Essai pour une résilience européenne

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ANDRÉ ANTOINE  LES CAHIERS DE LA PRÉSIDENCE DU PARLEMENT DE WALLONIE

ESSAI POUR UNE RÉSILIENCE



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ANDRÉ ANTOINE Président du Parlement de Wallonie Bourgmestre de Perwez

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AVANT PROPOS

AVANT PROPOS

C

omme tous les hommes et toutes les femmes de ma génération, j’ai grandi en même temps que l’Europe.

Issu d’un milieu agricole, j’ai d’abord été le témoin direct de l’impact de la Politique agricole commune sur la vie de nombreux agriculteurs. Cette politique fondamentale a ainsi organisé l’autosuffisance alimentaire de notre vieux continent, mais aujourd’hui, elle inquiète la quasi-totalité de nos exploitants. Fraîchement diplômé en droit, j’ai décidé de compléter ma formation par un diplôme des Hautes Études européennes. Ce parcours académique a renforcé ma ferme conviction que l’Europe est essentielle pour garantir le bien-être de nos concitoyens et contribuer à un monde plus harmonieux. Devenu député, j’ai immédiatement expérimenté l’influence des directives européennes sur nos législations, jusqu’à l’échelon régional, voire communal. Du reste, en ma qualité de ministre du Budget, de l’Aménagement du territoire ou encore des Transports, j’ai été amené à prendre part à plusieurs réunions du Conseil de l’Union européenne. Ces réunions furent pour moi l’expérience de la complexité, mais aussi de l’absolue nécessité de forger consensus entre un si grand nombre de pays. Et aujourd’hui, comme Président du Parlement de Wallonie et de sa Commission chargée de questions européennes, je mets un point d’honneur à ce que nous nous approprions des dossiers aussi cruciaux que le Semestre européen, les normes comptables européennes, ou encore les traités internationaux comme le CETA. Ce dernier épisode a d’ailleurs démontré toute l’importance de la participation des Parlements nationaux et régionaux au processus de décision européen. Par leur proximité avec les citoyens, ils assurent le premier maillon d’une chaîne qui les relie à l’Europe. Ce lien permanent constitue le gage d’une adhésion collective au projet européen. Loin de moi toute prétention d’affirmer des vérités absolues sur ce que devrait être l’avenir de notre continent. Le présent cahier se veut avant tout une modeste contribution, sous forme d’essai, d’un homme politique sincèrement engagé et bien sûr conquis par le projet européen. Je formule le voeu que les analyses et suggestions du présent document alimentent le débat public annoncé sur l’avenir de l’Union européenne, en quête de résilience.

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INTRODUCTION


À

l’aube du soixantième anniversaire des Traités de Rome qui sera célébré ce 25 mars, les institutions européennes se mobilisent afin de dessiner une nouvelle vision d’avenir pour l’Union. À cette occasion, le Conseil européen adoptera la « déclaration de Rome ». Pour sa part, la Commission a publié le 1er mars 2017 un livre blanc définissant cinq scénarii pour le futur de l’Union. Enfin, le Parlement européen a récemment adopté trois résolutions en la matière. Cette importante démarche de réflexion s’achèvera lors du Conseil européen de décembre 2017, qui devrait éclaircir l’horizon de notre avenir commun. Au cours de ce processus, la Commission entend mener une large consultation impliquant les Parlements et gouvernements nationaux et régionaux, mais aussi les organisations de la société civile et les citoyens. À ce titre, la Conférence des assemblées législatives des régions d’Europe ne manquera certainement pas de saisir cette occasion. En ma qualité de Président de la Commission chargée de questions européennes du Parlement de Wallonie, mais aussi d’Européen convaincu, je souhaite que notre assemblée prenne toute sa place dans ce débat de première importance. Parlement national au titre du Traité de Lisbonne, le Parlement de Wallonie est pleinement légitime pour se prononcer sur l’avenir de l’Union. Du reste, les travaux relatifs aux accords de libre-échange, au Semestre européen, au Brexit, ou encore aux normes comptables européennes démontrent qu’il a d’ores et déjà endossé ce nouveau statut. Dans ce cadre, ce nouveau numéro des cahiers de la présidence se veut avant tout une invitation au débat public. Il formule des suggestions ayant vocation à être discutées, précisées ou amendées par chacune et chacun. Convaincu qu’un débat fertile commence par une compréhension partagée des enjeux, j’ai également souhaité que cette contribution constitue un outil de vulgarisation. Les lecteurs les plus curieux trouveront des analyses détaillées des différents thèmes à l’aide des nombreuses références bibliographiques émaillant le texte. Du reste, le chantier de la refondation européenne est vaste et l’exhaustivité constitue, à ce titre, une qualité à laquelle cette publication ne saurait prétendre. Les investissements publics, le défi de la migration, de la défense ou encore la nécessité d’un budget pour la zone euro ont par exemple été retenus, mais la liste des thèmes à aborder est potentiellement infinie. La nécessité d’une Europe plus réactive et plus adaptée aux défis de son temps, mais aussi l’indispensable modestie qui nous incombe font de ce numéro un authentique « Essai pour une résilience européenne ». L’Europe traverse des moments particulièrement difficiles, mettant sa cohésion et sa légitimité à l’épreuve. Pour d’aucuns, une lente dissolution de l’Union s’est engagée avec le référendum sur le Brexit. Ce vote serait la manifestation d’un désamour grandissant des citoyens vis-à-vis d’un projet dont la complexité et la relative paralysie masquent une plus-value pourtant bien réelle. À cet égard, relevons les récents résultats encourageants du scrutin néerlandais, véritable sursaut européen. Je formule l’espoir d’une

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transmission de cette prise de conscience à l’ensemble de l’Europe, à commencer par la France. Gageons que cette nouvelle positive constitue un camouflet pour tous ceux qui rêvent de voir l’Europe de l’Hymne à la joie céder le pas à l’Europe des drapeaux. Le retour en grâce de l’Union aux yeux de ses citoyens s’avère plus que jamais indispensable dans un contexte de « polycrise », qui se décline tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Union. La nécessaire coopération fiscale et sociale, la défense d’une agriculture raisonnée, d’un commerce plus humain, ou encore la réindustrialisation de l’Europe sont autant de défis globaux qui appellent à l’évidence des réponses communes. À cet égard, il y a lieu de demeurer optimiste puisque, comme l’expose ce numéro des cahiers de la présidence, l’Europe est actuellement plongée dans un bouillonnement d’idées qu’elle n’avait plus connu depuis trop longtemps. Pour reprendre les mots de Robert Schuman, « les nations, loin de pouvoir se suffire à elles-mêmes, sont solidaires les unes des autres ; le meilleur moyen de servir son pays est de lui assurer le concours des autres par la réciprocité des efforts et par la mise en commun des ressources »1. Le peuple belge a engendré de nombreux artisans de la construction européenne. Prolonger leur oeuvre constitue donc également un devoir moral vis-à-vis de nos illustres prédécesseurs. Pensons bien entendu à Paul-Henri Spaak, principal artisan des Traités de Rome et Père fondateur de l’Union, à Jean Rey, ancien Président de la Commission européenne, à Philippe Busquin, alors chargé de la recherche scientifique, à Philippe Maystadt, ancien Président de la Banque européenne d’investissement, ou encore à Louis Michel, commissaire à la Coopération internationale et à l’Aide humanitaire jusqu’en 2009 et actuel membre du Parlement européen. 1

R. SCHUMAN, Pour l’Europe, 5e édition, Fondation Robert Shuman Nagel, Paris, 2010

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L’Union européenne est assurément la construction politique la plus ambitieuse de l’Histoire du vingtième siècle. Il ne faudrait jamais perdre de vue qu’il y a 75 ans à peine, l’Europe était encore le théâtre d’affrontements continuels et sans merci. Notre continent a toutefois pu renaître de ses cendres grâce à la mise en commun de ressources stratégiques, à la fondation de la Communauté économique européenne en 1957 et à sa constante évolution vers l’Union européenne que nous connaissons aujourd’hui. Alors qu’il est encore relativement jeune, cet ensemble politique nouveau a accompli des progrès inespérés, comme l’union douanière, l’élection du Parlement européen au suffrage universel, l’entrée en vigueur de l’espace Schengen, l’introduction de la monnaie unique, l’émergence des Fonds structurels et du Fonds social européen, ou encore l’élargissement aux pays de l’ex-bloc de l’Est. Ces nombreux acquis ont garanti la paix et la prospérité à nos citoyens pendant des dizaines d’années. Même si la construction européenne marque aujourd’hui un temps d’arrêt, il nous appartient d’en chérir les bienfaits et d’en mesurer chaque jour le caractère exceptionnel. Pour les enfants de l’Europe que nous sommes, elle a changé nos vies au point de devenir l’évidence même. Passer une frontière sans passeport, commander un produit européen sur Internet et même, pour certains d’entre nous, partir en Erasmus constituent désormais des actions si naturelles que nous ne réalisons plus les efforts qu’elles ont nécessités. La réhabilitation de l’Europe aux yeux de ses citoyens passera inévitablement par des décisions concrètes, pragmatiques, mais toutefois ambitieuses. Certes, ses institutions ne sont pas gravées dans le marbre et doivent être désacralisées afin de se doter d’une autonomie suffisante par rapport aux États membres, mais le temps presse. Le Traité de Lisbonne offre d’ores et déjà des marges de manoeuvre afin de réunir les États qui le souhaitent pour avancer ensemble vers « une union sans cesse plus étroite des peuples européens », telle que décrite en préambule du Traité instituant la Communauté économique européenne. Ces pionniers pourraient inspirer les autres États et les entraîner dans leur sillage, chacun à son propre rythme. Je fais mienne une telle approche, qui ne revient pas à trahir l’esprit des Pères fondateurs, mais bien à marcher dans leurs traces puisque la déclaration de Schuman le 9 mai 1950 prédisait déjà que « L’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble: elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait ».

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L’IMBROGLIO

INSTITUTIONNEL


L

’Union européenne2 est un objet politique non identifié, un « OPNI », selon la célèbre formule de Jacques Delors, alors Président de la Commission européenne3. Structure politique atypique ou sui generis, elle est fondée, depuis son origine, sur le délicat équilibre entre les intérêts particuliers des États membres et l’intérêt général communautaire4.

Cette ambivalence originelle a généré un système politique original mais complexe, reposant sur l’existence d’un « triangle institutionnel », constitué de la Commission, du Conseil et du Parlement européen. Sous le contrôle de la Cour de justice de l’Union européenne, les rapports entre ces institutions sont régis par le principe de l’équilibre institutionnel5 protégeant leurs attributions respectives et l’équilibre entre logiques supranationale et intergouvernementale6. Loin d’être immuable, cet équilibre évolue au gré des modifications des traités, mais aussi des postures adoptées par les États membres. Dominée à l’origine par la Commission et, ensuite, par le couple « Commission-Conseil », la construction européenne a progressivement renforcé le rôle du Parlement européen. Ainsi, la dernière modification du droit primaire de l’Union, réalisée par le Traité de Lisbonne, a mis en place de « nouveaux équilibres institutionnels », avec le renforcement sans précédent des pouvoirs du Parlement européen, l’extension significative du vote à la majorité qualifiée au Conseil ou encore la meilleure association des Parlements nationaux7. Á d’autres égards, l’Union européenne connaît au contraire une phase de renforcement de l’intergouvernementalisme, rendant le contrôle des Parlements nationaux sur leurs exécutifs encore plus nécessaire8. Pensons notamment au rôle déterminant joué par le Conseil européen dans la gouvernance

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Dans la suite du document, l’abréviation « UE » sera utilisée pour désigner l’Union européenne.

3

Intervention de Jacques Delors, Président de la Commission européenne, lors de la première conférence intergouvernementale (CIG) qui s’est tenue à Luxembourg le 9 septembre 1985.

4

S. ARTAUD-VIGNOLLET, Le principe de l’équilibre institutionnel dans l’Union européenne, thèse défendue à l’Université Toulouse I Capitole le 28 octobre 2003, p. 549.

5

Ce principe a été affirmé très tôt par la Cour de justice de l’Union européenne dans son arrêt Meroni/Haute Autorité du 13 juin 1958.

6

S. ARTAUD-VIGNOLLET, op. cit.

7

F.-X. PRIOLLAUD et D. SIRITZKY, « Avant-propos », in Les traités européens après le traité de Lisbonne, Paris, Direction de l’information légale et administrative, 2010.

8

C. GESLOT, « La responsabilité politique des Exécutifs des États du fait de leur action européenne : éléments de problématique », in C. GESLOT, P.-Y. MONJAL et J. ROSSETTO, La responsabilité politique des Exécutifs des États membres du fait de leur action européenne, Bruxelles, Bruylant, 2016, p. 23.

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de l’Union européenne depuis la crise de la zone euro en 20089. Sans vouloir faire prévaloir une légitimité sur une autre, et tout en admettant que ce renforcement puisse, dans certains cas, constituer un passage obligé avant qu’une « communautarisation » ne soit possible10, il est toutefois regrettable que les réflexes nationaux – voire nationalistes – de certains États membres mettent en échec les politiques européennes. La légitimité matérielle d’une démocratie dépend en effet de la capacité de ses institutions à adopter des décisions dans l’intérêt de ses concitoyens11. Les « difficultés de légitimation »12 de l’action européenne ne sont pas étonnantes dans ce contexte. En témoigne la baisse de confiance des citoyens dans les institutions européennes, relevée par la Commission dans son Livre blanc sur l’avenir de l’Europe13. Après une description de l’architecture actuelle, ce premier chapitre suggère des pistes de réformes institutionnelles, à même de permettre à l’Union européenne de définir des objectifs politiques clairs et d’atteindre des résultats concrets dans un certain nombre de domaines, qu’il s’agisse de la fiscalité des multinationales, de la migration ou encore de la politique de sécurité et de défense. Neufs politiques seront examinées dans les chapitres suivants.

9

H. OBERDORFF, « Vers une démocratie transParlementaire européenne ? », in C. GESLOT, P.-Y. MONJAL et J. ROSSETTO, op. cit, p. 249.

10

Voy. en ce sens C. GESLOT, op. cit., p. 24 et J. HABERMAS, La Constitution de l’Europe, Paris, Gallimard, 2012.

11

M. GENNART, « Les Parlements nationaux dans le traité de Lisbonne : évolution ou révolution ? », C.D.E., 2010, p. 23.

12

O. COSTA et N. BRACK, Le fonctionnement de l’Union européenne, Bruxelles, Editions de l’Université de Bruxelles, 2011, pp. 223 et 224.

13

Alors qu’ils étaient encore une moitié il y a dix ans, ils ne sont plus qu’un tiers aujourd’hui à avoir confiance dans les institutions européennes. Sur cette baisse de confiance, voy. le Livre blanc de la Commission européenne sur l’avenir de l’Europe, publié le 1er mars 2017.

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L’ARCHITECTURE INSTITUTIONNELLE ACTUELLE L’article 13, par. 1, du Traité sur l’Union européenne (TUE)14 énumère les sept institutions formant « la structure de base »15 de l’Union. Il s’agit du Parlement européen, du Conseil européen, du Conseil, de la Commission européenne, de la Cour de justice de l’Union européenne, de la Banque centrale européenne et de la Cour des comptes. Les traités prévoient également l’existence du Comité économique et social et du Comité des régions qui exercent des fonctions consultatives16, ainsi que celle du médiateur européen. Ces différentes institutions sont présentées dans le cadre d’une « approche fonctionnelle » en distinguant les instances d’impulsion, de décision, de respect de la régularité, de consultation et les organes financiers17. Un organigramme est annexé au présent chapitre. Enfin, le Traité de Lisbonne a renforcé la participation des Parlements nationaux au fonctionnement de l’Union.

14

L’Union européenne est régie par deux traités constitutifs, le Traité sur l’Union européenne (TUE) et le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), modifiés pour la dernière fois par le Traité de Lisbonne, entré en vigueur le 1er décembre 2009.

15

S. VAN RAEPENBUSCH, Droit institutionnel de l’Union européenne, Bruxelles, Larcier, 2011, p. 186.

16

Article 13, par. 4, TUE.

17

Cette approche est empruntée à O. COSTA et N. BRACK in O. COSTA et N. BRACK, op. cit, p. 46.

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1|

L’IMPULSION : LE CONSEIL EUROPÉEN

18

Depuis le traité de Lisbonne, le Conseil européen est considéré comme une « institution » à part entière de l’Union. Son existence est consacrée à l’article 13 TUE19. Le Conseil européen est chargé de donner à l’Union les impulsions nécessaires à son développement et de définir les orientations et les priorités politiques générales. Il encadre le travail de la Commission, du Conseil et du Parlement européen appelés à traduire ces priorités politiques en actes législatifs20. Il n’exerce, pour sa part, pas de fonction législative21. Le Conseil européen est également parfois appelé à jouer un rôle d’« arbitrage » afin de régler les dossiers qui n’ont pas pu l’être au niveau du Conseil. Tel fût notamment le cas en 1984 à propos de la contribution du RoyaumeUni au budget communautaire22. D’aucuns considèrent néanmoins que cette intervention doit rester exceptionnelle afin de ne pas dénaturer la mission première du Conseil européen qui réside dans son rôle d’impulsion23. Enfin, les traités confient des compétences particulières au Conseil européen, comme celles de définir les orientations générales de la politique étrangère et de sécurité commune (art. 26 TUE) ou de décider des formations du Conseil (art. 236 TFUE)24. Le Conseil européen est composé des Chefs d’État ou de gouvernement des États membres, ainsi que de son Président et du Président de la Commission. Le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité participe à ces travaux25. 18

Art. 15, 26, 27, 31, 42, par. 2, TUE et 235 et 236 TFUE.

19

C’est l’Acte unique européen (1986) qui a consacré pour la première fois formellement le Conseil européen, sans qu’il ne soit toutefois énuméré parmi les « institutions » de l’Union.

20

O. COSTA et N. BRACK, op. cit., p. 47.

21

Art. 15, par. 1, TUE.

22

O. COSTA et N. BRACK, op. cit., p. 47.

23

S. VAN RAEPENBUSCH, op. cit., p. 202.

24

Fiches techniques sur l’Union européenne, « Le Conseil européen », www.europarl. europa.eu. Concernant les formations du Conseil, voy. infra.

25

En vertu de l’article 18 TUE, le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité est nommé par le Conseil européen. Il est à la fois membre du Conseil (il préside la formation des affaires étrangères), du Conseil européen et de

15


Depuis le Traité de Lisbonne, le Conseil européen élit à la majorité qualifiée son Président pour une durée de deux ans et demi, renouvelable une fois26. Le 1er janvier 2010, Herman Van Rompuy est devenu le premier Président permanent du Conseil européen27. Donald Tusk lui a succédé le 1er décembre 2014. Sa réélection pour un second mandat a été approuvée, le 9 mars 2017, par le Conseil européen, malgré l’opposition du gouvernement de son pays, la Pologne. Le Conseil européen se prononce par consensus, sauf lorsque les traités en disposent autrement. Ainsi, par exemple, il fixe la répartition des sièges au Parlement européen à l’unanimité28. Il se réunit au moins deux fois par semestre.

la Commission (il est vice-Président et commissaire chargé de l’action extérieure). 26

Auparavant, la présidence du Conseil européen faisait l’objet d’un système de rotation semestrielle entre les États membres (S. VAN RAEPENBUSCH, op. cit., 2011, p. 200).

27

Il a été réélu pour un second mandat du 1er juin 2012 au 30 novembre 2014.

28

S. VAN RAEPENBUSCH, op. cit., 2011, p. 201.

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2|

L A DÉCISION : LA COMMISSION, LE CONSEIL ET LE PARLEMENT EUROPÉEN

2.1|  La Commission européenne29 Malgré l’institutionnalisation du Conseil européen, la Commission demeure « au centre du processus »30. Elément moteur de l’ensemble institutionnel, elle promeut l’intérêt général de l’Union et prend les initiatives appropriées à cette fin31. A titre principal, elle est investie de quatre missions32 : 1. u n pouvoir d’initiative : la Commission détient le quasi-monopole du pouvoir d’initiative en matière normative (art. 17, par. 2, TUE) et budgétaire (article 314, par. 2, TFUE). Ce rôle est capital car il lui permet de fixer l’agenda européen en soumettant ses propositions au Conseil et au Parlement européen, qui ne peuvent agir en l’absence d’initiative de la Commission33. Le Conseil et le Parlement européen34 peuvent néanmoins demander à la Commission de leur soumettre une proposition sur toute question appropriée35. Dans certains domaines, tels que l’Union économique et monétaire ou la politique étrangère et de sécurité commune, la Commission partage son pouvoir d’initiative avec les États membres36. Enfin, relevons le nombre important de propositions de la Commission découlant des lignes directrices du Conseil européen, ou encore la possibilité pour les citoyens de l’Union, au nombre d’un million au moins, de

29

Art. 17 TUE et 244 à 250 TFUE.

30

O. COSTA et N. BRACK, op. cit., p. 52.

31

S. VAN RAEPENBUSCH, op. cit., 2011, p. 264.

32

O. COSTA et N. BRACK, op. cit., p. 59.

33

S. VAN RAEPENBUSCH, op. cit., 2011, pp. 264-266.

34

L’attribution d’un pouvoir d’initiative au Parlement européen a été discutée au sein de la Convention sur l’avenir de l’Europe, mais n’a pas été retenue (S. VAN RAEPENBUSCH, op. cit., 2011, p. 266). A l’époque, plusieurs auteurs favorables à l’introduction d’un tel pouvoir d’initiative relevaient néanmoins que celui-ci ne pouvait pas mettre à néant le droit d’initiative de la Commission et qu’il devait satisfaire à des conditions de procédure de son exercice, telles que recevoir l’approbation préalable d’un certain nombre de Parlementaires européens et faire l’objet d’une motivation. Il s’agissait ainsi de préserver le rôle de la Commission comme gardienne de l’intérêt général. Voy. en ce sens S. ARTAUD-VIGNOLLET, op. cit., p. 309 et F. DEHOUSSE, « La CIG 2000 : vers une réforme incomplète des institutions européennes ? », www.cairn.info.

35

Art. 225 et 241 TFUE.

36

O. COSTA et N. BRACK, op. cit., p. 60.

17


présenter une « initiative citoyenne » à la Commission37. Dans les faits, d’aucuns considèrent que seules 5 à 15 % des initiatives prises par la Commission sont « le fruit de réflexions menées de manière autonome »38 ; 2. des compétences d’exécution : la Commission veille à l’application des traités et des actes du Conseil et du Parlement européen. L’article 291 TFUE précise néanmoins qu’il incombe aux États membres de prendre « toutes les mesures de droit interne nécessaires pour la mise en œuvre des actes juridiquement contraignants de l’Union », l’exercice des compétences d’exécution par la Commission n’étant justifié que lorsque « des conditions uniformes d’exécution » sont nécessaires39. Dans le cadre de sa fonction d’exécution, la Commission est également responsable de la gestion et de l’utilisation du budget adopté conjointement par le Conseil et le Parlement européen40 ; 3. u n rôle de « gardienne des traités » : la Commission surveille l’application du droit de l’Union, sous le contrôle de la Cour de justice de l’Union européenne. Dans ce cadre, elle poursuit notamment les infractions aux obligations incombant aux États membres en vertu des traités et peut introduire un recours en manquement devant la Cour de justice sur la base de l’article 258 TFUE41 ; 4. un pouvoir de représentation extérieure de l’Union42 : dans ce cadre, la Commission joue notamment un rôle actif dans la négociation d’accords internationaux, en ce compris dans le domaine de la politique commerciale commune43. L’article 17, par. 5, TUE prévoit qu’à partir du 1er novembre 2014, « la Commission est composée d’un nombre de membres, y compris son Président et le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, correspondant aux deux tiers du nombre d’États membres44, à moins que le Conseil européen ne décide, à l’unanimité, de modifier ce nombre ».

37

Art. 11, par. 4, TUE et 24 TFUE.

38

O. COSTA et N. BRACK, op. cit., p. 60.

39

S. VAN RAEPENBUSCH, op. cit., 2011, p. 250.

40

O. COSTA et N. BRACK, op. cit., p. 60.

41

S. VAN RAEPENBUSCH, op. cit., 2011, pp. 242-244.

42

A l’exception des domaines relevant de la politique étrangère et de sécurité commune confiés au haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité.

43

Art. 207 et 218 TFUE.

44

Dans cette hypothèse, les membres de la Commission seront choisis selon un système de rotation entre les États membres.

18


En 2009, sous la pression du gouvernement irlandais45, le Conseil européen a maintenu un nombre de commissaires égal au nombre d’États membres. Cette décision explique que la Commission « Juncker » compte aujourd’hui 28 membres46. Le Président de la Commission est élu par le Parlement européen, en tenant compte du résultat des élections47 et sur proposition du Conseil européen statuant à la majorité qualifiée. Le Conseil, d’un commun accord avec le Président élu, adopte la liste des autres personnalités qu’il propose de nommer commissaires. Le collège ainsi constitué fait l’objet d’un vote collectif au Parlement européen et d’une nomination formelle par le Conseil européen, statuant à la majorité qualifiée, pour une durée de cinq ans48. La Commission fonctionne selon le principe de collégialité. Les décisions sont prises par le collège dans son ensemble et les commissaires sont collectivement responsables. Des délégations à l’un ou à l’autre commissaire sont concevables pour « des catégories déterminées d’actes d’administration et de gestion, ce qui exclut par hypothèse les décisions de principe »49. En théorie, la Commission adopte ses décisions à la majorité simple, le Président ayant le même poids que les autres commissaires. Dans les faits, les votes sont extrêmement rares, les décisions étant « réputées adoptées si aucun membre ne s’y oppose explicitement » (consensus négatif)50. 45

Cette exigence du gouvernement irlandais a été formulée dans le cadre d’une nouvelle soumission du traité de Lisbonne à une ratification par référendum (O. COSTA et N. BRACK, op. cit., p. 53).

46

En réalité, la Commission compte à ce jour 27 membres en raison du non-remplacement de la Commissaire bulgare, Kristina Georgieva, partie diriger la Banque mondiale. Ses responsabilités ont été transférées au Commissaire allemand, Günter Oettinger.

47

Pour la première fois lors des élections européennes de 2014, les partis politiques européens ont désigné leur candidat au poste de Président de la Commission, ce qui a permis aux citoyens européens d’influencer cette désignation. C’est le candidat du parti ayant obtenu le plus de voix, Jean-Claude Juncker (PPE), qui a été investi de la fonction Présidentielle (www.europarl.europa.eu).

48

S. VAN RAEPENBUSCH, op. cit., 2011, p. 236.

49

S. VAN RAEPENBUSCH, op. cit., 2011, p. 240.

50

O. COSTA et N. BRACK, op. cit., p. 61.

19


2.2|  Le Conseil51 Le Conseil constitue le véritable organe de décision de l’Union, le plus souvent de concert avec le Parlement européen52. Ils exercent en effet conjointement53 les fonctions législative et budgétaire54. Le Conseil est également investi d’autres missions par les traités, dont celle d’autoriser en dernier ressort les coopérations renforcées55. Introduit par le Traité d’Amsterdam56, ce principe d’« intégration différenciée » permet à un minimum de neuf États membres d’approfondir leur coopération57, tout en restant dans le cadre de l’Union européenne. Ces États membres adressent une demande à la Commission qui peut soumettre une proposition au Conseil, statuant à la majorité qualifiée après approbation du Parlement européen58. Une fois l’autorisation accordée, les États membres participants peuvent prendre des décisions qui ne lieront qu’eux seuls et les États qui décideraient par la suite de se joindre à eux59. Le Conseil est l’institution représentative des États membres60. Il est composé d’un représentant de chaque État membre au niveau ministériel, habilité à

51

Art. 16 TUE et 237 à 243 TFUE.

52

S. VAN RAEPENBUSCH, op. cit., 2011, p. 264.

53

Le traité de Lisbonne a étendu la procédure de « co-décision » qui est devenue la règle de droit commun.

54

Le Conseil est investi d’autres missions particulières, comme celles de coordination des grandes orientations des politiques économiques des États, de définition de la politique étrangère et de sécurité commune (sur la base des orientations générales définies par le Conseil européen) ou de conclusion des accords internationaux (O. COSTA et N. BRACK, op. cit., p. 86).

55

Art. 20 TUE et 326 à 334 TFUE.

56

Les quinze États signataires du Traité d’Amsterdam entendaient ainsi anticiper les difficultés potentielles issues des futurs élargissements de l’Union aux pays d’Europe centrale et occidentale.

57

Les coopérations renforcées peuvent porter sur tous les domaines visés par les traités, à l’exception des domaines de compétence exclusive. La coopération renforcée dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) ne doit pas être confondue avec la coopération structurée permanente qui relève de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC). A ce dernier sujet, voy. le chapitre sur la défense.

58

Art. 329 TFUE. Dans le domaine de la PESC, le Conseil statue seul et à l’unanimité. La Commission et la haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité donnent un avis. Le Parlement européen est informé.

59

A ce jour, cet outil a été utilisé trois fois, dont récemment concernant la taxe sur les transactions financières, qui n’a toujours pas abouti.

60

S. VAN RAEPENBUSCH, op. cit., p. 205.

20


engager le gouvernement de son État et à exercer le droit de vote61. En Belgique, un accord de coopération a été conclu, le 8 mars 1994, entre l’État fédéral, les Communautés et les Régions afin de régler la représentation du Royaume de Belgique au sein du Conseil62. Le Conseil siège en formations spécialisées. Il en compte dix à ce jour. Deux d’entre elles sont visées à l’article 16 TUE qui institue le Conseil des affaires générales et le Conseil des affaires étrangères. Le premier assure la cohérence des travaux des différentes formations du Conseil et prépare les réunions du Conseil européen, tandis que le second élabore l’action extérieure de l’Union, sur la base des orientations générales définies par le Conseil européen. La liste des autres formations du Conseil est arrêtée par le Conseil européen63 : « affaires économiques et financières », « justice et affaires intérieures », « emploi, politique sociale, santé et consommateurs », « compétitivité », « transports, télécommunications et énergie », « agriculture et pêche », « environnement et éducation », « jeunesse et culture »64. Le Conseil des affaires étrangères est présidé par le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité65. Les autres formations du Conseil sont présidées, sur la base d’un programme commun, par des groupes prédéterminés de trois États membres, pour une période de 18 mois. La présidence officielle des formations du Conseil est toutefois exercée à tour de rôle, durant six mois, par l’un de ces trois États, les deux autres l’assistant66. Le 26 juillet 2016, une décision définissant l’ordre dans lequel les États membres exerceront la présidence du Conseil jusqu’en 2030 a été adoptée. En « trio » avec l’Espagne et la Hongrie pour la période s’étalant du 1er juillet 2023 au 31 décembre 2024, la Belgique présidera le Conseil du 1er janvier au 30 juin 202467. Conformément aux traités, la majorité qualifiée constitue « le mode ordinaire

61

Art. 16, par. 2, TUE.

