La prison, entrer pour mieux en ressortir ? Vers une architecture au service de la (ré)insertion.

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LA PRISON, ENTRER POUR MIEUX EN RESSORTIR ?

Vers une architecture au service de la (ré)insertion des personnes détenues.

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ÉTUD. MOUSSET Anouk UNIT E0932A - MÉMOIRE 3 - MÉMOIRE INITIATION RECHERCHE

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PRÉFACE

Face à l’impossibilité de se mettre à la place de l’autre, la nécessité d’écouter. Face à l’impossibilité de se mettre à la place de l’autre, la nécessité d’écouter. M’intéressant depuis environ quatre ans, de près, au milieu de la détention, j’ai eu de nombreuses fois l’occasion d’échanger avec des personnes ayant fait l’expérience de la détention, qu’il s’agisse de personnes ayant été détenues, étant détenues à l’instant où j’échangeais avec eux, ayant travaillé ou travaillant encore en détention. Je pense que ces rencontres ont forgé et continuent d’aiguiser le regard que je porte aujourd’hui sur la détention. Nul besoin d’être un expert de ces questions là pour prendre conscience du niveau social des personnes détenues (pour ne pas parler des surveillants de prison). Nous naissons, certes libres et égaux en droits, mais inutile de chercher une quelconque équité en termes de chances et d’opportunités. Lorsque ces personnes passent à l’acte, elles sont responsables aux yeux de la loi, mais je pense qu’il est nécessaire que nous prenions conscience de notre responsabilité en tant que société. A partir de ce moment-là, la prison ne peut avoir un autre but que celui de permettre à ces individus d’avoir les conditions nécessaires à l’apprentissage de la vie en société, d’un métier, de valeurs, de la confiance en soi, de l’empathie, du plaisir de la relation avec l’autre, des notions de respect. Lorsqu’on étudie un sujet tel que celui de la prison, pour lequel il est impossible de se projeter dans un quotidien sans le vivre, il est primordial de prendre le temps d’écouter ce que ces personnes ont à dire, de lire des témoignages. Cette approche, presque anthropologique, dans ce travail de recherche en architecture, me paraissait primordiale : s’intéresser à l’architecture carcérale, c’est se préoccuper des femmes et des hommes qu’elle participe à enfermer. N’étant pas eux, je n’avais d’autre choix pour comprendre ces lieux, que de me confronter à leurs mots, à leur vécu, aux images qui s’étaient imprégnées dans leurs rétines, aux sensations qu’ils pouvaient ressentir, à leurs besoins. Quand on s’intéresse à un milieu si hermétique, qui renferme des personnes que la société ne veut pas ou plus voir, des personnes qui ont pris l’habitude d’avancer dans l’ombre, sans considération, il est parfois compliqué de leur faire comprendre que non, nous ne sommes pas là pour les juger, que oui l’acte qu’ils ont commis ne nous regarde pas, et que oui leur bien-être compte pour nous. Si ces individus n’étaient pas forcément méfiants avant leur(s) expérience(s) de la détention, ils le sont devenus entre les murs comme l’explique Anne-Marie Fixot dans son article Sortir de la sinistrose carcérale 1. A la sortie de la détention, une grande partie des missions du travailleur social consiste à déconstruire cette méfiance vis-à-vis de l’autre, devenue un réflexe.


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1.« La peur s’exprime à travers la méfiance constante qui sous-tend la plupart des relations sociales, quels qu’en soi-ent les partenaires (détenus, personnels, surveillants, personnes extérieures, familles…) : personne n’est sûr de la réalité de la parole de l’autre, chacun soupçonne l’autre de ne pas dire le déroulement exact des faits, de raconter des histoires, consciemment ou pas, de déformer des propos, de cacher plus ou moins volontairement une partie de ce qui s’est passé. Cette ambiance de crédibilité très réduite, d’ignorance réciproque du voisin (de ce qu’il est et de ce qu’il pense) et de stigmatisation généralisée développe toute une atmosphère d’angoisse et de crainte. La rumeur, alimentée par la paranoïa carcérale, devient envahissante et ne cesse de réactiver les troubles et les appréhensions. » - Anne-Marie Fixot, Sortir de la sinistrose carcérale

Ci-contre : Photographie de ©Grégoire Korganow, faite dans une prison française et extraite d’une série photographique réalisée pour le CGLPL entre 2011 et 2013.


INTRODUCTION Entre 2022 et 2027, c’est au moins 8000 places en prison qui seront livrées. Depuis la Révolution Française, les prisons, comme les écoles ou les hôpitaux, font partie des symboles du système républicain. Elles se présentent comme garantes du respect des règles et par extension de la démocratie. Toute personne condamnée à une peine de prison, est amenée à en sortir, pour réintégrer une société dont elle ne maîtrise pas toujours les codes. De toute évidence, notre société a tout intérêt à ce que ses prisons fonctionnent bien. D’après la doxa, bien fonctionner signifie empêcher toute évasion et mettre hors de portée toute personne susceptible de nuire à la société. Mais si cette personne détenue, au moment où elle sort, n’a pas reçu l’accompagnement nécessaire pour s’intégrer à la société qui doit l’accueillir, la mission même de la prison n’est pas accomplie. Il est nécessaire que les programmes pénitentiaires puissent favoriser le développement personnel des personnes incarcérées et donc leur réintégration future dans la communauté afin de réduire le risque de récidive et ainsi servir un besoin de sécurité publique. Et cela passe inévitablement par un questionnement de l’architecture carcérale. Ce travail de recherche a pour objectif de faire prendre conscience à la maîtrise d’ouvrage, aux usagers de ces lieux de détention et aux citoyens que l’architecture carcérale a un réel impact sur le quotidien des personnes détenues et sur le quotidien du personnel pénitentiaire, et donc un réel potentiel. Dans un même temps il s’agit d’outiller les architectes qui osent.


Ci-contre : Photographie d’une fenêtre de cellule de la prison de Bourg-en-Bresse - © Bernard Bolze


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INTRODUCTION

Entre 2022 et 2027, c’est au moins 8000 places en détention qui seront livrées, répondant au plan quinquennal énoncé par Monsieur Emmanuel Macron. Depuis la Révolution Française, les prisons, comme les écoles ou les hôpitaux, font partie des symboles du système républicain. Elles se présentent comme garantes du respect des règles et par extension de la démocratie. La prison comme sanction n’a pas toujours existé. Le recours à l’emprisonnement pour des périodes définies, en tant que mécanisme principal de punition dans le cadre de la justice pénale, est apparu au XVIIIème siècle. C’est à cette époque que les premières institutions pénitentiaires voient le jour, conçues pour rééduquer des individus et réduire la criminalité. Politiques et penseurs voient dans la possibilité de prononcer des peines en mois et en année(s) une méthode rationnelle pour établir des sanctions proportionnelles à la gravité des faits commis.

1. Extrait de l’ouvrage « Architecture des prisons. Principes et méthodologie participative pour une architecture carcérale plus humaine », dirigé par l’unité des personnes privées de liberté du Comité International de la Croix Rouge (CICR) et publié en décembre 2019

Ainsi, la prison de la Santé est inaugurée le 20 août 1867. La notion de détention existait déjà avant le XVIIIème siècle. Les prisons aussi. Elles constituaient alors principalement un moyen de garder les personnes prévenues : les accusés étaient maintenus en attendant leur jugement à l’issu duquel ils étaient soit condamnés à une amende, à une réconciliation, à une compensation, au bannissement, à des châtiments corporels ou encore à la peine capitale. La détention était alors uniquement perçue comme un outil facilitant la mise en œuvre de leur punition et non comme une punition en elle-même. Remplacer la peine capitale et les châtiments corporels par une privation de liberté d’une durée déterminée apparaît alors comme un progrès et une option plus humaine, sous l’influence des idées nouvelles développées par les philosophes des Lumières. A cette époque, ces penseurs voyaient dans les conditions sociales le facteur incitant les individus à commettre des infractions et jugeaient les pratiques de la justice d’Ancien Régime afflictives, inégalitaires et arbitraires. Ainsi, ils défendaient le fait qu’en plaçant ces personnes dans des conditions différentes de celles

de leur quotidien, la société les aiderait à se réformer. Les pénitenciers étaient conçus dans cette dynamique, maintenant les personnes détenues dans un isolement extrême, afin de les encourager à réfléchir, à éprouver des remords, de la honte et « à faire pénitence », dans l’idée que cela améliorerait leur comportement futur. Il semble toutefois, selon l’opinion générale, que ces conditions étaient seulement vécues par les détenus comme un mauvais traitement. L’introduction de l’emprisonnement dans des établissements pour peine, en tant que principale forme de punition, se répandit en Europe occidentale et en Amérique du Nord, pour gagner progressivement le monde entier, motivée par l’ambition de moderniser et de civiliser les systèmes de justice pénale mais également par la volonté de mieux contrôler les peuples colonisés. Dans certains pays, les prisons à l’occidental furent adoptées délibérément en tant que symbole de civilisation et de progrès, ou sous la pression de gouvernements occidentaux avec lesquels ces pays avaient des relations économiques. Ainsi, l’impérialisme et la colonisation des XVIIIème et XIXème siècle ont souvent anéanti des notions de justice et de punition différentes, bien développées localement qui aurait pu, aujourd’hui, constituer des alternatives au système pénitentiaire tel que nous le connaissons. « Dans certaines sociétés, le pouvoir de punir appartenait aux chefs politiques ou spirituels ; dans d’autres, la sanction pouvait être fixée par la famille de la victime ou par une communauté plus vaste. Dans les sociétés pré-coloniales, le recours à la détention comme forme de sanction était rare. » 1 Au début du XIXème siècle les prisons sont rattachées au ministère de l’Intérieur et contrôlées par les préfets alors que l’application des peines est gérée par le Ministère de la Justice. A partir de 1803, des maisons centrales sont ouvertes sur l’ensemble du territoire national. D’anciens bâtis nationaux sont convertis pour cet usage : abbayes, séminaires, citadelles … Ces maisons centrales accueillent des personnes condamnées à “l’emprisonnement correctionnel” de plus d’un an. Les prisons sont rattachées au ministère de l’Intérieur


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MA : Maison d’Arrêt

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CP : Centre Pénitentiaire CD : Centre de Détention

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Ci-dessus : les prisonniers disposent d’une petite cour grillagée qui leur permet de se rafraîchir quand ils en ont l’autorisation. Crédits : Jérémie Jung / Signatures

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Ci-contre : Infographie montrant l’année de construction des établissements pénitentiaires en service aujourd’hui, selon leur catégorie : CD : Centre de Détention (accueille les détenus condamnés à des peines d’au moins deux ans, ayant de bonnes perspectives de réinsertion).

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CP : Centre Pénitentiaire (établissement mixte, qui comprend au moins deux quartiers différents -maison d’arrêt, centre de détention et/ou maison centrale-)

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MA : Maison d’Arrêt (accueille les personnes prévenues en détention provisoire ainsi que les personnes condamnées dont la peine ou le reliquat de peine n’excède pas deux ans)

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MC : Maison Centrale (accueillent les personnes détenues condamnées à une longue peine et/ou présentant des risques) EPM : Etablissement Pénitentiaire pour Mineurs


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En Angleterre, les personnes détenues sont isolées la nuit et travaillent ensemble la journée. Aux Etats-Unis c’est l’isolement qui prime, jour et nuit, et lorsque le travail se fait collectivement c’est dans le silence, sous la menace du fouet. C’est ainsi que naît la prison d’Auburn, à New York, considérée alors comme une architecture modèle. C’est en dupliquant ce modèle que l’isolement cellulaire, considéré alors comme un moyen d’éviter la récidive, s’impose en France et perdure tout au long du XIXème siècle : au début du Second Empire (1852) on compte 45 établissements cellulaires comprenant 15 000 cellules et 15 autres en construction. Sous Napoléon III (1848) le système cellulaire est remis en cause pour des questions économiques, mais à l’issu d’une enquête parlementaire menée en 1872 à propos de la récidive, la Troisième République réintroduit le régime cellulaire dans toutes les prisons : les personnes détenues, qu’elles soient prévenues ou condamnées, doivent être séparées de jour comme de nuit, enfermées seules et en silence. Pire encore, les détenus sont tenus de porter une cagoule lors de chacun de leurs déplacements dans l’enceinte de la prison.

GTM Eurest Pierre & Cédric Vignero [1991]

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INTRODUCTION

par la loi du 10 Vendémiaire an IV (2 octobre 1795) et placées sous le contrôle des préfets. Mais l’autorité judiciaire reste seule investie des décisions pénales. Ainsi, les prisons d’Embrun, Clairvaux, Fontevrault, le MontSaint-Michel, Loos, Poissy, Melun, Nîmes, Riom, Cadillac, Belle-Île, Doullens... sont successivement ouvertes au début du XIXe siècle, et certaines d’entres elles étaient toujours en fonctionnement au début du XXIème siècle, comme la prison de Riom. Ces prisons sont organisées autour d’immenses ateliers, où des milliers de détenus sont surveillés par une petite centaine de gardiens. Dans toute l’Europe, et plus largement encore, une question à la fois spatiale, sociale et punitive se pose : la cellule ou le dortoir ?

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GTM Eurest Pierre & Cédric Vignero [1990]

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L’architecture est pensée pour répondre à cette philosophie, et même les chapelles des établissements pénitentiaires sont construites en alvéoles de manière Les mutineries qui éclatent pendant la présidence de à ce que les détenus puissent assister aux offices sans Valéry Giscard d’Estaing entraînent la mise en place se voir. d’une réforme pénitentiaire dès 1975. En parallèle

Le mobilier de la cellule est sommaire : un lit en métal des maisons d’arrêt pour les personnes en attente de ou en bois, un matelas et deux couvertures, une tinette jugement et des maisons centrales où la discipline est forte, des centres de détention sont créés pour accueillir et un broc à eau. les personnes détenues qui présentent le plus fort C’est la seconde guerre mondiale, plus de soixante- potentiel de (ré)insertion. dix ans plus tard, qui met fin à ces règlements. Paul En 1981 la peine de mort est abolie en France faisant Amor met en place un certain nombre de réformes de la peine privative de liberté la peine maximale de qui aboutissent à la mise en place d’un régime dit référence. “progressif”, allant de l’isolement cellulaire à la semi- Les années 1980 marquent une amélioration dans les liberté. L’amendement de la personne détenue s’obtient conditions de détention, due en partie à Robert Badinter par le travail, qui reste obligatoire puis par la formation alors garde des Sceaux : des télévisions sont installées professionnelle. De 1962 à 1973, 11 établissements en cellule, les parloirs sont aménagés sans dispositif pénitentiaires sont construits, parmi lesquels de séparation, le costume pénal est supprimé, le travail Fleury‑Mérogis, souvent considérée comme la plus obligatoire est aboli dans les établissements pour peine. grande prison d’Europe, qui accueille 4 000 détenus. En 1987, le garde des Sceaux Albin Chalandon met en


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Eiffage Construction Guy Autra [2002]

DV Construction Borja Huidobro et ARCHI [2008]

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Eiffage Construction Guy Autra [2004]

Eiffage Construction Valode et Pistre Architecte [2009]

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œuvre le programme 13 000, faisant appel au secteur privé pour construire 25 nouveaux établissements pénitentiaires. En 1995 c’est le programme 4000 qui voit le jour. En 2002, un nouveau programme immobilier prévoit 13 200 nouvelles places dont 7 établissements pour mineurs. Aujourd’hui la France compte 187 établissements pénitentiaires 2. Et entre 2022 et 2027, c’est au moins 8000 places en détention qui seront livrées, comme annoncé dans la première phrase de cette introduction. Les notions de crime, de punition, d’incarcération et de réinsertion sociale évoluent et les idées et technologies, un jour innovantes, peuvent vite devenir obsolètes. Mais les approches du passé continuent à s’imposer par le biais de l’architecture carcérale qui, elle, s’inscrit dans un temps long. De ce fait, les réformes pénales,

Roann e (Loire) - CD allant parfois dans un sens positifs en termes de droits humains et de respect de la dignité humaine, éprouvent de grandes difficultés de mise en place, contraintes de s’exercer dans une architecture carcérale rigide, peu encline à l’évolutivité et ancienne. En effet, lorsqu’un établissement pénitentiaire est conçu puis construit, il est fait pour durer dans le temps, comme le montre l’infographie ci-contre, présentant les années de construction des établissements en service aujourd’hui. Or, si sa conception n’intègre pas un certain degré de modularité, son architecture ne pourra pas évoluer conjointement aux changements en matière de politique pénitentiaire. Lorsqu’on commence à s’intéresser à l’architecture carcérale des cinquante dernières années, on constate un effet de mode 3. Cet effet de mode est corroboré par un phénomène bien expliqué par Grégory Salle, le phénomène des « prisons

2. Source : observatoire français des prisons Date : 01/02/2020 3. Effet de mode illustrée par l’infographie ci-dessus.

Ci-dessus : Infographie montrant des plans masse d’établissements pénitentiaires conçus et construits dans les mêmes années. Infographie réalisée à partir de vues open street map.


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INTRODUCTION

4. Citation extraite de la règle 4.1 issue de l’ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela)

modèles » sur lequel nous reviendrons dans la deuxième partie de ce travail de recherche. Alors comment expliquer que proportionnellement aux changements que connaissent régulièrement les politiques pénales, la conception architecturale de ces lieux de privation de liberté évolue moins rapidement ? Travaillant sur le sujet depuis bientôt quatre ans, la lecture de différents ouvrages, des conversations formelles et informelles ainsi que l’observation de différentes situations m’ont permis de faire ressortir plusieurs facteurs complémentaires pouvant expliquer ce mécanisme : II La maîtrise d’ouvrage (l’Agence Publique pour l’Immobilier de la Justice) et la maîtrise d’usage (l’Administration Pénitentiaire) sont souvent peu sensibilisées à l’impact, qu’il soit positif ou négatif, que l’architecture peut avoir sur les personnes détenues et le personnel. II L’ absence de réflexions et de préconisations architecturales dans les textes référents (Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (1984), Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement (1988), Principes fondamentaux des Nations Unies relatifs au traitement des détenus (1990), Règles des Nations Unies concernant le traitement des détenues et l’imposition de mesures non privatives de liberté aux délinquantes (Règles de Bangkok) (2010), Règles Nelson Mandela (2015) …). II L’analyse critique des infrastructures pénitentiaires qui ont vu le jour depuis le milieu du XXème siècle, quasi-inexistante, entraînant la duplication insensée “d’architecture-type” ou de “prison-modèle”. II Le désintéressement des architectes pour ce programme II Le monopole d’agences d’architecture dans le domaine de la construction carcérale, causé en partie par la manière dont sont conçus les appels d’offres, avec souvent la nécessité d’avoir déjà réalisé une ou plusieurs prisons pour pouvoir répondre. Le risque ? Que les architectes aient ainsi tendance à dupliquer un projet passé, réinterrogeant moins la place de l’architecture dans l’évolution du monde carcéral, las de toutes les normes auxquelles ils doivent se soumettre. II Des concours d’architecte/appels d’offres qui visent plus la conception d’un modèle reproductible qu’une architecture située adaptée à un contexte. Toute personne condamnée à une peine de prison est amenée à en sortir, pour réintégrer une société dont elle ne maîtrise pas toujours les codes. De toute évidence, notre société, comme toutes celles basées sur une justice au fonctionnement similaire, a tout intérêt à ce que ses prisons fonctionnent bien. D’après la doxa, bien fonctionner signifie empêcher toute évasion et mettre

hors de portée toute personne susceptible de nuire à la société. Mais si cette personne détenue, au moment où elle sort, n’a pas reçu l’accompagnement nécessaire pour s’intégrer à la société qui doit l’accueillir, la mission même de la prison n’est pas accomplie. Il est donc nécessaire que les programmes pénitentiaires, leurs conceptions et leurs constructions, puissent favoriser le développement personnel des personnes incarcérées et donc leur réintégration future dans la communauté, afin de réduire le risque de récidive et ainsi servir un besoin de sécurité publique. Il semble donc essentiel que la société prenne conscience que ce n’est ni en punissant, au sens propre du terme, ni en se vengeant qu’elle réduira les coûts humains et financiers qu’engendrent le système pénitentiaire. Et cela passe inévitablement par un questionnement de l’architecture carcérale. « Les objectifs des peines d’emprisonnement et mesures similaires privant l’individu de sa liberté sont principalement de protéger la société contre le crime et d’éviter les récidives. Ces objectifs ne sauraient être atteints que si la période de privation de liberté est mise à profit pour obtenir, dans toute la mesure du possible, la réinsertion de ces individus dans la société après leur libération, afin qu’ils puissent vivre dans le respect de la loi et subvenir à leurs besoins » 4 La prison, c’est ce paradoxe, en partie spatial, qui consiste à couper les individus de la société et à les priver de leur liberté tout en attendant d’eux qu’ils deviennent plus responsables, plus autonomes et mieux intégrés à cette même société. Pour que nos prisons fonctionnent, il convient d’offrir les conditions, les installations, les programmes et les services encourageant une évolution positive chez les personnes détenues et leur permettant, au minimum, de réintégrer la société à leur sortie . En partant du principe que nos sociétés contemporaines ne sont pas prêtes à (re)questionner, du moins à court terme, la place de la détention et de la privation de liberté, nous nous devons, en tant qu’architecte, de nous interroger sur le rôle que nous avons à jouer afin d’améliorer le quotidien présent et futur (retour dans la société), de ces milliers de personnes qui connaissent la case prison. Ce travail de recherche est né du constat de l’absence d’analyse critique du parc immobilier pénitentiaire. Des prisons voient le jour sans qu’aucune analyse ne soit faite pour s’assurer que l’architecture proposée permette le respect des droits humains et de la dignité, comme établi par les grands standards internationaux. Des prisons sont sans cesse construites, sans qu’aucune analyse ne soit faite pour comprendre l‘impact positif et/ou négatif de l’architecture. Ces prisons voient le jour, mais leur durabilité, et leur capacité de résilience dans


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le temps sont-elles analysées ? L’architecte qui se lance dans la conception d’une prison a peu de moyens à sa disposition pour savoir si les références sur lesquelles il s’appuie sont pertinentes ou contre-productives. Face à ce constat, l’objectif premier de ce travail de recherche est d’élaborer, de tester et de mettre en place une grille d’analyse des établissements pénitentiaires d’un point de vue architectural. Cette grille d’analyse doit permettre d’alimenter la problématique principale de ce travail de recherche, énoncée dans le paragraphe suivant. Il est cependant nécessaire de rappeler dès maintenant qu’un établissement pénitentiaire, si parfait soit-il en matière d’architecture, ne serait rien sans une politique pertinente et elle-même respectueuse des droits et de la dignité des personnes qu’elle enferme, sans les budgets de fonctionnement suffisants, sans un personnel qualifié et suffisant. Analyser l’architecture de ces lieux de détention, c’est d’une part se poser des questions d’architecture : spatialité, lumière, matériaux, d’autre part prendre en compte les personnes qui habitent ces lieux et enfin questionner les normes, procédures et règles en vigueur. Vous verrez donc, au fur et à mesure de votre lecture, se dessiner un travail de recherche pluridisciplinaire. La problématique qui guide ce mémoire est la suivante :

Comment l’espace architectural des établissements pénitentiaire impacte le rapport au monde post-peine des personnes incarcérées et donc leur (ré)insertion ? Et finalement, le processus de recherche mis en place dans le cadre de ce mémoire nous amènera à nous demander comment l’architecte, dans une démarche de recherche, peut accompagner un collectif déjà formé et identifié à l’échelle internationale, dans une démarche de recherche action ?

Pour répondre à cette problématique de recherche, ce mémoire se divise en trois parties : méthodologie, analyse des données nécessaires à la création de l’outil d’analyse et enfin présentation de cet outil et premières mises en application. La méthodologie développée dans la première partie fait état de références bibliographiques, de travail de terrain, du contexte de création de l’outil d’analyse ou encore de rencontres. Il paraissait également important, dans cette première partie, de marquer un temps d’arrêt sur les entraves auxquelles j’ai dû faire face, inhérentes au travail de recherche ou au domaine carcéral, et toutes aussi constructives que le reste. La deuxième partie est une compilation des données qu’il a été nécessaire de recueillir pour la création de l’outil d’analyse. Elle comprend dans un premier temps l’analyse des grands textes nationaux et internationaux qui régissent les prisons dans le monde, afin d’en comprendre les implications spatiales. Dans un second temps il s’agit de proposer une analyse de quelques architectures carcérales existantes afin d’illustrer l’importance de multiplier les retours critiques des

établissements existants pour nourrir la conception future. Enfin, la troisième partie propose une description et une mise en application de l’outil d’analyse créé dans le cadre de ce travail de recherche. De manière plus pragmatique, il s’agit d’une grille d’analyse permettant un système de comparaisons. L’ensemble a pour objectif de permettre la construction d’une base de données objectives et descriptives. Cette base de données doit permettre aux architectes qui conçoivent un ou plusieurs établissement(s) pénitentiaire(s) d’avoir des données concrètes sur lesquelles s’appuyer pour concevoir. Dans un même temps il s’agit de donner une matière à réflexion à l’Agence Publique pour l’Immobilier de la Justice et à l’Administration Pénitentiaire (la maîtrise d’ouvrage) pour qu’elles puissent réfléchir à l’impact de l’architecture sur les conditions de détention et la (ré) insertion des personnes détenues.


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VOCABULAIRE ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE (AP). L’administration pénitentiaire désigne l’ensemble des moyens matériels et humains constituant un service public destiné à assurer l’exécution des condamnations pénales, dans un but d’individualisation de la peine et dans le respect de la sécurité publique. Elle possède deux missions principales : 1. Mettre en oeuvre l’exécution des condamnations pénales par la prise en charge des personnes placées sous main de justice, qu’elles soient incarcérées en milieu fermé ou simplement suivies en milieu ouvert. Dans l’exécution de cette mission, l’administration pénitentiaire est chargée de garantir la sécurité publique en assurant la surveillance des personnes détenues ; 2. Favoriser l’individualisation des peines et la réinsertion sociale, dans un but de prévention de la récidive. L’administration pénitentiaire organise et participe à de nombreux dispositifs d’insertion proposés aux condamnés en partenariat avec d’autres acteurs publics ou associatifs, afin de préparer ou d’accompagner la fin de la peine.

CENTRE DE DÉTENTION (CD). Accueille des personnes détenues condamnées à une peine supérieure à deux ans et qui présentent les meilleures perspectives de réinsertion sociale. À ce titre, les centres de détention ont un régime de détention principalement orienté vers la resocialisation des personnes détenues. CENTRE NATIONAL D’ÉVALUATION (CNE). Créé le 15 aout 1950, ce centre est une entité spécifique au sein de l’administration pénitentiaire qui permet d’évaluer, de manière pluridisciplinaire, des personnes condamnées pendant des sessions de plusieurs semaines. Deux types d’évaluation sont réalisés : l’évaluation de personnalité et l’évaluation de dangerosité. Chaque évaluation fait intervenir quatre pôles : le pôle de surveillance, le pôle d’insertion et de probation, le pôle de psychologie clinique et le pôle de psychologie technique.

CENTRE PÉNITENTIAIRE (CP) OU ÉTABLISSEMENT POUR PEINES. AGENCE PUBLIQUE POUR L’IMMOBILIER DE LA Établissement mixte qui comprend au moins deux JUSTICE (APIJ). quartiers à régimes de détention différents (maison L’Agence publique pour l’immobilier de la justice est un d’arrêt, centre de détention et/ou maison centrale ...) établissement public administratif français sous tutelle du ministère de la Justice et du ministère de l’Action et des Comptes publics chargé, pour le compte de l’État, de DIRECTION INTERRÉGIONALE DES SERVICES la construction, de la rénovation et de la réhabilitation PÉNITENTIAIRES (DISP). des palais de justice, des établissements pénitentiaires, Les directions interrégionales des services pénitentiaires des bâtiments de la protection judiciaire de la jeunesse (DISP) sont des services déconcentrés à l’échelle interrégionale de l’administration pénitentiaire et des écoles de formation du ministère de la Justice. en France. Le directeur interrégional a autorité sur les établissements pénitentiaires et les services pénitentiaires d’insertion et de probation relevant de CANTINE. La cantine est un lieu permettant de stocker les son ressort. objets et denrées qui sont proposés aux détenus. C’est aussi le terme couramment utilisé par les ÉCROU. détenus pour désigner l’ensemble des produits L’écrou est l’acte constatant l’entrée d’un détenu dans qu’ils peuvent acquérir à l’intérieur de la prison. l’établissement pénitentiaire. Tout établissement Cantiner : Mot d’argot utilisé dans les établissements pénitentiaire est pourvu d’un registre . La levée d’écrou pénitentiaires lorsqu’un détenu veut acheter des est l’acte constatant la remise en liberté d’un détenu. produits de première nécessité ou non.


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ÉTABLISSEMENT PÉNITENTIAIRE. Terme générique qui désigne tous les lieux d’enfermement. À ne pas confondre avec le centre pénitentiaire, qui désigne un établissement mixte qui comprend au moins deux quartiers à régimes de détention différents. Synonyme : prison.

MAISON D’ARRÊT (MA). Reçoit les personnes prévenues en détention provisoire (personnes détenues en attente de jugement ou dont la condamnation n’est pas définitive) ainsi que les personnes condamnées dont la peine ou le reliquat de peine n’excède pas deux ans.

ÉTABLISSEMENT PÉNITENTIAIRE POUR MINEURS (EPM). Accueille de jeunes personnes détenues, âgées de 13 à 18 ans. Tout en intégrant les exigences de sécurité carcérale, ils placent l’éducation au coeur de la prise en charge de ces mineurs. Chaque EPM bénéficie de personnels de surveillance et d’éducation spécialisés (éducateurs de la PJJ, enseignants de l’Éducation nationale).

MITARD. Ancienne dénomination des cellules du quartier disciplinaire, aujourd’hui souvent utilisée par les détenus.

GREFFE. À l’entrée en détention, le passage au greffe permet la prise de mesures anthropométriques (photo et empreintes), le dépôt des affaires personnelles et l’enregistrement du dossier concernant le détenu. JUGE D’APPLICATION DES PEINES (JAP). Magistrat chargé de contrôler l’exécution des peines d’emprisonnement (permission de sortir, libération conditionnelle, semi-liberté, etc.) avec pour objectif la réinsertion et la prévention de la récidive. Il se rend fréquemment en prison où il rencontre les détenus. Il surveille également, avec le concours des conseillers d’insertion et de probation, le bon déroulement des peines telles que le sursis avec mise à l’épreuve et le travail d’intérêt général.

PERSONNE CONDAMNÉE. Personne ayant fait l’objet d’une décision judiciaire définitive la déclarant coupable d’avoir commis une infraction pénale. PERSONNE PRÉVENUE. Personne (en liberté ou incarcérée) poursuivie pour contravention ou délit, et qui n’a pas encore été jugée ou dont la condamnation n’est pas définitive en raison de l’exercice de voies de recours. PUNIR. Sanctionner en infligeant une peine. La punition est l’expression d’un rapport de force dans lequel le dominant exerce son pouvoir sur le dominé. La punition s’exerce dans le cadre d’un pouvoir personnel et peut paraître arbitraire, car elle dépend du bon vouloir de l’individu en position de supériorité.

QUARTIER DE SEMI-LIBERTÉ (QSL). Reçoit des personnes condamnées admises au régime du placement extérieur ou de la semi-liberté. MAISON CENTRALE (MC). La personne condamnée détenue peut s’absenter de Accueillent les personnes détenues condamnées à une l’établissement durant la journée pour exercer une longue peine et/ou présentant des risques. Le régime activité professionnelle, suivre un enseignement ou de détention de ces prisons est essentiellement axé sur une formation, bénéficier d’un traitement médical la sécurité. ou s’investir dans tout autre projet d’insertion ou de réinsertion de nature à prévenir les risques de récidive. Les quartiers centres pour peines aménagées peuvent recevoir les personnes condamnées bénéficiant d’une


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VOCABULAIRE

SANCTIONNER. La sanction peut être définie comme « la conséquence prévue à l’avance d’une infraction ou d’un non respect d’une règle ou d’une loi explicitement formulée et reconnue ». Les comportements non acceptés, considérés comme des infractions, ainsi que les sanctions QUARTIER DISCIPLINAIRE (QD). correspondantes sont donc définies au préalable. Le quartier disciplinaire regroupe les cellules Les réparations sont connues et adaptées au type et à disciplinaires. Il est couramment surnommée « mitard ». la gravité de l’infraction. La sanction peut difficilement Il ne doit pas être confondu avec l’Isolement carcéral qui être vécue comme injuste car elle est accessible à tous lui, est une mesure de protection. et s’applique de la même manière à chacun. C’est là que réside la différence entre punition et sanction. QUARTIER D’ISOLEMENT (QI). Cellules individuelles dans lesquelles des détenus SERVICES PÉNITENTIAIRES D’INSERTION ET DE sont placés sur décision du directeur de la prison par PROBATION (SPIP). mesure de précaution ou de sécurité. Le placement Le SPIP est un service à compétence départementale. à l’isolement peut aussi avoir lieu à la demande d’un Il intervient à la fois en milieu ouvert et en milieu détenu afin d’être protégé du reste des détenus. fermé, auprès des personnes incarcérées (prévenues ou condamnées) et sur saisine des autorités judiciaires pour les mesures alternatives aux QUARTIER HAUTE SÉCURITÉ (QHS). poursuites, pré-sentencielles et post-sentencielles. Quartier d’un établissement où les mesures de sécurité La mission essentielle du SPIP est la prévention de la sont particulièrement renforcées. Les QHS ont été créés récidive, à travers : au lendemain des mutineries violentes de 1974 et -l’aide à la décision judiciaire et l’individualisation des 1975. Ils ont été supprimés en 1982 par le Garde des peines Sceaux Robert Badinter. - la lutte contre la désocialisation - la (ré)insertion des personnes placées sous main de RÉCIDIVE. Justice Situation d’un individu déjà condamné qui commet, - le suivi et le contrôle de leurs obligations. selon certaines conditions et dans un certain délai, une nouvelle infraction pouvant entraîner le prononcé d’une YOYO. peine plus lourde que celle normalement prévue. L’isolement des détenus dans leur cellule les conduit à communiquer par l’extérieur des bâtiments, ce qui explique les éclats de voix entendus aux abords des prisons. Mais les fenêtres sont aussi le lieu privilégié d’échange d’objets, de troc, etc. Le yoyo est fabriqué avec des morceaux de draps ou autre tissu et permet par un mouvement de balancier, en passant le bras au travers des barreaux, de faire parvenir l’objet à la cellule voisine. mesure de semi-liberté ou d’un placement à l’extérieur ainsi que les personnes condamnées dont le reliquat de peine est inférieur à un an, afin de leur permettre de concrétiser un projet de réinsertion.»


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Ci-contre : Photographie de © Jérémie Jung, extraite d’un portfolio publié sur le site internet de Prison Insider : Jérémie Jung encadre des ateliers photographiques avec 10 d’entre eux. Et se confronte à la censure de l’administration pénitentiaire. Légende. Certains, après avoir purgé une longue peine, sont inquiets de leur sortie. Pour la préparer, ils sont accompagnés, pendant une année, par un référent. © Jérémie Jung


SOMMAIRE PARTIE 01

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PARTIE 02

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CHAPITRE 1. Méthodologie de travail

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CHAPITRE 1. Les standards internationaux

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II UNE BIBLIOGRAPHIE PLURIELLE II UN TRAVAIL DE «TERRAIN» II UNE GRILLE D’ANALYSE ARCHITECTURALE DES ÉTABLISSEMENTS PÉNITENTIAIRES

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II PRINCIPE N°1 : NE PAS NUIRE II PRINCIPE N°2 : PRÉSERVER UN MAXIMUM DE NORMALITÉ II PRINCIPE N°3 : FAVORISER LA SANTÉ ET LE DÉVELOPPEMENT PERSONNEL II PRINCIPE N°4 : MAINTENIR LES LIENS AVEC LA SOCIÉTÉ

46 46

CHAPITRE 2. Apprendre de l’expérience d’architectes

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CHAPITRE 2. Rencontres II PRISON INSIDER : L’OPPORTUNITÉ DU SERVICE CIVIQUE II COMITÉ INTERNATIONAL DE LA CROIX‑ROUGE (CICR) : À LA RENCONTRE DE CHERCHEURS ET DE PERSONNES DE TERRAIN II ARCHITECTES

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24 26

26

CHAPITRE 3. Entraves II COLLECTER LE RESSENTI ET LA PAROLE DES PERSONNES AYANT FAIT L’EXPÉRIENCE DE LA DÉTENTION II LA MÉFIANCE II ENTRER EN DÉTENTION

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36 37 38

47 48

II CONCEVOIR ET RÉALISER UN ÉTABLISSEMENT PÉNITENTIAIRE II LA CONCEPTION-RÉALISATION II LA CONCEPTION ARCHITECTURALE, UN OUTIL D’HUMANISATION II DES VOLONTÉS ARCHITECTURALES AU DIALOGUE AVEC LA MAÎTRISE D’OUVRAGE II LA QUESTION DE L’EXPÉRIENCE LONGUE DANS LA CONCEPTION ET RÉALISATION D’ÉTABLISSEMENTS PÉNITENTIAIRES II LES PHÉNOMÈNES D’APPROPRIATION

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CHAPITRE 3. Entre innovations, concepts expérimentaux et retours en arrière

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II DES ÉLÉMENTS QUI FONT EXCEPTIONS DANS L’ARCHITECTURE PÉNITENTIAIRE

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II DES ÉLÉMENTS RÉCURRENTS D’UNE ARCHITECTURE PÉNITENTIAIRE À D’AUTRES II ANALYSER C’EST AUSSI SE NOURRIR DE NOTRE PROPRE RAPPORT AU MONDE

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51 52 54 54 56

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PARTIE 03

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CHAPITRE 1. La création d’un outil d’analyse

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II (DÉ)COMPOSITION II PRINCIPES D’APPLICATION(S)

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CHAPITRE 2. L’application de l’outil d’analyse au Centre Pénitentiaire de Riom

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II VUE D’ENSEMBLE II CHOIX DU SITE II DURABILITÉ II NATURE DES DIFFÉRENTS ESPACES II LUMIÈRES ET VUES II INTÉGRATION SOCIALE II PRISE EN COMPTE D’USAGERS DIVERS II SATISFACTION DES BESOINS HUMAINS II PROTECTION DES PERSONNES II PRIVATION DE LIBERTÉ II APPROPRIATION

88 90 90 90 94 96 96 97 98 98 98

CHAPITRE 3. De l’analyse à la comparaison

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II APPLICATION N°1 : CHOIX DU SITE II APPLICATION N°2: NATURE DES DIFFÉRENTS ESPACES II APPLICATION N°3 : LUMIÈRES ET VUES II PRISE DE RECUL

100 104

CHAPITRE 4. Accompagner des collectifs déjà formés et identifiés dans une recherche-action ?

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II LE CICR II PRISON INSIDER II RESCALED

110 111 111

CONCLUSION ET FUTURS

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RESSOURCES

120

II BIBLIOGRAPHIE II SITOGRAPHIE II RAPPORTS II JOURNAUX II PODCASTS II ÉCRITS SCIENTIFIQUES

GRILLE D’ANALYSE

120 122 127 128 128 129

130

TRAVAIL DE TERRAIN 146 II COLLECTE DE CARTES MENTALES II GRILLE D’ENTRETIEN AVEC DES

PERSONNES SORTANT DE PRISON

144 158

107 112

ENTRETIENS II CHRISTOPHE DARBEDA, ARCHITECTE II BRIGITTE SCHARFF, ARCHITECTE II VINCENT BALLON, CICR

164 166 180 186


PARTIE 01

Le milieu carcéral, un domaine de recherche singulier Cette première partie présente l’ensemble des points essentiels qui ont nourri ce travail de recherche : références bibliographiques, rencontres, entraves ... Le chapitre 1, intitulé «méthodologie de recherche», part de la constitution de la bibliographie de recherche à la création d’un outil d’analyse en passant par le travail de terrain, inhérent à une volonté de recherche appliquée. Le chapitre 2, présente les «rencontres» vécues avant ou pendant ce travail de recherche, provoquées et spontanées, réussies et ratées. Les rencontres qui ont contribué à créer l’identité de ce mémoire. Le chapitre 3, enfin, propose un temps d’arrêt sur les entraves auxquelles j’ai dû faire face, inhérentes au travail de recherche ou au domaine carcéral, et toutes aussi constructives que le reste.

CHAPITRE 1. MÉTHODOLOGIE DE TRAVAIL ⤷ Une bibliographie plurielle ⤷ Un travail de «terrain» ⤷ Une grille d’analyse architecturale des établissements pénitentiaires CHAPITRE 2. RENCONTRES ⤷ Prison Insider : l’opportunité du service civique ⤷ Comité international de la Croix-Rouge (CICR) : à la rencontre de chercheurs et de personnes de terrain ⤷ Architectes - Christophe Darbeda (Archi5Prod puis WTF/A) - Alain Bretagnolle (Architecture-Studio) - Brigitte Scharff (Vurpas Architectes) CHAPITRE 3. ENTRAVES ⤷ Collecter le ressenti et la parole des personnes ayant fait l’expérience de la détention ⤷ La méfiance ⤷ Entrer en détention


Ci-contre : Photographie de ©Grégoire Korganow, faite dans une prison française et extraite d’une série photographique réalisée pour le CGLPL entre 2011 et 2013.


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PARTIE 01 LE MILIEU CARCÉRAL, UN DOMAINE DE RECHERCHE SINGULIER

CHAPITRE 1

Méthodologie de recherche

─ UNE BIBLIOGRAPHIE PLURIELLE D’ABORD. Les enjeux passés, présents et futurs de la prison questionnent, bien au-delà de la dimension architecturale, penseurs, philosophes, sociologues, politiciens, géographes, anciens détenus, membres de l’administration pénitentiaire, hommes et femmes de terrain… et bien d’autres encore. Finalement, et nous allons le constater à plusieurs reprises au cours de ce travail de recherche, les questionnements soulevés par le monde carcéral sont très peu souvent traités à travers un regard architectural. Alors, pour se forger une culture, comprendre la chronologie ou encore intégrer les contraintes inhérentes à ce milieu si particulier, il est nécessaire de s’intéresser à des ouvrages aux horizons très divers et à des supports multiples pour essayer de comprendre plus largement les enjeux que revêt le monde carcéral pour aujourd’hui et demain. Après s’être constitué un socle solide de connaissances, l’architecte en devenir que je suis peut se positionner pour essayer de comprendre comment nous pouvons jouer notre rôle. Le lien entre la bibliographie présentée à la fin de ce travail et l’architecture n’est pas toujours immédiat.

1. Après un bref contexte historique présentant l’évolution des formes architecturales pénitentiaires de 1789 à nos jours, ce rapport d’étude était divisé en trois parties : innover pour améliorer / savoir questionner ces innovations / vers une architecture pénitentiaire allant au-delà de la simple répression. À travers ces différentes parties il s’agissait de s’attarder sur plusieurs cas d’étude atypiques comme l’établissement pour peine de Mauzac, l’établissement pénitentiaire de Riom avec la mise en place d’un système respecto, la rénovation des Baumettes ou encore les établissements pénitentiaires pour mineurs, une architecture expérimentale. 2. Le collectif What If ? se définit comme « un agent provocateur du débat public et interne ». Ce collectif comprend Max Mollon, chercheur et designer fiction, qui l’a fondé en 2014 et qui a été rejoint en 2018 par Welid Labidi. What If a pour objectif de créer des formats de débats « innovants & exploratoires » à destination de structures publiques et privées. Ces sortes de débats ont pour objectif d’ouvrir un espace-temps de réflexion critique ayant la capacité d’anticiper les controverses.

Il s’agit de lire entre les lignes, et comprendre comment les enjeux sociologiques, démographiques, politiques, philosophiques et géographiques s’entremêlent pour nourrir notre regard de professionnel.

─ UN TRAVAIL DE « TERRAIN » ENSUITE. La lecture d’ouvrages, d’articles en ligne, l’écoute de podcasts, de conférences, d’interviews et d’émissions constituent la base de mon travail de recherche. Cette étape était nécessaire à la compréhension de ce monde si particulier. Il était nécessaire de croiser ces apports contextuels et scientifiques à un travail de terrain, lui aussi pluriel. La construction de mon rapport d’étude, traitant des innovations en matière d’architecture carcérale et rédigé en 2018 1, avait été l’occasion pour moi de visiter l’établissement pénitentiaire de Riom et l’établissement pour mineurs (EPM) de Meyzieu. Suite à ces visites,

j’avais pu mettre en place, en partenariat avec Gloria Diallo, responsable locale de l’enseignement au centre pénitentiaire de Riom, un atelier de cartes mentales. L’objectif de cet atelier était de comprendre si le régime de détention influait sur la perception qu’avaient les personnes détenues de l’espace carcéral qu’ils habitent. Ce travail m’avait permis de prendre conscience de l’importance du travail de terrain dans la recherche : raccrocher la théorie à la réalité, comprendre le concret grâce à la théorie. Dans le cadre de ce mémoire j’ai donc cherché à multiplier ces expériences de terrain afin de nourrir mon regard et par la suite mon propos. Je me suis associée de septembre 2019 à mars 2020 au collectif What If 2 pour co-construire des ateliers de design fiction autour de la prison et à destination du grand public (au musée des Confluences) et d’un petit groupe mixte de personnes détenues à la maison d’arrêt de Lyon‑Corbas. Ce projet m’a permis de me questionner sur comment transmettre au grand public les connaissances engrangées sur le monde carcéral et comment les amener à se questionner sur cette institution dont on parle si peu. Ce fut également pour moi l’occasion de visiter la maison d’arrêt de Lyon‑Corbas, et d’échanger de manière informelle avec un groupe réduit de personnes détenues ainsi que deux professeurs de philosophie sur l’architecture carcérale. Lors de la première séance avec ce groupe, nous leur avons présenté la notion de design fiction et le déroulé des quatre séances à venir. Nous les avons ensuite accompagnés sur le choix de la problématique dont ils avaient envie de parler individuellement tout au long de ces ateliers : sur douze personnes, trois voulaient aborder la question de l’architecture carcérale. Pour cause de pandémie, je n’ai pas pu aller plus loin dans ces échanges. Il était important pour moi, et pour la justesse de ce travail de recherche, que le volet « terrain » s’adresse aux premiers concernés : les personnes incarcérées ou ayant fait l’expérience d’une incarcération plus ou moins récemment. La situation sanitaire ne me permettant alors pas d’entrer en prison, je me suis tournée vers des structures qui accompagnent des personnes à leur sortie de détention, à l’instar du Mas, à Lyon, qui gère notamment un centre d’hébergement à destination de ces personnes-là.

Il s’agit d’un centre d’hébergement diffus, c’est-à-dire que les personnes sortant de prison sont placées, pour des durées de six mois renouvelables, en appartement sur la métropole. En parallèle le Mas développe le programme « un logement d’abord ». Celui-ci permet à des personnes sortant de prison de trouver plus facilement un logement auprès d’un bailleur social. En étant locataires, et simplement accompagnées par le Mas, ces personnes se sentent chez elles. Étant déjà en contact régulier avec Judith Le Mauff, coordinatrice de ce centre d’hébergement pour le Mas, j’ai pu échanger


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avec elle sur le type de dispositif que nous pouvions participants et les participantes pouvaient également mettre en place pour tenter de recueillir la parole de ces laisser leurs coordonnées afin que je puisse prendre personnes sortant de prisons. contact avec eux. Dans ce cas, il s’agissait d’un entretien Nous avons instauré une collecte de cartes mentales semi-directif sur l’architecture de leur(s) lieu(x) de de leur cellule d’avant, et de leur appartement détention pour accompagner la compréhension de d’aujourd’hui. l’expérience vécue et des traces de celle-ci à la sortie. Pour accompagner ces deux productions graphiques, les personnes volontaires étaient invitées à raconter leur journée type en prison, et leur journée type depuis qu’ils étaient de nouveau libres. S’ils le souhaitaient, les

Karim. Il a été incarcéré 10 mois à la Maison d’Arrêt de Villefranche-sur-Saône. Karim était incarcéré seul dans sa cellule. Depuis sa fenêtre il voyait un bout de la route et la cour de promenade. Aujourd’hui il vit chez lui, seul, dans un appartement d’une pièce. Carte mentale de la cellule de Karim.

Carte mentale de l’appartement de Karim.

Paul. Il a été incarcéré 12 ans au Centre pénitentiaire d’Avignon-Le Pontet. Paul partageait sa cellule avec un ou plusieurs co-détenu(s). Depuis sa fenêtre il voyait des rats et ds gabions. Aujourd’hui il vit seul, dans un appartement de deux pièces que lui prête l’APCARS. Carte mentale de la cellule de Paul.

