq 147

Walter De Maria, Earth Room, Munich, Allemagne, 1968 148

Portrait de Raoul Ubac 149

Raoul Ubac 150

Raoul Ubac, Sillon 2, Lithographie 151

Jean-Pierre Bréchet, Ecritures, 2010 - Acrylique sur toile 146x114 cm 152

Jean-Pierre Bréchet, Sillon, 2006 - Terre et acrylique sur affiche arrachée 153

Raoul Ubac, Vieux pays, 1996 - Gravure au carborundum , papier d’Auvergne 154

Raoul Ubac, 1962, impression sur ardoise 155

Raoul Ubac, Galerie Maeght 156

Raoul Ubac, Galerie Maeght 157

Raoul Ubac, Terre brulée - gravure 158

Raoul Ubac, Le monde entier est rythme 159

Jim Donovan, Robert Smithson, Landart 160

Brian Fischer, Landart pour lutter contre l’erosion du sol par des sillons en spirale, Australie 161

STRUCTURE

La structure, c’est l’agencement des différentes parties d’un bâtiment qui confectionne un ensemble. C’est elle qui lui donne sa rigueur et le rend stable, pérenne dans le temps. Elle ancre le squelette dans le sol et dans son contexte par le biais des fondations.

Elle est le fondement, l’origine de sa naissance, mais aussi sa colonne vertébrale, qui l’élèvera et la fera croître pour atteindre les hauteurs convoitées.

L’influence d’un sol sur la vigne est complexe et dicte les systèmes de conduite qu’adoptera le viticulteur pour sa culture, à l’origine de la personnalité du vin qui en sera issu. C’est en partie la structure du sol qui lui donne sa finesse, ses arômes et son corps. C’est la naissance de ce qu’on appelle les architectures de la vigne. Les meilleurs sols pour la vigne sont ceux qui respectent l’équilibre entre la combinaison de sa structure physique et sa composition chimique.

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CULTURE L’agriculture est le fondement de notre civilisation. C’est la découverte de la culture, la connaissance des saisons et des temporalités de plantation qui ont permis à l’homme une autogestion des denrées alimentaire lui permettant de sortir de la sédentarité pour se consacrer à une plus vaste quête, celle de construire un monde pérenne. Cette domination sur la nature lui a permis de conquérir des terres pour y ériger des forteresses. Les grandes découvertes au fil du temps poussent à une rationalisation du travail dans tous les domaines. Ce désir d’artificialisation du monde prend forme dans la relation de l’homme avec la vigne. On lui demande d’être en terre mais aussi d’être facile à vivre. Grâce à des éléments d’artificialisation végétale qui accepte la géométrie, la vigne pactise avec l’homme et ses intentions.

Si la vigne traditionnelle européenne telle qu’on la connait dans nos paysages est uniforme et linéaire, elle peut, dans d’autres régions prendre une forme plus originale et souvent surprenante bien que jamais vide de sens. Il existe des codes qui régissent la culture et la construction d’un vignoble. Dans la première phase de projet, après le premier rendez-vous annonçant la localisation de l’ouvrage à réaliser, la première étape de l’architecte est de consulter le Plan Local d’Urbanisme que lui fournira les contraintes régies par le choix de son implantation dans le paysage urbain. En effet, la méthode de plantation ancestrale veut que chaque ceps soient disposés à équidistance les uns des autres, et que chaque rang de vignes s’alterne d’un espace de vide qui permet au vigneron, suivant la méthode adoptée, de pouvoir travailler aisément le sol tout au long de l’année, manuellement ou à l’aide de machine. Ces dimensions varient selon les régions, les climats, les sols et les cépages plantés. Bien qu’en France certaines appellations soient régies par des décrets, la règlementation ne s’applique pas à tous les paramètres. Le viticulteur est donc seul décisionnaire de la géométrie finale de sa parcelle et de son influence sur le paysage dans lequel elle s’inscrit. Dès lors, une fois 165

les paramètres de densité de plantation déterminés, les hauteurs de troncs, type de taille et de palissage définies, il en vient de convenir de l’orientation des rangs. Il commence alors à apparaitre les formes finies identifiables aux yeux de tous, dont certaines parfois requiert une grande originalité de conception. « Le choix de l’orientation des rangs d’une parcelle dépend : de la topographie du terrain : lorsque la pente est inférieure à 10 % la plantation se fait dans le sens de la pente lorsque la pente est forte (10-20 %) les vignes sont établies selon les courbes de niveau au-delà de 20 %, les vignes peuvent être disposées en hélice autour de la colline ou en terrasses de la parcelle : la plantation se fait dans le sens de la plus grande longueur de parcelle pour faciliter la mécanisation ; s’il existe des risques d’érosion, d’autres solutions peuvent être adoptées de l’ensoleillement : la meilleure activité physiologique du feuillage est obtenue pour des rangs orientés Nord-Sud ou Nord/Ouest - Sud/Est En tenant compte des éléments précédents, il faut se rapprocher de l’orientation NordSud.18 » Si ces principes sont facilement applicables dans les régions au climat tempéré et aux sols fertiles, elles sont pour d’autres cultures parfaitement irréalisables. Afin de pouvoir planter des vignes en territoire hostile, l’homme a développé des méthodes de plantation aux formes surprenantes alliant le respect des techniques viticoles tout en se permettant une liberté de dessin en détournant les contraintes physiques du sol au profit de la viticulture.

La structure, c’est l’agencement des différentes parties d’un bâtiment qui confectionne un ensemble. C’est elle qui lui donne sa rigueur et le rend stable, pérenne dans le temps. Elle ancre le squelette dans le sol et dans son contexte par le biais des fondations.

Elle est le fondement, l’origine de sa naissance, mais aussi sa colonne vertébrale, qui l’élèvera et la fera croître pour atteindre les hauteurs convoitées.

. Guide régionale concernant la plantation de la vigne publié 2002 VINOPOLE, Institut Français de la vigne et du vin, [en ligne], www.vignevin-sudouest.com/ actions-itv [Date inconnue]disponible sur: <http://www.vignevin-sudouest.com/actions-itv/ guide-plantation/guide-plantation-vigne.php> 19

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L’influence d’un sol sur la vigne est complexe et dicte les systèmes de conduite qu’adoptera le viticulteur pour sa culture, à l’origine de la personnalité du vin qui en sera issu. C’est en partie la structure du sol qui lui donne sa finesse, ses arômes et son corps. C’est la naissance de ce qu’on appelle les architectures de la vigne. Les meilleurs sols pour la vigne sont ceux qui respectent l’équilibre entre la combinaison de sa structure physique et sa composition chimique.

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Alignement des fosses de plantation d’un vignoble, orienté selon le cadastre centurié de la colonie romaine de Béziers, fondée en 36 avant notre ère.

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L’ordre régulier des ceps atteint souvent les bâtiments de la villa comme sur cette mosaïque de Tabarka (Tunisie) où les arbres fruitiers complantés ajoutent leur verticalité au paysage viticole, rarement représenté, contrairement aux vendanges qui scénarisent la productivité des vignes.

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Travail du sol, sillon dans la terre lors du labourage 172

Sillon large de l’allée le long de la parcelle de vigne afin de permettre la manoeuvre des machine pour l’entretien.

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Géométrie viticole, paysage hivernal 174

Mur à pêche, vue aérienne de Montreuil, Seine-Saint-Denis 175

GÉOMÉTRIE La vigne est une liane qui prolifère et se répand sans limite.

Pour la maitriser, le viticulteur lui donne une « conduite » défini par ses choix d’objectifs de production et de qualité. C’est cette conduite qui engendre l’orientation géométrique de la plantation.

La notion de géométrie s’illustre par les choix faits par le viticulteur dans l’aménagement de son vignoble : les différents types de tailles, les écarts entre les rangs, la hauteur, les interventions au vert (contrôle du volume des ramifications) vont être autant de choix minutieux à prendre, que de solutions à appliquer. Cette géométrie se traduit par la détermination des objectifs de cultures à l’origine de différents types d’architectures de la vigne. La construction de ces architectures dépend de facteurs distincts, tel que le cépage planté, le climat, l’ensoleillement de la région, les précipitations, les types de récoltes (manuel ou mécanique) ou la topographie des territoires.

Tous ces choix sont ce que l’on appelle des « systèmes de conduites » et participe à la rentabilité d’un vignoble. Il en existe environ 250 à travers le monde, qu’il est possible de regrouper en 50 architectures de bases (plan relevé, bobine, rideau, toit…) dont une vingtaine sont utilisés sur le sol français.

Parmi les plus répandus à travers le monde, on retrouve le système de conduite en Espalier caractérisé d’une architecture dite en plan relevé.

Ce système consiste à laisser pousser la vigne de manière verticale, en accompagnant les sarments qui filent perpendiculairement sur une ligne. On dira que la taille de la vigne est réalisée en « Cordon de Royat bilatéral ». Ce système, dont les origines remontent à l’époque romaine est aujourd’hui le système de conduite dominant en France, du fait de son adaptation à tous les cépages. Malgré un coût élevé d’installation et d’entretien, il offre un raisin de qualité, et peut être facilement adapté à la mécanisation. On considère qu’il est « étroit et bas » lorsque l’espacement entre les rangs varie entre 1 et 2 mètres ; et « large et haut », lorsque cette largeur est supérieure à 3 mètres.

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Le système de conduite en Gobelet est réputé pour son architecture dite en Tulipe, caractéristiques des cultures méditerranéennes, et de la culture en terrasse ou coteaux. Utilisé à l’époque romaine, il est aujourd’hui en net déclin du fait de son adaptation difficile à la mécanisation.

Réputé pour ses cultures sur les coteaux à forte pente dans les zones septentrionales, le système de conduite appelé Vertico consiste à enrouler la vigne autour de poteaux. L’architecture sera dite en bobine, et la taille en « cordon vertical à coursons ».

Historiquement développé par les Romains, il revient aujourd’hui à la mode notamment dans les régions d’Alsace, d’Italie du Nord et en Allemagne, du fait de la topographie des territoires, et de la récolte mécanique rendue possible.

La Lyre ouverte a été développé suite aux travaux de recherche de l’Inra et Montpellier SupAgro. Comme l’instrument de musique éponyme, il consiste en une architecture en « Y ». Lorsque la conduite en Espalier se faisait en Cordon de Royat bilatéral, ce système de conduite se taille uniquement en « Cordon de Royat » où les sarments ne sont pas divisés mais développés sur un axe. Cette conduite est de plus en plus réputée à travers le monde car elle facilite la cueillette à la main, mais est également cultivable mécaniquement. Elle permet donc des rendements élevés, tout en garantissant un potentiel qualitatif supérieur. Elle est principalement utilisée dans la culture du raisin de table et existe également en lyre pliable. Les sarments de la vigne sont alors repliés pour faciliter la vendange mécanique par secouage latéral.

Le système de conduite en Lys est principalement utilisé au Portugal, en Amérique latine ainsi qu’en Australie. Son architecture est dite en Lys, et se reconnait par la disposition de la vigne qui sera divisée entre des sarments ascendants, et des sarments descendants.

Cette technique est assez rigoureuse, mais permet un bon potentiel qualitatif, ainsi qu’une mécanisation.

Le système de conduite Tendone consiste à faire une architecture étendue et plane, disposée en un toit horizontal continu.

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Principalement réputée dans la culture du raisin de table, on retrouve ce système dès l’époque romaine. C’est une installation très couteuse, due à sa complexité de construction, qui ne peut se cultiver que manuellement et dont la taille et la récolte reste difficile en raison de son architecture. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle elle est désormais souvent mise de côté au profit du système de Lyre.

La Taille Minimale est de loin le système de conduite le plus économique. Il a pour principe de n’effectuer que certains élagages sur la vigne non taillée afin de la laisser retomber dans une architecture dite en filet. On la retrouve principalement en Australie, mais elle se développe tout de même à travers le monde à petite échelle. Elle permet une récolte mécanique, et a pour caractéristique de donner des raisins un peu moins sucrés, néanmoins elle a un faible potentiel qualitatif sans une maitrise approfondie de sa culture.