62

M.B., 17 novembre 1994.

63

Art. 236 TFUE.

64

Décision du Conseil du 1er décembre 2009 établissant la liste des formations du Conseil autres que celles visées à l’article 16, paragraphe 6, deuxième et troisième alinéas, du traité sur l’Union européenne (2009/878/UE).

65

Art. 18, par. 3, TUE.

66

Décision du Conseil européen du 1er décembre 2009 relative à l’exercice de la présidence du Conseil (2009/881/UE).

67

Décision 2016/1316 du Conseil du 26 juillet 2016 modifiant la décision 2009/908/UE établissant les mesures d’application de la décision du Conseil européen relative à l’exercice de la présidence du Conseil, et concernant la présidence des instances préparatoires du Conseil.

21


de décision » au sein du Conseil68. La majorité qualifiée se définit comme « étant égale à au moins 55 % des membres du Conseil, comprenant au moins quinze d’entre eux et représentant des États membres réunissant au moins 65 % de la population de l’Union »69. Toutefois, en pratique, le Conseil a tendance à rechercher l’unanimité, même en l’absence de dispositions l’y obligeant70. Dans les domaines sensibles, tels que la fiscalité, la sécurité sociale et la politique étrangère ou de défense, l’unanimité est néanmoins requise par les traités71. Assez logiquement au vu de sa recherche constante d’unanimité en son sein, il n’a jamais été fait usage de la « clause-passerelle » qui permettrait au Conseil de statuer, dans un domaine ou dans un cas déterminé, à la majorité qualifiée plutôt qu’à l’unanimité72. Les travaux du Conseil sont préparés par le Comité des représentants permanents (COREPER), qui se compose des ambassadeurs des États membres auprès de l’Union73. Enfin, le Conseil siège en public lorsqu’il délibère et vote sur un projet d’acte législatif74.

68

S. VAN RAEPENBUSCH, op. cit., p. 214.

69

Art. 16, par. 4, TUE.

70

Fiches techniques sur l’Union européenne, « Le Conseil de l’Union européenne », www. europarl.europa.eu.

71

O. COSTA et N. BRACK, op. cit., p. 89.

72

La « clause-passerelle » est visée à l’article 48, par. 7, TUE qui énonce que, lorsque les traités prévoient que le Conseil statue à l’unanimité dans un domaine ou dans un cas déterminé, le Conseil européen peut adopter une décision autorisant le Conseil à statuer à la majorité qualifiée dans ce domaine ou dans ce cas (sauf en ce qui concerne les décisions ayant des implications militaires ou dans le domaine de la défense). De même, lorsque les traités prévoient que des actes législatifs sont adoptés par le Conseil conformément à une procédure législative spéciale, le Conseil européen peut adopter une décision autorisant l’adoption de ces actes conformément à la procédure législative ordinaire.

73

Art. 240 TFUE ; S. VAN RAEPENBUSCH, op. cit., pp. 209-210.

74

Art. 16, par. 8, TUE.

22


2.3|  Le Parlement européen75 Le Parlement européen est de loin l’institution dont les missions ont le plus évolué depuis la création des Communautés Européennes. D’un organe essentiellement consultatif à l’origine76, le Parlement européen a progressivement endossé le rôle de « co-législateur »77. Aujourd’hui, ses compétences se répartissent en trois catégories : la participation à l’élaboration du droit de l’Union, le pouvoir de contrôle politique et le pouvoir de décision en matière budgétaire78. Dans le cadre de la procédure législative ordinaire (art. 289, par. 1, TFUE), le Parlement européen adopte un acte législatif conjointement avec le Conseil, sur proposition de la Commission. Cette procédure est régie par l’article 294 TFUE et concerne la plupart des compétences de l’Union79. Pour certaines matières politiquement sensibles, une procédure législative spéciale s’applique néanmoins (article 289, par. 2, TFUE)80. Dans ce cas, l’acte législatif est adopté par le Conseil, avec la « participation » du Parlement européen pouvant prendre la forme d’une procédure de consultation ou d’approbation81. La procédure de consultation est notamment applicable en matière de fiscalité indirecte (art. 113 TFUE) ou de sécurité sociale (art. 21 TFUE), tandis que l’approbation du Parlement européen est exigée pour la mise en œuvre d’une procédure de coopération renforcée (art. 329 TFUE), l’établissement d’une procédure électorale uniforme (art. 223 TFUE) ou le recours à la « clause-passerelle » (art. 48, par. 7, TUE). Dans le cadre de son pouvoir de contrôle politique, le Parlement européen peut adopter une « motion de censure » conduisant les membres de la Commission à démissionner collectivement (art. 234 TFUE). Malgré le dépôt d’une dizaine de motions à ce jour, cette procédure n’a encore jamais abouti. D’au75

Art. 14 TUE et 223 à 234 et 314 TFUE.

76

Les membres de l’Assemblée Parlementaire des Communautés étaient désignés par chaque Parlement national, et non pas élus directement par les citoyens de l’Union.

77

Avant l’Acte unique européen (1986), la fonction législative était réservée au seul Conseil, agissant sur proposition de la Commission. En 1986, l’Acte unique européen a instauré une « procédure de coopération » dotant le Parlement européen, dans un certain nombre de domaines législatifs, d’un « droit de blocage » pouvant néanmoins être levé par le Conseil statuant à l’unanimité. Le Traité de Maastricht (1992) a introduit la « procédure de codécision » dans quelques domaines, qui furent étendus par le Traité d’Amsterdam (1997). Depuis le Traité de Lisbonne (2009), la « procédure de codécision », rebaptisée « procédure législative ordinaire », constitue la procédure de prise de décision la plus courante (S. VAN RAEPENBUSCH, op. cit., p. 286).

78

S. VAN RAEPENBUSCH, op. cit., p. 281.

79

O. COSTA et N. BRACK, op. cit., p. 112.

80

S. VAN RAEPENBUSCH, op. cit., p. 292.

81

La procédure d’approbation ne permet que l’accord ou le refus, sans pouvoir d’amendement.

23


cuns la considèrent d’ailleurs comme « inadaptée à l’équilibre institutionnel existant, dans la mesure où elle n’est pas dirigée contre le véritable organe de décision politique qu’est le Conseil »82. Á côté de la motion de censure, le Parlement européen dispose d’autres mécanismes de contrôle prenant notamment la forme de questions écrites ou orales pouvant être adressées à la Commission et au Conseil83. Enfin, le Parlement européen exerce le pouvoir budgétaire, conjointement avec le Conseil (art. 314 TFUE). Le Parlement européen est composé de représentants des citoyens de l’Union. Il compte au maximum 750 membres, plus le Président, élus au suffrage universel direct, libre et secret, pour un mandat de cinq ans. La représentation des citoyens est assurée de façon « dégressivement proportionnelle », avec des seuils minimum et maximum fixés respectivement à 6 et 96 députés par État membre. Sur la base de ce principe, « le rapport entre la population et le nombre de sièges de chaque État membre varie en fonction de leurs populations respectives, de telle sorte que chaque député au Parlement européen d’un État membre plus peuplé représente davantage de citoyens que chaque député d’un État membre moins peuplé »84. Ce principe implique une 82

S. VAN RAEPENBUSCH, op. cit., p. 295. Au sujet de la responsabilité politique des gouvernements pour leur action européenne au sein du Conseil et du Conseil européen, voy. infra.

83

C. GESLOT, op. cit., p. 18.

84

Décision du Conseil européen du 28 juin 2013 fixant la composition du Parlement européen (2013/312/UE).

24


surreprésentation des petits États qui disposent de plus de sièges que ne le permettrait la stricte application du principe de proportionnalité85. Le Conseil européen fixe la composition du Parlement européen, dans le respect de ces principes. Pour la législature 2014-2019, la répartition des sièges entre les États membres est fixée comme suit : la Belgique compte 21 représentants, tout comme la République tchèque, la Grèce, la Hongrie et le Portugal. L’Allemagne atteint le nombre maximal de 96 élus, tandis que la France en dispose de 74 et l’Italie et le Royaume-Uni de 73. L’Estonie, Chypre, le Luxembourg et Malte ont chacun 6 députés86. Aujourd’hui, les élections européennes se déroulent sur la base de principes communs à tous les États membres87 et de dispositions nationales variant d’un État à l’autre. Les traités prévoient toutefois l’adoption par le Conseil, statuant à l’unanimité et sur la base d’un projet du Parlement européen, d’une procédure électorale uniforme à tous les États membres88. Un tel projet a déjà été élaboré par le passé, mais n’a pas pu être adopté faute d’accord au sein du Conseil89. Á l’époque, l’une des propositions avancées était l’instauration d’une circonscription unique européenne pour l’élection d’un certain pourcentage de sièges du Parlement90. Cette proposition est toujours en débat, comme en témoigne la résolution du Parlement européen du 11 novembre 2015 proposant « la création d’une circonscription électorale commune dans laquelle les listes sont emmenées par le candidat ou la candidate de chaque famille politique à la présidence de la Commission »91. Une fois élus, les députés peuvent s’organiser au sein de groupes politiques transnationaux. Un groupe est composé d’au moins 25 élus, issus d’au moins un quart des États membres92.

85

O. COSTA et N. BRACK, op. cit., p. 96.

86

Décision du Conseil européen du 28 juin 2013 fixant la composition du Parlement européen (2013/312/UE).

87

Ces principes communs ont été définis par la décision 2002/772/CE, Euratom du Conseil du 25 juin et du 23 septembre 2002.

88

Art. 223, par. 1, TFUE.

89

S. VAN RAEPENBUSCH, op. cit., p. 272.

90

Résolution du Parlement européen du 15 juillet 1998 sur l’élaboration d’un projet de procédure électorale comprenant des principes communs pour l’élection des députés au Parlement européen, JO C 292 du 21 septembre 1998, p. 66.

91

Résolution du Parlement européen du 11 novembre 2015 sur la réforme de la loi électorale de l’Union européenne (2015/2035(INL)).

92

Art. 32.2 du règlement du Parlement européen.

25


3|

L E RESPECT DE LA RÉGULARITÉ : LA COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPÉENNE, LA COUR DES COMPTES ET LE MÉDIATEUR EUROPÉEN

3.1|  La Cour de justice de l’Union européenne93 La Cour de justice de l’Union européenne94 assure le respect du droit dans l’interprétation et l’application des traités. Moteur de l’intégration européenne, elle est à l’origine d’arrêts très audacieux ayant forgé deux des principales caractéristiques de l’ordre juridique de l’Union, que sont l’applicabilité directe et la primauté du droit de l’Union sur les droits nationaux95. La Cour est investie de plusieurs fonctions juridictionnelles. Elle peut notamment être saisie : nn d ’un renvoi préjudiciel par une juridiction nationale sur les questions d’interprétation et de validité du droit de l’Union qui sont soulevées devant elle (art. 267 TFUE). Rappelons que le juge national est le « juge de droit commun » de l’Union96; nn d ’un recours en manquement lorsqu’un État membre ou la Commission estime qu’un État membre a manqué à une des obligations qui lui incombent en vertu des traités (art. 258 et 259 TFUE) ; nn d ’un recours en annulation contre les actes émanant des institutions de l’Union et qui sont destinés à produire des effets juridiques à l’égard des tiers. Ce recours peut être introduit par les « requérants privilégiés », que sont les États membres, le Parlement européen, le Conseil et la Commission97, ou, dans des conditions très strictes, par des personnes physiques ou morales (art. 263 TFUE). 93

Art. 19 TUE et 251 à 281 TFUE.

94

Cette appellation « générique » couvre en réalité le Cour de justice, le Tribunal et des tribunaux spécialisés. Á ce jour, un seul tribunal spécialisé a été institué par le Conseil. Il s’agit du Tribunal de la fonction publique (S. VAN RAEPENBUSCH, op. cit., p. 315).

95

O. COSTA et N. BRACK, op. cit., p. 120 et S. VAN RAEPENBUSCH, op. cit., p. 313.

96

S. VAN RAEPENBUSCH, op. cit., p. 329.

97

La Cour des comptes, la Banque centrale européenne et le Comité des régions peuvent introduire un recours en annulation pour la sauvegarde de leurs prérogatives.

26


La Cour est également investie de fonctions consultatives portant notamment sur la compatibilité d’un accord international « envisagé » avec les traités (art. 218, par. 11, TFUE). C’est dans ce cadre précis qu’elle devra se prononcer, à la demande de la Belgique, sur le mécanisme de règlement des différends (ICS) contenu dans le CETA, avant que ce dernier ne puisse être ratifié par le Parlement de Wallonie. La Cour de justice est composée d’un juge par État membre. Son Président est élu par et parmi les juges pour une durée de trois ans renouvelable98. Depuis 2015, cette fonction est occupée par Koen Lenaerts. La Cour de justice est assistée de huit avocats généraux, dont le Premier avocat général Melchior Wathelet99.

98

Art. 253 TFUE.

99

Art. 252 TFUE.

27


3.2|  La Cour des comptes100 La Cour des comptes est chargée du contrôle financier externe de l’Union101. Elle examine la légalité et la régularité des comptes des recettes et des dépenses de l’Union et de tout organisme créé par elle. Le traité d’Amsterdam a étendu son contrôle aux organismes gérant des recettes ou des dépenses au nom de l’Union, aux personnes physiques ou morales bénéficiaires de versements provenant du budget de l’Union, ainsi qu’aux recettes et dépenses de celle-ci gérées par la Banque européenne d’investissement102. La Cour des comptes joue également un rôle important dans la procédure de « décharge budgétaire » en assistant le Parlement européen dans sa fonction de contrôle de l’exécution du budget par la Commission103. Elle est composée d’un ressortissant de chaque État membre, nommé pour six ans par le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, après consultation du Parlement européen et conformément aux propositions faites par chaque État104.

3.3|  Le médiateur européen105 Le médiateur européen enquête sur les cas de mauvaise administration dans l’action des institutions, organes ou organismes de l’Union, à l’exception de la Cour de justice de l’Union européenne dans l’exercice de ses fonctions juridictionnelles106. La plupart du temps, ses enquêtes concernent la Commission. 100

Art. 285 à 287 TFUE.

101

Art. 287 TFUE.

102

S. VAN RAEPENBUSCH, op. cit., pp. 360-361.

103

O. COSTA et N. BRACK, op. cit., p. 123.

104

Art. 286 TFUE ; S. VAN RAEPENBUSCH, op. cit., p. 359.

105

Art. 20, 24 et 228 TFUE.

106

Art. 228 TFUE.

28


Le médiateur peut agir de sa propre initiative ou à la suite d’une plainte d’un citoyen de l’Union ou de toute personne physique ou morale résidant ou ayant son siège statutaire dans un État membre. Une plainte peut également être présentée par l’intermédiaire d’un membre du Parlement européen. Dans le cas où le médiateur a constaté un cas de mauvaise administration, il saisit l’institution, organe ou organisme concerné, qui dispose d’un délai de trois mois pour lui faire part de son avis. Le médiateur transmet ensuite un rapport au Parlement européen et à l’institution concernée. Relevons notamment la décision par laquelle le médiateur a considéré que l’absence d’étude d’impact préalable à la conclusion du traité de libre-échange négocié entre l’Union européenne et le Vietnam constituait un cas de mauvaise administration dans le chef de la Commission107. Le médiateur est élu après chaque élection du Parlement européen pour la durée de la législature. Son mandat est renouvelable.

107

Décision du 26 février 2016 dans l’affaire 1409/2014/MHZ sur le défaut d’exécution, par la Commission européenne, d’une évaluation des incidences sur les droits de l’homme avant la conclusion de l’accord de libre-échange UE-Viêt Nam (www.ombudsman.europa.eu).

29


4|

L A CONSULTATION : LE CONSEIL ÉCONOMIQUE ET SOCIAL ET LE COMITÉ DES RÉGIONS

4.1|  Le Conseil économique et social108 Le Comité économique et social européen (CESE) est un organe consultatif chargé de représenter les différentes catégories socioprofessionnelles à l’échelle de l’Union (syndicats, entreprises, agriculteurs, artisans, consommateurs, etc.). Il peut être consulté par le Parlement européen, le Conseil et la Commission. Dans certains cas, sa consultation est obligatoire. Il peut également émettre des avis de sa propre initiative. Il se compose de 350 membres nommés pour une durée de cinq ans par le Conseil, sur proposition des États membres et après consultation de la Commission109.

108

Art. 300 à 304 TFUE.

109

O. COSTA et N. BRACK, op. cit., p. 124.

30


4.2|  Le Comité des régions110 Le Comité des régions est un organe consultatif de représentation des collectivités régionales et locales dans l’Union111. Il émet des avis à la demande du Conseil, de la Commission et du Parlement européen. Sa consultation par le Conseil et la Commission est obligatoire dans un certain nombre de domaines (santé publique, réseaux transeuropéens de transports, télécommunications et énergie, cohésion économique et sociale etc.). Elle est facultative dans les autres matières. Le Comité des régions peut également émettre un avis d’initiative. Enfin, le Comité des régions peut saisir la Cour de justice afin de sauvegarder ses prérogatives, c’est-à-dire lorsqu’il estime que les procédures de consultation ont été violées (article 263, alinéa 3, TFUE), ou pour faire respecter le principe de subsidiarité (Protocole n°2 sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité)112. Le Comité des régions se compose de 350 membres répartis entre les États membres113. La Belgique dispose de 12 représentants, sous la présidence de Michel Lebrun. Ils sont nommés pour une durée de cinq ans par le Conseil, sur proposition des États membres (article 305 TFUE). Les membres désignés doivent être titulaires d’un mandat électoral au sein d’une collectivité régionale ou locale ou être politiquement responsables devant une assemblée élue114.

5|

L ES ORGANES FINANCIERS : LA BANQUE CENTRALE EUROPÉENNE

Depuis le Traité de Lisbonne, la Banque centrale européenne (BCE) est considérée comme une institution à part entière de l’Union. Elle définit et met en œuvre la politique monétaire de la zone euro et a pour mission de maintenir la stabilité des prix à travers le contrôle de l’inflation115. Elle est la seule institution habilitée à autoriser l’émission de l’Euro116. 110

Art. 300, 305 à 307 TFUE.

111

O. COSTA et N. BRACK, op. cit., p. 124.

112

Fiches techniques sur l’Union européenne, « Le Comité des régions », www.europarl.europa.eu.

113

Décision 2014/930/UE du 16 décembre 2014 du Conseil arrêtant la composition du Comité des régions.

114

Art. 300, par. 3, TFUE.

115

O.COSTA et N.BRACK, op. cit., p. 125.

116

Art. 128, par. 1, TFUE.

31


La Banque centrale européenne travaille en collaboration avec les banques centrales nationales des pays de l’Union. Ensemble, elles forment le « Système européen de banques centrales » (SEBC), à distinguer de l’« Eurosystème » qui regroupe uniquement les banques centrales nationales des pays de l’Eurozone117. La BCE est dirigée par un conseil des gouverneurs qui se compose des membres du directoire et des gouverneurs des banques centrales nationales des États membres dont la monnaie est l’Euro (art. 283, par. 1, TFUE). Le directoire se compose de six membres nommés par le Conseil européen.

117

S. VAN RAEPENBUSCH, op. cit., p. 367.

32


6|

L A PARTICIPATION DES PARLEMENTS NATIONAUX

L’article 12 TUE établit la liste des prérogatives reconnues aux Parlements nationaux sur la scène européenne118. Aux termes de cette disposition119, les Parlements nationaux contribuent au « bon fonctionnement » de l’Union : a ) « en étant informés par les institutions de l’Union et en recevant notification des projets d’actes législatifs de l’Union conformément au protocole sur le rôle des Parlements nationaux dans l’Union européenne ; b ) en veillant au respect du principe de subsidiarité conformément aux procédures prévues par le protocole sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité ; c ) e n participant, dans le cadre de l’espace de liberté, de sécurité et de justice, aux mécanismes d’évaluation de la mise en œuvre des politiques de l’Union dans cet espace, conformément à l’article 70 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et en étant associés au contrôle politique d’Europol et à l’évaluation des activités d’Eurojust, conformément aux articles 88 et 85 dudit traité ; d ) en prenant part aux procédures de révision des traités, conformément à l’article 48 du présent traité ; e ) en étant informés des demandes d’adhésion à l’Union, conformément à l’article 49 du présent traités ; f ) e n participant à la coopération interParlementaire entre Parlements nationaux et avec le Parlement européen, conformément au protocole sur le rôle des Parlements nationaux dans l’Union européenne ».

118

Avec le Traité de Lisbonne, ces prérogatives sont consacrées pour la première fois dans le corps des traités, et non plus uniquement dans des Déclarations ou des Protocoles. Ces prérogatives ont été renforcées par le Traité de Lisbonne, sans que ces modifications n’impliquent toutefois de « bouleversement » par rapport à la situation qui prévalait depuis les Traités de Maastricht et d’Amsterdam. L’idée, proposée par Valéry Giscard d’Estaing et largement discutée au sein de la Convention sur l’avenir de l’Europe, d’un « Congrès des peuples d’Europe », réunissant une fois par an des Parlementaires européens et nationaux, n’a finalement pas été retenue (S. VAN RAEPENBUSCH, op. cit., p. 280).

119

L’article 12 du Traité de Lisbonne doit être lu conjointement avec le Protocole n°1 sur le rôle des Parlements nationaux dans l’Union européenne et le Protocole n°2 sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité.

33


La Déclaration n°51 du Royaume de Belgique, annexée au Traité de Lisbonne, précise que « en vertu de son droit constitutionnel, tant la Chambre des Représentants et le Sénat du Parlement fédéral que les assemblées Parlementaires des Communautés et des Régions agissent, en fonction des compétences exercées par l’Union, comme composantes du système Parlementaire national ou chambres du Parlement national ». Cette situation, inédite en Europe, implique pour le Parlement de Wallonie d’être considéré, au même titre que les autres assemblées Parlementaires du pays et dans le cadre de ses compétences propres, comme un « Parlement national » au sens des traités120. Les prérogatives des Parlements nationaux sont de deux types. Les premières instituent un système d’information et de coopération, destiné à soutenir les Parlements nationaux dans le contrôle de l’action menée par leurs gouvernements au niveau européen121. Dans le prolongement du Traité d’Amsterdam, l’article 12, a), TUE consacre le droit des Parlements nationaux d’être individuellement informés de la politique européenne et organise la transmission d’un nombre important de documents122. Ainsi, les Parlements nationaux – disposant, dans la plupart des

120

Voy. en ce sens l’intervention de M. Koen Lenaerts, Président de la Cour de justice de l’Union européenne, sur les régions et l’Union européenne, en séance plénière du Parlement de Wallonie le 2 mars 2016 (C.R.I. N°12 (2015-2016), p. 31). Voy. également en ce sens Y. LEJEUNE, Droit constitutionnel belge : fondements et institutions, Bruxelles, Larcier, 2014. Voy. enfin l’article 123 du règlement du Parlement de Wallonie reprenant l’ensemble des points listés à l’article 12 TUE, à l’exception du contrôle politique d’Europol et de l’évaluation des activités d’Eurojust.

121

L’article 10, par. 2, TUE énonce que « les États membres sont représentés au Conseil européen par leur chef d’État ou de gouvernement et au Conseil par leurs gouvernements, eux-mêmes démocratiquement responsables soit devant leurs Parlements nationaux, soit devant leurs citoyens ». Sébastien ROLAND indique que la logique du régime politique de l’Union rend impensable un contrôle par le Parlement européen de l’action du Conseil ou du Conseil européen (S. ROLAND, « Un déficit démocratique peut en cacher un autre : la responsabilité politique du Conseil européen et du Conseil en question », in C. GESLOT, P.-Y. MONJAL et J. ROSSETTO, op. cit, p. 236). Ce que confirme Christophe GESLOT qui relève que « la nature de l’Union conduit immanquablement à l’absence de responsabilité politique des organes intergouvernementaux rassemblant les exécutifs nationaux. La mise en oeuvre de la responsabilité politique de ces derniers relève nécessairement de leur système politique national » (C. GESLOT, op. cit., p. 17). Alors que les mécanismes nationaux de responsabilité sont la plupart du temps jugés inopérants (voy. en ce sens F. DELPEREE, « La responsabilité politique des Gouvernements fédéral et fédérés en Belgique du fait de leur action européenne, in C. GESLOT, P.-Y. MONJAL et J. ROSSETTO, op. cit, p. 162), l’actualité récente livre un exemple intéressant. Ainsi que le relève Christophe GESLOT, « l’épisode grec de l’été 2015 a illustré de manière éclatante, mais exceptionnelle, la situation d’un gouvernement contraint de mettre en jeu sa responsabilité politique du fait de son action européenne » (C. GESLOT, op. cit., p. 22).

122

Voy. les articles 1er à 8 du Protocole n°1 sur le rôle des Parlements nationaux dans l’Union européenne.

34


cas, d’un organe spécialisé dans les affaires européennes123 – reçoivent les projets d’actes législatifs124, mais aussi les ordres du jour et les résultats des sessions du Conseil, ou encore le rapport annuel de la Cour des comptes125. Un délai de huit semaines est observé entre le moment auquel un projet d’acte législatif est transmis aux Parlements nationaux et son adoption au niveau européen126. Toujours dans la continuité des traités précédents, l’article 12, f), TUE met en place des mécanismes collectifs d’information et d’influence sur l’Union, au travers de relations interParlementaires bilatérales horizontales (entre Parlements nationaux) ou verticales (entre Parlement national et Parlement européen), ou encore de relations interParlementaires multilatérales (entre l’ensemble des Parlements nationaux et le Parlement européen)127. Ainsi, la Conférence des organes Parlementaires spécialisés dans les affaires de l’Union, plus communément appelée « COSAC »128, peut soumettre « toute contribution » qu’elle juge appropriée à l’attention du Parlement européen, 123

Au niveau du Parlement de Wallonie, il s’agit de la Commission chargée de questions européennes. Selon l’article 52 du règlement de l’assemblée, elle est composée de douze membres, en ce compris le Président du Parlement qui la préside. Les membres belges du Parlement européen élus par le collège électoral français sont associés aux travaux de la Commission. Celui-ci veille à la participation du Parlement de Wallonie au bon fonctionnement de l’Union européenne, telle que définie à l’article 123 de son règlement.

124

Les projets d’actes législatifs comprennent les propositions de la Commission, les initiatives d’un groupe d’États membres, les initiatives du Parlement européen, les demandes de la Cour de justice, les recommandations de la Banque centrale européenne et les demandes de la Banque européenne d’investissement, visant à l’adoption d’un acte législatif (article 2).

125

Sont transmis aux Parlements nationaux : le programme législatif annuel ainsi que tout autre instrument de programmation législative ou de stratégie politique (article 1er), tous les projets d’acte législatif (article 2), les ordres du jour et les résultats des sessions du Conseil, y compris les procès-verbaux des sessions au cours desquelles le Conseil délibère sur des projets d’actes législatifs (article 5), les initiatives du Conseil européen visant à modifier les Traités soit pour substituer la règle de l’unanimité par celle de la majorité qualifiée, soit pour remplacer une procédure spéciale par la procédure législative ordinaire (article 6) et le rapport annuel de la Cour des comptes (article 7).

126

Ce délai correspond à celui qui leur est laissé pour émettre un avis motivé sur une éventuelle méconnaissance du principe de subsidiarité (C. CHENEVIERE et J. WILDEMEERSCH, « Le rôle des Parlements nationaux dans le Traité de Lisbonne », Rev. dr. ULG, 2011, p. 454). Pour un examen du mécanisme de contrôle de subsidiarité instauré par le Traité de Lisbonne, voy. infra.

127

Voy. les articles 9 et 10 du Protocole n°1 sur le rôle des Parlements nationaux dans l’Union européenne, ainsi que les explications données à ce sujet par O.COSTA et N.BRACK, op. cit., p. 131.

128

Aux termes du règlement de la COSAC, chaque Parlement national est représenté par un maximum de six membres de son organe spécialisé dans les affaires européennes. Le Parlement européen est également représenté par six membres (art. 3.1. du règlement de la conférence des organes Parlementaires spécialisés dans les affaires de l’Union des Parlements de l’Union européenne (2011/C 229/01), J.O.U.E, 4 août 2011). Pour la Belgique, une délégation de six membres, dont trois députés et trois sénateurs, participent aux travaux de la COSAC.

35


du Conseil et de la Commission. Elle est également chargée de promouvoir l’échange d’informations et de meilleures pratiques entre les Parlements nationaux et le Parlement européen. Les secondes, plus novatrices, instaurent un pouvoir de contrôle et d’intervention des Parlements nationaux en matière européenne, dont la principale forme réside dans le contrôle de subsidiarité129. En vertu de ce principe, « dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, l’Union intervient seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres, tant au niveau central qu’au niveau régional et local, mais peuvent l’être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée, au niveau de l’Union »130. L’article 12, b), TUE permet aux Parlements nationaux de contrôler les projets d’actes législatifs au regard de ce principe131. Tout Parlement national peut, dans un délai de huit semaines, adresser aux Présidents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission132 un avis motivé exposant les raisons pour lesquelles il estime qu’un projet d’acte législatif133, qui lui a été transmis en application de l’article 12, a), TUE, n’est pas conforme au principe de subsidiarité134. Chaque Parlement national dispose de deux voix, réparties en fonction du système Parlementaire national, pour un total de 56 voix au niveau européen. En Belgique, la répartition des voix a fait l’objet d’un accord de coopération signé le 19 décembre 2005 entre les Chambres législatives fédérales, les Parlements des Communautés et les Parlements des Régions135. Celui-ci n’est toutefois jamais entré en vigueur et a fait l’objet de nom129

Voy. en ce sens M. GENNART, op. cit., p. 33 et Y. LEJEUNE, op. cit. Au titre de ce pouvoir de contrôle et d’intervention, les Parlements nationaux participent également aux mécanismes d’évaluation des politiques européennes menées dans le cadre de l’espace de liberté, de sécurité et de justice (art. 12, c), TUE), prennent part aux procédures de révision des traités (art. 12, d), TUE) et sont informés des demandes d’adhésion à l’Union (art. 12, e), TUE).