Carte mentale de l’appartement de Paul.

Ci dessus. Ci-dessus. Photographie au Centre Pénitentiaire de Bourg-en-Bresse. © Bernard Bolze Ci-contre. Cartes mentales recueillies par les associations du Mas et de l’Apcars dans le cadre de ce travail de recherche. Ces cartes mentales ont été réalisées par les personnes elles-mêmes, sortant de détention. Elles étaient accompagnées d’un récit écrit de leur journée type pendant leur détention et depuis leur sortie.


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PARTIE 01 LE MILIEU CARCÉRAL, UN DOMAINE DE RECHERCHE SINGULIER Chapitre 1 Méthodologie de travail

─ UNE GRILLE D’ANALYSE ARCHITECTURALE DES ÉTABLISSEMENTS PÉNITENTIAIRES ENFIN. J’ai choisi d’orienter ce travail de recherche dans le but utopique de trouver une réponse adaptée à l’absence d’outil(s) à disposition de l’architecte, qui souhaite concevoir un établissement pénitentiaire. Un outil parmi d’autres pourrait être cette grille d’analyse architecturale. La troisième partie de ce mémoire lui est consacrée, et il s’agit, ici, de donner simplement le contexte de son élaboration. J’ai construit cet outil suite à l’analyse des standards internationaux, en réaction à la lecture de l’ouvrage du Comité International de la Croix Rouge Architecture des prisons, Principes et méthodologie participative pour une architecture carcérale plus humaine, et de mon regard personnel d’architecte en devenir. J’ai conçu cette grille comme un support lors de futures immersions dans des établissements pénitentiaires, immersions que j’imaginais de deux jours minimum. Elle a deux objectifs principaux : permettre une analyse architecturale à la fois objective et sensible et comparer différents établissements selon la même matrice. S’il s’agissait de voir ce projet de recherche à grande échelle, et pour que ce travail prenne plus de sens, il faudrait appliquer cette grille d’analyse à l’ensemble des établissements carcéraux français, puis élargir l’étude à l’Europe. Dans le cadre de ce travail de mémoire, le but était de mettre à l’épreuve cette matrice en l’appliquant sur deux à quatre établissements afin de pouvoir porter un regard critique sur la pertinence de ce dispositif et le faire évoluer. La suite montrera que cela n’a pas été possible pour cause de pandémie internationale, qu’il a fallu trouver des alternatives, mais vous le lirez bien assez vite, alors ne nous attardons pas davantage. L’élaboration de la grille s’est étalée d’avril à septembre 2020. Sa mise en application était prévue sur les mois de septembre et octobre de la même année dans trois établissements : le centre pénitentiaire de Riom, les Baumettes II à Marseille et la maison d’arrêt de LyonCorbas. Pourquoi ce choix de corpus ? Lorsque le moment de choisir ces établissements cobayes est arrivé dans ma recherche, une question principale a émergé : est-il pertinent d’analyser des bâtiments de toutes époques, des plus anciens encore en fonctionnement aux plus récents à peine livrés ? Il apparaît alors rapidement que les bâtiments antérieurs à l’écriture des textes fondamentaux ayant guidé la conception de la matrice d’analyse, ne peuvent que difficilement respecter les préconisations. Dans cette dynamique, le choix du corpus s’est porté sur des établissements relativement récents, soit dans leur construction soit dans leur rénovation. Le centre pénitentiaire de Riom a ouvert ses portes en 2016, la maison d’arrêt de Lyon-Corbas en 2009 et la rénovation du bâtiment des Baumettes II a abouti en 2017. La question du type d’établissement (établissement pénitentiaire, maison d’arrêt, maison centrale,

établissement pour mineurs…) ne s’est pas posée, étant donné que la grille a été construite de manière à être applicable à tout type d’établissement pénitentiaire à quelques questions près. Les trois établissements cités possèdent également des éléments qui leur sont propres : le centre pénitentiaire de Riom est conçu pour répondre aux nouvelles exigences du cahier des charges des Établissements à Réinsertion Active (ERA) ; les Baumettes II cherchent à tourner la page des Baumettes I, longtemps pointées du doigt pour leur insalubrité et leurs conditions de détention indignes ; la maison d’arrêt de Lyon-Corbas, récente, fait pourtant l’objet de rapports peu élogieux. Ce choix d’établissements a été également conforté par le fait que mes expériences professionnelles et universitaires passées m’avaient déjà permis d’en visiter deux d’entre eux (Riom et Corbas). Une méthodologie à priori simple : concevoir une grille d’analyse pour ensuite la mettre en œuvre sur un nombre restreint d’établissements, afin de la mettre à l’épreuve dans le but de l’améliorer et d’interroger la pertinence de l’outil.

C’était sans compter sur l’épidémie de la covid-19, qui a entraîné un repli sur-soi radical du monde en général


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et des prisons en particulier. Après avoir strictement interdit l’accès lors de la première phase, de mars à juin 2020 environ, les personnes étrangères au quotidien de la détention ont continué d’être vues comme une menace sur les mois suivants. Les familles, les proches, les professionnels de santé et quelques professionnels extérieurs ont commencé à pouvoir entrer de nouveau en prison à partir du mois de juin et jusqu’au second confinement du mois d’octobre. Ne pouvant plus me rendre dans les établissements pénitentiaires pour mettre en application cette matrice, et récolter des données de façon active, je me suis appuyée sur des rapports du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté (CGLPL) et du site de Prison Insider pour obtenir ces données et les confronter à ma grille.

Avoir déjà visité deux des trois établissements de mon corpus m’a facilité, dans une certaine mesure, ce travail de collecte des données. Il est cependant nécessaire de préciser qu’appliquer cette matrice au cours d’une immersion de deux à quatre jours semble bien moins chronophage et plus juste que d’extraire de rapports, d’interviews, de photographies et de témoignages les données nécessaires. À titre d’exemple, dix jours ont

été nécessaires pour remplir 70% de la matrice pour la prison de Riom. Les résultats de cette phase de mise en application seront développés dans la dernière partie de ce travail de recherche. Il convient simplement ici d’ajouter, pour permettre une meilleure compréhension du contexte de recherche, que pendant tout ce temps j’ai eu la chance de pouvoir entretenir des contacts réguliers avec Vincent Ballon, chef de l’unité des personnes privées de liberté du Comité international de la CroixRouge ainsi que plusieurs membres de son équipe. Ces contacts réguliers m’ont donné l’opportunité de mettre en débat mon travail de recherche, et plus particulièrement de pouvoir discuter de l’évolution de cette grille d’analyse avec des chercheurs et des hommes et femmes de terrain, lié.e.s de très près à la détention. Ces discussions m’ont aidé à donner du sens à mon travail alors que le contexte sanitaire dans lequel nous évoluions rendait impossibles les objectifs que je m’étais fixés. Avec ces échanges, j’ai eu la sensation de rester connectée à la réalité du terrain, et de réfléchir à un outil au service de ces acteurs qui œuvrent pour une amélioration des conditions de détention, vers un meilleur respect des droits humains et de la dignité.

Ci-dessus. Photographie du quartier arrivant du Centre Pénitentiaire de Bourg-en-Bresse. © Bernard Bolze


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PARTIE 01 LE MILIEU CARCÉRAL, UN DOMAINE DE RECHERCHE SINGULIER

CHAPITRE 2 Rencontres

Ce travail de recherche s’est construit, comme évoqué dans la partie «méthodologie» à travers de nombreuses lectures, un travail de terrain et une approche scientifique du sujet. Et plus largement, comme un fil conducteur à tout cela, il y a eu des rencontres. Des rencontres d’un jour, des rencontres qui sont devenues des aventures, des rencontres perturbantes et d’autres inspirantes. Sans compter celles qui n’ont jamais pu avoir lieu, et qui, par leur absence, ont également un impact sur ce travail de recherche. Lorsque nous nous intéressons à un domaine aussi singulier et hermétique que le monde carcéral, il est nécessaire, pour comprendre les tenants et aboutissants des problématiques inhérentes au sujet, d’échanger avec toutes les personnes qui le composent. J’entends par là des personnes entretenant des liens professionnels autant que personnels, des abolitionnistes autant que des personnes prônant ces modes de sanction, des personnes concernées par le sujet autant que ceux pour qui la prison se résume à Orange is the New Black ou Alcatraz. C’est cette pluralité des regards qui m’a personnellement permis d’appréhender puis de comprendre ce monde si particulier. À cela s’est ajoutée la nécessité de produire un travail qui faisait sens pour des acteurs du terrain. Alors, au-delà de ces rencontres plutôt sensibles avec des personnes touchées par la détention (personnels, personnes détenues, chercheurs, grand public), j’entretiens des contacts réguliers avec des organisations internationales expertes des questions liées à la détention. À travers les lignes qui vont suivre, il s’agit d’évoquer les acteurs qui ont particulièrement nourri ce travail de recherche. : l’ONG Prison Insider, le Comité International de la Croix-Rouge, des architectes comme Christophe Darbeda et Brigitte Scharff. ─ PRISON INSIDER L’OPPORTUNITÉ DU SERVICE CIVIQUE Septembre 2018, alors que j’entame mon année de césure entre ma licence et mon master, j’ai l’occasion de rejoindre l’équipe de Prison Insider. Il s’agit d’une Organisation non gouvernementale dont la mission est de collecter, d’organiser et de diffuser des informations documentées et chiffrées sur les conditions de détention à travers le monde. Elle s’appuie sur un réseau international de contributeurs et une méthodologie rigoureuse pour recueillir des données précises et comparables sur les pratiques de l’enfermement à travers

le monde. Elle les met à disposition sur son site internet en s’adressant à des publics différents, pour permettre à chacun de faire évoluer son regard sur la prison, pour donner envie d’agir pour des sociétés respectueuses de la dignité de tous. À ce moment là, l’ONG est dirigée par Bernard Bolze, fondateur de l’Observatoire International des Prisons (OIP). Mon expérience professionnelle au sein de Prison Insider dure neuf mois dans le cadre d’une mission en service civique. Initialement engagée sur le pôle multimédia dirigé par Clara Grisot, ma dynamique de travail et mon envie de m’investir me permettent rapidement de travailler de manière transversale sur le pôle multimédia, le pôle international en charge de la production des fiches-pays et le pôle études comparées. Cette expérience professionnelle m’a permis d’intégrer pleinement la méthodologie de travail propre à Prison Insider basée sur l’application d’une grille d’analyse identique pour tous les pays permettant une comparaison objective à l’échelle internationale.

En étant responsable de la création et de la production d’une étude comparée sur l’application du droit de vote dans les prisons européennes, j’ai pu me confronter à la richesse, aux problématiques et aux obstacles liés à la création de telles études. Une expérience qui, aujourd’hui, nourrit particulièrement ce travail de recherche dont l’aboutissement principal est la création d’une matrice permettant l’analyse des établissements pénitentiaires à travers la France et l’Europe à travers le prisme de l’architecture. Outre l’apprentissage d’une méthodologie rigoureuse et scientifique de travail, ce service civique fut pour moi une opportunité sans précédent pour accroître mes connaissances sur le domaine carcéral, balayant un large spectre, toujours d’un point de vue international : réglementations, conditions de vie, accès aux soins, accès aux droits, hygiène, liens avec l’extérieur … Enfin, le fait d’être affiliée au pôle multimédia m’a également permis de m’entretenir avec un certain nombre de personnes directement confrontées au milieu carcéral, chercheurs, militants, détenus, proches, écrivains, afin de vulgariser les connaissances que chacun d’eux avait à apporter via un contenu graphique et journalistique Cette expérience chez Prison Insider ne fut pas unilatérale, et par mon investissement, mon envie d’apprendre et l’énergie déployée, j’ai réussi à faire mes preuves et à acquérir une certaine légitimé qui s’est concrétisée par un investissement à plus long terme , à l’issue de mon service civique. J’ai ainsi rejoint le conseil d’administration et le bureau exécutif de Prison Insider. Cette rencontre, et l’expérience professionnelle qui en découla, en déclencha bien d’autres : elle m’a permis de faciliter certaines prises de contact par la suite, venant nourrir ce travail de recherche.


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Ci-contre : photographie extraite de l’ouvrage Architecture of authority, ©Richard Ross


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PARTIE 01 LE MILIEU CARCÉRAL, UN DOMAINE DE RECHERCHE SINGULIER Chapitre 2 Rencontres

1. Vincent Ballon, chef de l’unité détention du Comité international de la Croix-Rouge après plusieurs années passées dans d’autres services du CICR et en tant que courtier maritime, il est titulaire d’une maîtrise d’économie de l’Université Paris I La Sorbonne et d’une maîtrise de droit fiscal et des affaires de l’Université Paris II Assas. 2. Sara Snell est conseillère en matière de système pénitentiaire auprès du Comité international de la Croix-Rouge. Il s’agit d’une ancienne directrice d’établissement pénitentiaire 3. Joana Cameira, titulaire d’un master en architecture de l’Université de Leuven, elle travaille entre autres pour le secteur détention du Comité international de la Croix-Rouge 4. Rich Wener est professeur de psychologie environnementale au département Technologie, Culture et Société de l’université de New York, conseiller pour le Comité international de la Croix‑Rouge. 5. Date : 1er février 2020 Source : observatoire français des prisons

─ COMITÉ INTERNATIONAL DE LA CROIX-ROUGE (CICR) : À LA RENCONTRE DE CHERCHEURS ET DE PERSONNES DE TERRAIN Une partie conséquente de la matrice créée à travers ce travail de recherche puise ses ressources dans l’ouvrage Architecture des prisons - Principes et méthodologie participative pour une architecture carcérale plus humaine. Cet ouvrage a été publié par le Comité international de la Croix-Rouge en décembre 2019. Après avoir lu et analysé ce livre, des questions restaient toujours en suspens. J’ai alors tenté de rentrer en contact avec l’unité des personnes privées de liberté du Comité international de la Croix-Rouge, à l’origine de cette publication. Le premier contact s’est établi avec Vincent Ballon, chef de l’unité, qui avait notamment participé à la rédaction de cet ouvrage. Nos échanges ont donc tourné autour des questions que ce livre soulevait, et puis, in fine, autour de ma matrice d’analyse. Intéressé par l’outil sur lequel devait déboucher ce mémoire, Vincent Ballon1 a soumis mon travail à l’ensemble des personnes travaillant pour l’unité (chercheurs et personnes de terrain). J’ai ainsi pu entretenir des contacts réguliers avec lui et plusieurs de ses associées, Sara Elizabeth Snell2, Joana Cameira3 & Rich Wener4, me permettant, au fur et à mesure de mon avancée, d’interroger la pertinence de mon travail et d’ouvrir le dialogue sur des problématiques identifiées. Ces différents temps d’échange, qui ont commencé en octobre 2020, m’ont permis d’interroger la pertinence de comparer les bâtiments entre eux, la pertinence du choix de l’échelle géographique de cette étude, la pertinence de se restreindre uniquement à des caractéristiques architecturales ou de prendre également en compte les dimensions sociales, politiques, logistiques, etc. Ces échanges sont intervenus alors que j’avais fini de concevoir la grille d’analyse dans son entièreté. Sans m’influencer dans mon travail de recherche, ils m’ont permis de le mettre en perspective et de modeler certaines de ses composantes pour le rendre pertinent et faire en sorte qu’il appartienne à une réalité, celle du terrain. Je reviendrai plus amplement là-dessus dans la dernière partie de ce mémoire. Il s’agissait simplement ici d’insister sur l’importance, pour moi, d’ouvrir le dialogue avec des hommes et des femmes de terrain pour nourrir mon travail de recherche.

─ ARCHITECTES Cette recherche sur l’architecture carcérale est en partie née du constat de l’absence d’informations critiques (au sens constructif du terme) relatives à l’architecture des lieux de détention, que ce soit à l’échelle nationale, européenne ou internationale. En France, entre le 1er janvier 1990 et le 1er décembre 2019, 24 265 places nettes de prison ont été mises en service, induisant la

construction de 79 établissements pénitentiaires. C’est-à-dire qu’aujourd’hui, sur les 187 5 établissements pénitentiaires que compte la France, 79 d’entre eux ont été construits dans les trente dernières années, ce qui représente 42% du parc immobilier pénitentiaire.

De ces architectures, dont aucune analyse ou critique n’est accessible publiquement, émergent deux phénomènes : elles sont soit issues d’une réplique de ce qu’on appelle communément une « prison modèle », soit l’objet même de ce qualificatif et servent alors à leur tour d’exemple pour les conceptions des années suivantes. Grégory Salle illustre parfaitement bien ce phénomène de « prison modèle » dans son ouvrage L’Utopie carcérale - histoire des «prisons modèles, paru en novembre 2016. Il nous montre comment, lorsqu’un nouvel établissement pénitentiaire est construit, il est décrit comme « modèle » inspirant alors les conceptions en cours et à venir, avant de perdre, tout qualificatif mélioratif, à partir du moment où un retour critique est rendu possible suite à la mise en fonctionnement de l’établissement. Il est déjà souvent trop tard : sur le territoire national et international, on voit déjà poindre grues et engins de chantier, à l’œuvre pour mettre sur pied une réplique de ce lieu, passé du statut de modèle au statut de lieu indigne en l’espace de quelques mois seulement. Alors, comment l’architecte qui conçoit un nouveau lieu de détention peut-il savoir si la référence aujourd’hui, présentée comme innovante en termes de respect des droits, de la dignité et au service d’une insertion certaine, sera encore pertinente demain ? Comment savoir s’il peut s’appuyer sur cette référence ? Comment être certain que cette architecture est bien au service de ces usagers, répondant à leurs besoins d’aujourd’hui et de demain ? C’est avec l’objectif de pouvoir apporter une réponse à ces questions, que ce travail de recherche s’est construit. Il s’est concrétisé par la conception d’un outil d’analyse performant, autant au service de la maîtrise d’ouvrage, de la maîtrise d’œuvre, des usagers et du grand public. Comprendre ce qu’il se passe du côté de la maîtrise d’œuvre, notamment pour l’architecte qui conçoit ces lieux, s’avère alors nécessaire. Peu d’entre eux ont accepté d’échanger avec moi sur leurs expériences passées ou présentes. Je reste pourtant persuadée qu’il aurait été intéressant de soumettre la grille d’analyse créée à des yeux expérimentés d’architectes, confrontés à la conception et la construction de prisons, à même de faire ressortir les points les plus pertinents à analyser pour faire avancer positivement la conception architecturale des ces lieux. Ces absences de réponses font partie intégrante de ce travail de recherche et soulèvent bien d’autres questions, concernant le manque de cohésion présent dans notre profession et sur lesquelles nous ne nous attarderons pas davantage ici.


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J’ai quand même pu m’entretenir avec certains d’entre eux, de manière formelle ou informelle, sur leur vécu d’architecte s’étant confronté aux programmes pénitentiaires. Aucun de ceux m’ayant répondu favorablement pour un échange n’a souhaité prendre le temps de s’intéresser à mon travail de recherche pour me faire un retour critique de la grille d’analyse élaborée, du point de vue de l’architecte, probablement par manque de temps. Ces échanges, lorsqu’ils étaient formels, je les ai construits comme des entretiens semi-directifs, tous basés sur l’expérience propre des architectes interrogés, en partant donc des bâtiments qu’ils avaient conçus et/ou construits. II Comment vous êtes-vous renseigné sur ce domaine carcéral lors de votre premier concours ou participation à la conception d’un établissement pénitentiaire ? Êtesvous entré en prison avant de concevoir votre premier établissement pénitentiaire ? Avez-vous échangé avec des personnes détenues, des membres du personnel, des proches ? Et avec du recul, y a-t-il des outils qui vous ont manqué en tant qu’architecte ou qui vous manqueraient encore, pour nourrir votre conception architecturale des lieux de détention ? (analyse, corpus, retour d’expérience …)

II Avez-vous constaté des évolutions dans le cahier des charges, au niveau des normes entre votre premier établissement pénitentiaire et aujourd’hui ? II Selon vous, l’architecte a-t-il un rôle à jouer dans l’évolution de ce programme ? (lorsque nous parlons d’évolution, nous entendons une meilleure prise en compte des droits humains, de la dignité des personnes incarcérées et du personnel, et de la question de l’insertion post-peine) Au cours de mon court parcours d’architecte en devenir s’intéressant de près au milieu pénitentiaire, j’ai eu plusieurs fois l’occasion de m’entretenir de manière tout à fait informelle avec des architectes ayant participé de près ou de loin à la conception et construction d’établissements pénitentiaires ou ayant tout simplement un avis relativement arrêté sur la question. C’est lors de ces échanges informels que j’ai saisi la nécessité d’interroger des architectes se confrontant à la conception d’établissements pénitentiaires, pour mieux comprendre le rôle, le potentiel et les possibles limites de l’architecte lorsqu’il est acteur d’un tel projet.

Dans cette partie sont présentées trois agences d’architecture, avec parfois un focus sur un architecte en particulier. Ces trois protagonistes de la construction pénitentiaire ont particulièrement nourri mon travail de recherche par la suite.

II Comment se déroule la réponse à un concours : à quels documents avez-vous eu accès ? Quelles ont été les grandes étapes précédant la communication de votre Christophe Darbeda, proposition architecturale ? Quelles différences y a-t-il un échange riche d’apprentissages, merci avec d’autres programmes ? Lors de mon entretien6 avec Christophe Darbeda, je découvre son parcours : « Ça fait quasiment quinze II Tout au long des différents projets que vous avez ans que je travaille et 98% de ce que j’ai fait c’était pu mener concernant l’architecture carcérale, vous des prisons. Donc j’ai travaillé sur plus d’une dizaine souvenez-vous de désillusions ou au contraire des d’établissements. Là on a gagné notamment la maison bonnes surprises que vous avez pu avoir ? (interlocuteurs, d’arrêt de Troyes-Lavau. On vient de rendre le concours obstacles, non-dits …) des Baumettes III, la dernière tranche des Baumettes à Marseille. On attend la réponse. J’avais participé à II Êtes-vous retourné voir des établissements que vous l’époque au concours de la Santé. Je connais pas mal aviez conçus / construits après leur mise en service, d’établissements, j’ai fait pas mal de visites, beaucoup pour voir comment les espaces que vous aviez pensés et d’échanges avec l’administration pénitentiaire, avec dessinés, avaient ou non évolué ? Avez- vous été autorisé l’APIJ (Agence Publique pour l’Immobilier de la Justice) ou même invité à le faire ? forcément. Les utilisateurs, les surveillants, voilà. Puis après, nous on s’intéresse de manière plus large, II On parle souvent de « monopole d’architectes » dans le forcément à la dimension humaine de ces lieux de domaine de la conception / construction de bâtiments privation de liberté. Donc j’essaye de rayonner très large pénitentiaires (comme pour d’autres programmes), et d’avoir un spectre le plus large possible, voilà je suis notamment dû au fait qu’en acquérant une expérience, abonné à des revues comme l’OIP (Observatoire Français l’agence semble plus légitime à répondre aux concours des Prisons) pour s’inspirer, pour voir comment c’est ou appel d’offres. Que pensez-vous de cela ? Un perçu d’un point de vue détenus, familles de détenus. architecte qui a déjà conçu plusieurs établissements C’est toujours intéressant d’avoir ces points de vue-là. » pour peine, réinterroge-t-il moins le programme en Chef de projet de 2005 à 2014 pour l’agence Archi5prod, lui-même, se repose-t-il plus sur ce qu’il sait et sur les Christophe Darbeda a notamment travaillé sur les Centres normes qu’il a subies auparavant, ou au contraire, étant Pénitentiaires de Mont‑de‑Marsan, Bourg‑en‑Bresse, donné qu’il maîtrise de plus en plus les codes, arrive-t-il Rennes, d’Orléans Saran, des Baumettes, et sur les mieux à s’en servir pour dessiner des projets de plus en Maisons Centrales d’Alençon‑Condé sur Sarthe et de plus qualitatifs pour les personnes incarcérées et celles Lens – Vendin de Vieil, allant de la phase concours à la livraison du chantier, selon les projets. qui y travaillent ?

6. L’intégralité de l’entretien réalisé avec Christophe Darbeda, en octobre 2020, est disponible en annexe de ce mémoire.


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PARTIE 01 LE MILIEU CARCÉRAL, UN DOMAINE DE RECHERCHE SINGULIER Chapitre 2 Rencontres

Pendant cette période Christophe Darbeda travaille également sur de nombreux concours, qui même sans être remportés, lui permettent d’alimenter sa réflexion : le concours en Partenariat Public-Privé (PPP) de la Maison d’Arrêt de Paris La Santé ou encore le concours pour la Maison d’Arrêt de Rodez. En 2014 il fonde, avec Julie Mafrand, l’agence WTF / A – Architectes Associés, avec laquelle il poursuit son engagement dans la conception et la réalisation d’établissements pénitentiaires : parmi eux, le Centre Pénitentiaire de Troyes-Lavau et le centre pénitentiaire d’Aix - Luynes II. L’agence répond à des concours, comme celui du Centre Pénitentiaire des Baumettes III, de la Structure d’Accompagnement à la Sortie d’Osny et de Meaux-Chauconin, du Centre Pénitentiaire de Loos ou encore de l’extension du Centre de Détention de Muret. Christophe Darbeda répond très rapidement à ma sollicitation d’entretien, et l’échange de plus d’une heure et demie que nous avons, un vendredi matin du mois d’octobre 2020, contribue à alimenter ma réflexion quant au(x) rôle(s) présupposé(s) et réels de l’architecte, sur la conception d’établissements pénitentiaires.

projets de prisons. À l’époque, il n’est pas familier avec ces lieux-là, mais la Justice en général l’intéresse. Dès le début de sa pratique professionnelle, certains projets de prison sont déjà en phase d’étude à l’agence, avec Bouygues, entreprise qui de son côté venait de livrer des établissements, notamment réalisés avec Architecture‑Studio. Christophe Darbeda a donc très vite l’occasion de visiter et saisir ce qu’est une prison : « donc déjà découvrir les bâtiments, la manière dont c’était construit, la manière dont s’agençaient les différents locaux, les différents bâtiments. Et puis, aussi voir des gens derrière les grilles, effectivement ça refroidit au tout début quand on est jeune. Voilà, quand on vient juste de finir ses études et qu’on voit ça effectivement ça fait très bizarre. Et puis après on prend un petit peu de recul et puis voilà. Nous on est engagé, on essaye de faire notre travail, parce que c’est un sujet intéressant qui est souvent clivant chez les architectes, très, très clivant surtout dans les écoles d’architecture. Mais c’est bien dommage parce qu’heureusement qu’il y a des architectes qui s’y intéressent pour améliorer le travail du personnel, les conditions de vie des détenus, sachant que là, il y a une relation de cause à effet. »

Il partage avec moi l’idée que l’architecte peut participer Les architectes qui se confrontent aux programmes via son projet à mieux respecter les droits humains et la pénitentiaires sont peu nombreux. Et lorsqu’ils ont dignité et à favoriser une (ré)insertion active. l’expérience d’un ou deux établissements, il n’est pas

Christophe Darbeda, de parents magistrats et pour qui le premier souvenir d’architecture est un palais de Justice, réalise son dernier stage dans l’agence Archi5prod pour laquelle il devient rapidement chef de projet pour une longue durée. « Arrivé là par hasard », mais pas vraiment non plus, puisque l’agence7 venait de remporter un important concours pour la construction d’un Palais de Justice dans les DOM-TOM, en Martinique. Finalement, Christophe Darbeda se retrouve à travailler sur des

7. À cette époque, l’agence Archi5prod ne porte pas encore ce nom-là, il s’agissait de l’ancienne agence Paul Chemelov, Borja Huidobroils & Bernard Guillien (aujourd’hui associé de Archi 5)

Ci-contre : Vue numérique de l’entrée de la Maison d’arrêt de Troyes-Lavau réalisée par l’agence WTF/A Architectes associés - Source : APIJ

rare que surgisse un effet de fatigue comme le constate Christophe Darbeda. Dans les grosses agences avec lesquelles il a eu l’occasion de s’associer, les architectes s’essoufflent assez vite sur ce type de programme. « En général ils en font une, deux grand maximum et puis après ils veulent tourner la page. Finalement même dans les très grosses agences c’est rare d’avoir plus d’une à deux personnes qui font ça de manière régulière.» Se lancer dans un concours pour un établissement pénitentiaire nécessite d’être prêt à se confronter à des


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questions éthiques et politiques que renvoient ces types d’établissements, à faire face à une maîtrise d’ouvrage invasive, à jouer avec des budgets très serrés, ou encore à accepter qu’une fois le bâtiment livré, l’architecte ne soit plus du tout consulté pour toutes les modifications qui interviendront a posteriori. Pour Christophe Darbeda « Il faut être intéressé pour essayer de réunir tout un tas de contradictions programmatiques. Ça dépend des sensibilités des personnes : pour certains c’est plus politique, pour d’autres c’est plus social ou humaniste, et d’autres encore c’est plus le côté constructif, rubik’s programmatique ou défi qui les attire et les retient, sans oublier la part des convictions personnelles ». L’enjeu pour l’architecte qui conçoit et réalise un établissement pénitentiaire, c’est de se poser les bonnes questions au bon moment. Dans le cadre d’un établissement pénitentiaire, ces bonnes questions il faut se les poser au moment du concours, phase qui « fige » beaucoup de choses pour la suite. C’est d’ailleurs un moment très stimulant pour Christophe Darbeda qu’il relate avec beaucoup de plaisir : « Moi j’ai des moments de plaisir à chaque phase, mais le moment du concours c’est là où on remet tout à plat, là où on se repose les

bonnes questions et après on se les pose beaucoup moins. Vu qu’on s’engage sur le projet, après il s’agit plutôt de le maintenir pendant trois ou quatre ans. On le fait évoluer, mais c’est du détail après, on ne remet plus en question, on n’interroge plus ».

Parmi les éléments architecturaux les plus évidents, l’architecte peut rapidement avoir un impact sur l’organisation des bâtiments entre eux, des fonctions, la fluidité des mouvements, le travail avec la lumière, la qualité des vues.

Bien que devant être force de proposition pour concevoir une architecture au service de ses différents usagers et de leurs besoins, Christophe Darbeda utilise son vécu pour m’expliquer que, selon lui, l’architecte doit aussi s’adapter au fonctionnement du milieu pénitentiaire : c’est ce fonctionnement qui, pour de tels programmes, prime sur ce qu’il appelle le « beau ». De par son expérience, Christophe Darbeda a conscience que certains choix fonctionnels, impactant parfois de près l’architecture, sont primordiaux. Au moment où a lieu notre échange, il vient de livrer avec son agence un bâtiment, dans lequel, dès l’ouverture, des personnes

Ci-dessus : Christophe Darbeda, architecte HMONP, ayant travaillé pour l’agence Archi5Prod et co‑fondateur de l’agence WTF/A Architectes associés. Ci-contre : Vue numérique d’une cour de promenade de la Maison d’arrêt de Troyes-Lavau réalisée par l’agence WTF/A Architectes associés. Source : APIJ


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PARTIE 01 LE MILIEU CARCÉRAL, UN DOMAINE DE RECHERCHE SINGULIER Chapitre 2 Rencontres

détenues se sont poignardées au couteau, dans un Nous ne naissons pas égaux : si Christophe Darbeda était angle mort généré par son dessin. Difficile de ne pas né dans une famille aux multiples difficultés sociales et ressentir une certaine responsabilité. financières, il ne rejette pas le fait qu’aujourd’hui il serait En ayant conscience de la violence psychique et peut-être derrière les barreaux pour trafic, au lieu d’avoir, physique de tels lieux, au quotidien, tant pour les en quelque sorte, le privilège de réfléchir à la conception personnes détenues que pour le personnel, Christophe de ces lieux qui répondent aux politiques et au système Darbeda considère qu’il est de son devoir de produire de justice de notre République. Il est important pour des architectures aux formes simples. lui de rappeler que non, contrairement à ce que l’on peut lire dans certains ouvrages ou médias, ce n’est pas Il ne s’agit pas là d’un sacrifice pour l’architecte. Pour l’architecte qui enferme les individus, mais bien notre lui, revenir à des formes simples, aux fondamentaux, société, et que chacun d’entre nous, en tant que citoyen, c’est permettre une meilleure sécurité, empêchant joue son rôle, passivement ou activement. certains détenus de se faire tabasser et tuer : « il faut trouver un juste équilibre pour ne pas tomber dans une surveillance qui opprimerait les corps, mais un équilibre qui permette par la surveillance de protéger les corps. Il n’y a pas des surveillants violents et mal intentionnés, Architecture-Studio : du silence aurait pu naître un j’ose espérer qu’il y en a qui sauve des vies ». retour d’expérience enrichissant et une discussion Avant de s’intéresser à l’architecture à proprement parler, l’architecte doit s’intéresser à tous les maillons qui précèdent la question architecturale : la dimension sociale, sociétale, urbaine, politique, philosophique, le système de justice, les dimensions sociologiques… Les prisons, si souvent qualifiées de « miroirs de nos sociétés », reflètent effectivement l’ensemble des maux d’une société, et il est assez évident d’écrire que ce n’est pas l’architecture, qui a elle seule, pourrait avoir l’ambition de régler tous ces problèmes. Par contre, cette architecture et ceux qui la conçoivent peuvent œuvrer à la mise en place de conditions de travail plus favorables pour les membres de l’administration pénitentiaire et les intervenants externes, et de conditions de vie plus dignes et respectueuses des droits humains pour les personnes incarcérées, en faveur de leur (ré)insertion dans une société dont ils sont exclus.

Ci-contre : Photographie de ©Jean-Marie Monthiers de l’allée principale du Centre Pénitentiaire de Farlède, réalisé par l’agence Architecture Studio dans le cadre du programme 4000

pleine d’échanges

Architecture-Studio est un collectif d’architectes né dans les années 1970, aujourd’hui considéré comme l’une des grandes agences françaises. Ayant réalisé trois établissements pénitentiaires du programme 4000 [APPARTE] lancé en 1998, et continuant, aujourd’hui encore, à livrer des bâtiments aux programmes similaires, leur expérience dans le domaine de l’architecture carcérale est conséquente, avec des architectes comme Alain Bretagnolle qui conçoit, depuis plus de 20 ans, des prisons. D’ailleurs, écrivez en barre de recherche, sur internet, les mots clés « Architecture‑Studio » et « prison » et vous tomberez sur des articles écrits par une presse spécialisée en architecture ayant une renommée certaine, de AMC à Archistorm en passant par Chroniques d’architecture, le Moniteur. Ces articles apportent des réflexions intéressantes sur la posture de cette agence vis-à-vis de ce programme.


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APARTÉ : LE PROGRAMME 4000 La loi de programme n° 95-9 du 6 janvier 1995 relative à la Justice prévoit un accroissement de 4000 places de détention, appelé couramment le programme 4000. Ce programme de construction est mis en œuvre en deux parties : 1. La tranche 4 [2002 à 2004] comprend les établissements de Seysses (en Haute-Garonne), du Pontet (dans le Vaucluse) et de Lille-Sequedin (département du Nord) 2. La tranche B [2004] comprend les établissements de Liancourt (Oise), La Farlède (Var) et Chauconinneufmontiers (Seine-et-Marne). Il s’agit de construire deux maisons d’arrêt et quatre centres pénitentiaires (programmes mixtes). Pour réaliser ces six établissements, deux groupements comprenant architectes, bureaux d’études et entreprises générales, sont choisis. Les trois établissements de la tranche A sont conçus par l’architecte Guy Autran et réalisés par l’entreprise Eiffage. Les trois établissements de la tranche B, quant à eux, résultent du travail de l’agence Architecture-Studio et de l’entreprise Quille. Après deux années de concours, de 1999 à 2000, deux années d’études et de chantier suffisent pour livrer en 2002 la maison d’arrêt de Seysses et le Centre Pénitentiaire d’Avignon-Le Pontet, établissements de la Tranche A. En février 2004 est livré le Centre Pénitentiaire de Liancourt ; en avril 2004 celui de la Farlède, en juillet 2004 celui de Chauconin-Neufmontiers ; et enfin en décembre de la même année la Maison d’Arrêt de Lille-Svequedin En tout et pour tout, ce programme de construction pénitentiaire permet la création de 3 627 places en prison pour une surface hors d’œuvre construite d’environ 154 000 m2.

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En mars 2000, le groupement Architecture-Studio & Guille Dala Vera (filiale de Bouygues Construction) est choisi pour la réalisation de trois établissements pénitentiaires dans le cadre du programme 4000 lancé en 1998. Les trois établissements concernés

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Malheureusement après plusieurs mails, puis plusieurs appels, je suis restée sans réponse de leur part quant à une sollicitation pour un court entretien. Un échange avec ces architectes aurait également permis de donner une autre vision d’une expérience longue dans la conception d’établissement pénitentiaire, infirmant ou confirmant les propos recueillis auprès de Christophe Darbeda. Mener ce travail de recherche ce fut donc également prendre conscience, une fois de plus, d’une certaine rupture de lien(s) entre le monde professionnel et les étudiants en formation. Quoi qu’il en soit, il me paraissait tout de même nécessaire d’opérer un temps d’arrêt sur le travail de cette agence en me nourrissant des différents articles et prises de parole à ma disposition. C’est donc à travers la tribune Prisons contemporaines – ouvrir l’architecture fermée, publiée en janvier 2018 par Archistorm, l’article Innovation en prison, paru en janvier 2003 sur le site de Le Moniteur, l’article Architectes construisez des prisons, il y a le feu paru en avril 2019 sur Chroniques d’Architecture, et enfin la retranscription de la prise de parole d’Alain Bretagnolle, architecte associé de l’agence, lors des Journées d’études internationales organisées par la Direction de l’administration pénitentiaire (DAP) les 1er et 2 décembre 2016 et publiée sur le site Criminocorpus, que je peux ici dresser une synthèse de l’approche éthique et architecturale des programmes pénitentiaires développée par l’agence ArchitectureStudio.


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PARTIE 01 LE MILIEU CARCÉRAL, UN DOMAINE DE RECHERCHE SINGULIER Chapitre 2 Rencontres

sont situés à Farlède (83), Liancourt (60) et ChauconinNeufmontiers (77), sur des sites d’une dizaine d’hectares. Ils ont chacun une capacité approximative de 600 places. Pour ces jeunes architectes qui n’ont jamais été confrontés à ce type de programme, il « s’agit de construire un lieu d’enfermement en imaginant des lieux dont nous n’avons ni l’usage, ni l’expérience directe », comme le souligne Martin Robain, architecte associé d’Architecture-Studio. Difficile exercice pour l’architecte que de concevoir un programme qu’il n’a jamais vécu en tant qu’usager, pour lequel il ne peut s’appuyer sur des références et dont il ignore tout des codes sociaux, techniques et politiques.

Un positionnement compliqué qu’Alain Bretagnolle relate également dans son allocution pendant les journées d’études organisées par l’Administration pénitentiaire en décembre 2016 : « la première question qui se pose à l’architecte, quand il aborde la prison est : qu’est-ce que le vécu de l’incarcération ? Sauf à être allé en prison, ce qui est somme toute assez rare, c’est une question qui peut rester sans réponse, ou plutôt n’avoir comme seule réponse que celle, assez abstraite et assez vague, de la privation de liberté ». Alors pour remédier à cela, l’agence demande à l’Administration pénitentiaire, au tout début des années 2000 juste après avoir gagné leur premier concours, d’organiser un “stage en détention” pour les architectes responsables du projet. Ce stage dure une semaine, nuit et jour, à la prison d’Osny dans le Val d’Oise, mise en service en 1990 et ayant une capacité légèrement inférieure à 600 personnes détenues. « Nous avons ainsi rencontré tous les usagers de la Maison d’arrêt : personnels administratifs, médicaux, formateurs, avocats, détenus et familles bien sûr, aux parloirs. Nous avons également accompagné les surveillants dans toutes leurs tâches, le jour et la nuit. Nous logions dans le même hôtel Formule 1 que les familles en visite. Nous en avons tiré énormément de

leçons, mais la conclusion centrale était celle-ci : le corps, dans le contexte de la privation de liberté, est le support principal de l’équilibre des détenus ». Alain Bretagnolle, architecte associé d’ArchitectureStudio

Alors que l’objectif du programme 4000 pour lequel l’agence Architecture-Studio est sélectionnée est justement d’humaniser les prisons, il était indispensable pour ces jeunes praticiens, qui se retrouvaient alors à devoir traiter de la question du respect de la dignité et des droits de personnes incarcérées à travers l’architecture, de concevoir de tels espaces sans en comprendre physiquement et symboliquement les enjeux. Cette semaine en immersion leur permet d’écouter les témoignages des personnes détenues d’abord, qui parlent de l’ergonomie de leurs cellules, des signes ostentatoires leur rappelant qu’ils sont des gardés (barreaudage, grillage, concertina …), de


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la laideur de leur environnement, du labyrinthe des circulations, du manque de relation avec la nature, du manque de relation avec la ville voisine, des nuisances sonores, olfactives et lumineuses dans leurs espaces quotidiens… Elle leur permet, dans un même temps, de prendre conscience que la prison est aussi (et surtout) un espace commun de vie et de travail pour deux populations aux enjeux et besoins contradictoires : les personnes détenues d’une part, et les le personnel de l’autre. Ces différents éléments nous permettent de saisir le positionnement d’une jeune agence, qui, dans les années 2000, prend le risque de se confronter à un programme qui fait polémique, pour défendre ses idées et tenter, par le biais de l’architecture, d’apaiser le quotidien de milliers de citoyens français, privés de liberté.

Vurpas : de l’expérience mesurée au regard critique

Brigitte Scharff est architecte associée au sein de l’agence Vurpas Architectes. Elle fut notamment cheffe de projet pour la rénovation de la prison de la Santé à Paris. Vurpas Architectes, dans une volonté de non‑systématisme et face à un constat d’épuisement mental de ses architectes chargés des projets d’établissements pénitentiaires, a une expérience plus réduite. J’ai pu découvrir leur approche, différente, grâce à un échange en visioconférence avec Brigitte Scharff, fin décembre 20208. Les architectes associés de cette agence sont à l’origine de trois Établissements Pénitentiaires pour Mineurs sur les sept conçus à ce jour en France 9: Quièvrechain (59), Chauconin (77) et Meyzieu (69). C’est également eux qui ont réhabilité et réalisé l’extension de la maison d’arrêt de Bonneville (74).

8. L’intégralité de l’entretien réalisé avec Brigitte Scharff, en décembre 2020, est disponible en annexe de ce mémoire. 9. Seulement six établissements pénitentiaires pour mineurs sont en fonctionnement sur les sept conçus et construits initialement.

Ci-dessus : Photographie de ©Jean-Marie Monthiers de la grande allée de distribution du Centre Pénitentiaire de Liancourt, réalisé par l’agence Architecture Studio dans le cadre du programme 4000. Établissement nominé Équerre d’Argent en 2004.


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PARTIE 01 LE MILIEU CARCÉRAL, UN DOMAINE DE RECHERCHE SINGULIER Chapitre 2 Rencontres

9. Guillaume Gillet est l’architecte de la Maison d’Arrêt de Fleury Mérogis, connue pour être encore à ce jour le plus grand établissement pénitentiaire d’Europe, avec une capacité opérationnelle au 1er janvier 2021 (source : Observatoire international des Prisons) de 2 936 places.

Enfin, ils sont particulièrement connus pour la rénovation et l’extension de la prison de la Santé à Paris. Lors du lancement du projet des EPM à l’échelle nationale, l’agence Vurpas Architectes est contactée pour son expérience dans les établissements scolaires. Leur interlocuteur de l’époque leur dit alors « un EPM c’est un peu comme un grand collège ». Le souvenir de cette anecdote fait sourire Brigitte Scharff. L’agence se lance dans le concours, voyant là une occasion de se confronter à un nouveau programme, avec des envies et une fraîcheur dans les idées. Avec du recul, un regard critique et beaucoup d’honnêteté, Brigitte Scharff fait le bilan de cette expérience. « Déjà sur les trois établissements, puisque c’était un lot où il y avait trois établissements, il y en a un qui n’a jamais ouvert en tant que tel, Meyzieu n’a pas très bien marché, et Quièvrechain, au début, a bien fonctionné, mais je ne suis pas sûre qu’il fonctionne toujours si bien. L’architecture joue un rôle, mais la direction et le personnel jouent un autre rôle qui est encore plus important. Nous, en tant qu’architectes, on donne un cadre dans lequel les choses peuvent se dérouler ou pas. » À force de discussions partagées avec des éducateurs spécialisés et d’émissions regardées, l’architecte a l’impression qu’enfermer des mineurs est une hérésie, que cela ne pourra pas marcher, quelle que soit l’architecture proposée et l’équipe encadrante mise en place.

et (ré)insertion. Un point sur lequel il serait pertinent de former plus amplement tout architecte retenu à la suite d’un concours .

Enfin, le dernier programme pénitentiaire auquel l’agence Vurpas Architectes s’est confrontée est la rénovation et l’extension de la prison de la Santé à Paris. L’entreprise Vinci, ayant déjà travaillé avec l’agence pour la réalisation des Établissements Pénitentiaires pour Mineurs (EPM), la rappelle pour sa connaissance dans le domaine pénitentiaire et pour son expertise patrimoniale. À ce propos, Brigitte Scharff ajoute: « Je dois dire que si ça n’avait pas été la Santé, ce bâtiment emblématique avec cette valeur patrimoniale, je ne suis pas sûre qu’on y serait retournés, et d’ailleurs depuis, on n’est pas revenus sur des programmes pénitentiaires ».

Qu’ils s’agissent des Établissements Pénitentiaires pour Mineurs, programmes qui s’adressant à un public mineur permettant une plus grande liberté du côté de la conception architecturale ; de l’extension de la maison d’arrêt de Bonneville, un projet avec une maîtrise d’ouvrage véritablement impliquée, ayant des convictions fortes et permettant là encore des innovations architecturales ; ou encore la rénovation de la Prison de la Santé, un projet ayant un contexte historique très fort, l’agence a conçu chacun de ces établissements pénitentiaires dans des conditions particulières qu’il est important d’avoir en tête, permettant le développement L’agence Vurpas Architectes s’est ensuite confrontée à de dispositifs innovants. la réhabilitation et l’extension de la maison d’arrêt de Bonneville. Il s’agit d’un établissement relativement Brigitte Scharff conclut en rappelant que l’architecte petit, initialement conçu par Guillaume Gillet9 lors de la possède assez peu de marges de manœuvre, se fameuse série des années 1960. De cet établissement, confrontant à des programmes « hyper dimensionnant Brigitte Scharff se souvient notamment de la vue sur les sur tout, avec des caractéristiques pour tout ». montagnes depuis les cellules. Le projet a été livré en septembre 2010, et depuis l’agence Vurpas a eu l’occasion d’y retourner, notamment au moment des études pour la prison de la Santé, constatant, après plusieurs années de fonctionnement, son « bon fonctionnement ». Ce point de vue est à nuancer, notamment au regard du dernier rapport, publié en septembre 2014, du Contrôleur Général des lieux de privation de liberté. En effet celui‑ci met en avant des points ne relevant pas d’un bon fonctionnement : un quartier pour femmes indigne, des conditions d’hébergement anormales (des cellules équipées de lit double pour des surfaces inférieures à 10 m2), des mineurs en situation d’inactivité quasi‑totale, un quartier de semi-liberté « oublié » (aucun surveillant, aucun moyen d’alerter, une seule douche collective, pas vraiment de cour de promenade, pas de possibilité de téléphoner), des activités sportives et des cours de promenade insuffisantes. Cette distance entre le ressenti de l’architecte et l’analyse des contrôleurs des lieux de privation de liberté, peut venir d’un manque de sensibilisation de l’architecte aux notions de respect des droits humains, de dignité


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Ci-contre (haut) : Coupe de l’Établissement Pénitentiaire pour Mineurs de Meyzieu (Rhône) extraite du document de Cérémonie de remise des clés de l’EPM du Rhône, réalisée par l’agence Vurpas Architectes associés. Ci-contre (milieu) : Vue numérique depuis l’extérieur de l’Établissement Pénitentiaire pour Mineurs de Meyzieu (Rhône) extraite du document de Cérémonie de remise des clés de l’EPM du Rhône, réalisée par l’agence Vurpas Architectes associés. Ci-contre (bas) : Photographie de ©Daniel Osso depuis la cour de l’Établissement Pénitentiaire pour Mineurs de Marseille, réalisé par l’agence Vurpas Architectes associés.