Toutes ses architectures se sont développées en corrélation avec les évolutions technologiques et mécanique des outils de travail des vignobles. Bien que l’on observe aujourd’hui un retour à la terre et au travail manuel, au labour des chevaux et aux éco pâturage dans les vignes pour la biodiversité des écosystèmes des domaines dits « en biodynamie » et « naturels » ; fort est de constater que les systèmes de conduites ont été abandonné ou optimisé pour la mécanisation.

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L’ordre géométrique de la vigne selon Pline: Pour Pline, l’ordre géométrique est assuré par les différents modes de plantation de la vigne, basse, grimpante, sur tuteur ou sur treille.

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système de conduite en lyre

MORPHOLOGIE Quand la géométrie du sillon s’associe à l’architecture des vignes, les échelles se confondent et on assiste à une évolution des morphologies. Dans un territoire hostile, en réponses aux conditions de climat et de culture extrêmes, on observe une élévation des formes et de la structure des sillons se transformant en monticules de sables appelées alors des buttes.

Dans l’Azerbaïdjan iranien, l’ancien Azerbaïdjan oriental, province du nord-ouest de l’Iran, la vigne est souvent cultivée en association avec des arbres fruitiers à noyau et à pépins, sauf dans le sud, où les terrains sont uniquement complantés en vigne. Les caractéristiques de la viticulture de l’ancien Azerbaïdjan iranien sont pratiquement inconnues dans le monde, bien que cette région soit exportatrice d’une quantité appréciable de raisins secs (10% de la production mondiale). La province de l’Azerbaïdjan recouvre une superficie de 106 605 km2, soit un cinquième de l’étendue de la France. C’est une zone montagneuse comprenant des plateaux variant entre 1 000 et 1 500m d’altitude, d’un grand lac salé à l’ouest et de grandes terre arides, dépourvues de forêts, où abondent les élevages de moutons, de buffles, d’ânes, de chevaux et de chameau. Berceau de l’irrigation, l’eau des rizières et de la nappe phréatique permettent l’alimentation en eau de l’agriculture en mode extensif de céréales (blé et orge), de melon d’eau, de tabac mais aussi des « vergers ». Le verger est communément le nom donné aux cultures de vignes et d’arbres fruitiers, le plus souvent associées et entourées de mur en pisé et d’abris constitués par des peupliers utilisés comme bois de construction. Par les grandes distances qui les séparent, ces stations viticoles et arboricoles présentent surtout en été, l’aspect d’oasis verdoyantes, isolées dans les zones arides et représenteraient 10 000 hectares sur les 40 à 50 000 hectares recensés en Iran.

Pour lutter contre un climat continental très froid en hivers (-16º), chaud en été (38ª - 39º) et sec (pluviométrie de 200 mm) pouvant 183

entrainer des écarts excessifs de température nuisibles à la survie des bourgeons - tels que les gelées de printemps, le grillage19 ou les différences de températures entre le jour et la nuit - dans toutes ces régions est adopté un système de conduite unique et des plus original dit « de buttes ». Les souches des ceps sont appuyées sur des buttes de terre de dimensions variables selon les régions. Ces buttes impressionnantes, quand on pense aux terrassements qu’elles ont nécessité pour être établies, nécessitent un entretien annuel. D’une longueur variable de 15 à 20 mètres, et de densités allant de 1 000 à 3000 souches à l’hectare, elles atteignent des dimensions variant de 1,50m à 1,70m de haut et 2,50m de largeur à la base et sont écartées d’axe en axe de 3,90m à 4 mètres. A Malicandi, elles sont encore plus grandes, toisant 2m de haut et 3,70m à la base. Il faut dire que dans cette régions les souches sont particulièrement vigoureuses. Dans l’Azerbaïdjan occidental où la vigueur des plantes est moins grande que dans l’Azerbaïdjan oriental, les buttes sont moins importantes.

Elles varient entre 0,70m et 0,80m de haut pour des largeurs de base de 2,70m. De ce fait, par suite de leur faible hauteur, leur sommet est plus large et avoisine les 1,50m. Dans tous les cas de figure, l’intervalle entre deux buttes servant de rigole d’arrosage mesure 0,70m de large.

Dans toutes les régions, le travail de culture est exclusivement donné à la main. Le premier travail de labour, exécuté à la pelle, dessine le premier sillon sur une profondeur d’une vingtaine de centimètres, qui permet de dresser ensuite les buttes, leurs intervalles et leurs pentes. Les buttes sont orientées Est-Ouest et les souches sont plantées du côté Nord, disposées perpendiculairement aux autres buttes maitresses qui délimitent les clos et facilitent leur irrigation.

Lorsqu’une vigne est arrachée, on change la constitution des buttes pour la reconstituer. Par l’évolution de la morphologie du sillon,

. Par suite des températures élevée de fin juin et de juillet, il se produit du grillage (température de l’air dépassant les 42 à 46º). Les viticulteurs recouvrent parfois les grappes avec du foin, pour éviter les dégâts sur les souches faibles où la végétation ne produit pas une ombre suffisante sur les fruits.

BOUBALS.O, NAZEMILLE.A. La Viticulture: De l’Azerbaidjan Iranien. Extrait des annales de l’Ecole nationale supérieure Agronomique de Montpellier, Novembre 1966, Tome XXXI, Fascicule I. 19

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l’empirisme des vignerons de l’Azerbaïdjan a abouti à un système de conduite remarquable, adapté aux possibilités du pays, avant même que ne soit connu le fil de fer ni les piquets de palissages qui seront les premiers outils d’artificialisation de l’action de l’homme sur la vigne.

Ce pays à religion musulmane ne produit que très peu de vin (3 600 hectolitres) dont la moitié est obtenue en Azerbaïdjan où un faible pourcentage de la population est de religion chrétienne. Il est également produit une petite quantité d’alcools de vin (Araq, Vodka, et Cognac). Enfin il est obtenu et consommé localement des jus de raisins concentrés par ébullition (raisiné), comme dans tous les vignobles d’Iran.

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POROSITÉ

Etre poreux, c’est être perméable, c’est être influençable. La porosité, c’est l’ensemble des vides du sol, ces pores que conditionne sa structure et que l’on peut observer dans sa texture. Leurs qualités et leurs quantités se doivent d’être uniforme afin de créer un réseau fluide pour l’eau et les gaz d’air indispensable à la croissance de la vigne. Lorsque les conditions et les contraintes d’un sol ne sont pas optimales, il incombe à l’homme, par son travail, d’adapter sa culture.

Le paysage est une notion vaste, riche et poétique. Il est essentiel d’apprendre à voir que le monde qui nous entoure, ainsi que les actes que nous posons sur lui en tant qu’architecte, ne représentent qu’une infime strate de la modélisation de notre territoire. Cependant, ce sont ces actions, au fil des siècles, qui nous ont permis de prendre conscience de l’impact des dispositifs spatiaux engendrés par l’évolution de nos modes de vie et de nos mentalités. Créer, aménager, construire, c’est laisser une trace indélébile sur la terre, une trace de notre existence qui transcendera les âges. L’homme a la main et par elle, intervient sur le territoire. Mais quand les contraintes sont telles que l’homme n’a plus la main, il doit alors « s’acclimater » aux contraintes et collaborer avec l’environnement pour arriver à ses fins et pouvoir espérer jouir du fruit de son labeur. Il existe des conditions spécifiques qui imposent une mise en œuvre particulière et un travail à la main propre. Dans ces cas particuliers, c’est par l’usage de la géométrie que l’élément « sauvages » peut être contrôler.

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CONTEXTE Il n’existe à mon sens pas de plus beaux exemples d’alliance entre l’homme et la terre que ce que présentent les vignobles de Lanzarote, dans les Îles Canaries ou de Santorin dans les Cyclades de Grèce. Ces deux régions ont pour caractéristiques d’avoir des sols volcaniques et un climat très aride. Balayées par des vents violents tout au long de l’année, cela soulève un problème majeur qui est celui de l’évaporation de l’eau, rendant l’agriculture très aléatoire.

L’île de Lanzarote est l’île la plus proche du Sahara et donc l’une des plus sèche. Ensevelie sous une coulée de lave basaltique de 400km de long au XVIIIème siècle, elle est stérile sur un quart de son territoire.

Son sol est recouvert sur une épaisseur de 20 cm à plus de deux mètres de pierre ponces, de lapilli20 (picón) et de matière basaltique.

Son climat doux, des pluies rares (pluviométrie annuelle de seulement 150mm) et principalement torrentielles en hiver, sont mêlées à des vents forts, secs et constants des Alizés qui favorisent l’évaporation.

Cependant, les hommes ont su tirer profit de ces conditions extrêmes et de ce terroir atypique, transformant ce paysage en développant un système de culture « cratériques » inspiré des plus beaux paysages lunaires, pour nous offrir le prestigieux vignoble de Geria et son fameux muscat !

Dans ce contexte hostile, la viticulture de Lanzarote se déploie à perte de vue sur des sols volcaniques d’un noir intense ou seuls pointent des pincées de verdures de la vigne plantée au creux de trous coniques pouvant atteindre 70cm de hauteur, appelés impluvium. Chaque plante est protégée par un muret de pierres basaltiques construit

.Les lapilli, pluriel du latin lapillus qui signifie en français « petite pierre » et de l’italien lapillo, sont un type d’éjecta, des fragments de lave éjectés par les volcans. La taille des lapillis est comprise entre 2 et 30 millimètres ou entre 2 et 64 millimètres selon les classifications.

L’empilement de lapilli forme des couches meubles appelées lapilli mais également pouzzolane. La roche formée par compaction des lapillis se nomme tuf. (Source wikipiédia) 20

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en forme de croissant de lune. L’irrigation est rendue possible par l’utilisation d’un système de conduite combinant 3 caractéristiques.

L’utilisation des lapilli - pierres poreuses retenant les maigres pluies - cumulé à celle de l’impluvium, où est collectée l’eau des brumes marines et de la rosée, dirigeant le ruissellement vers les ceps ; ainsi que l’épaisse couche protectrice de tephra (charbon) produite par les feux de sarments2 , permettent son optimisation. Afin que le système racinaire atteigne la couche du sol fertile, en dessous de la couche de lapilli, le cep de chaque plante est enterré dans le sol au cœur de la dépression, ne laissant apparaître que le feuillage et les fruits. Après les vendanges, les sarments et les feuilles tombés lors des manipulations sont brûlés in situ pour améliorer le sol. Les cendres participent à fertiliser les cratères et jouent « le rôle d’un palissage minéral [qui] permet de retenir huit fois plus d’eau qu’un sol non couvert » ; mais aussi de réduire l’évaporation de l’eau qu’elle concentre de 92% dès lors que son épaisseur atteint 10cm. Ce système de conduite est l’élément majeur du paysage des Iles Canaries. Espacés entre eux d’en moyenne 4 mètres, la densité de plantation occupe une emprise au sol gigantesque. Dominé par des milliers de cônes volcaniques, les cratères occupent le paysage à perte de vue. Nébuleux, balayé par une épaisse fumée noire levée par les Alizés, ce spectacle semble être le vestige des guerres dont cette terre a longtemps été le terrain de convoitises. Comme une succession d’écailles, les murets dessinent ce territoire hostile dont seules les feuilles vertes des plants de vigne rappellent que la nature et la vie sont possibles en ces lieux. La tradition constructive des hommes à traverser les siècles a façonné ce paysage fantasque21.

Dans ce contexte où toute vie semble impossible, les formes arrondies des croissants de pierres lui donnent de la hauteur et, les cratères qui le creusent, font émerger des volumes dans ces immensités désertiques. Sans la présence de forme humaine, l’échelle est indiscernable. L’artiste César Manrique, natif des lieux, s’est inspiré de la culture des vignobles de ces îles pour réaliser des œuvres de Land

.Données récoltées à partir du livre de MOLLARD, Eric, WALTER, Annie. Agricultures singulières: Les vignes de Lanzarote. Paris: ed.IRP, 2008.

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Art en jouant, tour à tour, avec la géométrie du croissant des murets, les Alizés, la matérialité des lapilli, toutes misent en exergue dans ses installations sur le territoire.