130

Art. 5, par. 3, TUE.

131

Voy. les dispositions du Protocole n°2 sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité.

132

En 2015, la Commission a reçu huit avis motivés de Parlements nationaux, soit 62 % de moins qu’en 2014. Cinq d’entre eux concernaient la proposition de règlement établissant un mécanisme de relocalisation en cas de crise en matière migratoire (Rapport annuel 2015 de la Commission sur la subsidiarité et la proportionnalité, 15 juillet 2016, COM(2016) 469 final, p. 8).

133

L’article 3 du Protocole n°2 retient la même définition du « projet d’acte législatif » que l’article 2 du Protocole n°1.

134

Art. 6 du Protocole n°2.

135

Aux termes de cet accord, chaque Parlement peut émettre un avis motivé sur la subsidiarité. Ces avis sont déposés au Secrétariat de la Conférence des Présidents des assemblées Parlementaires qui détermine le nombre de voix en fonction de l’origine des avis reçus.

36


breuses critiques, notamment de la part de l’Assemblée générale du Conseil d’État136. En 2010, le sénateur Francis Delpérée a déposé une proposition de loi spéciale qui prescrit la conclusion d’un accord de coopération entre les différentes assemblées du pays, en vue notamment d’établir les modalités par lesquelles celles-ci participent au contrôle de subsidiarité137. En fonction du nombre de voix exprimées, les Parlements nationaux pourront attribuer un « carton jaune » ou un « carton orange » à l’auteur du projet d’acte législatif138. Dans les deux cas, ces mécanismes politiques d’alerte précoce interviennent en amont de l’adoption d’un acte législatif et visent à obtenir le réexamen du projet par son auteur, voire l’abandon du processus législatif139. Ainsi, à titre d’exemple, en ce qui concerne les projets d’actes législatifs portant sur des compétences de l’État fédéral, d’une part, et sur les compétences des Communautés et/ou des Régions, d’autre part, deux voix sont exprimées lorsqu’au moins une chambre fédérale et un Parlement communautaire ou régional communiquent un avis motivé sur la subsidiarité. En ce qui concerne les projets d’actes législatifs portant exclusivement sur les compétences des Communautés et/ou des Régions, deux voix sont exprimées lorsqu’au moins deux Parlements compétents relevant de régimes linguistiques différents communiquent un avis motivé sur la subsidiarité. Cet accord de coopération est consultable sur le site de la Chambre des représentants (www.lachambre.be). 136

Il était prévu que cet accord de coopération entre en vigueur le jour de l’entrée en vigueur du Traité établissant une Constitution pour l’Europe. Pour un commentaire critique de cet accord de coopération, voy. F. DELPEREE et F. DOPAGNE, Le dialogue Parlementaire Belgique-Europe, Bruxelles, Bruylant, 2010, p. 64.

137

Proposition de loi spéciale modifiant la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, en ce qui concerne l’Union européenne, déposée par M. Francis Delpérée, Doc. parl., Sénat, session 2010-2011, n°5-382/1.

138

M. GENNART, op. cit., p. 42.

139

S. VAN RAEPENBUSCH, op. cit., p. 175.

37


En application de la procédure dite du « carton jaune », l’auteur d’un projet d’acte législatif doit « réexaminer » son texte, si les avis sur le non-respect du principe de subsidiarité représentent au moins un tiers des 56 voix attribuées aux Parlements nationaux de l’Union. A l’issue de ce réexamen, l’auteur peut décider, soit de maintenir le projet, soit de le modifier, soit de le retirer. Sa décision doit être motivée140. Depuis l’introduction du mécanisme en 2009, le « carton jaune » a été brandi trois fois, dont en mai 2016 contre la proposition de révision de la directive concernant le détachement des travailleurs141. Les deux autres procédures introduites concernaient respectivement le droit de grève et un projet de parquet européen. Dans le premier cas, la Commission a décidé de retirer sa proposition. Dans le second, elle a modifié son texte mais celui-ci n’a toujours pas été adopté142. Dans les faits, cette procédure peut donc se révéler décisive pour le sort d’une proposition législative143. Le mécanisme dit du « carton orange » est plus contraignant pour la Commission et peut mener le Parlement européen ou le Conseil à mettre fin au processus législatif144. Dans le cadre d’une procédure législative ordinaire, ce mécanisme impose à la Commission de « réexaminer » sa proposition d’acte législatif, si les avis motivés représentent au moins la majorité simple des 56 voix attribuées aux Parlements nationaux de l’Union. A l’issue de ce réexamen, la Commission peut décider, soit de la maintenir, soit de la modifier, soit de la retirer. Si elle décide de la maintenir, elle devra, dans un avis motivé, justifier la raison pour laquelle elle estime que la proposition est conforme au principe de subsidiarité. Cet avis motivé et les avis motivés des Parlements nationaux devront être soumis au Parlement européen et au Conseil qui disposeront chacun d’un « droit de veto » leur permettant d’arrêter le processus législatif145. L’introduction d’un « carton rouge », imposant à la Commission de retirer sa 140

Art. 7, par. 2, du Protocole n°2. Voy. également Y. LEJEUNE, op. cit.

141

Ce sont principalement les pays de l’Est, d’où proviennent les travailleurs détachés, qui s’inquiètent de règles trop contraignantes. La Commission a décidé de maintenir sa proposition considérant qu’elle n’enfreignait pas le principe de subsidiarité, la question des travailleurs détachés étant par nature transfrontalière (Fiches techniques sur l’Union européenne, « Le principe de subsidiarité », www.europarl.europa.eu).

142

« Carton jaune pour la proposition de la Commission sur les travailleurs détachés »,11 mai 2016, www.rtbf.be.

143

C. CHENEVIERE et J. WILDEMEERSCH, op. cit., p. 460.

144

M. GENNART, « Le contrôle du principe de subsidiarité en vue de stimuler les Parlements nationaux », in Le contrôle Parlementaire du principe de subsidiarité, Bruxelles, Larcier, 2013, p. 117.

145

Art. 7, par. 3, du Protocole n°2. Voy. également C. CHENEVIERE et J. WILDEMEERSCH, op. cit., pp. 458-459.

38


proposition si deux tiers des Parlements nationaux s’y opposent, a été largement débattue dans le cadre de la Convention sur l’avenir de l’Europe, mais n’a finalement pas été retenue146. Elle l’a été une nouvelle fois en février 2016 à l’occasion des demandes présentées au Conseil européen par le Premier ministre britannique, David Cameron, dans le cadre des négociations relatives au maintien du Royaume-Uni au sein de l’Union147. Enfin, à côté du mécanisme politique d’alerte précoce, un contrôle juridictionnel du principe de subsidiarité est organisé par le droit de l’Union. La Cour de justice de l’Union européenne est en effet compétente pour se prononcer sur les recours pour violation de ce principe par un acte législatif, formés par un État membre ou transmis par celui-ci, conformément à son ordre juridique, au nom de son Parlement national ou d’une chambre de celui-ci148. Il appartient au droit national de chaque État membre de préciser si son gouvernement est tenu ou non d’introduire ce recours à la demande de son Parlement. En Belgique, l’article 81, § 7, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles prévoit que, dans les matières qui relèvent des compétences des Communautés et des Régions, la citation par l’État d’une personne juridique internationale devant une juridiction internationale ou supranationale intervient à la demande des gouvernements concernés149. La proposition de loi spéciale déposée en 2010 par le sénateur Francis Delpérée entend imposer au gouvernement fédéral de saisir la Cour de justice de l’Union européenne, à la demande d’une assemblée, qu’elle soit fédérale ou fédérée, lorsque celle-ci estime qu’un acte législatif méconnaît le principe de subsidiarité150.

146

M. GENNART, « Le contrôle du principe de subsidiarité en vue de stimuler les Parlements nationaux », in op. cit., p. 119.

147

David Cameron a demandé qu’un groupe de Parlements nationaux puisse bloquer des propositions législatives, sans toutefois proposer de seuil précis. Un projet présenté par le Président du Conseil européen, Donald Tusk, prévoit que dans le cas où les avis motivés représentent 55 % des voix attribuées aux Parlements nationaux, le Conseil mette fin à l’examen du projet d’acte législatif, sauf s’il est modifié de manière à tenir compte des préoccupations exprimées dans les avis motivés. A noter que ce nouveau carton concernerait le Conseil et non pas la Commission (Rapport d’information déposé par la Commission des affaires européennes sur les négociations de l’Union européenne avec le RoyaumeUni relatives à son maintien au sein de l’Union, et présenté par Mme la Députée, Danielle AUROI, Assemblée nationale française, 11 février 2016, N° 3496, pp. 10 à 13).

148

Art. 8 du Protocole n°2. Voy. C. CHENEVIERE et J. WILDEMEERSCH, op. cit., p. 460.

149

M. GENNART, « Le contrôle du principe de subsidiarité en vue de stimuler les Parlements nationaux », in op. cit., pp. 128-129.

150

Proposition de loi spéciale modifiant la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, en ce qui concerne l’Union européenne, déposée par M. Francis Delpérée, Doc. parl., Sénat, session 2010-2011, n°5-382/1.

39


NOS PROPOSITIONS POUR UNE EUROPE RÉFORMÉE A la suite des résultats du référendum organisé au Royaume-Uni à propos du Brexit, les Chefs d’État ou de gouvernement se sont réunis à Bratislava, le 16 septembre 2016, pour entamer une réflexion politique sur l’avenir de l’Union européenne à 27. Le Conseil européen achèvera son propre processus de réflexion à Rome, le 25 mars 2017, à l’occasion du 60ème anniversaire des Traités de Rome151. Ce Sommet doit constituer le point de départ d’un processus plus large incluant les autres institutions européennes et les Parlements nationaux152, si on en croit Jean-Claude Juncker, Président de la Commission. Soucieuse d’apporter sa contribution au débat sur l’avenir de l’Union, la Commission a publié, le 1er mars 2017, un Livre blanc définissant, à droit constant153, cinq scénarios pour l’Europe à l’horizon 2025154. L’un d’entre eux est particulièrement en vogue en ce moment. Dans le cadre existant de l’Union à 27, l’« Europe à plusieurs vitesses » permettrait à des « coalitions de pays volontaires » de décider d’avancer ensemble dans des domaines spécifiques, tels que la défense, la sécurité intérieure, la fiscalité ou les affaires sociales. Pour aller de l’avant, sans modifier les Traités, la Commission mise sur le mécanisme existant des coopérations renforcées. 151

www.consilium.europa.eu.

152

En application du Protocole n°1, le Livre blanc sera transmis par la Commission aux Parlements Nationaux

153

C’est-à-dire dans le cadre des Traités actuels.

154

Ces scénarios sont les suivants : s’inscrire dans la continuité (scénario 1), rien d’autre que le marché unique (scénario 2), ceux qui veulent plus font plus (scénario 3), faire moins mais de manière plus efficace (scénario 4) et faire beaucoup plus ensemble (scénario 5).

40


De son côté, le Parlement européen a tenu un débat, le 15 mars 2017, dans le cadre duquel les députés européens ont fait part de leurs priorités en amont de la Déclaration de Rome. La plupart d’entre eux ont insisté, à cette occasion, sur la nécessité pour l’Union européenne de répondre aux besoins urgents des citoyens afin de regagner leur confiance. L’Europe doit se fixer des objectifs clairs, engranger des résultats concrets et tenir ses engagements. Elle doit également renforcer la transparence de son processus décisionnel et la responsabilité de ses institutions. Pour y parvenir, le Parlement européen propose une approche en deux temps. A court terme, il est possible d’améliorer le fonctionnement de l’Union européenne en mettant pleinement à profit le potentiel du Traité de Lisbonne155. A plus long terme, une révision des traités s’imposera pour faire évoluer la structure institutionnelle de l’Union européenne156. Ces deux étapes nous semblent indispensables. En effet, seuls des changements institutionnels permettront de rendre à l’Union sa capacité de décision, là où son action est aujourd’hui trop souvent paralysée. Pour paraphraser Pierre Defraigne, il faut oser une avancée institutionnelle, sans quoi la lente désagrégation entreprise par le Brexit se poursuivra157.

155

Résolution du Parlement européen du 16 février 2017 sur l’amélioration du fonctionnement de l’Union européenne en mettant à profit le potentiel du traité de Lisbonne (2014/2249(INI)). Cette résolution a été approuvée par 329 voix pour, 223 voix contre et 83 abstentions.

156

Résolution du Parlement européen du 16 février 2017 sur les évolutions et adaptations possibles de la structure institutionnelle actuelle de l’Union européenne (2014/2248(INI)). Cette résolution a été adoptée à une courte majorité, avec 283 voix pour, 269 voix contre et 83 abstentions.

157

« En appeler au citoyen européen », La Libre, 15 mars 2017.

41


Concrètement, nous proposons les pistes de réformes suivantes158 : 1. Renforcer les pouvoirs du Parlement européen : en tant que seule institution directement élue par les citoyens, le Parlement européen doit obtenir le droit d’initiative législative, sans préjudice de la prérogative législative de la Commission159. Cette compétence est l’« essence même de la démocratie »160. Par ailleurs, la procédure législative spéciale dite de « consultation » doit être intégralement remplacée par une procédure législative ordinaire, impliquant la codécision du Conseil et du Parlement161. Enfin, il convient d’élargir les matières soumises au vote du Parlement européen, notamment en ce qui concerne le déclenchement d’opérations militaires conjointes162. 2. Favoriser la démocratie participative : l’initiative citoyenne européenne doit être réformée afin qu’elle devienne un outil fonctionnel d’engagement démocratique. Il s’agit d’abord de favoriser son développement en abaissant le nombre de signatures requis à 500.000, en ce compris un certain pourcentage dans un nombre déterminé d’États membres afin de garantir son caractère « transnational ». Il s’agit également de sensibiliser la population et de mieux faire connaître ce mécanisme, mais aussi d’améliorer la collecte de signatures en ligne ou encore d’imposer une motivation plus poussée en cas de rejet de ces initiatives par la Commission163. 3. Alléger la prise de décision au sein du Conseil : la recherche permanente de l’unanimité au sein du Conseil, même en l’absence de dispositions l’y obligeant, conduit à un « échec de la gouvernance » (gestion inadéquate des flux de réfugiés, lenteur de l’assainissement des banques, absence de réponse commune immédiate au terrorisme,

158

Certaines sont formulées à l’échelon européen, avec ou sans modification des traités. D’autres concernent le seul niveau belge.

159

Dans sa résolution 2014/2248, le Parlement européen considère que le Conseil en tant que deuxième chambre de la branche législative de l’Union doit également obtenir le droit d’initiative législative. Cela participerait à son souhait de voir se construire un édifice législatif véritablement bicaméral, dans le cadre duquel les décisions du Conseil seraient prises par un Conseil unique et non par des formations spécialisées qui deviendraient des organes préparatoires à l’image des Commissions du Parlement.

160

C. LASSALLE, « L’initiative Parlementaire dans la procédure normative communautaire », Cahiers de Droit Européen, 1971, p. 136.

161

A droit constant, il conviendrait au minimum d’utiliser les dispositions actuelles du Traité de Lisbonne (clause-passerelle) afin que le Conseil européen autorise l’adoption d’actes législatifs selon la procédure législative ordinaire en lieu et place d’une procédure législative spéciale.

162

Voy. à ce dernier sujet le chapitre consacré à la défense européenne.

163

Voy. en ce sens la résolution 2014/2249 du Parlement européen.

42


etc.)164. Afin de permettre à l’Union européenne de réagir avec rapidité et efficacité, mais aussi de faire primer l’intérêt général communautaire sur les intérêts particuliers des États membres, la prise de décision à la majorité qualifiée ou super qualifiée165 doit être étendue à l’ensemble des matières166. Cette réforme est notamment importante dans le domaine de la fiscalité afin de pouvoir lutter contre les politiques fiscales dommageables des États membres. 4. Encourager la mise en place de coopérations renforcées : les coopérations renforcées constituent des outils pragmatiques d’intégration. Ainsi, elles permettent à un groupe volontaire d’États membres d’avancer ensemble dans des domaines sensibles. Le nombre actuel de coopérations renforcées apparaît toutefois extrêmement limité. Afin d’encourager la mise en place de ces mécanismes d’intégration différenciée, il convient d’assouplir ses conditions de mise en œuvre, dont notamment le nombre minimum d’États membres participants167. Dans sa résolution 2014/2249, le Parlement européen indique toutefois qu’il refusera d’approuver toute nouvelle coopération renforcée, à moins que les États membres participant ne s’engagent à activer la clause-passerelle prévue à l’article 333 TFUE qui déclenche le passage de l’unanimité à la majorité qualifiée et d’une procédure législative spéciale à la procédure législative ordinaire. 5. Transformer la Commission en véritable Collège politique : la Commission doit devenir le gouvernement de principe de l’Union dans le but de renforcer la méthode communautaire et d’améliorer l’efficacité des mesures décidées au niveau européen. Sa taille doit être réduite de façon substantielle, à tout le moins conformément aux dispositions actuelles selon lesquelles elle comprend un nombre de membres correspondant aux deux tiers du nombre d’États membres168. 6. Renforcer la légitimité politique de la Commission et de son Président : actuellement, le Président de la Commission est élu par le Parlement européen sur proposition du Conseil européen, en tenant compte du résultat des élections européennes. Les élections de 2014 ont pour la première fois entraîné directement la désignation du candidat proposé par le Conseil européen ; les partis politiques 164

Voy. en ce sens la résolution 2014/2248 du Parlement européen.

165

Dans les matières sensibles, l’unanimité pourrait être remplacée par une majorité super qualifiée, fixée à 75 % des membres du Conseil.

166

A droit constant, il conviendrait au minimum d’utiliser les dispositions actuelles du Traité de Lisbonne (clause-passerelle) afin que le Conseil européen autorise le Conseil à statuer à la majorité qualifiée plutôt qu’à l’unanimité.

167

Voy. en ce sens la résolution 2014/2248 du Parlement européen.

168

Voy. en ce sens la résolution 2014/2248 du Parlement européen.

43


ayant en effet désigné leur chef de file comme « candidat » au poste de Président de la Commission. Ce système doit au minimum être pérennisé. Des réformes sont toutefois envisageables pour légitimer davantage l’élection du Président de la Commission, qu’il s’agisse de son élection directe par les citoyens ou indirecte par le Parlement, mais sans que cette élection ne se résume simplement à confirmer l’investiture donnée par le Conseil européen comme c’est le cas aujourd’hui. 7. Renforcer la participation des Parlements nationaux au processus décisionnel européen : les Parlements nationaux constituent une « pièce maîtresse » du régime démocratique de l’Union européenne, mais ils n’exercent pas toujours suffisamment leurs compétences169. Les améliorations suivantes sont souhaitables : nn S ur le plan du contrôle actuel du principe de subsidiarité, il y a lieu de renforcer la coopération entre les Parlements nationaux afin de leur permettre d’atteindre les quorums nécessaires dans le cadre des procédures de « carton jaune » et de « carton orange ». En Belgique, un accord de coopération devrait être conclu entre les différentes assemblées du pays afin de consolider juridiquement les modalités par lesquelles elles participent au contrôle de subsidiarité. Pensons notamment à la répartition des deux voix pouvant être émises par la Belgique dans ce cadre. Une procédure de « carton rouge » devrait également être introduite afin d’imposer à la Commission de retirer sa proposition si un certain nombre de Parlements nationaux s’opposent à celle-ci. nn A côté de ces procédures d’alerte précoce, une procédure de « carton vert » pourrait être introduite permettant à un groupe de Parlements nationaux de présenter des propositions législatives au Conseil et au Parlement européen pour examen170 ou d’inviter la Commission à présenter de telles propositions171. nn P ar ailleurs, l’intervention des Parlements nationaux devrait être renforcée dans le cadre du contrôle juridictionnel du principe de subsidiarité. Au niveau belge, la possibilité pour les assemblées fédérées d’imposer au gouvernement fédéral de saisir la Cour de justice de l’Union européenne doit être consacrée.172 169

M. GENNART, op. cit., pp. 25 et 26.

170

Voy. la résolution 2014/2249 du Parlement européen.

171

Rapport annuel 2015 de la Commission sur la subsidiarité et la proportionnalité, 15 juillet 2016, COM(2016) 469 final, p. 8.

172

Voy. en ce sens la proposition de loi spéciale modifiant la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, en ce qui concerne l’Union européenne, déposée par M. Francis Delpérée, Doc. parl., Sénat, session 2010-2011, n°5382/1.

44


nn E nfin, le contrôle exercé par les Parlements nationaux sur l’action de leurs exécutifs respectifs au sein du Conseil et du Conseil européen devrait être renforcé par l’organisation de débats entre les ministres concernés et les Commissions spécialisées des Parlements nationaux avant et après les réunions de ces instances. En particulier, les mandats de négociation des traités sollicités par la Commission auprès du Conseil devraient faire l’objet d’un débat particulièrement large, y compris en séance plénière. Ce contrôle est fondamental car il optimise la légitimité démocratique du Conseil et du Conseil européen173. nn L es travaux de la COSAC revêtent aussi une importance particulière dans ce cadre. C’est pourquoi, en Belgique, l’ensemble de nos assemblées doivent pouvoir participer à la désignation des six délégués belges à la COSAC. 8. Consacrer le rôle du Comité des régions : afin d’accroître la légitimité démocratique du processus législatif, le Comité des régions doit être renforcé dans son rôle de représentant institutionnel des collectivités locales et régionales. Son intervention au stade prélégislatif (au moment des évaluations d’impact) doit être davantage développée afin que ses avis interviennent au plus tôt dans le cadre du processus législatif. Par ailleurs, à l’instar des Parlements nationaux, le Comité des régions devrait pouvoir utiliser la procédure du « carton vert » et introduire des propositions législatives. 9. Moderniser les outils budgétaires de l’Union: afin de pouvoir résister aux chocs économiques à venir, mais aussi de financer les investissements productifs, il importe que la zone euro se dote d’un budget commun. Ce budget devrait être alimenté par des ressources propres à hauteur de 1% de manière immédiate pour progresser d’ici 10 ans à 2% du PIB des pays de la zone euro174. Un tel mon173

C. CHENEVIERE et J. WILDEMEERSCH, op. cit., p. 459.

174

Voy. le chapitre sur le budget de la zone euro.

45


tant est nécessaire afin de dégager une indispensable capacité d’emprunt collectif sur les marchés, au bénéfice des investissements productifs. Attendu que le Pacte de stabilité et de croissance laisse peu de place à ces derniers pourtant cruciaux, la Cour des comptes de l’Union européenne devrait se voir confier une mission d’évaluation régulière du Pacte et de sa capacité effective à remplir les objectifs qui lui sont assignés. Le seul cas pour lequel nous recommandons la mutualisation des emprunts au bénéfice des politiques nationales concerne la défense, comme exposé dans le chapitre ce concernant. En tant que Parlement national, le Parlement de Wallonie devra être pleinement associé à toute procédure de révision des traités européens. Dans l’immédiat, notre assemblée doit prendre toute sa place dans le débat qui s’est ouvert sur l’avenir de l’Union et qui donnera lieu à des premières conclusions du Conseil européen en décembre 2017. A l’instar des traités de libre-échange, l’avenir de l’Europe sera au coeur de nos travaux.

46


ANNEXE DU CHAPITRE

175

175

Adaptation Y. DOUTRIEUC et C. LEQUESNE, « Les institutions de l’Union européenne après la crise de l’euro », La Documentation française, 2013

47



LE DUMPING SOCIAL


LA DIRECTIVE DE 1996 ET LE DÉTACHEMENT La libre circulation des travailleurs au sein de l’Union européenne est aujourd’hui réglementée en grande partie par la directive 96/71/CE, dite « directive détachement ». Elle instaure le statut de « travailleur détaché » s’entendant comme un travailleur qui, « pendant une période limitée176, exécute son travail sur le territoire d’un État membre autre que l’État sur le territoire duquel il travaille habituellement »177. Un travailleur détaché bénéficie d’un « noyau de droits » de son pays d’accueil principalement constitué par le salaire minimal, les normes de sécurité et d’hygiène, les périodes minimales de congés payés et le temps de travail maximal. Par contre, l’entreprise dont un travailleur est détaché dans un pays tiers continue de payer pour celui-ci les cotisations sociales dans son pays d’origine. Pour être considéré comme détaché, un travailleur doit conserver un lien avec son entreprise d’envoi durant toute la période de prestation à l’étranger. Il est important de bien distinguer un travailleur détaché d’un travailleur migrant ou étranger. Le but de la directive était d’encourager la saine concurrence au sein du marché intérieur en renforçant la libre circulation des travailleurs afin de permettre aux entreprises européennes de disposer plus facilement d’une main-d’oeuvre spécialisée. Il s’agissait en outre de garantir un socle de droits minimal aux travailleurs, et par là de renforcer la convergence sociale dans l’UE178. 176

24 mois maximum avec deux mois entre chaque période de détachement.

177

Selon la définition donnée par la directive.

178

En décembre 2006, la directive 2006/123/CE, dite « directive Bolkestein » relative aux

50


LES EFFETS PERVERS DU SYSTÈME Lors de l’adoption de la directive, l’Europe était composée de 15 pays membres avec des disparités économiques limitées. L’écart salarial variait de 1 à 3. Mais après les élargissements de 2004 et 2007, ces disparités se sont considérablement creusées. Le différentiel salarial est passé de 1 à 10, avec un accroissement de la différence entre les taux de cotisations sociales179. Alors qu’il était déjà important pour les entreprises des pays occidentaux180 avant l’élargissement, l’intérêt d’embaucher un travailleur détaché issu d’un pays de l’Est plutôt qu’un travailleur occidental s’est encore accru. En effet, la combinaison du salaire minimum et de cotisations sociales plus basses réduit de 10 à 50 % le prix d’un même service. Apparaît alors un effet pervers de la directive résidant dans la concurrence sociale créée par cette différence de coût du travail181. Simultanément, une démultiplication du recours au détachement a rendu la problématique d’autant plus criante. Les chiffres182 traduisent bien cette évolution. En 2007, 600.000 travailleurs détachés évoluaient en Europe183. Ils étaient 1,3 million en 2010 et 1,9 million en 2014. La même tendance s’observe en Belgique : pour 106.000 travailleurs étrangers détachés chez

services dans le Marché intérieur viendra réglementer les cas du détachement qui concernent la fourniture de services. Elle concerne certains aspects du détachement (contrôle des diplômes adéquats, des patentes, des enregistrements au registre du commerce, etc.). 179

Ces différences de taux de cotisation sociale vont de 13% en Roumanie, à 21% en Pologne et 45% en France. Pour les chiffres complets, voy. « Les salaires et le coût de la main d’oeuvre », www.ec.europa.eu, avril 2016.

180

Ces pays correspondent globalement aux pays à haut niveau de salaire.

181

Ce que confirmait déjà en 2011 un rapport de l’Université d’Amsterdam commandé par la Commission.Voy. en ce sens A. VAN HOEK et M. HOUWERZIJL, Complementary study on the legal aspects of the posting of workers in the framework of the provision of services in the European Union [archive], VC/2011/0096, Novembre 2011.

182

A noter toutefois qu’il n’existe pas de registre unique du détachement en Europe. Il y a donc des différences entre les chiffres obtenus en fonction des sources mobilisées. Voy. Policy Department A of the European Parliament, Posting of Workers Directive : current situation and challenges, www.europarl.europa.eu, juin 2016, p.15.

183

« Révision de la directive concernant le détachement des travailleurs, foire aux questions », www.europa.eu, 8 mars 2016.

51


nous en 2010, ils étaient 215.000 en 2015184, soit plus du double. En 2016, ce chiffre a encore augmenté, selon des données fournies par le Secrétaire d’État à la Lutte contre la fraude sociale185. ll faut malgré tout souligner que les travailleurs détachés ne représentent que 0,7 % du nombre total d’emplois dans l’UE186. Par rapport au nombre d’actifs du pays, c’est le Luxembourg (9%), la Belgique (3,6%) et l’Autriche (2,5%) qui connaissent les taux de travailleurs détachés les plus importants. En 2014, les trois pays vers lesquels s’effectuait le plus de détachements187 étaient l’Allemagne (414.200 détachements), la France (190.850) et la Belgique (159.750)188. Signalons qu’outre le détachement engendré par les différences de coûts du travail, il y a un détachement engendré par la demande de main d’oeuvre spécialisée et de haut niveau. Cette deuxième forme de détachement, qui est importante en terme d’effectifs, explique que les transferts ne se font pas seulement depuis les pays à bas niveaux de salaire vers les pays à hauts niveaux de salaire, mais également entre pays à hauts niveaux de salaire189. Les chiffres en témoignent puisque les trois pays qui envoient le plus de travailleurs détachés sont la Pologne (266.700), l’Allemagne (232.800) et la France (119.700). Ces deux derniers pays envoient principalement des travailleurs détachés vers d’autres pays occidentaux. Précisons encore que, par secteur, c’est dans l’industrie que s’opère la majorité des détachements (71%), suivie par les services (27%) et l’agriculture et la pêche (2,5%)190. Dans l’industrie, c’est le secteur du bâtiment qui compte le plus grand nombre de travailleurs détachés.

184

Une étude a été réalisée par l’institut de recherche sur le travail de la KUL (HIVA) : F. DE WIESPELAERE, J. PACOLET, Detachering naar België vanuit andere EU-lidstaten. Wat we zelf meten, meten we beter ?, HIVA, KULeuven, september 2016.