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PARTIE 01 LE MILIEU CARCÉRAL, UN DOMAINE DE RECHERCHE SINGULIER

CHAPITRE 3 Entraves

Comme nous l’avons déjà évoqué à plusieurs reprises, questionner l’architecture carcérale, c’est d’abord comprendre comment est née cette institution, ce qui la caractérise aujourd’hui, comment est construit notre système de justice, quelles sont les différentes composantes d’un programme pénitentiaire. Mais au-delà de tous ces aspects pratiques, questionner l’architecture carcérale c’est prendre le temps de comprendre qui sont ces personnes derrière les murs, pourquoi sont-elles là, je ne parle pas des actes commis, mais du contexte socio-économique ayant favorisé le passage à l’acte, à quoi ressemble leur quotidien, quelles traces la détention laisse-t-elle sur leur parcours de vie, comment se (re)construire à la sortie ? Autant de questions auxquelles il n’est pas possible de répondre sans être en contact avec ces personnes détenues. Mais collecter les ressentis et la parole des personnes ayant fait l’expérience de la détention, même avec beaucoup de volonté, d’énergie et de contacts, ce n’est pas si simple et il faut être prêt à faire face à de nombreux silences sans pour autant baisser les bras. En 2016 je me lance dans mon premier travail de recherche sur l’architecture carcérale à travers l’exercice du rapport d’étude, je me confronte alors à un milieu dont je n’avais ni l’usage, ni l’expérience concrète, ni les codes. Entrer en détention, justifier la légitimité de sa présence et de son sujet de recherche, ce n’est pas simple. Et c’était sans compter l’épidémie de la covid-19.

─ COLLECTER LE RESSENTI ET LA PAROLE DES PERSONNES AYANT FAIT L’EXPÉRIENCE DE LA DÉTENTION Durant mon travail de rapport d’étude, chaque demande d’entretien, avec des personnes détenues, que j’ai pu faire auprès de l’administration pénitentiaire, m’a été refusée. Pour mon mémoire, j’ai donc choisi un nouvel angle d’approche : entrer en contact avec des personnes sortant de détention. Avec Judith Le Mauff, coordinatrice du pôle logement pour le Mas à destination des sortants de prison sur la Métropole de Lyon, nous mettons en place en juillet 2020 un travail de collecte de cartes mentales, dessins et témoignages de personnes récemment sorties de prison. À sa mise en place, deux

personnes répondent favorablement, dessinant leur cellule d’avant, leur appartement d’aujourd’hui, racontant leur quotidien et répondant aux quelques questions posées sur le document. Les deux souhaitent s’entretenir avec moi pour échanger plus amplement autour de l’architecture des prisons. Finalement, l’une d’entre elles ne donnera plus signe de vie, entrant dans une phase de dépression, et l’autre, après plusieurs reports causés par la Covid-19, finira par se désintéresser, allant jusqu’à perdre le document qu’elle avait rempli et dont je ne verrai finalement jamais la couleur. En septembre 2020, nous faisons le triste constat de l’échec du dispositif mis en place : en trois mois, un seul questionnaire rempli m’est parvenu. Alors, face à ce constat, Judith Le Mauff me propose d’établir de nouveaux contacts avec un certain nombre de structures similaire à l’échelle de la France pour tenter une nouvelle collecte, des structures dont elle connaît certains membres à travers son activité professionnelle : l’association du GREP (Groupe pour l’Emploi des Probationnaires), les Foyers Matter à Lyon ayant pour objectif la protection, l’accompagnement et la réinsertion dans la société de personnes mineures ou majeures, en grande fragilité sociale ayant parfois fait l’expérience de la détention, l’APCARS (Association de Politique Criminelle Appliquée et de Réinsertion Sociale) avec plusieurs contacts dans différentes régions ou encore l’Association Aurore qui héberge, soigne et accompagne près de 30 000 personnes en situation de précarité ou d’exclusion vers une insertion sociale, dont des personnes sortant de prison. Certaines de ces structures n’ont jamais donné suite à mes sollicitations, mais d’autres ont fini par répondre, faisant aussi un constat « d’échec ». Ce travail de collecte m’aura donc permis de collecter en tout et pour tout, deux témoignages et d’appréhender ce temps long auquel le chercheur de terrain doit faire face, un temps long qu’il faut donc intégrer au processus de recherche et qui peut procurer un sentiment de découragement.

Heureusement, bien encadrée dans mon processus de recherche, tant par ma directrice d’études, Corine Védrine, que par Judith Le Mauff, j’ai su faire de cette expérience une force d’apprentissage pour la suite, bien que quelque peu frustrée de ne pas pouvoir vous présenter ici plus de contenus sensibles pour éclairer cette recherche scientifique.


Dessinez votre ancienne cellule.

[mobiliers, fenêtre(s), porte, accessoires, personne(s) autre que vous, éclairage, interrupteur, couleurs …]

Dessinez votre lieu de vie actuel

[mobiliers, fenêtre(s), porte, accessoires, personne(s) autre que vous, éclairage, interrupteur, couleurs …]

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─ LA MÉFIANCE

Effectuer une recherche sur le milieu carcéral, c’est aussi faire face à un sentiment de méfiance, récurrent. Lorsqu’on porte un intérêt particulier au monde des prisons alors que tout le monde s’efforce de fermer les yeux dessus, les individus sollicités passent par cette phase de méfiance et de doute quant à l’objectif de la démarche et la question qui revient souvent, c’est « pourquoi ? ». Certains iront au-delà de cette appréhension, libérant leur parole, d’autres ne voyant pas d’intérêt dans la démarche, s’opposeront au dialogue.

Pour citer un autre exemple, j’ai, au cours de ce travail de recherche, rencontré deux Conseillères pénitentiaires d’Insertion et de Probation (CPIP). Ces deux personnes m’ont été présentées par des relations que nous avions en commun. Elles ont toutes les deux accepté de discuter avec moi de leur quotidien et du regard qu’elles portaient sur leur métier, mais en refusant que nous menions un échange plus formel autour des questions d’architecture et de (ré)insertion.

Cette méfiance je l’ai ressentie également lors de mon entretien avec Brigitte Scharff, qui était dans la maîtrise de son discours plus que dans la spontanéité, Nous parlions juste avant des nombreuses associations me demandant de pouvoir relire mes écrits pour que j’ai pu solliciter, sur les conseils et de la part de Judith être certaine que je ne commette pas d’impaire en Le Mauff, lors de ma quête de collecte de contenus plus retranscrivant notre discussion. sensibles. Et bien, deux d’entre elles ont pris le temps, avant de me répondre, de contacter Judith Le Mauff Contrairement à ce que nous pourrions penser, cette pour s’assurer que je venais bien de sa part et l’interroger méfiance je ne l’ai pas du tout ressentie lorsque j’ai sur le sérieux de ma démarche. Ce comportement, tout sollicité des visites d’établissements pénitentiaires, à fait compréhensible, dénote tout de même d’une qu’il s’agisse de l’Établissement pour Mineurs de certaine méfiance. Meyzieu, de la prison de Riom ou de la Maison d’Arrêt

Ci-contre (gauche) : Paul a été incarcéré 12 ans au Centre pénitentiaire d’Avignon-Le Pontet. Il fait le récit de sa journée type en détention. Propos recueillis dans le cadre de ce travail de recherche, par le biais de l’Apcars. Ci-contre (droite) : Aujourd’hui Paul vit seul, dans un appartement de deux pièces que lui prête l’APCARS. Il fait le récit de sa journée type depuis sa sortie. Propos recueillis dans le cadre de ce travail de recherche, par le biais de l’Apcars.


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PARTIE 01 LE MILIEU CARCÉRAL, UN DOMAINE DE RECHERCHE SINGULIER Chapitre 3 Entraves

de Corbas. Curieux, les différents responsables de ces établissements trouvaient presque ça amusant qu’une architecte en devenir s’intéresse à un tel programme, et les échanges avec eux étaient d’ailleurs francs et bienveillants. Le climat de confiance était par contre plus compliqué à instaurer avec les surveillants pénitentiaires ou avec les différents intervenants, qui se posaient beaucoup la question de ce qu’ils pouvaient dire ou ne pas dire, de peur que leurs propos servent à nourrir un discours destructif vis-à-vis de l’institution.

─ ENTRER EN DÉTENTION Les problématiques ou entraves abordées jusqu’ici sont communes, je pense, à d’autres milieux de recherche singuliers comme les hôpitaux psychiatriques, les centrales nucléaires, certains domaines qui touchent à la politique, etc. Pour l’ensemble de ces domaines, relativement hermétiques au monde extérieur, il est compliqué d’entrevoir un vécu depuis l’intérieur. Entrer en détention, c’est montrer patte blanche, argumenter la démarche effectuée, vulgariser le but de sa recherche, avoir un casier judiciaire vierge, être de nationalité française, avoir une jolie lettre d’un tuteur appuyant la demande, ne pas être investi dans des démarches militantes… Et paradoxalement, une fois à l’intérieur, les personnes que j’ai pu rencontrer sont contentes de voir que des individus extérieurs s’intéressent à eux, se préoccupent de leur quotidien, de leurs conditions de travail ou de vie. Une fois l’autorisation obtenue pour visiter tel ou tel établissement sur une demi-journée, la discrétion reste de rigueur : ne pas prendre de photo, ouvrir grand ses yeux et ses oreilles et retenir le maximum de choses. Si vous souhaitez rencontrer des personnes détenues, discuter avec elle, la démarche sera plus longue, et les autorisations plus compliquées à obtenir si vous n’arrivez pas à prouver votre légitimité. Il faut alors chercher à nouer le contact d’une autre manière. Avec l’établissement pénitentiaire de Riom par exemple, la direction ne souhaitait pas que je sois en contact direct avec des personnes détenues. Voulant mettre en place une collecte de carte mentale pour comprendre comment était perçu l’espace par les personnes détenues selon leur régime de détention, j’ai du me

rapprocher de l’éducation nationale et des professeurs intervenant dans l’établissement pour qu’ils puissent s’approprier mes documents et ma méthode afin de mettre en place cette collecte. Ce fut une réussite, mais le fait d’être dans un intermédiaire d’intermédiaires m’a forcément apporté une certaine frustration et des filtres supplémentaires. Pour la Maison d’Arrêt de Lyon Corbas, j’ai pu m’entretenir avec des hommes et des femmes détenus en menant un atelier de design fiction pendant un cours de philosophie. Nous n’avons donc pas pu forcément parler d’architecture, même si la thématique est revenue au cours des échanges, il s’agissait plutôt là d’écouter les témoignages de ces personnes détenues. Ayant donc eu l’occasion de visiter deux établissements pénitentiaires lors de mon rapport d’étude, je souhaitais aller plus loin dans ce travail de mémoire en passant de la visite à l’immersion de 2 à 4 jours dans au moins


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deux autres établissements pénitentiaires. Je trouvais que cette étape donnait du sens à mon travail. Elle me permettrait à la fois de comprendre, un petit peu plus, par le vécu, ce que voulait dire le mot « prisons » et à la fois de mener à bien ce travail de recherche en appliquant, grâce au temps d’immersion, la grille d’analyse architecturale conçue pour ce mémoire. Ces immersions étaient prévues entre le printemps et l’automne 2020, une temporalité qui me permettait à la fois de terminer ma grille d’analyse en amont et qui me laissait, ensuite, suffisamment de temps pour l’analyse et la prise de recul avant la phase de rédaction. Mais voilà, ce travail de terrain a été mis à mal par la crise sanitaire due à l’épidémie de la covid-19. Alors que les entretiens et projets avec la maison d’arrêt de Lyon Corbas étaient sur le point d’être lancés, les prisons sont devenues hermétiques au monde extérieur au début du mois de mars, privant les personnes détenues de tout

contact avec l’extérieur : leur famille et proches d’abord, mais aussi leurs avocats, leurs conseillers en insertion et probation, leurs professeurs de français, mathématiques, histoires, philosophie, arts… Aux entraves liées directement au sujet que j’ai choisi de traiter, est donc venue se rajouter l’épidémie de la covid-19, complexifiant encore plus un travail de terrain qui me paraissait pourtant essentiel pour nourrir ce travail de recherche. Il a fallu alors faire preuve de résilience et d’adaptation pour trouver un moyen de contourner ces obstacles en mettant en place de nouvelles stratégies et approches avec notamment la lecture de nombreux témoignages sur le site de Prison Insider ou encore la lecture et l’analyse de rapports détaillés comme ceux du Contrôleur générale des Lieux de Privation de Liberté (CGLPL).

Ci-contre : Photographie de ©Grégoire Korganow, faite dans une prison française et extraite d’une série photographique réalisée pour le CGLPL entre 2011 et 2013.


PARTIE 02

L’architecture pénitentiaire, un exercice qui nécessite de lire entre les lignes Pour l’architecte ou toute personne souhaitant se questionner sur l’architecture pénitentiaire, il existe trois principales sources d’informations : les textes nationaux et internationaux qui régissent la détention, les récits d’expérience des architectes concevant des établissements pénitentiaires et l’analyse d’architectures existantes. Cette seconde partie propose un tour d’horizon de ces trois principales sources d’information. Le premier chapitre évoque les grands textes nationaux et internationaux en proposant une lecture alternative permettant de faire émerger des prescriptions en matière de respect des droits humains et de la dignité, des éléments pouvant appuyer la conception architecturale des lieux de détention. Le second chapitre revient sur l’expérience des trois architectes cités dans la première partie de ce mémoire, Christophe Darbeda, Alain Bretagnolle et Brigitte Scharff, en croisant leur récit d’expérience pour mettre en avant certains enjeux clés de la conception et construction d’établissements pénitentiaires. Enfin le troisième chapitre propose l’analyse de quelques éléments architecturaux propres à certains établissements pénitentiaires, au regard des principes fondamentaux extraits des textes nationaux et internationaux. Ce dernier chapitre ayant pour but d’illustrer la nécessité d’analyser les établissements existants pour aller vers une conception architecturale des lieux de détention plus respectueuse des droits humains, de la dignité des personnes détenues et de leur (ré)insertion.


Ci-contre : Photographie d’un œilleton des Baumettes historiques avant leur destruction. ©Lionel Ley


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PARTIE 02

L’architecture pénitentiaire, un exercice qui nécessite de lire entre les lignes CHAPITRE 1. LES STANDARDS INTERNATIONAUX ⤷ Principe n°1 : Ne pas nuire ⤷ Principe n°2 : Préserver un maximum de normalité ⤷ Principe n°3 : Favoriser la santé et le développement personnel ⤷ Principe n°4 : Maintenir les liens avec la société CHAPITRE 2. APPRENDRE DE L’EXPÉRIENCE D’ARCHITECTES ⤷ Concevoir et réaliser un établissement pénitentiaire ⤷ La conception-réalisation ⤷ La conception architecturale, un outil d’humanisation ⤷ Des volontés architecturales au dialogue avec la maîtrise d’ouvrage ⤷ La question de l’expérience longue dans la conception et réalisation d’établissements pénitentiaires ⤷ Les phénomènes d’appropriation CHAPITRE 3. ENTRE INNOVATIONS, CONCEPTS EXPÉRIMENTAUX ET RETOURS EN ARRIÈRE ⤷ Des éléments qui font exceptions dans l’architecture pénitentiaire - Exemple 1 - Un théâtre dans la prison - Exemple 2 - La rénovation de la maison d’arrêt de la Santé, un établissement symbolique - Exemple 3 - Tahiti, un contexte climatique, géographique et culturel particulier ⤷ Des éléments récurrents d’une architecture pénitentiaire à d’autres - Exemple 1 - Des plans masse très similaires - Exemple 2 - Une architecture quasiment identique pour des régimes de détention de plus en plus variés - Exemple 3 - La mise aux normes en termes d’hygiène et de salubrité, l’exemple du caillebotis ⤷ Analyser c’est aussi se nourrir de notre propre rapport au monde - Exemple 1 - La gestion de la lumière, entre intimité et sécurité - Exemple 2 - L’isolement comme solution aux nouveaux maux de nos sociétés


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Ci-contre : Photographie d’un œilleton des Baumettes historiques avant leur destruction. ©Lionel Ley


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PARTIE 02 L’ARCHITECTURE PÉNITENTIAIRE, UN EXERCICE QUI NÉCESSITE DE LIRE ENTRE LES LIGNES

CHAPITRE 1

Les standards internationaux en matière de détention comme ressources pour l’architecte et la maîtrise d’ouvrage

Les lois et normes nationales & internationales faisant état des droits et obligations en matière de justice pénale, de sécurité, de gestion et procédures pénitentiaires, existent, se précisent et se développent.

malades, marginalisés et révoltés. La détention dans ce type de lieu peut sembler protéger la société contre des individus considérés comme dangereux, mais lorsque des personnes détenues purgent leur peine dans des Cependant, l’essentiel de ces textes restent dissociés conditions aussi néfastes, le résultat final est souvent un de toutes préconisations concernant les infrastructures physiques à l’intérieur desquelles ils doivent être mis cercle sans fin : manque de respect, exclusion, violence ou récidivisme, ce qui, in fine, augmente l’insécurité. en œuvre.

Il est compliqué, pour ne pas dire impossible, pour un architecte souhaitant répondre à un concours ou un appel d’offres pour un établissement pénitentiaire, de prendre le temps de lire, comprendre et interpréter ces textes références. Ces textes listent un certain nombre de critères permettant d’assurer un respect des droits humains et de la dignité des personnes incarcérées. Or une architecture qui ne respecte pas ces critères ne peut prétendre favoriser l’insertion ou la réinsertion des personnes qu’elle emprisonne. Cependant, ces textes ne parlent pas d’architecture : il s’agirait donc, pour l’architecte qui voudrait se lancer dans leur lecture avant d’entamer un processus de conception, de traduire architecturalement les recommandations inscrites, ce qui nécessite de plus , une maîtrise du langage utilisé.

1. Voir l’illustration ci-contre.

Le monde carcéral est régi par un ensemble de normes internationales relatives aux droits des détenus et aux responsabilités des autorités détentrices, faisant office de référence1. Pour la plupart d’entre elles, ces lois et normes internationales ne prennent pas en compte l’architecture carcérale : pas de prescription, pas de description. Ces règles listent les obligations juridiques et morales qui imposent aux administrations pénitentiaires de fournir des conditions de vie dignes. Cependant, porter une plus grande attention à l’impact de l’architecture carcérale sur les personnes détenues et le personnel pénitentiaire permettrait aux obligations juridiques et morales, dans certains cas, d’exister, et dans d’autres cas de les faciliter. Or les personnes détenues dans des prisons dotées d’infrastructures médiocres, qui ne répondent pas aux besoins de base, ne favorisant pas ou compromettant leur santé physique et mentale, et qui entravent tout développement personnel, risquent davantage d’être rendues à la société en tant que citoyens

« Nous façonnons nos bâtiments, puis ils nous façonnent à leur tour. » - Winston Churchill La lecture de l’ouvrage coordonné par le Comité international de la Croix-Rouge, Architecture des prisons / Principes et méthodologie participative pour une architecture carcérale plus humaine, permet d’obtenir les grandes clés de lecture de ces textes en partant du point de vue de ceux qui conçoivent ces lieux de détention. La lecture de cet ouvrage a représenté un apport conséquent pour ce travail de recherche, servant notamment à alimenter ma réflexion pour bâtir la grille d’analyse de l’architecture pénitentiaire dont il est question dans la dernière partie de ce mémoire. La première lecture de cet ouvrage a soulevé, chez moi, de nombreuses questions, me poussant à contacter Vincent Ballon, chef de l’unité des personnes privées de liberté du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), unité du CICR qui est à l’origine de cet ouvrage. À travers ce chapitre il s’agit de comprendre comment nous pouvons tisser des liens entre les valeurs et préconisations portées par ces instruments juridiques nationaux et internationaux, la planification et la conception architecturale des prisons.

Toute architecture incarne et exprime des valeurs, des idées voire même des convictions. Dans le cas des lieux d’enfermement, l’usager des lieux ne peut échapper à l’architecture qui le contient. Il semble alors primordial que toute personne associée à la planification, à la conception, à la construction et à la gestion d’une prison comprenne l’impact que l’architecture peut avoir, tant sur les personnes détenues, les visiteurs, le personnel pénitentiaire, que sur la société dans son entièreté.


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APARTÉ : L’OUVRAGE DU CICR Ce désir de publication est né de deux événements concomitants. D’abord, une réunion à Genève, en 2014, avec différents interlocuteurs qui travaillaient sur la conception de prisons, des professeurs, des académiques, des praticiens et des architectes. Une réunion organisée par la prédécesseur de Vincent Ballon à la tête de l’unité des personnes privées de liberté du CICR qui avait effectué des études en architecture, et qui avait donc une sensibilité particulière pour cette thématique. Dans un même temps Vincent Ballon est aux Philippines et il a l’opportunité de mettre en place un processus participatif de design d’une prison pour remplacer un établissement d’une des municipalités de Manille : « on a commencé à mettre en place une méthode participative en faisant des workshops sur l’alimentation, sur la santé, sur la sécurité, sur l’importance familiale, sur la thématique de la spécificité culturelle ». L’enjeu de ces workshops est alors d’analyser ce qui existe dans le paysage construit, d’analyser le cadre juridique, ou encore le

cadre culturel et traditionnel. Suite à ces différentes étapes de compréhension du territoire, les participants étaient invités à lister « leurs souhaits » avant qu’une synthèse de l’ensemble de ces réflexions ne soit transmise aux architectes en charge du projet. Suite à ces deux temps forts concomitants pour l’unité des personnes privées de liberté du Comité international de la Croix-Rouge, l’idée de garder une trace de ces processus à travers la rédaction d’un livre germe : plus d’une quinzaine de personnes écrivent un chapitre selon leurs spécificités et s’en suit un important travail de synthèse et de vulgarisation des écrits. C’est l’architecte italienne Agnese Baggio, qui était également aux Philippines lors des expérimentations au travers des workshops, qui est chargée de décortiquer l’ensemble des articles rédigés pour l’ouvrage. Plus d’un an et demi après, l’ouvrage est publié. Vincent Ballon et son équipe ont également mené à terme cet ouvrage en espérant ouvrir le débat sur le devenir des institutions pénitentiaires : « pour faire un résumé trop rapide, au XVIIIème siècle il y avait le châtiment corporel, aujourd’hui il y a les prisons, quelle est la prochaine étape ? ».

Déclaration universelle des droits de l’homme - 1948 -

Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement - 1988 -

Règles de Bangkok - 2010

Protocole d’Istanbul, luttant contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants - 1999 -

Règles des Nations Unies concernant le traitement des femmes détenues et l’imposition de mesures non privatives de liberté aux délinquantes

Principes de Jogjakarta sur l’application du droit international des droits de l’homme en matière d’orientation sexuelle et d’identitété de genre - 2007 -

Ensem des Nble des règ a le traitemtions Unies s minima en p Règles t des dé our le Nelson te Mandel nus Règles a - 2015 presc Pénitentia de l’E riptions dé ires Europ ta urope ée conceillées du C nnes, rnant o les pri nseil - 2006 sons -

ux tif a rela s nal olitique o ti a tern s et p il te in Pac oits civ - 1966 r d

a des s minim e règle concernant ineurs d le b Ensem tions Unies tice pour m jus Na de la 85 istration Règles de Beijing - 19 m l’ad in

Principes fondamentaux des Nations Unies relatifs au traitement des détenus - 1990 -

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants - 1984 -

Ci-contre (haut) : photographie extraite de l’ouvrage Architecture of authority, ©Richard Ross Ci-contre (bas) : Infographie représentant l’ensemble de normes internationales relatives aux droits des détenus et aux responsabilités des autorités détentrices


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PARTIE 02 L’ARCHITECTURE PÉNITENTIAIRE, UN EXERCICE QUI NÉCESSITE DE LIRE ENTRE LES LIGNES Chapitre 1 Les standards internationaux en matière de détention comme ressources pour l’architecte et la maîtrise d’ouvrage

L’ouvrage Architecture des prisons / Principes et méthodologie participative pour une architecture carcérale plus humaine, fait ressortir quatre principes fondamentaux qui devraient notamment être pris en compte lors des phases de conception et réalisation d’un établissement pénitentiaire. 1. Ne pas nuire 2. Préserver un maximum de normalité 3. Favoriser la santé et le développement personnel 4. Maintenir les liens avec la société

Ces quatre principes n’ont pas été dictés par hasard, ils sont issus de trois sources de réflexion principales : II Des lois et normes nationales et internationales relatives à la privation de liberté dans toutes ses formes II De travaux de recherche menés sur la manière dont l’architecture influence les relations et le comportement humain II De données provenant de visites effectuées par le CICR dans des lieux de détention du monde entier. Avant de passer à une étude plus détaillée de ces quatre principes, il est nécessaire de prendre conscience que selon la manière ou le degré de prise en compte de ces principes dans la conception des lieux de détention, le pire comme un meilleur peuvent en découler. Autrement dit, la traduction architecturale de ces principes peut autant aggraver les souffrances liées à la perte de liberté que créer des conditions de vie qui aide les individus à les supporter ; renforcer un sentiment d’exclusion de la société qu’encourager un changement positif chez les personnes détenues en favorisant respect, relations humaines, estime de soi et prise de responsabilités ; rendre difficile et peu probable un traitement humain des personnes détenues que favoriser un traitement décent, dans le respect des droits humains et de la dignité.

─ PRINCIPE N°1 : NE PAS NUIRE Si on applique ce premier principe au système de justice pénale, cela signifie qu’il ne faut recourir à la détention qu’en cas de nécessité et seulement en dernier recours. Alors, comment faire pour que la conception des lieux de détention puisse permettre l’application de ce principe ? « Tous les détenus sont traités avec le respect dû à la dignité et à la valeur inhérentes à la personne humaine. Aucun détenu de doit être soumis à la torture ni à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et tous les détenus sont protégés contre de tels actes, qui ne peuvent en aucun cas être justifiés par quelque circonstance que ce soit. La sûreté et la sécurité des détenus,

du personnel, des prestataires de services et des visiteurs doivent être assurés à tout moment. » Citation extraite de la règle 1 issue de l’ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela) Ce premier principe prend notamment appui sur la règle Nelson Mandela n°1. Il s’agit d’abord de satisfaire les besoins physiques et psychologiques de base des personnes détenues, y compris en matière de logement, d’hygiène, de nourriture, de soin de santé, d’activités constructives et de relations sociales. Ensuite, l’architecture doit permettre une bonne adaptation à l’environnement, afin que la santé physique et mentale des personnes détenues ne soit pas compromise par des éléments tels qu’une température ambiante trop élevée ou trop basse, des précipitations, la présence d’insectes et autres animaux vecteurs de maladies. Une autre manière de permettre l’application de ce premier principe, c’est de prendre en compte les facteurs connus pour être à l’origine d’angoisses, voire de colère et d’agressivité tels que les bruits persistants ou excessifs, les mauvaises odeurs, le manque d’intimité, le manque de luminosité. Afin de ne pas nuire aux personnes détenues, et par extension au personnel, le concepteur ne doit pas oublier qu’un lieu de détention accueille des personnes aux profils divers avec des besoins spécifiques. Il est également primordial, pour être certain de ne pas nuire aux personnes incarcérées, d’adapter le niveau de sécurité des infrastructures au degré de risque que présente chaque personne détenue.

─ PRINCIPE N°2 : PRÉSERVER UN MAXIMUM DE NORMALITÉ En d’autres mots : être emprisonné, entraîne de fait des restrictions. Il n’est cependant pas nécessaire, tant pour la sécurité de la prison que pour celle de la société, que les contraintes subies apparaissent comme hostiles ou oppressantes. La plupart de ces personnes détenues retrouveront un jour leur liberté, et réintégrerons donc la société. L’architecture carcérale doit permettre à ces personnes de passer leur détention dans un cadre qui les prépare à ce retour en société. Cet objectif sera impossible à atteindre si l’architecture carcérale contraint les personnes détenues à s’adapter à un environnement radicalement différent du monde extérieur.

« Le régime carcéral doit chercher à réduire au minimum les différences qui peuvent exister entre la vie en prison et la vie en liberté dans la mesure où ces différences tendent à atténuer le sens de


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à ces individus d’agir sur leur cadre de vie, en leur offrant des espaces plus ou moins privés, en leur permettant de choisir d’allumer ou d’éteindre leur lumière, d’ouvrir ou fermer une porte ou une fenêtre. Cela peut aussi passer par une capacité d’appropriation des lieux en permettant, par l’architecture, aux personnes détenues La prison, en tant qu’institution, représente un risque de personnaliser leur espace privé.

la responsabilité du détenu ou le respect de la dignité de sa personne. » - Citation extraite de la règle 5.1 issue de l’ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela) important pour les personnes détenues tout comme pour le personnel, d’institutionnalisation : tous développent certains mécanismes d’adaptations entre les murs.

Ces mécanismes, essentiels à la survie dans ces lieux hostiles, représentent un danger conséquent lors de la sortie de détention puisqu’ils ne sont en rien adaptés à la vie à l’extérieur des murs, à la vie en société. Ainsi, si l’architecture veille à prévenir cette mise en place de mécanismes nuisibles pour la suite, en projetant un message de confiance dans les capacités des individus et des attentes de comportement convivial et positif, cela permettra de renforcer le sentiment de normalité et donc de créer des lieux de détention plus sûrs et mieux organisés. Une approche qui permet de réduire les différences entre la vie en prison et la vie à l’extérieur améliore donc les perspectives de réintégration des personnes détenues après leur libération. La conception d’un lieu de détention doit chercher à s’adapter au contexte local, c’est-à-dire à l’environnement, au climat, aux pratiques culturelles et sociales de l’environnement dans lequel il s’implante. Cette question de prise en compte de la culture locale lors de la conception architecturale, Alain Bretagnolle, architecte associé de l’agence Architecture-Studio, l’aborde lors de sa prise de parole lors des Journées d’études internationales organisées par la Direction de l’administration pénitentiaire (DAP) les 1er et 2 décembre 2016 et publiée sur le site Crimino Corpus : « Il faut dire que les projets dans les DOM-TOM offrent généralement plus de possibilités d’innovation, d’abord parce que la population pénale y est moins dangereuse, mais aussi parce que le collage tel quel du modèle métropolitain est rarement pertinent, ne serait-ce qu’au regard de la topographie et de la configuration des terrains, mais pas seulement. À Papeari, j’ai pris deux initiatives qui, en allant au-delà du programme, montrent la prise en compte de la culture locale : une signalétique doublée en polynésien et des tatouages sur les façades.»

L’architecture proposée peut ainsi soutenir l’autonomie des personnes détenues, encourager la prise de responsabilités et faciliter les déplacements.

En termes de gestion des lieux, cette normalité passe aussi par une responsabilisation des personnes détenues, ayant par exemple à charge la préparation de leur repas et la propreté de leurs espaces de vie, et par l’autonomisation des déplacements, comme c’est le cas dans les « quartiers confiance » en France et dans d’autres pays d’Europe notamment. À cela, nous pouvons ajouter que concevoir une architecture au plus proche des codes spatiaux résidentiels dont les personnes ont l’habitude, peut renforcer les comportements positifs : un cadre de vie qui dégage un sentiment de respect et de normalité présente plus de chances de susciter des comportements respectueux et normaux et de limiter les risques de dégradation et de vandalisme.

─ PRINCIPE N°3 : FAVORISER LA SANTÉ ET LE DÉVELOPPEMENT PERSONNEL Les caractéristiques physiques d’un lieu de détention ont des effets sur la santé émotionnelle et influencent les attitudes, les attentes et les comportements des personnes qui y vivent et y travaillent. Tout être humain a besoin d’être traité avec respect et de sentir qu’il a de la valeur, même (ou à plus forte raison) s’il est en prison. La conception des établissements doit démontrer de manière tout à fait palpable que les individus qui vivent dans la prison ne sont pas « inférieurs » ou « moins méritants » que les personnes vivant à l’extérieur. Cela vaut aussi pour le personnel pénitentiaire, qui effectue un service public essentiel et qui mérite de bénéficier d’un environnement de travail sûr et sain, reflétant sa valeur et l’importance de sa mission. Une telle approche exerce un effet positif sur l’ambiance générale au sein de la prison et sur les relations entre le personnel Prendre en compte l’environnement et les cultures pénitentiaire et les personnes détenues. locales, c’est aussi porter une attention spécifique au personnel pénitentiaire en faisant en sorte de leur En termes de conception architecturale, ce troisième offrir des conditions de travail similaires à ce que ces principe induit par exemple une attention particulière personnes pourraient trouver dans un cadre hors dans le choix des matériaux mis en œuvre, des espaces et détention. des volumes de qualité et propices au bon déroulement Ensuite, préserver un maximum de normalité, c’est des usages qui y sont associés, une véritable réflexion chercher à favoriser l’autonomie des personnes sur les vues depuis les cellules ou encore sur la maîtrise incarcérées : la conception des bâtiments peut permettre de la lumière naturelle et de l’éclairage artificiel.


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PARTIE 02 L’ARCHITECTURE PÉNITENTIAIRE, UN EXERCICE QUI NÉCESSITE DE LIRE ENTRE LES LIGNES Chapitre 1 Les standards internationaux en matière de détention comme ressources pour l’architecte et la maîtrise d’ouvrage

─ PRINCIPE N°4 : MAINTENIR LES LIENS AVEC LA SOCIÉTÉ Les contacts avec l’extérieur sont nécessaires aux personnes détenues pour rester informées des événements et de la réalité de la vie hors de la prison, pour conserver leurs compétences sociales et leurs relations avec des personnes vivant hors de prison, pour continuer à assumer des responsabilités liées à ces relations (par exemple, en tant que parent). Ces contacts sont également nécessaires pour permettre aux personnes incarcérées de bénéficier de contacts positifs susceptibles de les préparer à réintégrer la société. Il est d’ailleurs démontré que le renforcement des liens familiaux, grâce à des contacts réguliers, diminue le risque de récidive en aidant les anciennes personnes détenues à éviter toute activité délictueuse pendant leur processus de réinsertion. « Avec la participation et l’aide de la collectivité et des institutions sociales et en tenant dûment compte des intérêts des victimes, il faut instaurer un climat favorable à la réinsertion de l’ancien détenu dans la société dans les meilleures conditions possibles. » - Citation extraite du principe n°10 des Principes fondamentaux des Nations Unies relatifs au traitement des détenus (1990) Pour permettre la bonne mise en œuvre de ce quatrième principe, l’enjeu architectural réside dans l’implantation de l’établissement pénitentiaire, c’est-à-dire principalement dans le choix de la parcelle. C’est une préoccupation à laquelle il est nécessaire de sensibiliser la maîtrise d’ouvrage. La situation géographique d’une prison doit permettre un accès aisé avec des réseaux de transports diversifiés (transports en commun, voitures, piétons, accès poussettes et personnes à mobilité réduite …). Ce critère est autant important pour le personnel pénitentiaire dont il s’agit du lieu de travail, que pour les livraisons dans un souci logistique, que pour les proches des personnes détenues qui viennent les visiter ou encore pour faciliter les accès aux tribunaux et autres services publics fournis à l’extérieur de la prison. D’ailleurs, réfléchir à une meilleure intégration des établissements pénitentiaires dans le tissu urbain permettrait de mettre en place plus d’échanges entre la ville et la prison : soit en faisant bénéficier aux personnes détenues des infrastructures de la ville, soit en permettant aux habitants de bénéficier des activités de la prison. Une plus grande porosité entre l’intérieur et l’extérieur de la prison pour certains usages (gymnase, terrain de sport, cuisine centrale, salle de spectacle, salle de cours, ateliers…) permettrait d’ailleurs, dans un même temps, de préserver un maximum de normalité, et donc de satisfaire le principe n°2.

Pour illustrer cela, nous pouvons citer de nouveau l’exemple du concours des Baumettes III. En effet, les architectes ont eu la surprise, au cours des différentes

phases du concours, de voir s’intégrer au programme, un véritable théâtre de quartier, programme articulant l’espace de détention avec l’extérieur, ouvert à la fois sur le quartier et sur la prison. Deux configurations principales d’utilisation sont prévues : soit des personnes détenues feront une représentation avec un public constitué de personnes extérieures à la détention, soit une troupe extérieure fera une représentation avec un public de personnes détenues. Pour garantir la sécurité des personnes détenues et des personnes de l’extérieur, ainsi que le bon fonctionnement de ce lieu, le même système que pour les parloirs est mis en place avec un double accès : un accès réservé aux personnes détenues directement lié à la détention et un accès réservé aux personnes venant de l’extérieur, qui n’auront pas à entrer dans la zone de détention. Enfin, divers éléments et dispositifs architecturaux


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peuvent être pensés de manière à favoriser l’intégration d’un établissement pénitentiaire dans un environnement bâti et naturel existant de manière à créer un tout harmonieux, facile à accepter pour la population locale. Dans un même temps, cela permet de projeter une image positive de l’établissement vers le monde extérieur, image positive que sont bien loin de provoquer les hauts murs hermétiques de béton qui font l’identité des prisons françaises d’aujourd’hui. Cette perception positive des prisons encouragerait les contacts constructifs entre l’institution et la population environnante.

liens avec la société. Ce chapitre permet de comprendre que l’architecture des lieux de détention a un rôle à jouer dans l’application de ces principes, d’où la nécessité pour celui qui questionne l’architecture carcérale (architecte, maître d’œuvre, maître d’ouvrage, citoyen …) d’en avoir conscience. Le second chapitre de cette partie cherche à proposer quelques exemples d’analyse d’architectures à travers le prisme de ces principes fondateurs. Il s’agit d’illustrer la nécessité d’analyser les établissements pénitentiaires en service par le prisme de l’architecture pour ne pas reproduire sans cesse les « erreurs du passé » et mettre le doigt sur les innovations produites afin que l’ensemble des données ressortant de ce processus d’analyse puisse alimenter le débat unissant ceux qui Des textes nationaux et internationaux qui régissent la commandent et ceux qui conçoivent vers un meilleur prison, quatre grands principes sont donc à retenir : ne respect des droits humains, de la dignité et de la (ré) pas nuire, préserver un maximum de normalité, favoriser insertion des personnes détenues. la santé et le développement personnel et maintenir les

Ci-contre : Photographie de ©Grégoire Korganow, faite dans une prison française et extraite d’une série photographique réalisée pour le CGLPL entre 2011 et 2013.


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PARTIE 02 L’ARCHITECTURE PÉNITENTIAIRE, UN EXERCICE QUI NÉCESSITE DE LIRE ENTRE LES LIGNES

À travers ces concours sous forme de lot, il y avait donc un côté plus systémique alors qu’aujourd’hui les Apprendre de l’expérience d’architectes qui se sont eux‑mêmes propositions sont plus contextualisées, répondant à confrontés à la conception d’établissements pénitentiaires une demande légèrement plus forte d’architecture et d’adaptation au site de projet. En effet, depuis environ cinq ans la maîtrise d’ouvrage et l’administration pénitentiaire ont poussé les concepteurs à renouveler l’organisation des plans masses, à développer le volet paysagé des projets, à travailler plus largement la question de l’insertion urbaine et la question des Ce deuxième chapitre revient sur l’expérience des perceptions et des vues depuis l’intérieur de l’enceinte. trois architectes cités dans la première partie de ce mémoire, Christophe Darbeda (salarié d’Archi5 puis Ces changements ont permis de faire participer un co-fondateur de WT/A Architectes), Alain Bretagnolle plus grand nombre d’architectes dans les concours, en (Architecture‑Studio) et Brigitte Scharff (Vurpas « luttant » contre un certain monopole et systématisme Architectes). En croisant leurs récits d’expérience, j’ai pu qui s’était mis en place plus ou moins consciemment. mettre en avant certains enjeux clés de la conception et Mais pour Christophe Darbeda, ce changement opéré par la maîtrise d’ouvrage réside aussi beaucoup dans de la construction d’établissements pénitentiaires. une opération de communication : « aujourd’hui, bien que nous ne procédions plus par lot, et que les agences qui réalisent ce genre de programme soient plus nombreuses, les architectures continuent à beaucoup se ressembler ». Christophe Darbeda ajoute que ce constat ─ CONCEVOIR ET RÉALISER UN ÉTABLISSEMENT s’explique par le fait que l’Administration pénitentiaire PÉNITENTIAIRE : DU LOT D’ÉTABLISSEMENTS et l’Agence Publique pour l’Immobilier de la Justice PÉNITENTIAIRES, À L’ARCHITECTURE ont du mal à se remettre en question et à s’ouvrir à CONTEXTUALISÉE. de nouvelles choses. Dans ce cadre-là, si contraint, Il y a encore une dizaine d’années, les concours étaient il est donc compliqué pour l’architecte de sortir des lancés pour des lots de deux ou trois établissements fonctionnements et des conceptions traditionnels. pénitentiaires, ce que les architectes appelaient alors « faire un one shot en trois mois ». Christophe Darbeda Le récit d’expérience de ces architectes permet de évoque ce souvenir en parlant d’une « charrette comprendre le déroulement actuel d’un concours pour monstrueuse » : trois sites différents, des programmes un établissement pénitentiaire. Il y a d’abord un appel qui diffèrent légèrement, « la même chose, mais à candidatures, puis une, deux ou même trois phases pas vraiment la même chose ». Christophe Darbeda de concours qui s’étirent dans le temps et qui sont découvre cette façon de faire dès le début de sa carrière ponctuées de dialogues, d’oraux intermédiaires, là pour dans l’agence Archi 5, en concevant et réalisant les faire évoluer les projets. Et pour ce type de programmes, centres pénitentiaires de Rennes, Bourg-en-Bresse et la maîtrise d’ouvrage ne « sélectionne pas, n’élimine pas, Mont‑de‑Marsan, trois établissements qui faisaient parce qu’il ne s’agit pas de concours où il y a quatrepartie d’un seul et même concours, aussi appelé « lot ». vingts dossiers de candidature. Ce sont des opérations pour lesquelles il y a entre deux et sept candidatures Ce retour d’expérience n’est pas propre à cet maximum. Quasiment tout le temps, 100% des architecte. L’analyse du travail de l’agence candidats sont pris. » [C. Darbeda] Architecture‑Studio concernant la réalisation de trois établissements : Liancourt (Oise), La Farlède (Var) et Les longues phases de concours permettent à la maîtrise Chauconin-Neufmontiers (Seine-et-Marne), dans le d’ouvrage de profiter des différents allers et retours cadre du programme 4000, reflète également toute pendant la phase de concours pour faire évoluer les la complexité de fonctionner par lots d’établissements projets : « au final, il y aura autant de projets différents pénitentiaires. Le plan masse, commun aux trois que d’équipes, qui seront tous très affûtés au niveau projets, présente une organisation en trois strates fonctionnel, au niveau architectural, au niveau du prix, au niveau technique [...]En procédant de cette manière, la selon la diagonale du mur d’enceinte : cour d’entrée, maîtrise d’ouvrage se nourrit également des différentes services communs, cours et terrains de sport et quartier propositions et discours des équipes de conception pour d’hébergement. Malgré de nombreuses similitudes, remettre à jour leurs programmes : selon la réponse des les trois projets présentent quelques variations candidats au premier ou deuxième tour, ça leur permet programmatiques et quelques variations de mise en de juger s’il faut amender ou améliorer telle ou telle œuvre dues à des choix de matérialité différents. partie du programme. » [C. Darbeda]

CHAPITRE 2


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─ LA CONCEPTION-RÉALISATION : MISE EN ŒUVRE ET DÉFIS ARCHITECTURAUX, ENTRE LE COUP DE POUCE ET LE FREIN Le marché de conception-réalisation est un marché de travaux permettant à l’acheteur de confier à un opérateur économique une mission portant à la fois sur l’établissement des études et l’exécution des travaux. Pour répondre aux concours en conception-réalisation des prisons, les agences d’architecture doivent donc s’associer à une entreprise générale de construction.

Ministère de la justice (secrétariat général)

APIJ

(Agence Publique pour l’Immobilier de la Justice)

DAP

Direction de l’Administration Pénitentiaire

Le premier cercle d’acteurs à travailler « très activement » sur la conception d’une opération pénitentiaire, entre les bureaux d’études, l’entreprise générale, les architectes, représente une dizaine de personnes. Ce premier cercle rayonne ensuite, touchant des personnes plus ou moins investies selon leur(s) fonction(s), créant un second cercle Groupement mandataire : de trente à quarante individus : « ce type de programme maîtrise d’œuvre (architecte) mobilise forcément des compétences hyper spécifiques + Entreprise de construction dans tel ou tel domaine, ce sont vraiment des opérations qui mobilisent beaucoup de gens et donc forcément SCHÉMA DU PROCESSUS DE CRÉATION DES ÉTABLISSEMENTS PÉNITENTIAIRES EN c’est coûteux ». «CONCEPTION-RÉALISATION» La réflexion de Christophe Darbeda est partagée, notamment par Alain Bretagnolle, architecte associé de l’agence Architecture-Studio, ayant lui aussi réalisé Ministère de la justice de nombreux établissements pénitentiaires. Lors d’une (secrétariat général) prise de parole, il évoque la complexité, la lourdeur et l’engagement financier que représente la participation à un concours de conception-réalisation d’un établissement pénitentiaire : « Les rendus qu’on nous demande aujourd’hui, avec des maquettes numériques, sont toutefois extrêmement lourds et coûteux, et - si je peux me permettre - trop peu indemnisés. Les architectes APIJ DAP Direction de l’Administration sont ceux, au sein des groupements, qui portent le (Agence Publique pour Pénitentiaire risque le plus important, car ce sont eux qui engagent le l’Immobilier de la Justice) plus d’études tout en offrant la plus forte valeur ajoutée ». Les entreprises générales qui s’associent à ces groupements pour répondre aux marchés de conception‑réalisation, ce sont les plus importantes du marché : « Il y a les majeurs. Nous, on a rendu avec Eiffage et même un groupe comme Eiffage a du mal à accéder à ce genre de projet. Cela va faire peut-être 10 ans qu’ils n’en ont pas fait. Bouygues en construit beaucoup, une vingtaine. Le projet des Baumettes II avec Archi5 c’était avec Vinci, c’était leur premier concours gagné et après ils ont enchaîné sur la Santé et Draguignan. Et puis après il y a Léon Grosse aussi. [...] » [C. Darbeda]

Société de projet (maître d’ouvrage propriétaire privé)

Banque

Contrat de promotion immobilière

Promoteur Immobilier Marché de conception-réalisation de droit privé

Christophe Darbeda m’explique concrètement pourquoi Groupement mandataire : ce type de marché ne s’adresse pas aux plus petites maîtrise d’œuvre (architecte) + Entreprise de construction entreprises : répondre à un concours en conceptionréalisation représente un réel engagement pour ces SCHÉMA DU PROCESSUS DE CRÉATION entreprises générales, un réel investissement financier, DES ÉTABLISSEMENTS PÉNITENTIAIRES EN PARTENARIAT PUBLIC PRIVÉ (PPP) limitant le nombre d’entreprises capable de répondre :

Ci-contre : Schémas inspirés des annexes 3 et 4 de l’ouvrage «Construire la peine dans les murs. Architecture et spatialité des nouvelles prisons» écrit par Francis Habouzit et publié aux presses universitaires de Paris Nanterre en 2018.


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PARTIE 02 L’ARCHITECTURE PÉNITENTIAIRE, UN EXERCICE QUI NÉCESSITE DE LIRE ENTRE LES LIGNES Chapitre 2 Apprendre de l’expérience d’architectes qui se sont eux-mêmes confrontés à la conception d’établissements pénitentiaires

« Un concours comme la prison de la Santé qui a duré plus de deux ans, où il y a eu un nombre incalculable de tours, a représenté pour Bouygues par exemple, un investissement de l’ordre de 2 à 3 millions d’euros ». Une somme que les entreprises ne revoient pas si le concours n’est pas remporté.

sont sans cesse en train de perturber les études, de tout re-questionner. Les programmes chez eux évoluent plus rapidement que la construction [...] donc ils décident de ré-incorporer, dans des études en cours, des nouveautés, ce qui vient, de fait, perturber les phases de conception et réalisation ». [C. Darbeda]

La conception-réalisation, du point de vue de la conception, demande un certain nombre de compromis. Mais, bien qu’il s’agisse d’une contrainte de plus à intégrer, pour Christophe Darbeda la conception‑réalisation reste ce qu’il y a de plus pertinent pour le milieu pénitentiaire : sécurisant pour le maître d’ouvrage puisque la maîtrise d’œuvre s’engage sur un prix dès l’offre, cette manière de faire permet aussi de tenir les délais. En constituant un groupement lié de la sorte, l’entreprise fait preuve d’un véritable accompagnement, elle est partie prenante des études et anticipe les principes constructifs facilitant ensuite la mise en œuvre en phase chantier. Christophe Darbeda ne nie pas qu’il y a tout de même un aspect très frustrant dans cette manière de faire : «90% du temps, l’entreprise va tirer vers le bas, pour faire des économies, pour faire le minimum syndical, pour simplifier à l’extrême et parfois sacrifier la qualité architecturale. Ça, c’est évident, mais ça c’est un combat de tous les jours. Mais c’est vrai que ça en devient épuisant à certains moments. Mais honnêtement… au vu de mon expérience, je pense que c’est trop complexe comme opération par rapport aux plannings, aux budgets extrêmement serrés, à la rapidité des études, à la complexité des programmes pour être certain que l’opération avance et sorte en respectant toutes ses contraintes sans la réaliser en conception-réalisation ».