Du paysage lunaire et apocalyptique de Tenerife au plus aqueux de Santorin, en Grèce, le sol se transforme et nous transporte de l’obscurité à la lumière. Sous un soleil éblouissant reflété par le sol de sable blanc, des éléments végétalisés pointent le bout de leur nez, comme de généreuses salades qui ponctuent de verdure un horizon aux couleurs des déserts africains. Si on s’approche, on distingue des petits cercles bien définis, que les sarments recroquevillés sur euxmêmes forment sur des kilomètres de vallée. Tel des paniers d’osier tissés, l’homme est venu travailler la vigne afin de lutter contre les contraintes climatiques sans recours à aucun éléments d’édification annexe. Le travail extrêmement minutieux ne se reflète pas dans l’image presque sauvage des cultures. Chaque année, cep par cep, les plants sont soigneusement tressés en forme de pelote. Les sarments sont entrelacés en cerceau, afin de constituer une sorte de panier. Une matrice, cellule protectrice, servant d’écrin face au vent et au soleil pour les grappes qui poussent en son cœur. Grâce à cette technique, les pierres ponces qui recouvrent le sol volcanique peu fertile de Santorin, deviennent un moyen de capter la rosée et les eaux de pluies trop rares. Enterrée dans un creux à ras du sol, de la même manière que sur l’Ile de Lanzarote, l’optimisation de la constitution chimique du sol, additionnée à la structure en panier donnée aux plants, rend possible une irrigation naturelle des rangs.

Les vignobles de Geria et de Santorin sont remarquables et démontrent la capacité d’adaptation de l’homme à un contexte. Par l’utilisation d’artefact humain ou, par le tissage et le repliement sur elle-même, la vigne se soumet aux exigences de la main de l’homme, elle-même soumise aux contraintes naturelles d’un milieu. La linéarité et la monotonie de la vigne traditionnelle française, droite, filaire, stricte, tout autant que la rigueur de son exécution et de son travail est ici détournée, assouplie par les formes courbes des plantations.

Aussi technique qu’esthétique, le territoire viticole insulaire prend la forme d’un océan de corail aux milles rugosité qui en font sa richesse et sa réputation, au-delà de la saveur exquise de son vin.

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Vignoble enterré, Grèce 194

Vignoble enterré, Grèce 195

Carte postale des années 1970.

LA GERIA (Lanzarote) - Viñas en LA GERIA (Lanzarote), coleccion “las afortunadas”.

Photo de Coronel Bens - Arrecife.

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Carte postale en noir et blanc des années 1950-1960.

Isla de Lanzarote - Canarias - Cultivos de viñes sobre arenas volcánicas.

Photo de Gabriel Fernández - Arrecife 197

LUMIÈRES Le soleil est la source de toute vie sur terre. L’ensoleillement qui impacte la vigne est un facteur important car c’est par lui, par l’exposition prolongée de la surface foliaire, que s’effectue la photosynthèse à l’origine de sa croissance et de la qualité de son raisin. Pascale Scheromm, docteure en sciences agronomiques à L’INRA, explique l’importance de l’impact de l’ensoleillement et écrit : « Quelques heures de soleil en plus peuvent ainsi, dans certaines régions, faire la différence entre un bon et un grand vin. On cherchera donc à optimiser le nombre de feuilles exposées et à obtenir une proportion feuilles – fruit équilibrée. Pour atteindre cet objectif, le vigneron peut jouer sur plusieurs facteurs comme la conduite de la vigne, la hauteur du palissage22, la taille, l’effeuillage, la densité de plantation, l’orientation des rangs, l’enherbement. La couleur du vin est également déterminée, pour partie, par l’intensité du rayonnement solaire (d’autres facteurs interviennent, comme l’alimentation en eau). Un ensoleillement faible donne des raisins rouges peu colorés.

C’est pourquoi les régions septentrionales cultivent principalement des cépages blancs. » Comme nous l’avons vu dans la première partie, pour sa croissance, la vigne à besoin des trois éléments, eau, air (température) et feu (soleil) dans un équilibre relatif. Lorsque l’ensoleillement n’est pas une donnée constante, que l’air ambiant atteint des températures négatives avec récurrence, que les pluies abondantes risquent d’inonder les rangs et donc, de détruire les ceps et leur récolte, la vigne est fixée sur un support hors sol, un palissage, appelé culture en hautain. Pour se faire, on fait courir la vigne sur des architectures de grillage et de bois au-dessus des allées centrales pour maximiser la surface foliaire, surface de contact des feuilles aux rayons du soleil. La plantation de

. Fixation de la végétation sur un support afin d’optimiser l’exposition de la surface foliaire et de créer un microclimat favorable au niveau des grappes.

SCHEROMM, Pascale. Quand le raisin se fait vin, Barcelone : ed.Quae, 2011.

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la vigne en hautain est une méthode culturelle utilisée dès l’antiquité, très répandue en Italie et en Inde mais aussi au Canada notamment.

Dans le jurançon, cette technique est très efficace pour éviter le gel des bourgeons des raisins de Février à Octobre, où ils sont alors remontés au-dessus des couches d’air froid qui collent au sol. Dans l’antiquité, la culture en hautain, c’est la culture de la vigne mariée à un arbre qui en devient à son tour le tuteur. Elle peut atteindre des dimensions spectaculaires à l’état sauvage, avoisinant 10 à 20 mètres de hauteur. Aujourd’hui remplacés par des pieux ou des échalas de bois, elle est très répandue dans l’agriculture biologique.

Bien que contraignante pour son entretien, la culture en hautain peut toutefois répondre à des questions de densité en apportant des réponses à la surexploitation des sols. En effet, libérer les sols en prenant de la hauteur permet une multiplication des cultures sur un même lieu. C’est l’introduction de la définition d’une nouvelle échelle, une nouvelle géométrie, nouvelle dimension, un nouveau rapport au sol et au corps. C’est une conduite architecturale similaire à l’urbanisation de nos villes où les logements, dont la typologie s’est vue transformée dès le moyen âge, ont été libérés en rez-dechaussée pour être réinvestis par les commerces, et les rues, élargies pour le passage de charrettes… Sombre et peu agréable pour y vivre, l’architecture contemporaine tend, parfois même, à rendre ces espaces à la rue, en y intégrant l’espace public par la création de porteà-faux dans des mégastructures sur poteau. On peut également observés l’utilisation dérivée de la culture en hautain à l’échelle du jardin au travers de l’invention de la pergola. Écrin de verdure pour une terrasse au soleil, lieu romantique d’une promenade dans un parc, sa fonction technique et culturelle devient alors esthétique et fonctionnelle.

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MATÉRIALITÉ « Depuis les jardins suspendus de Sémiramis jusqu’au construction de digues, l’agriculture a rivalisé avec l’architecture pour façonner la surface du sol. Quand il a édifié son premier mur- sans doute pour retenir les eaux et les terres, l’homme a créé un espace à son échelle propre. Le fait d’empiler des pierres les unes sur les autres constituent un remarquable progrès par rapport au simple creusement d’un rocher.23» La vigne puise dans son milieu pour fabriquer sa propre matière organique. Elle s’alimente des éléments primaires dans un sol exclusivement pauvre et minérale. Dans le sable, l’argile ou la pierre calcaire, la matière se décline sur toutes les épaisseurs des étapes de sa vie. Si l’on opère une coupe dans un vignoble, traversant les bâtiments, les terres et les caves, on peut constater que la matière se retrouve sous de multiples déclinaison, brute, polie, travaillée, broyée, en sable, gravier, roc hypogé ou bloc de taille, elle structure l’étendue horizontale et verticale, visible et invisible de notre paysage.

En plein boom viticole, la règle de Saint Benoit a permis une rationalisation du temps de travail des cultures viticoles. Son impact sur le paysage est à l’origine de la première architecture des vignes, le clos. La notion de cloisonnement se décline dans de nombreuses mises en œuvre architecturales ; une figure identifiable qui permet de justifier l’existence d’un contenu et d’un contenant. Tout commence avec la nécessité de l’enclos. Le jardin est un dehors différent du dedans, ou plusieurs dehors, limité par un enclos. Cette clôture devient à la fois contour et frontière. On se situe d’un côté ou de l’autre de cette limite. L’enclos est défensif et protecteur.

En viticulture, les inventeurs du clos sont les Moines Bénédictins. Le sol bourguignon, parsemé de pierres blanches et plates, rend le travail . RUDOFSKY, Bernard. Architecture sans architectes: brève introduction à l’architecture spontanée, Paris: ed.Chêne, 1977.

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de la vigne difficile à exploiter. Pour clarifier les terres, les moines les retirent et érigent des murets disposés autour des parcelles qui délimitent la propriété, empêchant toutes tentatives d’intrusions étrangères, humaine ou animal (par le vol du raisin ou la destruction des grappes par les troupeaux). La construction de ses murets permet également de concentrer la chaleur du jour retenue dans la pierre afin de la restituer la nuit. L’utilisation du clos s’est répandue à grande échelle dans les régions où les variations de températures sont importantes (Iran) ou, dans les climats froids. Très fréquent dans les cultures fruitières et les vergers, le clos, initialement défensif, relève en réalité d’une technique d’optimisation des ressources du sol et non d’une volonté d’embellissement du paysage. L’architecture devient le moyen de « recycler » la matière première et est ici employée dans sa fonction « d’outil ».

C’est en 1675, qu’Edmée Girardot et la Quintinye, jardinier du roi, décidèrent d’offrir au Roi une corbeille de pêches pour son repas.

Subjugués par la saveur du fruit, ils construisirent alors, entre Montreuilsous-Bois et Bagnolet, Le clos des pêches. Enclavé dans des murs de pierre et de plâtre, les fruits ont connu un succès européen et l’expansion de leur culture, encore aujourd’hui, font partie de l’histoire de la France et de ces villes. Disparu avec l’apparition des chemins de fer un siècle plus tard, il ne reste aujourd’hui aucune trace du Clos des Pêchers de Montreuil.

Réemployé dans les vignobles des Iles Canaries et du Cap-Vert, à Fogo, il en existe encore des vestiges en France. Le Clos d’entre les murs d’Antoine Crystal, construit entre 1898 et 1904 sur le domaine du Château de Parnay à Saumur Champigny, est classé aux Monuments Historiques depuis 2010 et participe à la renommée de son vignoble. Les 11 murs parallèles qui traversent la parcelle d’Est en Ouest, mesurent deux mètres de haut et sont épais de 60 cm, sur une longueur totale de 1200m. Leur particularité réside au cœur même de l’appareillage des murs, percés à leurs bases, à intervalles réguliers, d’orifices traversant la totalité de leur épaisseur. De cette façon, les façades sont exposées d’un côté, plein sud, et de l’autre, plein nord.

L’ingéniosité de ce système de conduite consiste alors à planter le cep au Nord du mur, là où il bonifiera d’une fraîcheur et d’une 204

humidité constante, et de palisser la vigne au Sud, où elle bénéficiera de la chaleur et d’une meilleure exposition foliaire. De cette façon, on observe un épanouissement de la vigne et une augmentation de la production de grappes assurée d’atteindre une maturité parfaite avant la vendange.

Pour les viticulteurs « traditionnels », ces techniques ancestrales et traditionnelles sont indémodables et la construction en pierre sèche se retrouve transposée parmi les symboles de l’architecture locale et réinterprétée par les architectes dans les projets d’architectures contemporaines. Par son travail, ses contraintes, ses typicités, ses formes, sa matérialité… le territoire, combiné à la main de l’homme et son désir d’artificialisation, constitue nos sols et structure notre paysage. L’image de la modernité, c’est l’image de la tradition ; la transmission d’un savoir-faire.

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Le Clos entre les murs, Château de Parnay, Saumur Champigny, Antoine Crystal 206

Le clos des pêches, Montreuil-sous-bois, Seine Saint-Denis 207

HORS-SOL SOL SOUS-SOL 209

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Ce qui transcende dans l’architecture des chais, c’est avant tout son art pour la métamorphose, le renouvellement et la pluridisciplinarité. En effet le chai, au fur et à mesure du temps s’est dû d’endosser plusieurs rôles et de les assumer simultanément. Le chai comme abri, comme outil ou comme image ; à mesure que les négociants ont appris à en parler pour mieux le vendre, le chai s’est constitué comme le laboratoire fascinant de l’œnologie.

