L'investigation sans concession
« Grâce à la sous-traitance, EDF perpétue le mythe du nucléaire sans risque » mediacites.fr /interview/2017/11/22/grace-a-la-sous-traitance-edf-perpetue-le-mythe-du-nucleaire-sansrisque/ Elise Moreau
22/11/2017
Ils encaissent la quasi-totalité de la dose annuelle de radiations reçue dans les 19 centrales nucléaires françaises. C’est le prix à payer pour les près de 30 000 sous-traitants d’EDF. Eux-mêmes se qualifient de « viande à rems », ancienne unité de mesure de la radioactivité . Si formellement, ces intervenants extérieurs ont, comme les agents d’EDF, droit au suivi médical, en pratique, leurs examens n’ont rien à voir avec ceux des statutaires. Ces derniers sont suivis une fois par an par un médecin à demeure sur le site nucléaire, alors que les sous-traitants, plus exposés aux radiations, ont droit à un rendez-vous médical par an pour les catégories A (20 millisieverts/an) et une visite tous les deux ans pour les catégories B (5 mSv/an) par des médecins extérieurs au groupe et pas toujours très au fait des risques encourus. Ils ne bénéficient pas non plus des mêmes conventions collectives. Pour la sociologue Annie Thébaud-Mony, directrice de recherche honoraire à l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) et chercheuse associée au Groupement d’intérêt scientifique sur les cancers d’origine professionnelle à l’université Paris 13, ces travailleurs forment « un continent invisible ». Dans vos recherches, vous vous êtes intéressée aux premiers travailleurs du nucléaire des sites militaires d’Hanford et d’Oak Ridge, aux Etats-Unis. Qu’avez-vous découvert ? Les travailleurs de ces deux sites avaient été suivis par le docteur Thomas Mancuso. En mars 1975, ce médecin commence à faire apparaître certains résultats. Mais son travail a été interrompu par les autorités nucléaires américaines alors qu’il montrait que les risques de décès par cancer étaient dix fois plus élevés chez ces travailleurs exposés aux radiations. Elles lui ont même confisqué ses dossiers. A partir de là, c’est le black-out sur les effets sanitaires de la radioactivité sur les travailleurs. Au fur et à mesure que les Annie Thébaud-Mony. Photo : DR. installations nucléaires entrent en fonctionnement, un peu partout dans le monde, et en France notamment, la sous-traitance des travaux dangereux se développe, avec une double division du travail : d’un côté les travailleurs statutaires [comme les agents EDF] qui préparent et contrôlent les travaux et de l’autre, l’activité réelle effectuée sous rayonnement, par des prestataires externes. Ces derniers travaillent dans des conditions difficiles et ne sont pas admis dans les statuts, beaucoup plus favorables, des travailleurs statutaires. Tous les travailleurs sous-traitants sont-ils exposés aux mêmes niveaux de radiations ? Non. Au sein de la sous-traitance, on observe aussi une division : d’un côté ceux qui effectuent des tâches importantes pour la sûreté, relativement bien contrôlées du point de vue de la radioactivité, et d’un autre, ceux qui effectuent les activités les plus coûteuses en dose, souvent peu considérées comme le travail de décontamination, de nettoyage, de robinetterie et de tri des déchets. Ces travailleurs le résument eux-mêmes : « On prend la dose pour que d’autres n’en prennent pas ! ». On voit par ailleurs se développer une très forte précarisation, des contrats très courts et des travailleurs très mobiles, qui alternent entre périodes dans le 1/3