185

217.000 travailleurs détachés auraient travaillés en Belgique en 2016 selon Philippe De Backer, Secrétaire d’État à la Lutte contre la fraude sociale, en réponse à une question Parlementaire de Wouter Raskin (VLD). Voy. en ce sens « Recours record à la main d’oeuvre étrangère », l’Echo, 17 février 2017.

186

« Révision de la directive concernant le détachement des travailleurs, foire aux questions », www.europa.eu, 8 mars 2016.

187

Il faut différencier le nombre de missions de détachement du nombre de travailleurs détachés.

188

Policy Department A of the European Parliament, op. cit., juin 2016.

189

La problématique des travailleurs détachés concerne surtout le détachement des pays à bas niveau de salaire vers les pays à haut niveau de salaire.

190

K. MASLAUSKAITE, Travailleurs détachés dans l’UE : état des lieux et évolution réglementaire, Policy paper n°107, www.institutdelors.eu, 24 mars 2014.

52


Exploitant les failles191, la complexité et les zones d’ombre de la directive détachement, de nombreuses entreprises recourent à des techniques abusives et frauduleuses. Parmi ces techniques, relevons la création de sociétés « boîtes aux lettres » installées dans les États à faible fiscalité du travail. Ces entreprises sont par ailleurs souvent organisées en réseaux complexes, avec des sous-traitances en cascade. Une autre technique consiste dans le détachement par des « agences d’intérim » de travailleurs déclarés indépendants,de leur plein gré ou malgré eux, alors qu’il y a en réalité un lien de subordination. Les dispositions relatives aux conditions de travail sont en effet généralement plus souples pour les travailleurs indépendants. D’autres types de fraudes se sont également développées. Un nombre croissant d’entreprises, profitant de la faiblesse des contrôles, mais aussi de la vulnérabilité des travailleurs détachés192, ne déclarent simplement pas leurs employés et ne respectent donc aucun droit prévu par le « noyau » initial de la directive de 1996193. Elles sont alors à l’origine de conditions de travail inhumaines pour des milliers de travailleurs de l’Est194 .

191

Plusieurs failles ont été pointées du doigt : une mauvaise définition de la notion de détachement temporaire, un suivi administratif (contrôle et informations) trop faible et un système de sanctions inefficace. Voy. K. MASLAUSKAITE, op. cit., 24 mars 2014.

192

Á cause de la barrière de la langue, de l’isolement social et du manque d’informations sur leurs droits.

193

Certaines pratiquent des déductions sur les salaires pour des frais de logement, de nourriture ou de transport. D’autres ne paient pas les salaires. Voy. K. MASLAUSKAITE, op.cit., 24 mars 2014.

194

Des estimations chiffrent à 230 000 le nombre de travailleurs détachés qui ont été déclarés en France en 2014 tandis que l’année précédente, 220 000 à 300 000 n’auraient pas été déclarés. Voy. en ce sens « Le travail détaché a encore fortement augmenté en 2014 », Le Monde, 11 février 2015, p.6.

53


LES DEMANDES DE RÉVISION Des voix se sont progressivement élevées dans les pays occidentaux pour demander une révision de la directive. Ainsi, des pays comme la France ou l’Allemagne ont interpellé la Commission à plusieurs reprises en ce sens, dès 2013195. Les partis et syndicats occidentaux se sont également montrés actifs. Citons, parmi eux, le cdH qui, dans son programme pour les élections européennes de 2014, proposait plusieurs mesures visant à contrer le dumping social en Europe196. L’une d’entre elles consiste à imposer le respect d’un principe fondamental selon lequel « une prestation réalisée dans un État membre doit répondre aux prescriptions du droit du travail et du droit social de cet État. » Dans ce contexte, la Commission a adopté en 2014 une directive d’exécution197 pour renforcer certaines dispositions de la directive de 1996 et tenter de combler les failles du système. Cette nouvelle directive accélère l’échange d’informations, facilite le recours en justice et établit une liste de contrôles possibles. Estimant cette directive d’exécution insuffisante, sept pays, dont la Belgique, ont interpellé la Commission en juin 2015. Par une lettre adressée à la Commissaire à l’emploi et aux affaires sociales, Marianne Thyssen, ces pays ont sollicité une révision en profondeur de la directive de 1996 afin de lutter contre le dumping social198. Ils y demandaient notamment l’application du concept de « salaire identique pour travail identique », ainsi que davantage de collaborations entre les services d’inspection. Le 25 mars 2015, le Parlement de Wallonie avait déjà adopté une résolution

« visant à intensifier la lutte contre le dumping social en Région wallonne»199. 195

Voy. à ce propos « Un bras de fer entre les anciens et les nouveaux », La Libre Belgique, 9 décembre 2013, p.14.

196

Voy. la proposition-phare 423 du programme du cdH pour les élections européennes de 2014.

197

Directive 2014/67/UE du Parlement et du Conseil du 15 mai 2014 relative a l’exe cution de la directive 96/71/CE concernant le de tachement de travailleurs effectue dans le cadre d’une prestation de services et modifiant le re glement (UE) no 1024/2012 concernant la coope ration administrative par l’interme diaire du syste me d’information du marche inte rieur («re glement IMI»).

198

« Peeters jaagt partijgenote Thyssen op in strijd tegen sociale dumping », www.standaard.be, 19 juin 2015.

199

Proposition de résolution du Parlement de Wallonie visant à intensifier la lutte contre le

54


Elle plaidait au niveau européen pour « l’instauration d’un mécanisme ambitieux anti-dumping » visant notamment à faire respecter les normes sociales, éthiques et environnementales fondamentales en Europe, ainsi que pour une durée plus courte des périodes de détachement et pour un champ d’application plus large des règles sociales de l’État d’accueil200. La résolution plaidait également pour une transposition rapide de la directive d’exécution de 2014201. Les négociations en cours Le 8 mars 2016, la Commission, sous la pression de plusieurs pays occidentaux, a présenté un projet de réforme de la directive202. Celle-ci porte sur trois grands domaines : nn L e recours au concept de « rémunération », à la place de celui de « salaire », englobant plus largement les primes, les indemnités ou encore les conventions collectives de travail, en ce compris dans les cas de sous-traitance. Actuellement, rien n’oblige à dumping social en Région wallonne (136 (2014-2015) N° 6). 200

Cette résolution plaidait également pour une maximisation des contrôles au niveau fédéral et pour une intégration des clauses sociales dans les marchés publics wallons. Cette volonté s’est traduite au niveau du Gouvernement wallon par l’adoption, le 21 juillet 2016, d’une circulaire encourageant l’intégration de clauses sociales dans les marchés publics supérieurs à 1 million d’euros HTVA.

201

Ce qui est effectif depuis l’adoption de la loi du 11 décembre 2016 portant diverses dispositions concernant le détachement de travailleurs, M.B., 20 décembre 2016.

202

Voy. en ce sens « La Commission présente une réforme de la directive concernant le détachement de travailleurs - vers un marché du travail européen approfondi et plus équitable », www.europa.eu, 8 mars 2016.

55


payer le travailleur détaché plus que le salaire minimum. Le projet de réforme prévoit que la rémunération doit désormais tenir compte des règles relatives à la rémunération des travailleurs locaux ; nn L ’application des règles sur le travail intérimaire lorsque les agences d’intérim établies à l’étranger détachent des travailleurs203; nn L ’application intégrale de la législation du pays d’accueil, lorsqu’elle est favorable au travailleur détaché, dès que la durée du détachement dépasse 2 ans204. Le principe fondamental du paiement des cotisations sociales dans le pays d’origine n’est donc pas remis en cause par ce projet de révision. Le jour-même, dans un communiqué, Claude Rolin a salué la volonté de la Commissaire Thyssen de réviser ces règles afin de combattre la concurrence déloyale205. Pour lui, « cette proposition constitue un pas dans la bonne direction », mais elle « n’instaure pas un contrôle suffisant du détachement » pour lutter contre les fraudes. C’est pourquoi, il plaide pour l’instauration d’une « inspection sociale européenne ». Le Parlement de Wallonie a également réagi rapidement au projet de réforme de la directive. En réponse à une question de Marie-Dominique Simonet206, Eliane Tillieux, Ministre wallonne de l’Emploi et de la Formation, a déclaré que cette réforme constituait un « premier pas » et comportait des « avancées importantes » à mettre en œuvre avec célérité. Elle a néanmoins rappelé son souhait d’une avancée plus forte sur la question du paiement des cotisations sociales autoappliquées dans le pays d’accueil mais payées dans le pays d’origine. Mme Simonet a partagé ce sentiment. Le 11 mai 2016, une résolution est adoptée en séance plénière du Parlement de Wallonie, prônant des mesures de renforcement des contrôles du détachement, de valorisation de critères autres que le prix dans la passation des marchés publics et soutenant la réforme de la directive européenne de 1996, telle que présentée par la Commissaire européenne207.

203

Jusqu’à présent, les règles sur le travail intérimaire de l’État d’accueil n’étaient pas forcément d’application pour un travailleur détaché par une agence d’intérim basée dans un autre État de l’UE.

204

Il s’agit désormais de la durée de la mission (durant laquelle plusieurs travailleurs détachés peuvent se relayer), et non pas du détachement d’une personne.

205

« Révision du détachement des travailleurs : une nouvelle étape contre le dumping social », www.claude-rolin.be, 8 mars 2016.

206

Doc. Parl., Parlement de Wallonie, session 2015-2016, C.R.A. N°13, 10 mars 2016.

207

Résolution du 11 mai 2016 visant a renforcer la lutte contre le dumping social dans le cadre de l’exe cution des marche s publics passe s dans les administrations wallonnes, (387 (2015-2016) N° 8).

56


En mai 2016, dix pays de l’Est208, accompagnés du Danemark et soutenus par plusieurs associations patronales occidentales, ont brandi le « carton jaune » au nom du principe de subsidiarité209. Ils estiment en effet que la politique de l’emploi est une de leurs compétences propres. Avec l’appui notamment de la France, de l’Allemagne et de la Belgique, la Commission a décidé de maintenir son projet, au motif que le détachement est par définition une matière transfrontalière et est donc de son ressort. Il est intéressant de relever que la nécessité d’une réforme fait l’unanimité politique dans les pays occidentaux, à droite comme à gauche. Le Parlement européen y semble favorable, comme en atteste le rapport d’initiative adopté, le 14 septembre 2016 210, recommandant notamment la lutte contre les faux indépendants et les sociétés « boîtes aux lettres », ainsi que l’instauration d’un salaire minimum européen. Quant aux syndicats occidentaux, la plupart suivent la Commission dans sa volonté de réviser la directive, mais plusieurs d’entre eux expriment la volonté d’aller plus loin. Ainsi, la Confédération européenne des syndicats211 estime que la proposition de définition des conventions collectives reconnues par la directive est trop restrictive car elle exclut les conventions collectives sectorielles de certains pays212. En outre, elle n’inclut pas le droit des syndicats de négocier collectivement pour les travailleurs détachés213, ce qui a pour conséquence de ne pas protéger les droits des travailleurs détachés indépendants214. Quant aux syndicats des pays de l’Est, ils soutiennent également une réforme qui pourra garantir à l’ensemble des travailleurs des conditions de travail dignes. Vu la fracture Est-Ouest, les négociations sont actuellement figées. Les désaccords portent notamment sur ce que doit recouvrir la notion de « rémunération », l’encadrement de la sous-traitance et la durée maximale du détachement.

208

Bulgarie, République tchèque, Croatie, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, Roumanie et Slovaquie. Notons toutefois que le syndicat polonais Solidarnosc soutient le projet de la Commission.

209

Voy. à ce sujet le chapitre sur l’architecture institutionnelle.

210

« Le Parlement européen envoie un message fort pour lutter contre le dumping social en Europe », www.guillaumebalas.eu, 14 septembre 2016.

211

CES ou ETUC, pour European Trade Union Confederation.

212

Comme l’Allemagne ou l’Italie.

213

« Travailleurs détachés: salaire égal? Pas pour tout le monde! », www.etuc.org, 8 mars 2016

214

J.-B. MAISIN, « Dumping social : une guerre de retard pour l’UE », déMOCratie, n°12, Bruxelles, décembre 2016.

57


NOS PROPOSITIONS POUR UNE EUROPE PLUS SOCIALE Deux niveaux de réaction existent face aux problèmes de l’abus du détachement, de la fraude au détachement et plus largement du dumping social tel qu’il se présente actuellement en Europe. Distinguons le travail sur le cadre entourant le détachement et la nécessité d’un débat plus large sur l’Europe sociale. Sur le premier volet, il s’agit de mieux encadrer le détachement. C’est l’objet des négociations actuellement en cours. Cela se fera en corrigeant plusieurs règles de la directive de 1996, notamment en imposant une rémunération égale pour un travail égal sur un même lieu de travail, ou encore en élargissant le noyau des droits des travailleurs détachés. C’est la raison pour laquelle nous soutenons le projet de réforme présenté par la Commission. Mais elle ne va pas assez loin dans le sens où elle n’instaure pas un contrôle suffisant du détachement. Sans contrôle efficace, la fraude - et donc les effets pervers du système tels que le dumping social pour les travailleurs occidentaux ou l’exploitation des travailleurs de l’Est - sera toujours présente. Nous plaidons donc pour l’instauration d’une inspection sociale européenne qui permettra de lutter efficacement contre les fraudes et les abus. Elle pourrait prendre la forme d’un Europol social215 mettant en réseau les services d’inspection sociale des États membres pour échanger les informations. Cela permettra d’assurer qu’un maximum de travailleurs détachés salariés soient déclarés et puissent bénéficier d’une rémunération égale et des droits qui leur reviennent au sein du marché commun. La réforme doit également aller plus loin car il est nécessaire de protéger l’ensemble des travailleurs détachés en élargissant la proposition de définition du type de convention collective reconnue et en donnant aux syndicats le droit de négocier collectivement pour les travailleurs détachés. Cela garantirait aux travailleurs détachés indépendants la même protection qu’aux travailleurs détachés salariés216. Sur le second volet, une réforme profonde du marché européen du travail s’impose afin de créer une Europe sociale, amorcée par un mouvement de convergence et d’intégration économique et sociale. Il est nécessaire 215

Voy. en ce sens la proposition-phare 423 du programme du CDH pour les élections européennes de 2014.

216

Comme le propose la Confédération européenne des Syndicats.

58


pour cela de créer un vrai droit du travail européen fixant un socle minimal commun qui puisse permettre aux travailleurs de défendre leurs droits de la même manière et d’éviter que des entreprises choisissent d’installer une filiale dans un pays sur base de règles sociales moins contraignantes217. Nous plaidons en ce sens pour l’instauration d’un salaire minimum européen218. Ce salaire minimum européen servirait de référence et serait fixé selon une règle commune dont le montant serait adapté à la réalité économique de chaque État membre. Dans l’attente d’une révision de la directive détachement et à défaut d’une règlementation efficiente quant à l’encadrement des transferts de travailleurs détachés, un État doit pouvoir prendre des mesures spécifiques à partir du moment où le flux d’arrivées sur son territoire est tel que l’équilibre de son marché du travail et le financement de sa sécurité sociale sont menacés. Ces mesures peuvent prendre la forme d’une régulation du nombre de travailleurs détachés dans le pays à partir du dépassement d’un certain seuil défini sur base de facteurs tels que la taille du marché ou le solde arrivées/envois de travailleurs détachés. Ce mécanisme d’encadrement serait similaire à celui autorisé par l’UE pour les pays d’accueil d’un nombre important d’étudiants confrontés dans leur pays d’origine à un numerus clausus219. Ce mécanisme permettrait d’assurer la liberté fondamentale de libre circulation des travailleurs au sein de l’UE, tout en garantissant un certain équilibre du marché du travail au sein de chaque État membre.

217

C’est le sens de la proposition phare 412 du programme du cdH pour les élections européennes de 2014 : créer un vrai droit social et du travail européen, en adoptant notamment un cadre législatif pour faire face aux délocalisations et aux restructurations, en attribuant un portefeuille spécifique relatif aux restructurations à un Commissaire européen.

218

Voy. la proposition 413 du programme du cdH pour les élections européennes de 2014.

219

Dans le cas des études de médecine vétérinaire, un quota d’inscriptions d’étudiants étrangers en Communauté française est accepté, étant donné qu’il existe « une pénurie de médecins vétérinaires dans cette Communauté », selon l’arrêt de la Cour Constitutionnelle rendu le 31 mai 2011. Voy. CC. n° 89/2011 du 31 mai 2011.

59



LA CONCURRENCE

FISCALE


A

lors que l’Union européenne a significativement avancé dans le développement de son marché et de sa monnaie, des pans entiers de son intégration restent largement incomplets. Au titre de ceux-ci figure certainement l’absence d’harmonisation de l’impôt des sociétés220. Comme le montre le tableau qui suit, les taux nominaux d’imposition des bénéfices des entreprises sont très différents d’un État membre à l’autre. Les taux d’imposition implicites (représentant l’imposition réelle221) confirment ces fortes 223 différences. 222 Pays

Taux nominal220

Taux implicite221

Irlande

12,5%

6%

Lituanie

15%

4,1%

République tchèque

19%

21,4%

Royaume-Uni

20%

20,8%

Pays-Bas

25%

6,8%

Allemagne

30,2%

/

Italie

31,4%

25,9%

Belgique

34%

20%

France

38%

21,8%

À côté des taux, les pays membres de l’UE diffèrent également par les assiettes fiscales224, permettant parfois à des entreprises de ne pas être taxées sur une partie de leurs bénéfices.

220

L’impôt des sociétés (ou Isoc) fait partie de la fiscalité directe. La fiscalité indirecte (TVA, etc.), quant à elle, a été progressivement harmonisée en Europe depuis les années ‘60. Un autre pan de la fiscalité directe, l’impôt sur les personnes physiques (IPP) est beaucoup moins mobile et cause donc moins de problèmes.

221

L’imposition réelle correspond au pourcentage de la base imposable qui revient effectivement à l’État.

222

Chiffres 2015 de la Commission européenne. Voy. DG Taxation and Custom Union, Eurostat, Taxation trends in the european union : data for the EU membres, Iceland and Norway, éd. 2015, www.ec.europa.eu.

223

ETUI, Benchmarking working Europe, 2015, p.17.

224

L’assiette et le taux sont les deux variables que les décideurs publics peuvent moduler afin d’atteindre l’effet escompté, que ce soit en termes d’équité fiscale, d’incitants fiscaux, ou encore de recettes publiques. L’assiette est la base sur laquelle l’impôt sera prélevé. Cette base peut fortement varier. Un État peut décider d’imposer tel revenu, ou de déduire/exonérer tel ou tel autre. Les taux sont appliqués à l’assiette, et constituent donc une variable secondaire.

62


LE PROBLÈME DE L’ABSENCE D’HARMONISATION Ces différences sont problématiques dans le contexte de l’intégration européenne, et en particulier l’intégration économique et la réalisation de l’union monétaire, qui ont considérablement intensifié la mobilité des bases taxables225 au sein de l’UE. Ce processus a rendu l’absence d’harmonisation de la fiscalité directe d’autant plus dommageable. Elle crée entre États membres une course au moins-disant fiscal226, autrement dit une concurrence fiscale. Celle-ci se définit comme une « compétition non coopérative entre une pluralité d’acteurs publics, cherchant à améliorer l’attractivité de leur territoire pour les acteurs économiques par une fiscalité avantageuse »227. Rares sont les multinationales qui ne profitent pas, grâce à une ingénierie fiscale élaborée, des différences d’imposition existant entre les États membres en déplaçant leurs bénéfices via des pratiques légales ou non. Distinguons à ce sujet228 : nn l a planification fiscale agressive ou l’évasion fiscale229, qui consistent de manière légale à tirer profit des asymétries entre régimes fiscaux pour réduire l’assujettissement à l’impôt230. C’est le cas d’entreprises qui partagent leurs types de revenus entre différents pays pour réduire l’impôt à payer ;

225

Fait de pouvoir déplacer des bénéfices d’un État membre à l’autre grâce à l’existence de filiales dans plusieurs pays de l’UE.

226

Qui consiste en un mouvement à la baisse des taux d’imposition, d’une année à l’autre, dans les différents pays européens. Voy. ETUI, op.cit., p.17.

227

A. VERDIER et A. BROCHET, Entre concurrence et convergence fiscale, quel projet européen ?, Questions d’Europe, n°39, 25 septembre 2006, www.robert-schuman. eu.

228

Voy. E. BARDARO et N. MONNART, L’Europe fiscale et un budget pour la zone euro : utopie ou nécessité ?, Policy Paper du CEPESS, Bruxelles, 2016, p.16.

229

Bien que celle-ci puisse également être assimilée à l’une des deux catégories suivantes en fonction de l’acceptation que l’on en fait. On l’entend ici dans son sens le plus restreint, qui la considère comme légale.

230

Recommandation de la Commission européenne du 6 décembre 2012 relative à la planification fiscale agressive (2012/772/UE).

63


nn l ’évitement fiscal, qui est une utilisation légale231 mais abusive du régime fiscal, en cas de transfert de bénéfices vers une filiale installée dans un paradis fiscal ; nn l a fraude fiscale qui vise de manière illégale à échapper à l’impôt et qui concerne toute pratique destinée à cacher un revenu ou une prestation. Plusieurs travaux232, cités par le Parlement européen233, estiment qu’au sein de l’UE, les multinationales, optimisant leur imposition, subissent une pression fiscale de 30 % inférieure aux entreprises qui ne sont actives que dans un seul État membre234. Pour la Commission européenne, la seule évasion fiscale au sens strict prive les États membres de 50 à 70 milliards d’euros de recettes chaque année235. Le Parlement européen236 avance, quant à lui, qu’en additionnant l’évasion, la fraude, l’évitement et les pratiques connexes, près de 1000 milliards d’euros s’évaporeraient annuellement de l’UE, soit 20% du PIB ou le double du déficit cumulé de tous les États237. Au niveau mondial, l’OCDE estime que la planification fiscale agressive occasionne des pertes pour les recettes publiques qui représentent entre 100 et 240 milliards d’euros chaque année238. En Belgique, ce montant s’élèverait à 20 milliards d’euros239. Cette absence d’harmonisation est donc un « poison » pour l’esprit européen, car il entretient un sentiment d’injustice vis-à-vis de l’UE quant à l’ingénierie fiscale dont peuvent bénéficier les multinationales, au contraire des PME et des citoyens. 231

Bien que contraire à l’esprit de la loi.

232

P. EGGER, W. EGGERT et H. WINNER, « Saving Taxes through Foreign Plant Ownership », in Journal of International Economics, London, 2010, p. 81 et 99 108; K.FINKE, Tax Avoidance of German Multinationals and Implications for Tax Revenue Evidence from a Propensity Score Matching Approach, New York, 2013.

233

Résolution du Parlement européen du 6 juillet 2016 sur les rescrits fiscaux et autres mesures similaires par leur nature ou leur effet (2016/2038(INI)).

234

Parlement européen, MEP’s call for a tax haven blacklist, patent box rules, CCCTB and more, 6 juillet 2016 (IP/34/487).

235

Communiqué de presse de la Commission européenne, La Commission européenne propose des règles de transparence fiscale publique pour les multinationales, 12 avril 2016 (IP/16/1349).

236

Rapport du Parlement européen sur la lutte contre la fraude, l’évasion et les paradis fiscaux du 3 mai 2013 (2013/2060(INI)).

237

Résolution du Parlement européen du 21 mai 2013 sur la lutte contre la fraude fiscale, l’évasion fiscale et les paradis fiscaux (2013/2060(INI)).

238

Voy. les rapports finaux 2015 du projet OCDE sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, www.oecd.org.

239

H. DIALLO e.a., Estimation de la fraude fiscale en Belgique, Bruxelles, Dulbea ULB, 2010.

64


LES NÉGOCIATIONS AU NIVEAU EUROPÉEN L’harmonisation fiscale240 est pourtant l’un des objectifs initiaux du marché commun. En 1957, le Traité de Rome stipulait déjà que les États devaient rechercher « l’établissement d’un régime où la concurrence n’est pas faussée dans le marché commun », via le « rapprochement progressif » des politiques économiques qu’ils « coordonnent » dans ce but241. Mais le refus des États d’abandonner leur souveraineté sur une prérogative aussi stratégique n’a pas permis de réaliser d’importants progrès par la suite. En 1992, le Conseil des ministres de l’Économie et des Finances a en effet décidé que « l’harmonisation des régimes fiscaux (…), et notamment de la fiscalité directe, n’était pas une condition nécessaire à l’achèvement du marché intérieur »242. Le 1er décembre 1997, il a présenté un code de bonne conduite en matière de fiscalité243, juridiquement non contraignant. Les États se sont néanmoins engagés politiquement à éliminer les mesures entrainant une concurrence fiscale dommageable244 et à ne pas en introduire de nouvelles. La coordination a alors été remplacée par une simple volonté de convergence. En raison de l’absence de force contraignante, de nombreux pays ont pris le chemin de la concurrence fiscale, comme notamment l’Irlande, le RoyaumeUni, le Luxembourg, l’Autriche et les Pays-Bas245. 240

Il est utile de définir brièvement différents concepts de l’harmonisation fiscale. La coopération fiscale est une optimisation jointe entre deux pays pour atteindre un objectif commun. La coordination est un engagement réciproque à adopter un comportement spécifique. L’harmonisation consiste à calculer les assiettes de manière uniforme et/ou à égaliser les taux. Enfin, la convergence est une réduction des écarts de taux ou d’assiettes. Voy. A. BENASSY-QUERE, Renforcer l’harmonisation fiscale en Europe, Note du Conseil d’analyse économique, Paris, 2014.

241

J.-M. POTTIER, L’harmonisation fiscale ? Un idéal européen difficile à réveiller, www. slate.fr, 19 juillet 2016.

242

Idem.

243

Conclusions du Conseil Ecofin du 1er décembre 1997 en matière de politique fiscale (98/C 2/01).

244

Par mesures fiscales dommageables, on entend les « mesures qui faussent la localisation des activités économiques dans la Communauté par le fait qu’elles visent uniquement les non-résidents et leur accordent un traitement fiscal plus favorable que celui qui est normalement applicable dans l’État membre en cause ». Voy. Conclusions du Conseil Ecofin du 1er décembre 1997 en matière de politique fiscale (98/C 2/01).

245

Les taux d’imposition des sociétés l’illustrent bien (voir tableau en début de chapitre).

65


En 2011, la Commission a proposé un système commun pour le calcul de l’assiette fiscale des sociétés (ACCIS)246, largement soutenu par le Parlement européen. Ce système considère les multinationales et leurs filiales actives en Europe comme une seule et même entité, afin de calculer leur assiette fiscale de manière unique. Cette assiette fiscale serait alors répartie entre les États membres, selon une formule prenant en compte les actifs, les ventes et le personnel. Chaque État demeurerait ensuite libre d’appliquer le taux souhaité sur la part qui lui revient. La proposition est toutefois restée lettre morte, faute d’accord. Les pays disposant d’une fiscalité avantageuse sont en effet réticents. De manière générale, les plus petits pays considèrent que l’outil fiscal est pour eux une manière légitime d’attirer des investisseurs face à de plus grands pays qui disposent d’autres atouts en matière d’infrastructures ou de proximité des centres de décision. En Irlande, par exemple, toute la classe politique émet d’importantes réserves concernant l’ACCIS. Mais c’est également le mode de décision en matière de fiscalité qui rend toute avancée difficile. Le Conseil doit en effet statuer à l’unanimité sur ces questions247. Depuis le scandale des LuxLeaks248 et encore plus récemment des Panama Papers249, la pression exercée par l’opinion publique sur les autorités a été accentuée. Les initiatives et propositions se sont dès lors accélérées.

246

ACCIS pour Assiette Commune Consolidée pour l’Impôt des Sociétés, ou Common Consolidated Corporate Tax Base (CCCTB). Sa création est envisagée à intervalles réguliers depuis 2001. Voy. la page Assiette commune consolidée pour l’impôt des sociétés (ACCIS) sur le site www.ec.europa.eu.

247

La Commission dispose d’un droit d’initiative exclusif et le Parlement d’un avis consultatif. Voy. art. 115, TFUE.

248

Pratiques d’évitement fiscal mises en oeuvre au Luxembourg et révélées en novembre 2014. Parmi celles-ci, les rescrits fiscaux (tax rulings) consistent en un accord entre une entreprise et une administration fiscale sur un montage spécifique.

249

Révélations, en avril 2016, d’informations sur des fonds offshore impliquant des hommes politiques, des sportifs et autres célébrités.

66


En dehors du cadre européen, l’OCDE250 a lancé, en 2013, le plan BEPS (Base Erosion and Profit Shifting)251, un projet de lutte contre l’érosion de la base imposable et le transfert de bénéfices, qui recensait quinze actions à déployer par les autorités publiques pour lutter contre ces phénomènes de façon globale. Ce plan et la nécessité de mener de telles réformes ont progressivement fait l’objet d’un consensus252. Le 17 juin 2015, la Commission a présenté son plan d’action en trois axes visant à réformer la fiscalité des entreprises au sein de l’UE. Ce plan contient trois paquets intitulés « transparence », « évasion fiscale » et « réforme de l’impôt des sociétés ». C’est le 25 octobre 2016 que ce troisième paquet a été dévoilé, avec pour élément phare la révision de l’ACCIS253. Le système est globalement similaire à ce qui était sur la table en 2011, mais la Commission a introduit deux nouveautés majeures254. D’une part, l’ACCIS serait obligatoire pour toutes les entreprises dont le chiffre d’affaires dépasse 750 millions d’euros255. D’autre part, l’ACCIS interviendrait en deux temps. Elle concernerait d’abord le calcul de l’assiette selon une formule commune à tous les membres pour ensuite évoluer vers la consolidation de l’assiette au niveau de l’UE et sa répartition entre les États membres256. Pour le moment, la proposition est pendante au niveau du Parlement européen, qui doit rendre un avis consultatif257. En janvier 2017, ce dernier 250

À la demande du G20.

251

Voy. à ce propos la page de l’OCDE consacrée à ce plan : http://www.oecd.org/ fr/ctp/beps/.