L’architecture contemporaine du chai se déploie selon une logique fonctionnaliste et productiviste. A l’instar du monde industriel, les espaces épousent les rythmes cadencés et les dispositifs sont conçus pour soumettre le moins d’entraves possibles vis-à-vis des travailleurs. L’optimisation des déplacements, les fonctions gravitaires, généralisées à l’écoulement du vin, du cuvier aux barriques préfigurent l’autonomisation de certains processus. L’homme côtoie la machine et passe du monde de la caverne à celui de la 211

mécanisation, empire du feu « transformateur » agissant au cœur du processus de vinification. Il apparaît assez clairement que la mutation des chais soit en rapport étroit avec l’évolution des coutumes du vin. D’abord bu à la place de l’eau, non potable, il devient ensuite un produit hédonique pour atteindre le statut de produit de luxe. Des caves troglodytes aux caves cisterciennes, des cuviers nouveaux systèmes aux chais gravitaires, des caves coopératives aux musées actuels que constituent les chais, l’architecture a toujours eu sa place dans ce milieu agricole, bien qu’elle ait connu des débuts plus timides.

Cependant, certaines caractéristiques de la tradition ont traversé le temps et sont aujourd’hui réinterprétées : obscurité, ouvrages massifs, travail par gravité… Bien qu’une distinction dans le traitement des trois fonctions qu’opèrent les chais a été nécessaire, elle est toujours présente dans l’architecture. Abri, outil et image restent intimement mêlés et imbriqués. Il ressort alors une dominante en fonction des époques de construction ; on observe alors un glissement du rôle prépondérant. Certes, l’évolution de la consommation du vin a dicté de nouveaux besoins dans l’architecture mais, il est légitime de supposer que l’architecture est le reflet de cette évolution.

En architecture, comme en politique, il existe deux grandes positions historiques, chacune dictée d’une volonté réformatrice à son image.

Celle des divinités de la terre, chtoniennes, ancrées dans la conservation que l’on appellera les « immobiles » ; et celles des divinités célestes, ouraniennes, qui surplombent les cimes et s’articulent, se muent au rythme du vent. Celles-ci, dans l’air du temps, modernes, seront appelées « mobiles ». Animés d’un désir commun de rentabilité, les vignobles français et internationaux se transforment. Indissociable d’une quête de visibilité induite par l’image de marque des propriétés, la clef du succès est offerte non pas aux meilleurs, mais au plus offrant ! L’image, le positionnement marketing, sont aujourd’hui les nouveaux outils de commercialisation et parmi eux, l’architecture, un argument de vente. Nous nous interrogeons alors, sur la persistance de leur existence, sur l’impact de leur image dans notre paysage quotidien et sur la difficulté pour l’architecte aujourd’hui de concevoir un chai entre technicité́ et sensorialité, tradition et modernité, où l’architecture de marque devient un outil de propagande.

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TRADITION

Il n’existe à mon sens, pas d’architecture finie ni prédéfinie, c’est la dynamique du mouvement expérimental qui dicte nos décisions. Les valeurs de temporalité et de pérennité en architecture sont au cœur de la problématique mondiale depuis la première construction. L’idée d’un corps qui ne vieillit pas et ne se dégrade pas est une question culturelle et sociale. La vigne, sa culture et le travail de son fruit sont porteurs d’histoire. Malgré les révolutions techniques du secteur, le monde viticole n’appartient pas au monde des industriels.

Paysans, artisans, les vignerons se battent pour cultiver cette image de patrimoine culturel.

Pour une personne lambda, c’est l’âge d’un bâtiment qui lui donne de la valeur. Plus les bâtiments sont vieux, plus ils sont appréciés car il renvoie une sensation de chaleur, des souvenirs, des émotions, du temps... En réutilisant des matériaux anciens, des vestiges des villes alentours, l’architecte du Ning Bo Museum, Wong Shu, donne une présence et une sensualité à son bâtiment, tout comme Le Corbusier à l’église de Ronchamps, construite avec les pierres de l’Église qui étaient à côté, lui offre son âme. “Les beaux bâtiments sont ceux qui font de belles ruines”. L’idée de la ruine fascine. Elle devient presque essentielle, obsessionnelle. Notre époque doit repenser la ruine, non pas comme une ruine romantique antique mais contemporaine. Audelà des contraintes de construction que suscite la conservation du patrimoine historique, c’est aujourd’hui l’image véhiculée par la ruine qui est synonyme de confiance et de qualité architecturale, et étonnement, par extension, gustative. Dans l’imaginaire collectif, un beau Château produira forcément un grand vin !

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IVRESSE Petite messe solennelle Paroliers : Juliette Noureddine Paroles de Petite messe solennelle © Les Studios Mademoiselle Artiste : Juliette Album : Bijoux & babioles Date de sortie : 2008

Enfin nous sommes là entre nous tous les deux Seul à seul tête à tête et les yeux dans les yeux J’avais tant à te dire mais par où commencer ?

Deux verres une bouteille : je crois que j´ai trouvé !

Le vin délie la langue, il entrouvre le cœur Il donnera ce soir le ton et la couleur Rouge ardent de la braise et cristal du désir A notre nuit d´amour buvons pour le plaisir !

Qu’il soit de Blaye ou d’Echeronne De Vacqueyras ou de Tursan De Vacqueyras ou de Tursan Le vin réjouit le cœur de l’homme Et de la femme évidemment !

Qu’il soit de Blaye ou d’Echeronne Le vin réjouit le cœur de l´homme !

Né d´une âpre syrah, d´un peu de carignan D´une terre solaire, des mains d´un paysan C´est avec ce vin-là qu´on dit qu´Ulysse a mis Le cyclope à genoux et Circé dans son lit…

Le vin délie les sens il entrouvre les draps Et pourtant sous sa coupe je ne mentirai pas : 215

Je bois, moi, pour le goût mais aussi pour l´ivresse Pour cette nuit d´amour soyons donc sans sagesse !

Les joues vermeilles les yeux qui brillent Chavirés par de doux émois Chavirés par de doux émois Le vin réjouit le cœur des filles Et des garçons ça va de soi Les joues vermeilles Les yeux qui brillent Le vin réjouit le cœur des filles Noé sur son rafiot en prit quelques futailles Aux noces de Cana, au milieu des ripailles C´est ce vin que Jésus fit d´une eau ordinaire (Et notons qu’il n´a pas eu l’idée du contraire) Le vin délie les âmes il entrouvre le ciel De sa petite messe gourmande et solennelle Prions Saint Emilion Saint Estèphe et les autres Pour une nuit d´amour, voilà de bons apôtres !

De Kyrie en Te Deum Vin du Cantique et sang divin Vin du Cantique et sang divin Le vin réjouit le cœur de l´homme Du Père du Fils de l´Esprit Saint !

De Kyrie en « Te Deum » Le vin réjouit le cœur de l´homme.

Le vin comme l´amour, l´amour comme le vin Qu´ils soient impérissables qu´ils soient sans lendemain Qu´ils soient bourrus, tranquilles, acerbes ou élégants Je suis sûre qu’il ne faut pas mettre d’eau dedans !

O ne partageons pas ces amours qui s’entêtent Pas plus que ces vins-là qu’on boit pour l’étiquette Tu es ce que tu es, je suis comme je suis A notre vie d´amour buvons jusqu’à la lie !

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Mais taisons-nous et voyons comme Finit cette nuit attendue Mais taisons-nous et voyons comme Le vin réjouit le cœur de l´homme !

Le vin réjouit le cœur de l´homme Et puis le mien bien entendu !

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ARCHÉTYPES Au-delà du matériau ou de la forme, les chais convoquent les archétypes de l’architecture. Au sens étymologique, un archétype est un modèle général, primitif, rattaché à l’imaginaire collectif. Ce sont les trois premiers types d’architecture qui se rattachent aux trois premiers gestes de construire : la grotte (creuser), la tente (couvrir), la cabane (construire).

Ce sont trois principes qui génèrent un acte d’édification et ne renvoient à aucune forme, aucune échelle ; et sont valables dans le monde entier. Avant de savoir ce que l’on est, il nous faut savoir à quel archétype on appartient.

L’archétype n’a pas de représentation, c’est une idée. Il transcende les questions de modernité ou de tradition. Le centre Beaubourg réalisé par l’architecte Renzo Piano, à Paris, appartient, par ses éléments constructifs et sa structure métallique légère, à l’archétype de la cabane, tandis que La BNF de Dominique Perrault, dans sa volonté conceptuelle d’être l’écrin couvrant en son sein la plus grande collection littéraire, renvoie à l’archétype de la tente.

Les Architectes de l’agence RCR Architectos réinterprètent l’archétype de la grotte et du chai troglodyte dans un ouvrage remarquable en Espagne.

La bodega Bell Lloc, « Bel endroit » en catalan, au nord de Barcelone, vient se dissimuler dans le paysage, entre sous-sol et sol et remporte le concours organisé en 2003. Le travail de ces architectes est caractérisé par une exploration des frontières entre l’architecture et les paysages naturels. Ils attachent une attention particulière au lien entre l’architecture et le paysage, les traditions, la modernité et l’image. L’utilisation de matériaux tels que l’acier et le verre leur permettent des jeux d’ombres et de lumière, inspirés des sculptures d’acier de Richard Serra. Leur sensibilité et leur approche est loin des conjointes nombreuses propriétés viticoles de la région de la Rioja, où de nombreuses bodegas ont laissé agir un formalisme, au détriment parfois même, du paysage. Pour les architectes, la bodega a été conçue comme une « promenade » respectueuse et soucieuse des espaces environnants, et non comme un objet. Dans les croquis d’esquisse, on retrouve cette idée du chemin qui se transforme en édifice, s’enfouissant dans le sol, révélant la volonté de confondre paysage et architecture. Le chai prend place au cœur des rangs de vigne et des bois jouxtant le domaine. Au pied d’une vallée, se distingue un élément semi-enterré. C’est à nouveau, par cette réinterprétation de la faille, une invitation à pénétrer dans le bâtiment. L’accès se fait par deux grandes rampes à ses extrémités. Le sillon principal traversant l’ensemble de la bodega devient l’épine dorsale, l’arête du bâtiment, son squelette. Comme une mise 221

en application des paramètres constituant d’un sol, - pour rappel, nous avons découvert dans la deuxième partie que la structure d’un sol conditionne sa porosité en créant un réseau fluide pour la circulation de l’eau et des gaz c’est elle qui permet le drainage des flux et distribue les différents espaces de circulation. C’est le lieu « central », le noyau du projet, qui en réalité, n’est pas un centre mais plutôt la branche du peigne sur laquelle viennent se greffer les galeries. Elle est une première étape au projet semi-enterré. Plongé au cœur de la structure, on arrive à oublier le contexte dans lequel on se trouve, dépourvu de tout repère vers l’extérieur. Le visiteur, tout au long de sa promenade, est désorienté, car la sensation de gravité est en totale contradiction avec les éléments qui semblent flotter. Une fois atteint le cœur, la salle de dégustation est l’amphithéâtre, la lumière zénithale qui vient lécher les lames d’acier, nous dévoile l’espace et sa matérialité. Comme les pierres taillées, abruptes des caves hypogées, les lames d’acier combinées à la géométrie de leur imposante posture, nous confondent dans notre perception des profondeurs.

On retrouve ici l’archétype de la grotte dans une réinterprétation fossilisée. Tel le fossile d’un dinosaure que la terre aurait commencé à rappeler à elle avec les années, la Bodega semble sortie des entrailles de la terre. Par son architecture et le soin de ses matériaux, elle appartient au genre contemporain. Cependant le troglodytisme est ici remis au goût du jour, moyennant une expression beaucoup plus fine et légère que dans le cas des caves du Château Ausone.

Bien sûr, les époques sont éloignées, mais cela reste l’interprétation d’un modèle ancien, la conceptualisation d’une idée de la tradition.