Enfin, au-delà des contraintes inhérentes aux marchés en conception-réalisation, Christophe Darbeda m’alerte sur la nécessité pour des petites agences comme la sienne (WTF/A Architectes Associés) de s’associer à de plus grosses structures comme SCAU ou Groupe 6 afin d’avoir les capacités de répondre à différents concours pour des établissements pénitentiaires (chiffre d’affaires suffisant, personnel suffisant …). Ces associations demandent, déjà, à l’intérieur même de ce groupement d’architectes, de faire des compromis et induisent de fait une certaine inertie de travail.

Alain Bretagnolle parle de ce dispositif “conception‑réalisation” dans des termes relativement similaires à ceux de Christophe Darbeda, ajoutant qu’il s’agit néanmoins d’une façon de faire qui permet aux agences de tester des scénarios, de prototyper des principes techniques, bien que favorisant la participation d’un nombre réduit d’agences d’architecture et d’entreprises conduisant globalement à une certaine homogénéisation. Au cours des différentes phases de conception et de réalisation d’un établissement pénitentiaire, les échanges avec l’Administration Pénitentiaire (AP) et l’Agence Publique pour l’Immobilier de la Justice sont nombreux. « Le maître d’ouvrage freine, l’AP freine et ils

Christophe Darbeda reste convaincu que le travail de groupe est l’essence même du travail d’architecte. Malgré tout en s’associant avec d’autres architectes il faut être prêt à faire encore plus de compromis que d’habitude et à composer avec des regards divergents sur des questions parfois très sensibles qui touchent au respect des droits et de la dignité d’autres êtres humains que certains considéreront comme des monstres pour les actes qu’ils ont commis alors que d’autres voudraient tout faire pour leur donner la chance qu’ils n’ont pas eue.

─ LA CONCEPTION ARCHITECTURALE, UN OUTIL D’HUMANISATION DES CONDITIONS DE DÉTENTION ET DE TRAVAIL « Un chantier [de prison], avant qu’il y ait les clôtures et les barreaudages, c’est presque un camp de vacances. Et quand on commence à mettre les clôtures, les barreaux, tout ça, on se retrouve vite dans un camp de concentration. » [C. Darbeda] Ces éléments étant rarement négociables avec la maîtrise d’ouvrage, il revient à l’architecte de trouver des moyens de mise en œuvre, des alternatives pour limiter ce sentiment sécuritaire passif. Voilà un des enjeux du travail de l’architecte : s’appuyer sur des contraintes programmatiques pour développer une architecture


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en faveur des droits humains, de la dignité et de la (ré) insertion des personnes détenues. Au fil de notre conversation, Christophe Darbeda me fait part du fait que plus son expérience s’allonge, plus il ressent ce besoin de développer une architecture humaine. Au moment de cet échange, Christophe Darbeda travaille sur le site de Poissy, un centre pénitentiaire en milieu urbain, où une partie du mur d’enceinte s’est écroulée. Cette expérience, entre autres, lui ouvre les yeux sur les faibles moyens, à la fois financiers et humains, de l’administration pénitentiaire : « il y a un tel manque d’investissement et d’entretien des bâtiments… Il y a sûrement des abus de la part de certains surveillants… mais il faut voir comment on les traite ces surveillants, leurs conditions de travail… Face à ce manque d’entretien on se demande comment les détenus euxmêmes peuvent être dans de bonnes dispositions ».

constat qui rejoint la posture développée par l’agence Architecture‑Studio : travailler en parallèle l’humanisation des conditions de détention pour les personnes détenues et l’optimisation des conditions de travail et de sécurité pour le personnel. Partant du principe qu’une prison est un lieu partagé au quotidien par deux populations aux besoins différents, il était important d’une part, d’offrir un cadre respectueux des personnes détenues et, d’autre part, d’apporter sécurité, ergonomie et co-visibilité maximale entre les postes de travail pour le personnel. Architecturalement , cela peut se traduire par des cellules plus spacieuses, équipées directement d’un espace sanitaire et douche et par des chambres individuelles pour le service de nuit, de salle de détente, et de locaux de travail ergonomiques pour les surveillants. Alain Bretagnolle, avant même qu’un ergonome ne soit attaché aux services de l’Administration pénitentiaire, rappelle qu’Architecture-Studio est la première agence Christophe Darbeda fait ce constat : « si on pense au à s’intéresser de près aux questions d’ergonomie des personnel et à la qualité des bâtiments, naturellement postes protégés de travail. ça va améliorer les choses avec les détenus »,

Ci-dessus : illustration issue de l’article «La conception-réalisation gagne du terrain», rédigé par Alain de Belenet et Raphaël Apelbaum, avocats associés, et publié par Le Moniteur le 21 décembre 2018 Ci-contre : Photographie d’un œilleton des Baumettes historiques avant leur destruction. ©Lionel Ley


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PARTIE 02 L’ARCHITECTURE PÉNITENTIAIRE, UN EXERCICE QUI NÉCESSITE DE LIRE ENTRE LES LIGNES Chapitre 2 Apprendre de l’expérience d’architectes qui se sont eux-mêmes confrontés à la conception d’établissements pénitentiaires

1. La Direction régionale des Services pénitentiaires (DRSP) est aujourd’hui appelée Direction interrégionale des Services pénitentiaires - DISP.

─ DES VOLONTÉS ARCHITECTURALES AU DIALOGUE AVEC LA MAÎTRISE D’OUVRAGE Selon le projet, l’interlocuteur au niveau de la maîtrise d’ouvrage, l’Agence Publique pour l’Immobilier de la Justice, ou au niveau des usagers, l’Administration pénitentiaire, ne sera pas le même, et n’aura donc pas la même vision des choses, les mêmes préoccupations architecturales. « Ils n’ont pas tous le même dada et ça, ce n’est pas normal que ce soit une histoire d’hommes et non pas un regard d’institution. On a le droit de faire quelque chose sur un site et on n’a pas le droit de faire cette même chose-là sur un autre. Enfin, ce que je veux dire, c’est qu’aux mêmes problématiques, on n’aura pas les mêmes réponses selon la personne qu’on a en face de nous. » [C. Darbeda]. Entre les directives nationales de l’Agence Publique pour l’Immobilier de la Justice et de l’Administration pénitentiaire et les directives des directions interrégionales des services pénitentiaires (DISP), les philosophies et les objectifs diffèrent, apportant parfois des avancées positives au niveau de la conception architecturale et engendrant d’autres fois des pas en arrière. « À Lutterbach les représentants de la maîtrise d’ouvrage étaient plutôt très ouverts et à l’écoute des propositions architecturales. Alors que les mêmes dispositifs architecturaux, bien pensés, sur un autre site avec d’autres représentants de cette même maîtrise d’ouvrage, on te dira ‘‘non, non c’est impossible, il faut mettre des barreaux, des clôtures et du concertina’’. Il n’y a pas vraiment de règle. » [C. Darbeda] Et quand Christophe Darbeda utilise l’exemple du sens d’ouverture des portes pour illustrer cette hétéroclicité du discours, nous comprenons que ces divergences d’exigence de la maîtrise d’ouvrage vont au-delà de simples convictions personnelles. « Pour un projet, on nous a expliqué que les portes devaient s’ouvrir dans un sens, puis sur le site d’après on nous a expliqué qu’elles devaient s’ouvrir dans l’autre sens en nous donnant les arguments inverses, pour que finalement la fois d’après le sens d’ouverture revienne dans le même sens que le premier projet… [...] Souvent, c’est des petites choses comme ça que la maîtrise d’ouvrage se sait pas nous expliquer, juste elle s’en tient au programme et à ce qui est écrit noir sur blanc sur le papier, sans aller plus loin dans la compréhension ou le dialogue.» Pour Christophe Darbeda, c’est une question de responsabilité que certains représentants de la maîtrise d’ouvrage ne souhaitent pas prendre. Le récit d’expérience de Brigitte Scharff de l’agence Vurpas Architectes Associés illustre également le rôle particulier joué par cette maîtrise d’ouvrage. La réhabilitation et l’extension de la maison d’arrêt de Bonneville a été menée, par la Direction régionale des Services pénitentiaires (DRSP)1 et portée par des personnes qui avaient beaucoup de convictions. Libérés de certains présupposés de l’administration pénitentiaire, les architectes ont pu mener un projet

intéressant : « on a notamment pu mettre du bois dans les circulations, dans certaines pièces communes ». Nous imaginons assez facilement, face aux propos de Brigitte Scharff, que si la maîtrise d’ouvrage avait été incarnée par d’autres représentants, le projet aurait pu être bien différent. Pour elle, l’architecte a la possibilité de faire changer les choses, bien qu’étant rapidement limité et devant évoluer dans un contexte bridé, face à une maîtrise d’ouvrage parfois peu encline aux propositions, changements et évolutions. Au-delà des éléments programmatiques, des exigences de la maîtrise d’ouvrage, des exigences techniques des bureaux d’études et entreprises ou encore des normes nationales et européennes imposées, le budget est un autre élément avec lequel l’architecte doit composer. Les budgets restreints ne permettent pas toujours de développer des spatialités ou des ambiances qui seraient pourtant plus propices au respect des droits humains et de la dignité des personnes détenues.

─ LA QUESTION DE L’EXPÉRIENCE LONGUE DANS LA CONCEPTION ET RÉALISATION D’ÉTABLISSEMENTS PÉNITENTIAIRES : FORCE OU FAIBLESSE ? Du récit d’expérience de Christophe Darbeda, je retiens qu’il ne suffit pas d’être parmi les plus grosses agences françaises, avec à leur actif d’importantes opérations de logements, d’équipements culturels ou même d’hôpitaux, pour être capable de concevoir et construire un établissement pénitentiaire. Se confronter au programme pénitentiaire, c’est finalement repartir du début et devoir intégrer un certain nombre de connaissances et de logiques de fonctionnement nouvelles : « Tu peux avoir fait des hôpitaux beaucoup plus complexes qu’une prison à construire, mais mine de rien, le concours, les études, le programme, le client hyper invasif pendant les études, l’administration pénitentiaire aussi, tout le temps en discussion sans savoir vraiment ce qu’ils veulent… tant que tu n’as pas fait ce genre de programme, bah tu n’as jamais fait ». [C. Darbeda] Se lancer dans un concours pour un établissement pénitentiaire demande soit de l’expérience, soit d’être associé à une agence et/ou à un bureau d’étude ayant l’expérience de ce type de programme. Pour citer Christophe Darbeda : « il faut des agences ou des groupements [...] qui soient assez expérimentés ». Chez WTF / A - Architectes Associés, le fonctionnement de ces types d’établissement est acquis, et les architectes, en phase concours, peuvent ainsi mettre toute leur intelligence architecturale au service d’un projet plus respectueux des droits humains et de la dignité et favorable à la (ré)insertion. Pour Christophe Darbeda, la maîtrise de ce programme permet de se


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LEGENDES PEP PCI PCC USCA

Circulations détenus mixtes Circulations détenues femmes Accès réservé au personnel SAS

Porte d’entrée principale Poste de centralisation des informations Poste de contrôle des circulations Unité de consultation et de soins ambulatoires

Mirador Hébergement courant hommes Q4

Cour de promenade

Cour

QVQD

Cour

Q4

Q4

Zone neutre Chemin de ronde

Gymnase

PCC USCA Salle de spectacle, salle multiculturelle, canal interne Locaux de service à la personne

Cour de promenade Quartier Cour de accueil et promenade évaluation

Enseignement, cyberbase et activités socioculturelles

Hébergements courants de femmes

Locaux personnel Ateliers PCI Locaux personnel

Cour de service

Parloirs avocats

Parloirs familiaux Parloirs familles et UVF ZONE EN ENCEINTE HORS DETENTION

Locaux de service aux bâtiments

Pôle de prération à la sortie

Cour d’honneur

Garages

Administration Mirador

ZONE EN ENCEINTE EN DETENTION

Terrain de sport

Terrain de sport

PEP

Glacis Locaux personnel

Parking personnel

Accueil familles

Parking visiteurs

HORS ENCEINTE

Cour

Cour

Enceinte

Q4

Ci-contre : Schéma fonctionnel d’un centre pénitentiaire à sûreté normale mixte (modes ouvert et fermé). Source : APIJ, Nouveau programme immobilier pénitentiaire - Guide de Programmation 2012. La complexité spatiale qui réside dans la conception d’un établissement pénitentiaire illustre les propos de Christophe Darbeda quant aux apports d’une expérience longue dans la conception de tels établissements.


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PARTIE 02 L’ARCHITECTURE PÉNITENTIAIRE, UN EXERCICE QUI NÉCESSITE DE LIRE ENTRE LES LIGNES Chapitre 2 Apprendre de l’expérience d’architectes qui se sont eux-mêmes confrontés à la conception d’établissements pénitentiaires

libérer l’esprit pour prendre le temps de se poser des réinterroger le programme, et savoir là où on peut se permettre questions de conception en faveur des personnes d’être un peu borderline ». incarcérées et du personnel pénitentiaire. Cette maîtrise favorise l’innovation, comme sur le projet de WTF / A à La question de l’expérience pourrait aussi être une Troyes‑Lavau, où l’équipe de Christophe Darbeda a pu composante d’analyse des évolutions dans le rapport à la maîtrise d’ouvrage : depuis une dizaine d’années, travailler sur une nouvelle typologie d’hébergement. Christophe Darbeda voit cette maîtrise d’ouvrage se développer et gérer peu à peu l’ensemble de l’immobilier Pour Christophe Darbeda les apprentissages à retirer de lié à la Justice menant à une non‑spécialisation des la conception et construction de ce type d’établissement acteurs la représentant. Alors qu’avant la maîtrise ne s’arrêtent pas là : « même d’un point de vue d’œuvre était en dialogue avec des personnes qualifiées, constructif, faire des établissements pénitentiaires, je à l’expérience longue et pointue, aujourd’hui elle se trouve ça hyper formateur, parce que tu vas à l’essence retrouve régulièrement face à de toutes nouvelles même, à la simplicité ». Christophe Darbeda compare personnes, du fait d’un renouvellement important et cette recherche de simplicité à l’architecture suisse : constant des équipes, peu qualifiées et compétentes arriver à un tel sentiment de pureté, ça demande une dans le domaine concerné, une maîtrise d’ouvrage donc maîtrise phénoménale de la discipline, de la conception peu efficace : « On se retrouve avec beaucoup de jeunes à la mise en œuvre. L’architecture carcérale ne doit rien débutants, des jeunes polytechniciens, des jeunes laisser dépasser. Réalisée presque exclusivement en contractuels et qui du coup lisent le programme de béton, sans faux plafond ni gaines apparentes pour des manière relativement littérale. La conséquence c’est que questions de sécurité, elle demande aux concepteurs tout le volet contractuel a tendance à prendre le dessus une anticipation totale et parfaite : « il faut tellement sur la remise en question des programmes pour le bien digérer l’architecture en amont pour intégrer la technique de tous, sur un certain bon sens même parfois, et c’est ensuite : tout est en incorporation dans le béton, tous les un peu frustrant ». luminaires, les gaines, les ventilations … tout est dans le béton. Quand tu démarres le chantier en coulant le gros œuvre, la technique est déjà là ! » [C. Darbeda] Lorsque nous abordons la question de l’expérience relativement longue et complète de Christophe Darbeda, des risques de systématisme et de répétitions que cela peut entraîner autant que des opportunités de faire changer les choses qui peuvent ainsi s’offrir à lui, sa réponse est nuancée.

Lorsqu’il était chef de projet chez Archi5prod et où l’agence avait remporté beaucoup de concours, Christophe Darbeda dit s’être enlisé : il a eu à ce moment-là la sensation de se reposer sur ses acquis et de basculer dans un certain systématisme. Cette période n’a pas duré, puisqu’après une ou deux « défaites », en analysant le projet des agences qui avaient remporté ces concours perdus, en comprenant comment les programmes avaient évolué, « on se remet très vite à tout requestionner et puis ça repart ». Pour lui, aujourd’hui, son expérience longue lui permet d’aller beaucoup plus vite dans le dessin de ces projets, lui dégageant du temps pour pousser certaines problématiques, différentes à chaque fois : « J’ai et je garde la volonté d’améliorer les choses et je regarde ce que font les autres agences, comment sont faits les autres projets qui sont présentés, j’analyse ce que nous, on a proposé, nos loupés. Après, on engrange de l’expérience et on essaye de faire toujours mieux. [...] Moi, quinze ans après, je ne m’en lasse pas, j’aimerais en faire d’autres, continuer de requestionner les programmes … avec le temps, je vois où sont les libertés possibles ». Pour résumer, Christophe Darbeda est convaincu de la nécessité de concevoir et construire beaucoup d’établissements pénitentiaires pour commencer à « trouver de la liberté dans le dessin et être en capacité de

─ LES PHÉNOMÈNES D’APPROPRIATION, UNE ILLUSTRATION DE L’(IN)ADÉQUATION ENTRE USAGES ET ARCHITECTURE ? Lors de ma visite de l’Établissement Pénitentiaire pour Mineurs de Meyzieu en 2018, le directeur m’indique que l’établissement a subi, depuis sa mise en service en 2007, de nombreuses modifications architecturales (modification des espaces extérieurs, ajout de clôtures, de filins anti-hélicoptères pour limiter les projections depuis l’extérieur, modification des usages dans les salles …). Seul le directeur de l’établissement a bien voulu évoquer cette dimension, et lorsque j’évoquais cette question avec l’ensemble des autres personnes rencontrées, des éducateurs et des surveillants pénitentiaires, elles me répondaient de manière directe « il ne faut pas en parler ». Cet aspect-là m’avait alors fortement marquée : comment et pourquoi, un établissement à peine livré, a-t-il besoin de subir tous ces changements ? Les besoins et usages ont-ils été mal évalués lors de la conception ? Certains choix architecturaux ont-ils été acceptés sans réelles convictions derrière, induisant donc par la suite ces changements ? L’architecte a-t-il été consulté pour réaliser l’ensemble de ces modifications ? Ces modifications, nuisant fortement aux qualités des espaces, sont-elles réalisées par manque de personnel pour « faciliter » le quotidien ? Bref, autant de questions qui m’ont poussée, lors de ces entretiens avec des architectes, à leur poser à chaque fois cette question : avez-vous eu l’occasion de retourner dans des


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établissements que vous aviez conçus quelque temps Alors que des discussions informelles avec des architectes ayant participé de près ou de loin à la conception après leur mise en service ? d’établissements pénitentiaires m’avaient convaincue de la nécessité de prendre le temps d’échange dans un À l’évocation de cette question, Christophe Darbeda me cadre plus formel avec des agences ayant l’expérience parle de plusieurs projets, nous amenant sur des traces d’un tel programme, ces deux entretiens avec Christophe d’appropriation positives. Le premier chantier réalisé par Darbeda et Brigitte Scharff ainsi que mes nombreuses ses soins, c’est celui du Centre Pénitentiaire de Rennes. lectures au sujet de l’agence Architecture-Studio m’ont Il y est retourné trois ou quatre ans après la livraison, montré la nécessité de multiplier ces interviews avec et fut plutôt agréablement surpris : les zones neutres 2 d’autres architectes ayant conçu ou continuant de étaient entretenues, les mentalités de l’administration concevoir des prisons si cette recherche devait être pénitentiaire avaient évolué dans un sens positif prolongée. En multipliant le recueil des regards, cela au niveau de l’utilisation des lieux et ils avaient par permettrait d’infirmer ou confirmer certains points de exemple réalisé des aménagements au niveau des blocage ou au contraire certains leviers pointés du doigt cours de promenade. À Bourg-en-Bresse ces zones dans ce chapitre. Il aurait par exemple été nourrissant neutres avaient même été colonisées par des formations de pouvoir échanger avec un architecte associé d’Archi5, horticoles avec des plantations par-ci, par-là. Avant ancien collègue de Christophe Darbeda pour voir si le d’ajouter « mais ça dépend vraiment des établissements, regard qu’il posait sur son expérience était similaire des chefs d’établissement, des dynamiques locales… ». à celui de Christophe Darbeda. Une autre piste Christophe Darbeda précise tout de même que le cas intéressante résiderait dans la réalisation d’entretien de Bourg-en-Bresse est particulier. Il s’agissait d’un avec des agences de pays frontaliers, aux systèmes de établissement type pour l’application des Règles justice similaire comme la Belgique ou la Suisse. pénitentiaires européennes (RPE). Ce centre quelque peu expérimental a donc bénéficié de moyens supérieurs et a très vite bien fonctionné. Cette question du retour sur les lieux d’un projet de prison, et de l’appropriation des espaces conçus par les usagers s’est également posée lors de mon échange avec Brigitte Scharff, architecte associée de l’Agence Vurpas, à propos de la maison d’arrêt de la Santé. « Moi j’y suis allée pour l’inauguration, c’était déjà en service partiel. Mais, bon, une inauguration pendant laquelle l’architecture, les architectes n’ont absolument pas été évoqués, absolument remarquable. Et depuis, voilà, ce n’est plus notre bébé, et on n’est plus au courant de rien. Je pense que si je voulais y retourner, j’y retournerais, mais je ne suis même pas sûre d’en avoir envie. » L’administration pénitentiaire est, comme beaucoup d’administrations françaises, une entité à l’organigramme décisionnel très complexe. Alors que cette Administration pénitentiaire représente l’usager futur des lieux que l’architecte conçoit, sachant mieux que personne quels sont ses besoins, c’est à l’Agence Publique pour l’Immobilier de la Justice que reviennent les ordres et décisions destinés à la maîtrise d’œuvre. Face à ce constat, il est relativement facile de comprendre que l’architecture des lieux de détention fasse souvent l’objet, dès réception du chantier, de transformations majeures de la part de l’Administration pénitentiaire, pour rendre les lieux adéquats à certains modes de gestion dont ils ont l’habitude et pour lesquels ils sont formés. Innover en architecture, induire de nouveaux usages, essayer de faire naître de nouvelles relations entre les hommes et les femmes qui parcourent ces lieux, demande aussi un temps de médiation et de communication avec les usagers, temps qui ne peut trouver sa place dans la manière dont sont conçus ces lieux aujourd’hui.

2. Les zones neutres sont des zones inaccessible aux personnes détenues, permettant de séparer deux zones accessibles, ou une zone en détention et une zone hors détention.


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PARTIE 02 L’ARCHITECTURE PÉNITENTIAIRE, UN EXERCICE QUI NÉCESSITE DE LIRE ENTRE LES LIGNES

CHAPITRE 3

Entre innovations, concepts expérimentaux et retours en arrière

Il existe très peu, pour ne pas dire pas, de critiques constructives des architectures existantes. Or, il n’est pas rare de lire ou d’entendre parler de « prisons modèles ». Une question se pose alors : sur quel(s) critère(s) l’auteur des articles qualifiant ainsi certains établissements pénitentiaires en cours de livraison ou tout juste ouverts, se basent-ils ? D’autant plus que, la plupart du temps, quelques mois seulement après la publication des articles qualifiant tel ou tel établissement de “modèle”, la presse change son fusil d’épaule, se rendant compte que ces bâtiments n’avaient de modèle, que le nom ou le discours. Et cela est d’autant plus observable lorsque les articles sont rédigés en amont même de la livraison de l’établissement, et que spatialité et usage(r)s n’ont pu avoir le temps de s’appréhender. Malheureusement, il est souvent trop tard lorsque des articles prenant le contre‑pied des premiers sont publiés : d’autres bâtiments, s’en étant inspirés, voient déjà le jour avant qu’une véritable analyse ne soit portée. De la prison modèle, nous passons à la duplication d’une « catastrophe » qu’il faudra rapidement détruire ou rénover, à force de rapports menaçants et de plaintes déposées pour non-respect des droits humains et de la dignité. Ce troisième chapitre a donc pour objectif d’illustrer la nécessité d’analyser les architectures carcérales conçues Pour illustrer l’importance d’analyser les architectures et construites dans les trente dernières années en France carcérales contemporaines existantes pour nourrir le et celles à venir, au fur et à mesure de leur livraison.

En effet, c’est en proposant une analyse objective de ces établissements qu’il sera possible de limiter la reproduction d’erreurs du passé, en les documentant et en montrant leurs conséquences néfastes sur les conditions de détention des personnes détenues et sur les conditions de travail du personnel. Dans un même temps, ces analyses feront ressortir des éléments positifs pouvant nourrir la conception des établissements de demain. Il ne s’agit pas là de construire uniquement une critique visant à dénoncer, mais bien de poser les bases d’un dispositif garant de meilleures architectures pénitentiaires, en faveur du respect des droits humains, de la dignité, des conditions de travail et de la (ré)insertion des personnes détenues.

dessin de celles de demain, ce chapitre propose l’analyse de quelques éléments à titre d’exemple. La première sous-partie de ce chapitre propose une analyse de quelques éléments programmatiques et architecturaux anecdotiques, propre à un établissement pénitentiaire en France, en particulier : il s’agit de comprendre comment cet élément, changeant par rapport aux autres architectures est apparu, ce qu’il produit sur le quotidien des personnes détenues et du personnel, pour finalement comprendre si ces dispositifs spatiaux et architecturaux anecdotiques, œuvrent en faveur ou défaveur d’un meilleur respect des droits humains, de la dignité et de la (ré)insertion des personnes détenues. Dans cette dynamique, l’architecte qui cherche à alimenter sa réflexion en amont de la conception d’un lieu de détention aura les éléments


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essentiels pour comprendre s’il peut s’agir d’une référence sur laquelle s’appuyer ou au contraire d’un élément à questionner. Avec le même objectif final, la deuxième sous-partie de ce chapitre permet de comprendre que certaines caractéristiques récurrentes d’un établissement à un autre le sont sans que cette récurrence soit à priori justifiable. Dans ce cas, il s’agit de comprendre l’origine de ces caractéristiques, ce qu’elles produisent sur le quotidien des personnes détenues et du personnel, afin de pouvoir alerter ou non sur cette duplication nonjustifiée de dispositifs spatiaux et architecturaux d’un établissement à un autre. Enfin, la troisième sous-partie de ce chapitre illustre l’importance de questionner l’espace architectural carcéral conçu à travers le prisme de notre propre quotidien, favorisant ainsi la conception d’espace au plus près de la normalité : la question des sens, du

rapport à l’autre, de l’intimité … Finalement l’ensemble des exemples cités et analysés dans ce chapitre illustre la nécessité de produire une analyse architecturale objective et illustrée des établissements pénitentiaires existants, au fur et à mesure de leur construction pour alimenter une réflexion constructive de la part de la maîtrise d’ouvrage et de la maîtrise d’œuvre.

Ci-contre : Photographie de ©Jérémie Jung, extraite d’un portfolio publié sur le site internet de Prison Insider : Jérémie Jung encadre des ateliers photographiques avec 10 d’entre eux. Et se confronte à la censure de l’administration pénitentiaire. Légende. Avant 1991, alors que la Lettonie faisait partie de l’URSS, environ 300 détenus étaient incarcérés dans ce centre de détention pour mineurs situé dans la petite ville de Cēsis, à 80 km au nord-est de la capitale Riga. Aujourd’hui, 39 prisonniers y purgent leur peine, sans que la surface occupée auparavant ait été modifiée. À la demande de l’administration, j’ai dû gratter au couteau ce pan du mur, vu pourtant depuis l’extérieur de la prison, ne représentant aucun risque pour la sécurité. ©Jérémie Jung


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PARTIE 02 L’ARCHITECTURE PÉNITENTIAIRE, UN EXERCICE QUI NÉCESSITE DE LIRE ENTRE LES LIGNES Chapitre 3 Entre innovations, concepts expérimentaux et retours en arrière

Ci-contre : Photographie de ©Gabrielle Voinot du Centre pénitentiaire de Marseille - Les Baumettes 2. Source : APIJ

─ DES ÉLÉMENTS QUI FONT EXCEPTIONS DANS d’hermétisme au monde extérieur. Et pourtant, l’un L’ARCHITECTURE PÉNITENTIAIRE des objectifs de ces institutions est bien la réinsertion, Exemple 1 - Un théâtre dans la prison comme le rappelle la règle 4.1 issue de l’ensemble de Le concours pour les Baumettes III présente une règles minima des Nations Unies pour le traitement des particularité locale : du fait de la présence d’associations détenus (Règles Nelson Mandela) : « Les objectifs des artistiques et culturelles très actives et développées dans peines d’emprisonnement et mesures similaires le milieu pénitentiaire à Marseille, les architectes ont eu privant l’individu de sa liberté sont principalement la surprise, au cours des différentes phases du concours, de protéger la société contre le crime et d’éviter les de voir s’intégrer au programme un théâtre : « ce récidives. Ces objectifs ne sauraient être atteints programme de théâtre a même considérablement que si la période de privation de liberté est mise gonflé pendant la phase concours, et on s’est retrouvé à profit pour obtenir, dans toute la mesure du avec un vrai équipement de qualité, un vrai théâtre avec possible, la réinsertion de ces individus dans la des gradins, un foyer, des loges, des services techniques, société après leur libération, afin qu’ils puissent un vrai théâtre quoi. Pas une salle d’activité dans laquelle vivre dans le respect de la loi et subvenir à leurs on aurait mis trois chaises et dit que c’était un théâtre. Un petit théâtre de quartier avec une capacité de 150 besoins ». Entre objectif de réinsertion et hermétisme places et qui permet d’accueillir des gens extérieurs à la à la société extérieure, nul besoin d’être un expert de la prison » [C. Darbeda]. Deux configurations principales thématique pour comprendre le paradoxe qui naît de d’utilisation sont prévues : soit des personnes détenues cette dualité. font une représentation avec un public constitué de Finalement, nous pourrions apparenter la conception personnes extérieures à la prison, soit une troupe d’une prison, à la planification d’une mini-ville, avec extérieure fera une représentation avec un public de ses bâtiments d’hébergements, ses rues, ses places, personnes détenues. Pour garantir la sécurité des ses espaces paysagers, sa cuisine centrale, ses salles de personnes détenues et des personnes de l’extérieur, cultes, son gymnase, ses terrains de sports, ses espaces ainsi que le bon fonctionnement de ce lieu, le même de formations professionnelles, son infirmerie voir système que pour les parloirs est mis en place avec un micro-hôpital pour certains établissements, sa salle de double accès : un accès réservé aux personnes détenues spectacle, sa crèche … directement lié à la détention et un accès réservé aux Alors pourquoi, dans l’élaboration des programmes puis personnes venant de l’extérieur, qui n’auront pas à dans la conception des lieux, certains de ces usages entrer dans la zone de détention. Ainsi « on a un vrai ne sont pas pensés pour être partagés avec la société équipement de quartier, qui a une vraie place dans « extérieure » ? Il y a-t-il vraiment besoin d’intégrer un le programme et qui permet d’articuler la zone de gymnase à la une nouvelle prison quand, quelques détention et la zone hors détention » [C. Darbeda]. mètres plus loin, il en existe un sous-occupé ? Pourquoi ne Les établissements pénitentiaires sont des lieux repliés pas profiter de la construction d’une nouvelle prison avec sur-eux-mêmes, avec des directives architecturales des serres horticoles pour permettre à des personnes de imposées par les programmes établis par la maîtrise l’extérieur de bénéficier d’une formation professionnelle d’ouvrage qui laissent transparaître une volonté ou d’un nouveau lieu d’approvisionnement local ?


Baumettes 1 Quartier de semi-liberté Structure d’accompagnement vers la sortie

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Baumettes 3 Bâti en enceinte et cours de promenade

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Nouveau parking pour les personnels

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Porte historique Accès au nouveau parking pour les personnels

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Baumettes 2 Bâti et cours en enceinte

2 Bâti hors enceinte (accueil familles et locaux du personnel) et parking existant

Porte entrée principale visiteurs

Nouvel équipement (Baumettes 3)

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Porte à construire Entrée logistique pour les personnels et les visiteurs du théâtre

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Existant (Baumettes 1 et 2)

Utopie ou futur possible ? Les infrastructures pénitentiaires tout comme les programmes publics ne pourraient-ils pas être pensés de manière à ce que les personnes incarcérées puissent bénéficier d’infrastructures extérieures déjà présentes, souvent sous-occupées, leur permettant de vivre un quotidien au plus près de la normalité. Et d’un autre côté, la construction d’une prison dans une zone périurbaine ou urbaine donnée ne pourrait-elle pas permettre d’apporter de nouveaux équipements publics aux riverains ? Dans les deux cas, il s’agit de favoriser les liens intérieurs / extérieurs puisque « le régime carcéral doit chercher à réduire au minimum les différences qui peuvent exister entre la vie en prison et la vie en liberté dans la mesure où ces différences tendent à atténuer le sens de la responsabilité du détenu ou le respect de la dignité de sa personne », comme le rappelle si bien la règle 5.1 issue de l’ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela).

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Accès bâti hors enceinte

Exemple 2 - La rénovation de la maison d’arrêt de la Santé, un établissement symbolique

L’agence Vurpas Architectes, associée à AIA Architectes, est à l’origine de la rénovation et l’extension de la prison de la Santé à Paris. L’entreprise Vinci, ayant déjà travaillé avec l’agence pour la réalisation d’Établissements Pénitentiaires pour Mineurs (EPM), la rappelle pour sa connaissance dans le domaine pénitentiaire et pour son expertise patrimoniale. L’aspect patrimonial du projet et sa situation en plein cœur de Paris ont permis aux architectes de pousser certains éléments qualitatifs, différents de ce qu’il se fait habituellement. Il est intéressant de voir, comment ces éléments innovants et particuliers ont d’ailleurs fait évoluer les programmes suivants, même en neuf. Suite à ce projet, Brigitte Scharff a même été invitée à participer à des jurys et à des analyses de dossier, notamment au sujet de la double entrée. Le caractère exceptionnel de ce projet a induit un budget plus conséquent, leur permettant notamment de réaliser des doubles-murs isolés en béton teinté (rappelant les immeubles parisiens de logement, en pierre).

Ci-dessus : Axonométrie programmatique en vue de la réalisation des Baumettes III. Source : dossier de concertation préalable, APIJ, du 26 septembre au 7 novembre 2019 Ci-contre : Photographie issue de la pièce de théâtre et du documentaire «Une longue peine» réalisés par Didier Ruiz, et dont les cinq protagonistes sont André Boiron, Annette Foëx, Éric Jayat, Alain Pera et Louis Perego. « C’est étrange, ce mot qui signifie punition et chagrin en même temps ». Didier Ruiz. Sur scène, quatre ex-détenus. Condamnés à de longues peines, ils ont vécu des années dans un autre monde, la prison, régi par ses propres règles. Avec leurs émotions, leurs mots, leur poésie, ils retracent, par bribes, leur expérience : vie avant l’enfermement, premières arrestations, éloignement des proches, visites au parloir, misère affective et sexuelle, suicide des codétenus.


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PARTIE 02 L’ARCHITECTURE PÉNITENTIAIRE, UN EXERCICE QUI NÉCESSITE DE LIRE ENTRE LES LIGNES Chapitre 3 Entre innovations, concepts expérimentaux et retours en arrière

Cette mise en œuvre de double-mur isolé préfabriqué a été induite par des contraintes fortes imposées par le site du projet, en zone urbaine : la parcelle a une surface relativement restreinte par rapport aux normes de sécurité qui régissent la construction d’établissements pénitentiaires et qui imposent notamment une certaine distance entre chaque bâtiment (ce qu’on appelle la “zone neutre”). Lorsque cette distance ne peut être respectée du fait de la géométrie du site de projet ou de sa surface, d’autres normes de sécurité prennent le relais. Le double-mur est une mise en œuvre qui permet de répondre à ces enjeux sécuritaires. De cette contrainte, naît une amélioration des conditions de détention et de travail, puisque le double-mur garantit dans un même temps une plus grande durabilité dans le temps et un confort thermique, au quotidien, bien supérieur à ce que peuvent permettre les murs isolés par l’extérieur, habituellement mis en œuvre pour ce type de programme. Ce contexte de rénovation exceptionnel a donc permis une plus grande liberté dans la conception et la réalisation du projet pour les architectes.

Rénover, c’est aussi se rendre compte des avancées réalisées : alors qu’initialement les cellules des personnes en attente de jugement avaient une surface1 de 7 m2, le projet de rénovation prévoit le regroupement de trois cellules pour en faire deux avec au centre une salle d’eau. Autre évolution mise en avant par cette rénovation : l’attention portée à la lumière naturelle et aux vues depuis les cellules. À l’origine, dans les cellules, l’allège des fenêtres était située à 1,70m du sol. Dans le cadre de la rénovation de la prison de la Santé, l’agence Vurpas Architectes a effectué tout un travail patrimonial en façade permettant l’abaissement de ces allèges à 1,20m. Ainsi repensées, les proportions des fenêtres de la prison de la Santé s’inscrivent dans des proportions

1. Initialement, avant la rénovation, les cellules des personnes en attente de jugement avaient une surface de 7 m contre 6 m2 pour les personnes condamnées qui passaient alors plus de temps à l’extérieur de leur cellule. Aujourd’hui il n’y a plus de distinction de taille de cellule selon le statut de la personne incarcérée.

Ci-contre (droite) : Vue d’une façade d’un des bâtiments de détention du quartier haut de la Maison d’Arrêt Paris‑La Santé, après la rénovation effectuée par l’agence Vurpas Architectes et AIA Architectes. Photographie de ©Kyle R. Brooks

d’habitats parisiens, favorisant l’insertion de l’institution dans le tissu urbain, et diminuant le sentiment de stigmatisation pour les personnes détenues.

Exemple 3 - Tahiti,

un contexte climatique, géographique et culturel particulier

L’établissement pénitentiaire réalisé à Papeari (Tahiti, 2017), par l’agence Architecture-Studio, prend place sur treize plateformes à des altitudes différentes, s’adaptant à la topographie du terrain. Cette insertion paysagère du projet permet aux personnes détenues d’avoir des vues sur le grand paysage. À ce sujet, A.Bretagnolle dit : « Cela a été une découverte : on pouvait voir par-dessus le mur et rester en relation avec l’océan, les reliefs de l’intérieur de l’île, la vie à l’extérieur du mur… La perception de la nature et du grand paysage depuis les espaces en détention est ainsi devenue un élément important des nouveaux programmes. Si je peux me permettre une réflexion, à un moment où tous les Préfets de France cherchent des terrains pour construire de nouveaux établissements, c’est que ces terrains n’ont pas besoin d’être plats et carrés, je dirai même au contraire : plus ils seront atypiques et plus nous aurons de chances d’avoir des projets singuliers et innovants, donc probablement plus humains. » Selon l’architecte de l’agence Architecture-Studio, ces initiatives-là sont possibles, pour deux raisons : la présence d’une population pénale moins nombreuse et considérée comme moins dangereuse, la plus grande flexibilité qu’offrent les projets carcéraux situés dans les DOM-TOM. Je rajouterai que l’écart culturel entre ces territoires d’outre-mer et la métropole empêche le collage littéral des modèles d’architecture carcérale dont nous avons l’habitude, laissant place à une plus grande réflexion et à plus de changements.


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Concevoir un établissement pénitentiaire à Tahiti induit de fait, la prise en compte des spécificités climatiques. L’ensoleillement important dont bénéficie le site de projet a permis à la maîtrise d’ouvrage de disposer des panneaux photovoltaïques et des capteurs thermiques pour alimenter les bâtiments en électricité et eau chaude sanitaire.

Parallèlement, la construction de cet établissement pénitentiaire a eu, et continue d’avoir, d’importantes retombées économiques pour la commune dans laquelle il s’inscrit : 250 emplois ont été créés pour permettre le fonctionnement de cet établissement, certains de ces employés louent une maison dans les environs, la commune même est chargée d’approvisionner l’établissement en aliments frais. Autant d’éléments Parallèlement, les bâtiments ont été dessinés de manière qui permettent le développement d’un nouveau tissu à permettre une ventilation naturelle efficace : chaque économique autour de la prison. extrémité des espaces de circulation est équipée de grilles et volets anticycloniques pour permettre aux courants d’air de pénétrer dans le bâtiment, jusque dans les cellules grâce aux « portes tropicales » 2. Quant à la prise en compte des spécificités culturelles, Alain Bretagnolle explique que « le programme ne prévoyait qu’une signalétique en français, nous avons rajouté le tahitien parce que c’est important pour le respect du territoire et de la culture locale. Nous avons également recruté un artiste de la presqu’île pour tatouer les murs des galeries extérieures ».

Sens droit

Sens gauche

Largeur : 730 Réf. : 145782 Largeur : 830 Réf. : 139678 Largeur : 930 Réf. : 149043

Largeur : 730 Réf. : 145783 Largeur : 830 Réf. : 149044 Largeur : 930 Réf. : 149045

Bloc-porte tropicalisé type VAL DE REUIL à bancher - Bloc-porte pour cellule, huisserie en tôle pliée, œilleton, porte persiennée en tôle avec traitement protecteur adapté au climat tropical

2. Voir illustration ci-contre.

Ci-dessus : Vue aérienne du Centre de détention Tatutu de Papeari. Source : plaquette de présentation de l’APIJ Ci-contre (gauche) : fiche-produit «bloc-porte tropicalisé» issue du catalogue RIEP, fournisseur de portes de cellules pour les établissements pénitentiaires français. Source : Régie industrielle des Établissements pénitentiaires (RIEP) Ci-contre (droite) : Photographie d’une cour de l’Unité de Vie familiale qui a été décorée de tatouages polynésiens Source : plaquette de présentation de l’APIJ


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PARTIE 02 L’ARCHITECTURE PÉNITENTIAIRE, UN EXERCICE QUI NÉCESSITE DE LIRE ENTRE LES LIGNES

Locaux et stationnement du personnel

accès logistique

mur d’enceinte

Accueil familles Stationnement visiteurs

mirador

GLACIS clôture

Espace dans l’enceinte de détention

Limite de propriété

Chapitre 3 Entre innovations, concepts expérimentaux et retours en arrière

Nous avons parlé du caractère « exceptionnel », dans le sens de faire exception, du concours des Baumettes III avec le théâtre de quartier. Nous avons aussi parlé du caractère « exceptionnel », toujours avec la même connotation, du projet de rénovation et extension de la prison de la Santé. Et ce caractère exceptionnel ressort également dans le projet de l’établissement pénitentiaire de Papeari, à travers son contexte climatique, géographique et culturel particulier. Ces trois projets, par leurs différences qui leur confèrent ce caractère d’exception et permettent à leurs architectes de proposer des choses nouvelles pourraient, si des analyses précises des conséquences positives et négatives qu’engendrent les dispositifs nouveaux mis en place étaient réalisées, servir de références desquelles se nourrir pour la conception des futurs lieux de détention.

─ DES ÉLÉMENTS RÉCURRENTS D’UNE ARCHITECTURE PÉNITENTIAIRE À D’AUTRES

Exemple 1 - Des plans masse très similaires 3

Le programme 13 000, initié à la fin des années 1980, ambitionne de faire émerger de nouveaux « plans types ». On observe ainsi des compositions spatiales en plan masse différentes. Dans la zone Sud 4, Pierre et Cédric Vigneron dessinent la maison centrale d’Arles, la maison d’arrêt de Grasse ainsi que les centres de détention de Salon-de-Provence et de Tarascon en forme de U et deux autres, les maisons d’arrêt d’Aix-Luynes et de Villeneuve‑lès-Maguelone, en plan rayonnant.

3. L’ensemble de cette sous-partie est illustrée sur la double-page suivante. 4. La conception des établissements pénitentiaires du programme 13000 est divisée en quatre zones (nord ‑ sud ‑ est ‑ ouest), chacune attribuée à un groupement composé d’un ou plusieurs architectes et d’une entreprise générale. 5. Guillaume Gilet réalise une dizaine d’établissements pénitentiaires dans les années 1960 dont les bâtiments sont en aile d’avion. 6. Source : Manon Vaux - « L’architecture carcérale en France : évolution d’une architecture au prisme de ses nouvelles conditions de production (1987 - 2015) », mis en ligne en juin 2016, p. 122-140)

Espace hors enceinte de détention

accès personnes extérieures

se distinguent. Le premier groupement propose une articulation des bâtiments en équerre, situés dans un angle du quadrilatère formé par l’enceinte de détention. Le second groupement élabore des bâtiments en aile d’avion distribués dans la diagonale du terrain. Une organisation induite par Guy Autran, architecte du Ensuite, la Société d’étude et de recherche architecturale programme précédent (le programme 13000) qui se (SERA) réalise au niveau de la zone ouest deux retrouvera également dans la composition des plans établissements ayant une organisation cruciforme, le masse des établissements pour mineurs. centre de détention de Neuvic s’agence quant à lui en escalier, le centre de détention de Châteauroux s’articule Enfin, à partir de 2002, est lancé le programme 13 200, en L. Toujours dans cette zone ouest, le centre de dont l’objectif est d’élargir et de « rajeunir » un parc détention d’Uzerche présente un dessin en aile d’avion, pénitentiaire comptabilisant, au 1er novembre 2002, dans le sillage de l’architecture de Guillaume Gillet 5. 47 933 places pour 54 348 détenus et où 35 % des Dans les zones nord et est, les architectes Christian places disponibles 6 le sont dans des établissements Demonchy, Noëlle Janet et Guy Autran dessinent antérieurs à 1912 . Dans le cadre de ce programme des plans masses agencés en croix avec l’ajout 13 200, une trentaine d’établissements pénitentiaires quasi systématique d’une annexe en aile d’avion. sont construits en France et dans les DOM-TOM. Cependant, les logiques d’implantation sur la parcelle Contrairement aux deux précédents programmes, les diffèrent : déploiement des bâtiments en diagonale lauréats sont plus nombreux. Ce constat est néanmoins à pour la zone nord et selon un axe longitudinal dans la nuancer puisque certains groupements se voient confier jusqu’à six réalisations alors que d’autres ne conçoivent zone est. qu’un seul établissement. Par la suite, le programme 4000 est déployé à partir Depuis le programme 4000, Christophe Darbeda, de 1995, et avec lui la systématisation d’une approche architecte associé de l’agence WTF/A note cependant en conception-réalisation, entraînant une nette une « sacrée avancée » notamment à travers les projets uniformisation des propositions. L’organisation des plans d’Aix Luynes II, de Troyes-Lavau ou encore de Lutterbach. masse se fait selon un axe diagonal, et deux typologies Ces projets possèdent une véritable dimension urbaine


65

Nombre de détenus et nombre de places de prison entre 1990 et 2018 Nombre de places disponibles

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François Mitterrand Programme 13000

75000

2012

Nombre de détenus

Source : Ministère de la Justice

et paysagère, « beaucoup plus importante que par le passé. On est sur des espaces, des sites beaucoup plus aérés. On respire vraiment le végétal. C’est beaucoup plus fluide. Il y a vraiment une ambiance qui se dégage qui est beaucoup plus humaine. C’est significatif. » témoigne Chistophe DARBEDA. Les établissements pénitentiaires issus du programme 13000 possèdent une rue principale qui irrigue l’ensemble du site et depuis laquelle partent des cheminements entre des clôtures conduisant à chacun des bâtiments. Les établissements issus du programme 4000, eux, ont une rue principale doublée, permettant notamment une meilleure fluidité en cas d’incident : avant, si un incident se produisait sur la rue principale, l’ensemble des déplacements sur le site étaient bloqués ; le fait de les doubler permet de résoudre ce problème récurrent que subissaient membres du personnel et personnes détenues. À ces deux rues principales sont ajoutées des places, des cours d’honneur, des jardins accessibles ou non. L’ensemble de ces dispositifs permettent tour à tour de faire diminuer les linéaires de clôtures, d’améliorer les vues depuis les bâtiments, les cellules, les espaces extérieurs, ou encore d’aérer le site en espaçant un peu plus les bâtiments les uns des autres.

masses. Il y a quelques années encore, le glacis était systématiquement placé à l’extérieur du mur d’enceinte. Aujourd’hui, il est possible, bien que non systématique, de positionner ce glacis à l’intérieur du mur d’enceinte, éloignant un peu plus les murs qui le composent des bâtiments de détention : ainsi les vues offertes depuis les cellules, les espaces de travail et d’apprentissage sont plus vastes et dégagées.

Alain Bretagnolle, architecte associé de l’agence Architecture-Studio, va dans le même sens que Christophe Darbeda, en voyant dans ces changements des dispositifs essentiels à une recherche de normalisation du cadre de la détention. Il dit notamment : « Les seuils d’entrée en détention sont clairement marqués, les circulations hiérarchisées avec des espaces publics, semipublics et privés, qui font explicitement référence à un environnement culturel urbain et qui doivent pouvoir se prolonger dans les quartiers avec des placettes d’entrée, des cours, des jardins, des nefs ou des rues intérieures. On est ici dans une trame urbaine (qui rappelle donc le fonctionnement à l’extérieur de nos villes) ». Pour cet architecte qui ne croit pas en la valeur de modèles répétitifs, mais en la singularité de réponses appropriées à leur contexte, l’évolution dans la conception des plans masses des établissements récemment conçus et livrés Les variations introduites dans le positionnement semble donc aller dans le bon sens, celui de projets du glacis 7 est une autre avancée notable qui contextualisés. impacte positivement la composition des plans

7. Le glacis est un espace de la parcelle non construit, à découvert en amont ou en aval du mur d’enceinte, comprenant un chemin carrossable et un fossé.

