La Chanson de Roland- Mort Roland

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La chanson de Roland « La mort de Roland » (vers 1070)

Tous les Franc sont morts, bénis in extremis par l’archevêque-combatant Turpin. Roland est maître du champ de bataille, mais il va mourir à son tour. Charlemagne rappelé par le son du cor, arrivera trop tard pour recueillir son dernier soupir. CLXIX. Alors, Roland sent qu'il perd la vue, Il se redresse, s’efforce autant qu'il le peut ; La couleur de son visage s'en est allée. Devant lui il y a une pierre grise : 5 Par douleur et par rancune il y frappe dix grands coups. L'acier grince, mais il ne se brise ni ne s'ébrèche même pas. « Eh ! dit le Comte, Sainte Marie, aide-moi ! Eh ! Durendal1, ma bonne,quel malheur pour vous ! Maintenant que je vous quitte, j'ai bien des soucis à me faire pour vous. 10 J'ai remporté tant de batailles d'homme à homme avec vous, Et conquis tant de grandes terres, Que Charles possède, lui qui a la barbe chenue. Que jamais un homme qui fuit son ennemi ne vous tienne ! C'est un fort bon guerrier qui vous a longtemps portée, 15 Il n'y en aura plus jamais de tel en la sainte France. » AOI. 1

CLXXI. Roland frappe sur la pierre grise : L'acier grince, il ne se brise pas, il ne s'ébrèche pas. Quand le Comte voit qu'il ne peut pas fendre son arme , Il commence à se lamenter en lui-même : 20 « Eh ! Durendal, que tu es claire et blanche ! Comme tu brilles et resplendis au soleil ! Charles était dans la vallée de Maurienne 1

Les épées des héros de chanson de geste portent des noms. Durendal es l’une des plus célèbres.


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Quand Dieu, du ciel, lui lui demanda par son ange De te donner à un Comte valeureux : Alors ce noble roi, ce grand roi, me la ceignit. Avec elle je lui ai conquis l'Anjou et la Bretagne, Je lui ai conquis le Poitou et le Maine, Avec elle je lui ai conquis la Normandie franche, Je lui ai conquis la Provence et l'Aquitaine Et la Lombardie la Romagne, toute entière; Avec elle je lui ai conquis la Bavière et toutes les Flandres, Et Bulgarie et la Pologne, entière Constantinople, dont il a reçu l’hommage2, Et la Saxe, où il fait selon sa volonté. Avec elle je lui ai conquis l'Écosse et l'Irlande, Et l'Angleterre, où il avait son domaine. Avec elle j’ai conquis pour lui tant de pays et contrées, Pour Charles, à la barbe blanche, qui en est maître et qui porte. Pour cette épée j'ai le coeur lourd et du chagrin, J’aime mieux mourir plutôt que de la laisser aux mains des païens ! Seigneur Dieu le Père, ne laissez pas la France dans une telle honte ! » AOI.

CLXXII Roland frappe le perron de sardoine. Il frappe plus de coups que je ne saurais vous dire. L'épée grince, mais elle ne se tord , ni ne se brise, 45 Elle rebondit haut vers le ciel. Quand le Comte voit qu'il n'arrivera pas à la fendre, Très doucement il se lamente sur elle en lui-même : « Eh ! Durendale, comme tu es belle et très sainte ! Dans ton pommeau d'or il y a maintes reliques : 50 La dent de Saint Pierre et du sang de Saint Basile, Et des cheveux de Monseigneur Saint Denis, Ainsi qu’un morceau du vêtement de Sainte Marie3. Ce ne serait pas justice que des païens te possèdent : C'est par des chrétiens que vous devez être servie. 55 Qu’aucun homme capable de lâcheté ne vous possède ! J'aurai, grâce à vous, conquis bien de vastes terres Que Charles, a la barbe fleurie, possède, L'empereur en est puissant et riche. » AOI. CLXXIII. Alors Roland sent que la mort le prend, 60 De la tête au cœur elle descend. En courant il va jusque sous un pin, Sur l'herbe verte il s’est couché, face contre terre, Sous lui il met son épée et son olifant. Il tourne la tête du côté des gent païenne. 65 Il fait cela car il veut vraiment 2

Cette liste de conquêtes n’a évidemment rien à voir avec la vérité historique. Le culte des reliques est très répandu au Moyen Age. Saint Denis est le protecteur de “doulce France” et du lignage de Charlemagne, son nom fait partie de l’enseigne royale: “Montjoie-Saint Denis”. 3


Que Charles dise, ainsi que tous les siens : « Le noble Comte est mort en conquérant4. » Il se bat sa coulpe à plusieurs reprises. Pour ses péchés, il offre à Dieu son gant. AOI. CLXXIV 70 Alors Roland sent que son temps est fini. Face à l'Espagne, il est sur un sommet pointu,. D'une main il s’est frappé la poitrine: « Dieu, je me prepens, au nom de tes vertus, De mes péchés, les grands et les petits, 75 Que j'ai commis depuis l'heure de ma naissance Jusqu'à ce jour où je suis ainsi mortellement frappé ! » Il a tendu son gant droit vers Dieu. Les anges du ciel descendent à lui. AOI.

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CLXXV Le comte Roland est étendu sous un pin. Vers l'Espagne, il a tourné le visage. Il s’est pris à se rappeler bien de choses , Tant de terres qu'il a vaillamment conquises, De sa douce France, des hommes de son lignage, De Charlemagne, son seigneur, qui l'a nourri. Il ne peut s’empêcher de pleurer, d’en soupirer, Mais il ne veut pas oublier sa lui-même5. Il bat sa coulpe, il demande pitié à Dieu : « Vrai Père, toi qui jamais n'a menti, Toi qui ressuscitas Saint Lazare de la mort, Et préservas Daniel des lions, Préserve mon âme de tous les périls, Causés par les péchés que je fis en ma vie6 ! » Il offrit à Dieu son gant droit; Saint Gabriel l'a pris par la main. Sur son bras Roland incline la tête; Les mains jointes il est parti à sa fin. Dieu lui a envoyé son ange chérubin, Et Saint Michel du Péril de la Mer ; Et Saint Gabriel vient se joindre à eux. Ils emportent l'âme du comte au paradis. AOI.

La mort n’est pas une affaire personnelle. Roland se soucie de mettre en place les éléments symboliques que saura déchiffrer Charlemagne : il est en effet maître du champ de bataille, et par-delà la mort il “menace” encore les païens. 5 C’est-à-dire se laisser absorber par des souvenirs profanes sans se soucier de l’essentiel, le salut se son âme. 6 Exemple de ce qu’on appelle les “prières du plus grand peril” que chaque chrétien est en droit de prononcer à l’heure de sa mort.


1. Identifiez les étapes par lesquelles la mort de Roland passe. Identifiez aussi les actants de cet extrait et analysez leur caractérisation et leurs valeurs. 2. La mort de Roland est présentée comme « une mise en scène » quel est le cadre, le décor, quels sont les détails, les indications qui nous permettent d’appuyer ceci ? 3. Quelles sont les valeurs mises en relief par la mort de Roland ? 4. Analysez l’extrait en termes de la répétition, quel effet crée-t-elle sur le rythme et la progression du récit ? (Repérez les vers qui se répètent, ou leurs équivalents, tout au long de l’extrait)


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