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Château Ausone - Cave galerie souterraine

Bodega Bell Lloc - Espace central de distribution 223

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IMMOBILE « D’un côté, on survit dans la tradition, l’archaïsme, la pléthore, d’un autre on vit de mieux en mieux dans la transgression, l’innovation, la sélection, l’audace… » Bernard Pivot La mécanisation actuelle des bâtiments viticoles en lien avec leur conception fonctionnelle du chai enterré est en parfaite opposition avec l’histoire de la tradition et l’artisanat de sa pratique. De cet enchevêtrement du technique relève l’élaboration même du chai moderne et sa lente émergence vers la surface du sol. Sous l’égide du monde ecclésial, l’invention du cellier induira une conception étagée du chai selon une triple fonction (cave, habitat, combles) autour d’un grand espace central de stockage et de production.

L’import des techniques dévolues initialement à l’architecture spirituelle se traduira en sous-sols par des grands espaces agrémentés de voûtes répondant à une fonction d’étayage et d’esthétique. La commercialisation laïque du vin par le monde proprement paysan du bordelais, a obéi quant à elle à un impératif économique lié aux évolutions géopolitiques. Le rattachement de l’Aquitaine à la France a contraint les exploitants à séduire de nouveaux acheteurs (allemands), en améliorant les modes d’élaboration du vin. Une recherche de qualité qui a donné lieu à une structuration accrue, moins empirique du chai. Leur extension surfacique ne les a toutefois pas inclus dans l’arsenal de représentation commerciale. Il faut dire que les zones de chalandises bordelaises se retrouvaient à portée de quais, le long de la Garonne, où florissaient les cargaisons à destination de toute l’Europe. Inutile donc d’emblématiser davantage un chai qui, jusqu’à l’âge d’or de la région, au XVIIIe siècle, procédait pleinement et exclusivement du monde de la terre.

L’évolution des techniques et des exigences de vinifications poussent les architectes à concevoir des bâtiments « high-tech » en harmonisation avec l’image de la tradition et l’authenticité́ des terroirs que véhiculent les différents domaines. Ils existent deux positions architecturales. Celle de la modernité, les mobiles, et celle de la conservation, les immobiles. La grande majorité́ traditionnaliste s’’illustre au travers des projets de rénovation, où les volumes existants sont conservés à l’identique, mais où l’ensemble des espaces intérieurs de vinifications et de vente sont construits avec des matériaux innovants, contemporains, permettant un aboutissement à la hauteur des équipements de dernières générations qu’ils accueillent. C’est ainsi que le 225

domaine du Château Soutard à Saint-Emilion, rénové par l’architecte Fabien Pédelaborde pour le compte des propriétaires AG2R La Mondiale en 2006, démonte pierre par pierre l’édifice en moellons du XVIe siècle, pour y intégrer un cuvier dernière génération en bois massif, inox, verre, cristal... avant de le remonter à l’identique. En 2006, ce sont les industriels Martin et Olivier Bouygues qui, après le rachat du domaine Château Montrose à Saumur, entreprennent 7 longues années de travaux pour restaurer la propriété de 1815 d’une emprise de 10 000m2. Bien que le projet intègre une extension de 1 000 m2 pour la création d’un nouveau chai à la pointe de la nouvelle technologie, l’édifice, avec ses 11 mètres de hauteur, ses voûtes et ses travées de poteaux en pierres massive, est construit dans une rigueur monacale. Martin Bouygues défend : « Le passé mérite un grand respect. Nous apportons de la modernité si elle est bénéfique pour la qualité du vin et de l’environnement, mais nous respectons l’histoire ».

Enfin, l’exemple du Château Pédesclaux à Pauillac, inauguré en mars 2015, se distingue des projets de rénovation des Châteaux Soutard et Montrose, et tend vers une uniformisation des genres où fusionne l’innovation technique du chai moderne avec l’image de la tradition de la maison fondée en 1810.

Jean-Michel Willmotte, architecte en charge du projet, nous offre une nouvelle lecture de l’image de la tradition. « L’agence a conçu un nouveau cuvier qui met en scène le processus de production du vin et un chai à barriques semienterré pour assurer la préservation du nectar en fût. » La notion de mise en scène est représentative de la démarche conservatrice. Projeté au premier plan, le bâtiment restauré qui surplombe le paysage, en est le protagoniste omnipotent. De part et d’autre, les extensions en transparence, subliment la beauté de ses lignes, et se dissimulent dans les rangs de vigne. La modernité est alors un artifice au service de la tradition. Cristallisée, la tradition est exhibée au monde par cette mise en vitrine, muséifié.

. WILLMOTTE & ASSOCIES, Château Pédesclaux [en ligne], www.wilmotte.com [2015] disponible sur: <http://www.wilmotte.com/fr/projet/42/Chateau-Pedesclaux> 23

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EXHIBITION

Etre architecte c’est faire des choix. Dans la conception du projet architectural, l’architecte oriente ses intentions de projet en fonction de sa sensibilité. L’esthétique, l’impact environnemental, le facteur humain, la matérialité, l’espace, la façade, sont tant de paramètres sur lesquelles portent la réflexion. Si construire pour l’éternité était la préoccupation des égyptiens et peut, aujourd’hui encore, être une volonté personnelle au-delà des exigences constructives réelles, il est rare de s’interroger sur le cycle de pérennité de ce que l’on construit. Les paysagistes, eux, y réfléchissent constamment. Il existe des arbres à croissance rapide et d’autres, plus lents, mais avec une croissance plus volumineuse et hors-norme. En diversifiant les espèces et leur implantation sur le territoire, le projet évolue alors dans plusieurs temporalités.

Dans un premier temps, une plantation d’une petite trame en surdensité va donner l’illusion d’avoir un beau jardin arboré de façon instantanée et, sporadiquement, quelques plus grands arbres, plus denses, vont pousser pour un jour, prendre le relais et atteindre leur ampleur. Ce sont des projets avec plusieurs déclencheurs, plusieurs phases. On pourrait faire un parallèle avec l’urbain voir même la cinématographie : le long métrage est un bloc avec un début et une fin ; la série, qui a un début et une fin est découpée en plusieurs histoires et, sans perdre le fil qui relie tous ses épisodes, les petites histoires, à leur échelle, en créent des nouvelles. Cela fabrique une temporalité de projet qui s’articule avec plusieurs temporalité et projets. En architecture, on peut faire le parallèle avec le Festival Bellastock, où le quartier prend vie avant que le bâtiment soit construit, et une histoire se crée en amont. Tout processus créatif, tout projet, commence par une destruction : la pensée, l’existant, le site, l’usage… Regretter l’absence d’histoire est un réflexe lassant. Finalement, le secret de la longévité, c’est de ne pas s’attendre à vivre plus vieux que ce qu’on vit dans l’instant présent. La peur de la disparition nous pousse sans arrêt à faire un pas de côté pour encore et toujours se réinventer, pour ne pas disparaître. Certes, les avantages des premières caves enterrées sont notoires et motivent les propriétaires viticoles à vouloir les dissimuler du paysage ; cependant, cette typologie a aujourd’hui tendance à s’exhiber pour devenir un outil de communication et de vente pour l’œnotourisme plus que de nécessité première.

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MOBILE Alors que le chai trouve son origine dans le monde de la terre et du terroir, il est également le laboratoire où le vin prend vie au gré de réactions longues et subtiles d’opérations fermentaires qui ne sont pas sans rappeler les alambics de l’alchimie. S’il ne s’agit pas de transformer le plomb en or, il est question de générer un breuvage alcoolisé à partir d’un jus de fruit sucré. C’est ici l’élément « feu », après avoir traité l’élément « terre », qui entre en scène via la réaction chimique fermentaire. Le chai devient le lieu d’une expérience destinée à renouveler le même breuvage, il est le laboratoire d’une transformation à la fois connue et secrète : à la fois processus naturel et conception unique dans les entrailles du sous-sol de l’exploitation viticole. Il est le lieu renfermant un certain danger, menaçant d’asphyxie, de chute, de noyade. Sa conception évolue donc dans le sens d’un regain de fonctionnalité à mesure que les cadences de production sont amenées à se renforcer. D’un point de vue architectural, cela se traduit par un double mouvement innovationnel : l’un générant des formes nouvelles, l’autre revenant à des principes ancestraux perdus de vue par la technologie.

In fine, le chai est peu à peu devenu une usine, une machine à produire selon des critères ascendants de sécurité et d’hygiène, à la manière exacte des ateliers de montage du secteur industriel. En s’élevant de sa condition rurale, le chai acquiert sa nature ouvrière et devient un lieu accessible du dessus, donc visible. Autant d’innovations techniques préfigurant l’émergence de la fonction prémonitoirement commerciale du chai.

La France est le premier pays producteur de vin et l’une des destinations touristiques les plus visitées. L’eonotoursisme est en plein essor depuis le début des années 2000, et participe au développement de la filière vitivinicole. La réputaion et la commercialisation du vin, est intrinsèquement liée à la réputation de l’architecture qui l’abrite. Le tourisme viti-vinicole est à l’initiative de l’expansion massive du renouvellement de l’image de notre vignoble. En effet, le développement des formules « all-inclusive » des tours opérateurs des grandes propriétés viticoles est devenu l’un des principaux attraits touristiques. Les touristes partent à la découverte d’un savoir-faire mais aussi de son patrimoine bâti.

Les mobiles, révolutionnaires, ont détourné l’image du vignoble contemporain et transformé les vignes en parc d’expositions où le poids de l’histoire laisse place au néant du minimalisme. Depuis une dizaine d’année, nos horizons 233

viticoles se sont transformés pour répondre à la demande des consommateurs.

On constate bien souvent que le parti pris de la modernité, de l’image du « dernier-cri » et de l’étalement des prouesses techniques, offrent des réalisations surprenantes et investies d’une portée commerciale, tels sont les projets de Philippe Starck, Franck Gehry, Christian de Portzamparc, Santiago Calatrava, Baggio et Piéchaud, ...

Au sein des transformations mobiles, on discerne l’approche sensible, de l’approche conceptuelle. La Dominus Winery, dans la Napa Valley en Californie, est le travail des architectes suisses Herzog & de Meuron. Les clients considèrent la vinification comme « la plus haute forme de l’agriculture ». De ce fait, ils ont souhaité une architecture qui soit un monument à la fabrication du vin, qui comprenne « l’art » du chai comme outil. Le projet est surnommé « la cave invisible » et se dissimule dans le paysage. Le volume parallélépipédique, long d’une centaine de mètres, affirme une simplicité extrême en s’alignant sur la typologie des bâtiments industriels et se justifie par une utilisation spatiale linéaire, en corrélation avec les processus de vinification. Implanter parallèlement au rang de vigne qui l’entourent, on remarque la volonté des architectes d’intégrer leur projet dans le paysage. La structure en gabion lui donne sa matérialité et fait écho aux roches noires de Basalte du territoire.

Ainsi, le chai semble émerger de la terre. C’est l’expression de la symbolique.

Ce système de murs en pierres sèches n’est pas seulement doté d’une signification, il possède un rôle non négligeable : la constitution d’un milieu. En effet, les variations de densité des pierres, laissent pénétrer la lumière naturelle, créant des jeux d’intensités d’un espace à l’autre. La façade en pierre sèche est également une enveloppe thermique remarquable. À la nuit tombée, les pierres plongées dans l’obscurité, laissent s’exprimer la structure métallique de leurs cages qui, dit-on, représenteraient les hottes des vendangeurs… Élever sur son piédestal, la cave se situe quelque part entre l’usine et la sculpture monumentale. C’est une architecture de l’illusion, du sensible.

Sur le domaine du Château les Carmes Haut-Brion, le chai de Philippe Starck et Luc Arsene-Henry est le chai de « l’architecture minimum », un joyau. « On ne peut qu’utiliser le langage de l’immatériel, du mental pour conter le vin » nous raconte son propriétaire Patrice Pichet. Comme l’épée d’Escalibur dans la pierre, il se dresse, telle une lame d’acier au milieu de l’eau, sanctuarisé.

Au-delà de l’impact visuel, l’implantation en milieu aquatique répond aux conditions optimales de conservation du vin, offrant une température et une hygrométrie naturelle à toutes les saisons. Mystique, merveilleux, ses concepteurs l’ont voulu « hautement technologique ». C’est une architecture de l’intuition, de concept.