Ci-contre (gauche) : D’après un schéma issu du document «Construction d’un établissement pénitentiaire sur les communes de Tremblay-enFrance et de Villepinte (93)» Source : Egis


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PARTIE 02 L’ARCHITECTURE PÉNITENTIAIRE, UN EXERCICE QUI NÉCESSITE DE LIRE ENTRE LES LIGNES

PLANS MASSE DES PROGRAMMES DE CONSTRUCTIONS PÉNITENTIAIRES (1990 À 2016) PROG 13 000 Zone est [1990 à 1992] 8

PROG 13 000 Zone nord [1990 à 1992] 8

PROG 13 000 Zone ouest [1990 à 1992] 8

PROG 13 000 Zone sud [1990 à 1992] 8

PROG 4 000 Tranche A [2002 à 2004] 8

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Chapitre 3 Entre innovations, concepts expérimentaux et retours en arrière


67

PROG 13 200 Lot 1 [2009] 8

PROG 13 200 Lot 2 [2009 à 2010] 8

PROG 13 200 Lot 3 [2011 à 2012] 8

PROG 13 200 Autres réalisations [2008 à 2016] 8

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8. Ces dates correspondent à la première et dernière livraisons de chantier de prisons du programme dont il est question.

Ci-contre : Infographie réalisée à partir de vues open street map et de captures d’écran de google maps réalisées avant que les établissements pénitentiaires ne soient floutés.

Dra CP guig nan (Var) -

CP : Centre Pénitentiaire (établissement mixte, qui comprend au moins deux quartiers différents -maison d’arrêt, centre de détention et/ou maison centrale-) CD : Centre de Détention (accueille les détenus condamnés à des peines d’au moins deux ans, ayant de bonnes perspectives de réinsertion). MA : Maison d’Arrêt (accueille les personnes prévenues en détention provisoire ainsi que les personnes condamnées dont la peine ou le reliquat de peine n’excède pas deux ans) MC : Maison Centrale (accueillent les personnes détenues condamnées à une longue peine et/ou présentant des risques)


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PARTIE 02 L’ARCHITECTURE PÉNITENTIAIRE, UN EXERCICE QUI NÉCESSITE DE LIRE ENTRE LES LIGNES Chapitre 3 Entre innovations, concepts expérimentaux et retours en arrière

Exemple 2 - Une

architecture quasiment identique pour des régimes de détention de plus en plus variés

Dans une dynamique de recherche de normalité, de nouveaux régimes de détention voient le jour, c’est notamment le cas des « quartiers confiance » aussi appelé « régime respecto ». Les nouveaux programmes pénitentiaires les intègrent, selon les projets et la population pénale accueillie. Concrètement, nous entendons par « quartier de confiance » tout bâtiment géré selon un mode dit « ouvert » : l’ensemble des surveillants pénitentiaires sont regroupés dans une salle, souvent au rez-dechaussée, les cellules sont équipées de verrous de confort ouverts la journée, les personnes détenues sont libres de leurs mouvements au sein du quartier (salles d’activités, cours de promenade, coursives …). Ces dispositifs permettent de laisser place à de véritables temps d’échanges informels entre personnes détenues et surveillants pénitentiaires dont le rôle devient plus humain et moins sécuritaire. Ce dispositif est, comme son nom l’indique, basé sur la confiance et le respect, et les personnes détenues qui l’intègrent signent une sorte de contrat avec l’administration pénitentiaire comprenant des droits et des devoirs. Si certains d’entre eux ne sont pas respectés, les personnes détenues retournent dans un système de gestion classique que nous pouvons qualifier de « fermé ». Ce type de quartier existe depuis quelques années déjà en France en termes de système de gestion, mais c’est tout récemment qu’il a été nommé comme tel au niveau des programmes architecturaux. C’est-à-dire que jusqu’alors, un quartier respecto était appelé comme tel lorsqu’il présentait un mode de gestion des locaux dit « ouvert », mais dans une architecture strictement identique au mode fermé. Pour Christophe Darbeda, ce nouveau type de quartier pourrait permettre « d’un point de vue architectural de beaucoup plus innové, mais les programmes sont trop contraignants ». Quelques petits éléments seulement varient entre un quartier en gestion fermée et un « quartier confiance » . Un bureau des surveillants référents (cinq à sept surveillants) est placé au rez-de-chaussée, à l’entrée du « quartier confiance », et l’accès aux bâtiments se fait par la cour qui est donc traversante. Alors qu’avant ces dits « quartiers confiance » n’était pas inscrit au programme lors de la conception, nous pouvions comprendre que l’architecture de ces bâtiments ne diffère pas des bâtiments en gestion classique, mais aujourd’hui, comment expliquer le fait que le cahier des charges ne laisse pas la place à une architecture innovante, plus propice aux liens entre les individus et moins au service d’une sécurité passive ? « Architecturalement, on ne remet pas les choses à plat. La seule grande différence c’est ce verrou de confort sur la porte que le surveillant ouvre le matin et referme le soir, avec une serrure lambda. Et après toutes les portes et serrures électriques de l’unité socio-éducative

Schéma fonctionnel d’un quartier courant d’hommes [PORTES FERMÉES]

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Unité d’hébergeme Rangement chariot repas sas

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Cour de promenade

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Accès au quartier Entité fonctionnelle

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Espace dédié Zone ou espace réservé à un usage particulier

sont ouvertes la journée ou alors il y a un système de badges selon la configuration de l’établissement. C’est un fonctionnement fermé dégradé la journée, ce n’est pas une architecture pensée pour ce régime « confiance » parce qu’il a toujours ce couperet de ‘’ah ça sera toujours réversible’’ Si l’architecture était différente, elle ne rappellerait pas ce couperet aux personnes détenues, elle ne leur transmettrait pas ce message de ‘‘attention, les serrures pourraient être de nouveau toutes fermées si tu n’as pas le comportement attendu’’ » [C. Darbeda]. D’un autre côté, nous pourrions aussi voir dans cette architecture indifférenciée quel que soit le régime de gestion mis en place, une capacité de résilience : de système ouvert à un système fermé ou inversement, ces bâtiments ont la capacité, en quelque sorte, de permettre le développement de différents modes de gestion sans en contraindre un plus que l’autre. Pour le concours des Baumettes III que l’agence de Christophe


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Schéma fonctionnel d’un quartier courant d’hommes [PORTES OUVERTES]

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Unité d’hébergement

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Rangement chariot repas

Cour de promenade

Cellules (40 places)

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Cellules (40 places)

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Bureau surveillant sanit.

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Locaux entretien

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Locaux communs de l’unité

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Cellules (40 places)

Espace de distribution point

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Espace de vie office

Déchets

Bureau surveillant sanit.

Unité d’hébergement

Sanitaires détenus

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Rangement

Fouille Espace coiffure

Local cantine vestiaire

Sanitaires personnel

Attente audience

sanit. Bureau officier

point phone

Bibliothèque annexe

Bureau audience

Bureau adjoints

Salle de musculation

Hall

Attentes

sas

Sanitaires détenus

Espace de distribution

Déchets Plateau d’activités

Surveillance et locaux communs sanit.

éducatifs du quartier

Rangement

Espace coiffure

Local cantine vestiaire

point phone Sanitaires personnel

PIC sas

Espaces socio-éducatifs du quartier

Accès au quartier Contiguité entre locaux Relation de communication directe d’un local avec un autre Espace de distribution Espace desservant différents locaux ou entités (hall, couloir, selon conception architecturale)

Entité fonctionnelle

Liaison visuelle

Local

Liaison directe

Espace extérieur Réservé au personnel Accès d’intervention

Espace dédié Zone ou espace réservé à un usage particulier

Contiguité entre locaux Relation de communication directe d’un local avec un autre Espace de distribution Espace desservant différents locaux ou entités (hall, couloir, selon conception architecturale)

Darbeda vient de rendre, le « quartier confiance » était bien inscrit au programme, mais son cahier des charges était tel qu’une architecture différente ne pouvait être développée, faisant ressortir une volonté de la part de la maîtrise d’ouvrage et de l’administration pénitentiaire de réversibilité : « il y a juste une salle commune en plus pour que les détenus puissent prendre leurs repas en commun. La position de la cour varie légèrement aussi. Mais ça reste des curseurs très faibles je trouve. Et après, tu es vite pris par l’économie globale du projet, tu aurais envie de faire des choses différentes, du mono-orienté, des couloirs un petit peu plus larges, un petit peu plus agréables, des revêtements plus qualitatifs… Mais tu es pris par cette économie globale » [C. Darbeda].

barreaux ni de caillebotis aux fenêtres et du stratifié au sol dans les coursives et les chambres (d’habitude, les sols usuellement mis en place sont en résine ou carrelage). C’est la première fois que Christophe Darbeda entend parler d’une telle avancée, dont il a eu connaissance par le biais d’une amie et consœur, chargée du projet dans cette agence. Des avancées notamment permises par une maîtrise d’ouvrage, qui face à une prise de conscience des coûts financiers de la récidive et du coût social de la prison, cherche à se projeter dans une nouvelle temporalité, celle du long terme, de la réinsertion en engageant une réflexion de fond sur le renouvellement des parcours de détention, faisant ainsi évoluer les programmes.

Cependant, des exemples plus prometteurs voient le jour. L’agence SCAU, en charge du projet de Lutterbach qui comprend également un « quartier confiance » a réussi à développer de nouvelles avancées : pas de

Cette distinction des régimes de détention s’illustre également par la création des « SAS », autrement dit les Structures d’Accompagnement à la Sortie, destinées aux personnes détenues en fin de peine.

Ci-contre (gauche) : Schéma fonctionnel d’un quartier courant hommes (portes fermées) - APIJ, Nouveau programme immobilier pénitentiaire - Guide de programmation 2012, p.150 / D’après : F. Habouzit, Construire la peine dans les murs. Architecture et spatialité des nouvelles prisons, 2018. p. 116. Ci-contre (droite) : Schéma fonctionnel d’un quartier courant hommes (portes ouvertes) - APIJ, Nouveau programme immobilier pénitentiaire - Guide de programmation 2012, p.150 / D’après : F. Habouzit, Construire la peine dans les murs. Architecture et spatialité des nouvelles prisons, 2018. p. 115.


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PARTIE 02 L’ARCHITECTURE PÉNITENTIAIRE, UN EXERCICE QUI NÉCESSITE DE LIRE ENTRE LES LIGNES Chapitre 3 Entre innovations, concepts expérimentaux et retours en arrière

L’agence WTF/A a récemment répondu à un concours pour deux Structures d’Accompagnement à la Sortie (SAS), celle d’Osny et celle de Meaux-Chauconin. Il s’agit d’un nouveau type de programme pénitentiaire, que Christophe Darbeda considère quelque peu comme un « coup de communication ». Ce type de programme existe déjà, alors intégré à des ensembles pénitentiaires comme un bâtiment à part ou faisant l’objet d’une reconversion de bâtiment. Aux Baumettes, à Marseille, par exemple, le Quartier de Préparation à la Sortie (QPS) est ainsi devenu une Structure d’Accompagnement à la Sortie (SAS). Ces SAS, déjà en fonction, ne présentent donc pas d’approche architecturale particulière puisque ces bâtiments, au moment de leur conception, n’avaient pas cette vocation programmatique. Les SAS, dernièrement lancées en concours et remportées sont actuellement en phase d’études et certains chantiers devraient bientôt démarrer. Christophe Darbeda témoigne positivement de cette nouvelle expérience : « on avait l’impression de ne pas faire une prison ». Pour lui, ce type de cahier des charges laisse entrevoir un vrai potentiel en termes de richesses architecturales avec des enjeux de perceptions depuis l’extérieur plus importants, la possibilité d’innover au niveau des clôtures, ou encore la possibilité de jouer avec la disposition des éléments programmatiques en interface entre l’intérieur et l’extérieur. À la lecture du programme, Christophe Darbeda relève d’ailleurs un changement dans le vocabulaire utilisé qui illustre ce sentiment d’innovation : « Il n’y avait pas de barreaux aux fenêtres sur les cellules, qui d’ailleurs s’appellent « chambres » dans le programme. Donc même d’un point de vue terminologique, il y avait des évolutions qui laissaient penser que ce n’était pas vraiment une prison ». Pour l’architecte, l’écriture de ce cahier des charges montre une volonté d’accompagnement de la personne détenue, en fin de peine, vers la sortie : « Je pense qu’il y a un rapport privilégié, une proximité entre les entités (pôle emploi, service d’insertion et de probation, associations…), une facilité de mouvements à l’intérieur du bâtiment pour les détenus, pour les intervenants extérieurs. Une facilité qui doit accompagner la personne détenue vers la réinsertion. Ça je pense que c’est une très bonne chose ».

Avec un petit peu de recul sur ces deux concours, Christophe Darbeda admet tout de même que ce cahier des charges était finalement peut-être trop optimiste par rapport aux changements que la maîtrise d’ouvrage et l’administration pénitentiaire sont prêtes à opérer : « Pendant les échanges, on sentait que l’administration pénitentiaire avait quand même la volonté qu’il s’agisse bien d’une prison, mine de rien. On sentait qu’ils étaient finalement rattrapés par leurs automatismes : [...] la prison, ça reste une prison, avec des barreaux, des sas de sécurité, etc. ». Concernant l’architecture de ces Structures d’Accompagnement à la Sortie (SAS), les architectures proposées sont très hétéroclites : « pour ces SAS, même l’APIJ (Agence Publique pour l’Immobilier de la Justice) et l’AP (Administration Pénitentiaire) ne savent pas trop ce qu’ils veulent, donc en réponse aux concours, on a le droit des projets compacts, soit des projets hyper étendus. Je pense qu’ils sont en phase expérimentale, et que même eux ne savent pas vraiment ce qu’ils veulent ou attendent. Ce sont des projets d’ailleurs mal estimés, dont très peu des réponses aux concours sont rendues dans le prix demandé. Nous on explosait le prix. Donc forcément l’aspect économique joue sur notre manière d’aborder le plan masse ».


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Exemple 3 - La mise aux normes en termes d’hygiène Une des grandes problématiques qui guide la conception et de salubrité, l’exemple du caillebotis et la construction des établissements pénitentiaires des

« Les fermetures des prisons Saint-Paul et Saint‑Joseph et de celle de Montluc conduisent à la maison d’arrêt de Corbas et à l’établissement pour mineurs de Meyzieu. Doit-on s’en féliciter ? […] À quelles ambitions les nouvelles prisons qui leur ont succédé (on n’évoque pas ici les établissements pour mineurs qui répondent à d’autres objectifs) entendent-elles répondre ? Naturellement à une mise aux normes plus acceptables en termes d’hygiène et de salubrité. Le discours officiel ne manque pas d’évoquer l’existence de douches dans les cellules, la distribution d’eau chaude et d’eau froide, le chauffage par le sol, les peintures colorées des coursives, la conception des cuisines, les surfaces d’ateliers… Ces innovations sont contestables et un certain nombre d’entre elles constituent aussi un allègement des contraintes des surveillants (plus de mouvements très contraignants à organiser pour amener chacun à la douche, en principe trois fois par semaine). Même l’hygiène a aussi de lourdes contraintes (les caillebotis aux fenêtres des cellules destinés à faire obstacle aux projections de détritus et au yoyo, qui privent les espaces de vie de luminosité). » - Jean-Marie Delarue, préface des Prisons de Lyon par Bernard Bolze -

différents programmes pénitentiaires depuis 1987 avec notamment les programmes 13 000 et 4000, c’est l’hygiénisme. Le constat d’une forte insalubrité causée notamment par les détritus jetés par les fenêtres des cellules est sans appel, entraînant par exemple la mise en place quasi systématique de caillebotis aux fenêtres. Le caillebotis est cette grille métallique, plus ou moins resserrée et dont les lames présentent des orientations différentes selon les fonctions qu’elles doivent remplir, apposée aux fenêtres des nouvelles prisons françaises, neuves ou rénovées. Sa fonction primaire ? Brigitte Scharff l’explique très bien lors de notre entretien en parlant de la rénovation de la maison d’arrêt de la Santé : « c’est qu’en France on met des caillebotis systématiquement pour éviter le yoyotage ». Le yoyotage, c’est le fait de se faire passer des « choses » d’une cellule à une autre, en faisant un mouvement de balancier avec la-dite « chose » pendue au bout d’un fil. Brigitte Scharff qualifie ce caillebotis de « truc assez horrible à voir de l’extérieur », ce à quoi nous pouvons ajouter qu’en se plaçant du point de vue du quotidien de la personne détenue, cet élément, ajouté aux barreaux des fenêtres,

Ci-dessus : Photographie de yoyotage entre deux personnes détenues dans deux cellules. Source : Nouvelobs Ci-contre : Photographie de ©Grégoire Korganow, faite dans une prison française et extraite d’une série photographique réalisée pour le CGLPL entre 2011 et 2013.


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PARTIE 02 L’ARCHITECTURE PÉNITENTIAIRE, UN EXERCICE QUI NÉCESSITE DE LIRE ENTRE LES LIGNES Chapitre 3 Entre innovations, concepts expérimentaux et retours en arrière

constitue un masque important pour la lumière naturelle, et laisse peu de place à des vues lointaines sur l’extérieur. Dans certains cas, les lames métalliques qui composent le caillebotis sont orientées de manière à limiter la vue entre l’extérieur et l’intérieur de la cellule, notamment lorsque les cellules donnent sur les cours de promenade ou les espaces de circulation. Il s’agit d’un élément ostentatoire rappelant son statut de « gardé » à la personne détenue. Dans le cadre de la rénovation et de l’extension de la prison de la Santé, un travail particulier a été réalisé par les architectes de l’agence Vurpas sur cet élément qu’est le caillebotis. L’objectif principal était de le rendre le moins visible possible en façade, et ainsi espérer une certaine neutralité vis-à-vis de l’intégration urbaine : laisser penser le plus possible, pour les passants et les riverains à une façade de logement et non pas à une façade de prison. Pour ce faire, les caillebotis ont été teints en brun, couleur identique à celle des menuiseries. Ainsi, menuiseries et caillebotis forment, depuis la rue ou depuis les bâtiments d’en face, un ensemble cohérent : « on a la perception de la fenêtre dans son ensemble, sans distinguer le caillebotis, donc ça marche ». Quand est-il depuis l’intérieur ? Brigitte Scharff a eu l’occasion d’installer son bureau dans une cellule pendant le chantier, et pour elle, depuis l’intérieur des cellules, on ne perçoit pas beaucoup ces caillebotis. Un propos qu’il convient de nuancer : subir un caillebotis dans un bureau temporaire de suivi de chantier, duquel on est libre de ses déplacements, ou être au quotidien contraint d’apercevoir l’extérieur qu’à

9. Les anciens établissements pénitentiaires en sont aussi équipés.

Ci-contre : Photographie d’un extrait de façades du quartier bas de la Maison d’Arrêt Paris‑La Santé après la rénovation effectuée par l’agence Vurpas Architectes et AIA Architectes. ©Kyle R. Brooks

travers ces lames de métal, influence considérablement l’expérience vécue. Le caillebotis, dans sa définition même, ne respecte pas les principes énoncés au début de cette deuxième partie : ne pas nuire, préserver un maximum de normalité, ou encore favoriser la santé et le développement personnel. La mise en place quasi systématique de caillebotis, en plus des barreaux, aux fenêtres des cellules dans les nouveaux établissements pénitentiaires français9 est la réponse logistique et spatiale qui est alors déployée. Limitant ainsi l’apparition des rats ou cafards et des échanges entre détenus via le yoyotage, ces caillebotis impactent alors fortement l’apport de lumière naturelle et limitent les vues pour les personnes incarcérées. Au-delà de l’impact physique sur le temps de la détention que représente ce dispositif architectural, cette manière de répondre à la problématique posée entraîne une déresponsabilisation de la personne détenue. Maîtrise d’ouvrage, administration pénitentiaire et architecture œuvrent de manière à anticiper les comportements néfastes à la bonne gestion des lieux, de manière à ne pas leur offrir un cadre dans lequel ils pourraient exister.

Si des solutions alternatives étaient testées et remplissaient les mêmes objectifs que le caillebotis, seraient-elles adoptées ? Et si maîtrise d’ouvrage, administration pénitentiaire et architecture(s) œuvraient pour une responsabilisation des personnes détenues et une prise de conscience de l’impact de leurs gestes ?


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APARTÉ : DYSTOPIE, VERS UNE SOCIÉTÉ DÉRESPONSABILISANTE ? Au cours de mes nombreuses lectures relatives au monde carcéral, j’ai plusieurs fois croisé des discours insistant sur le caractère déresponsabilisant des prisons. Quelle société s’occupe de laver le linge chaque semaine de ses citoyens, de leur préparer le repas matin, midi et soir, de les accompagner dans le moindre de leur déplacement, de leur ouvrir la porte à l’heure où ils peuvent aller prendre l’air ? Aucune. Alors comment une personne détenue, qui se voit livrer matin, midi et soir son repas, pour qui une société privée vient laver son linge, quand ce n’est pas sa famille qui doit le récupérer au parloir pour le faire, qui n’est pas capable de réaliser une carte mentale des lieux parce qu’elle ne se déplace jamais en autonomie, peut-elle arriver à trouver des repères pour se (re)construire une fois à l’extérieur ? Finalement, l’échange avec Brigitte Scharff, architecte associée de l’agence Vurpas à Lyon, ouvre la porte sur une dystopie plausible : celle d’une société où nous serions tout.e.s déresponsabilisé.e.s. Elle me parlait des contraintes et des paradoxes rencontrés lors de la conception d’un établissement pénitentiaire, insistant sur la complexité de ces bâtiments en termes d’usages et pour lesquels « les raisonnements menés sont bien différents d’autres types de programmes dont elle a l’habitude (groupe scolaire, équipement public, logement …) ». En prononçant cette dernière phrase, Brigitte Scharff s’est reprise en me racontant une anecdote que je vous laisse lire dans son intégralité, ne pouvant choisir de meilleurs mots que ceux d’une architecte qui parle de manière spontanée d’une situation qui l’interpelle tant en tant que professionnelle qu’en tant que citoyenne.

« Les prisons ce sont des bâtiments qui sont très complexes en termes d’usages et sur lesquels on ne raisonne pas du tout comme sur d’autres types de programmes. Quoi-que … je suis en train de faire un groupe scolaire, une école maternelle et primaire et y a des sujets où j’ai l’impression de me retrouver en prison. C’est horrible. On est aujourd’hui

dans une société qui déresponsabilise les gens. C’est-à-dire que pour être sûr qu’il n’y ait pas un truc qui soit dégradé ou qui se passe mal, on va, de façon ostentatoire, mettre des choses qui rendent les gens agressifs, mettre en place des grilles, des trucs parce qu’on n’arrive pas à générer de civisme. […] Là sur notre projet d’école que je fais, on me fait rajouter des grilles… On fait un super bâtiment, en bois, avec des plafonds en bois, un système de plancher bois connecté, où tout est apparent, visible et on nous dit il faut nous mettre un rideau roulant au milieu du couloir parce que quand on prête aux associations, il ne faut pas qu’ils puissent aller dans l’école. Ce n’est pas possible enfin. C’est complètement dingue quoi. Et moi ça me… alors ça c’est en tant que plus qu’architecte, en tant que citoyenne, ça me révolte quoi. Qu’on ne sache pas, par la beauté d’un endroit, par ses qualités, générer des comportements et on ne sait pas dire non aux gens aujourd’hui. Je disais à ma chargée d’opération, si l’association elle ne respecte pas les lieux, bah on lui retire les lieux. Et bah non, on ne peut pas lui retirer les accès, mais par contre on fout des trucs horribles, qui vont stresser tout le monde quoi. » Alors, si on pousse la dystopie jusqu’au bout, on pourrait bien imaginer une société, où à la sortie de leur peine, les personnes détenues seraient comme des poissons dans l’eau, non parce que le système de la justice et le milieu carcéral auraient tellement évolué positivement qu’il n’y aurait plus de rupture entre l’intérieur et l’extérieur, mais parce que la société en elle-même serait devenue tellement déresponsabilisante que la rupture entre les deux mondes serait alors presque imperceptible. Alors en tant qu’architecte, continuons à concevoir des lieux qui ont le pouvoir de générer civisme, respect et partage et travaillons plus à la vulgarisation de notre pratique pour montrer tout ce que l’architecture et donc l’architecte est capable de générer de positif chez les individus.

APARTÉ : ANECDOTE SUR LE CHANTIER DE LA PRISON DE LA SANTÉ « En fait, moi pendant le chantier, j’ai eu mon bureau dans une cellule. C’est un chantier en site occupé, et donc assez complexe, et comme on était en centreville avec pas de possibilité de s’installer ailleurs et comme c’était un PPP (le partenariat public-privé (PPP) est un mode de financement par lequel une autorité publique fait appel à des prestataires privés pour financer et gérer un équipement assurant ou contribuant au service public) et qu’il fallait que ça aille vite et tout, il y avait des équipes complètes qui étaient sur le chantier H24. Nous pour les architectes, on était associés avec AIA qui à Paris avait détaché des personnes qui étaient là quasiment à plein temps. Au début on était dans des bungalows de chantier, puis à un moment il fallait qu’on se mette ailleurs. Et en fait, au début, il avait été dit qu’on

occuperait les couloirs, sans trop, parce qu’on n’allait pas s’installer dans les circulations. Puis moi j’ai dit, moi je m’en fous je m’installe dans une cellule. Et puis finalement, tout le monde s’est mis dans une cellule. Bah on travaillait sur le petit bureau quoi. Et, alors évidemment, déjà ce n’était pas contraint, puis on y était que certaines heures de la journée, puis on sortait pour aller manger (rires). À l’époque les restaurants étaient encore ouverts. Donc moi j’ai bossé dans une cellule ancienne et bon… » Brigitte Scharff, architecte associée de l’agence Vurpas, à Lyon, cheffe de projet pour la rénovation et l’extension de la prison de la Santé à Paris.


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PARTIE 02 L’ARCHITECTURE PÉNITENTIAIRE, UN EXERCICE QUI NÉCESSITE DE LIRE ENTRE LES LIGNES Chapitre 3 Entre innovations, concepts expérimentaux et retours en arrière

─ ANALYSER C’EST AUSSI SE NOURRIR DE NOTRE PROPRE RAPPORT AU MONDE

Exemple 1 - La gestion de la lumière, entre intimité et sécurité

Des cinq sens, la vue est un des plus sollicités dans un établissement pénitentiaire : le surveillant use de ce sens pour exercer une grande partie de la mission qui lui est confiée. En parallèle, la personne détenue use de nombreux stratagèmes pour s’en extraire, et espérer quelques moments d’intimité ou de lâcher-prise. Les rapports de force, qui s’exercent entre personnes détenues, ou entre personnes détenues et membres du personnel, utilisent en grande majorité ce sens. Une prison, c’est une sorte de scène de théâtre comme l’illustre si bien Laurent Solini dans l’ouvrage Faire sa peine : faire sa peine, c’est savoir se mettre en scène, et jouer le bon rôle au bon moment. La vue lie donc de très près personnes détenues et personnels pénitentiaires tout en les opposant diamétralement : quand les uns ont besoin d’obscurité pour se reposer ou conserver un semblant d’intimité, les autres ont besoin de lumière pour surveiller.

Pour trois des prisons du programme 4000 : Farlède (83), Liancourt (60) et Chauconin-Neufmontiers (77), les architectes de l’agence Architecture-Studio ont porté une attention particulière à la lumière naturelle et à l’éclairage artificiel. En créant huit états lumineux pour chaque cellule, architectes et éclairagistes œuvrent en faveur d’un rapprochement avec la normalité. Chez vous, dans votre salon, dans votre chambre, dans votre salle de bain ou dans votre cuisine (n’oublions pas qu’une cellule c’est tout ça à la fois), vous avez, dans la grande majorité des cas, au moins deux sources lumineuses différentes, vous permettant ainsi de créer quatre états lumineux différents. Dans les cellules conçues pour les trois établissements cités, la lumière d’ambiance est apportée par un plafonnier encastré omnidirectionnel au centre de la cellule, plafonnier qui intègre également une veilleuse pour les rondes de nuit. Ensuite, des sources lumineuses secondaires sont disposées en applique dans la salle d’eau et sur le plan de travail ou en liseuse en tête de lit selon les configurations des cellules. Ces différentes sources lumineuses sont équipées de manière à diversifier les teintes de lumière : blanche chaude pour l’espace principal, blanche intermédiaire pour la salle d’eau, et blanche froide en applique de plan de travail ou tête de lit.

moduler l’apport de lumière naturelle. Enfin, elle n’est pas seule à pouvoir actionner l’éclairage artificiel, puisque depuis les coursives, à l’extérieur des cellules, les surveillants pénitentiaires commandent le plafonnier en veilleuse pour les rondes et en plein feu pour les états d’urgence. Marqué par son immersion d’une semaine à la prison d’Osny en amont de la conception de ces trois établissements, Alain Bretagnolle souhaitait mettre en place des éclairages permettant de créer des ambiances apaisées, notamment pour le début de la nuit, car selon Au-delà de ces différentes installations, il est surtout lui, « c’est le moment où l’angoisse de l’incarcération est important de noter que la maîtrise de ces différents la plus forte ». éclairages revient à la personne incarcérée qui depuis sa cellule peut moduler l’état lumineux : de la pénombre Travailler sur cette question de l’éclairage était aussi pour au plein feu en passant par des degrés de luminosité lui un moyen de favoriser la cohabitation entre deux intermédiaires. Notons au passage que les fenêtres personnes détenues dans une même cellule avec ce des cellules, pourvues de barreaux et de caillebotis à qu’il avait alors appelé « le confort SNCF » : l’installation l’extérieur, ne sont ni équipées de rideaux ni de volets, de liseuses séparées en tête de lit pour garantir le respect il est donc impossible pour la personne détenue de de l’autre dans ces cellules doublables.


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10. Extrait issu de l’article Innovation en prison, de Jacques-Franck Degioanni, publié le 31 janvier 2003 par le Moniteur. 11. Ibid

En abordant cette thématique de l’éclairage, fortement développée par cette agence dans le cadre de la réalisation de ces trois établissements, nous pouvons nous arrêter sur un autre exemple, celui du mirador et des espaces de surveillance en général dont l’objectif de conception était « voir sans être vu ». L’ensemble des dispositifs lumineux mis en place dans ces espaces est pensé de manière à « préserver la sécurité des surveillants en les rendant invisibles depuis l’extérieur »10 tout en assurant « une parfaite lisibilité de l’environnement extérieur depuis les espaces de surveillance » 11. Alors que concepteurs et maîtrises d’ouvrage y voient là une avancée pour le bien-être au travail du personnel, d’autres alertent sur les impacts néfastes de tels dispositifs. Pour reprendre les mots de Jean-Marie Delarue, dans sa préface de l’ouvrage Prisons de Lyon de Bernard Bolze : « On a construit de nouvelles prisons avec des renforcements très sensibles en matière de sécurité

qui se traduisent, en peu de mots, par la mise à distance entre surveillant et détenus : le paradigme pourrait en être ces vitres sans tain, généralisées pour les postes de surveillance et les portes d’entrée. […] Ces dispositifs entraînent une diminution importante de la sociabilité au sein du personnel, entre personnel et détenus et entre prisonniers. » Cet exemple montre la nécessité de toujours prendre le temps d’analyser ces-dites « innovations » pour réfléchir aux éventuels pas en arrière qu’elles pourraient entraîner dans leur sillage. Il montre également la nécessité de poser des regards pluridisciplinaires sur ces éléments nouveaux, avant qu’ils ne soient dupliqués ou valorisés comme « innovations » ou « éléments modèles », chaque regard ayant la capacité de voir ce pour quoi il est formé. Et c’est ensemble qu’ils auront le pouvoir de comprendre les impacts positifs et négatifs de tels dispositifs, leurs contextes d’applications, leurs potentiels et leurs limites.

Ci-dessus (gauche) : Coupe représentant l’éclairage des façades d’hébergement de nuit, lors d’un état d’urgence, développé dans le cadre de la conception des établissements pénitentiaires du programme 4000. Source : Les Eclairagistes Associés - Dossier remis à l’Agence de Maîtrise d’Ouvrage des Travaux du ministère de la Justice (aujourd’hui remplacé par l’APIJ) en juin 2022 Ci-dessus (centre) : Coupe représentant l’éclairage des façades d’hébergement de nuit, dans un contexte quotidien standard, développé dans le cadre de la conception des établissements pénitentiaires du programme 4000. Source : Ibid Ci-dessus (droite) : Coupe de principe de construction lumière des cellules, développé dans le cadre de la conception des établissements pénitentiaires du programme 4000. Source : Ibid


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PARTIE 02 L’ARCHITECTURE PÉNITENTIAIRE, UN EXERCICE QUI NÉCESSITE DE LIRE ENTRE LES LIGNES Chapitre 3 Entre innovations, concepts expérimentaux et retours en arrière

Exemple 2 - L’isolement

comme solution aux nouveaux maux de nos sociétés

Enfin, il me paraissait important de conclure ce chapitre en parlant du cas particulier des quartiers pour personnes détenues radicalisées (qu’elles soient condamnées pour un acte en lien avec une radicalisation ou qu’elles montrent des signes de radicalisation pendant leur période de détention). Les événements des dernières années, qui ont particulièrement touché des pays développés jusqu’alors relativement préservés, ont poussé les différents gouvernements à durcir leur politique et leur justice pour toutes personnes condamnées pour radicalisation et faits terroristes. On voit donc naître, en France et dans d’autres pays voisins, des quartiers pour personnes détenues radicalisées ou encore des centres d’évaluation de la radicalisation. Les médias et les associations en parlent, les programmes architecturaux de l’Agence Publique pour l’Immobilier de la Justice (APIJ), eux, pas vraiment : « quelque chose qui est complètement d’actualité, c’est la dimension quartier pour personne radicalisée. Tu vois ce qui m’étonne hein, c’est que les programmes n’en parlent pas. Les éléments de programme ne parlent pas de ces quartiers. On sait juste, si tu veux, qu’on doit faire une unité ou un quartier d’isolement, qui peut-être, à notre insu, dans son utilisation future, sera une unité pour personnes radicalisées » [C. Darbeda]. Réouverte au début de l’année 2019 avec une phase de travaux de rénovation et d’extension, la prison de la Santé comptait initialement dans son programme un quartier VIP, comme avant sa rénovation. Finalement, quelques mois après sa réouverture, plus de quartier VIP, mais la mise en place d’un Quartier de Prévention de la Radicalisation (QPR). Avant que ce type de quartier voit le jour, les détenus condamnés pour radicalisation et menaçant de convertir leurs codétenus, allaient à l’isolement. Dans la prison de la Santé, le quartier VIP, qui fonctionnait de manière similaire à un quartier d’isolement, a changé de nom peu après la livraison du chantier, pour accueillir ce type de profil. S’agissant d’un volet plutôt expérimental mené par l’administration pénitentiaire et le ministère de la Justice, il est compliqué d’obtenir des éléments concrets permettant de comprendre les buts et intentions de ces nouveaux quartiers. Nous sommes en droit de nous poser certaines questions : ces nouveaux quartiers de détention, si spécifiques, sont-ils pensés dans un but uniquement sécuritaire et rassurant vis-à-vis des citoyens ? Intègrent‑ils une dimension pédagogique et humaine au service de ces personnes radicalisées en manque de repères ? Comment concevoir une architecture au service d’une volonté institutionnelle lorsque nous ne savons pas dans quel but et pour quels usages nous concevons réellement un lieu ?

Dans tous les cas, les quartiers pour personnes détenues radicalisées ressemblent de très près à des quartiers d’isolement (quand il ne s’agit pas tout simplement d’un quartier d’isolement utilisé comme quartier pour détenus radicalisés). Or la fin du XIXème et la première moitié du XXème siècle ont prouvé que ce mode de détention détériore sévèrement les chances de réinsertion. Pourquoi vouloir donc recommencer à l’identique ?

Chaque année, de nouveaux établissements sont créés dans l’objectif d’augmenter le nombre de places en détention, permettant en même temps de fermer et remplacer ou rénover des établissements considérés comme vétustes, dégradés et inhumains dans les conditions spatiales qu’ils proposent. Pour autant l’architecture des dernières années comparativement aux établissements conçus au début du XXème siècle, nourrit des modes de fonctionnement aseptisés et basés sur des modes de sécurité passive, qui bien que déployés dans des lieux dignes et respectueux des droits humains, entraînent une dégradation des conditions de vie et de travail des personnes qui parcourent ces lieux. Ce constat, Jean-Marie Delarue, ancien Contrôleur général des Lieux de Privation de Liberté en parle dans la préface de l’ouvrage Prisons de Lyon coordonné par Bernard Bolze : « Dans une substitution ainsi opérée entre vieil établissement et nouveau (l’auteur parle ici de la fermeture des prisons de Saint-Paul et Saint-Joseph et de Montluc à Lyon au profit de la création d’un nouvel établissement pénitentiaire à Lyon-Corbas), les observations du contrôle montrent que les jours de congé maladie des personnes ont décuplé (de deux jours à vingt-deux jours par personne et par an). […] La surface accrue des ateliers n’a pas augmenté le nombre de postes de travail qui, déjà insuffisant, a baissé substantiellement. L’isolement des coursives décourage les surveillants de s’y maintenir auprès de dizaines de détenus qu’ils connaissent beaucoup moins bien. Bref, les conséquences des conceptions que l’on a eues depuis vingt-cinq ans de la vie pénitentiaire constituent un coût élevé pour les destinées humaines qui s’y inscrivent. La prison de demain doit être réinventée » Face à ces constats, créer un outil « d’évaluation et d’analyse” des établissements pénitentiaires d’un point de vue architectural permettrait la mise en place d’une base de données communes qui mettrait en relation théorie et pratique, permettant ainsi aux nouveaux concepteurs d’acquérir une culture commune qui nourrirait une avancée globale sur les liens entre architecture et insertion post-peine sans pour autant constituer un modèle à copier ou à adapter.


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Ci-contre : Photographie de ©Grégoire Korganow, faite dans une prison française et extraite d’une série photographique réalisée pour le CGLPL entre 2011 et 2013.


PARTIE 03 Élaboration,

présentation et mise en pratique d’un outil d’analyse au service de l’architecture carcérale et de l’amélioration des conditions de détention et de travail Cette troisième partie présente une description et une mise en application de l’outil d’analyse1 créé dans le cadre de ce travail de recherche. Cet outil d’analyse permet un travail à deux échelles. D’abord, analyser un bâtiment donné, et comprendre si au regard des textes internationaux, l’architecture proposée permet un respect des droits et de la dignité des personnes incarcérées et des travailleurs. Ensuite, répertorier, puis faire ressortir, à travers une dimension comparative, des aspects récurrents et des points divergents en termes d’architecture carcérale et comprendre leur(s) impact(s) sur le respect des droits et de la dignité des personnes incarcérées et des travailleurs. CHAPITRE 1. OUTIL D’ANALYSE : CRÉATION ⤷ (Dé)composition ⤷ Principes d’application(s) CHAPITRE 2. OUTIL D’ANALYSE : MISE EN APPLICATION ⤷ Vue d’ensemble ⤷ Durabilité ⤷ Nature des différents espaces ⤷ Lumières et vues ⤷ Intégration sociale ⤷ Prise en compte d’usagers divers ⤷ Satisfaction des besoins humains ⤷ Protection des personnes ⤷ Privation de liberté ⤷ Appropriation CHAPITRE 3. DE L’ANALYSE À LA COMPARAISON

[Pour chacun des exemples d’application, la partie de la grille d’analyse correspondante est appliquée aux établissements pénitentiaires de Riom, Bourg-en-Bresse et Lyon Coras]

⤷ Exemple d’application n°1 : Choix du site ⤷ Exemple d’application n°2: Nature des différents espaces ⤷ Exemple d’application n°3 : Lumières et vues CHAPITRE 4. ACCOMPAGNER DES COLLECTIFS DÉJÀ FORMÉS ET IDENTIFIÉS DANS UNE RECHERCHE ACTION ? ⤷ Le Comité international de la Croix-Rouge ⤷ Prison Insider ⤷ Rescaled


1. L’intégralité de la grille d’analyse élaborée et présentée dans cette troisième partie est disponible en annexe.

Ci-contre : Photographie de ©Grégoire Korganow, faite dans une prison française et extraite d’une série photographique réalisée pour le CGLPL entre 2011 et 2013.


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PARTIE 03 ÉLABORATION, PRÉSENTATION ET MISE EN PRATIQUE DE L’OUTIL D’ANALYSE

CHAPITRE 1

Outil d’analyse : création

Au fur et à mesure que j’avançais dans ce travail de recherche, toujours avec l’envie de comprendre les liens qui pouvaient s’établir entre architecture et (ré)insertion, je me suis surtout rendu compte que l’architecte qui concevait un établissement pénitentiaire manquait (cruellement) de données tangibles et d’analyse critique (dans le sens constructif du terme) des architectures existantes. Forte de mon expérience professionnelle de neuf mois chez Prison Insider, j’ai réfléchi à la manière d’élaborer un outil qui pourrait tenter de combler une partie de ce manque s’il était développé à « grande » échelle. L’outil en question, c’est cette grille d’analyse des établissements pénitentiaires, que j’ai conçue dans l’objectif de documenter la conception architecturale carcérale. Les deux parties précédentes montrent à quel point l’architecture pénitentiaire est indissociable d’un certain nombre d’autres thématiques liées de près à la détention, qui l’influencent, la modifient, l’impactent. Alors, bien que le but premier de cette grille d’analyse vise à nourrir les connaissances de la maîtrise d’œuvre, un établissement pénitentiaire, si parfait qu’il puisse être en matière d’architecture, ne serait rien sans une politique pertinente, sans les budgets de fonctionnement suffisants, sans les bons comportements…

Comme le rappelle si bien Sara Elizabeth Snell, membre de l’unité des personnes privées de liberté du Comité international de la Croix-Rouge et ancienne directrice pénitentiaire anglaise, lors de notre échange « on pourrait concevoir la prison la plus parfaite, mais si on n’a pas le personnel adéquat, les bonnes politiques, une vision constructive des choses, les bons programmes mis à disposition, l’architecture en elle-même n’ira nulle part ». Cette grille comprend donc des items qui ne semblent pas directement liés à des questions architecturales, mais qui jouent un rôle parfois crucial dans la pertinence des choix de conception. Pour construire cet outil, je me suis appuyée sur l’ensemble des éléments que nous venons de parcourir : une expérience de terrain, des rencontres formelles et informelles et des ouvrages plus ou moins théoriques. Sans aucun doute, c’est le livre dirigé par le Comité international de la Croix-Rouge dont nous avons

parlé précédemment, Architecture des prisons. Principes et méthodologie participative pour une architecture carcérale plus humaine, qui m’a permis de donner une certaine légitimité à ce travail qui était alors déjà bien entamé lorsque j’ai découvert cet ouvrage : il m’a permis de structurer mes questions, de me rendre compte que j’avais omis de parler de certains sujets pourtant indispensables ou qu’au contraire certaines thématiques qui me paraissaient importantes étaient finalement peut-être facultatives, alourdissant le travail. Cet ouvrage a été crucial pour une autre raison : en échangeant avec certains de ses auteurs, Vincent Ballon, Sara Elizabeth Snell, Rich Wener et Joana Cameira, j’ai pu recueillir un regard critique constructif de personnes expertes de la thématique sur mon travail, une véritable richesse dans l’approche de la recherche en tant que telle. Un premier jet de cette grille d’analyse a été terminé dans le courant du mois de juin 2020 avec pour ambition de banaliser le mois de septembre pour l’application de cette grille en effectuant trois immersions consécutives de trois à quatre jours, dans trois établissements pénitentiaires différents : celui de Riom, celui de Lyon-Corbas et celui des Baumettes II. En analysant de la sorte ces trois établissements pénitentiaires, il s’agissait de comprendre quels éléments architecturaux apparaissent comme invariants, et au contraire quels éléments donnent à voir une certaine souplesse. Une fois ce premier degré d’analyse posé, il s’agirait de comprendre, en s’appuyant sur les quatre principes fondamentaux évoqués dans un chapitre précédent, quels impacts positifs et négatifs les éléments invariants de ces architectures carcérales peuvent produire. Et dans un même temps, nous pourrions sortir des éléments variants des « bonnes et mauvaises pratiques ».


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─ (DÉ)COMPOSITION. La grille d’analyse architecturale des établissements pénitentiaires se divise en onze sous-parties thématiques : II Vue d’ensemble II Choix du site II Durabilité II Nature des différents espaces II Lumières & vues II Intégration sociale II Prise en compte d’usagers divers II Satisfaction des besoins humains II Protection des personnes II Privation de liberté II Appropriation.

Ensuite chacune des sous-catégories suivantes a pour objectif de répondre à une ou plusieurs problématiques thématiques.

II CHOIX DU SITE. Il s’agit d’interroger dans un premier temps la pertinence du site choisi pour la construction de l’établissement : la prison est-elle facile d’accès ? La topographie de la parcelle est-elle adaptée ? La topographie a-t-elle permis des évolutions formelles dans la proposition de la forme et/ou de l’agencement architectural des bâtiments ? La parcelle de projet est-elle sujette à des risques naturels ou technologiques ? Le bâtiment est-il desservi par les réseaux publics ? Le site choisi laisse-t-il la possibilité d’une adaptation future de l’établissement aux besoins ? La présence de l’établissement a-t-elle engendré une plusChacune de ces sous-parties se subdivise en questions value au niveau des emplois et de l’activité économique ouvertes et fermées selon les besoins. à l’échelle locale ? La conception des bâtiments intègre-t— Exemple de question fermée : l’ensemble des elle une recherche d’autonomie : production d’électricité personnes détenues a un accès à l’eau potable dans sa solaire ou éolienne, potagers … ? cellule ? oui - non - autre (précisez) : .... — Exemple de question ouverte : précisez la dimension II DURABILITÉ. des pièces désignées (longueur, largeur, superficie) : L’amélioration du cadre de vie des personnes détenues cellule - espace de circulation - cour de promenade - ... et du personnel passe également par la prise en compte d’une conception durable. La troisième sous-catégorie questionne donc cet aspect-là du projet analysé : la II VUE D’ENSEMBLE. conception du bâtiment prend-elle en compte les Concernant la « Vue d’ensemble », il s’agit de comprendre caractéristiques du site environnant ? Son orientation, dans quelle situation géographique l’établissement sa forme, sa répartition des espaces, la disposition des analysé est implanté, en zone urbaine, en périphérie, fenêtres prennent-elles en compte le climat local tel que en zone rurale et de décrire brièvement les différents les vents dominants ou l’ensoleillement ? Les matériaux moyens d’y accéder pour les personnes extérieures mis en œuvre sont-ils respectueux des usagers ? Sontà la détention, de donner la superficie globale de la ils locaux ? Permettent-ils de garantir la durabilité dans parcelle et celle des espaces construits. Cette première le temps des bâtiments ? Des éléments sont-ils mis sous‑catégorie thématique permet également de en œuvre pour réduire les bruits ambiants (ventilation poser une vue d’ensemble sur la décomposition naturelle, isolation acoustique…) ? Des énergies programmatique de l’établissement : nombre de renouvelables sont-elles intégrées au projet ? Il est places effectives, nombre de cellules, taux d’occupation, important de garder en tête qu’en utilisant l’étiquette du descriptions des différents quartiers qui composent développement durable, l’architecte peut introduire des l’établissement (quartier d’évaluation, quartier arrivant, changements positifs. quartier d’isolement, quartier disciplinaire, quartier de semi-liberté, maison d’arrêt, centre de détention …), description des programmes partagés (sports, espaces II NATURE DES DIFFÉRENTS ESPACES. de rencontre avec l’extérieur, espace de formation, lieux Après la pertinence du site choisi et le caractère durable culturels, lieux de cultes…), s’il s’agit d’un établissement ou non du projet, il s’agit de questionner la nature des qui accueille des personnes détenues de sexe masculin différents espaces : après une description brève de et/ou féminin, des personnes transgenres, des adultes l’architecture globale du projet, la grille d’analyse cherche et/ou des mineurs. à mettre en exergue les relations qu’entretiennent les Cette première partie du questionnaire permet différents espaces entre eux, leur emplacement vis‑à‑vis également de comprendre le contexte de de l’enceinte de détention et vis-à-vis de l’extérieur. Il fonctionnement de l’établissement en précisant la s’agit ensuite de qualifier ces différents espaces pour en composition de l’équipe d’insertion et de probation, la apprécier leur(s) qualité(s) : dimensions des différents description du personnel soignant présent sur place, espaces, hauteur sous plafond, ratios de surface, la description des autres professions présentes dans disposition dans l’espace, état d’entretien, matériaux mis l’établissement (enseignants, formateurs, éducateurs, en œuvre, usage de la couleur, place de la végétation, moniteurs de sport, coiffeurs, représentants cultuels …), et nature des dispositifs de surveillance implantés dans le budget de fonctionnement annuel … chacun de ces espaces.