252

E. BARDARO et N. MONNART, op.cit., p. 25.

253

L’ACCIS constitue l’aboutissement des travaux de la Commission TAXE, Commission spéciale du Parlement européen mise en place en février 2015. Voy. la résolution du Parlement européen du 25 novembre 2015 sur les rescrits fiscaux et autres mesures similaires par leur nature ou par leur effet (2015/2066(INI)) et la résolution du Parlement européen du 6 juillet 2016 sur les rescrits fiscaux et autres mesures similaires par leur nature ou par leur effet (2016/2038(INI)).

254

Voy. la Proposition de directive du Conseil concernant une assiette commune pour l’impôt des sociétés (COM(2016)685 final.

255

Certains groupes au Parlement européen, dont les socialistes et les verts, ainsi que les organisations de la société civile défendent un seuil de 40 millions afin que le dispositif soit plus effectif.

256

Cela diffère de la version 2011 qui prévoyait, en une seule étape, la négociation et l’adoption de l’assiette et de la consolidation. Voy. Commission européenne, Questions et réponses concernant le paquet de réformes de l’impôt sur les sociétés , Fiche d’information, www.europa.eu, 25 octobre 2016.

257

Parmi les Parlements nationaux qui ont formulé des observations au sujet de cette proposition de directive, certains ont déploré l’absence d’étude d’impact par pays. La Belgique n’a pas rendu d’avis en tant que tel mais le ministre belge des Finances Johan Van Overtveldt a précisé que la Belgique attendait un « examen des répercussions », notamment budgétaires de la proposition avant de se prononcer. Voy. la réponse de M. Van Over-

67


n’avait pas encore adopté de calendrier en la matière258. Toutefois, il a exprimé son soutien à la mise en place de l’ACCIS dans le cadre de sa résolution adoptée le 16 février 2017 sur l’ « amélioration du fonctionnement de l’Union européenne en mettant à profit le potentiel du traité de Lisbonne »259. Au niveau de la fiscalité directe, relevons également les négociations en cours depuis 2013 entre dix pays européens, dont la Belgique, concernant la mise en œuvre d’une taxe sur les transactions financières (TTF ou taxe Tobin)260. L’aboutissement de ces négociations semble toutefois aujourd’hui assez hypothétique, étant donné les hésitations de plus en plus visibles de plusieurs pays, au premier rang desquels figure la Belgique, craignant les effets pervers sur l’économie réelle261. Si la Belgique se retirait des négociations, emmenant avec elle la Slovaquie, comme certains l’évoquent262, la coopération renforcée, qui demande au moins 9 États membres, serait condamnée. La prochaine réunion sur le sujet doit avoir lieu fin mars. Signalons encore que le 28 janvier 2017, les Commissions « Justice et affaires intérieures » et « Affaires économiques et monétaires » du Parlement européen ont voté en faveur de la création d’un registre public des bénéficiaires économiques des trusts et sociétés-écrans263. La création d’un tel registre était devenue l’une des grandes revendications de l’opinion publique depuis l’éclatement des différents scandales liés à la fraude et l’évasion fiscales comme les LuxLeaks ou les Panama Papers264. Ce registre serait ouvert à tous les citoyens européens, qui ne devraient donc plus démontrer un « intérêt légitime » à accéder à ces informations. L’objectif est que les médias et ONG puissent mener leurs propres enquêtes. tvelt à la question du député G. Smaers sur la mise en place de l’ACCIS , (Doc. Parl., Chambre des représentants, session 2016-2017, CRA, n°54, COM 570, p.4). 258

G. GIMDAL Briefing EU Legislation in progress : Common corporate tax base (CCTB), Service de recherche du Parlement européen, Bruxelles, 2017.

259

Résolution du Parlement européen du 16 février 2017 sur l’amélioration du fonctionnement de l’Union européenne en mettant à profit le potentiel du traité de Lisbonne.

260

0,1 % sur les transactions en actions et obligations et 0,01 % sur les produits dérivés.

261

G. GRESILLON, « La « taxe Tobin » européenne de plus en plus mal en point », in Les Echos, 30 janvier 2017, p.4.

262

Voy. G. GRESILLON, op.cit., p.4.

263

Il rejoint ainsi la position que la Commission avait exprimée en juillet 2016. Ce vote devra encore être confirmé en séance plénière du Parlement européen, ce qui n’est pas encore le cas à l’heure d’écrire ces lignes. Voy. « Lutte contre le blanchiment d’argent: les citoyens devraient accéder aux données sur les propriétaires d’entreprises », www.europarl.europa.eu, 28 février 2017.

264

L. LAMBRECHT, « Les eurodéputés votent pour une lutte plus musclée contre la fraude », La Libre Belgique, 1er mars 2017, p.26.

68


NOS PROPOSITIONS POUR UNE JUSTE FISCALITÉ EUROPÉENNE Nous le voyons, les objectifs de construction européenne et de justice fiscale conduisent à soutenir l’harmonisation fiscale européenne. Sur du long terme, il faut pouvoir avancer sur des réformes qui impliquent de changer les règles de décision en matière fiscale265, en sortant du verrouillage de l’unanimité266 et en soumettant la matière de la fiscalité directe à la majorité qualifiée267. Si une modification du processus de décision est justifiée268, cela ne doit pas être un prétexte à l’inaction à court terme. Des solutions sont en effet envisageables à très court terme. Au niveau de la base imposable l’ACCIS269 doit être mis 265

Proposition présente également dans E. BARDARO et N. MONNART, op.cit., p. 30.

266

Voy. « Fiscalité et vote à la majorité qualifiée, la conférence intergouvernementale de 2003-2004 », http://ec.europa.eu/taxation_customs/general-information-taxation/ taxation-qualified-majority-voting_fr.

267

Le vote à la majorité qualifiée est atteint si deux conditions sont remplies : 55 % des États membres ont exprimé un vote favorable et la proposition est soutenue par des États membres représentant au moins 65 % de la population totale de l’UE.

268

Comme nous le développons dans le premier chapitre consacré à l’architecture institutionnelle de l’UE.

269

Voy. en ce sens la proposition-phare 424 du programme du cdH pour les élections européennes de 2014.

69


sur pied. Les gains escomptés d’une telle consolidation de la base imposable sont nombreux, tant sur le plan économique que politique. Celle-ci devrait accroître la compétitivité internationale des entreprises européennes par rapport à celle des entreprises des grands marchés concurrents. Elle aurait indirectement de nombreux avantages (facilitation de la création de groupes européens, renforcement de l’effet de la concurrence et de l’efficacité du marché unique, etc.). Au niveau des taux, un serpent fiscal devrait être établi270. Il s’agirait, par exemple, sur base d’un taux d’imposition moyen de 30% dans toute la zone euro, de permettre aux États de faire fluctuer ce taux de plus ou moins 3%, en admettant que des pays possédant moins d’atouts pour séduire une entreprise étrangère aient des taux plus bas et que ceux qui cumulent les avantages aient un taux plus élevé. Ce système respecterait la solidarité fiscale entre États tout en compensant les inégalités271. Vu les blocages de plusieurs États272, ces avancées pourraient avoir lieu dans un premier temps dans le cadre d’une coopération renforcée. C’est ce qui a été envisagé en 2015 par le Commissaire européen à la fiscalité Pierre Moscovici. Parallèlement à l’harmonisation de l’impôt sur les sociétés, il convient également de prendre des mesures visant à faire participer le secteur financier au financement des pouvoirs publics, mais également d’améliorer l’échange d’informations financières pour réduire la fraude et l’évasion fiscales. Dans ce cadre, nous soutenons : 1. la mise en œuvre de la taxe sur les transactions financières (Taxe Tobin) qui semble, comme nous l’avons vu, aujourd’hui menacée. Cette taxe devrait être rendue effective dans le plus grand nombre d’États membres, et ses recettes versées au budget européen273. Cette demande constitue un élément fort de notre volonté de rendre plus équitables et plus justes les situations fiscales ; 2. la création d’un registre public des bénéficiaires des trusts et sociétés-écrans comme proposé par le Parlement européen. Il permettra à l’ensemble des citoyens d’avoir accès à ces informations, jusqu’ici limitées aux autorités compétentes ;

270

Comme ce qui avait été fait pour la mise en place de l’union monétaire en 1972.

271

C. POSTERNAK, « Pour un serpent fiscal européen », in Les Echos, 2 décembre 2014.

272

Comme l’Irlande, les Pays-Bas ou le Luxembourg.

273

Voy. proposition 427 du programme du cdH pour les élections européennes de 2014.

70


3. vu l’étendue transfrontalière de la criminalité financière, la création d’un organe ayant capacité d’agir sur l’ensemble du territoire de l’UE et de veiller à l’échange d’informations entre cellules nationales est nécessaire. À cet égard, nous soutenons la récente proposition de création d’une cellule européenne de renseignements financiers274, comme il en existe déjà au niveau belge avec la Cellule de traitement des informations financières (CTIF)275. Cette cellule serait dotée d’un pouvoir d’investigation transfrontalière276 et permettrait d’analyser les flux suspects de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme.

274

Proposition présentée par les eurodéputés belges Hugues Bayet (PS) et Louis Michel (MR). Voy. E. LAMER, « Vers une cellule européenne de renseignements financiers », Le Soir, 28 février 2017, p.13. Cette proposition est actuellement étudiée au sein des Commissions des libertés civiles et des affaires économiques du Parlement européen. Voir « La cellule de renseignements financiers séduit », Le Soir, mercredi 1er mars 2017.

275

Voir le site internet de la CTIF: www.ctif-cfi.be.

276

Cette proposition poursuit le même objectif que la proposition-phare 428 du programme du cdH pour les élections européennes de 2014, consistant à surveiller les mouvements de capitaux vers les paradis fiscaux.

71



LE MANQUE

S T N E M E S IS T S E D’INV


RÈGLES BUDGÉTAIRES ET COMPTABLES EUROPÉENNES

1|

L A GOUVERNANCE BUDGÉTAIRE EUROPÉENNE

Le Pacte de stabilité et de croissance (PSC) a été adopté dans sa première version en 1997. Ce dispositif a été modifié et complété au fur et à mesure des années, notamment suite à la crise des dettes souveraines, afin de coordonner les politiques budgétaires nationales et de prévenir l’apparition de déficits publics excessifs277. La règle de base est que les États membres doivent satisfaire au double critère d’un déficit inférieur à 3 % et d’une dette publique inférieure ou égale à 60 % du PIB278. Si l’un des deux critères n’est pas rempli, les États peuvent se voir placés en procédure de « déficit excessif », ce qui signifie une surveillance plus étroite et la fixation de délais pour mettre en œuvre les réformes recommandées par le Conseil. En cas de non-respect de ces délais, des sanctions financières peuvent être décidées, telles que des amendes ou la suspension de divers fonds européens. Les sanctions décidées dans le cadre d’une procédure de déficit excessif peuvent être plus lourdes pour les pays de la zone euro. Afin de prévenir l’apparition de déficits excessifs, les États se voient chacun assigner un objectif budgétaire de moyen terme (OMT) par la Commission, formulé en termes de « solde de financement structurel »279. Les États peuvent choisir de se fixer un objectif plus ambitieux, mais ne peuvent descendre en dessous de celui fixé par la Commission. En outre, ils doivent exposer la manière dont ils comptent atteindre leur OMT dans un programme de stabilité (pour les non-membres de la zone euro) ou de convergence (pour les pays ayant adopté l’euro).

277

« Le cadre de l’UE pour les politiques budgétaires » Fiches techniques sur l’Union européenne, www.europarl.europa.eu.

278

Une dette publique de plus de 60 % du PIB sera toutefois tolérée si elle diminue en moyenne de 5 % par an pendant trois ans.

279

C’est à dire le solde de financement corrigé des variations conjoncturelles et des mesures temporaires. L’OMT de la Belgique est actuellement celui d’un déficit de 0 %.

74


Cet objectif de moyen terme est juridiquement contraignant, puisqu’il doit être transposé dans la législation nationale des États. Sa mise en œuvre est évaluée par la Commission et le Conseil dans le cadre d’un processus d’analyse et de rapportage appelé « Semestre européen ». En cas de déviation significative par rapport à la trajectoire visant à atteindre l’OMT, la Commission leur adresse un avertissement. Dans le cas des pays de la zone euro, la non-mise en œuvre des réformes nécessaires à l’atteinte de l’OMT peut mener à un dépôt obligatoire d’un montant égal à 0,2 % de leur PIB. Le Pacte de stabilité et de croissance, qui est censé imposer la discipline budgétaire, en particulier dans les pays membres de la zone euro, a pourtant été bafoué à de nombreuses reprises. En juillet dernier, l’Espagne et le Portugal ont vu leurs sanctions reportées. L’année précédente, la France et l’Italie avaient également bénéficié d’un délai. Durant la crise, le Pacte avait été mis en sommeil de manière à permettre aux dettes publiques d’augmenter un peu partout. Auparavant, en 2003, il avait officiellement été suspendu, au moment où la France et l’Allemagne auraient dû être sanctionnées280.

2|

L ES NORMES SEC 2010

Afin de comparer la comptabilité des États membres, un système européen de comptabilité (SEC), basé sur les prescrits internationaux, a été mis en œuvre par Eurostat. Cette norme est notamment utilisée pour déterminer dans quelle mesure les États respectent les règles du Pacte de stabilité et de croissance.

280

C. WYPLOSZ, « Zone euro : l’agonie du Pacte de stabilité », www.lefigaro.fr, 18 août 2016.

75


En particulier, l’objectif de déficit public à moyen terme que doivent respecter les États est exprimé au départ du « solde de financement » des administrations publiques281, c’est-à-dire par la différence entre le total des recettes et le total des dépenses. La référence à ce solde ne permet cependant pas de distinguer les dépenses courantes des dépenses d’investissements. Les unes comme les autres doivent être inscrites au moment de leur paiement, ce qui, dans le cas d’un investissement conséquent, creuse énormément le déficit alors que l’emprunt contracté à cette fin ne sera remboursé que sur plusieurs années. Tandis qu’une entreprise peut amortir un investissement dans sa comptabilité sur dix ou vingt ans, les pouvoirs publics doivent le faire en une seule année. Bien évidemment, le retour progressif à l’équilibre des dépenses courantes est impératif afin de ne pas placer une hypothèque sur les générations futures. Toutefois, si les règles visant un tel équilibre ne permettent pas d’investir correctement afin de répondre aux besoins collectifs, il en résultera une perte de compétitivité des États et une moindre qualité de vie en leur sein. En tant que tel, les principes comptables fondamentaux n’ont pas changé avec le SEC 2010, pas plus que le poids effectif de la dette pesant sur les pouvoirs publics. Les principales difficultés naissent en réalité de la combinaison des normes comptables et budgétaires, puisque les États doivent tendre à un solde de financement à l’équilibre, sans qu’il soit tenu compte de leurs besoins d’investissements. Il serait pourtant souhaitable d’assouplir quelque peu l’usage des normes comptables dans le cadre de la gouvernance budgétaire, afin d’assurer la nécessaire relance des investissements publics.

281

Solde « B9 » en SEC 2010. Il s’agit de l’épargne nette plus les transferts en capital à recevoir, moins les transferts en capital à payer, la valeur des acquisitions, les cessions d’actifs non financiers et consommation de capital fixe.

76


LA NÉCESSITÉ DE RELANCER LES INVESTISSEMENTS PUBLICS De manière stricte, les investissements publics se définissent comme « la formation brute de capital fixe », soit les acquisitions moins les cessions d’actifs par l’ensemble des pouvoirs publics, du niveau fédéral au local282. À titre liminaire, il est important de relever que les investissements publics en Europe sont globalement faibles. En effet, entre 2001 et 2015, la moyenne des investissements publics au sein des 28 États membres n’a atteint que 3,2 % du PIB. Tandis qu’au début des années 70 les investissements publics représentaient en Belgique 5,5 % du PIB, ils oscillent depuis la fin des années 80 entre 2 % et 2,5 %, ce qui classe notre pays, tout comme l’Allemagne (2,2 % du PIB), parmi les mauvais élèves européens. Pourtant, dans le même temps, la Belgique affiche l’un des niveaux de dépenses publiques les plus élevés de l’UE, à 52,8 %. Relevons que la France combine des dépenses de 55,2 % du PIB et des investissements de l’ordre de 3,9 % du PIB. Les Pays-Bas, en revanche, affichent un budget de l’ordre de 45,4 % du PIB mais investissent pour 3,8 % du PIB. Ces deux exemples contrastés suggèrent que d’autres choix politiques sont possibles283. Investissements publics en % du PIB, pays de l’UE, 1995-2015

(src:Eurostat)

282

W. MELYN, R. SCHOONMAKERS, P. STINGLHAMBER et L. VAN MEENSEL, « Faut-il stimuler les investissements publics ? », Bruxelles, BNB Revue économique, septembre 2016.

283

Pour un aperçu complet et détaillé de l’investissement public au niveau européen, A. ANTOINE : Panne ou manne d’investissements publics, Cahier de la Présidence, n° 5, mars 2017, www.andre-antoine.be.

77


Ce sous-investissement chronique affecte naturellement la compétitivité et la croissance à long terme d’un pays. L’engorgement des routes, l’inefficience relative de nos réseaux de transport et de distribution énergétique, ou encore l’offre inadéquate de transports publics sont autant de facteurs qui affectent directement la productivité de nos entreprises. Malgré leur caractère crucial, les investissements publics ont trop souvent constitué une variable d’ajustement afin d’équilibrer les comptes publics, notamment dans le cadre du respect des objectifs de moyen terme. Pourtant, un consensus toujours plus large se dégage en faveur d’une relance intelligente des investissements publics. Au rang des partisans d’une telle relance, relevons l’ex-Président de la BEI Philippe Maystadt et l’économiste Bruno Colmant, mais aussi de nombreuses institutions nationales et internationales telles que la Banque centrale européenne, le FMI, le G20, l’OCDE ou encore le Bureau du Plan. Même la Commission européenne recommande, de son côté, de relancer les investissements, mais de les financer par une baisse des dépenses sociales. La liste complète et détaillée de ces prises de position se trouve dans le précédent numéro des Cahiers de la Présidence, consacré spécifiquement à la question des investissements publics.

78


LE PLAN JUNCKER, UNE SOLUTION INTÉRESSANTE MAIS INSUFFISANTE Malgré l’accumulation des arguments étayant l’absolue nécessité d’une relance des investissements publics, l’Union européenne ne semble pas encore totalement prête à évoluer sensiblement en ce sens. Le Plan Juncker pour les investissements est assurément une mesure encourageante, même s’il ne concerne pas les projets dont le financement serait 100 % public. Ce dernier repose sur le principe de l’additionnalité entre fonds publics et privés, par lequel la mobilisation de 21 milliards d’euros de fonds publics permettrait en trois ans d’aboutir à 315 milliards d’euros d’investissements. Il tarde toutefois à se concrétiser. En deux ans, le Plan a débouché sur l’approbation de 163 milliards d’investissements publics, soit 52 % de l’objectif initial. La Commission reste confiante quant à l’objectif de 315 milliards d’ici 2018284. Ce relatif succès a poussé Jean-Claude Juncker à proposer sa prolongation jusqu’en 2020 et son doublement à hauteur de 500 milliards d’euros. Une majorité d’États membres s’est déjà prononcée favorablement et le Parlement européen est également sur le point d’approuver la proposition285. Toutefois, ses détracteurs reprochent au Plan Juncker de financer un nombre important de projets dans des régions déjà nanties, comme l’Allemagne, et qui sont, du reste, éligibles à d’autres financements existants286. Ces critiques sont largement reprises par une récente étude de l’Institut Jacques Delors, qui estime les besoins annuels d’investissements entre 200 et 300 millions d’euros et plaide pour un « véritable budget européen d’investissements »287. Sans évolution des règles du Pacte de stabilité et de croissance et/ou de la manière dont sont appliquées les normes SEC 2010, voire de la définition 284

Commission européenne, Brochure on the Investment Plan for Europe (EFSI), www. ec.europa.eu, 10 février 2017.

285

J. LASTENNET, « Plan Juncker, l’objectif de 315 milliards d’investissements d’ici 2018 devrait être tenu », in www.touteleurope.eu, 9 février 2017.

286

Parlement européen, Plan d’investissement pour l’Europe : examen à mi-parcours en plénière (20160606STO30646), www.europarl.europa.eu, 8 juin 2016.

287

M. TENDILL, « Investissements - Le plan Juncker, insuffisant pour combler le déficit d’investissement ? », www.caissedesdepotsdesterritoires.fr, 20 avril 2016.

79


de son périmètre, il y a de fortes chances pour que le plan Juncker n’atteigne que partiellement ses objectifs, pourtant louables. Malheureusement, les conclusions du Conseil européen qui s’est tenu le 6 décembre 2016 à Bruxelles et qui listent les obstacles à l’investissement ne font nullement mention de l’impact négatif des normes comptables et budgétaires européennes288. Dans le prolongement du Plan Juncker, le Premier ministre, Charles Michel, a proposé l’idée d’un Pacte pour de grands investissements publics, indiquant que plusieurs milliards d’euros devraient être mobilisés entre 2017 et 2030. Bien que la Wallonie ait marqué son intérêt pour ce Pacte pour les investissements, le Ministre-Président Paul Magnette a dit craindre que ce projet soit mort-né289. Hormis le Comité de concertation du 28 septembre 2016 et une réunion d’un groupe de travail interfédéral le 22 novembre dernier, aucune action concrète n’a suivi et les questions soulevées par la Wallonie n’ont jamais reçu de réponse. Selon le Premier ministre, trois secteurs ont déjà été identifiés comme étant prioritaires : l’agenda digital, la mobilité et la transition énergétique ; les autres secteurs ne faisant pas l’objet d’un consensus. En outre, il a demandé aux différents départements fédéraux d’effectuer l’inventaire des projets susceptibles d’être financés dans le cadre du Pacte pour les investissements, au regard de leur caractère productif. Il espérait disposer de cette liste début 2017290. À ce stade, rien ne permet toutefois de présager d’une mise en œuvre rapide du Pacte pour les investissements, comme le relevait notamment Catherine Fonck, Cheffe de groupe cdH à la Chambre291. Une fois de plus, le Fédéral risque de montrer son incapacité à concrétiser ses annonces292. Si nous saluons la récente déconsolidation par Eurostat de partenariats public-privé tant au Nord qu’au Sud du pays, nous craignons que ces décisions293, n’aient grandement diminué l’appétit de nos partenaires flamands pour le Pacte d’investissements. Espérons que cela n’affecte pas négativement l’ardeur du Gouvernement fédéral à concrétiser son appel. 288

Conclusions du Conseil européen du 6 décembre 2016, www.data.consilium.europa.eu, 6 décembre 2016.

289

Voy. la réponse de M. Magnette à D. Fourny sur « les suites du Pacte d’investissements annoncé par le Fédéral », (Doc. Parl., Parlement de Wallonie, session 2016-2017, CRAC n°66, p.3).

290

Compte rendu des débats sur le budget en séance plénière de la Chambre du 20 décembre 2017 après-midi, (Doc. Parl., Chambre des représentants, session 20162017, CRIV 54 PLEN 146).

291

Intervention de Catherine Fonck sur « la déclaration gouvernementale », (Doc. Parl., Chambre des représentants, CRIV 54 PLEN 133, p. 15).

292

« Le pacte national pour les investissements stratégiques annoncé par le Fédéral : que des effets d’annonce ! », www.cdh-wallonie.be, 19 décembre 2016.

293

Notamment pour le relèvement des ponts sur le Canal Albert, pour des bâtiments scolaires et bien entendu pour le tram à Liège.

80


NOS PROPOSITIONS POUR UN INVESTISSEMENT PROSPÈRE La réglementation SEC 95 était sans nul doute plus propice aux investissements publics, notamment en ce que le logement n’entrait pas dans le périmètre des dettes publiques. Toutefois, un retour à cette réglementation semble exclu, puisque le SEC 2010 se base sur des normes internationales desquelles la Commission ne s’écartera pas. Tout en maintenant le SEC 2010, plusieurs formules sont toutefois possibles afin de libérer les investissements publics en Europe294 . Premièrement, le calcul des objectifs de moyen terme devrait intégrer le vieillissement de la population et au minimum le maintien des infrastructures et des actifs existants. Complémentairement, ce calcul devrait également tenir compte de la conjoncture économique, en assouplissant les objectifs en période de basse conjoncture et en les resserrant lorsqu’elle s’améliore. Une deuxième approche possible consiste en une révision de l’application des normes SEC, visant à inscrire les dépenses d’investissement non plus au moment du paiement mais de manière progressive, selon une logique d’amortissements « capital et intérêts », exactement comme le font les entreprises. Enfin, une dernière piste consiste à élargir la liste des dépenses qui sont immunisées par la Commission dans le calcul du déficit des États membres. Les 294

A.ANTOINE, Panne ou manne d’investissements publics, Cahier de la Présidence, n° 5, mars 2017, www.andre-antoine.be.

81


dépenses de sécurité suite aux attentats, celles suscitées par la crise migratoire ou celles consenties dans le cadre du Plan Juncker ne sont pas considérées dans le calcul du solde structurel. Sur base de ce principe, rien n’empêcherait la Commission d’établir une liste d’investissements qui seraient immunisés. À notre estime, celle-ci devrait comprendre, les infrastructures énergétiques, de transport et de communication, l’éducation et la recherche, le logement295, les investissements liés au vieillissement de la population ainsi que les compléments nationaux dans les programmes européens de compétitivité et de convergence et dans les programmes sélectionnés par la BEI. Concernant le Pacte de stabilité et de croissance, la Cour des comptes de l’Union européenne devrait se voir confier une mission d’évaluation, afin de déterminer sa capacité à atteindre les objectifs qui lui sont assignés.

295

En référence à l’ancienne réglementation SEC 95.

82




LA CARENCE DU BUDGET


UNE UNION MONÉTAIRE INACHEVÉE Les défis auxquels l’Union européenne doit faire face et la crise économique et financière touchant les pays de la zone euro depuis 2008 démontrent qu’une intégration plus poussée au sein de celle-ci est indispensable en vue de finaliser l’Union économique et monétaire. La zone euro ne dispose d’aucun budget propre et fonctionne par la coordination des budgets des États qui en sont membres. En principe, les outils budgétaire et monétaire doivent être conjugués afin de permettre à une entité souveraine dotée d’une monnaie commune de mener une politique économique cohérente. Ce constat ne date pas d’hier puisque dès 1977, le Rapport McDougall jugeait « qu’en l’absence d’un tel développement, une union monétaire serait impossible à atteindre »296. De même, Philippe Maystadt soulignait en 2015 qu’« aucune union monétaire ne peut survivre sans un budget commun »297. Certes, l’UE est dotée d’un budget, mais celui-ci porte sur l’ensemble des 28 États membres et ne s’élevait qu’à 145 milliards d’euros en 2015, soit environ 1 % du PIB de l’UE.298 Le cadre financier pluriannuel a pour objet d’établir les limites et les contours de ce budget. Il fixe les montants maximaux que l’UE peut dépenser chaque année dans différents domaines pour une période de 7 ans. Enfin, l’essentiel de ce budget limité est capté par la Politique agricole commune (PAC)299 et n’est donc pas en mesure d’assumer les fonctions que devrait remplir un budget de la zone euro (voir infra). Concrètement, ce budget de la zone euro s’ajouterait au budget actuel de l’UE, avec des objectifs, des modes de financement et de gestion qui lui seraient propres.

296

Commission des Communautés européennes, Report of the Study Group on the Role of Public Finance in European Integration, Bruxelles, avril 1977.

297

P. MAYSTADT, « Sans capacit budge taire, la zone euro restera menace e, avec ou sans Grexit », www.levif.be, 21 juin 2015.

298

Le montant est disponible sur le site www.europa.eu. À titre de comparaison, le budget moyen des pays de l’UE atteint 47,7 % de leur PIB. Voy. Conseil central de l’économie, Diagnostic des investissements publics en Belgique, Avis CCE 2016-1699, 12 juillet 2016.

299

E. BARDARO et N. MONNART, L’Europe fiscale et un budget pour la zone euro : utopie ou nécessité ?, op.cit., p.49.

86


FINANCEMENT, OBJECTIFS ET GOUVERNANCE D’UN BUDGET DE LA ZONE EURO Tout récemment, une résolution 300 du chrétien-démocrate Reimer Böge et de la socialiste Pervenche Berès a insisté sur la nécessité de doter la zone euro d’une capacité budgétaire qui serait annexée au budget de l’UE sous la forme d’une « ressource affectée » 301, consacrée à des dépenses bien précises au-delà des plafonds actuels du cadre financier pluriannuel. Cette résolution a été approuvée 302 par le Parlement européen le 16 février 2017. Elle s’ajoute à de nombreuses autres prises de position ces dernières années 303.

300

Résolution du Parlement européen du 16 février 2017 sur la capacité budgétaire de la zone euro (2015/2344/INI).

301

Une ressource affectée déroge au principe de l’universalité du budget, selon lequel une recette ne peut être directement reliée à une dépense. Une ressource affectée doit obligatoirement être consacrée à une fin précise. C’est par exemple le cas d’un subside accordé à une fin spécifique.

302

Par 304 voix pour, 255 voix contre et 68 abstentions.

303

E. BARDARO et N. MONNART, op.cit., p.49.

87


1|

L ES OBJECTIFS D’UNE TELLE CAPACITÉ BUDGÉTAIRE

Aux termes de la résolution, la capacité budgétaire devra remplir trois fonctions :

1.1|  Des économies convergentes Sa première fonction sera de stimuler la convergence économique de la zone euro. À cette fin, l’une des conditions est un retour à l’équilibre des dépenses courantes, objectif poursuivi par le Pacte de stabilité et de croissance existant. Toutefois, il importe que les moyens mis en œuvre ne se limitent pas au volet « dépenses », n’obèrent pas l’investissement et interviennent selon un rythme soutenable. L’autre condition fondamentale de convergence des économies de la zone euro n’est pas encore dotée de suffisamment d’outils spécifiques pour être remplie. Il s’agit d’une convergence des politiques économiques au-delà des simples équilibres comptables, notamment en terme d’investissements, de marché du travail, on encore de fiscalité. À cette fin, les États membres de la zone euro se doteraient d’un code de convergence concernant la fiscalité, le marché du travail, les investissements, la productivité, la cohésion sociale et les capacités d’administration publique. Ce code serait complémentaire au Pacte de stabilité et de croissance et son respect devrait conditionner la participation pleine et entière au budget de la zone euro et donc l’accès aux fonds d’investissement qui y seraient rattachés.304 Par exemple, les États membres se verraient chacun assigner un objectif contraignant en termes de salaire minimum, qui serait fonction de différents paramètres économiques, relevant à la fois de l’offre, mais aussi de la demande305.