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POSTURE « Viens chais moi, je te présenterai mon architecte24 » Pourquoi (re)construire un chai ? Pour quelle raison, à un moment donné, le vigneron fait le choix de faire appel à l’architecte pour réaliser, non plus un bâtiment viticole fonctionnel et rustique ; mais un objet d’art revendicateur de qualité et porteur de valeurs esthétiques devenu un signal touristique impossible à ignorer. Stigmatisée, la profession à, selon certains, dénaturée sa fonction. Pour certains, l’architecture des chais est devenue un jeu formel (où contre toute attente le bien public n’est pas perdu de vue, ni le cahier des charges, complexe de technicité), pour d’autres c’est l’éclosion de la poule aux œufs d’or et l’entrée royale dans le monde du luxe. Admirer cette (r)évolution ou s’insurger contre la transformation des chais en « marques » labellisés. Il est une nécessité de repenser les pratiques architecturales afin d’améliorer les conditions de vie et de travail mais, en est-il une de convertir un monde de traditions et d’humilité en vitrine du m’as-tu vu ? « Attiré par le patrimoine culturel d’une région, son terroir et ses richesses, le tourisme apprécie d’être étonné par la modernité de son époque. L’architecture étant- depuis toujours et partout dans le monde- un éminent facteur de tourisme, rien d’étonnant qu’elle puisse servir de levier à l’œnotourisme.25 » Pourquoi construire un objet d’art ? Quelles sont les répercussions ? Pour qui ? Quelle est l’utilisation de l’architecture comme vecteur de communication et de marketing dans le domaine viticole ? Cela justifie-t-il leur prix exorbitant ?

On dit aujourd’hui qu’un architecte qui construit un chai, c’est un architecte qui a réussi sa vie… L’architecture du chai est une posture, une image, un concept.

C’est un positionnement marketing. Un placement financier. Il suffit de miser sur le bon cheval !

Afin de comprendre la démarche entreprise par ces hommes de tradition qui font le choix de l’architecture comme outil de communication, nous sommes partis à la rencontre de vignerons ayant eu recours à l’architecture de « marques ». Implanté à Chinon, Bertrand Couly, du domaine Pierre&Bertrand

. NAMUR, Valéry, “A quoi sert l’ar(chai)tecture?”, in Architecture d’intérieur-Crée, page 7679. 2013 25 .Ibid 24

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Couly, famille historique de la région tourangelle, dont la renommée des vins traverse l’atlantique, s’est fait construire « un chai-d’œuvre » architectural aux portes de la ville. Dominant la plaine sur plusieurs kilomètres, le chai du domaine P&B COULY est plus qu’un simple outil de travail. C’est le reflet d’une réussite, et la garantie d’une rentabilité avérée. Monsieur Couly, nous ouvre la porte. Un accueil généreux, souriant, manifestant une excitation sincère à l’idée de nous raconter son histoire, il se prête au jeu.

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PROPAGANDE Vigneron sur Chinon, votre famille et votre vin ont une grande renommée dans la région. Quelle est l’histoire du Domaine Couly, depuis quand êtesvous installés dans la région ? Quelle est la taille de votre domaine ?

Le Domaine Pierre et Bertrand Couly a été créé dans la forme actuelle il y a maintenant 10 ans. Dans la famille, du côté de ma mère, nous sommes vignerons sur St-Louans depuis le 15e siècle. Du côté de mon père Pierre, j’appartiens à la 4ème génération de vignerons sur Chinon. Au total, le domaine exploité représente une superficie de 21 hectares.

Le chai est au cœur du travail de vinification, de la vendange à la commercialisation du produit fini. Pourriez- vous nous expliquer en quelques mots, quelle place occupe le chai dans votre travail de la vigne ?

Le chai, c’est notre outil de travail principal. Construire un nouveau chai, c’est construire un outil adapté à notre méthode de travail.

Vos installations sur St-Louans sont au cœur du domaine familial dans un ensemble bâti en pierre de tuffeau, à l’image de la région et de son terroir.

Pourquoi choisir de construire un nouveau chai plutôt que de reconstruire votre chai traditionnel ?

Tout d’abord, car l’ancien chai, après avoir subi les modifications de chaque génération ne fonctionne plus avec les exigences actuelles. À l’époque, mon grand-père était vigneron et marchand de chevaux, autant vous dire que les abreuvoirs ne présentent plus d’intérêt aujourd’hui (Rire). Deuxièmement, ce qui a surtout déterminé notre choix, ce sont des questions de logistique. En effet, notre site de St-Louans est soumis à l’avis de l’Architecte des Bâtiments de France et surtout, il n’est plus accessible aux poids-lourds. Construire un nouveau chai devenait donc essentiel au vu des perspectives que nous voulions envisager pour le domaine. Nous avons donc entamé la recherche d’un nouveau site propice au développement de l’œnotourisme avec ces deux exigences : qu’il permette la rencontre avec les touristes et le trafic des poidslourds. C’était l’occasion de construire un outil adapté à notre méthode de travail. Nous avons la volonté de faire à Chinon des vins de terroirs, avec donc la possibilité d’isoler chacun d’entre eux, sans que l’outil de travail interfère.

C’est-à-dire avoir une cuverie conséquente pour pouvoir isoler les parcelles, 240

ainsi qu’un équipement qui permette de vinifier dans de bonnes conditions, modernes, permettant de s’affranchir des problèmes, tout en garantissant la meilleure qualité. A travers ce projet, toutes les étapes de la production du vin ont été prises en compte.

Construire un vignoble c’est collaborer avec la terre. Dans la réalisation du projet, quel est le rapport à la terre et au contexte ? Qu’avez-vous choisi de garder ou, au contraire de ne pas conserver du site ?

Au départ, le site était une friche, mais l’élévation était déjà existante. Le choix d’utiliser la pente permettait donc de conserver la topographie naturelle, et de s’intégrer dans le paysage tout en minimisant son impact. Le chai souterrain a été creusé dans la pente et les terrasses ont par la suite été recréés pour faire disparaitre le bâtiment. En plus, celles-ci ont un rôle d’isolant thermique et de climatisation. La température est ainsi maintenue tout au long de l’année entre 12 et 15°C. Les terrasses ne sont donc pas naturelles ?

Non, elles sont artificielles dans le sens où elles ne sont pas productives pour le vin. Elles servent avant tout de mise en scène et ont un rôle thermique très important. Lors de la conception du projet, nous avons pensé, plutôt que de faire un toit végétal, autant le faire avec de la vigne. Une vigne enherbée pour répondre aux conditions de végétalisation du toit, avec un sol drainé qui peut être irrigué pour que la vigne se porte bien aussi.

Néanmoins, cette vigne qui décore, ne pouvant être utilisée pour le vin, produit 10 hectolitres par an. Elle est transformée en jus de raisin pour les enfants que l’on a appelé, « un raisin sur le toit » et qu’on retourne comme argument commercial. Cette année, on sort même une version gazéifiée, « la bulle sur le toit » !

De nombreux projets d’architecture sont aujourd’hui le résultat de concours, permettant au maître d’ouvrage de faire une sélection des projets et des équipes. Quelle a été votre démarche dans la construction de ce projet ?

Avez-vous eu recours au concours d’architecture ?

Non, nous n’avons pas fait le choix du concours, car nous avions besoin de cette relation de confiance avec l’architecte. Nous avons néanmoins eu recours à un concours d’architecture il y a 2 ans pour un autre projet de cave coopérative, et nous en sommes très déçus. Le projet voté lors du concours a finalement été totalement modifié des suites de l’intervention des architectes des bâtiments de France…

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Vous avez réalisé ce projet avec l’architecte Tourangeau, Bertrand Penneron. Pourquoi faire appel à un architecte pour reconstruire un chai ?

Connaissiez-vous son travail ? Comment s’est fait votre choix ?

Je me rappelle très bien comment ça s’est passé car nous avions dû présenter nos intentions de projets à la municipalité afin d’obtenir leur accord et c’est eux qui nous ont soumis le recours à un architecte aux vues de l’ampleur du projet. Nous avons tout de suite pensé à l’architecte Bertrand Penneron avec qui nous avions déjà réalisé l’extension de notre maison. Nous n’étions pas sûr qu’il serait disponible, car Bertrand est un architecte qui travaille et répond essentiellement à des appels d’offre. Il a néanmoins tout de suite été emballé par le projet, qui représentait pour lui un domaine inexploité. C’est une démarche atypique. Nous étions je pense un peu fou, mais j’en suis finalement très content aujourd’hui !

Vous nous l’avez expliqué, vous avez choisi de conserver votre ancien chai.

La construction du nouveau n’a donc pas eu d’impact sur le travail de la propriété, cependant le choix de l’implantation du projet n’est pas sans conséquence directe sur le paysage. Pourquoi avoir choisi de s’implanter aux portes de la ville ?

Ayant pris l’orientation oenotouristique, le but était de rassembler la vigne, la cave et la vente. Tout de suite l’idée a été d’intégrer le bâtiment dans le paysage. L’idée était de faire quelque chose de nouveau en lien avec notre métier, qui mette en valeur la vigne et la cave. Nous avons choisi ce site pour plusieurs raisons. Tout d’abord pour sa visibilité par rapport aux touristes, et puis comme précisé tout à l’heure, car il offrait un accès idéal aux poids-lourds.

Il n’y a pas tant d’emplacement que ça à Chinon où nous pouvions croiser les deux axes ! Se placer aux portes de la ville était donc un moyen de croiser ces deux volontés. En plus, nous sommes en arc de cercle autour de la ville, dans l’axe de l’alignement de nos vignes, ce qui nous évite d’avoir à traverser le centre-ville avec les machines. Nous n’avons pas joué sur la visibilité du chai en lui-même, dans le sens où celui-ci vient déjà s’intégrer dans la topographie existante, rendant l’outil technique totalement invisible. En revanche, on a volontairement réalisé le bâtiment de réception très visible, d’où sa forme significative de « tonneau » et sa façade rouge, culminant en haut de la pente.

L’implantation de ce lieu ainsi que de l’espace de vente ont été déterminant.

Quelles-ont été les contraintes données à l’architecte pour la réalisation de ce projet ?

Ce ne sont pas des contraintes. À vrai dire, c’est lui qui nous a fait retravailler nos besoins. Nous avons été à sa rencontre avec uniquement deux exigences 242

prédéfinies. Nous connaissions le lieu, et nous savions que nous voulions un toit végétalisé. C’est tout. Après seulement sont apparus les besoins techniques développés au cours des 18 mois de réflexion face à un architecte qui n’y connaissait rien au monde du vin. Mais c’est vraiment ce challenge qui l’intéressait et lui a donné envie de réaliser ce projet avec nous. Du fait de son ignorance dans le domaine, Bernard Penneron a été entièrement à notre écoute et c’est grâce à cela qu’il a pu réaliser l’outil de travail que je voulais. Pour l’anecdote, il arrivait parfois en me demandant combien mesure une palette ? combien peut-on en empiler l’une sur l’autre ? quelle place occupe-t-elle ? … La palette est le nombre d’or du bâtiment, une unité qui nous est propre. Et finalement, le bâtiment est un multiple de palette ! Aussi, une contrainte que l’architecte a soulevée était celle de la capacité de volume des bouteilles que l’ascenseur pouvait transporter de la cave à l’espace de vente. L’impact que cela avait sur ses dimensions et sa portance. Tout le projet découle d’une discussion entre le concepteur et l’utilisateur de l’outil. Il a tout fait à notre service.

Concernant le côté technique, il y avait bien sûr des contraintes techniques d’utilisations de bases, tel que la température et l’hygrométrie ou la ventilation pour l’évacuation des gaz carboniques dû à l’implantation du chai en soussol. La question sanitaire, avec la mise en place d’un caniveau… mais au final, la plus grosse contrainte a sans doute été celle de notre choix de vouloir orienter tout le bâtiment de réception autour des toilettes ! Cela nous a valu de longues discussions avec l’architecte qui ne comprenait pas notre volonté.