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PARTIE 03 ÉLABORATION, PRÉSENTATION ET MISE EN PRATIQUE DE L’OUTIL D’ANALYSE Chapitre 1 Outil d’analyse : création

II LUMIÈRES & VUES. Dans la continuité de ces problématiques, la sous‑thématique suivante vise à répondre aux enjeux de lumière(s) et de vue(s) en s’intéressant notamment à la présence de fenêtres dans les différents lieux de la détention, leur nombre, leurs caractéristiques physiques. Il s’agit également de questionner la présence et la nature des occultations, qu’elles soient désirables (stores et volets dans un souci d’intimité et de qualité de sommeil) ou indésirables (barreaux aux fenêtres ou caillebotis), ainsi que la présence et la nature des différents éclairages artificiels. Cette sous-partie est également l’occasion de mesurer le degré d’autonomie et donc de normalité des espaces de la détention : la personne détenue a-t-elle la possibilité d’ouvrir la fenêtre de sa cellule, a-t-elle la possibilité de gérer seule l’éclairage artificiel, les surveillants pénitentiaires peuvent-ils gérer l’éclairage artificiel des cellules ... ? Enfin, il est également question dans cette partie d’interroger les vues offertes depuis les fenêtres des cellules, des espaces de travail, des parloirs, des espaces d’apprentissage, des bureaux des surveillants, … II INTÉGRATION SOCIALE. La sixième sous-catégorie de cet outil s’inscrit, elle aussi, dans une recherche de critères pouvant attester d’une préservation d’un maximum de normalité, d’une bienveillance au niveau de la santé et du développement personnel des personnes détenues et du personnel pénitentiaire et enfin du maintien des liens avec la société, trois des quatre piliers fondamentaux qui ont guidé la conception de cette grille d’analyse. Elle invite donc à décrire les différents locaux d’activités conçus pour les personnes détenues : locaux professionnels, locaux de formations et d’apprentissage, locaux de loisirs, médiathèque et bibliothèque, espaces destinés à la pratique du sport … À travers cette sous-catégorie il s’agit également de spécifier l’architecture : la conception architecturale de l’établissement fait-elle écho à l’architecture domestique extérieure ? À l’architecture institutionnelle extérieure ? Permet-elle le déroulement d’un mode de vie culturel similaire à celui présent à l’extérieur ? L’architecture de l’établissement permet-elle le prolongement ou l’apprentissage d’un mode de vie qui pourra se pérenniser à la sortie (langages spatiaux) ? La situation géographique de l’établissement permet-elle à la personne détenue de se rendre seule à des entretiens, à des rendez-vous ? Permet-elle à la personne détenue de trouver un travail à l’extérieur (notamment pour les centres de semi-liberté) ?

Inversement, cette sous-catégorie est aussi l’occasion d’interroger les apports qui peuvent être amenés à la société extérieure par la présence d’un tel établissement : le travail des personnes détenues permet-il de répondre à des besoins locaux (agriculture, recyclage, réparation, service d’entretien …) ? Certains équipements de l’établissement permettent-ils de

répondre à des besoins locaux ? Ces équipements sont‑ils partagés entre personnes extérieures et personnes détenues ? Quel rôle jouent-ils au niveau de la conception du plan masse de l’établissement ? Dans le cadre d’une recherche de critères attestant du maintien des liens avec la société, cette sous‑catégorie pose également la question de l’apparence architecturale de l’établissement au service d’une non-stigmatisation des personnes détenues et du personnel : l’architecture encourage-t-elle la venue de visiteurs extérieurs ?

Des dispositifs architecturaux et spatiaux sont-ils mis en œuvre pour favoriser le bien-être des personnes extérieures ? L’établissement comprend-il des espaces suffisants pour accueillir des visiteurs extérieurs, au regard du nombre de personnes détenues ? Ces espaces sont-ils suffisamment bien équipés (toilettes, nourriture, boissons, protections contre les intempéries, contre les fortes chaleurs, dispositifs permettant l’intimité


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familiale…) ? L’éclairage et les matériaux mis en œuvre pour la société entraînées par l’exécution d’une peine contribuent-ils à créer une atmosphère la plus proche au sein d’un établissement pénitentiaire. En plaçant possible de la normalité ? l’énergie dans le développement d’une intégration sociale, il s’agit d’éviter que le problème se crée, et Les prisons doivent être conçues de manière à favoriser donc de ne plus avoir à gérer une conséquence. Dans et soutenir la capacité des personnes incarcérées de le même temps, une certaine partie de la population conserver ou créer des relations significatives avec la carcérale n’étant même pas intégrée à la société société tout au long de la détention. Cette approche avant leur incarcération, en développant un principe met l’accent sur l’intégration plutôt que sur la (ré) d’intégration sociale, cela permet à ces personnes de insertion : les personnes détenues ne sont alors pas tisser un lien pas à pas avec cette société dont elles se coupées de la société pendant leur peine, comme c’est sentent rejetées : leur passage en détention serait alors le cas actuellement, elles restent connectées à celle-ci constructif, représentant un véritable apprentissage tout au long de leur privation de liberté par des biais en vue de leur libération. Pour les autres, il s’agirait différents et complémentaires. simplement de consolider voire d’augmenter les liens Lorsque nous parlons de réinsertion, nous traitons un qu’ils entretiennent déjà avec la société, liens qui sont problème créé de toute pièce par l’institution carcérale. aujourd’hui rompus systématiquement par le passage Nous cherchons donc à trouver une solution aux en prison et qu’il convient alors de reconstruire à la sortie conséquences désastreuses tant pour l’individu que (la fameuse réinsertion).

Ci-dessus. Photographie des accès parloirs du Centre Pénitentiaire de Bourg-en-Bresse. © Bernard Bolze


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PARTIE 03 ÉLABORATION, PRÉSENTATION ET MISE EN PRATIQUE DE L’OUTIL D’ANALYSE Chapitre 1 Outil d’analyse : création

La société est également gagnante puisqu’en mettant en place ce concept, les personnes détenues sortant de prison ne représentent que très peu de risque de récidive, ayant pu mettre à contribution leur temps de peine. « La bonne intégration des personnes détenues au sein de la société requiert de soutenir par toutes les manières possibles une gamme étendue de connexions utiles entre la prison et la société et de favoriser une variété d’interactions positives entre les personnes détenues et la société dès le début de leur détention et jusqu’au jour de leur remise en liberté. » 1 Et cela peut aussi passer par la programmation et la conception des lieux, au cœur desquels l’architecte a tout son rôle à jouer.

1. Extrait de l’ouvrage Architecture des prisons / Principes et méthodologie participative pour une architecture carcérale plus humaine, dirigé par l’unité des personnes privées de liberté du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et publié en décembre 2019 (page 136)

des personnes privées de liberté, de nombreuses différences ressortent également : l’âge, le sexe, la nationalité, l’origine ethnique, l’orientation ou l’identité sexuelle, l’éducation, le statut socio-économique, la langue, la culture, les croyances religieuses ou les convictions politiques, l’état de santé mentale, l’état de santé physique, la dépendance à certaines substances, les capacités physiques, l’éloignement de la famille et des proches. Certaines de ces caractéristiques peuvent être identifiées pour permettre la création de groupe de personnes détenues et ainsi amoindrir les différences pour concevoir une architecture la plus proche possible de ces usagers, mais même au sein d’une catégorie de personnes détenues regroupées par exemple en fonction de leur sexe, leur âge et la durée de leur peine, on trouvera toujours des individus profondément différents, avec II PRISE EN COMPTE D’USAGERS DIVERS divers besoins particuliers qui doivent être satisfaits, au Afin de répondre au premier principe fondamental moyen de procédures et de programmes, mais aussi énuméré plus haut, la septième sous-catégorie d’éléments architecturaux spécifiques. interroge la prise en compte d’usagers divers : lorsque Une fois encore, ce point illustre l’importance, au l’établissement accueille des femmes détenues, la cours du processus de conception et de réalisation d’un lieu de détention, de laisser une place suffisante programmation est-elle pensée en adéquation (espace à l’appropriation et à l’évolution future des lieux, un de gynécologie, cellule mère-enfant, crèche…), élément sur lequel nous reviendrons dans la dernière l’établissement est-il adapté pour accueillir des personnes partie de ce questionnaire. à mobilité réduite, sourdes ou malentendantes, aveugles ou malvoyantes ? L’établissement possède-t-il II SATISFACTION DES BESOINS HUMAINS. un lieu de culte sobre pouvant accueillir des cérémonies La huitième sous-catégorie de ce questionnaire propres à chacune des confessions en présence ? La interroge de manière très terre à terre les conséquences programmation des lieux permet-elle une distinction de la privation de liberté : privés de leur liberté, les entre les lieux de vie des personnes condamnées et des détenus dépendent des autorités pénitentiaires pour prévenus ? … En tant qu’architecte, lorsque nous concevons un lieu, satisfaire leurs besoins les plus fondamentaux : boire et un bâtiment, nous sommes attentifs à son ou ses se nourrir, vivre dans un environnement salubre, dormir, futurs usagers et leurs besoins pour que la réponse avoir un espace privé et personnel, faire de l’exercice architecturale soit cohérente, leur corresponde tout en physique, avoir accès à des installations sanitaires pour laissant un certain degré d’appropriation nécessaire l’hygiène personnelle, recevoir des soins de santé ou à la longévité des lieux. Et lorsqu’un architecte conçoit une prison, il doit prendre en compte une encore entretenir des relations sociales et avoir des multitude d’usagers aux besoins différents et parfois activités enrichissantes. Cette sous-thématique a donc diamétralement opposés. pour objectif d’analyser les apports de l’architecture La prison sera à la fois le lieu de vie des personnes dans la satisfaction de ces besoins humains, tout en détenues, et à la fois un lieu de travail pour l’ensemble cherchant, en parallèle, à comprendre comment la du personnel. Et si nous nous préoccupons « seulement » gestion des lieux se met au service (ou non) de ce


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devoir : les personnes détenues ont-elles accès à l’eau potable dans leur cellule ? Idem pour le personnel pénitentiaire dans leurs bureaux ? La programmation intègre-t-elle une cuisine centrale permettant de fournir les trois repas quotidiens aux personnes détenues ? La conception des cellules permet-elle aux personnes détenues de se préparer leurs propres repas dans des conditions dignes et respectueuses ? La conception des cellules permet-elle le respect de l’intimité des personnes détenues ? La conception de l’établissement intègre-t-elle un ou plusieurs espaces de vie conjugale à destination des personnes détenues ? Les personnes détenues bénéficient-elles d’infrastructures sportives au sein de leur bâtiment de détention ? Peuvent-elles y avoir accès librement ? Le personnel bénéficie-t-il d’infrastructures sportives ? Les personnes détenues ont-elles accès à un espace extérieur quotidiennement

? Est-il végétalisé, équipé ? La programmation et la conception des bâtiments de détention intègrent-elles des espaces de buanderie permettant aux personnes détenues de gérer seules leur linge sans faire appel à leur famille ? L’établissement pénitentiaire dispose-t-il d’une unité sanitaire ? Si oui, décrire sa programmation, son architecture et sa logique de fonctionnement en termes d’accessibilité pour les personnes détenues. II PROTECTION DES PERSONNES & PRIVATION DE LIBERTÉ. Les deux sous-catégories suivantes interrogent tour à tour la protection des personnes, qu’elles soient détenues ou membres du personnel, ainsi que la privation de liberté en elle-même. Nous entendons par protection, dans le contexte de la détention, la préservation de l’intégrité physique et mentale des personnes à l’intérieur d’un

Ci-dessus : Photographie de ©Grégoire Korganow, faite dans une prison française et extraite d’une série photographique réalisée pour le CGLPL entre 2011 et 2013. Ci-contre : Ibid


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PARTIE 03 ÉLABORATION, PRÉSENTATION ET MISE EN PRATIQUE DE L’OUTIL D’ANALYSE Chapitre 1 Outil d’analyse : création

lieu de détention. Protéger signifie s’abstenir de toute action dommageable et prendre toutes les mesures possibles pour préserver les personnes des mauvais traitements, des agressions, des maladies, du stress et d’autres atteintes qu’il est possible de prévenir. En termes architecturaux cela veut par exemple dire que la conception architecturale des lieux exclut tout angle mort dans les espaces de la détention, susceptible de permettre des incidents pouvant aller jusqu’au décès.

À ce propos, l’ouvrage Architecture des prisons. Principes et méthodologie participative pour une architecture carcérale plus humaine rappelle que : « La meilleure manière d’assurer la protection du personnel consiste à créer un cadre dans lequel les personnes détenues se sentent protégées et en sécurité. Pour ce faire, il faut commencer par satisfaire les besoins fondamentaux des personnes détenues. » 2 Dans cette sous-catégorie il s’agit donc d’analyser l’architecture des bâtiments de détention afin de comprendre, par exemple, si la conception architecturale des lieux permet une supervision directe, si l’établissement comporte des espaces que nous pouvons qualifier de « temps mort » permettant à une personne détenue de retrouver son calme après la confrontation avec une situation tendue pour ainsi éviter la mise à l’isolement pour incident. Une prison bien conçue facilite la supervision directe en favorisant les contacts et les interactions entre les personnes détenues et le personnel, renforçant par la même occasion l’efficacité de son travail. Cette approche permet au personnel d’être au courant des soucis, des craintes et de problèmes des personnes détenues, et d’intervenir avant que d’éventuelles querelles ou altercations dégénèrent en incidents plus graves. À l’inverse et comme évoqué dans un chapitre précédent, des obstacles physiques et l’observation à distance (caméras), qui peuvent exiger moins de personnel, ne favorisent pas le maintien de l’ordre et de la sécurité, car ils réduisent le niveau et la qualité des contacts entre le personnel et les personnes détenues.

2. Extrait de l’ouvrage Architecture des prisons / Principes et méthodologie participative pour une architecture carcérale plus humaine, dirigé par l’unité des personnes privées de liberté du Comité International de la Croix Rouge (CICR) et publié en décembre 2019 (page 189)

Concernant l’application de la privation de liberté, pour en évaluer sa mise en œuvre, l’outil d’analyse nous invite à qualifier la nature des différentes limites présentes au sein de la détention : les différents périmètres d’accessibilité sont-ils clairement définis ? Les personnes détenues connaissent-elles clairement leur périmètre accessible ? Les personnes extérieures comprennent-elles clairement la nature des différentes limites ? L’architecture est-elle au service de la lisibilité de ces limites ? Une architecture bien pensée prévoit des locaux adaptés aux opérations nécessaires pour évaluer, classer et catégoriser les personnes détenues à leur arrivée. Lorsque la classification indique la nécessité de niveaux de sécurité élevés, qui restreignent l’accès des personnes détenues à certains espaces, les décisions en

matière de conception architecturale devraient aller dans le sens d’une visibilité et de contacts aussi constants et continus que possible entre ces personnes détenues et le personnel pénitentiaire, plutôt que de les isoler dans des quartiers de haute sécurité. II APPROPRIATION. Enfin, la dernière sous-catégorie de cette grille d’analyse est consacrée aux marqueurs d’appropriation des lieux par les différents usagers, qu’il s’agisse des personnes détenues ou des membres du personnel. Des modifications sont-elles apparues depuis la livraison du bâtiment dans les cellules, dans les espaces de circulation, dans les espaces partagés entre les personnes détenues, dans les espaces partagés avec des personnes de l’extérieur (parloirs), dans les espaces culturels, cultuels ou encore dans les espaces d’enseignement ? Lorsque des modifications sont remarquées, il s’agit d’essayer de comprendre pourquoi, dans quel but elles ont été opérées. Cette question de l’appropriation, nous en avons beaucoup discuté lors de mon échange avec Sara Elizabeth Snell & Joana Cameira, membres de l’unité des personnes privées de liberté du Comité international de la Croix-Rouge : « je pense que ce qui est vraiment intéressant dans ce qui se passe dans les prisons, c’est de voir ce que les gens ont fait de ces espaces afin de les rendre vivables et ensuite, si possible, d’en tirer des leçons quant à la façon dont vous concevez les choses par la suite. Cette analyse peut même vous permettre de rénover intelligemment des lieux où les choses ont été mal pensées dans le but de finir par les faire fonctionner ».


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─ PRINCIPES D’APPLICATION(S). Comme annoncé en fin d’introduction de ce chapitre, l’objectif était d’appliquer cette grille d’analyse à trois établissements pénitentiaires, celui de Riom, celui de Lyon-Corbas et celui des Baumettes II, à travers des courts séjours en immersion. Cette première phase d’application devait à la fois me permettre de récolter des données tangibles permettant d’alimenter la problématique de ce travail de recherche (l’architecture des établissements pénitentiaires impacte-t-elle le rapport au monde post-peine des personnes incarcérées et donc leur réinsertion ?) et à la fois de mettre à l’épreuve cet outil pour pouvoir poser dessus un regard critique et le faire évoluer. Et puis, arrive septembre 2020, une période marquée par un premier confinement au cœur de l’épidémie de la Covid-19, et avec le pressentiment qu’un second se profile dans les semaines à venir. Les établissements pénitentiaires sont encore hermétiques au monde extérieur, luttant contre une éventuelle propagation de la covid-19 dans les établissements, qui pourrait rapidement prendre des allures de catastrophes étant donné la promiscuité qui régit grand nombre de nos maisons d’arrêt. Depuis la fin du premier confinement qu’a connu la France, les personnes détenues ont à nouveau peu à peu accès aux parloirs, avec des règles sanitaires très strictes, à certaines activités, mais la majeure partie des acteurs extérieurs intervenant en détention n’ont pas l’autorisation d’entrer. Je suis donc contrainte de revoir ma méthode de recherche : comment mettre à l’épreuve mon outil d’analyse sans la possibilité d’effectuer ces immersions. Comment me rendre compte de la pertinence ou non-

pertinence de cet outil sans le mettre à l’épreuve ? En réaction à cette situation, et en me nourrissant des méthodes de travail de Prison Insider, je décide d’exploiter les rapports produits sur les établissements pénitentiaires, notamment ceux du Contrôleur général des Lieux de Privation de Liberté (CGLPL) pour alimenter en données ma grille d’analyse. Contrairement à une immersion, ce travail s’avère très long et relativement fastidieux. De plus, les rapports sont souvent anciens, 2017 pour le rapport le plus récent concernant l’établissement pénitentiaire de Riom, celui de LyonCorbas de 2014 et celui de Bourg-en-Bresse3 de 2013, et ne me permettent pas d’obtenir les réponses à tous les items de la grille. Ayant eu l’opportunité de visiter, en 2018, le centre pénitentiaire de Riom, dont le rapport du CGLPL est le plus récent, je choisis d’appliquer la grille d’analyse à cet établissement en premier lieu. Cela représente alors un travail d’une dizaine de jours effectifs, et je comprends que cette méthode ne me permettra pas de remplir les objectifs que je m’étais initialement fixés : analyser, via cet outil créé de toutes pièces, les trois établissements pénitentiaires de Riom, Lyon-Corbas et Mauzac. Cependant, appliquer cette grille de cette manière-là me permet de me rendre compte de la pertinence de certains items, ou au contraire du côté facultatif de certains autres. Je prends également une nouvelle fois conscience qu’il reste quelques questions fondamentales que j’ai omises. Je fais une dernière fois évoluer ma grille d’analyse vers la version finale que vous trouverez en annexe de ce travail de recherche.

3. Au cours de discussions tardives avec Vincent Ballon, une brèche s’ouvre pour que je puisse faire une courte immersion au centre pénitentiaire de Bourg-en-Bresse à la fin de l’année 2020. À ce moment-là je décide donc de remplacer l’établissement des Baumettes II initialement prévu par celui de Bourg-en-Bresse. Malheureusement, les démarches engagées ne donneront pas de suite.

Ci-dessus : Photographie de ©Grégoire Korganow, faite dans une prison française et extraite d’une série photographique réalisée pour le CGLPL entre 2011 et 2013.


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PARTIE 03 ÉLABORATION, PRÉSENTATION ET MISE EN PRATIQUE DE L’OUTIL D’ANALYSE

CHAPITRE 2

Outil d’analyse : mise en application sur un établissement pénitentiaire, celui de Riom.

Les lignes qui suivent n’ont pas pour objectif de présenter exhaustivement l’ensemble des points mis en exergue par l’application de la grille à l’établissement pénitentiaire de Riom, cela serait long et peu pertinent dans un objectif de restitution d’un travail de recherche. Il s’agit de sélectionner quelques exemples par sous‑catégorie thématique en établissant des parallèles avec les principes fondamentaux énoncés précédemment (ne pas nuire - préserver un maximum de normalité - favoriser la santé et le développement personnel - maintenir les liens avec la société) pour comprendre comment cet outil d’analyse peut permettre une meilleure compréhension de l’implication des dispositifs spatiaux et architecturaux mis en œuvre dans le rapport au monde post-peine des personnes détenues et dans le quotidien du personnel.

1. En maison d’arrêt pour hommes : 364 hommes sont détenus pour 335 cellules et 352 places. Source : OIP 2. Centre de détention : 161 hommes sont détenus pour 156 cellules et 164 places. Source : OIP 3. En maison d’arrêt pour femmes : 24 femmes sont détenues pour 31 cellules et 32 places. Source : OIP 4. En quartier semi-liberté : 12 hommes sont détenus pour 19 cellules et 20 places. Source : OIP 5. Source : Rapport de visite du CGLPL du 3 au13 juillet 2017

─ VUE D’ENSEMBLE Le centre pénitentiaire de Riom est situé en zone rurale à 3km de la gare de Riom. Il n’est desservi que cinq fois par jour par une ligne de bus dont les horaires ne sont pas en adéquation avec les horaires des visites aux parloirs. Il s’agit du seul établissement pénitentiaire du département dont la plus grande ville est Clermont‑Ferrand, située à vingt-quatre minutes en voiture. Aucun commerce ni service n’est présent à proximité de l’établissement. Le travail des façades présente un langage qui se rapproche de celles de logements temporaires de type hôtel. Le mur d’enceinte et le concertina rappellent très rapidement que nous sommes face à un établissement pénitentiaire et non pas un camp de vacances. Isolé de toutes autres zones bâties, le contexte non urbain dans lequel il prend place met l’accent sur une certaine volonté d’isolement par rapport au reste du monde, entraînant de fait un risque de stigmatisation. Au 1er janvier 2021, 3641 hommes sont détenus en maison d’arrêt, 1612 en centre de détention, 123 personnes sont détenues au quartier de semi-liberté, et 244 femmes sont détenues au Quartier Femme Enfant. L’établissement comprend un quartier d’évaluation des arrivants. Aucun

mineur n’est incarcéré dans cette prison. En 20175, 264 agents pénitentiaires sont rattachés et huit conseillers en insertion et probation effectuent l’ensemble du suivi des personnes détenues (soit un conseiller pour soixantetrois personnes détenues). Au niveau programmatique, l’établissement comprend, en dehors de la zone d’enceinte un local d’accueil des familles, les locaux dédiés au personnel (MESS, pôle de formation, médecine de prévention), un quartier de semi-liberté et un parking visiteurs et personnels. Dans la zone d’enceinte, les deux Maisons d’Arrêt pour Hommes (MAH1 & MAH2), le Quartier pour Femmes et Enfants (QFE), le quartier arrivants (QAE), l’unité sanitaire, les ateliers de productions, les locaux de maintien des liens familiaux (parloirs familles, salons familiaux et Unité de Vie familiale -UVF-), le Pôle d’Insertion et de Prévention de la Récidive (PIPR) qui comprend les espaces d’enseignements, les espaces d’activités sportives (deux terrains et un gymnase), une salle multi cultuelle, une salle de spectacle, une salle pour le canal vidéo internet. Dans la zone d’enceinte on retrouve également le


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300 m

Centre pénitentiaire de Riom Quartier d’Isolement (QI) et le Quartier disciplinaire (QD), tous deux destinés uniquement aux hommes. Les cellules d’isolement et les cellules disciplinaires des femmes étant directement situées dans leur bâtiment.

spatialisation programmatique favorise une normalité dans le quotidien du personnel concerné. L’entrée de la prison est située au rez-de-chaussée de ce bâtiment administratif, par la Porte d’Entrée Principale nommée dans le jargon PEP. Une fois cette porte franchie, le Au niveau du plan masse, le bâtiment administratif visiteur pénètre via un sas dans la cour d’honneur, quelle prolonge le mur d’enceinte ; il abrite notamment les étrange appellation. vestiaires du personnel, les bureaux de la direction, des services administratifs, le service d’insertion et de L’établissement pénitentiaire de Riom prend place probation et les bureaux du partenaire privé qui a en sur une parcelle de 16,8 hectares et la surface bâtie charge une partie de la gestion de la détention comme représente environ 30 000 m2 pour 25 000 m3 de les repas ou le ménage. Lors de ma visite en 2018, béton mis en œuvre. Le budget de construction de le chef de détention qui m’accompagne durant ma l’établissement s’élève à 85,1 millions d’euros ; son demi-journée sur place me fait justement remarquer budget annuel de fonctionnement était de 289 450€ que ces services administratifs sont à la fois situés à en 2016, soit à peu près 575€ par personne détenue et l’intérieur des murs d’enceinte tout en précédant le par an. Il a été mis en service en 2016, en remplacement Poste de Centralisation de l’Information (PCI), autrement notamment de l’ancienne maison centrale de Riom qui dit l’endroit contrôlant l’ouverture et la fermeture des accueillait des personnes détenues pour de longues différentes portes des espaces de détention. Ainsi, le peines, la plupart étant condamnées pour des affaires personnel administratif qui n’a pas besoin d’intervenir de mœurs. quotidiennement dans la zone de détention gagne le temps du portique métallique chaque matin. Cette

Ci-dessus : Plan de situation de l’Établissement Pénitentiaire de Riom, réalisé à partir d’une vue open street map


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PARTIE 03 ÉLABORATION, PRÉSENTATION ET MISE EN PRATIQUE DE L’OUTIL D’ANALYSE Chapitre 2 Outil d’analyse : mise en application sur un établissement pénitentiaire, celui de Riom.

─ CHOIX DU SITE L’établissement est implanté sur un terrain plat, au cœur de nombreuses exploitations agricoles. Ce terrain est en zone inondable. Pour limiter les dégâts en cas de crue centennale, le projet est construit sur une plateforme surélevée. Lors du chantier de cet établissement de nombreux jeunes adultes sans qualification, des personnes qualifiées au chômage et des personnes placées sous contrôle judiciaire ont pu travailler. La maîtrise d’ouvrage a veillé à la prise en compte du contexte local lors de la mise en œuvre du chantier en choisissant des PME locales : 36% du montant des travaux leur ont été ainsi versés. En choisissant un site inondable, il est peu probable que l’établissement se trouve un jour au cœur d’un tissu urbain, rendant plus compliqué le maintien des liens avec la société et la préservation d’un maximum de normalité. ─ DURABILITÉ Concernant les critères qui permettent de qualifier la durabilité des différents bâtiments qui composent l’établissement pénitentiaire de Riom, il n’est pas possible de les renseigner avec les documents à disposition. Cette sous-catégorie nécessite de passer du temps sur place pour pouvoir remplir les différents items qui abordent des spécificités comme les orientations des bâtiments et des ouvertures, la prise en compte des caractéristiques locales environnementales comme les vents dominants et l’ensoleillement, le choix d’une mise en œuvre de matériaux non toxiques, de matériaux locaux, le développement d’énergies renouvelables… Nous pouvons néanmoins faire un aparté sur l’insertion de l’établissement dans son environnement : situé au cœur de parcelles agricoles, il s’agit de la seule parcelle construite dans l’environnement proche. L’architecture est relativement neutre, bien qu’arborant des couleurs vives en façade (jaune, orange, vert menthe). L’éloignant d’une possible insertion dans un tissu urbain et donc de liens avec l’extérieur, sa situation géographique permet cependant une certaine résilience : dans un tel contexte, il est aisé d’imaginer que l’établissement pourrait s’agrandir ou être modifiés selon les besoins et les avancées en termes de politique pénale et de régimes de détention.

─ NATURE DES DIFFÉRENTS ESPACES Les trois bâtiments réservés aux hommes (Maison d’Arrêt 1 -MAH1-, la Maison d’Arrêt 2 -MAH2- et Centre de Détention -CD-) présentent une conception architecturale identique, de type R+4, bien qu’accueillant des systèmes de gestion bien différents à l’intérieur. L’accès aux bâtiments se fait par un sas grillagé en face duquel se trouve un portique de détection des masses métalliques. Ensuite, se trouve(nt) la ou les cours de promenade selon les bâtiments : deux pour la MAH2 et une pour les autres. Elles sont bordées par des grillages surmontés de concertina et doublés, par partie, d’un pare-vue en tôle. Pour les deux maisons d’arrêt, les cours sont équipées de manière identique : un panier de basket-ball (un terrain est peint au sol), trois banquettes en béton, un urinoir, un robinet, un cendrier, ainsi qu’un auvent abritant deux points-phone avec abat-son et une table de ping-pong. Aucune installation ne permet de pratiquer des exercices de musculation ou de s’adonner à des jeux de société. Au niveau du centre de détention un sixième de la surface de la cour est équipé d’un toit protecteur pour les intempéries. En termes de loisirs, il y a un terrain de basket-ball, un terrain de pétanque et une table de ping-pong en béton. Contrairement aux cours des autres bâtiments, nous pouvons ici noter la présence de végétation avec une partie engazonnée. Pour les commodités se trouvent un urinoir en bon état d’entretien et de nettoyage, un point d’eau, un cendrier, une poubelle et trois points-phone. Le terrain de football est accessible avec un encadrement trois à quatre fois par semaine et sans encadrement, les vendredi après-midi, samedi et dimanche toute la journée. Enfin, au niveau du quartier de semi-liberté, la cour, accessible sans restriction, est entourée de grillages et non de murs, de sorte que l’impression de confinement est moindre. Le mobilier ne comprend qu’un banc et un panneau de basket-ball ainsi que des ballons. Afin de favoriser le bien-être des personnes détenues et toujours dans un souci de maximiser la sensation de normalité, les espaces végétalisés mériteraient d’être plus amplement développés. Cette absence de pelouse, d’arbres et d’arbustes est très présente dans le ressenti que nous avons en parcourant les lieux.


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Une fois ces différents sas et cours franchis, sur la gauche du rez-de-chaussée (la conception architecturale étant la même pour tous les bâtiments dans l’enceinte de détention) un couloir dessert les bureaux des gradés, quatre salles d’audience, trois locaux de fouille dont un adapté aux PMR et trois salles d’attente dont une adaptée aux PMR. À droite de l’entrée, séparée par une grille, se trouve l’aile socio-éducative (présente dans chacun des bâtiments) qui compte trois pièces de 30 m2 pouvant servir de salle de cours ou de réunion, un bureau d’entretien, une salle de musculation de 50 m2, une bibliothèque de 25 m2 et un salon de coiffure de 9 m2.

ajouré et un système de coursives. Ce dispositif permet de faire entrer de la lumière naturelle à tous les étages. De plus, une ouverture sur l’extérieur est présente à chaque extrémité des espaces de circulation. Le fait de ne pas positionner de cellule au rez-de-chaussée des bâtiments permet d’éviter de placer des personnes détenues à la vue constante des personnes qui sont à l’extérieur, en promenade ou en déplacement. Cela entraîne également une meilleure qualité de vie en termes d’apport de lumière naturelle et de vues sur l’extérieur. Lors de ma visite des lieux en 2018, le chef de la détention m’expliquait que du fait de la situation privilégiée de l’établissement qui accueille moins de personnes détenues que de places disponibles, Les cellules (trente-neuf par niveau) sont situées dans l’ensemble des cellules du R+1 des différents bâtiments les étages ; chacun des niveaux est composé de deux sont utilisées comme « cellule arrivantes » pour les ailes. Entre deux étages la communication visuelle et personnes qui intègrent tout juste le bâtiment. sonore est permise par un système de nef avec plafond

Ci-dessus : Photographie de ©Pascal Aimar du Centre pénitentiaire de Riom. Source : APIJ Ci-contre : Ibid


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PARTIE 03 ÉLABORATION, PRÉSENTATION ET MISE EN PRATIQUE DE L’OUTIL D’ANALYSE Chapitre 2 Outil d’analyse : mise en application sur un établissement pénitentiaire, celui de Riom.

Les détenus ne passent donc pas plus de quinze jours au premier étage, et l’essentiel de leur peine se déroule dans les étages 2, 3 ou 4, leur assurant un meilleur confort de vie. Quant au Quartier de Centre de Détention (QCD), il accueille des personnes qui purgent de longues peines et qui souffrent du changement d’établissement depuis son ouverture en 2016, regrettant le côté familial de l’ancienne prison de Riom. Les cellules du QCD donnent sur la chaîne des puys, offrant aux personnes détenues qui y sont incarcérées, un panorama visuel plus large bien que séquencé par les barreaux des fenêtres. Dans l’analyse de la nature des espaces de la prison de Riom, un point interpelle : qu’il s’agisse de la maison d’arrêt MAH1, MAH2, du centre de détention ou du Quartier Femmes Enfant, la conception architecturale est identique. Or d’une maison d’arrêt à un centre de détention, les régimes de détention appliqués ne doivent pas être les mêmes, souvent plus sévères en maison d’arrêt (personnes en attente de jugement ou condamnées à de courtes peines) qu’en centre de détention (personnes condamnées à de longues peines). De plus, à la prison de Riom, la Maison d’Arrêt n°1, MAH1, est gérée selon le système « respecto », c’est‑à‑dire que les personnes détenues dans ce bâtiment ont les clés de leur cellule et sont libres de leurs mouvements du matin au soir, se rendant seules à leurs activités, pouvant aller relativement librement en promenade ou en salle de musculation, pouvant discuter librement dans les coursives, dans le but de les accompagner dans leur apprentissage de l’autonomie et du respect des règles. Ce n’est pas le cas de la Maison d’Arrêt n°2, MAH2, qui est gérée selon un système classique fermé.

Trois bâtiments au quotidien radicalement différents, présentant une gradation dans la liberté donnée à la personne détenue et dans son apprentissage de l’autonomie, et pourtant trois bâtiments à l’architecture strictement identique.

6. Source : Rapport «La prison face au vieillissement. Expériences individuelles et prise en charge institutionnelle desdétenus «âgés»» de Caroline Touraut, sociologue,post-doctorante à l’INED et Aline Désesquelles, démographe,directrice de recherche à l’INED. Ce rapport a été publié en 2015.

des cellules doubles. Les cellules pour personnes à mobilité réduite ont une surface de 19 m2. Il n’est pas rare de voir des personnes détenues avec des difficultés de mouvement, notamment au niveau des centres de détention qui accueillent des personnes condamnées à de longues peines : 4% de la population pénale incarcérée a 60 ans et plus6, ce qui représente environ 2500 personnes en France actuellement. Ces 8,50 m2 se divisent en une pièce principale et un coin sanitaire. La pièce principale est meublée d’un lit, d’une chaise et d’une structure en bois qui sert de bureau et d’étagères et accueille un coffre de rangement, un téléviseur, une plaque chauffante, un réfrigérateur. Un bloc cuisine est composé d’un lavabo en inox, d’une plaque de métal faisant office de miroir et d’un robinet avec deux boutons-poussoirs. Un tableau en bois permet l’accrochage de photographies et d’affiches au-dessus du lit. Le coin sanitaire est séparé par une paroi et une porte battante. Il est composé d’un WC sans abattant ni cuvette, d’une douche à l’italienne et d’une plaque métallique en guise de miroir. Les cellules doubles sont aménagées selon le même principe, autour de deux lits superposés avec échelle. Dans les cellules disciplinaires la notion de punition se ressent dès l’aménagement : chaque cellule est équipée d’un lit, d’une table et d’un tabouret scellés, d’un monobloc en inox lavabo et cuvette WC à l’anglaise et d’une douche (l’eau chaude n’est allumée que de 7h à 9h30). Elles sont pourvues d’un allume-cigare et d’un bouton d’appel. Nous n’irons pas ici dans le détail de l’architecture et de l’aménagement des espaces d’ateliers où travaillent un certain nombre de détenus pour des entreprises locales et nationales, outre le fait que cet espace pourrait être décrit comme un hangar en béton sans apport de lumière naturelle ni vue sur l’extérieur.

Cet établissement qui, au 1er janvier 2021, connaissait une légère surpopulation, dans certains de ses Concernant le ou les lieux de cultes, la programmation bâtiments, possède des cellules de 8,50 m2 lorsqu’il architecturale imposait un lieu unique multicultuel. Les s’agit de cellules individuelles, et de 13,50 m2 pour murs de cette salle sont peints en rose pâle. Le sol est en


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lino. L’espace possède de hautes et grandes fenêtres. Les photos ne permettent pas de savoir si elles sont ou non barreaudées. En termes de dispositifs sécuritaires, la salle est équipée de caméras de vidéosurveillance et d’une alarme coup de poing. Aucun surveillant n’est présent pendant les cérémonies qui ont lieu dans cet espace. La lecture du rapport de visite du Contrôleur général des Lieux de Privation de Liberté en 2017 nous apprend que lorsque les différents représentants de culte ont besoin de l’espace concomitamment, des salles de cours leur sont mises à disposition. La zone des parloirs familles, fermée sur l’extérieur sans apport de lumière naturelle ni de vue, se décompose en trente-cinq boxes pour les hommes, trois boxes pour les personnes détenues au quartier disciplinaire ou quartier d’isolement, trois boxes pour les personnes détenues dites « sensibles » et devant être protégées du reste de la détention, cinq boxes pour les femmes et un parloir « médiathèque » équipé pour des enfants. Chacun de ces boxes est équipé d’une table, de quatre chaises, d’un interphone, d’une prise murale et d’une alarme coup de poing. Aucune poubelle. Les portes ne pouvant s’ouvrir que de l’extérieur, les personnes souhaitant se rendre aux

toilettes doivent le demander à l’interphone. À travers cette description nous comprenons que cette situation ne tend en aucun cas vers une situation de normalité comme énoncé dans les principes fondamentaux du chapitre précédent. La description terre à terre des lieux, sans analyse poussée, permet déjà de comprendre que l’architecture carcérale de certains lieux a de fait un impact sur la (ré)insertion des personnes détenues (ici l’impact est double, puisque le visiteur est lui aussi directement marqué par ces lieux). Enfin, toujours dans l’idée de questionner ces espaces permettant le maintien des liens familiaux, nous pouvons évoquer la conception architecturale des salons familiaux des Unités de Vie familiale (UVF). Les salons familiaux occupent une surface de 15 m2, divisée entre une pièce principale et un coin sanitaire. La pièce principale est équipée d’un canapé convertible en lit double, une table basse, trois chaises, un tapis, un téléviseur avec lecteur de DVD intégré, un réfrigérateur, un interphone, un plan de travail doté d’une bouilloire, de livres pour enfants et de manuels de prévention contre le VIH. Le coin sanitaire est équipé d’un WC avec lunette, abattant, dévidoir à papier hygiénique et brosse, ainsi que d’un lavabo en faïence sur pied surmonté

Ci-dessus : Photographie de ©Albert Facelly du Centre pénitentiaire de Riom : vue vers le PIC et la zone de parloirs, depuis les bâtiments de détention Source : Libération Ci-contre : Vue d’une cellule ordinaire du Centre Pénitentiaire de Riom Source : News Auvergne


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PARTIE 03 ÉLABORATION, PRÉSENTATION ET MISE EN PRATIQUE DE L’OUTIL D’ANALYSE Chapitre 2 Outil d’analyse : mise en application sur un établissement pénitentiaire, celui de Riom.

d’un miroir et d’une tablette en verre. Le plafond est insonorisé. Des chaises hautes sont disponibles à la demande. Un placard contient une penderie et du matériel de nettoyage (balai, balayette, pelle, seau). Deux préservatifs sont déposés dans le coin sanitaire. La fenêtre ouvrant sur le patio commun est équipée de stores à lamelles orientables, mais le fenestron de la porte ne peut pas être obstrué. Or la surveillance des salons familiaux s’effectue par des rondes dans le patio. Face aux salons familiaux se trouvent quatre UVF : trois appartements de 35 m² de type F2 et un appartement de 53 m² de type F3 aménagé de manière à pouvoir accueillir des PMR. Les trois F2 sont agencés de manière similaire : la porte d’entrée (porte pleine, sans fenestron) amène à une pièce principale de 20 m² composée d’une cuisine ouverte sur un salon. La cuisine contient une table, des chaises, un réfrigérateur, des plaques de cuisson, une hotte, un four, un four à micro-ondes, une cafetière, une bouilloire, un évier, un lave-vaisselle et des placards où sont rangés des accessoires de cuisine. Des chaises hautes peuvent être ajoutées. Le salon est meublé d’un canapé convertible en lit double, de fauteuils, d’un tapis, d’une table basse et d’un téléviseur avec lecteur DVD intégré. Une chambre de 10 m² à lit double est séparée du salon par un couloir dans lequel est encastré un placard contenant une penderie et du matériel de nettoyage (balai, seau, serpillère, balayette, pelle) et le compteur électrique de l’appartement. Un lit pour bébé peut être ajouté. Une salle d’eau est dotée d’un lavabo avec miroir et tablette et d’une douche à l’italienne ; des préservatifs sont à disposition. Un local adjacent contient un WC en faïence à l’anglaise avec lunette, abattant, dévidoir à papier hygiénique et brosse, ainsi qu’un lave-mains. Un patio de 12 m², barreaudé sur sa partie supérieure et doté d’une table de pique-nique et d’une plante en pot, est accessible par la baie vitrée du salon et visible depuis la chambre. L’appartement destiné aux PMR et aux familles avec enfants dispose d’une chambre supplémentaire de 10 m² équipée de deux lits simples, d’une armoire et d’une fenêtre ouvrant sur le patio. Des alarmes coup de poing (une dans la pièce principale et une dans chaque chambre) et un système d’interphonie équipent les UVF. Pour contrôler les UVF, les agents pénitentiaires doivent avertir les occupants de l’appartement par l’interphone quinze minutes au préalable ; ceux-ci doivent se présenter aux fonctionnaires pénitentiaires en tenue décente dans la pièce principale. La présence de ces lieux dans l’établissement pénitentiaire de Riom dénote d’une volonté de reproduire une semblant de normalité pour quelques heures ou jours (jusqu’à 72 heures maximum). Les photos nous ramènent cependant à la réalité, notamment concernant l’espace extérieur. Il est également important de savoir que les personnes extérieures n’ont pas le

droit d’amener des denrées de l’extérieur : la personne détenue doit cantiner au minimum dix jours en amont, de quoi manger, boire ou se divertir le temps de son salon familial ou de son séjour dans l’unité de vie familiale. En ce sens, ce système de gestion mis en place pour des questions de sécurité, éloigne la personne détenue et les personnes qui lui rendent visite d’une certaine normalité.

─ LUMIÈRES ET VUES Une fenêtre barreaudée avec un vantail à la française permet l’aération des cellules et un apport de lumière naturelle. Selon les bâtiments on retrouve également devant les fenêtres des caillebotis nuisant à l’apport de lumière naturelle et à la vue lointaine. Les fenêtres des cellules du Quartier Centre de Détention (QCD) donnent sur la chaîne des puys permettant l’évasion visuelle. Au‑delà des questions de bien-être immédiat que confère une vue lointaine, cette composition spatiale permet tout simplement de préserver la santé des personnes détenues : de nombreuses études montrent l’impact de la détention, et notamment sur les personnes effectuant de longues peines, sur la détérioration de la vue de manière précipitée et exagérée par rapport aux personnes à l’extérieur. Il est primordial que la conception architecturale des lieux de vie des personnes détenues prennent en compte le fait que ces personnes ne quittent jamais l’enceinte de détention, de manière à leur permettre de pouvoir régulièrement laisser aller leur regard au loin afin de préserver leur santé et leur bien-être tant physique que psychique. Sur ce point, le bâtiment destiné au centre de détention est une référence. Aucune fenêtre de cellule n’est équipée de store ou volet permettant d’obstruer la lumière naturelle pour permettre un sommeil de qualité ou permettant de préserver l’intimité des personnes détenues. Concernant l’éclairage artificiel, il est assuré par une lampe murale actionnable depuis le lit et par un plafonnier doté d’une ampoule ordinaire et d’une veilleuse pour les rondes de nuit. La personne détenue peut actionner ce plafonnier depuis l’intérieur et les surveillants depuis l’extérieur de la cellule. La plupart des locaux d’activités (sport, cours, culte…) sont équipés de fenêtres pouvant être ouvertes manuellement pour la bonne aération des pièces.


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Ci-dessus : Photographie de ©Grégoire Korganow, faite dans une prison française et extraite d’une série photographique réalisée pour le CGLPL entre 2011 et 2013. Cette photographie montre les produits cantinés par les personnes détenues, prêts à leur être remis, devant la porte de leur cellule. Ci-contre (bas) : Vue sur d’une des trois Unité de vie familiale du Centre Pénitentiaire de Riom, en levant la tête. Source : Photographie issue du rapport de visite du 3 au 13 juillet 2017 du CGLPL Riom, page 70


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PARTIE 03 ÉLABORATION, PRÉSENTATION ET MISE EN PRATIQUE DE L’OUTIL D’ANALYSE Chapitre 2 Outil d’analyse : mise en application sur un établissement pénitentiaire, celui de Riom.

─ INTÉGRATION SOCIALE L’établissement pénitentiaire de Riom est un établissement classé ERA, c’est-à-dire « Établissement à Réinsertion Active ». La lecture du rapport de visite du Contrôleur général des Lieux de Privation de Liberté de 2017 (CGLP) nous permet de comprendre qu’un certain nombre de décisions de type culturelles ou sportives sont prises en concertation avec les personnes détenues : ainsi au Quartier de centre de détention (QCD) une grande salle a été mise à disposition d’un groupe de musique et une salle informatique est en projet. Pour permettre la mise en place d’un tel mode de gestion, il est nécessaire qu’en amont, la conception architecturale des locaux d’activité intègre une grande souplesse d’usage en proposant des volumes neutres appropriables et modulables. La lecture des différents documents à disposition ne permet pas vraiment d’analyser ce point-là, pour en attester et décrire précisément la spatialité de ces espaces multi-usages, une visite s’impose, intégrant des temps d’échanges avec les différents usagers de ces espaces, aux besoins différents. Au Quartier Femmes Enfant (QFE), les femmes en régime autonome côtoient celles qui sont en régime fermé. Lorsqu’elles ont ce contrat « respecto » avec l’administration pénitentiaire, leur cellule est ouverte de 7h à 11h30 et de 13h à 18h. Les femmes détenues disposent d’une clé de confort et peuvent se réunir jusqu’à trois par cellule ou dans l’une des salles communes de l’étage. Les femmes détenues bénéficient de nombreuses activités dont certaines qui se déroulent directement dans leur bâtiment : couture, esthétique, intervention du planning familial, des activités trop genrées, en décalage avec ce qu’il se passe dans la société à l’extérieur. Il est important de noter que lorsqu’une femme doit être accompagnée en dehors de son bâtiment, pour se rendre au Pôle d’insertion et de prévention de la récidive ou à l’unité sanitaire, l’ensemble des autres mouvements sont bloqués de manière à ce que hommes et femmes détenues ne se croisent pas, même accompagnés d’un surveillant pénitentiaire. Ce système de gestion s’éloigne largement d’une recherche

de normalité dans les interactions sociales, conférant un caractère exceptionnel à la rencontre entre un homme et une femme. Au niveau programmatique, une grande médiathèque commune à tout.e.s se trouve au Pôle d’insertion et de prévention de la récidive. L’auxiliaire bibliothécaire, force de proposition et formé pour son poste, est affecté à plein temps. Mais là encore, le système de gestion des lieux s’éloigne de la normalité hors détention puisque lorsqu’une femme souhaite venir emprunter un livre ou se renseigner, l’auxiliaire homme doit quitter les lieux. C’est une surveillante pénitentiaire qui prend le relais, sans pouvoir offrir le même accompagnement qu’aurait pu avoir l’auxiliaire dont c’est le métier, créant ainsi une inégalité homme-femme. La Maison d’Arrêt n°2 et le Quartier Femmes Enfant possèdent également une bibliothèque au rez-de-chaussée de leur bâtiment. Au niveau de l’intégration de l’établissement dans la société extérieure, certains efforts en termes de gestion et d’initiatives sont notables, mais n’ayant aucun rapport avec l’architecture ou la spatialité des lieux, nous n’en parlerons pas ici (voir l’annexe).