1.2|  Un stabilisateur automatique En l’absence de convergence de leurs économies respectives, les États membres de la zone euro restent exposés à des chocs asymétriques306 qu’ils 304

Rapport du 13 février 2017 de la Commission du budget et de la Commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen sur la capacité budgétaire de la zone euro (2015/2344(INI)).

305

Par exemple, l’établissement ou le relèvement d’un salaire minimum a des effets néfastes sur les coûts de production et donc sur l’offre et les prix. Par contre, une telle mesure est très bénéfique aux bas salaires, qui ont tendance à consommer la quasi totalité de leurs revenus, ce qui impacte positivement le PIB qui est l’addition de la consommation publique, de la consommation privée, des investissements et des exportations moins les exportations : C+G+I+(X-M).

306

Situations dans lesquelles un événement économique affecte sérieusement un État membre, mais pas les autres ou de manière moins sérieuse. La crise de la dette grecque

88


doivent surmonter. La réponse à de tels chocs constituerait la deuxième fonction d’un budget de la zone euro. Le Mécanisme européen de stabilité (MES) et, dans une moindre mesure, le Fonds européen d’ajustement à la mondialisation (FEM) constituent à cet égard une aide précieuse. Toutefois, le MES n’est en fait qu’un système de prêts entre États, dépendant de la volonté de ceux-ci. Or, au plus les chocs asymétriques sont traités rapidement, au moins les solutions sont coûteuses et au moins les chances que ces chocs ne se propagent à l’ensemble de la zone euro sont grandes. C’est pourquoi le système doit remplir le rôle de « stabilisateur automatique », comparable à l’assurance chômage307. En attendant l’émergence de l’Europe sociale que nous appelons de nos voeux, une première solution consisterait en un mécanisme automatique de transferts budgétaires aux États membres de la zone euro, lorsque certains indicateurs (consommation, inflation, croissance, etc.) sortent d’une fourchette déterminée à l’avance. Bien entendu, un tel mécanisme devra être correctement balisé afin de ne pas constituer un incitant à la mauvaise gestion.

1.3|  L’absorption des chocs symétriques La troisième fonction de ce budget serait de pouvoir répondre aux éventuels chocs symétriques308. Dans le cas d’une demande intérieure trop faible touchant l’ensemble de la zone euro, la politique monétaire ne peut à elle seule relancer la croissance, comme nous le montre l’expérience actuelle. En effet, la Banque centrale européenne (BCE) pratique une politique monétaire extrêmement accommodante en vue de relancer l’activité économique. D’une part, ses taux directeurs sont proches de 0 et d’autre part, elle rachète massivement des titres de dette aux banques commerciales et aux entreprises afin d’y injecter des liquidités, qu’elles sont censées investir ou prêter. Toutefois, le climat de méfiance qui règne actuellement et les exigences strictes des banques pour consentir des prêts incitent les consommateurs et les entreprises à l’épargne, malgré des taux plancher. En vue de sortir de cette « trappe à liquidité », il serait nécessaire que les pouvoirs publics interviennent en restaurant la confiance pour relancer la demande et ainsi réamorcer la pompe de l’économie. Le budget de la zone euro doit donc être d’une taille suffisante, afin de contrer les chocs symétriques par le financement d’investissements axés sur la demande agrégée et le plein emploi, conformément à l’article 3 TUE309. est un exemple de choc asymétrique. Au plus les économies des membres d’un ensemble plus grand sont dissemblables, au plus un choc asymétrique a des chances de survenir. 307

E. BARDARO et N. MONNART, op.cit., p.46.

308

Situations dans lesquelles toutes les économies sont touchées de la même manière par un événement économique, telle la fluctuation des prix du pétrole dans les pays de la zone euro.

309

Cet article établit les objectifs généraux de l’UE et précise notamment en son pa-

89


2|

L E FINANCEMENT D’UN TEL BUDGET

Deux grands types de mécanismes sont envisageables afin d’alimenter un budget de la zone euro : soit des recettes propres, soit des contributions nationales. À terme, la première solution est préférable, comme indiqué dans le rapport Monti sur l’avenir du financement de l’Union européenne310. En effet, une source de financement proprement européenne serait à la fois plus simple à gérer et plus apte à servir des intérêts proprement européens. Une première source possible de financement propre311 consisterait en une taxe sur la valeur ajoutée portant sur la richesse générée au niveau européen par les transactions transfrontalières et les ventes en ligne. Afin de rendre possible une telle fiscalité indirecte, il convient de construire au plus vite un marché intégré du numérique au niveau européen. Cette proposition se concentrait sur deux taux séparés, un national et un européen, et porterait sur ces types de transactions largement européanisées312. Une autre possibilité serait la mise en œuvre d’une taxe sur les transactions financières au sein des pays de la zone euro. Á cet égard, la Commission a présenté le 28 septembre 2011 une proposition consistant à instaurer une taxe de 0,1 % pour les transactions sur les titres et de 0,01 % sur les produits dérivés. Il n’a toutefois pas été possible d’obtenir un accord au sein du Conseil et, depuis 2013, 10 États membres dont la Belgique ont entamé des discussions dans le cadre d’une coopération renforcée313. Selon les estimations de la Commission, une telle taxe pourrait rapporter 0,4 à 0,5 % du PIB des 10 États participants.

ragraphe 3 : « L’UE établit un marché intérieur. Elle oeuvre pour le développement durable de l’Europe fondé sur une croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix, une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social, et un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement. Elle promeut le progrès scientifique et technique ». 310

Rapport du 13 février 2017 de la Commission du budget et de la Commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen sur la capacité budgétaire de la zone euro (2015/2344(INI)).

311

Plus largement, ce principe a été développé par Miguel Polares Maduro dans « A new governance for the European Union and the Euro: democracy and justice », Article préparé pour le Comité des Affaires constitutionnelles du Parlement européen, pp. 462-484, September 2012.

312

Rapport du 19 octobre 2016 sur le thème « Vers un système de TVA définitif, et lutte contre la fraude à la TVA (2016/2033(INI)) ».

313

G. GRESILLON, op.cit., p.4..

90


La Belgique fait malheureusement partie des pays qui ralentissent le processus. Le ministre fédéral des Finances Johan Van Overtveldt a notamment déclaré314 que cette taxe était en contradiction avec l’accord de gouvernement qui dit explicitement que la taxe doit se focaliser sur les actions et (produits) dérivés ayant un caractère spéculatif, mais qu’elle ne peut avoir aucun effet négatif sur l’économie réelle. Il a également reproché au projet de risquer « d’augmenter le coût de financement de la dette publique » et d’être une source de « risques pour le secteur financier en Belgique », évoquant un danger de « délocalisations d’institutions financières ». Si la Belgique devait se retirer du processus, elle pourrait entraîner avec elle la Slovaquie et toute la coopération renforcée serait mise à mal, puisqu’elle nécessite un minimum de 9 participants315. Comme le suggère Philippe Maystadt, il est également intéressant de s’inspirer du modèle américain en alimentant le budget par une partie des bénéfices de la BCE générés par ses opérations monétaires. Aux États-Unis, les profits de la « Federal Reserve » sont versés en grande partie au Trésor américain.316 L’idée serait de faire de ces fonds une ressource financière propre de la zone euro. Une modification des statuts de la BCE serait alors à prévoir, mais elle n’implique qu’un recours à la procédure législative ordinaire317. Une dernière possibilité de financement 314

« Taxe sur les transactions financières: ça bloque en Belgique », www.challenges.fr, 23 janvier 2016.

315

G.GRESILLON, op.cit., p.4. ; « La taxe Tobin européenne de plus en plus mal en point », www.lesechos.fr, 30 janvier 2017.

316

E.BARDARO, et N. MONNART, op.cit., p.51.

317

Art. 129, par. 3 TFUE et art. 33, par. 1a des statuts de la BCE.

91


propre consisterait à introduire une imposition directe, même minime, des citoyens européens. Ceux-ci verseraient une partie de l’impôt sur les personnes physiques directement à l’Union européenne. La justification d’un impôt européen renvoie au renforcement du concept de «citoyenneté européenne». Ce prélèvement serait la conséquence logique du mouvement d’intégration dont la monnaie unique est le parfait symbole. Il remplacerait un système totalement opaque et permettrait de créer un nouveau lien entre l’UE et les citoyens européens318 Alternativement, sur base de l’Assiette commune consolidée sur l’impôt des sociétés (ACCIS)319 actuellement proposée par la Commission, il pourrait être envisagé de réserver un pourcentage de l’assiette fiscale commune à la zone euro en tant que telle. Si les États membres n’arrivent pas à s’entendre sur une fiscalité proprement européenne, une autre solution plus simple à appliquer serait d’alimenter ce budget par des contributions nationales, basées sur le PIB des États membres. Ce système présente l’avantage d’être relativement facile à mettre en place, mais comporte néanmoins le désavantage d’être trop détaché des politiques européennes et tend à justifier le discours du « juste retour »320. En outre, il s’agirait d’une décision à prendre au niveau de chaque gouvernement, avec l’aval des Parlements qui risqueraient alors de réclamer un droit de regard sur le budget de la zone euro, le rendant ainsi quasiment ingérable. Pour remplir son rôle de stabilisateur automatique, Guntram Wolff, directeur du Think Tank Bruegel, soutient que le budget de la zone euro devrait atteindre environ 1 % du PIB de ses membres. Si le volume de ce budget était porté à 2 %, il estime que la zone euro disposerait d’une crédibilité suffisante pour emprunter sur les marchés321. Rappelons que ce budget viendrait en plus de celui de l’UE déjà existant.

318

« Après la monnaie unique, l’impôt européen ? » www.finances-europe.com, 26 février 2002.

319

Voir à ce propos le troisième chapitre de ce cahier consacré à l’harmonisation fiscale.

320

Rapport de la Commission du budget et de la Commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen sur la capacité budgétaire de la zone euro (2015/2344(INI)).

321

E. BARDARO, et N. MONNART, op.cit., p.52.

92


3|

GOUVERNANCE

Un budget de la zone euro reposerait sur un mécanisme de financement inédit, poursuivrait des objectifs nouveaux et ne concernerait qu’une partie des États membres. Il est donc logique que la gestion de ce budget réponde à des procédures spécifiques, qui peuvent éventuellement nécessiter des adaptations législatives du droit dérivé de l’UE, voire des traités eux-mêmes322. Pour gérer ce budget, une solution serait de fusionner la fonction de Président de l’Eurogroupe avec celle de commissaire aux affaires économiques et financières afin d’en faire un « ministre des Finances » de la zone euro, qui serait également vice-Président de la Commission. Ce « ministre des Finances » serait doté d’un département institué au sein de la Commission européenne et devrait disposer de tous les moyens nécessaires pour appliquer et faire respecter le cadre de la gouvernance économique, en collaboration avec les ministres des Finances des États membres de la zone euro. Afin d’avoir la légitimité démocratique nécessaire, ce ministre devrait être responsable devant le Parlement européen, qui aurait le pouvoir de contrôler son action323 . Doter la zone euro d’un budget est un grand défi juridique et nécessitera également la contribution des Parlements nationaux, car de nombreux aspects liés à une capacité fiscale touchent l’autonomie budgétaire des différents États membres, garantie par leurs Constitutions nationales respectives324. Une fois les principes établis, nous estimons que le vote et le contrôle de ce budget doivent relever de la seule responsabilité des Parlementaires européens, à même de défendre des intérêts proprement européens.

322

Dans le cadre de cette courte analyse, il ne nous est pas possible de traiter ces questions techniques, qui dépendront de toutes façons des options politiques qui seront retenues.

323

P. MOSCOVICI, S’il est minuit en Europe, Paris, 2016, pp.. 228 et 229.

324

P. MOSCOVICI, op.cit., p. 229.

93


NOS PROPOSITIONS POUR UNE UNION MONÉTAIRE ACHEVÉE Tout comme pour la crise de la migration, il est capital de mettre à profit des temps économiques moins agités afin de rendre la zone euro plus résistante aux chocs futurs et de la doter d’une capacité budgétaire. Concernant le financement de cette zone, nous suggérons que : nn l a Belgique agisse comme leader dans le cadre de la taxe sur les transactions financières, afin qu’à terme, elle devienne une source de financement pour le budget de la zone euro ; nn l a Commission formule des propositions législatives relatives à la TVA, à un Impôt européen sur les personnes physiques ou sur les sociétés visant à alimenter un budget pour la zone euro ; nn à défaut, les États membres de la zone euro versent des contributions au budget à hauteur de 1 % de leur PIB, avec l’objectif d’atteindre 2 % d’ici 10 ans et ainsi doter la zone euro d’une capacité d’emprunt. Concernant les fonctions de ce budget, nous demandons que : nn l e code de convergence rattaché au budget vise à garantir un niveau suffisant d’investissements publics, en particulier au sein des pays affichant un excédent budgétaire ; nn l e budget de la zone euro soit assorti de mécanismes de transferts automatiques visant à répondre immédiatement à tout choc asymétrique ; nn l e budget de la zone euro soit partiellement consacré à la réalisation d’investissements publics productifs, à même de rendre la zone euro plus résiliente.

94


Concernant la gouvernance de ce budget, nous demandons que : nn l e vote et le contrôle du budget soient confiés au Parlement européen. Restera alors à régler la question des Parlementaires concernés (soit l’ensemble de ceux-ci, soit uniquement ceux issus d’un État membre de la zone euro) ; nn s on exécution soit confiée à un « ministre des finances » de la zone euro, qui serait également vice-Président de la Commission et doté d’un département spécifique au sein de celle-ci.

95



LE DÉCLIN

INDUSTRIEL


L’INDUSTRIE EUROPÉENNE, GRANDEUR ET DÉCLIN L’industrie peut être définie comme étant l’« ensemble des activités économiques qui produisent des biens matériels par la transformation et la mise en œuvre de matières premières »325. Elle comprend l’industrie manufacturière et les industries d’extraction326. Si l’Europe fut, dès la fin du 18e siècle, le berceau de la première révolution industrielle327, cela fait plusieurs décennies que d’autres régions du monde ont pris l’ascendant dans le développement de ce secteur328. La crise financière et économique de 2008 a encore accentué ce mouvement. Plusieurs indicateurs illustrent la tendance329. Il y a d’abord l’évolution de la part de l’industrie dans le PIB européen : alors qu’elle était de 21 % en 1996, elle n’était plus que de 18,5 % en 2000 et de 15,1 % en 2013330. Il y a ensuite la part de la production industrielle européenne dans la production industrielle mondiale. Si celle-ci en représentait 36 % en 1996, elle n’en représente plus que 24 % en 2016331. 325

« Industrie » in Dictionnaire Larousse, www.larousse.fr.

326

L’industrie d’extraction (mines, pétrole, etc.) étant largement minoritaire en Europe et de surcroît assimilée, la plupart du temps, au secteur primaire, nous nous focaliserons ici sur l’industrie manufacturière. Les chiffres que nous citons concernent donc, sauf contre-indication, cette dernière.

327

« Les transformations économiques de l’Europe au XIXe siècle », www.philisto.fr, 30 mai 2015.

328

Après une politique protectionniste en Europe dans les années 50 à 70, les années 80 verront se développer une politique plus libérale avec une diminution des obstacles douaniers et des aides aux industries lourdes en déclin. Elles vont donc péricliter et l’Europe verra une délocalisation importante de ses entreprises industrielles. Voy. « L’évolution de la réflexion sur la politique industrielle », www.touteleurope.eu, 4 septembre 2013.

329

Eurostat, « Statistiques sur l’industrie et la construction évolution conjoncturelle », www. ec.europa.eu, septembre 2015.

330

Rapport 2013 de la Commission européenne sur la compétitivité : sans industrie, pas de croissance ni d’emploi (MEMO/13/815).

331

Rapport de la Commission de l’industrie, de la recherche et de l’énergie du Parlement européen du 18 décembre 2013 : « réindustrialiser l’Europe pour promouvoir la com-

98


Au niveau de l’emploi, le bilan est également inquiétant. L’industrie représentait 20,9 % de l’emploi européen en 1996, mais seulement 17,9 % en 2006. Depuis 2008, l’Europe a perdu 3,5 millions d’emplois dans le secteur332. L’Allemagne est le seul pays où ces effectifs n’ont pas baissé de 2007 à 2012. L’Espagne (-650.000), l’Italie (-525.000) et la France (-380.000) sont les pays où le solde création/suppression d’emplois dans l’industrie s’est le plus dégradé. En Belgique, pour la même période, ce solde se chiffre à une perte de 50.000 emplois. Nous citerons encore un dernier indicateur significatif : la part de l’industrie dans la valeur ajoutée brute333 de l’économie européenne. Même si l’industrie était toujours, en 2015, la principale activité économique de l’UE eu égard à cet indicateur, son poids est déclinant : de 1995 à 2015, cette part est passée de 23,3 à 19,3 %334. Dans la zone euro, elle est passée de 23,2 à 20,1 %. En Belgique, la tendance est encore plus marquée avec un passage de 23,7 à 16,7 %335. Ces constats mènent de nombreux observateurs à parler d’une désindustrialisation de l’Europe336. pétitivité et la durabilité » (2013/2006(INI)). 332

Communiqué de presse de la Commission européenne, Compétitivité industrielle: des rapports de la Commission soulignent la nécessité pour l’UE et les États membres de prendre des mesures plus fermes, 11 septembre 2014 (IP/14/989).

333

C’est à dire la valeur ajoutée ne tenant pas compte de l’usure des biens d’équipement.

334

Eurostat, « EU industry accounts for just over 19 % of total gross value added and 15 % of employment. Declining weight over last twenty years », 27 octobre 2016, www.ec.europa.eu.

335

Dans l’industrie, tous les secteurs ne sont cependant pas en récession. Parmi eux, l’industrie pharmaceutique, l’industrie automobile et les autres industries manufacturières sont celles qui connaissent la croissance la plus importante (respectivement de 8 %, 5,5 % et 5% en 2014). Voy. « Annual growth rate for the industrial index of production, EU-28, 2014 », www.ec.europa.eu, 16 décembre 2016.

336

C. CARRINCAZEAUX, M. CORIS et A. PIVETEAU, « Embrasser une vision offensive, ouverte et européenne de la politique industrielle », www.lemonde.fr, 16 février 2017., et J.-F. JAMET, « Où va l’industrie européenne ? », Question d’Europe n°82, www.robert-schuman.eu, 3 décembre 2007.

99


CAUSES ET CONSÉQUENCES DU DÉCLIN Quelles sont les causes de cette désindustrialisation ? Si elle a été amorcée par le vieillissement de son outil industriel, une réglementation lourde et une politique de la concurrence trop rigide337, l’Union européenne connaît aujourd’hui un réel problème de compétitivité de son secteur industriel. Le rapport de la Commission européenne de septembre 2014 sur la compétitivité industrielle338 soulignait plusieurs points préoccupants freinant son amélioration : le manque d’investissements dans l’industrie, l’accès difficile au financement des petites et jeunes entreprises, le manque d’efficacité et le coût des relations avec l’administration publique, les entraves à l’internationalisation, le manque d’innovation et de recherche, mais aussi les prix de l’énergie339. Des gains de productivité plus lents en Europe qu’aux États-Unis, une spécialisation dans des secteurs traditionnels (par opposition aux nouvelles technologies), ou une faiblesse du tissu des PME340 sont également en cause. Plus largement, des causes structurelles sont aussi à prendre en compte. L’absence d’harmonisation fiscale en Europe341, l’absence d’un budget de la zone euro342, la multiplication des mesures en faveur de la compétitivité par la concurrence entre secteurs et entre régions, et finalement l’absence d’une politique et d’une vision industrielle paneuropéenne en sont assurément les principales. De surcroît, la création du marché unique et de l’union monétaire ont mis en évidence les déséquilibres du marché européen, qui 337

« L’évolution de la réflexion sur la politique industrielle », www.touteleurope.eu, 4 septembre 2013.

338

Communiqué de presse de la Commission européenne, Compétitivité industrielle: des rapports de la Commission soulignent la nécessité pour l’UE et les États membres de prendre des mesures plus fermes, 11 septembre 2014 (IP/14/989).

339

Ce dernier point constitue certainement un handicap important de la compétitivité industrielle européenne, en particulier pour ce qui concerne les prix de l’électricité et du gaz. Les États-Unis ont, en comparaison, profité de la « révolution » du gaz de schiste qui y a fait chuter les cours du gaz naturel. Le rapport 2014 sur la compétitivité indique que les prix de l’électricité en Europe étaient, en 2014, deux fois plus hauts qu’aux États-Unis.

340

J.-F. JAMET, op.cit..

341

Créant une concurrence fiscale dommageable. Voy. à ce sujet le troisième chapitre de ce cahier consacré à la concurrence fiscale.

342

Voy. le cinquième chapitre de ce cahier consacré au budget.

100


se sont encore creusés. La crise financière de 2008 n’a fait que révéler ces dysfonctionnements, qui étaient longtemps restés masqués343. Cette désindustrialisation pose des problèmes de balance commerciale et d’innovation au sein de l’UE. Une économie ne peut pas se contenter d’être active dans les secteurs primaire et tertiaire: l’industrie a également un effet d’entraînement important sur le secteur des services. Ces derniers sont largement utilisés par l’industrie et bénéficient des innovations industrielles pour leur développement344. Jean-Claude Marcourt, ministre wallon en charge de l’Industrie, rappelait récemment à ce propos que chaque emploi créé dans l’industrie entraîne la création de 0,5 à 2 emplois dans d’autres secteurs345. C’est donc finalement sur l’emploi que les conséquences du déclin du secteur industriel se répercutent, et plus largement sur le poids de l’économie européenne dans le monde. Les institutions européennes se sont, depuis plusieurs décennies, positionnées pour tenter d’enrayer ce déclin. Relevons ici les principales étapes de cette politique industrielle.

343

F. LIRZIN et C. SCHRAMM, « Réindustrialiser l’Europe : les enjeux d’une politique européenne d’innovation et d’industrie », Questions d’Europe n°256, www.robert-schuman.eu, 22 octobre 2012.

344

L’industrie réalise 80 % des dépenses privées de R&D dans l’UE. Voy. J-F JAMET, op.cit.

345

Réponse du Ministre de l’Économie, M. Marcourt à une question orale de Mme Simonet (CDH) sur « la vision européenne en matière de réindustrialisation », (Doc. Parl., Parlement de Wallonie, session 2016-2017, C.R.A.C. N°46, p.41).

101


LA POLITIQUE INDUSTRIELLE EUROPÉENNE

1|  PREMIERS TRAVAUX ET STRATÉGIES Dans les années 80, alors que des signes visibles du déclin du secteur industriel apparaissent, les premières stratégies en faveur de l’industrie européenne sont élaborées346. Le but est d’améliorer la compétitivité à travers la recherche, l’innovation, le développement technologique et les politiques de promotion du marché intérieur347. Mais c’est en 1992 que l’UE se dote d’une véritable base juridique pour sa politique industrielle, dans ce qui est aujourd’hui l’article 173 TFUE348. Il stipule que « l’Union et les États membres veillent à ce que les conditions nécessaires à la compétitivité de l’industrie de l’Union soient assurées. » Leur action doit viser à adapter l’industrie aux changements structurels, à encourager un environnement favorable au développement des entreprises et à la coopération entre elles, et à favoriser une meilleure exploitation du potentiel industriel de l’innovation, de la recherche et du développement technologique349. En mars 2000, le Conseil européen adoptait la stratégie de Lisbonne, fixant les orientations de la politique économique et de développement de l’UE jusque 2010. Son ambition était de faire de l’Europe « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale », via une série de réformes. Cette stratégie montrera cependant assez vite des résultats « mitigés »350, eu 346

Même si la CECA, en 1952, Haute autorité sur les secteurs du charbon et de l’acier, constituait déjà une forme de politique industrielle. Voy. « L’évolution de la réflexion sur la politique industrielle », www.touteleurope.eu, 4 septembre 2013.

347

A partir de 1985, la Commission publiera plusieurs livres blancs et verts sur la compétitivité, l’innovation ou les déséquilibres du marché, présentant des propositions pour impulser une politique industrielle européenne.

348

Art. 173 TFUE.

349

Pour ce faire, les États membres « se consultent mutuellement en liaison avec la Commission » et « coordonnent leurs actions ».

350

Association Européenne pour la Défense des droits de l’Homme (AEDH), La stratégie de Lisbonne pour la croissance et l’emploi, Rapport du groupe de haut niveau présidé par M. Wim Kok, novembre 2004, www.aedh.eu.

102


égard aux objectifs. Une « nouvelle stratégie industrielle » sera dès lors présentée en 2005, via la mise en place d’un programme intégré à destination de l’industrie, se substituant à l’approche au cas par cas351. Ces mesures visent à améliorer l’environnement réglementaire de l’UE, renforcer le rôle des PME dans l’innovation, faire participer la Commission au financement de certains projets industriels352, utiliser les Fonds structurels pour préserver la compétitivité industrielle, etc353.

SOUS 2|   ÉLAVOLUTIONS COMMISSION BARROSO II

En 2010, la stratégie Europe 2020 pour la croissance et l’emploi remplace la stratégie de Lisbonne354. Elle présente sept initiatives phares, dont une intitulée « une politique industrielle à l’ère de la mondialisation ». Elle est axée sur 10 actions de promotion de la compétitivité de l’industrie européenne, mettant l’accent sur des facteurs tels que la croissance des PME et 351

Commission européenne, Mettre en oeuvre le programme communautaire de Lisbonne: un cadre politique pour renforcer l’industrie manufacturière de l’UE - vers une approche plus intégrée de la politique industrielle (COM(2005) 474 final). 5 octobre 2005.

352

La Commission participe au financement de projets industriels, en disposant d’une ligne budgétaire consacrée aux Réseaux Trans-Européen qui lui permet notamment d’intervenir dans le domaine de la radionavigation, des chemins de fer ou du contrôle aérien. L’exemple le plus significatif est celui du système de radionavigation par satellite Galileo.

353

J-F. JAMET, op.cit.

354

Commission européenne, Europe 2020, une stratégie pour une croissance intelligente, durable et inclusive, COM(2010) 2020, 3 mars 2010.

103


l’approvisionnement en matières premières et leur gestion. Trois autres actions concernent également le cadre de l’amélioration de la compétitivité industrielle en Europe : « Une Union de l’innovation », « Une stratégie numérique pour l’Europe », « Des compétences nouvelles pour des emplois nouveaux ». En 2013, deux rapports de la Commission pointaient un certain nombre de faiblesses nuisant à la croissance européenne : le caractère toujours atone de la demande intérieure, les progrès inégaux dans l’amélioration de l’environnement des entreprises, l’insuffisance des investissements dans la recherche et l’innovation, les prix élevés de l’énergie ainsi que l’accès difficile aux principaux facteurs de production355. Depuis, la Commission a publié plusieurs communications sur le sujet. Citons celle du 22 janvier 2014, intitulée « Pour une renaissance industrielle européenne »356. Elle y souligne que la « priorité absolue de la Commission et des États membres de l’UE est de stimuler la croissance et la compétitivité pour confirmer et affermir la reprise économique, et atteindre les objectifs de la stratégie Europe 2020 ». Pour asseoir cette reprise, la Commission estime qu’il est primordial de disposer d’une base industrielle forte357. Dans ce but, elle y cible ses priorités pour soutenir la compétitivité de l’industrie européenne, dont le développement des infrastructures nécessaires, l’accès pour les entreprises aux intrants essentiels (notamment l’énergie et les matières premières) à des prix abordables, l’intégration des entreprises de l’UE dans les chaînes de valorisation mondiales, le maintien des efforts de réindustrialisation pour atteindre l’objectif des 20 % de la part de l’industrie dans le PIB européen en 2020.

355

Commission européenne, Towards knowledge-driven Reindustrialisation, 2013, www. qren.pt, et Member states Competitiveness Performance and Implementation of EU Industrial Policy, 2013, www.ec.europa.eu.

356

Commission européenne, La Commission demande a la prise de mesures imme diates en faveur d’une renaissance industrielle europe enne(IP/14/42).

357

Conclusions du Conseil européen des 20 et 21 mars 2014 (EUCO 7/1/14).

104


3|

SOUS L’ACTUELLE COMMISSION

Lors de sa prise de fonction en tant que Président de la Commission 20142019, Jean-Claude Juncker a présenté358 ses 10 priorités pour 2015. L’une d’elles est intitulée « un marché intérieur plus approfondi et plus équitable, doté d’une base industrielle renforcée ». Il y met l’accent sur l’industrie, dont le poids dans le PIB de l’UE devrait être ramené « de moins de 16 % aujourd’hui359 à 20 % d’ici 2020360 ». Jean-Claude Juncker a également présenté en 2014 son Plan d’investissements pour l’Europe (connu sous le nom de Plan Juncker)361. Il vise à financer à hauteur de 315 milliards d’euros des projets industriels prometteurs mais trop risqués pour obtenir un financement via le circuit traditionnel de la Banque européenne d’investissement (BEI)362. Le 12 novembre 2014, la nouvelle Commissaire européenne à l’Industrie, la polonaise Elzbieta Bienkowska, prononçait un discours intitulé « une politique industrielle européenne pour le 21e siècle »363, dans lequel elle listait les 4 nécessités de l’industrie : un meilleur accès aux marchés, dans et en dehors de l’UE, un accès abordable aux ressources364, une capacité à investir dans l’innovation et la modernisation et un environnement favorable. Elle y citait également les secteurs industriels spécifiques à soutenir: les secteurs automobile, chimique, de la défense, de la construction et spatial. En juin 2015, elle annonçait une « nouvelle approche »365 reposant sur trois piliers : intégrer l’industrie dans les chaînes de valorisation mondiales, la moderniser et améliorer son environnement règlementaire. Pour l’heure, les plans et stratégies européennes ne permettent pas de se 358

Dans une lettre adressée le 12 novembre 2014 au Président du Parlement et au Président du Conseil de l’UE.