Pourtant la raison était pour nous évidente. Nous avons conçu ce bâtiment pour le tourisme, dans le but d’accueillir des groupes. Lorsqu’un bus arrive, dès l’arrivée et juste avant le départ, les passagers vont tous aux toilettes... Il nous fallait donc des toilettes pratiques, accessibles, où ils passent le moins de temps possible, au cœur de l’espace de vente. Car le temps gagné représente du temps qu’ils passeront sur le site et donc plus d’opportunité de ventes.

L’impact de l’ouvrage dans le paysage vous a permis une grande visibilité. Sa publication dans les revues et les sites spécialisés ont étendu cette portée.

Quelles étaient les ambitions de ce projet pour vous et pour l’architecte, ont-elles été atteintes ? Avez-vous constaté une augmentation des ventes ou de la fréquentation de votre site depuis l’ouverture du nouveau chai ? Ça c’était le pari ! Un buzz ! Partir sur une architecture contemporaine. Il y a maintenant 10 ans que nous avons réalisé ce chai. Bien que l’on voit de plus en plus d’architecture contemporaine dans les vignobles, c’était très osé à l’époque, surtout pour un lieu destiné à ouvrir au public. Nous ne savions pas si le public serait au rendez-vous. Pourtant, les répercussions sur la fréquentation ont été spectaculaires. Des 2 000 à 3 000 visiteurs annuel que nous accueillons sur l’ancien site de St Louans, nous sommes passés 243

à une fréquentation annuelle de plus de 10 000 visiteurs à l’année, influant forcément sur le cours des ventes. Les ambitions sont atteintes aujourd’hui, mais ce n’était pas gagné dès le départ. Nous avons eu de nombreuses protestations, notamment lorsque nous avons commencé à peindre le bâtiment en rouge. On nous a reproché que notre façade ne représentait pas un ton pierre, symbole emblématique de l’architecture de la région... Mais non, on ne fait pas un bâti contemporain pour le faire avec de la fausse pierre et de la fausse ardoise !

Vous avez fait le choix de réaliser un bâtiment à la pointe de la technologie en combinant une organisation spatiale remarquablement fonctionnelle et un design soigné et épuré. Entre le pavillon d’exposition et l’atelier technique de transformation, vous avez fait le choix de l’objet d’art. Etait-ce votre démarche ou celle de l’architecte ? Quelle place occupe la modernité dans le projet d’architecture viticole ? Quels sont les moyens employés ?

L’architecte nous a suivi sur le côté technique, mais c’est lui qui a mis en scène le chai, car c’était aussi dès le départ, un bâtiment qui devait se visiter.

Dans toute sa conception, il y avait toujours un côté esthétique, même dans ce qui touchait au plus rationnel du travail pratique. La volonté esthétique a été porteuse de nombreux choix ; pour les matériaux, Bertrand Penneron est parti sur un béton vibré lisse, qui correspond à nos exigences d’hygiènes, sans avoir à ajouter des peintures dont on ne connaît pas les composants…

On reste sur un produit brut et des matériaux neutres qui ne pourront pas avoir d’interaction sur le produit. C’est la raison pour laquelle, par exemple, nous ne voulions pas de bois. Nous connaissons trop d’exemples de récoltes détruites par les substances volatiles des constructions en bois... Comme je l’ai dit précédemment, il y avait déjà le choix des matériaux et bien sûr les innovations techniques des machineries de vinification. Après il y a eu le choix de la cuverie inox. Celui-ci a été déterminant et un vrai parti pris, car il a ensuite été décliné dans de nombreuses parties du design général, comme dans la salle de réception où le bar en inox a été dessiné par l’architecte. Mais il fallait toujours rester sur cette notion artisanale, sans basculer dans l’industriel. Et ça c’est l’occupation des lieux qui le fait. Le discours, l’Homme. Et la galerie d’art y participe !

Pensez-vous qu’il soit nécessaire aujourd’hui de conserver une image traditionnelle du vignoble ?

On a construit notre image en construisant le bâtiment. On a construit l’image de l’entreprise aussi autour de celui-ci et avec le bâtiment puisqu’il est devenu un moyen de communication. Notre image est celle de la tradition dans la modernité. C’est un slogan qui est né du bâtiment. Le bâtiment s’impose sur la 244

modernité, après c’est à nous de faire passer le message et de ne pas se laisser enfermer dans l’image trop contemporaine. La nécessité d’être moderne mais pas froid. La chaleur humaine de notre accueil, du partage de notre travail que l’on vient découvrir quand on passe les portes du Pavillon. Là est notre travail, celui de partager notre tradition. On est un métier qui reste traditionnel et qui nécessite de ne pas s’éloigner de la tradition parce qu’autrement, on perd son âme. On veut rester des artisans et non pas des industriels. Il ne faut pas cataloguer l’architecture contemporaine en une architecture industrielle.

Nous sommes des hommes de la terre et de passion, des purs producteurs de l’artisanat.

Pourriez-vous dire que vous avez réalisé une architecture de marque, un moyen de communication à grande échelle ? Si oui, pour vous, l’image de marque d’un vignoble repose-t-elle sur la modernité de son chai ?

L’image du vin incombe à l’homme car c’est par son travail qu’il le fait, mais je crois que l’architecture aide à positionner le produit. Dans le vin, on vend beaucoup d’image mais celle-ci se crée sur plusieurs bases, dont l’architecture est un moyen, mais pas seulement. Il y a aussi le graphisme, les étiquettes…

D’ailleurs, après avoir longtemps discuté sur l’esthétique de la façade, c’est l’une d’entre elle qui y est suspendu ! Nous venions de créer de nouvelles étiquettes de notre Chinon Rosé. Une fois reproduite en inox, il y avait une cohérence dans l’image de notre vin et de notre bâtiment.

Pour nous cette architecture a généré un travail de presse sans avoir à payer un attaché de presse. Tout ce projet a eu une retombée médiatique très importante et le travail de Bernard Penneron a fait l’objet de nombreuses publications nationales et internationales dont nous sommes très fiers. Il était lui-même étonné de se voir cité dans les articles aux côtés de Jean Nouvel ! Au-delà de notre communication en tant que vigneron, ce projet a aussi participé à la renommée de son architecte.

Qu’est-ce que l’image de la modernité dans un vignoble aujourd’hui ?

On est un métier qui reste traditionnel et dont il ne faut pas s’éloigner de la tradition parce qu’autrement, on y perd son âme ! Nous voulons rester des artisans et non pas des industriels. Il ne faut pas cataloguer architecture contemporaine et architecture industrielle. Nous sommes des hommes de la terre et de passion, de purs producteurs de l’artisanat.

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HORIZON

Il existe une différence entre tradition et modernité dans la gestion des temporalités. Dans nos sociétés européennes, on conceptualise le temps lié à la modernité et au progrès. Pendant toute notre vie, on programme et travaille pour que le futur soit “mieux”. À la différence de la temporalité traditionnelle et cyclique, la temporalité moderne est linéaire ; il y a un début et une fin. Le cyclique lui, réfléchit à un début, une fin et à une régénérescence, une réincarnation. Selon les croyances religieuse et culturelle, cet imaginaire est transposé dans nos sociétés. C’est le cas des pyramides égyptiennes, qui symbolisent l’idée de défier la mort par l’usage de la pierre, matériau de l’éternité. Par opposition, dans les sociétés asiatiques, pour défier le temps, on construit avec des matériaux beaucoup plus légers que l’on va remplacer et « rafistoler » en continu ; les éléments sont perpétuellement reconstruits.

La matérialité n’est donc pas le symbole de pérennité sinon la technique, le savoir de l’artisan. C’est la question de la transmission du savoir au cours des générations qui prime sur sa réalisation.

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ÉNERGIES « Ce sont toutes ces initiatives en faveur de l’environnement que les Nations Unies nous ont invités à présenter lors de la Cop 21 à Paris en décembre 2015.

J’étais heureuse de partager notre expérience pour que le monde du vin s’implique un peu plus dans notre époque écoresponsable. » Alice Tourbier – Copropriétaire du Château Smith Haut Lafite.

Les bâtiments, contrairement aux pensées, bougent et vivent. Si on veut conserver un bâtiment dans le temps, il faut le changer, le bouger, le transformer. L’idée que la forme suit, développée et surexploitée avec l’arrivée de la machine, nous conditionne. Plus les bâtiments sont mal construits et sans intérêt public, plus ils sont faciles à transformer. Le prix de la survie est la transformation : difficile à imaginer dans la tête des architectes et plus encore dans le domaine viticole, berceau de la tradition. Est-ce qu’un bâtiment est une œuvre d’art intouchable ? Quand est-ce qu’on estime que le bâtiment atteint son image parfaite ? À quelle moment la question de la pérennité devient-elle projet ? Plusieurs architectes se sont penchés sur la question, transformant cette contrainte en une vraie thématique de projet. L’agence belge Rottor s’interroge : « Qu’est-ce qu’on consomme ? Qu’est-ce qu’on rejette ? Qu’est-ce qu’on recycle ? » Tel Brand, ils travaillent sur les différents cycles de pérennité, les différentes couches de transformation du bâtiment. L’industrie et notre société de consommation sont elles aussi à inclure dans notre processus de remise en question. Car elles participent à l’obsolescence programmée mais surtout à la transformation des villes et des habitats, maîtres obscurs du temps qui régissent la notion d’usure, vecteurs de cette course au profit.

Par leurs altérations, les matériaux nous parlent de leurs rencontres avec le monde. Ils nous renseignent sur les modes de vie de nos ancêtres mais aussi sur les nôtres. Les matériaux sont les témoins de la force incontrôlable de la nature : le vent taillera une pierre, le soleil changera la teinte du bois, l’eau fera rouiller l’acier… Toutes ces traces laissées par l’homme et la nature sont à l’image du temps qui passe. Aujourd’hui, la question du temps est liée au vieillissement du bâtiment et des gens. On n’a jamais dépensé autant d’argent pour empêcher ce vieillissement. Les bâtiments sont retouchés sur Photoshop comme les modèles des magazines de mode. Le refus du vieillissement en architecture est unanime et global. Seul Alvaro Siza garde ses photos intactes. L’architecte Alvar Aalto construit sa maison de campagne en Finlande entièrement en brique, comme un crash-test, afin de comprendre 248

l’architecture, son évolution et sa transformation dans le temps. La notion de patine est alors limitée car les briques changent, la mousse les recouvrent mais la maison ne se transforme pas.

Le succès croissant du vin et son exportation massive à l’international, poussent les producteurs à produire en plus grande quantité parfois au détriment de la qualité et du respect de la vigne. Pour autant la « mode » du vin naturel, biodynamique, poétique… gagne du terrain. Dans nos villes, les communautés sensibilisent les habitants aux potagers urbains, détournent l’utilisation des machines pour réinsérer l’éco-pâturage, et les urbanistes commencent même à développer de nouveaux revêtements pour nos rues, qui intègrerait la repousse des mauvaises herbes pas si mauvaises… En viticulture comme en architecture, les modes de consommation évoluent mais triste est de constater que rares sont les Domaines qui investissent dans une architecture « à la pointe » de l’environnement. Dans nos villes, on observe l’apparition d’architectures durables, bioclimatiques, passives…. A Bruxelles, les règlementations d’urbanismes obligent les architectes à réaliser des projets passifs - isolation extérieure de 25cm, cuves de récupération des eaux de pluies, une ventilation naturelle. Cette prise de conscience écologique se reflète-elle dans les constructions viti-vinicoles et dans les exigences de leurs propriétaires ?

L’inauguration du domaine Achillée en 2017 marque une journée importante dans l’histoire de la région viticole alsacienne. Le premier chai bioclimatique ouvre ses portes. Yves Dietrich et ses fils, vignerons de Scherwiller ont démarré ce projet un an auparavant. En partie auto-construite par la famille, la structure de paille, de bois et chaux, entièrement auto-suffisante est en phase avec le choix de culture du vignoble. Le chai Achillée a accueilli sa première vendange en août dernier, c’est un pari réussi.