─ PRISE EN COMPTE D’USAGERS DIVERS L’établissement pénitentiaire de Riom accueille des femmes détenues, ce qui n’est pas forcément courant. L’établissement semble adapté à ce public et le Quartier femmes enfant comprend deux cellules mère-enfant et une gynécologue effectue une permanence par mois tout en se rendant disponible sur demande si des sollicitations plus nombreuses ou ponctuelles se manifestent. Cependant, des disparités dans le quotidien se font ressentir : les femmes détenues n’ont que très rarement accès au gymnase ou aux terrains de sport extérieur, leur salle de musculation est nettement moins bien équipée, les activités qui leur sont proposées sont très genrées. Du fait de la volonté dans la gestion de l’établissement de limiter au maximum les interactions


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entre hommes et femmes détenues, l’ensemble des mouvements sont bloqués dès qu’une femme quitte son bâtiment. Ainsi les femmes détenues vivent dans une sorte d’entre-soi : les activités viennent souvent directement à elles au QFE, et ces femmes détenues ne connaissent que très peu le reste des bâtiments de la détention si elles n’ont pas la chance de travailler en tant qu’auxiliaire ou dans l’atelier qui leur ait réservé. Concernant les personnes à mobilité réduite, des cellules adaptées en nombre suffisant sont présentes dans l’ensemble des bâtiments, ainsi que des parloirs adaptés et qu’un salon et une unité de vie familiale. Ces usagers semblent donc relativement bien pris en compte par la conception des lieux. Concernant les différentes religions, la salle de culte est neutre de manière à ce que des offices de différentes confessions puissent prendre place, et l’ensemble des religions pratiquées par les personnes détenues sont représentées par des aumôniers. Aucune information n’a pu être trouvée concernant le respect ou non-respect des régimes alimentaires. Enfin, il n’existe pas d’affectation spécifique (prévenus/ condamnés, par exemple) en fonction des étages, mais la tendance générale est de placer les personnes les plus

âgées et calmes au 4ème étage et les plus turbulentes au 1er. Les noms des occupants sont inscrits sur les portes des cellules. Les personnes prévenues et condamnées peuvent autant être placées en MAH1 qu’en MAH2

─ SATISFACTION DES BESOINS HUMAINS La conception des cellules permet aux personnes détenues de préparer elles-mêmes leur repas si elles ne souhaitent pas manger celui distribué par l’administration pénitentiaire (dans tous les cas trois repas par jour leur sont distribués, il s’agit là d’une obligation pour l’administration pénitentiaire). Seules les cellules du quartier disciplinaire ne le permettent pas. Lors de sa visite en 2017, le Contrôleur général des Lieux de Privation de Liberté fait état d’une conception architecturale bien pensée : la structure est agréable, lumineuse, largement végétalisée et ne semble pas souffrir d’erreurs de conception majeures. Par ailleurs, l’établissement est bien entretenu et propre.

Ci-dessus (gauche) : Vue depuis une cellule du 1er étage de la Maison d’Arrêt pour Hommes n°2 du Centre Pénitentiaire de Riom. Source : Photographie issue du rapport de visite du 3 au 13 juillet 2017 du CGLPL Riom, page 24 Ci-dessus (droite) : Photographie d’une cour de promenade du Quartier disciplinaire (QD) du Centre Pénitentiaire de Riom. Source : Photographie issue du rapport de visite du 3 au 13 juillet 2017 du CGLPL Riom, page 54 Ci-contre : Photographie d’une cellule double du Centre Pénitentiaire de Riom. Source : Photographie issue du rapport de visite du 3 au 13 juillet 2017 du CGLPL Riom, page 22


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Chaque étage de chaque bâtiment (homme pour sûr, femme un doute subsiste) dispose d’une grande buanderie équipée d’un lave-linge et d’un sèche-linge, participant à une certaine normalité dans le quotidien des personnes détenues. Lors de l’arrivée en détention, la personne détenue reçoit un pack comprenant notamment un nécessaire pour l’entretien de sa cellule. Ces kits d’hygiène corporelle et d’entretien des cellules sont renouvelés tous les mois et permettent un bon entretien et une non-dégradation de l’architecture. La conception de salon familiaux et d’Unité de Vie familiale (UVF) permet la poursuite d’une vie conjugale. ─ PROTECTION DES PERSONNES Les rapports analysés n’ont pas permis de savoir si la conception architecturale des lieux de détention permettait une supervision directe des étages. Une visite est nécessaire pour répondre à cette question. Par contre nous pouvons d’ores et déjà statuer sur le fait que l’établissement ne comporte pas d’espace « tempsmort » permettant à une personne détenue de retrouver son calme après une situation tendue et ainsi éviter une sanction disciplinaire ou l’isolement.

─ PRIVATION DE LIBERTÉ L’architecture des espaces de vie des personnes détenues ne diffère pas selon leur « niveau de dangerosité », seul le mode de gestion est différent. La conception et l’équipement des cours de promenade sont légèrement différents selon les bâtiments, notamment entre les maisons d’arrêt et le centre de détention, apportant un meilleur confort aux personnes condamnées à de longues peines. Enfin, la prison de Riom est un établissement à réinsertion active (ERA) et donc à «sécurité adaptée». Dans ce cadre-là, lors de la construction et de la visite du CGLPL en juillet 2017, il n’y avait ni mirador, ni filin anti-hélicoptère.

─ APPROPRIATION Cette dernière sous-catégorie d’items ne peut être renseignée sans être allée sur place pour questionner spécifiquement cette problématique.


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Ci-dessus : Photographie d’un box de parloir ordinaire du Centre Pénitentiaire de Riom. Source : Photographie issue du rapport de visite du 3 au 13 juillet 2017 du CGLPL Riom, page 63 Ci-contre (centre) : Vue sur les parloirs hommes et femmes séparés par un muret du Centre Pénitentiaire de Riom. Source : Photographie issue du rapport de visite du 3 au 13 juillet 2017 du CGLPL Riom, page 64 Ci-contre : Photographie du local d’accueil des familles et de l’espace d’attente du Centre Pénitentiaire de Riom. Source : Photographie issue du rapport de visite du 3 au 13 juillet 2017 du CGLPL Riom, page 60


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PARTIE 03 ÉLABORATION, PRÉSENTATION ET MISE EN PRATIQUE DE L’OUTIL D’ANALYSE

CHAPITRE 3

De l’analyse à la comparaison : les potentiels de l’outil d’analyse appliqué à une plus grande échelle

Comme énoncé plusieurs fois au cours de ce travail de recherche, l’épidémie de la Covid-19 ne m’a pas permis d’appliquer cet outil d’analyse comme envisagé en réalisant des immersions de deux à quatre jours dans au moins trois établissements pénitentiaires de France. Appliquer cette matrice en décortiquant des rapports et des articles de presse est faisable, mais long et fastidieux et le temps dont je disposais ne me permettait pas de l’appliquer à plus d’un établissement. Après avoir effectué le test complet avec la prison de Riom, et pour tenter d’illustrer ce que l’application de cet outil d’analyse pourrait permettre de comprendre à propos de l’architecture pénitentiaire en général, j’ai décidé de sélectionner trois items de cette matrice à appliquer à deux autres établissements relativement récents : Bourg‑en-Bresse et Lyon-Corbas. Les trois items sélectionnés sont les suivants : II Choix du site : décrire la situation géographique de l’établissement pénitentiaire. II Nature des différents espaces : décrire l’organisation spatiale et l’architecture des différents bâtiments selon les régimes de détention auxquels ils sont affiliés. II Lumière et vues : décrire la vue à travers la fenêtre (paysage, vis-à-vis, murs d’enceinte ou de bâtiments).

─ CHOIX DU SITE : SITUATION GÉOGRAPHIQUE

Établissement Pénitentiaire de Riom.

La situation géographique de la prison de Riom est relativement détaillée précédemment. Voici un résumé en quelques lignes pour avoir les éléments nécessaires à la comparaison. Le centre pénitentiaire de Riom est situé en zone rurale à 3km de la gare de Riom, isolé de toute zone bâtie, desservi que cinq fois par jour par une ligne de bus dont les horaires ne sont pas en adéquation avec les horaires des visites aux parloirs. Seul établissement pénitentiaire du département du Puy-de-Dôme, il est situé à vingt‑quatre minutes en voiture de Clermont-Ferrand,

la plus grande ville. Aucun commerce ni service n’est présent à proximité de l’établissement. L’établissement pénitentiaire de Riom prend place sur une parcelle de 16,8 hectares et la surface bâtie représente environ 30 000 m2. L’établissement est implanté sur un terrain plat en zone inondable. Pour limiter les dégâts en cas de crue centennale, le projet est construit sur une plateforme surélevée. Sa situation géographique permet cependant une certaine résilience : dans un tel contexte, il est aisé d’imaginer que l’établissement pourrait s’agrandir ou être modifié selon les besoins et les avancées en termes de politique pénale et de régimes de détention.

Établissement Pénitentiaire de Bourg-en-Bresse.

Le centre pénitentiaire de Bourg-en-Bresse, mis en service en février 2010, est implanté à l’est de la ville, en périphérie, dans une zone d’habitation. Il se situe à 3km du centre-ville et à 3,5km de la gare. Un important réseau routier et autoroutier facilite l’accès à la ville de Bourg-en-Bresse. La gare de la ville est desservie par le TGV. Un réseau d’autobus urbain dessert la ville. La ligne n°6 donne accès au centre pénitentiaire, avec une fréquence d’un autobus toutes les demi-heures ; un arrêt est placé à proximité immédiate de la maison d’accueil des familles et de la porte d’entrée principale. Pour effectuer le trajet entre la gare et l’établissement, un changement de ligne est nécessaire. Des taxis permettent aussi de relier la gare au centre pénitentiaire. Une rue débouchant sur la rue de la Providence donne accès à l’établissement. Un premier parking, accessible par carte magnétique, est réservé aux personnels travaillant dans cet établissement. Un second est à la disposition des visiteurs. L’emprise du domaine pénitentiaire, de forme pentagonale, couvre 10ha. Un mur d’enceinte, qui forme un carré d’une superficie de 4,4ha, entoure les locaux de détention. Deux miradors permettent la surveillance du site et de ses abords : le plus haut, qui s’élève à 18 m, se situe près de la porte d’entrée principale, l’autre, haut de 14 m, est diagonalement opposé. Une base de loisirs, comprenant un plan d’eau de 21ha, est située à un kilomètre.


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Centre pénitentiaire de Riom (ancien)

Centre pénitentiaire de Riom (nouveau)

300 m

Centre pénitentiaire de Bourg‑en‑Bresse

300 m

Maison d’arrêt de Lyon-Corbas

Ci-dessus : Plan de situation de l’Établissement Pénitentiaire de Riom, réalisé à partir d’une vue open street map. Le plan de situation montre l’emplacement de l’ancienne prison de Riom, fermée en 2016 ainsi que l’emplacement du nouveau Centre Pénitentiaire ouvert la même année. Ci-contre (milieu) : Plan de situation du Centre Pénitentiaire de Bourg-en-Bresse, réalisé à partir d’une vue open street map

300 m

Ci-contre : Plan de situation de la Maison d’Arrêt de Lyon-Corbas, réalisé à partir d’une vue open street map


102 Saint‑Paul Saint-Joseph PARTIE 03 ÉLABORATION, PRÉSENTATION ET MISE EN PRATIQUE DE L’OUTIL D’ANALYSE Chapitre 3 De l’analyse à la comparaison : les potentiels de l’outil d’analyse appliqué à une plus grande échelle

Établissement Pénitentiaire de Lyon-Corbas.

La maison d’arrêt de Lyon-Corbas a été mise en service en mai 2009. Elle a été construite pour remplacer les prisons de Lyon (deux quartiers hommes : Saint‑Paul, Saint-Joseph, et un quartier femmes : Montluc), établissements insalubres qui offraient des conditions de détention inadaptées aux normes en vigueur. L’établissement est situé à une quinzaine de kilomètres au sud de Lyon. Il est facilement accessible par la route, et une ligne d’autobus (la ligne 94) a été spécialement mise en service pour desservir la maison d’arrêt. La desserte est assurée toutes les trente minutes ; en revanche, les autobus de cette ligne ne circulent pas les samedis, dimanches et jours fériés ce qui pénalise à la fois les familles de détenus et le personnel. Située sur un domaine pénitentiaire de onze hectares, la prison est bâtie sur un terrain en déclivité, entraînant des inondations dans les espaces en sous-sol. L’établissement comporte une enceinte de 1040 mètres de périphérie constituée par un glacis de trente mètres de largeur, délimité par une clôture de quatre mètres de hauteur ; un mur d’enceinte de six mètres de hauteur un chemin de ronde intérieur ; une clôture intérieure de cinq mètres de hauteur équipée de concertina ; une zone neutre avec barrière hyperfréquences, infrarouge et doppler. À la différence des établissements de Riom et Bourg-en-Bresse, l’établissement de Corbas n’est pas un centre pénitentiaire (établissement divisé en bâtiments accueillant différents régimes de détention), il s’agit là uniquement d’une maison d’arrêt accueillant à la fois des hommes et des femmes.

En appliquant l’outil d’analyse à ces trois établissements

1. Jean-Marie Delarue dans la préface de l’ouvrage Prison de Lyon, Bernard Bolze

La comparaison des situations géographiques de ces trois établissements illustre un phénomène, choisi ou résultant, propre aux nouveaux établissements de ces trente dernières années : l’édification des établissements pénitentiaires en lisière des villes ou à la campagne. Ce constat, Jean-Marie Delarue en parle dans la préface de l’ouvrage Prisons de Lyon, en l’expliquant par des contraintes de coûts et de programmes : un plan

uniforme s’est imposé, amendé, mais non remis en cause, avec des contraintes spatiales comme la longueur des cheminements, l’écart minimal entre les bâtiments, la nécessité de disposer d’importants espaces vides… Des contraintes induisant le choix de parcelles vastes, difficiles à trouver au cœur des tissus urbains et très coûteuses, mais pas impossible. Seulement voilà, ces parcelles-là, politique et citoyens préfèrent les voir allouer à de grands programmes immobiliers de logements qu’à un établissement pénitentiaire quant une parcelle située « entre une usine chimique et d’incinérations des ordures ménagères, où la vie est supportable si le vent ne souffle pas »1 semble bien plus propice à la construction de ce type de programme. Le tout, sans que l’on se soit préoccupé des moyens pour les personnels et les familles d’y accéder, comme le montrent bien les exemples de Riom, Bourg-en-Bresse et Lyon Corbas. Cette question est largement évoquée


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Lyon-Corbas

par Olivier Milhaud dans sa thèse Séparer et punir, aumôniers de telle ou telle confession un petit peu plus les prisons françaises : mise à distance et punition par rare. Dans un même temps cet éloignement avec la « vie l’espace. réelle » ne va pas dans un sens de préservation d’un Tout l’intérêt de l’application de cet outil d’analyse à un maximum de normalité : aucun intérêt d’ajouter à la nombre conséquent d’établissements réside dans le fait programmation un théâtre, une salle de concert ou une de pouvoir faire ressortir des faits similaires récurrents salle d’escalade si le lieu est difficilement accessible ou au contraire anecdotiques, qui soit par leur caractère pour les usagers potentiels des environs : il n’y aura 2 répétitif soit par leur caractère exceptionnel (dans le personne. Le caractère répétitif de la réponse donnée sens d’unique) interpellent dans le but de lire ces faits à la question de l’emplacement géographique doit à travers le prisme des quatre principes fondamentaux interpeller la maîtrise d’ouvrage et les pouvoirs publics tout comme les citoyens. présentés dans un chapitre précédent. Concevoir et construire des établissements Des médiations autour de ces sujets-là permettraient pénitentiaires en zone rurale, difficilement accessibles de débloquer certains verrous et donc d’améliorer les pour les membres du personnel, les intervenants conditions de détention en faveur d’une meilleure prise extérieurs et les proches complique le maintien des liens avec l’extérieur, qu’il s’agisse du maintien des liens en compte des problématiques de (ré)insertion et donc familiaux, de l’opportunité de trouver un travail, de la de maintien des liens avec la société extérieure. facilité à trouver des intervenants artistiques ou des

2. L’application de cet outil d’analyse à trois établissements ne permet pas de juger du caractère répétitif de la réponse, mais étant donné les nombreuses publications à ce sujet, on imagine assez facilement que c’est ce qu’il se produirait si on appliquait l’outil à une vingtaine d’établissements

Ci-dessus : plan de situation montrant l’emplacement des anciennes prisons Saint-Luc, Saint-Joseph et Montluc par rapport au nouvel emplacement de la Maison d’Arrêt de Lyon-Corbas, ayant remplacée les trois anciens établissements pénitentiaires. Plan réalisé à partir d’une vue open street map


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PARTIE 03 ÉLABORATION, PRÉSENTATION ET MISE EN PRATIQUE DE L’OUTIL D’ANALYSE Chapitre 3 De l’analyse à la comparaison : les potentiels de l’outil d’analyse appliqué à une plus grande échelle

─ NATURE DES DIFFÉRENTS ESPACES : de la maison d’arrêt et ceux du centre de détention : ORGANISATION SPATIALE ET ARCHITECTURE DES l’existence, dans chaque aile, d’un office, d’une salle BÂTIMENTS SELON LES RÉGIMES DE DÉTENTION d’activités et d’une buanderie. Au-delà des différences Établissement Pénitentiaire de Riom. dans le rôle de ces deux entités, et donc dans les systèmes D’une maison d’arrêt à un centre de détention, les de gestion qui en découlent ; des régimes de détention régimes de détention appliqués ne sont pas les mêmes. différents sont appliqués intra‑muros : l’ensemble des Autre différence notamment présente à la prison de personnes détenues de la maison d’arrêt sont hébergées Riom, la maison d’arrêt 1, MAH1 est gérée selon le en régime « portes fermées ». Au centre de détention, système « respecto », les personnes détenues maîtrisant trois régimes de détention sont en vigueur. Le régime « relativement leurs déplacements, ce qui n’est pas le cas portes fermées », régime d’observation, fonctionne dans de la maison d’arrêt 2, MAH2, qui est géré selon un l’aile gauche du rez-de-chaussée du CD2. Les détenus système classique fermé. Trois bâtiments au quotidien sont enfermés dans leur cellule sauf pour sortir en parfois radicalement différents, CD, MAH1 et MAH2, promenade, aller téléphoner ou se rendre aux activités. présentant une gradation dans la liberté donnée à Le régime « semi‑ouvert » fonctionne dans l’aile droite la personne détenue et dans son apprentissage de du rez-de-chaussée du CD2. Les portes des cellules l’autonomie, et pourtant trois bâtiments à l’architecture restent ouvertes un jour sur deux le matin de 7h15 à strictement identique. 11h45, et le lendemain de 13h15 à 17h45 (les horaires ont pu varier depuis la visite du CGLPL en 2010). Les personnes peuvent alors circuler dans leur aile, mais Établissement Pénitentiaire de Bourg-en-Bresse. ne peuvent pas passer d’une aile à l’autre, y compris au L’établissement pénitentiaire se compose d’une maison même étage. Elles ont accès à la salle d’activités, à l’office d’arrêt divisée en deux bâtiments, et d’un centre de et à la buanderie. Chacun a la clé de sa cellule. Le jour détention lui aussi divisé en deux bâtiments. D’un côté de la visite des contrôleurs, 205 personnes (86% des de la zone appelée « atrium », deux bâtiments en forme présents dans les deux CD) bénéficiaient de ce régime. de « V » constituent la maison d’arrêt (dénommés MA1 L’établissement de Bourg-en-Bresse s’inscrit dans une et MA2), d’une capacité de 180 places chacun, sur trois dynamique strictement identique à celle observée pour niveaux ; de l’autre côté de l’atrium, deux bâtiments l’établissement pénitentiaire de Riom : deux ensembles symétriques en forme de « V », constituant le centre de bâtiments à la conception architecturale identique de détention (dénommés CD1 et CD2), l’un sur trois répondant pourtant à des besoins sécuritaires différents, niveaux d’une capacité de 180 places (CD1), l’autre sur d’une recherche d’autonomie graduée et de régimes de deux niveaux d’une capacité de 120 places. détention distincts. Le centre de détention et la maison d’arrêt disposent, chacun, de deux cours de promenade. Les bâtiments de la maison d’arrêt et ceux du centre de détention Établissement Pénitentiaire de Lyon-Corbas. sont tous conçus de façon identique. Chaque étage La maison d’arrêt de Lyon-Corbas comprend, au niveau est constitué de deux ailes – une aile droite et une aile des bâtiments propres à la détention, une maison d’arrêt gauche – séparées par un palier où se trouve le bureau pour femmes (MAF) de soixante places avec un quartier du surveillant d’étage. Un escalier dessert les différents nourrices, deux cellules disciplinaires et une d’isolement, étages. Un monte-charge sert au transport des chariots. une maison d’arrêt pour hommes destinée à héberger Chaque bâtiment dispose d’un espace socio-éducatif des prévenus (MAH 1), une maison d’arrêt pour homme regroupant une salle de sport, une bibliothèque, une salle destinée aux condamnés (MAH 2) et une troisième informatique, un salon de coiffure et des salles de cours. maison d’arrêt pour hommes accueillant à la fois des Seule différence programmatique entre les bâtiments prévenus et des condamnés, qualifiée de « mixte »


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(MAH 3). Chaque bâtiment des MAH comprend 180 places théoriques, avec une capacité pratique de 260 lits disponibles. Là aussi, comme pour l’établissement pénitentiaire de Riom, chaque bâtiment d’hébergement est conçu selon le même modèle architectural qui vise à fournir aux occupants l’ensemble des moyens permettant d’effectuer le maximum d’activités dans les locaux et d’organiser la vie quotidienne des détenus en limitant leurs déplacements. Contrairement à Riom, ici pas de cohabitation entre centre de détention et maison d’arrêt, l’ensemble des bâtiments répondant de la fonction de maison d’arrêt, en gestion fermée. Les bâtiments sont divisés en quatre niveaux comprenant chacun : II Au sous-sol, le bureau de l’officier, chef du bâtiment, et de ses deux adjoints, ainsi que le poste du surveillant, et les locaux d’intérêt collectif : une bibliothèque, une salle informatique équipée de six ordinateurs, une salle de musculation équipée de treize appareils, deux salles de cours de dix à douze places, trois salles d’audience équipées chacune d’un ordinateur, une salle d’examen médical, une pièce destinée à un coiffeur. II Au rez-de-chaussée, quarante cellules (dont deux

destinées à des personnes à mobilité réduite) et deux cours de promenade équipées chacune de deux postes téléphoniques. Un troisième poste téléphonique se trouve dans l’aile droite. II Au premier étage, quarante-cinq cellules II Au troisième étage, quarante-cinq cellules Chaque maison d’arrêt homme possède deux cours de promenade de 600 m2 chacune. Seule la maison d’arrêt pour femmes (MAF) diffère dans son architecture, ses besoins spatiaux étant moindres : implanté dans un bâtiment séparé, le quartier des femmes comporte soixante places réparties sur deux niveaux. Toutes les cellules sont individuelles, à l’exception de trois cellules doublées à l’étage. Au rez-de-chaussée se situent le quartier des arrivantes, le quartier disciplinaire, le quartier d’isolement, le quartier mère-enfant dit nurserie avec trois cellules individuelles (identiques à toutes les autres) dont une plus grande que les autres et spécifiquement aménagée sert de cellule mère-enfant, enfin des bureaux et salles d’activité. Une cellule du rez-de-chaussée est réservée aux personnes à mobilité réduite. Au premier étage

Ci-dessus : plan masse de l’ Établissement Pénitentiaire de Bourg-en-Bresse, réalisé à partir d’une vue open street map

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Ci-contre : plan masse de la Maison d’Arrêt de Lyon‑Corbas réalisé à partir d’une vue open street map


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PARTIE 03 ÉLABORATION, PRÉSENTATION ET MISE EN PRATIQUE DE L’OUTIL D’ANALYSE Chapitre 3 De l’analyse à la comparaison : les potentiels de l’outil d’analyse appliqué à une plus grande échelle

prennent place des cellules et une salle d’activité. La séparation prévenues-condamnées est effective à l’étage. La MAF comporte quatre cours de promenade : la cour principale de 410 m², la cour « nourrice » de 40 m² et deux cours QI - QD de 40 m2.

En appliquant l’outil d’analyse à ces trois établissements

En réunissant dans la même enceinte, sous l’appellation « centre pénitentiaire », des maisons d’arrêt et des centres de détention, nous comprenons par l’analyse de l’architecture que dans beaucoup de cas, le régime le plus favorable s’aligne sur le régime le plus restrictif. Ainsi, comme l’évoque Jean-Marie Delarue dans la préface de l’ouvrage Prisons de Lyon « dans les vieux centres de détention, la cour de promenade est librement accessible dans certaines tranches horaires ; dans les nouveaux établissements, ce sont cinquante mètres linéaires de couloir qui sont disponibles lorsque les cellules sont ouvertes pendant ces mêmes horaires ». Nous avons d’ores et déjà abordé ce sujet dans le chapitre précédent, et l’application de l’outil d’analyse à plusieurs établissements permet notamment de faire ressortir ces points-là, similaires dans de nombreux établissements et ayant un véritable impact sur le respect des quatre principes fondamentaux : alors que certains régimes de détention, par leur nature même cherche à encourager l’autonomie et à favoriser la normalité, la spatialité des lieux semble en rupture avec le système de gestion alors qu’elle pourrait en être le support, lui permettant même d’aller au-delà de ces implications telles qu’énoncées aujourd’hui. Rêvons… Si l’établissement pénitentiaire en question était implanté en ville, les personnes détenues bénéficiant du régime de détention le plus favorable pourraient la semaine se former au maraîchage pour à la fois se nourrir de produits frais et locaux et à la fois en faire bénéficier le quartier en vendant les produits sur le marché le samedi, en apprenant à tenir une comptabilité, à travailler en équipe… Comme un cercle vertueux, cet argent pourrait alors servir à un autre groupe de personnes détenues chargées de

veiller à l’égalité des chances, chargées d’organiser des événements ouverts aux personnes détenues et aux habitants locaux … Ce sujet d’une architecture identique pour des bâtiments aux objectifs tout à fait différents, l’architecte associé de l’agence WTF/A, Christophe Darbeda, le connaît bien puisqu’il a lui-même été amené à concevoir des bâtiments dans cette dynamique (il faisait notamment partie de l’équipe d’architectes ayant conçu et réalisé le centre pénitentiaire de Bourg-en-Bresse alors qu’il était chef de projet dans l’agence Archi5). Pour lui cela s’explique par une volonté programmatique de la maîtrise d’ouvrage qui répond à deux objectifs. D’abord, en impulsant une conception architecturale identique à l’ensemble des bâtiments de détention, quel que soit leur usage (maison d’arrêt, quartier femme-enfant, centre de détention …) et quel que soit le régime de détention appliqué (fermé, semi-ouvert, ouvert …) l’administration pénitentiaire y voit la possibilité de convertir les bâtiments tour à tour selon les besoins de la population pénale présente : un jour maison d’arrêt fermée, le même bâtiment peut devenir une maison d’arrêt sous régime « respecto » et pourquoi pas un centre de détention. L’autre objectif sous-entendu par Christophe Darbeda lors de notre échange, et lu à plusieurs reprises, c’est celui de rappeler aux personnes détenues qui bénéficient d’un système de gestion plus avantageux qu’au moindre écart les lieux dans lesquels elles se trouvent peuvent laisser place à un système de gestion fermé classique. Comme une menace constante qui passe par la spatialité et l’architecture des lieux. Il semble important de pouvoir comparer ce « phénomène » avec un certain nombre d’autres établissements pénitentiaires français afin de prendre conscience du caractère (non)-répétitif de cette façon de faire, d’en analyser précisément les conséquences et d’ouvrir la discussion en montrant les potentiels d’autres manières de faire à la maîtrise d’ouvrage et à la maîtrise d’œuvre. Dans ce cadre-là, l’application de cet outil d’analyse pourrait à la fois faire ressortir un potentiel phénomène de répétition et à la fois, en mettant en avant quelques lieux où les choses se passent différemment, ouvrir la


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discussion avec la maîtrise d’ouvrage sur les potentialités La collecte de cartes mentales et témoignages réalisée que représentent des conceptions diversifiées. dans le cadre de mon rapport d’étude en 2018, à la

prison de Riom, nous renseigne sur les différentes vues que les personnes détenues ont depuis leur cellule, en fonction de leur bâtiment de détention. En voici des extraits.

« De ma fenêtre je vois la MAH1 et la MAH2, deux cours de promenade, les bâtiments de Culte, le gymnase, la salle de spectacle, le PIPR, les cuisines, le stade de foot. Au loin je peux voir l’autoroute, ─ LUMIÈRE ET VUES : LA VUE À TRAVERS LES les champs de culture et les montagnes » - Homme FENÊTRES DES CELLULES incarcéré au centre de détention

Établissement Pénitentiaire de Riom.

Une fenêtre barreaudée avec un vantail à la française permet l’aération des cellules et un apport de lumière naturelle. Selon les bâtiments on retrouve également devant les fenêtres des caillebotis nuisant à l’apport de lumière naturelle et à la vue lointaine. Les fenêtres des cellules du Quartier Centre de Détention (QCD) donnent sur la chaîne des puys permettant l’évasion visuelle. Aucune fenêtre de cellule n’est équipée de store ou volet permettant d’obstruer la lumière naturelle pour permettre un sommeil de qualité ou permettant de préserver l’intimité des personnes détenues.

« Je vois les montagnes, le Puy-de-Dôme. Je me dis que j’ai de la chance. » - Homme incarcéré au centre de détention « De la fenêtre je vois les volcans, le Puy de Dôme, un magnifique coucher de soleil, une vue imprenable. À partir de 12h30, la cellule est illuminée par le soleil. » - Homme incarcéré au centre de détention, au 3ème étage

Ci-dessus : Carte mentale de l’Établissement Pénitentiaire de Riom, réalisée en 2018 par un homme détenu dans la maison d’arrêt n°1 (MAH1), au 4ème étage, sous contrat «respecto». Il était alors incarcéré depuis 9 mois et avait 38h d’activité par semaine réparties entre les cours et le sport principalement. Ci-contre : Photographie de l’accès aux bâtiments «maison d’arrêt» de Bourg-en-Bresse. © Bernard Bolze


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PARTIE 03 ÉLABORATION, PRÉSENTATION ET MISE EN PRATIQUE DE L’OUTIL D’ANALYSE Chapitre 3 De l’analyse à la comparaison : les potentiels de l’outil d’analyse appliqué à une plus grande échelle

« De ma cellule je vois le parking de la prison ainsi que le bâtiment de semi-liberté » - Homme incarcéré au centre de détention « Le seul espace que je vois à travers la fenêtre de ma cellule est l’enceinte du gymnase et une partie de l’allée qui mène au QD ainsi qu’une partie de l’allée qui mène à l’entrée de la MAH2 » - Homme incarcéré dans la maison d’arrêt n°2 « De la fenêtre de ma cellule, je vois la cour de promenade et une grande porte » - Homme incarcéré dans la maison d’arrêt n°2 « De la fenêtre de ma cellule, je vois la promenade et le mur » - Homme incarcéré dans la maison d’arrêt n°2, 2ème étage « De la fenêtre de ma cellule, je vois la cour de promenade de la MAH2, le terrain de football, l’autoroute et le soleil de temps en temps » - Homme incarcéré dans la maison d’arrêt n°2 « De la fenêtre de ma cellule, je vois la route et le péage, la cour de promenade de la MAH2 avec le point phone et la table de ping-pong, et le terrain de foot » - Homme incarcéré dans la maison d’arrêt n°2, 2ème étage « Je vois le rond-point » - Homme incarcéré dans la maison d’arrêt n°1, sous contrat «respecto»

« De la fenêtre de ma cellule, je vois Clermont, l’aéroport d’Aulnat, les montagnes, Riom, l’Intermarché de Riom, l’autoroute, les volcans et une antenne » - Homme incarcéré dans la maison d’arrêt n°1, 4ème étage, sous contrat «respecto»

« De la fenêtre de ma cellule je vois la route, le « Je vois des espaces verts, la cour de promenade péage, des lapins en train de manger dans les » - Homme incarcéré dans et le pôle enseignement » - Homme incarcéré dans la champs à côté de la prison la maison d’arrêt n°1, 2ème étage, sous contrat «respecto» maison d’arrêt n°1, sous contrat «respecto» « Je vois toute la partie Sud de la prison et même « Depuis ma cellule je vois l’autoroute Clermont-Ferrand » - Homme incarcéré dans la maison A75 » - Homme incarcéré dans la maison d’arrêt n°1, d’arrêt n°1, 4ème étage, sous contrat «respecto» sous contrat «respecto» « De ma cellule je vois le mur d’enceinte avec de l’herbe » - Homme incarcéré dans la maison d’arrêt n°1, « Je vois l’autoroute A75 » - Homme incarcéré dans 1er étage, sous contrat «respecto» la maison d’arrêt n°1, 2ème étage, sous contrat «respecto»


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« Autoroute A75 » - Homme incarcéré dans la maison état de salubrité, de propreté et de présentation des plus d’arrêt n°1, sous contrat «respecto» convenables. Murs blancs et sol gris clair assurent une bonne luminosité de la pièce, obscurcie cependant par « Depuis la fenêtre de ma cellule, je vois le les caillebotis placés sur les fenêtres. Centre de Détention, le potager, le gymnase et les surveillants arriver » - Homme incarcéré dans la Établissement Pénitentiaire de Lyon-Corbas. maison d’arrêt n°1, sous contrat «respecto» Toutes les fenêtres des cellules sont équipées de caillebotis sauf à la maison d’arrêt des femmes (étrange distinction soit dit en passant). Les caillebotis métalliques sont supposés empêcher notamment le Établissement Pénitentiaire de Bourg-en-Bresse. jet de barquettes de nourriture au pied des bâtiments. Les cellules du quartier arrivants sont identiques à celles Ce n’est pas en réalité le cas, car plusieurs détenus sont de l’ensemble de la détention. Elles n’en diffèrent que arrivés à fracturer des mailles du caillebotis en se servant sur la nature du caillebotis placé devant la fenêtre : les de la tringle de l’armoire-penderie. Ces caillebotis lames d’acier habituellement horizontales ont été nuisent à la qualité des vues. disposées quasi verticalement jusqu’à former un rideau À la Maison d’arrêt de Lyon-Corbas les personnes sont métallique obstruant totalement la vue. incarcérées dès le rez-de-chaussée avec quarante L’état neuf de l’établissement garantit aux cellules un cellules et 80 places potentielles. Le niveau supérieur

Ci-dessus : Carte mentale de l’Établissement Pénitentiaire de Riom, réalisée en 2018 par un homme détenu dans la maison d’arrêt n°2 (MAH2), au 2ème étage. Il était alors incarcéré depuis 11 mois et avait 38h d’activité par semaine.


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PARTIE 03 ÉLABORATION, PRÉSENTATION ET MISE EN PRATIQUE DE L’OUTIL D’ANALYSE Chapitre 3 De l’analyse à la comparaison : les potentiels de l’outil d’analyse appliqué à une plus grande échelle

comprenant quant à lui 45 cellules, ce n’est pas moins de 170 personnes détenues par bâtiment qui bénéficie de très peu de lumière naturelle, sans parler de la possibilité de voir au lointain. Les bâtiments faisant 4 étages, entourés par une clôture de quatre mètres de hauteur et un mur d’enceinte de six mètres de hauteur, on imagine facilement le paysage offert depuis les cellules. La situation au niveau de la maison d’arrêt des femmes (aux caillebotis près) n’est pas plus favorable au « confort » visuel des femmes détenues, à ceci près que le nombre de cellules au rez-de-chaussée est moins conséquent, mais le bâtiment se déploie sur deux étages uniquement, ne permettant pas de faire passer le regard au-dessus du grillage et des murs d’enceinte. À cela s’ajoute le fait que les trois cellules mère-enfant sont elles aussi au rez-de-chaussée du bâtiment, avec une cour dédiée de seulement 40 m2. Le rapport à l’extérieur pour les trois femmes et leur nourrisson est sévèrement restreint par l’architecture du bâtiment.

En appliquant l’outil d’analyse à ces trois établissements

Cette thématique nous entraîne là encore vers un constat de récurrence concernant les données sur les vues et la lumière naturelle dans les espaces de vie quotidienne que sont les cellules.

En prenant le temps d’utiliser cet outil à une échelle bien plus large que celle de trois établissements, nous pourrions espérer faire ressortir des divergences, parfois allant dans un sens mélioratif parfois tout l’inverse, mais dans tous les cas qui donnerait une profondeur nouvelle au dialogue avec les maîtrises d’ouvrage, d’usage et d’œuvre, avec le grand public.

Pour cette thématique des vues et de la lumière naturelle, si nous avions analysé l’établissement pénitentiaire de l’agence Architecture-Studio conçu à Papeari au sud de Tahiti et dont nous avons parlé dans la deuxième partie de ce travail de recherche, nous aurions pu faire état d’une divergence intéressante par rapport aux constats faits ici : l’établissement pénitentiaire prend place sur treize plateformes ayant chacune leur propre altitude répondant de la topographie du terrain. Ainsi, tout en travaillant l’insertion paysagère du projet, l’agence crée des vues exceptionnelles sur le grand paysage environnant depuis les cellules. Par le caractère exceptionnel (au sens d’unique) de l’analyse de cet établissement, dénotant avec le côté répétitif des autres descriptions, cette application de l’outil d’analyse permet une profondeur dans le dialogue, illustrant comment de « simples » petites choses peuvent entraîner une amélioration non-négligeable dans les conditions de détention. Et comme Alain Bretagnolle le fait très bien dans sa prise de parole, de ces expériences « uniques » naissent

un contraste qui devrait permettre d’ouvrir le débat avec les politiques, la maîtrise d’ouvrage ou encore les entreprises. C’est bien là tout l’intérêt de l’outil d’analyse créé dans le cadre de ce travail de recherche, mettre la lumière sur ces situations répétitives parallèlement à des expériences uniques pour faire changer les choses en nourrissant le débat, en permettant aux concepteurs d’être plus libres et forces de proposition.


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Ci-contre : Photographie de ©Grégoire Korganow, faite dans une prison française et extraite d’une série photographique réalisée pour le CGLPL entre 2011 et 2013.


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PARTIE 03 ÉLABORATION, PRÉSENTATION ET MISE EN PRATIQUE DE L’OUTIL D’ANALYSE Chapitre 3 De l’analyse à la comparaison : les potentiels de l’outil d’analyse appliqué à une plus grande échelle

─ PRISE DE RECUL.

L’architecture est l’angle d’attaque de cette matrice. Mais elle ne peut en être la thématique unique. Analyser l’architecture des lieux de détention, c’est aussi prendre en compte les gens qui la parcourent, la logistique, les moyens humains mis à disposition, les appropriations des lieux, les règlements en vigueur, les procédures appliquées, le personnel présent ....

La contrepartie ? Une matrice relativement dense, difficile à mettre en place sans temps d’immersion dans les bâtiments analysés. L’application de cette grille d’analyse à l’établissement pénitentiaire de Riom, à travers la lecture de rapports et d’articles de presse, m’a permis de poser un regard critique sur ce travail. Dans un premier temps, en lisant attentivement les cent‑vingt-deux pages du rapport du Contrôleur général des Lieux de Privation de Liberté de 2017, je me suis rendu compte qu’il manquait encore quelques questions clés dans cet outil d’analyse : la description des cellules d’isolement, des cellules adaptées aux personnes à mobilité réduite, le listing et la composition des différents quartiers de détention, la composition des équipes spécialisées en insertion et probation, le budget annuel de fonctionnement, le montant des travaux ou encore la spécification de travaux de rénovation ou d’extension qui auraient été réalisés depuis l’ouverture de l’établissement. Parallèlement, j’ai relu cette grille, une fois remplie pour l’établissement pénitentiaire de Riom, dans le but de l’alléger en cherchant à regrouper certains items ou à interroger la pertinence de certains autres en allant jusqu’à en supprimer quelques-uns qui n’apportaient pas d’informations supplémentaires quant à la compréhension de l’impact architectural sur la détention, comme le choix ou non d’une gestion déléguée pour la confection des repas ou la fréquence de lavage des draps. La lecture des différents rapports et de certains articles de presse m’a permis de remplir 70% de cette grille d’analyse, tout en demandant un temps de travail long. Les 30% manquant pourraient en partie être recueillis par un entretien à distance avec un membre de la direction de l’établissement et quelques entretiens spécifiques notamment pour les questions concernant la durabilité des bâtiments (description des matériaux mis en œuvre, de la conception selon les caractéristiques climatiques locales, des éléments mis en œuvre pour la réduction des bruits ambiants, de l’intégration d’énergies renouvelables au projet …), concernant la description précise de certains espaces et leurs proportions (ateliers de travail, bureaux des surveillants, parloirs, salle d’apprentissage…), concernant l’usage de la couleur et de la végétalisation sur l’ensemble du site. Réaliser ces entretiens à distance m’aurait par-dessus tout permis de nourrir toute la dernière sous-partie de l’analyse, à savoir les questions liées à appropriation : les modifications volontaires impulsées par l’administration pénitentiaire,

les modifications involontaires, leurs conséquences... Je n’ai pas pu aller jusqu’au bout de cette démarche par manque de temps. Il va de soi qu’une immersion de deux à quatre jours dans l’établissement, durant laquelle j’aurais pu parcourir l’intégralité des lieux, m’entretenir avec différents membres du personnel pénitentiaire, des membres extérieurs intervenant en détention et un certain nombre de personnes détenues m’aurait permis de renseigner la quasi-totalité des items de cet outil d’analyse, en récoltant des descriptions plus précises dans un temps plus raisonnable. Si ce travail devait se poursuivre, il serait intéressant, pour chaque établissement analysé, de faire une courte préparation d’un à deux jours dans le bus, d’analyser le plan masse et de lire dans les grandes lignes les rapports publiés pour rendre ensuite l’immersion plus efficace. Il s’agirait alors durant l’immersion de remplir la plupart des items de la grille d’analyse en parcourant les lieux, puisqu’il s’agit pour beaucoup de description, puis de profiter des différents temps d’entretien bien planifiés en amont de la visite pour compléter les données plus sensibles qui doivent être recueillies de manière à proposer une analyse qui fait sens. Mettre en place des processus d’immersion permettrait, parallèlement à cette méthodologie scientifique, de prendre le temps de collecter des témoignages plus sensibles sur l’architecture des lieux allant jusqu’au dessin de cartes mentales voire d’ateliers de photographie. Alors si ce travail de recherche devait avoir une suite, un futur, je ferai en sorte de m’entourer des bonnes personnes et d’actionner les leviers nécessaires pour avoir une sorte de libre accès à l’ensemble des établissements pénitentiaires de France conçus et construits dans les trente dernières années afin de créer une banque de données brutes, servant ensuite de support à une analyse qui se voudrait la plus objective possible à travers le questionnement des quatre principes fondamentaux énoncés plus haut et plus largement avec l’appui des textes et lois nationaux et internationaux. Le tout avec le but d’alimenter le débat par la mise en avant d’éléments tangibles permettant toujours de tendre vers une amélioration des conditions de détention avec comme objectif que ces discussions rendent les programmes plus souples, laissant plus de place aux capacités de conception qui définissent en partie notre métier d’architecte. Et c’est dans l’utopie de ce futur que j’ai rédigé la dernière partie de ce travail de recherche.


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Ci-contre : Photographie de ©Grégoire Korganow, faite dans une prison française et extraite d’une série photographique réalisée pour le CGLPL entre 2011 et 2013.


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PARTIE 03 ÉLABORATION, PRÉSENTATION ET MISE EN PRATIQUE DE L’OUTIL D’ANALYSE

CHAPITRE 4

Accompagner des collectifs déjà formés et identifiés dans une recherche-action ?

Effectuer un travail de recherche sur le domaine carcéral, c’est se confronter à des questions extrêmement concrètes : une cellule, c’est 9,5 m2, une prison, c’est un mur d’enceinte, un bâtiment de détention, c’est aucun réseau visible... C’est aussi faire face à un paquebot, source de quelques beaux témoignages certes, mais aussi et surtout de beaucoup de mal-être, de vies gâchées, d’abandons, de maltraitance ... Alors pour garder les pieds sur terre tout le long de cette recherche, j’ai cherché des objectifs concrets, maintenu des relations déjà établies et noué de nouvelles pour essayer de donner du sens à ce que je faisais. Et dans cette dynamique, je me suis finalement demandé à certaines étapes de ce travail de recherche comment mon travail pourrait accompagner des collectifs déjà formés et identifiés tels que le Comité international de la Croix-Rouge, Prison Insider ou encore, dernièrement, le projet Rescaled. C’est là l’objet de ce dernier chapitre.

─ COMITÉ INTERNATIONAL DE LA CROIX-ROUGE L’outil d’analyse créé au cours de ce travail de recherche se nourrit en partie de l’ouvrage Architecture des prisons. Principes et méthodologie participative pour une architecture carcérale plus humaine réalisé par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et coordonné par Vincent Ballon, chef de l’unité des personnes privées de liberté. Peu de temps après avoir lu cet écrit, j’ai donc décidé de prendre contact avec lui pour poser les questions que cet ouvrage avait fait naître chez moi. De ce premier échange est née la volonté pour le CICR de m’accompagner dans ce travail de recherche et l’idée qu’il le mette en application a également vite été abordée. Vincent Ballon voyait là une potentielle suite à ce travail amorcé à travers la rédaction de cet ouvrage. Les échanges s’enchaînent alors avec deux personnes de son équipe, Sara Elizabeth Snell, ancienne directrice d’établissement en Angleterre & Joana Cameira, architecte italienne. Les échanges et visioconférences se font en anglais. Ils me permettent de comprendre que bien que l’architecture soit l’angle d’attaque de mon outil d’analyse, elle ne peut en être la thématique unique. Analyser l’architecture des lieux de détention, c’est aussi prendre en compte les gens qui la parcourent, la logistique, les moyens humains mis à disposition, les appropriations des lieux, les règlements en vigueur, les procédures appliquées, le personnel présent ... Sentant une véritable proactivité de leur part au début de nos échanges, cette énergie a peu à peu diminué pour finalement s’éteindre. Cet avortement dans notre collaboration potentielle, je l’explique par deux points. D’abord parce que je m’inscris dans le cadre d’un travail universitaire de recherche, parfois trop loin des préoccupations du terrain qui animent cette unité. Ensuite parce que mes capacités en anglais sont limitées, rendant les échanges en visioconférences parfois compliqués et peu spontanés. Néanmoins, cette courte collaboration m’aura permis de recueillir le regard critique d’une équipe de terrain sur mon travail, de l’amender en fonction de certaines remarques et de prendre conscience des limites de certaines pratiques propres à la recherche lorsqu’on a envie de participer de manière concrète à faire évoluer les choses.


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─ PRISON INSIDER Prison Insider est une organisation dont la mission est d’informer, de comparer et de témoigner sur les conditions de détention à travers le monde. La collaboration avec Prison Insider était relativement facile à initier : je suis membre de leur bureau exécutif dans la continuité d’un service civique de neuf mois réalisé en 2019. Les échanges sont donc quasi-quotidiens avec l’équipe et la directrice, Florence Laufer. Mon travail de recherche s’inscrit dans leur dynamique d’étude comparée et une publication de ce travail, s’il était poursuivi à plus grande échelle, pourrait faire l’objet d’une vulgarisation sur leur site internet, pour une appropriation par et pour tous. Les études comparées de Prison Insider sont des études qui questionnent un champ spécifique du traitement des personnes détenues et le confrontent au même champ d’autres pays. Il importe de connaître la façon qu’a chaque État de traiter les auteurs d’infractions et l’impact de ce traitement. L’étude permet de faire valoir les pratiques les meilleures qui conduisent, par exemple, à l’abandon de la récidive. L’ensemble est éclairé par une analyse. À l’échelle de ce travail de recherche, il ne s’agirait pas de mener une étude entre pays, mais bien entre établissement d’une zone géographique (un pays ou un ensemble de pays) qui partage une culture commune. Aujourd’hui cette collaboration débute par une présentation des grands enjeux liant architecture et prison lors d’un café thématique. Demain, si ce travail de recherche est poursuivi, elle conduira à la vulgarisation des résultats.