359

Ce chiffre concerne l’industrie dans sa totalité, et pas seulement l’industrie manufacturière.

360

« Les 10 priorités de la nouvelle Commission européenne », www.touteleurope.eu, 31 octobre 2014.

361

Le Plan Juncker est développé dans le chapitre de ce cahier consacré aux investissements.

362

Deux ans après sa mise en oeuvre, 52 % de l’objectif initial était atteint. Le Président de la Commission lui-même a proposé sa prolongation jusque 2020 (initialement prévu jusque 2018). Le Parlement européen est sur le point d’approuver cette proposition.

363

E. BIENKOWSKA, An EU industrial policy fit for the 21st century, (SPEECH/14/1680), 12 november 2014.

364

Capital, énergie, matières premières et compétences.

365

E. BIENKOWSKA, Reindustrialisation of Europe : Industry 4.0 Innovation, growth and jobs, Forum europe conference », 23 juin 2015.

105


rapprocher de l’objectif de 20 %: l’industrie ne représentait en 2016 que 14,1 % du PIB européen366. Certaines sources ont même fait récemment état d’un éventuel abandon, dans la prochaine communication de la Commission sur l’industrie prévue pour cette année, de toute référence à l’objectif des 20 % pour 2020367. Ce souhait émanerait de l’administration de l’Industrie368, qui constate l’impossibilité de concrétiser cet objectif. Pour le remplacer serait défini un autre objectif exprimé en termes de productivité. Même si la Commission n’a pas encore confirmé ou infirmé cette information369, celle-ci a déjà fait réagir plusieurs acteurs, qui soutiennent l’importance de garder un objectif chiffré pour l’industrie. C’est le cas du Parlement européen370, ainsi que de plusieurs lobbies d’affaires européens comme Aegis ou BusinessEurope. Au Parlement de Wallonie, en réponse à une question de Marie-Dominique Simonet en Commission de l’Économie et de l’Innovation sur cet éventuel abandon d’objectif, le ministre wallon en charge de l’Industrie, Jean-Claude Marcourt, l’a confirmé et déploré. Pour lui, « le soutien à l’industrie et à ses processus est probablement le meilleur rempart pour la prospérité économique et sociale d’une région, d’une communauté ou d’un État »371.

366

« L’Europe prête à abandonner son objectif de réindustrialisation », www.lecho.be, 17 octobre 2016.

367

Idem.

368

Direction Générale « Croissance » de la Commission européenne.

369

Aucun communiqué sur le sujet n’a été publié jusqu’à présent par la Commissaire à l’Industrie Elzbieta Bienkowska.

370

Proposition de résolution commune du Parlement européen du 4 octobre 2016 sur la nécessité d’une politique européenne de réindustrialisation à la lumière des récentes affaires Caterpillar et Alstom (2016/2891(RSP)), Le Parlement y rappelle l’importance d’une politique forte basée sur des chiffres.

371

Réponse du Ministre de l’Économie, M. Marcourt à une question de Mme Simonet (cdH) sur « la vision européenne en matière de réindustrialisation », (Doc. Parl., Parlement de Wallonie, session 2016-2017, C.R.A.C. N°46, p.41).

106


DES PROGRAMMES EUROPÉENS CONNEXES DE SOUTIEN AU SECTEUR INDUSTRIEL Plusieurs programmes et dispositifs existent au niveau européen pour soutenir les objectifs de croissance et de réindustrialisation, ainsi que pour pallier les déséquilibres du secteur. Il est important d’en citer les plus significatifs. Relevons les programmes InnovFin et COSME. Ils ont été développés conjointement par le Groupe Banque européenne d’investissement (BEI372 et FEI373) et la Commission européenne. Créé en 2014, InnovFin est un outil de financement et de garantie permettant de faciliter et d’accélérer l’accès aux financements des entreprises européennes actives dans la recherche et l’innovation374. COSME agit également comme un fonds de garantie pour faciliter l’octroi de prêts spécifiquement à des PME qui ont difficilement accès aux financements375. En ce qui concerne la Wallonie, les accords avec InnovFin et COSME permettent à l’intermédiaire que constitue la Sowalfin376 d’émettre des garanties sur des crédits bancaires pour des entreprises wallonnes qui remplissent les critères des dispositifs respectifs. Par ailleurs, depuis 1957 existent également les Fonds structurels européens377, dont l’objectif est de créer une solidarité au sein de l’UE pour agir 372

La Banque européenne d’investissement, institution financière de l’UE, a pour but d’emprunter sur les marchés financiers pour financer des projets au sein de l’UE.

373

Le Fonds européen d’investissement est une filiale de la BEI, créé en 1994, spécialisée dans l’amélioration de la croissance économique dans l’UE. Voy. www.eif.org.

374

InnovFin a succédé au Mécanisme de financement avec partage des risques (MFPR) qui avait contribué, entre 2007 et 2013, au financement de 114 projets de recherche, développement et innovation pour un montant de 11,3 milliards d’euros et de 29 contrats de garantie pour 1,4 milliard d’euros. Sur la période 2014-2020, il est prévu qu’InnovFin mobilise 24 milliards d’euros.

375

« COSME. Le programme européen pour les petites et moyennes entreprises », 18 mars 2017, www.ec.europa.eu,

376

La Sowalfin, Société wallonne de Financement et de Garantie des PME, est un organisme d’intérêt public wallon qui met à disposition des PME des outils financiers notamment pour leur faciliter l’accès au financement. Voy. www.sowalfin.be.

377

Voy. « Les fonds structurels et les fonds d’investissement européens » www.ec.europa.eu.

107


sur les structures économiques et sociales des régions européennes, via une enveloppe attribuée à chaque État membre en fonction de critères sociaux et économiques378. Parmi les trois fonds existants379, le Fonds européen de développement régional (FEDER), créé en 1975, vise plus particulièrement à renforcer la cohésion économique des régions et à réduire les déséquilibres entre les différents niveaux de développement. Les investissements doivent être réalisés dans les domaines de développement prioritaires que sont l’innovation et la recherche, la stratégie numérique, le soutien aux PME ainsi que l’économie sobre en carbone. Bien qu’appréciés pour leur aide aux régions en difficulté, les critiques existent cependant quant à la bonne utilisation de ces Fonds dans certains pays au regard des objectifs visés. En janvier 2016, un rapport380 du collectif d’ONG CEE Bankwatch Network381 et Friends of the Earth Europe382 pointait par exemple le détournement de fonds dédiés à la transition énergétique au profit du secteur des énergies fossiles. Enfin, en 2006, a été créé le Fonds européen d’ajustement à la mondialisation (FEM)383. Son but est d’apporter une aide aux travailleurs touchés par les conséquences de la mondialisation. Il intervient notamment pour la recherche d’un emploi, dans la formation, la réorientation professionnelle ou encore dans la création d’entreprises. Agissant à la demande d’un État membre lorsque 500 travailleurs au moins ont été licenciés, il est par exemple intervenu dans notre Région lors des licenciements massifs au sein d’ArcelorMittal384 à Liège, ou plus récemment au sein de Caterpillar Belgium à Gosselies385, et de ses sous-traitants. 378

Les États déterminent ensuite, en concertation avec leurs régions, comment cette enveloppe est répartie chez eux. En Wallonie, cela se fait via des appels à projets. Voy. www.wallonie.be.

379

Le fonds européen de développement régional (FEDER), créé en 1975, le fonds social européen (FSE), créé en 1957, et le fonds de cohésion, créé en 1994, à destination des États membres ayant le plus de difficultés économiques. Voy. « Les fonds structurels et les fonds d’investissement européens », www.ec.europa.eu.

380

J. DILBA e. a., Climate’s enfants terribles: how new member states’ misguided use of eu funds is holding back europe’s clean energy transition, Friends of the Earth Europe, CEE Bankwatch network, Bruxelles, 2016.

381

Le « Central and Eastern Europe Bankwatch Network » est une ONG dont le but est de contrôler l’utilisation des finances publiques et de promouvoir l’utilisation de celles-ci en faveur de la population et de l’environnement. Voy. www.bankwatch.org.

382

« Friends of the Earth Europe » est la branche européenne du réseau Friends of the Earth, qui rassemble des ONG à caractère environnemental. Voy. www.foeeurope.org.

383

Règlement (CE) n° 1927/2006 du Parlement européen et du Conseil du 20 décembre 2006 portant création du Fonds européen d’ajustement à la mondialisation (COM/2010/0009 final).

384

« Aide européenne à l’emploi proposée pour les anciens d’Arcelor Mittal, de Caterpillar et de l’industrie sidérurgique belge », 10 décembre 2014, www.ec.europa.eu.

385

Communiqué de presse de la Commission européenne, La Commission propose 1,8 million d’euros pour la Belgique au titre du Fonds européen d’ajustement à la mondialisation en faveur d’anciens travailleurs de Carwall, Caterpillar Belgium et Doosan,IP/16/1602). 4 mai 2016.

108


NOS PROPOSITIONS POUR UNE RÉINDUSTRIALISATION INTELLIGENTE Comme vectrice de croissance durable, créatrice d’emplois, moteur de l’économie, nous devons considérer la réindustrialisation comme un objectif majeur de la politique européenne. Au vu des chiffres, les plans et stratégies développés jusqu’ici semblent cependant loin d’être suffisants ou efficaces. C’est la raison pour laquelle nous plaidons pour une véritable politique industrielle, volontariste et ambitieuse, qui puisse assurer à l’Union européenne de conserver son rôle économique de premier plan au niveau mondial. Préalablement, soulignons que la réindustrialisation de l’Europe doit tenir compte de facteurs aussi essentiels que la transition écologique et énergétique386, ou les nouveaux modes de production et de consommation. Ce n’est qu’en intégrant ces données que l’Europe pourra demeurer une référence mondiale en termes de responsabilités sociétale et environnementale et qu’il sera possible de construire l’industrie durable et humaine387 que nous appelons de nos voeux. Cette réindustrialisation doit être basée, entre autres, sur le passage au numérique388, la durabilité et l’efficacité énergétique389. L’émergence d’une véritable politique industrielle passe sans aucun doute par le développement d’une Europe fiscale390 à même de supprimer la concurrence dommageable et de favoriser la mise en place de projets industriels communs. Ces projets doivent aboutir à la création de groupes paneu386

Résolution du Parlement européen du 9 mars 2011 sur une politique industrielle à l’ère de la mondialisation (2010/2095(INI)).

387

D. BERNS, « Eric Dor : L’Europe se condamne à la stagnation », Le Soir, 2 janvier 2017. L’économiste Eric Dor accuse certains dirigeants européens de vouloir « régler les problèmes d’avant-hier avec des méthodes d’hier » en matière de réindustrialisation.

388

C’est aussi la volonté de Pierre Defraigne, Directeur exécutif du Centre Madariaga Collège d’Europe. Voy. « C’est la stabilité du monde qui est en jeu », www.lalibre.be, 10 septembre 2016.

389

Objectif cités dans la Proposition de résolution commune du Parlement européen du 4 octobre 2016 sur la nécessité d’une politique européenne de réindustrialisation à la lumière des récentes affaires Caterpillar et Alstom (2016/2891(RSP)).

390

Objectif que nous développons dans le troisième chapitre du présent cahier consacré à l’harmonisation fiscale

109


ropéens de taille globale, des « champions européens »391, notamment dans le secteur numérique392. Capables de rivaliser à l’échelle mondiale, ceux-ci peuvent jouer un rôle moteur et créer un effet d’entraînement au sein de l’industrie européenne. Il faut également favoriser, dans cet objectif, l’émergence d’une Europe sociale et régler le problème du dumping social393. Alors que les détachements ont essentiellement lieu dans le secteur industriel, il y a une urgence à corriger ce système, afin de pouvoir développer une politique de réindustrialisation sur des bases équilibrées. L’absence de ces réformes ne doit cependant pas nous empêcher d’avancer dans le cadre actuel. Il nous semble tout d’abord indispensable de maintenir l’objectif des 20 % de part de l’industrie dans le PIB européen en 2020394. Même s’il peut paraître inatteignable dans le délai imparti au vu des chiffres récents, c’est un indicateur important car il permet la comparaison et l’évaluation de la réussite des politiques mises en oeuvres. Garder un objectif chiffré permet de rester mobilisé sur la question. Il faut ensuite adopter une stratégie ambitieuse du type de la stratégie RISE395 proposée et défendue au niveau du Parlement européen. L’expérience wallonne du Plan Marshall396 doit pouvoir inspirer l’élaboration d’un tel plan au niveau européen, dirigé vers une réindustrialisation ciblée. Seule une telle stratégie, cohérente, coordonnée et intégrée, peut produire des résultats probants, incluant les partenaires sociaux tant syndicaux que patronaux. Cette stratégie doit s’appuyer sur plusieurs axes prioritaires.

391

Comme le préconise Pierre Defraigne. Voy. « C’est la stabilité du monde qui est en jeu », www.lalibre.be, 10 septembre 2016.

392

Tels que les géants américains que sont Google, Facebook ou Amazon, qui élargissent leurs activités à une multitude de secteurs.

393

Voy. le deuxième chapitre de ce cahier consacré au dumping social.

394

Voy. la proposition 435 du programme du cdH pour les élections européennes de 2014.

395

Résolution du Parlement européen du 15 janvier 2014 sur Réindustrialiser l’Europe pour promouvoir la compétitivité et la durabilité (2013/2006(INI)).Le Parlement y présente sa Stratégie de renaissance de l’industrie pour une Europe durable (RISE pour Renaissance of Industry for a Sustainable Europe). Stratégie dont les trois piliers sont l’ouverture des marchés, la disponibilité de l’énergie et des matières premières, ainsi que l’innovation et l’efficacité dans l’utilisation de l’énergie et des ressources. Elle a été cosignée par Claude Rolin et le PPE.

396

Plan de redressement économique lancé par le Gouvernement wallon en 2004 et toujours en cours aujourd’hui.

110


Le premier d’entre eux doit être l’investissement dans le capital humain : la formation des travailleurs. Une formation qualifiée et spécialisée permettra de baser la réindustrialisation européenne sur des secteurs technologiques et à haute valeur ajoutée. Pour ce faire, il est indispensable d’identifier les domaines dans lesquels l’industrie européenne est chef de file397. Il faut développer autour d’eux une politique forte en matière de « clustering » et de pôles de compétitivité398, avec un renforcement prioritaire de la R&D dans ces domaines. Dans ce cadre, il serait intéressant d’encourager les « coopérations renforcées » entre États qui connaissent des intérêts industriels convergents. Cela permettrait de tirer avantageusement parti des complémentarités et des différences de spécialisations entre les régions. En outre, il est important de s’attaquer à une cause importante du manque de compétitivité européenne : le coût de l’énergie. Nous soutenons en ce sens les efforts qui doivent permettre d’aboutir à un marché unique de l’énergie pour réduire la dépendance énergétique de l’Europe et améliorer l’offre de prix avantageux399. Parallèlement, il est indispensable de développer des outils de production énergétique renouvelable avec des objectifs chiffrés, mais aussi de développer les infrastructures de transport d’énergie en Europe. Pour assurer la cohérence entre les différentes politiques de l’UE, la mise en oeuvre de synergies et d’articulations entre les politiques industrielles et cha-

397

A ce propos, Franck Lirzin, économiste de la Fondation Robert Schuman, souligne que si des « avantages comparatifs doivent s’affirmer, ils peuvent aussi se construire ». Voy. « L’Europe a les atouts pour inventer l’industrie de demain », www.lemonde.fr, 28 février 2012.

398

F. LIRZIN, « Réindustrialiser l’Europe : les enjeux d’une politique européenne d’innovation et d’industrie », Question d’Europe n° 256, www.robert-schuman.eu, 22 octobre 2012.

399

Voy. la proposition-phare 436 du programme du cdH pour les élections européennes de 2014.

111


cune des autres politiques européennes est une nécessité400. En particulier, il faut que la politique commerciale de l’UE soit cohérente avec les objectifs de sa politique industrielle401. Il est également nécessaire d’adapter les règles sur les aides d’État pour promouvoir les mesures propices à l’innovation et au développement durable402. Nous voulons ensuite améliorer l’accès aux financements pour les entreprises actives dans les secteurs à risques que sont les nouvelles technologies et l’innovation en général. Nous soutenons à ce titre l’action de la BEI, du FEI et de la Commission européenne à travers leurs dispositifs InnovFin et COSME, qui sont au service des entreprises innovantes et des PME. Il est nécessaire de les poursuivre au-delà de 2020 en amplifiant les montants qui leur sont alloués. Ils doivent en outre être plus spécifiquement ciblés vers les objectifs d’une réindustrialisation technologique et innovante. Un large travail de communication et de promotion autour de ces instruments doit être réalisé. Dans le même sens, nous soutenons une orientation prioritaire des Fonds européens de développement régional vers une stratégie de réindustrialisation ainsi que vers l’innovation et les nouvelles technologies. Enfin, pour lutter contre les délocalisations intra-européennes et enrayer la course à l’abaissement des conditions sociales, nous proposons d’agir par le Fonds européen d’ajustement à la mondialisation (FEM)403. Il est nécessaire non seulement d’accentuer ses moyens et de diminuer les seuils d’intervention, mais également d’alimenter ce Fonds par des redevances payées par les pays qui accueillent toute délocalisation au sein de l’UE. Cela permettra d’introduire une forme de peréquation corrigeant le déséquilibre intra-européen causé par l’action conjointe du mécanisme du FEM (dédommagement des conséquences des délocalisations), de la directive détachement404 (facilitation des mouvements) et de l’absence d’harmonisation fiscale et des normes sociales.

400

Voy. la proposition 435 du programme du cdH pour les élections européennes de 2014.

401

Proposition de résolution commune du Parlement européen du 4 octobre 2016 sur la nécessité d’une politique européenne de réindustrialisation à la lumière des récentes affaires Caterpillar et Alstom (2016/2891(RSP)).

402

Cette mesure constitue également le point 16 de la résolution du Parlement européen du 5 octobre 2016 sur la nécessité d’une politique industrielle de réindustrialisation à la lumière des récentes affaires Caterpillar et Alstom (2016/2891(RSP)).

403

Ce Fonds intervient dès lors que d’importantes pertes d’emplois ont lieu, notamment chez nous lors des fermetures chez Mittal et Caterpillar.

404

Voir le deuxième chapitre de ce cahier consacré au dumping social.

112


113



LA DÉTRESSE AGRICOLE


L

e monde agricole européen est confronté depuis plusieurs années à de multiples crises. Les filières porcine, laitière, maraîchère mais également bovine sont touchées. Les causes sont différentes d’une crise à l’autre, même si toutes sont liées à une surproduction et à une dérégulation du marché405.

Parmi celles-ci, la crise du secteur laitier est celle dont l’impact est le plus visible en Europe. C’est également celle qui touche le plus notre Région, eu égard au profil de l’agriculture wallonne, et qui illustre sans doute le mieux la nécessité d’une régulation. C’est donc sur cette crise, ses origines et les pistes de solution à soutenir que nous allons nous pencher dans ce chapitre.

L’ÉVOLUTION DE LA PAC, LA FIN DES QUOTAS ET LA CHUTE DES PRIX Le 1er avril 2015, est entrée en vigueur la levée des quotas laitiers en Europe, décidée par la Commission européenne en 2003 dans le cadre de la réforme de la Politique agricole commune (PAC)406. Cette réforme s’inscrit dans la continuité de l’évolution de la PAC. Instaurée par le Traité de Rome et mise en place en 1962, son objectif initial était de garantir l’autosuffisance alimentaire de la Communauté européenne par une augmentation du niveau de production, tout en assurant un « niveau de vie équitable pour la population agricole » ainsi que des prix raisonnables pour les consommateurs407. Elle s’appuyait pour cela sur le contrôle des prix et le subventionnement408. Dès la fin des années 70, victime de son succès409, elle est remise en question quant au coût de la gestion des excédents (notamment laitiers), à la concurrence 405

L’embargo russe d’août 2014 sur les produits agricoles européens suite au conflit ukrainien, mais également la levée des quotas dans plusieurs secteurs (lait et porc) sont à l’origine d’une partie importante de ces problèmes.

406

Notons que le 1er octobre 2017 seront également levés les quotas sucriers dans l’UE, en vigueur depuis 1968.

407

Les objectifs de la politique agricole commune étaient à l’origine définis à l’article 33 du traité CEE, on les retrouve désormais à l’article 39 TFUE.

408

Pour plus d’informations à ce sujet, voy. la fiche technique « Les instruments de la PAC et leurs réformes », www.europarl.europa.eu.

409

La production ayant rapidement dépassé la consommation. Voy. « Les grandes étapes de la PAC, de 1962 à nos jours », www.touteleurope.eu, 16 juillet 2013.

116


déloyale qu’elle génère pour les produits non-européens et aux effets néfastes du productivisme (notamment sur le plan environnemental). Dans les années 80, va dès lors apparaître la régulation (dont les quotas laitiers, instaurés en 1984), parallèlement à d’autres mesures structurelles comme des incitations financières au gel de terres ou des primes à la diversification. C’est aussi la fin des prix garantis remplacés par des aides directes. Depuis le début des années 90, la PAC est continuellement réformée pour corriger des déséquilibres, répondre aux défis environnementaux ou sociétaux et limiter ses coûts410. En 2003, elle fait l’objet d’une révision importante411. L’UE met notamment en place le « découplage » des aides aux producteurs, ne les liant plus à la production des exploitations, mais à leur surface et au nombre de têtes de bétail. L’agriculteur doit donc s’adapter au marché et non plus aux règles de production européennes. La disparition de la régulation, des prix garantis, des quotas et des aides directes dans plusieurs filières agricoles participent à ce mouvement de libéralisation de la PAC. La levée des quotas laitiers en est un exemple. Elle a eu pour conséquence une surproduction importante et soudaine sur le marché européen. Alors que la croissance de la demande en provenance des pays émergents devait combler le surplus de production issu de la levée de ces quotas, la crise économique mondiale a provoqué au contraire un ralentissement des exportations, en particulier en direction de la Chine où la demande de lait en poudre a drastiquement chuté à partir du deuxième trimestre 2014, après quelques mois de hausse412. 410

Elle est aujourd’hui organisée en deux piliers : le premier est le soutien des marchés et des revenus agricoles, le second concerne la politique de développement rural. Voy. « Politique agricole commune : comment ça marche ? », www.touteleurope.eu, 24 février 2017.

411

Re glement (CE) n° 1782/2003 du Conseil du 29 septembre 2003 e tablissant des re gles communes pour les re gimes de soutien direct dans le cadre de la politique agricole commune et e tablissant certains re gimes de soutien en faveur des agriculteurs et modifiant les re glements (CEE) no 2019/93, (CE) no 1452/2001, (CE) no 1453/2001, (CE) no 1454/2001, (CE) no 1868/94, (CE) no 1251/1999, (CE) no 1254/1999, (CE) no 1673/2000, (CEE) no 2358/71 et (CE) no 2529/2001.

412

Jean-Marc Chaumet, agroéconomiste, pense que la Chine est un des facteurs majeurs

117


Selon la loi de l’offre et de la demande, cette surproduction a entrainé une chute considérable des prix413. Lorsque les prix de vente s’effondrent en deçà des coûts de production, un cercle vicieux s’installe rapidement : afin de compenser leurs pertes, les agriculteurs sont poussés à augmenter leur production. Ainsi, alors que le production laitière européenne a progressé de 2,2 % en 2015, elle a bondi de 5,6 % au cours des trois premiers mois de 2016. En Irlande, en Belgique et aux Pays-Bas, cette hausse a atteint respectivement 32 %, 21 % et 15 %414, ce qui a encore renforcé la pression à la baisse sur les prix.

de la crise actuelle. Voy. M. ROBERT, « Crise laitière : La Chine est l’un des facteurs majeurs », www.agrapresse.fr, 7 septembre 2015. 413

En Belgique, en août 2016, le prix réel du lait était au plus bas, à 25,86 centimes par litre, pour un coût de production d’environ 30-35 centimes par litre. Voy. la réponse de M. Borsus, ministre fédéral de l’Agriculture, à une question orale de M. Dierick, (Doc. Parl., Chambre des Représentants, session 2016-2017, CRIV 54 COM 507, p.34), www.lachambre.be.

414

En France, la progression se limite à 0,5 %. Selon l’administration française en charge de la prospective agricole (Agreste), la progression modérée observée pour la France « peut en partie s’expliquer par l’existence de contrats entre les transformateurs français et les éleveurs, permettant de maîtriser les volumes produits et ainsi de tenter d’endiguer l’afflux de lait sur le marché européen ».

118


LES EFFETS NÉFASTES SUR LE SECTEUR AGRICOLE Combinée aux crises des autres secteurs que nous avons brièvement citées, cette crise laitière a des conséquences importantes sur le monde agricole. Elle accélère encore son déclin au sein des pays fondateurs de l’UE. Alors que le taux de fin d’activité agricole oscillait naturellement entre 4 % et 5 % en France en raison des départs à la retraite, il devrait être de 9 % à 10 % en 2016415. En Belgique, de 1980 à 2015, le nombre d’exploitations agricoles est passé de 113.883 à 36.913, soit une baisse de 67,6 %416. En Wallonie, il est passé de 37.843 à 12.867 et a donc baissé de 66 %417. Au niveau humain, cette crise s’ajoute aux conditions de vie et de travail déjà difficiles pour les agriculteurs. Les taux de dépression, mais aussi de suicide sont plus élevés dans cette profession que pour la moyenne de la population418. Ces crises rendent également le secteur agricole peu attirant pour les jeunes et l’on observe un vieillissement continu de la population agricole. Ainsi, en 2013, 31 % des chefs d’exploitations dans l’UE avaient 65 ans ou plus419. Seuls 6 % avaient moins de 35 ans. En Belgique, 21,2 % des chefs d’exploitation avaient 65 ans ou plus, et seulement 4 % d’entre eux moins de 35 ans. Le manque de renouvellement est donc criant. 415

« Crise du lait : Bruxelles propose une rallonge », Le Monde, 18 juillet 2016.

416

SPF Economie, Direction générale Statistiques, Chiffres clés de l’agriculture, Bruxelles, 2016, www.statbel.fgov.be.

417

Les chiffres de l’année 2016 ne sont pas encore disponibles.

418

En France, un agriculteur se suicidait tous les deux jours en 2010 et 2011. C’est 20 % de plus que dans le reste de la population. Voy. E. AMMAR, « En France, un agriculteur se suicide tous les deux jours », www.lepoint.fr, 6 octobre 2016. Selon France TV, ce chiffre a même été multiplié par trois en 2016. Voy. « Le suicide des agriculteurs multiplié par trois en 2016 », www.francetvinfo.fr, 13 octobre 2016. En Wallonie, il n’existe pas de chiffres officiels quant aux suicides des agriculteurs. C’est pour pallier à ce manque et élaborer un soutien en amont qu’à été adoptée, en séance plénière du Parlement de Wallonie, le 22 mars 2017, une proposition de résolution « visant à améliorer le soutien social aux agriculteurs » (Doc. Parl, Parlement de Wallonie, session 2016-2017, Proposition de résolution 504, n°6).

419

Eurostat, Enque te 2013 sur la structure des exploitations agricoles, Communiqué de presse 206/2015, www.ec.europa.eu, 26 novembre 2015.

119


La libéralisation de l’agriculture induit en outre un besoin d’accroissement de la production, ce qui explique les transformations d’exploitations de taille familiale en modèles agricoles intensifs et industriels. Outre un endettement important causé par l’investissement dans une nouvelle infrastructure, ce modèle pose des problèmes en termes environnementaux (monocultures, utilisation de pesticides, etc.), humains (pertes d’emplois dues à l’automatisation de tâches)420 et ruraux (désertification du monde rural)421. Signalons que, parallèlement à ce phénomène d’intensification et d’industrialisation du modèle agricole, se développe une autre filière : l’agriculture biologique. Son objectif est la préservation de la biodiversité et la durabilité du modèle agricole. En Belgique, le nombre d’exploitations actives dans cette filière est passé de 109 en 1987 à 1.717 en 2015422. Ce chiffre croît plus rapidement en Wallonie qu’en Flandre, avec un passage de 37 à 1.347 exploitations sur la même période (72 à 370 pour la Flandre). 420

La Commission européenne a récemment publié une étude montrant les effets positifs des accords de libre-échange sur l’emploi dans le secteur agroalimentaire. Selon cette étude, basée sur les effets des accords conclus entre l’UE et trois pays (Mexique, Corée du Sud et Suisse), 27.000 emplois auraient été créés grâce aux exportations additionnelles dues aux trois accords. Voy. « Les accords commerciaux stimulent le secteur agroalimentaire de l’UE », www.ec.europa.eu, 27 février 2017. Pour Marc Tarabella, eurodéputé socialiste belge et membre de la Commission Agriculture du Parlement européen, il ne faut pas confondre industrie agroalimentaire et agriculture, car si l’abandon de la régulation profite à la première, elle se fait au détriment des agriculteurs. Voy. « Le libre-échange crée 27.000 emplois dans l’agroalimentaire », www.lecho.be, 28 février 2017.

421

« Europe Hebdo : Allemagne, les fermes de grandes tailles », www.pro.publicsenat.fr, 2 mars 2016.

422

SPF Economie, op.cit., www.statbel.fgov.be.