Mais le plus bel exemple est sans aucun doute celui du Grand Cru Classé, Château Smith Haut Lafitte. Grande maison de renommée mondiale du bordelais, le domaine a investi dans le développement durable et les énergies renouvelables inspirées. « La construction d’une ferme et d’un chai furtif à énergie positive a été une avancée considérable pour le Château. Désormais nous faisons du « rejet » une « source » en étant capables de recycler le CO2 en bicarbonate ! Nous récoltons les eaux de pluie et traitons les eaux usées, nous utilisons des panneaux solaires, les sarments en compost… tout est recyclé ! » nous raconte Alice Tourbier, Copropriétaire du Domaine. Tout en combinant l’utilisation des drones pour la surveillance des plants, ou encore le Normalized Difference Vegetive Index (NDVI), avec une méthode de culture dite en « bio-précision », il communie et cultive la vigne dans un profond respect de l’environnement. Les 78 hectares de vignes sont d’ailleurs vendangés à la main, 249

au moyen d’une équipe d’une centaine de vendangeurs. Nous sommes loin des quelques millions investis par Bouygues au domaine Château Montrose, pour recouvrir les 3 000m2 de toiture de panneaux photovoltaïques… Les réelles convictions de l’un, ne sont qu’un argument commercial pour l’autre….

Il est insensé de ne pouvoir élever à plus de 2, les ouvrages viticoles réellement engagés dans cette démarche écologique. Le projet du Château Smith Haut Lafitte démontre que l’évolution des processus de vinifications, la mécanisation et l’utilisation des nouvelles technologies ne sont pas un obstacle au retour aux valeurs culturelles élémentaires.

Si l’écologie a sa place dans nos villes, comment ne l’aurait-elle pas dans nos vignes ?

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ARCHITECTE Gilles Perraudin, Architecte - viticulteur La position de l’architecte Lyonnais Gilles Perraudin n’est ni mobile, ni immobile.

C’est un visionnaire. Au travers de son oeuvre, on remarque une prise de position unique dans les projets viticoles. Peu importe que le projet concerne une rénovation ou une nouvelle construction, la réponse de l’architecte reste inchangée. Immobile et majestueuse, son architecture n’est pas sans rappeler les premiers lieux de vinifications de l’histoire. L’image de la modernité́, est dans son audace et sa sensibilité́. Architecte anticonsumériste, il prône « l’architecture située » dans la continuité des « recherches patientes » de Louis Khan. Un seul crédo le respect de l’économie des ressources et des matériaux. Pour cela, il dédie son travail à expérimenter la pierre, matériau d’éternité. Cette sensibilté à la matière le rapproche du monde rural où il va puiser son inspiration. Architecte spécialisé dans la construction viti-vinicole, il est également viticulteur et propriétaire du domaine du même nom depuis 1995 dans le sud de la France. Gillles Perraudin nous donne sa propre définition du chai viticole au travers de 3 projets : Le chai de Vauvert (1998), La cave des aurelles (Nizas 2001), et le chai viticole de Solan (2008). Dans ces oeuvres, on découvre une dynamique de projet redondante. Des matériaux similaires, des systèmes constructifs répétés, réutilisés ou réinterprétés du modèle antique ou vernaculaire. L’architecte fait le choix de proposer un modèle du chai moderne, une nouvelle image, « celle de la constitution d’un lieu où la dimension matérielle de l’œuvre s’efface devant une inspiration spirituelle et poétique ». Médiateur entre le désir d’artificialisation de l’homme et la matière, il respecte le territoire en y effaçant sa trace, et lui offre la possibilité de « retrouver une identité en relation avec leur lieu de vie, la primauté du spirituel de l’homme/architecte sur la technostructure ingénieriale dévouée aux valeurs matérialistes… » L’authenticité et le naturel.

La taille des pierres, l’assemblage « à sec », la construction posée de chant et assemblées comme les éléments d’un lego n’est pas sans rappeler les constructions en pierres sèches de blocs identiques sciés et assemblés à joints vifs de l’architecture agricole vernaculaire. L’image de la tradition, d’une technique, d’un terroir est transmise dans la conception même de l’assemblage des matières et ce qu’elles transmettent. La modernité elle, est présente dans toute la conception du projet par le choix lui-même du recours aux matériaux ancestraux, aux ressources primaires et à leur réutilisation - Le chai de 252

Vauvert est construite dans la pierre du Pont du Gard, utilisée pour construire l’Aqueduc -, mais aussi la conscience de l’efficience technique de cette mise en œuvre. La construction est l’occasion pour l’architecte d’expérimenter la validité économique de la réutilisation de la pierre massive comme matériau de construction d’une architecture contemporaine. L’œuvre du projet de Solan est un nouvel hommage à l’histoire de l’architecture viticole et à ses origines monacales. Le projet des Moniales et du chai a été conçu avec une pleine conscience de cette dimension humaine, historique et spirituelle. « Ce double mouvement vertical et horizontal de la lumière fonde le sens de cette communauté religieuse : le mouvement vertical va de l’infinie désespérance de la condition humaine vers la générosité de la miséricorde céleste. Et sa composante horizontale permet d’embrasser toute l’étendue des destinées humaines qui naissent et disparaissent sans relâche au fil des saisons d’une vie. » Agence Perraudin Architectes. Enfin, le projet de Nizas, est construit une fois encore dans l’effacement de l’identité humaine et la prédominance du territoire. C’est dans sa position, dans son rapport au contexte naturel, ses caractéristiques d’orientation et sa topographie, que l’architecte choisi de conserver les qualités naturelles de gravité du sol nécessaire à son produit.

La modernité étant subtilement présente dans tous les matériaux, ceux de la structure comme des finitions, label de haute qualité environnementale, faisant de sa construction un terrain exigentiel en terme de H.Q.E. devant l’extrême sensibilité du vin aux influences des produits chimiques contenus dans les matériaux.

Faut-il faire primer l’image de l’édifice ou l’idée transmise par les matériaux ? Gilles Perraudin, le visionnaire, fait le choix du savoir, de la mise en œuvre traditionnelle de l’appareillage à sec qui, à lui seul, permet de répondre à toutes les exigences techniques requises dans un souci du contexte, de l’environnement et de la viticulture. Sans artifices mais simplement par l’optimisation d’un système constructif, il est à l’origine d’une révolution esthétique aux qualités techniques inégalables. Ces ouvrages nous racontent un savoir-faire ancestral, une histoire, mais ils introduisent aussi une dimension spirituelle. Les jeux de lumières entre ciel et terre, que laissent traverser les joints des appareillages à sec qu’il projette avec soin, sont générateurs de poésie. Par le travail de la pierre, l’architecte constitue un milieu : sa rugosité au toucher, sa posture massive et ses angles cassants qui les adoucissent, sa rousseur au aurore, sa blondeur au soleil, ses teintes chaleureuses et flamboyantes, l’odeur de l’humidité sur la pierre calcaire… Authentique, humble mais riche d’une sensibilité terrestre, ses ouvrages sont cinglants d’une quête d’uniformité ; l’avènement d’une symbiose entre homme et matière, mobile et immobile, tradition et modernité. Visionnaire.

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Chai viticole de Vauvert, 1998

Cave des Aurelles, Nizas, 2001

Cave de Solan, 2008 254

ÉMOTION « L’expérience éveille en l’homme des états d’âmes…La tâche des architectes est de préciser ces états d’âmes. » Adolf Loos La vue est à l’architecture ce que le goût est au vin. Traduire la sensibilité d’un terroir, d’un labeur, d’un vin, d’une histoire est le propre du travail du vigneron mais c’est aussi celui de l’architecte. Eveiller les sens, mettre en évidences les volumes, les jeux d’ombres et de lumière, les transparences, les jeux de matières, de textures… Le vocabulaire de l’architecture pour décrire l’appréciation d’un lieu se confond avec celui de la dégustation. Dans la salle de désaltération des termes de Vals de Peter Zumptor, le visiteur peut goûter l’eau. Son rapport à la matière est alors altéré : on ne s’immerge pas dans le bassin, c’est l’eau qui pénètre en nous et contribue au lien intime qui opère entre notre corps, l’eau thermale et l’architecture du lieu.

Dans son ouvrage « Les Ignorants, Récit d’une initiation croisée » (la bandedessinée et la viticulture), le dessinateur Etienne Davodeau, aux côtés du vigneron Richard Leroy se demande en l’observant travailler « ce qui relie un type à sa vigne » et comprend qu’il existe entre eux, « bien plus que l’histoire d’une parcelle cadastrale et de son propriétaire ». L’architecture du vin est un vecteur du sensible. Si les qualités d’un vin sont vantées sur l’étiquette, la qualité de l’architecture qui le produit n’est pas en reste. En effet l’image de nombreux grands vins est intimement liée à la nature de son domaine.

Au cœur du berceau minéral, le rapport charnel de l’homme à la terre, de la main à l’outil, du cep à la bouche, est matière à étude et émerveillement.

Au-delà des émotions qui nous attirent et nous poussent à exprimer ces sentiments, elles nous emmènent vers un voyage intérieur, une introspection.

Quel est le rôle de l’architecture dans la création de cet imaginaire ? Qu’estce qui porte l’émotion ? Est-ce le contexte ? Les couleurs ? La lumière ?

L’architecture elle-même ? Sa matière ? L’histoire ? Celle du site, du bâtiment ou des matériaux qui lui donne la vie ? Dans l’architecture des chais, on retrouve la palette intégrale du facteur « sensible » dont la prédominance minérale, mère fondatrice de la terre dont provient la vigne, s’exprime sous toutes ses formes et ses couleurs. Architecture à voir et à boire, la personnalité du vin se contemple autant que son écrin. Rond, léger, élégant, lisse, rugueux, tuilé, charpenté, étroit, vide, souple, sec, structuré, coloré… La vigne fabrique notre 255

territoire et envahit nos tables. Les rangs de vignes, les jardins, les domaines, les caves, châteaux et autres chais ont aménagé nos terres et traversé les temps. La viticulture est l’un des symboles de notre patrimoine et le bâtisseur de plus de 795 milliers d’hectares, soit près de 8 000 km2 de notre territoire français. La vigne fabrique une pensée visible et invisible. L’imaginaire est l’outil de l’homme pour créer une émotion et renforcer l’image du produit fini. La vigne, son territoire et son architecture, sont vecteurs d’émotions et moteur de projet. Dans un monde tiraillé entre tradition et modernité, artisanat et technicité… la vigne dans tous ces états, alimente et maintient l’équilibre délicat entre imaginaire et réalité. Cultiver pour s’émerveiller.

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LU OUVRAGES - AUGÉ, François, Vigne: Poésie, Condé sur Noireau: ed.L’Harmattan, 2008. 116 pages.

- BARONIAN, Jean-Baptiste, La légende du vin: Petit essai d’oenophilie sentimentale, Cognac: ed.Le temps qu’il fait, 1995.

128 pages.

- DAVODEAU, Étienne. Les ignorants: Récit d’une initiation croisée, Italie : ed.Futuropolis, 2011. 272 pages.

- DION, Roger, Histoire de la vigne et du vin en France des origines au XIXème siècle, Paris: ed.Flammarion, 1959, (1977, nouvelle édition). 770 pages.

- HINNEWINKEL, Jean-Claude, Les territoires de la vigne et du vin, France: ed.Feret, 2002. 255 pages.

- JABOULET-VERCHERRE, Azélina. Florilège de discours savants sur le vin: écrire le vin, d’Homère à Rabelais, France: ed.Feret, 2012. 178 pages.

- LAGRANGE, Marc. Paroles de vin, France: ed.Feret, 2017. 256 pages.

- NAU, Gérard-André. Pour l’amour du vin authentique: Guide des domaines biologiques du Val de Loire, Château-Gontier: ed.Cheminements, 2011. 208 pages.

- NURSIE de, Benoit. La règle de Saint Benoit, Paris: imprimerie.

Gueffier, 1824. 262 pages.

- MALNIC, Evelyne. Le vin & le Sacré: A l’usage des hédonistes, croyants et libres penseurs, France: ed.Feret, 2015. 175 pages.

- PAQUOT, Thierry. Le paysage: collection repères, Clamecy: ed.La découverte, 2016. 126 pages.

- PINCE, Jacques, L’ombre du chai, France: ed.De Borée, 2009.

352 pages.

- PINCE, Jacques, Premiers Sillons, France: ed.De Borée, 2012.

256 pages.

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