─ RESCALED En décembre 2020, je suis approchée par des porteurs du projet RESCALED. Il s’agit d’un projet implanté dans cinq pays européens qui œuvrent pour la création de ce qu’ils appellent des « maisons de détention », c’est-à‑dire une détention à petite échelle (à échelle humaine) contrairement à ce que nous connaissons aujourd’hui en Europe. Les cinq pays concernés par le projet sont la France, la Belgique, la Norvège, les Pays-Bas et le Portugal. Ces maisons de détention sont des bâtiments de petite taille, intégrés dans la société, avec des spécialisations selon le profil des personnes détenues accueillies, des services en adéquation avec leur environnement et un véritable projet d’insertion. Ces maisons de détention doivent être intégrées architecturalement et politiquement dans l’environnement qui les entoure de manière à ce que de véritables liens se créent dans une dynamique de normalité. Pour les porteurs du projet, ces maisons de détention seraient garantes de sanctions efficaces et plus humaines, contribuant à une société plus sûre et plus inclusive. En France les deux coordinatrices du projet, sont Émilie Adam-Vezina, socio-anthropologue, salariée de la Fédération des Associations Réflexion-Action, Prison et Justice (FARAPEJ) et Mélanie Bouteille, architecte diplômée d’État de Paris Val-de-Seine dont le projet de fin d’étude avait pour but de dessiner une maison de détention, selon les caractéristiques portées par le projet RESCALED, en banlieue de Paris. Lors de notre rencontre, Émilie et Mélanie font part de leurs grandes difficultés à communiquer architecturalement sur le projet avec les acteurs publics. Dans cette dynamique, nous constatons que l’outil d’analyse mis en place dans le cadre de ce mémoire pourrait servir à appuyer factuellement leur propos. En parallèle, nous parlons de mon projet de fin d’études qui pourrait devenir, pour Rescaled, un véritable outil de médiation auprès des politiques et décideurs qu’elles se doivent de convaincre : il s’agit de créer et expérimenter une méthodologie de conception nommée « archi-fiction », qui à l’instar du design-fiction, permettrait de se représenter en quoi le monde peut changer, afin de nous y faire réfléchir. Ci-dessus : © Richard Ross, Architecture of authority


CONCLUSION ET FUTURS À travers ce travail de recherche, il s’agissait de questionner l’espace architectural des établissements pénitentiaires afin de comprendre quel(s) impact(s) il pouvait avoir sur le rapport au monde post-peine des personnes incarcérées et donc sur leur (ré)insertion.


Ci-contre : Photographie de ©Grégoire Korganow, faite dans une prison française et extraite d’une série photographique réalisée pour le CGLPL entre 2011 et 2013.


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CONCLUSION ET FUTURS

Le domaine carcéral est un domaine relativement hermétique, parfois hostile, mais un domaine qui a tant de choses à raconter. Il faut trouver la petite porte qui permettra de le découvrir, le questionner et tenter d’en comprendre les enjeux passés et contemporains pour enfin oser imaginer le futur. C’est quoi la prison ? Ça veut dire quoi passer deux mois, deux ans ou vingt ans de sa vie dans moins de 10 m2 sans horizon, à tous les niveaux de sémantiques du terme ? Ça représente quoi d’en arriver à devoir refuser sa seule heure de sortie de la journée, en cours de promenade, pour pouvoir déféquer seul et non pas, comme chaque jour, devant les yeux d’un codétenu qu’on ne connaît pas ? Ça engendre quoi de passer chaque jour le portail de détection métallique pour aller s’enfermer derrière des écrans et appuyer sur des boutons pour ouvrir et fermer des portes ?

Et il se passe quoi dans la tête de celui ou celle qui prend un crayon et dessine pour la première fois une cellule de 8 m2, une cellule disciplinaire, un parloir ou une maison des familles ?

La réponse à ces questions, nous pouvons la suggérer, imaginer ce que ça serait si… mais nous ne pourrons jamais vraiment savoir sans passer de l’autre côté des barreaux, sans devenir membre de l’administration pénitentiaire ou sans déposer un permis de construire pour un établissement pénitentiaire. Par contre, autour de ces questions, et de bien d’autres d’ailleurs, il y a un univers que nous pouvons tenter de comprendre pour faire en sorte que les sortants de prison de demain ne soient pas marqués si violemment par l’expérience de la détention et qu’à l’inverse d’aujourd’hui, ils se sentent intégrés et en sécurité en finissant leur peine. Respecter les personnes détenues et le personnel à travers l’architecture, leur transmettre ce sentiment de respect, c’est les inciter à faire de même et donc les responsabiliser. À l’inverse anticiper leurs moindres faits et gestes susceptibles de dégrader les lieux pour les en empêcher et ajouter tout un tas de dispositifs spatiaux allant dans ce sens, c’est les déresponsabiliser en leur renvoyant une image de personne irresponsable, à qui on ne peut faire confiance, seulement capable de dégrader et non de prendre soin. Aujourd’hui, c’est plus de la moitié du « parc » pénitentiaire qui a moins de vingt-cinq ans. Nos lois créent depuis la fin du XXème siècle des alternatives à la détention, qui, loin de faire décroître le nombre de personnes incarcérées, a contribué à augmenter le nombre de personnes condamnées par la Justice, mais « libres » si tenté que nous pouvons penser qu’une peine alternative vous permet de conserver votre liberté. Mais alors, pourquoi avoir bâti et continuer de bâtir autant de nouvelles prisons ? De manière évidente, d’abord dans une logique de mise aux normes afin d’incarcérer les citoyens de nos sociétés dans des conditions plus acceptables en termes d’hygiène et de salubrité. Et sous couvert d’hygiénisme, c’est une

volonté de « rationalisation » qui ressort des programmes pénitentiaires des dernières années et de leurs architectures : des établissements pénitentiaires aux effectifs toujours plus importants, regroupant plusieurs régimes de détention avec une place grandissante et presque prépondérante pour la sécurité électronique. Les réponses architecturales découlent des normes, des besoins sécuritaires et d’un conditionnement socio‑politique mais ne semblent pas toujours au service du respect de la dignité humaine avec comme objectifs la responsabilisation, la prise de conscience et donc la (ré)insertion. Faut-il oublier le mot prison pour s’affranchir de cet héritage culturel et s’ouvrir à d’autres réponses architecturales, cadre spatial de l’application des peines ? Alors non, il n’y aura jamais de « bonnes prisons », mais de meilleures je l’espère. Se poser la question de l’avenir de l’architecture pénitentiaire, c’est finalement peut-être revenir à un questionnement plus simple : que doit-on construire ? Des cellules ou des chambres ? Un espace de punition ou de sanction ? Un lieu de détention ou d’hébergement ? Une microsociété ou un élément d’une société qui existe déjà ? Une manière de faire évoluer les choses, à toutes les échelles, serait peut-être effectivement de commencer par changer ce vocabulaire comme l’impulsent les programmes des Structures d’Accompagnement à la Sortie en parlant de « chambre » par exemple. Encore faudrait-il qu’on ne prenne pas ces changements de vocabulaire comme argent comptant et qu’au-delà d’une opération de communication, de ces nouveaux mots naisse un effet papillon impulsant des changements d’espaces. Gardons à l’esprit que l’espace de la détention fait lien : c’est lui qui relie celui qui là maintenant sort de détention, esseulé et marqué par les murs qui l’ont privé de liens avec l’extérieur pourtant essentiels à sa construction, qui lui ont imposé de vivre dans un lieu contraint et difficilement appropriable ; avec celui qui au même moment intègre sa cellule arrivant, subissant le choc de l’incarcération. Cet espace-là possède un pouvoir inestimable, aujourd’hui instrument d’une maîtrise d’ouvrage qui n’en maîtrise pourtant que très peu les codes, il doit redevenir l’outil de celui qui sait lui donner du sens. À travers ce travail de recherche, les rencontres qu’il a générées et les discussions formelles ou non qu’il m’a permis d’engager, je retiendrai ceci : si nous voulons voir les choses changer, qu’il s’agisse d’architecture pénitentiaire, et peut-être même d’architecture tout court, peut-être devrions-nous mieux communiquer.


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Ci-contre : Photographie de ©Grégoire Korganow, faite dans une prison française et extraite d’une série photographique réalisée pour le CGLPL entre 2011 et 2013.


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Ci-contre : Photographie de ©Grégoire Korganow, faite dans une prison française et extraite d’une série photographique réalisée pour le CGLPL entre 2011 et 2013.


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─ PODCASTS AUDOUIN Corinne II Les prisons ouvertes danoises, un modèle à étudier ? 6 février 2018 CHASLIN François II « Les architectes et la prison », France Culture, 11 janvier 2016 Floraison Podcast II Prisons partout justice nulle part, 11 novembre 2019 KERVRAN Perrine II « Utopia – Architecture et utopie (3/4) : Dessine-moi une prison », France Culture, 28 novembre 2019 KRONLUND Sonia II La sortie de prison, dans Les Pieds sur terre, France Culture, 17 mars 2014 KRONLUND Sonia II Visites en prison, dans Les Pieds sur terre, France Culture, 29 avril 2015 KRONLUND Sonia II La prison m’a tué, dans Les Pieds sur terre, France Culture, 1er février 2018 SCEE Anne et DANON-BOLLEAU Laurent II Scènes de la vie carcérale (1/5) : Fleury-Merogis, dans Nuits Magnétiques, France Culture, 13 mars 1979 SCEE Anne et DANON-BOLLEAU Laurent II Scènes de la vie carcérale (2/5) : Les prisons pour femmes, dans Nuits Magnétiques, France Culture, 14 mars 1979 SCEE Anne et DANON-BOLLEAU Laurent II Scènes de la vie carcérale (3/5) : Révoltes, corrections et arrangements, dans Nuits Magnétiques, France Culture, 15 mars 1979 SCEE Anne et DANON-BOLLEAU Laurent II Scènes de la vie carcérale (4/5) : Le corps en prison, dans Nuits Magnétiques, France Culture, 16 mars 1979 SCEE Anne et DANON-BOLLEAU Laurent II Scènes de la vie carcérale (5/5) : Le dedans et le dehors ; la sortie, dans Nuits Magnétiques, France Culture, 23 mars 1979


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─ ÉCRITS SCIENTIFIQUES BONY Lucie II De la prison, peut-on voir la vile ? Thèse de doctorat en géographie présentée et soutenue publiquement le 6 décembre 2014. Sous la direction de Jean-Pierre LEVY et Philippe COMBESSIE FAIVRE Enguerran II La prison ouverte, vers une architecture de réinsertion. L’architecture d’une prison ouverte et son environnement en France. Mémoire en Architecture, sous la direction de Chantal DUGAVE. 2015 CHARETON Gabriel II Bienvenue en prison. Le dedans et le dehors. Énoncé théorique de Master, EPFL, sous la direction de Luca Pattaroni FRANSSON Elisabeth, GIOFRE Francesca et JOHNSEN Berit II Prison Architecture and Humans, 2017

─ ENTRETIENS BALLON Vincent II Chef de l’unité des personnes privées de liberté pour le Comité international de la Croix-Rouge. Entretien fait en visio, le 13 octobre 2020. DARBEDA Christophe II Architecte co-fondateur de l’agence WTF/A. Entretien fait en visio, le vendredi 30 octobre 2020. SCHARFF Brigitte II Architecte associée de l’agence Vurpas. Entretien fait en visio, le mardi 22 décembre 2020.


OUTIL D’ANALYSE Les pages suivantes présentent l’outil d’analyse vierge créé dans le cadre de ce travail de recherche et appliqué dans la troisième partie de ce mémoire.


Ci-contre : Photographie d’un bon de cantine utilisé aux Baumettes historiques avant leur destruction. ©Lionel Ley


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A __ VUE D’ENSEMBLE

a11. Parmi les espaces listés ci-dessus, lesquels sont partagés entre codétenus ?

a1. Situation géographique de l’établissement pénitentiaire :

a12. Parmi les espaces listés ci-dessus, lesquels sont accessibles aux personnes étrangères à la détention (familles, proches, professionnels externes) ?

OUTIL D’ANALYSE

en centre-ville en périphérie en zone rurale

a2. Quels sont les moyens de transport permettant de se rendre à la prison depuis l’agglomération dont elle ressort : voiture

indiquer la présence d’un parking gratuit à proximité :

transports en commun : bus

préciser le nombre de lignes et leur régularité :

tramway

a13. Lister les espaces composants l’administration de la prison : a14. L’enceinte de l’établissement pénitentiaire a une superficie totale de : a15. La superficie dédiée aux espaces construits est de :

préciser le nombre de lignes et leur régularité :

métro

préciser le nombre de lignes et leur régularité :

autre(s) moyen(s), préciser :

a3. Nombre de cellule(s) conçue(s) comme : individuelle homme : individuelle femme : collective homme

indiquer le nombre de codétenus partageant ces cellules collectives :

collective femme

a16. La superficie dédiée aux espaces intérieurs partagés par les personnes détenues est de : a17. La superficie dédiée aux espaces intérieurs partagés par le personnel uniquement est de : a18. La superficie dédiée aux espaces extérieurs partagés par les personnes détenues est de :

indiquer le nombre de codétenus partageant ces cellules collectives :

disciplinaire homme disciplinaire femme isolement homme isolement femme cellule de protection d’urgence (ou cellules « arrondies » ou « lisses ») adaptée(s) au PMR

a19. La superficie dédiée aux espaces extérieurs partagés par le personnel uniquement est de : a20. Nombre d’agents pénitentiaires et répartition :

a4. Taux d’occupation :

a21. Composition de l’équipe spécialisée en insertion et probation :

a5. Nombre total de places :

a22. Description du personnel soignant présent sur place :

a6. L’établissement a-t-il un quartier d’accueil et d’évaluation (QAE) ? Si oui, de combien de places dispose-t-il ?

a23. Description des autres professions présentes sur place (nombre et nature des professeurs intervenants, coiffeurs, formateurs, représentant de culte, etc …) :

a7. L’établissement a-t-il un quartier de semi-liberté (QSL) ? Si a24. Le budget de fonctionnement annuel est de (en euros) : oui, de combien de places dispose-t-il ? a8. L’établissement a-t-il un quartier pour mineurs ? Si oui, de a25. Le budget de construction. (préciser si des travaux de rénovation et/ou extension ont été réalisés depuis l’ouverture combien de places dispose-t-il ? de l’établissement et leur(s) montant(s)) a9. Lister et décrire les autres quartiers de la détention. a10. Lister les autres éléments programmatiques de la prison (espaces dédiés au sport, au culte, au travail, à la santé, aux familles et proches, à la culture, à la détente …). Décrire.

a26. L’établissement est-il soumis a une gestion déléguée ? Si oui, préciser les conditions.


133

B __ CHOIX DU SITE

C__DURABILITÉ

b1. Le bâtiment est-il facile d’accès ? Décrire.

Apports théoriques : Utiliser l’étiquette du développement durable peut permettre d’introduire des changements positifs. L’amélioration du cadre de vie des personnes détenues et du personnel passe également par la prise en compte d’une conception durable.

b2. La topographie du site est-elle adaptée ? Décrire. b3. La parcelle construite est-elle sujette à des risques naturels et technologiques ? (inondations, centrale nucléaire, séismes …). Décrire. b4. Le bâtiment a accès aux réseaux publics (eau potable, eaux usées, énergie, communications, gestion des déchets). Décrire. b5. Le site offre une potentielle extension ou adaptation de l’établissement pénitentiaire selon ses besoins et évolutions futurs ?

c1. La conception du bâtiment prend-elle en compte des caractéristiques du site environnant (l’intégration est-elle harmonieuse ...) ? Décrire. c2. L’orientation, la forme, la répartition des espaces et la disposition des fenêtres prennent-elles en compte les caractéristiques locales telles que les vents dominants et l’ensoleillement ? c3. Les matériaux choisis sont-ils respectueux des usagers (non toxiques, non chimiques) ? Décrire.

b6. La présence de l’établissement pénitentiaire engendre / a engendré des emplois et une activité économique à l’échelle c4. Les matériaux mis en œuvre sont-ils locaux ? Décrire. locale ? b7. L’établissement pénitentiaire possède des dispositifs visant à le rendre plus autonome en termes de fonctionnement : production d’électricité verte, potagers, restaurant …?

c5. Le choix des matériaux mis en œuvre est-il au service de la durabilité du bâtiment ? D’une économie de la construction ? c6. Des éléments sont-ils mis en œuvre pour réduire les bruits ambiants (source de stress particulièrement présente en prison) : ventilation naturelle, isolation acoustique entre les cellules, etc ... ? c7. Des énergies renouvelables sont-elles intégrées au projet (panneaux solaires, éoliennes …) ? Décrire. c8. Un système de récupération et de tri des déchets est-il en place (tant pour l’environnement que pour l’éducation citoyenne que cela représente) : papiers, plastiques, verres, composteurs … ? Décrire. c9. Un système de récupération des eaux pluviales (arrosage, chasse d’eau, machine à laver) est-il en place ? Décrire.


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D__NATURE DES DIFFÉRENTS ESPACES OUTIL D’ANALYSE

Apports théoriques : cette catégorie de questions divise l’espace de la détention en cinq lieux : II La cellule II Les espaces de circulation II Les espaces communs partagés entre codétenus II Les espaces communs partagés avec des personnes extérieures (famille, proches, professionnels externes) II Les espaces de fonctionnement (administration, accueil, PC sécurité, santé, bloc arrivées …). Pour chacune de ces catégories, plusieurs indicateurs et questions clés sont à renseigner. d1. Décrire brièvement l’architecture générale de l’établissement. d2. Pour la zone définie, indiquer si elle se situe dans l’enceinte de la détention / en limite interne (à proximité direct de l’entrée, permettant d’y accéder sans passer le sas de sécurité) / à l’extérieur de l’espace de détention : les espaces communs partagés avec des personnes extérieures (famille, proches, professionnels externes) :

les services administratifs : les espaces dédiés au travail : les espaces dédiés à la santé : les espaces dédiés au culte : les espaces dédiés à la culture : les espaces dédiés au personnel (mess, pôle de formation, médecine de prévention, organisations professionnelles)

autres espaces : précisez sa nature et sa localisation dans l’espace de détention

d3. Décrire l’organisation spatiale des différents bâtiments selon les régimes de détention auxquels ils sont affiliés d4. Dimension de la pièce désignée (longueur, largeur, superficie) : de la cellule : des espaces de circulation : de la cour de promenade :

d5. Hauteur sous plafond de la pièce désignée de la cellule : des espaces de circulation : des espaces de travail : des espaces d’apprentissage : des espaces de culte : des espaces partagés avec les personnes de l’extérieur :

d6. Surface de la pièce désignée : ratio surface de circulation / surface totale de la prison (espaces extérieurs compris) : ratio surface des espaces de fonctionnement (sécurité, administratif …) / surface totale de la prison : ratio surface des espaces extérieurs accessibles aux personnes détenues / surface totale de la prison : ratio surface des espaces dédiés au culte / surface totale de la prison : ratio surface des espaces dédiés à la santé / surface totale de la prison : ratio surface des espaces dédiés au travail / surface totale de la prison : ratio surface des espaces dédiés à l’apprentissage / surface totale de la prison : ratio surface des espaces dédiés à la culture, au loisir / surface totale de la prison : ratio surface des espaces dédiés à la rencontre avec les personnes extérieures / surface totale de la prison : autres espaces : précisez sa nature et son ratio sur la surface totale de la prison.

d7. Décrire l’équipement et la disposition des différents types de cellule : individuelle homme : individuelle femme : collective homme (indiquer le nombre de codétenus partageant ces cellules collectives) : collective femme (indiquer le nombre de codétenus partageant ces cellules collectives) : PMR disciplinaire homme : disciplinaire femme : isolement homme isolement femme cellule de protection d’urgence, (ou cellules « arrondies » ou « lisses ») :

d8. Décrire l’état général des espaces cités ci-dessous (entretien) : pour la cellule : pour les espaces de circulation : pour les espaces extérieurs (cours de promenade) : pour les installations sportives : pour les espaces dédiés à la santé pour les espaces dédiés au culte : pour les espaces dédiés au travail : pour les espaces dédiés à l’apprentissage : dans les espaces dédiés à la rencontre avec les personnes extérieures : dans les espaces conjugaux et/ou familiaux : pour les espaces dédiés à la culture, au loisir :


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d9. Décrire les différents types de matériaux utilisés pour chacun des espaces désignés : dans la cellule : dans les espaces de circulation : pour les espaces dédiés au culte : pour les espaces dédiés au travail : pour les espaces dédiés à l’apprentissage : dans les espaces dédiés à la rencontre avec les personnes extérieures : pour les espaces dédiés à la culture, au loisir :

d13. Pour les espaces désignés, indiquer la présence d’un dispositif de surveillance. Précisez sa nature (caméra, œilleton, surveillants) : pour la cellule : pour les espaces de circulation : pour les espaces extérieurs (cours de promenade) : pour les installations sportives : pour les espaces dédiés à la santé pour les espaces dédiés au culte : pour les espaces dédiés au travail : pour les espaces dédiés à l’apprentissage : dans les espaces dédiés à la rencontre avec les personnes extérieures : pour les espaces dédiés à la culture, au loisir :

d10. Décrire le mobilier présent dans chacun des espaces désignés (type et matériaux) : pour la cellule : pour les espaces de circulation : pour les espaces extérieurs (cours de promenade) : pour les installations sportives : pour les espaces dédiés au culte : pour les espaces dédiés au travail : pour les espaces dédiés à l’apprentissage : dans les espaces dédiés à la rencontre avec les personnes extérieures : pour les espaces dédiés à la culture, au loisir :

d14. Décrire la place de la végétation dans chacun des espaces désignés (plantes d’intérieur, pelouse, arbres, arbustes, haies). Ainsi que l’état d’entretien (bon, moyen, mauvais) :

d11. Décrire les éléments de décoration dans chacun des espaces désignés : pour la cellule : pour les espaces de circulation : pour les espaces extérieurs (cours de promenade) : pour les installations sportives : pour les espaces dédiés au culte : pour les espaces dédiés au travail : pour les espaces dédiés à l’apprentissage : dans les espaces dédiés à la rencontre avec les personnes extérieures : pour les espaces dédiés à la culture, au loisir :

d12. Décrire l’usage de la couleur dans chacun des espaces désignés : pour la cellule : pour les espaces de circulation : pour les espaces extérieurs (cours de promenade) : pour les installations sportives : pour les espaces dédiés au culte : pour les espaces dédiés au travail : pour les espaces dédiés à l’apprentissage : dans les espaces dédiés à la rencontre avec les personnes extérieures : pour les espaces dédiés à la culture, au loisir :

pour la cellule : pour les espaces de circulation : pour les espaces extérieurs (cours de promenade) : pour les installations sportives : pour les espaces dédiés à l’apprentissage : dans les espaces dédiés à la rencontre avec les personnes extérieures : pour les espaces dédiés à la culture, au loisir :


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E. LUMIÈRES & VUES OUTIL D’ANALYSE

e7. Décrire la vue à travers la fenêtre (paysage, vis-à-vis, murs d’enceinte ou de bâtiments) : dans la cellule : dans les espaces de circulation : dans les espaces communs intérieurs : dans les espaces communs partagés avec l’extérieur : dans les espaces de fonctionnement :

e1. Présence d’une ou plusieurs fenêtres (précisez le nombre): dans la cellule : dans les espaces de circulation : dans les espaces communs intérieurs : dans les espaces communs partagés avec l’extérieur : dans les espaces de fonctionnement : autre

e8. Présence d’un apport de lumière artificielle : dans la cellule : dans les espaces de circulation : dans les espaces communs intérieurs : dans les espaces communs partagés avec l’extérieur : dans les espaces de fonctionnement :

e2. Taille de/des fenêtre(s) : dans la cellule : dans les espaces de circulation : dans les espaces communs intérieurs : dans les espaces communs partagés avec l’extérieur : dans les espaces de fonctionnement :

e9. Décrire cet apport de lumière artificielle (néon, ampoule, abat-jour …): dans la cellule : dans les espaces de circulation : dans les espaces communs intérieurs : dans les espaces communs partagés avec l’extérieur : dans les espaces de fonctionnement :

e3. Présence d’une occultation indésirable (caillebotis, barreaux) devant ou derrière la fenêtre : dans la cellule : dans les espaces de circulation : dans les espaces communs intérieurs : dans les espaces communs partagés avec l’extérieur : dans les espaces de fonctionnement :

e10. La personne détenue a la possibilité de gérer (allumer, éteindre, nuancer) cet apport de lumière artificielle : dans la cellule : dans les espaces de circulation : dans les espaces communs intérieurs : dans les espaces communs partagés avec l’extérieur : dans les espaces de fonctionnement :

e4. La personne détenue a la possibilité d’ouvrir la ou les fenêtre(s) : dans la cellule : dans les espaces de circulation : dans les espaces communs intérieurs : dans les espaces communs partagés avec l’extérieur : dans les espaces de fonctionnement :

e11. Le personnel a la possibilité de gérer (allumer, éteindre, nuancer) cet apport de lumière artificielle :

e5. Le personnel a la possibilité d’ouvrir la ou les fenêtre(s) : dans la cellule : dans les espaces de circulation : dans les espaces communs intérieurs : dans les espaces communs partagés avec l’extérieur : dans les espaces de fonctionnement :

e6. Présence de volets intérieurs ou extérieurs (préciser si la personne détenue a le contrôle sur leur ouverture / fermeture) ? dans la cellule : dans les espaces de circulation : dans les espaces communs intérieurs : dans les espaces communs partagés avec l’extérieur : dans les espaces de fonctionnement :

dans la cellule : dans les espaces de circulation : dans les espaces communs intérieurs : dans les espaces communs partagés avec l’extérieur : dans les espaces de fonctionnement :


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F. INTÉGRATION SOCIALE OUTIL D’ANALYSE

Activité

f1. Les locaux d’activité sont-ils positionnés de manière à faciliter l’action des prestataires externes (prêt de l’entrée / sortie ...) ? f2. Décrire les différents locaux d’activités : la ou les activités qui s’y déroulent, l’espace à disposition, l’éclairage ... .

Autonomie

f3. Les personnes détenues se rendent-elles librement à leurs différentes activités ? Accompagnées ?

f12. Si oui, en offrant ces services les personnes détenues ont la possibilité de se former, d’obtenir un diplôme, une expérience professionnelle complète et un salaire décent, identique à celui de la société ? f13. Si oui, ces services se font-ils à l’intérieur de l’enceinte de détention ? À proximité ? f14. Certains équipements de la prison / espaces sont partagés / accessibles à la société ?

Apports théoriques : la prison peut elle-même induire des économies de fonds publics, améliorer les relations avec le monde extérieur et promouvoir l’intégration en fournissant des ressources à la population locale, comme des équipements publics ou des espaces partagés pour certaines activités.

f15. L’apparence architecturale de la prison permet son intégration dans le langage des édifices publics (hôpitaux, f4. L’établissement pénitentiaire dispose-t-il d’un centre écoles …) et évite ainsi la stigmatisation des personnes de documentation / bibliothèque avec un personnel en détenues et du personnel en soulignant leur mission capacité d’accompagner la personne détenue dans la commune de service public et en rappelant que toutes les recherche d’information (droits et devoirs, formations, culture, personnes détenues ne représentent pas un risque élevé prises en charge de leurs démarches administratives et pour la société ? personnelles …) ? f16. Des dispositifs architecturaux (programmatiques, mise en œuvre …) favorisent le bien-être des visiteurs ?

Favoriser la normalité

f5. L’architecture carcérale de l’établissement pénitentiaire fait-elle écho à l’architecture domestique extérieure ? Permetelle le déroulement d’un mode de vie culturelle similaire à celui présent à l’extérieur f6. L’architecture de l’établissement pénitentiaire permetelle le prolongement ou l’apprentissage d’un mode de vie qui pourra se pérenniser à la sortie ? (langages spatiaux similaires) ? f7. La situation géographique de la prison permet-elle à la personne détenue d’aller seule à des entretiens à l’extérieur ? f8. La situation géographique de la prison permet-elle de se former ou de trouver un travail à proximité ? f9. La situation géographique de la prison permet-elle d’emprunter les transports en commun ? f10. La situation géographique de la prison permet-elle d’apprendre à gérer un budget en faisant ses courses à l’extérieur et à proximité ?

f17. La prison comprend un lieu pour les visites, proportionnel au nombre de personnes détenues ? f18. Si oui, ce lieu répond-il aux besoins essentiels des visiteurs (toilettes, nourritures, boissons, espace de dépôt des affaires personnelles, protection contre la pluie, contre le soleil, dispositifs permettant l’intimité familiale …) ? f19. Si oui, l’acoustique, l’éclairage, les matériaux et le mobilier contribuent-ils à créer une atmosphère normale, similaire à celle d’un lieu de rencontre situé à l’extérieur et permettant un sentiment de normalité tant pour les personnes détenues que pour les visiteurs, préservant ainsi l’intégration sociale par des rapports humains non biaisés ? f20. Les espaces de rencontre permettent l’accueil d’un ou plusieurs enfants avec un sentiment de normalité (jeux, espaces de partage …) ? f21. Les espaces de rencontre permettent la poursuite d’une vie conjugale ? f22. Les espaces de rencontre sont intérieurs et extérieurs selon les envies de chacun et les saisons ?

f11. L’établissement pénitentiaire permet d’offrir des services à la société, en répondant à des besoins locaux ? (agriculture, f23. Les personnes détenues ont accès à une boîte aux lettres recyclage, services d’entretien et de réparation) pour déposer leur courrier ?


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f24. Les cellules intègrent un téléphone ? f25. Si les téléphones sont collectifs, ratio téléphone / nb de détenus & description de l’accès (accessible librement, sur un créneau horaire quotidien, hebdomadaire ou mensuel fixe, sur demande orale, demande écrite …) f26. Les personnes détenues ont accès à internet : dans leur cellule dans un espace dédié accessible librement et quotidiennement dans un espace dédié accessible de manière quotidienne dans un espace dédié accessible de manière hebdomadaire dans un espace dédié accessible de manière mensuelle sur réservation écrite ou orale à travers une activité particulière s’ils sont inscrits et dans le cadre de recherches encadrées aux parloirs non autre :

f27. Quelles infrastructures et quels services sont partagés avec la population locale ?


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G. PRISE EN COMPTE D’USAGERS DIVERS OUTIL D’ANALYSE

g1. Si l’établissement accueille des femmes détenues : des services de gynécologie sont-ils présents ? l’espace sanitaire est-il prévu pour effectuer un suivi prénatal et post-natal ? des cellules sont-elles conçues pour accueillir les femmes et leurs enfants jusqu’à 3ans dans un cadre de vie permettant à l’enfant de ne pas subir la détention ? (il ne doit avoir besoin de franchir aucun obstacle pour aller apprendre, être gardé ou encore se faire soigner).

g2. L’établissement est-il adapté pour accueillir des personnes (indiquer les dispositifs mis en place) : à mobilité réduite : sourdes ou malentendantes : aveugles ou malvoyantes :

g3. L’établissement possède-t-il un lieu de culte unique sobre, utilisé et personnalisé pour chaque religion selon les besoins ? g4. L’établissement possède-t-il un lieu de culte spécifique pour chaque religion en présence ? Pour les religions les plus représentées ? g5. Les conditions de détention des personnes en détention provisoire sont-elles les mêmes que celles des personnes condamnées (localisation des cellules, aménagement des cellules, services, régime de détention, lieux de rencontre avec les personnes extérieures …) ?


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H. SATISFACTION DES BESOINS HUMAINS Apports théoriques : privés de leur liberté, les détenus dépendent des autorités pénitentiaires pour satisfaire leurs besoins les plus fondamentaux : II Boire et se nourrir II Vivre dans un environnement salubre II Dormir II Avoir un espace privé et personnel II Faire de l’exercice physique II Avoir accès à des installations sanitaires pour l’hygiène personnelle II Recevoir des soins de santé II Entretenir des relations sociales et avoir des activités enrichissantes

Accès permanent à l’eau potable

h1. L’ensemble des personnes détenues a un accès à l’eau potable dans sa cellule ? oui non autre :

h6. Lorsque la nourriture est préparée (en interne ou en externe), prend-elle en compte les régimes particuliers ? (allergies, religion …) des personnes détenues du personnel autre (préciser)

h7. La personne détenue peut cuisiner dans de bonnes conditions (suffisamment d’espace, d’hygiène et de sources d’énergie) dans sa cellule ? Pour lui-même ? Pour ses codétenus ? oui, pour lui-même seulement oui pour lui-même et ses codétenus d’autres cellules non Préciser.

h8. La personne détenue se procure de quoi cuisiner en cantinant ? Des produits frais & locaux sont disponibles ? h9. La personne détenue peut, accompagnée ou non accompagnée, se rendre à l’extérieur de la prison pour faire ses courses ?

h2. L’ensemble du personnel pénitentiaire a un accès à l’eau potable aisé ? oui non autre :

h3. Les cellules sont équipées d’arrivée d’eau froide et d’eau chaude ? eau chaude seulement eau froide seulement les deux

Alimentation

h4. L’établissement est doté d’une cuisine professionnelle permettant de réaliser l’ensemble des repas nécessaires (3 repas par jour) pour les personnes détenues et le personnel ? oui non préciser :

h5. L’établissement a confié à un prestataire externe la confection et la livraison des repas pour les personnes détenues et une cantine est présente pour le personnel ? pour les personnes détenues pour le personnel autre (préciser) :

Un cadre de vie sain

h10. Décrire l’état général de l’établissement h11. Quel(s) système(s) permet(tent) le renouvellement de l’air : dans les cellules : dans les espaces de circulation : dans les locaux d’activité :

h12. Les personnes détenues ont la possibilité d’aérer manuellement leur cellule en ouvrant la ou les fenêtres ? oui non autre :

h13. Les personnes détenues disposent-elles des éléments nécessaires au maintien de la propreté de leur cellule ?


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De l’intimité et un espace personnel

OUTIL D’ANALYSE

h14. L’établissement comprend un ou plusieurs espace(s) privatif(s) pour le personnel pénitentiaire ? Préciser pour chacun de ces espaces dédiés au personnel leur emplacement vis-à-vis du périmètre de sécurité : dans l’enceinte de la détention / en limite interne (à proximité direct de l’entrée, permettant d’y accéder sans passer le sas de sécurité) / à l’extérieur de l’espace de détention. une salle de repos : un espace destiné à la prise des repas : une salle récréative : un espace de dépôt des effets personnels : un bloc sanitaire comprenant douches et WC :

h15. L’établissement autorise les personnes détenues à conserver certains de leurs effets personnels (bijoux, vêtements, petit électroménager, mobilier, photographies …) ? h16. Si oui, préciser lesquels. h17. Si oui, la conception architecturale prévoit-elle des espaces dédiés au rangement / intégration de ces effets personnels ? h18. L’établissement possède-t-il un lieu de stockage facile à organiser et sécurisé pour réceptionner les effets personnels que les personnes détenues apportent avec elles, mais qu’elles ne peuvent conserver en détention ?

Sommeil

h23. Indiquer le ratio nombre d’espaces de vie conjugale / nombre de personnes détenues pouvant y accéder. h24. Au sein des cellules, l’espace de nuit est-il le même que l’espace de vie ? h25. L’aménagement de la cellule prévoit-il des configurations différentes pour ces différents temps du quotidien ? h26. Les draps sont-ils lavés de manière hebdomadaire ? Mensuelle ? h27. Un espace dédié au sommeil pour le personnel pénitentiaire est-il prévu dans l’établissement ?

Accès à l’exercice physique, à des espaces ouverts et à l’air libre

h28. Le personnel bénéficie d’infrastructures sportives au sein de l’établissement ? oui non partagent-ils ces infrastructures avec les personnes détenues ? ont-ils un espace réservé ont-ils la possibilité d’effectuer des activités sportives avec les personnes détenues ? Préciser.

h29. Décrire les espaces extérieurs auxquels ont accès les personnes détenues quotidiennement.

h19. Lorsque l’établissement comprend un ou plusieurs espace(s) de vie conjugale, cet espace permet-il la bonne réalisation d’activité du quotidien, allant au-delà d’une pièce avec un lit ?

h30. Existe-t-il d’autre(s) espace(s) extérieur(s) au(x)quel(s) les personnes détenues ont accès moins régulièrement ? Si oui, les décrire également.

h20. Lorsque l’établissement comprend un ou plusieurs espace(s) de vie conjugale, cet espace permet-il l’accès à :

h31. Les espaces extérieurs sont-ils entretenus lors d’activités dédiées (jardinage) ? Par des «auxis» ? Par un prestataire externe ?

une nourriture classique : à un espace extérieur : à des activités : Préciser.

h21. Ce lieu prévoit-il : un espace dédié au couple un espace dédié à la prise des repas un espace dédié à l’hygiène un espace dédié aux enfants ?

h22. Décrire le degré d’intimité de ce lieu.

h32. Les espaces extérieurs sont-ils habités par des animaux domestiques (tant pour l’entretien que pour la socialisation des personnes détenues, et leur apprentissage), poules, chèvres, chiens, chat, chevaux, moutons … ?


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Accès

à des installations sanitaires pour l’hygiène personnelle

h33. Les personnes détenues ont accès à une machine à laver pour laver leur linge de manière hebdomadaire ? h34. Un service de nettoyage du linge est :

mis à disposition des personnes détenues (préciser) : imposé la seule manière pour les personnes détenues de laver leur linge est de faire des lessives à la main dans le petit lavabo de leur cellule la seule manière pour les personnes détenues de laver leur linge est de donner leur linge lors des parloirs

Accès à des soins de santé préventifs et curatifs

h35. L’établissement comporte un espace dédié à la santé ? h36. Cet espace inclue-t-il : des bureaux des salles de consultation respectant un degré d’intimité suffisant des salles dédiées aux soins primaires, y compris dentaires et pharmaceutiques (+gynécologiques si il s’agit d’un établissement recevant des femmes) des soins de santé d’assistances (mobilité réduite, vue, audition) des services de prévention et d’éducation à l’hygiène (cours de prévention + vaccination) des services de santé mentale (pour des thérapies individuelles ou en groupe) des espaces de soins de santé secondaire (y compris lit d’hospitalisation) des espaces d’attente un laboratoire d’analyse une pharmacie des espaces de vie permettant d’isoler des personnes détenues contagieuses ? autre, précisez

h37. L’accès à ces services de soin est : libre sur demande orale sur demande écrite

Accès à des activités constructives

h38. Lister les espaces dédiés aux activités individuelles et collectives, qu’il s’agisse de divertissement, d’apprentissage ou de travail. h39. La conception de ces espaces permet-elle une flexibilité d’usages ? h40. L’accès à ces espaces se fait : en autonomie escorté.e sans réservation sur réservation ou inscription (précisé par oral ou par écrit)

h41. Ces espaces sont-ils ouverts à la population locale ?


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I. PROTECTION DES PERSONNES OUTIL D’ANALYSE

Apports théoriques : nous entendons par protection, dans le contexte de la détention, la préservation de l’intégrité physique et mentale des personnes à l’intérieur d’un lieu de détention. Protéger signifie s’abstenir de toute action dommageable et prendre toutes les mesures possibles pour préserver les personnes des mauvais traitements, des agressions, des maladies, du stress et d’autres atteintes qu’il est possible de prévenir. « La meilleure manière d’assurer la protection du personnel consiste à créer un cadre dans lequel les personnes détenues se sentent protégées et en sécurité. Pour ce faire, il faut commencer par satisfaire les besoins fondamentaux des personnes détenues. » 1 i1. La conception architecturale des lieux de détention permet-elle une supervision directe ? (préciser pour chaque lieu de l’établissement). i2. L’établissement comporte des espaces dit « temps-mort » permettant à une personne détenue de retrouver son calme après une situation tendue et ainsi éviter l’isolement ?

1. Extrait de l’ouvrage Architecture des prisons / Principes et méthodologie participative pour une architecture carcérale plus humaine, page 189.


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J. PRIVATION DE LIBERTÉ

K. APPROPRIATION

j1. Les différents périmètres d’accessibilités sont clairement définis :

k1. Décrire les modifications qui sont apparues depuis l’ouverture de la prison (ou depuis que vous êtes incarcérés ou salariés dans cet établissement) pour chacun des espaces désignés (changement de disposition du mobilier, tags, ajout, retrait, modification) :

périmètre de libre circulation des personnes détenues périmètre des visiteurs périmètre des travailleurs autre :

j2. L’établissement comprend un quartier d’évaluation des personnes entrant en détention ? j3. L’architecture des espaces de vie des personnes détenues est différente selon leur niveau de dangerosité ? Si oui, expliquer en quoi. j4. Les personnes détenues ont accès aux mêmes espaces d’activités, de formations et de travail selon leur régime de détention (CD, MA, condamnées, prévenues …) ? oui c’est les mêmes salles et les groupes sont mixés oui c’est les mêmes salles et les groupes sont faits en respectant les niveaux de dangerosité oui ils ont des espaces équivalents, mais dans des quartiers réservés non (expliquer).

j5. Les personnes détenues ont accès aux mêmes espaces d’activités, de formations et de travail selon leur genre ? oui c’est les même salles et les groupes sont mixés oui c’est les mêmes salles et les groupes sont faits en respectant les niveaux de dangerosité oui ils ont des espaces équivalents mais dans des quartiers réservés non (expliquer).

j6. L’architecture globale de l’établissement comprend : un ou plusieurs mirador(s) des filins anti-hélicoptère / projection des caillebotis

dans la cellule : dans les espaces de circulation : dans les espaces communs intérieurs : dans les espaces communs partagés avec l’extérieur : dans les espaces de fonctionnement :

k2. Dans quel but chacune des modifications citées cidessus a-elle été faite (appropriation, recherche de sécurité, ouverture sur l’extérieur …) : k3. Si l’espace est partagé, y a-t-il des dispositifs architecturaux permettant le respect de la sphère personnel/ intime de chacun: dans la cellule : dans les espaces de circulation : dans les espaces communs intérieurs : dans les espaces communs partagés avec l’extérieur : dans les espaces de fonctionnement :

k4. Les personnes extérieures à la prison peuvent-elles intervenir sur / modifier les espaces partagés (apport de plantes, d’objets, de jeux …)


TRAVAIL DE TERRAIN Les pages suivantes présentent les différents outils créés pour accompagner une démarche de travail de terrain : - collecte de cartes mentales - grille d’entretien La collecte de carte mentale était prévue en amont des entretiens. Comme détaillé dans la première partie de ce travail de recherche, cette collecte n’a pu aboutir (seules deux réponses ont été collectées), et les entretiens n’ont donc jamais eu lieu.


Ci-contre : Photographie de ©Grégoire Korganow, faite dans une prison française et extraite d’une série photographique réalisée pour le CGLPL entre 2011 et 2013.


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TRAVAIL DE TERRAIN

COLLECTE DE CARTE MENTALE


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TRAVAIL DE TERRAIN Collecte de carte mentale


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TRAVAIL DE TERRAIN Collecte de carte mentale


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TRAVAIL DE TERRAIN

6. Au moment d’aller dormir, ressentiez-vous un sentiment de sécurité ? De confort ? Pistes pour relancer la discussion : II Avez-vous remarqué des éléments nuisant à votre sommeil durant votre période de détention ? II Pendant votre sommeil, étiez-vous réveillé(e) par des bruits récurrents ? Ces mêmes bruits (ou d’autres), entraînaient-ils des difficultés pour vous endormir ? VUE D’ENSEMBLE II Présence d’une lumière artificielle gênante ? 1. Par quel(s) lieu(x) d’incarcération êtes-vous passé ? (année, II Température trop basse / trop haute ? Capacité d’agir sur ces durée) températures ? II De quel mobilier disposiez-vous pour dormir ? (lit, matelas, 2. Décrire sommairement ces différents lieux de détention, sommiers, draps propres, oreillers, couettes … les points communs, les différences (d’un point de vue II Heure de coucher imposée / libre – heure de lever imposé architectural, de fonctionnement), dans leur ensemble. / libre ? Pistes pour relancer la discussion : II Aviez-vous accès à l’eau potable, à un sanitaire pendant la II 5 mots clés pour décrire chaque établissement nuit ? II De manière générale l’établissement était-il neuf / récent / très bien entretenu / vétuste / délabré / autre II Bénéficiez-vous d’un régime de détention particulier (semiliberté, respecto) ? INTIMITÉ 7. Si on aborde la question de l’intimité, qu’avez-vous envie de dire ? Pistes pour relancer la discussion : LIEU DE VIE PERSONNE, LA CELLULE II cellule partagée ou individuelle 3. Décrire précisément la ou les cellules dans la/lesquelles II Douche et sanitaire en cellule vous étiez incarcéré.e II Architecture pensée pour une ou plusieurs personnes Pistes pour relancer la discussion : (douche, sanitaire) II Nombre de fenêtres, description de cette ou ces fenêtres, II Astuces mises en place pour trouver un petit peu plus possibilité ou non de l’ouvrir d’intimité II Possibilité de l’ouvrir ou non II Dans la cellule, y avait-il un endroit duquel vous pouviez II Système(s) d’occultation de la lumière naturelle (autonomie vous préserver du regard du personnel pénitentiaire ? d’action sur ceux-ci) II Aviez-vous la possibilité de laisser votre porte ouverte, ou II Système(s) de lumière artificielle (autonomie d’action sur fermée selon vos envies ? ceux-ci) II La nuit, était-il possible de dormir dans une obscurité totale ? LIEU DE VIE PARTAGE, LES ESPACES COLLECTIFS II Qu’est-ce que vous pouviez-vois à travers cette/ces fenêtres 8. Accès à un ou des espaces naturels (pelouse, forêt) : II Aviez-vous la notion du temps qui passe, de l’heure qu’il - fréquence pouvait être - décrire

GRILLE D’ENTRETIEN

4. Lister les matériaux présents dans votre cellule (murs, sol, plafond, mobiliers) : 5. Lister les matériaux que vous auriez aimé trouver dans votre cellule :

- durée - sous quelle condition (libre d’accès ou non)

INTERACTIONS

9. Interactions avec d’autres individus - que dans le cadre d’activité / promenade / parloirs - librement durant la journée - discussion / jeux / repas en commun / échange de savoir-faire - contact former ou informel - personnes détenues, personnels, proches, autres

10. Des espaces particuliers étaient mis à votre disposition pour favoriser ces échanges : - décrire leur architecture - à destination de qui - pour faire quoi


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POUR ALLER PLUS LOIN

11. Lister les principaux matériaux de la prison (murs, sols, plafond, mobiliers …) : 12. Lister les matériaux que vous auriez aimé trouver dans la prison : 13. Vous sentiez-vous en sécurité : - dans la cellule (pourquoi) : - dans les espaces de circulation (pourquoi) : - dans les espaces communs intérieurs (pourquoi) : - dans les espaces communs partagés avec l’extérieur (pourquoi) : - dans les espaces de fonctionnement (pourquoi) :

14. Selon vous, l’architecture dans laquelle vous étiez portaitelle atteinte à vos droits et votre dignité (si oui, expliquer pourquoi / Décrivez les dispositifs architecturaux qui vous permettaient de vous sentir en sécurité ) : - dans la cellule (décrire) : - dans les espaces de circulation (décrire) : - dans les espaces communs intérieurs (décrire) : - dans les espaces communs partagés avec l’extérieur (décrire) : - dans les espaces de fonctionnement (décrire) :

15. L’architecture de la prison en général vous permettait-elle de vous sentir : - valorisé(e) (décrivez) : - respecté(e) (décrivez) : - dévalorisé(e) (décrivez) : - neutre (décrivez) :

16. Un commentaire sur l’architecture des parloirs : 17. Un commentaire sur l’architecture des locaux d’activité : 18. De manière générale, dans quel(s) lieu(x) vous sentezvous bien ? Précisez les dispositifs architecturaux (matériaux, lumière, couleurs, autonomie …) qui vous permettent de vous sentir bien dans un espace donné.


ENTRETIENS ARCHITECTES. Christophe DARBEDA, architecte, co-fondateur de WTF/A Architectes Associés, ancien salarié de l’agence Archi5Prid. Entretien fait en visio, le vendredi 30 octobre 2020. 1h32 Brigitte SCHARFF, architecte associée de l’agence Vurpas. Eentretien fait en visio, le mardi 22 décembre 2020. 38’21

AUTRE. Vincent BALLON, chef de l’unité des personnes privées de liberté du Comité international de la Croix-Rouge. Entretien fait en visio, le mardi 13 octobre 2020. 27’12


Ci-contre : Photographie de ©Grégoire Korganow, faite dans une prison française et extraite d’une série photographique réalisée pour le CGLPL entre 2011 et 2013.


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MERCI. Mémoire réalisé dans le cadre du Master II à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Lyon, achevé en février 2021, sous la direction, la bienveillance et les précieux conseils de Corine Védrine. Ce travail de recherche a été amorcé en 2017, sous la direction de Stephan Courteix. Contact. Anouk Mousset 06.44.93.16.88 anoukmousset@orange.fr


Ci-contre : Photographie de ©Grégoire Korganow, faite dans une prison française et extraite d’une série photographique réalisée pour le CGLPL entre 2011 et 2013.


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