120


LES DIVERSES RÉACTIONS FACE AU PROBLÈME Depuis 2016, le mécontentement des agriculteurs s’exprime régulièrement. Ceux-ci réclament au Commissaire européen à l’agriculture, Phil Hogan, au minimum un mécanisme permanent de gestion de crise dans le secteur laitier423 et, au mieux, le retour d’un véritable outil de régulation. C’est la position défendue par plusieurs syndicats agricoles belges424. Les pays européens sont, eux, fort divisés quant aux mesures à prendre pour résoudre la crise. Les grands pays producteurs que sont l’Irlande, la Suède, le Danemark, les Pays-Bas et le Royaume-Uni425 adoptent une approche d’absolue confiance au marché, qui devrait éliminer les producteurs les moins performants et ramener l’offre à un niveau viable426. D’autres États comme l’Espagne, la France, la Roumanie et le Portugal souhaitent une action à court terme, axée sur un relèvement des stocks régulateurs et une dérogation 423

« Manifestation du non-marchand et des producteurs de lait à Bruxelles », www.rtl.be, 23 janvier 2017.

424

FWA, FUGEA, EMB. La FWA dénonce le « désengagement », depuis les années 2000, du monde politique européen en matière de régulation des marchés et demande également un mécanisme de soutien des prix des produits agricoles. Voy. « Crise du secteur agricole : la FWA réagit », www.fwa.be, 23 juillet 2015.

425

Dont le poids, signalons-le, s’est amoindri dans la perspective du Brexit.

426

L’Allemagne, qui prônait une telle attitude, nuance aujourd’hui légèrement sa position en reconnaissant la nécessité d’une certaine régulation. Voy. la réponse de M. Collin, ministre de l’Agriculture, à une question orale de M. Prévot concernant « l’utilisation exceptionnelle de l’aide européenne pour les producteurs de lait » (Doc. Parl., Parlement de Wallonie, session 2016-2017, CRIC, n° 91, p. 14).

121


temporaire permettant une limitation volontaire de la production par les États427. En Belgique, la situation est plus compliquée. La Wallonie, dont le modèle agricole est surtout familial, souhaite le retour d’une régulation obligatoire et coordonnée au niveau européen. C’est la position défendue par son ministre de l’agriculture, René Collin (cdH), depuis le début de la crise 428. La Flandre, où le modèle agricole est plus industriel, défend au contraire la fin des quotas429. De cette absence de position commune résulte, au niveau européen, une abstention qui correspond dans les faits à un assentiment430.

427

G. TOUSSAINT, « Une crise devenue structurelle », www.lalibre.be, 13 mars 2016.

428

Notamment en Commission agriculture du Parlement de Wallonie. Voy. la réponse de M. Collin, ministre de l’Agriculture, à une question orale de M. Arens concernant « l’encadrement des agriculteurs face à la crise du secteur » (Doc. Parl., Parlement de Wallonie, session 2015-2016 , CRIC, n° 111, p. 29).

429

Edmund Stoffels pense que la Flandre a toujours profité du fait que du côté wallon, le quota n’ait jamais été rempli totalement, ce qui a permis aux producteurs flamands d’excéder le quota qui leur était attribué. Voy. la réponse de M. Collin, ministre de l’Agriculture, à une interpellation de M. Stoffels concernant « la situation des producteurs de lait » (Doc. Parl., Parlement de Wallonie, session 2016-2017, CRIC, n°91, p.44).

430

Les matières agricoles étant essentiellement régionalisées, le rôle du Ministre fédéral de l’Agriculture se cantonne aux politiques sanitaires et à la responsabilité d’exprimer devant les Conseils le consensus qui s’est dégagé entre les Régions. Voy. la réponse de M. Collin, ministre de l’Agriculture, à une question orale de M. Jeholet concernant « l’exception agricole » (Doc. Parl., Parlement de Wallonie, session 2015-2016, CRIC, n°5, p. 47).

122


L’ÉVOLUTION DE LA POSITION DE LA COMMISSION Après la levée des quotas en avril 2015 et la chute du prix au litre qui en a résulté, trois trains de mesures ont été décidés au niveau européen431. Le 7 septembre 2015, le Conseil des ministres de l’agriculture a présenté un plan d’aide aux agriculteurs européens de 500 millions d’euros432. Les mesures qu’il comprend sont de deux ordres : les premières visent à aider les agriculteurs à surmonter leurs problèmes de trésorerie à court-terme, tandis que les secondes tentent de remédier aux déséquilibres du marché, de stimuler la demande et de réduire l’offre433. Le 14 mars 2016434, la Commission européenne a avancé de nouvelles mesures, telles que l’autorisation aux États d’augmenter leurs aides, le doublement des plafonds d’intervention pour les produits laitiers et le doublement des mesures d’intervention435 pour le beurre et le lait en poudre436. Outre ces mesures, la décision phare de la Commission réside dans l’activation de l’article 222 de l’Organisation commune des marchés (OCM)437. Cette disposition permet 431

Signalons qu’en 2009 avait été adopté par la Commission le « paquet lait », mis en oeuvre en 2012 et en vigueur jusque 2020, ouvrant la possibilité de conclure des contrats écrits entre producteurs et transformateurs et permettant aux agriculteurs laitiers de négocier collectivement les clauses des contrats par l’intermédiaire d’organisations de producteurs. Voy. « Le ‘‘ paquet lait ‘‘ européen renforce la position des producteurs laitiers dans la chaine d’approvisionnement. », www.europa.eu, 25 novembre 2016. Cela montre que les agriculteurs européens ont de plus en plus recours aux instruments mis en place et qu’il conviendrait d’en prolonger l’application après 2020. Voy. « Conseil agriculture et pêche », www.consilium.europa.eu, 23 janvier 2017.

432

Communiqué de presse de la Commission européenne, La Commission européenne présente un vaste plan d’aide aux agriculteurs européens de 500 millions d’euros (IP/15/5599), www.europa.eu, 7 septembre 2015.

433

Notamment par le stockage privé.

434

« La Commission européenne déclenche des mesures exceptionnelles pour soutenir les agriculteurs européens en période de crise », www.europa.eu, 14 mars 2016.

435

L’intervention étant le procédé par lequel les pouvoirs publics achètent des stocks pour les retirer du marché en attendant une remontée des prix.

436

Voy. J. GARNIER et C. DUCOURTIEUX, « Élevage : de la régulation mais pas d’argent frais », Le Monde, 16 mars 2016.

437

Règlement (CE) n° 1234/2007 du Conseil du 22 octobre 2007 portant organisation commune des marchés dans le secteur agricole et dispositions spécifiques en ce qui concerne certains pro-

123


une dérogation au droit de la concurrence en autorisant les ententes entre les producteurs visant à limiter l’offre sur base volontaire pour six mois maximum, renouvelable une fois. Cette réduction volontaire est la condition pour l’octroi d’une aide d’État d’un montant de 15.000 euros maximum par agriculteur438. L’activation de cet article est une grande première. Toutefois, aucun État ne souhaite se lancer le premier dans une telle limitation, d’une part, parce qu’il en supporterait la charge en termes de compensation aux producteurs et, d’autre part, parce qu’elle ne serait efficace que si elle prévalait dans l’ensemble de l’UE. La réaction du ministre wallon de l’Agriculture va dans ce sens. Il juge en effet que le retour à l’échelle nationale d’un mécanisme de régulation de l’offre est une « ineptie », et qu’il est « illusoire d’espérer arriver à des résultats efficaces avec une approche uniquement volontaire au choix des États membres »439. Pour lui, cette mesure pourrait même avoir des effets « pervers » puisque, comme il n’y a rien d’obligatoire, l’offre globale n’est pas impactée malgré l’effort qu’un agriculteur peut fournir440. Le 18 juillet 2016, la Commission a annoncé le déblocage d’une enveloppe de 500 millions d’euros d’aides d’urgence au secteur441. Au sein de cette enveloppe, 350 millions sont consacrés à des aides générales aux agriculteurs en difficulté des 28 États membres, versés selon une clé de répartition liée notamment au nombre de petites exploitations qu’ils comptent. Les 150 millions restant servent d’incitants aux agriculteurs choisissant volontairement de réduire leur production de lait pendant trois mois, d’octobre à décembre442. En plus des 4 millions d’euros accordés à la Wallonie dans le cadre de cette enveloppe de juillet 2016, le Gouvernement wallon a rajouté 4 millions d’euros en soutien aux producteurs laitiers443. Une partie de ces 8 millions d’euros est utilisée pour majorer l’aide à la réduction de la production de 10 centimes par litre. duits de ce secteur (règlement « OCM unique »). L’organisation commune des marchés agricoles désigne le cadre juridique mis en place au niveau européen pour certains secteurs agricoles. 438

« Réunion informelle des ministres de l’Agriculture et de la Pêche », www.eu2015lu.eu, 14 septembre 2015.

439

Voy. la réponse de M. Collin, ministre de l’Agriculture, à une question orale de M. Courard concernant « la mise en oeuvre des propositions de régulation du marché du lait par la Commission européenne » (Doc. Parl., Parlement de Wallonie, session 2015-2016, CRIC, n°133, p.39).

440

Voy. Réponse de M. Collin, ministre de l’Agriculture, à une question orale de M. Puget concernant « l’aide aux producteurs wallons de lait » (Doc. Parl., Parlement de Wallonie, session 2015-2016 , CRIC, n°175, p. 42).

441

« La Commission européenne présente un nouvel ensemble de mesures d’aide d’un montant de 500 millions d’EUR en faveur des agriculteurs européens », www.europa.eu, 18 juillet 2016.

442

Soit après la période d’action de l’article 222.

443

Voy. la réponse de M. Collin, ministre de l’Agriculture, à une question orale de Mme Ryckmans concernant « les mesures d’appui à la réduction volontaire de production de lait » (Doc. Parl., Parlement de Wallonie, session 2015-2016, CRIC, n°5, p.32). Voy. aussi « La Wallonie aux côtés de ses agriculteurs, 10,5 millions pour l’élevage », www.rene-collin.be.

124


LES DERNIÈRES ÉVOLUTIONS Une légère remontée des prix est intervenue depuis cet été sur les marchés mondiaux444. Selon la Confédération belge de l’industrie laitière, au mois d’octobre 2016, le prix du lait réel avait atteint les 31,37 euros/100l, ce qui représente une augmentation de 3,71 euros/100l par rapport à septembre 2016 et de 2,25 euros/100l par rapport à octobre 2015, et une augmentation de 7,72 % en un an. Un tel prix n’avait plus été atteint depuis la fin de l’année 2014. Ces prix ne couvrent cependant toujours pas les coûts de production et la volatilité reste très élevée. C’est ce qui a été exprimé le 23 janvier 2017 par le Conseil des ministres de l’agriculture, relayant également la demande des États membres de continuer à surveiller de près les marchés445. La décision prise par la Commission de remettre sur le marché la poudre de lait mise en intervention est une conséquence négative de ce raffermissement des prix. Le 24 novembre 2016, la Commission a ainsi exprimé son souhait d’en remettre 22.150 tonnes sur le marché, soit 6 % du total stocké446. La Wallonie s’est opposée à cette remise sur le marché, mais la Flandre n’a pas suivi cette position447, ce qui a conduit à l’abstention de la Belgique sur cette décision448. Si finalement seule une petite partie de ces 6 % a été réellement remise sur le marché449, la menace 444

Dès septembre 2016, des signaux de stabilisation de la production et d’augmentation du prix du lait sont constatés (environ 5 centimes de plus par rapport à juillet de la même année). Voy. la réponse de M. Borsus, ministre fédéral de l’Agriculture à M. Ducarme sur le marché du lait en Europe et en Belgique, (Doc. Parl., Chambre des représentants, session 2016-2107, QVRA n°54, p. 171).

445

Voy. les résultats de la session du Conseil agriculture 30 janvier 2017 disponibles sur le site www.consilium.europa.eu.

446

Qui est de 353 000 tonnes à la même date. Voy. La réponse de M. Collin, ministre de l’Agriculture, à une question orale de M. Prévot concernant « l’utilisation exceptionnelle de l’aide européenne pour les producteurs de lait » (Doc. Parl., Parlement de Wallonie, session 2015-2016, CRIC, n°91, p. 14).

447

Voy. la réponse de M. Collin, ministre de l’Agriculture, à une question orale de M. Prévot concernant « l’utilisation exceptionnelle de l’aide européenne pour les producteurs de lait » (Doc. Parl., Parlement de Wallonie, session 2015-2016, CRIC, n°91, p. 14).

448

Cette impossibilité de trouver un accord au niveau belge, due aux positions différentes exprimées en Wallonie et en Flandre, s’est aussi manifestée en septembre 2016, lorsque René Collin a proposé une réduction obligatoire de 3 % au niveau de chaque État membre, proposition refusée par la Flandre, et donc non exprimée par la Belgique. Voy. la réponse de M. Collin, ministre de l’Agriculture, à une question orale de M. Prévot concernant « l’utilisation exceptionnelle de l’aide européenne pour les producteurs de lait » (Doc. Parl., Parlement de Wallonie, session 2015-2016, CRIC, n°91, p. 14).

449

L’UE ayant refusé quasiment systématiquement de finaliser les adjudications car les offres d’achat proposées se trouvaient bien en-dessous des prix du marché. Voy. G. LEBRUN, « Des produc-

125


que constitue cette volonté de la Commission a provoqué la colère de l’European Milk Board (EMB), syndicat européen de producteurs laitiers. Celui-ci a organisé à Bruxelles, une manifestation pour rappeler aux autorités que la crise n’est pas finie et pour réclamer un instrument permanent de gestion de crise450. Le 10 février 2017, a été déposée au Parlement de Wallonie une proposition de résolution visant à limiter l’impact des fluctuations du marché du lait pour les producteurs wallons, notamment par l’élaboration de disposi451 tifs financiers permanents . Le même objectif est défendu au niveau du Parlement européen qui, par sa résolution du 14 décembre 2016452, demande le renforcement des outils de la PAC de gestion des risques via des mesures contracycliques reposant sur la régulation de l’offre et le soutien des prix. Marc Tarabella, eurodéputé socialiste, soutient la mise en place, parmi ces outils, du mécanisme du « tunnel » , fourchette de prix garantis pour les producteurs. Au delà de cette fourchette, un fonds de crise est alimenté ; en deçà, les producteurs bénéficient de l’intervention du fonds453.

teurs de lait enneigent le Conseil européen à Bruxelles », www.lefigaro.fr, 23 janvier 2017. 450

Voy. « Lors d’une grande ‘‘ action lait en poudre ’’ à Bruxelles, les producteurs de lait exigent », www.europeanmilkboard.org, 23 janvier 2017. Ces demandes sont également soutenues en Belgique par la FUGEA et la FWA.

451

Proposition de résolution visant à limiter l’impact des fluctuations du marché du lait pour les producteurs wallons, déposée par M.M Stoffels, Courard, Prévot, Mmes Poulin, Morreale et M. Collignon, Doc. Parl., Parlement de Wallonie, session 2016-2017, 744 N°1.

452

Résolution du Parlement européen du 14 décembre 2016 sur les outils de la PAC permettant de réduire la volatilité des prix sur les marchés agricoles.

453

Voy. Communiqué de presse de Marc Tarabella, « Le Parlement veut lutter contre la volatilité des prix », www.tarabella.eu, 14 décembre 2016.

126


NOS PROPOSITIONS POUR UNE AGRICULTURE RAISONNÉE La légère embellie observée au niveau des prix du lait ces derniers mois, grâce aux mesures temporaires de stockage et d’intervention, n’a pour autant pas permis de résoudre la crise de manière durable. Face à celle-ci, il est nécessaire, à court terme, que la Commission européenne réintègre une régulation de la production laitière. Cette régulation doit intervenir de façon obligatoire et coordonnée au niveau européen. Au minimum, une régulation temporaire des volumes produits doit intervenir à court terme, afin de lutter contre l’hypervolatilité des prix454. À long terme, des solutions pour redresser la situation du secteur laitier demandent en réalité de prendre en compte le monde agricole dans sa globalité. Nous l’avons dit en début de chapitre, les crises touchant le monde agricole sont liées les unes aux autres. C’est la raison pour laquelle les propositions que nous soutenons s’appliquent à tout le secteur. Il s’agit tout d’abord de redéfinir le modèle agricole que la PAC veut soutenir, en favorisant une production agricole viable et la diversité des pratiques, des produits, mais aussi des espèces animales et végétales. À ce titre, nous demandons notamment la mise en œuvre des nouvelles règles européennes relatives aux organisations de marchés et de concurrence455 afin de faciliter le regroupement des producteurs en organisations. Ces organisations seraient autorisées à définir elles-mêmes des capacités de production sur les moyen et long termes et à négocier collectivement des références de prix de vente avec un poids égal à celui de l’agro-industrie. Afin que ce modèle soit viable, il doit s’inscrire dans un cadre international mieux régulé et visant à empêcher les jeux purement spéculatifs sur les 454

Dans le cadre des débats sur la PAC post-2020, le Parlement européen a publié en 2016 plusieurs études sur les outils de gestion des risques pour les agriculteurs, suggérant notamment de remplacer le système des paiements directs par un dispositif de gestion des risques. Voy. « Rapport de la Commission de l’agriculture et et du développement rural du Parlement européen du 16 novembre 2016 sur les outils de la PAC permettant de réduire la volatilité des prix sur les marchés agricoles », (2016/2034(INI)), www.europarl.europa.eu.

455

Voy. la proposition-phare 442 du programme du cdH pour les élections européennes de 2014.

127


productions agricoles alimentaires, dans la logique de l’initiative du G20 et de son Agricultural Market Information System456 sur la transparence des données publiques en matière de prix, de productions, de récoltes et de stocks. En attendant la mise en place d’un tel système, l’Europe doit veiller à garantir des mécanismes de sauvegarde en matière agricole, à même de permettre des interventions efficaces et rapides dès l’apparition d’un déséquilibre de marché. Si un tel mécanisme a été obtenu dans le cadre de la négociation sur le CETA, nous formulons le vœu qu’intervienne rapidement, tant au niveau belge qu’européen, la définition des seuils à partir desquels un déséquilibre est reconnu. Parallèlement, nous devons mettre en place des politiques de soutien au monde agricole et aux travailleurs de ce secteur, notamment en leur assurant des revenus décents et en relançant la création d’emplois. Il est indispensable à ce titre d’encourager le développement de circuits courts et la diversification de l’activité agricole pour permettre aux producteurs et aux consommateurs de renouer un contact de confiance457. Il est en effet nécessaire de sensibiliser davantage les consommateurs au soutien des initiatives citoyennes en faveur d’une agriculture et d’une alimentation durables. Nous voulons également pouvoir protéger l’acquis communautaire dans le respect des normes humaines, sociales et environnementales. Les responsables européens se doivent de soutenir des mesures qui puissent assurer l’avenir du monde agricole. Face au vieillissement de la population agricole, un régime d’aides à l’installation des agriculteurs de moins de 40 ans est prévu dans la PAC458. Il consiste en l’octroi d’un paiement annuel aux agriculteurs qui remplissent des conditions d’âge, de formation459 et de contrôle effectif sur l’exploitation. Nous encourageons bien sûr cette mesure. Mais nous demandons qu’une évaluation de son application soit réalisée afin, si nécessaire, de modifier les critères d’admission pour s’assurer de l’effectivité de la mesure. Dès lors que toute subvention d’intérêt n’est plus significative, nous proposons, d’une part, d’amplifier le bénéfice de la garantie publique face à des emprunts contractés par des jeunes agriculteurs et, d’autre part, d’introduire une intervention majorée en capital pour faire face à leurs besoins de trésorerie. Enfin, nous devons constater les problèmes tant environnementaux qu’alimentaires causés par certains procédés de l’agriculture intensive et encourager les pratiques agricoles respectueuses de leur environnement et les conversions vers la filière biologique. En ce sens, nous voulons renforcer 456

Voy. la proposition-phare 442 du programme du cdH pour les élections européennes de 2014. Voy. également le développement de l’AMIS sur son site internet : http://www.amis-outlook.org.

457

Voy. la proposition-phare 442 du programme du cdH pour les élections européennes de 2014.

458

« Fiche technique : paiement en faveur des jeunes agriculteurs », www.agriculture.wallonie.be.

459

Certificat ou baccalauréat dans une orientation agronomique.

128


le droit des agriculteurs et des particuliers d’accéder à toute la diversité des semences librement reproductibles disponibles, constituant dès lors un « bien public »460. C’est pourquoi l’Union européenne se doit d’augmenter sa participation financière dans les nouveaux programmes de recherche indépendants visant l’amélioration des rendements des cultures biologiques et la diminution des prix de revient de l’agriculture biologique.

460

Voy. la proposition-phare 442 du programme du cdH pour les élections européennes de 2014.

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L’ABSENCE

DE DÉFENSE


UNE POLITIQUE DE DÉFENSE DÉSORDONNÉE Le contexte géopolitique actuel est notamment caractérisé par de grandes incertitudes. Les déclarations tonitruantes du Président Trump, le comportement de Vladimir Poutine à l’égard des pays de l’Est en général et des pays baltes en particulier, ainsi que les conflits permanents au Moyen-Orient constituent autant d’arguments en faveur d’une défense européenne commune. Il s’agit là d’un projet de longue date au sein de l’UE qui n’a jamais pu être concrétisé, notamment en raison des réticences britanniques. À ce titre, le Brexit représente une réelle opportunité461. Collectivement, les 28 États membres de l’UE occupent la deuxième position mondiale en matière de dépenses militaires. En effet, le budget militaire des États-Unis représentait 546 milliards d’euros en 2016, tandis que la somme des budgets des 28 États membres de l’UE s’élevait à 206 milliards d’euros la même année462. Toutefois, la Commission estime que le manque de coordination au sein de l’UE représente une perte de 25 à 100 milliards d’euros463. La Chine, de son côté, a décuplé son budget de la défense en quinze ans, qui atteignait la somme de 131 milliards d’euros en 2016. Enfin, la Russie dispose d’un budget militaire de 42 milliards d’euros464. En Belgique, les dépenses de défense en pourcentage du PIB sont passées de 1,16% en 2009 à 0,85% en 2016, ce qui place notre pays en avant-dernière position des pays membres de l’OTAN465. En outre, comme le confirme le ministre de la Défense Steven Vandeput dans sa « vision stratégique» 466 de juin 2016, notre pays a tout intérêt à ce que l’Europe accomplisse des progrès rapides en matière 461

F. SANTOPINTO, « La coopération structurée permanente : Opportunité et embûches pour la défense européenne », Eclairages, GRIP, Bruxelles, 6 mars 2017.

462

European Union Institute for Security Studies, Security Monthly Stats (SMS), N°1, mars 2017.

463

Communication from the Commission to the european parliament, the european council, the council, the european economic and social committee and the committee of the regions : European defence action plan, (COM(2016) 950 final), 30 novembre 2016, www.ec.europa.eu.

464

« Face aux ‘‘ ingérences ‘‘, la Chine accroit son budget militaire », www.lalibre.be, 4 mars 2017 et European Union Institute for Security Studies, op.cit.

465

« Dépenses militaires : la Belgique est l’un des plus mauvais élèves de l’Otan », www. rtbf.be, 1er mars 2017.

466

S. VANDEPUT, La vision stratégique pour la défense, www.vandeput.belgium.be, 29 juin 2016.

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de défense, notamment en comblant ses lacunes capacitaires. Malgré un budget militaire important, l’UE est encore très loin de constituer une réelle puissance politico-militaire, ce qui la condamne, pour assurer sa défense, à dépendre de l’OTAN dominée par les États-Unis. L’Union européenne n’existe en effet pas en tant que telle au Conseil de sécurité de l’ONU. Si les Européens veulent peser sur la scène internationale, ils doivent parler et agir d’une seule voix, comme ils le font lors des grands cycles de négociations commerciales. Comme l’indique Pierre Defraigne, Directeur exécutif de la Fondation Madriaga du Collège d’Europe, « l’UE ne sera vraiment prise au sérieux par ses citoyens que le jour où elle assurera leur sécurité »467. Principal instrument de protection pour les Européens, l’OTAN a récemment été fortement critiquée par le Président américain Donald Trump, qui l’a qualifiée d’ « obsolète » , reprochant à ses États membres de ne pas payer leur part de la défense commune et de se reposer en grande partie sur les États-Unis 468. Il a ensuite proposé une augmentation de 54 milliards de dollars du budget de la défense des États-Unis, soit une hausse d’environ 9% des dépenses militaires dans le prochain budget fédéral, évoquant un budget « de sécurité nationale » , afin de respecter sa « promesse de protéger les Américains » .

467

« L’âme de l’Europe passe par une défense commune », www.lalibre.be, 20 mai 2016.

468

« Trump s’en prend à Merkel et à l’OTAN », www.lefigaro.fr, 16 janvier 2017.

133


DES INSTRUMENTS DE STABILISATION ET DE MAINTIEN DE LA PAIX La défense européenne s’organise actuellement autour de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC), qui est instituée par l’article 42 TUE. Elle « assure à l’UE une capacité opérationnelle ». L’UE peut y avoir recours pour « des missions civiles et militaires », y compris à l’extérieur, afin d’assurer « le maintien de la paix, la prévention des conflits et le renforcement de la sécurité internationale »469. Afin de remplir ces missions, l’UE s’appuie sur « des capacités fournies par les États membres », la PSDC constituant le cadre pour « identifier et développer ces capacités, les coordonner et les utiliser de manière autonome »470. Bien que l’UE ne dispose pas d’une défense propre, relevons que l’article 42 TUE précise explicitement que la PSDC « inclut une définition progressive d’une politique de défense commune » qui « conduira à une défense commune » , dès que le Conseil européen l’aura décidé à l’unanimité. La prise de décision dans le cadre de la PSDC, y compris le lancement d’une mission, se fait également par un vote à l’unanimité au sein du Conseil, sur proposition du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité (ci-après le « haut(e) représentant(e) ») ou sur initiative d’un État membre471. Le TUE comprend également à l’article 42, par. 7, une « clause d’assistance mutuelle et de solidarité », qui permet le déclenchement par un État victime d’une agression armée d’un mécanisme imposant aux autres États membres 469

L’article 43 TUE précise le contenu exact des missions définies à l’article 42, à savoir des actions conjointes en matière de désarmement, des missions humanitaires et d’évacuation, des missions de conseil et d’assistance, de prévention des conflits et de maintien de la paix, celles des forces de combat pour la gestion des crises y compris le rétablissement de la paix et la stabilisation. Toutes ces missions peuvent contribuer à la lutte contre le terrorisme. Précisons que, dans les faits, les opérations européennes dans le cadre de la PSDC mobilisent aussi bien des capacités purement militaires que civiles, par exemple des forces de police.

470

« La politique de sécurité et de défense commune (PSDC) », www.touteleurope.eu, 4 janvier 2016.

471

Art. 42, par. 4, TUE. L’Article 5 du Traité de l’OTAN prévoit un mécanisme de défense collective similaire à celui prévu par le Traité sur l’Union européenne. Une attaque armée contre un membre de l’OTAN est considérée comme une attaque contre l’ensemble de ses membres.

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de lui prêter assistance par tous les moyens humains et matériels en leur pouvoir. La menace ne vise alors plus l’État membre seul, mais bien l’UE dans son ensemble. Cette clause doit être appliquée dans le respect des engagements pris par les États membres au titre de l’article 5 du Traité de l’OTAN472. La PSDC s’organise autour de différents organes. Constitué de représentants des États, le Comité politique et de sécurité (COPS) exerce, sous l’autorité du Conseil et du haut représentant, le contrôle politique et la direction stratégique des opérations de gestion des crises. Il reçoit des conseils et des recommandations du Comité militaire de l’UE (CMUE). L’État-major militaire de l’UE (EUMS) planifie, exécute et met en œuvre les décisions. La capacité civile de planification et de conduite (CIVCOM) assure la conduite des opérations civiles473 et vient récemment d’être dotée d’un homologue militaire. Ci-dessous, voici un schéma exposant les structures de la PESC et de PSDC474 :

472

Cet article a été invoqué pour la première fois par la France, au lendemain des attentats du 13 novembre 2015. Depuis lors, les États membres ont réagi favorablement au principe et certains d’entre eux, dont la Belgique, ont annoncé une contribution à l’effort de la France dans sa lutte contre le terrorisme islamiste, en particulier au Mali.

473

« La politique de sécurité et de défense commune (PSDC) », www.touteleurope.eu, 4 janvier 2016.

474

P. RIEKER e.a., « Understanding the EU’s crisis response toolbox and decision-making processes », EUNPACK Deliverable 4.1, Norwegian Institute of International Affairs, Septembre 2016, p. 13. - Notre traduction et adaptation.

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L’organe le plus important de la PSDC est sans conteste l’Agence européenne de défense (AED), qui appuie les États membres dans l’amélioration de leurs capacités militaires. Elle n’intervient pas dans la prise de décision en matière de PSDC, raison pour laquelle elle n’est pas reprise dans le schéma ci-dessus. Ses missions sont précisées à l’article 45 TUE. Parmi celles-ci, relevons les suivantes: nn i dentifier les objectifs de capacité militaire des États membres et évaluer le respect de leurs engagements à cet égard ; nn promouvoir une harmonisation des besoins opérationnels ; nn p roposer des projets multilatéraux pour remplir les objectifs en termes de capacité militaire ; nn s outenir la recherche en matière de défense, y compris par la coordination et la planification ; nn c ontribuer à identifier et à mettre en œuvre toute mesure visant un renforcement de l’industrie de défense et l’amélioration des dépenses militaires. Avec le Traité de Lisbonne, un mécanisme nouveau a été créé dans le cadre de la PSDC, la «coopération structurée permanente»475 (CSP). Celle-ci permet à certains États de souscrire à des objectifs plus contraignants en vue de la réalisation de missions plus exigeantes, mais n’a jamais encore été activée. La procédure dans ce domaine est très souple. Aucun seuil minimum d’États membres n’est requis pour son activation et le Conseil autorise la coopération structurée permanente à la majorité qualifiée, après consultation du haut représentant. Une fois la CSP activée, les participants décident à l’unanimité en son sein. Les objectifs de la coopération structurée permanente sont de même nature que ceux de la PSDC (interopérabilité, augmentation des capacités, participation à des missions conjointes, mise en commun des capacités de défense, etc.). Mais le niveau d’ambition est plus élevé et les engagements pris dans ce cadre sont contraignants et évalués par l’AED. L’idée est donc similaire à celle de l’Euro : certains États s’engagent à atteindre des objectifs contraignants, vérifiés par un tiers et dont le non-respect peut aboutir à des sanctions. Par contre, là où le respect des critères de Maastricht procure un gain clair (la participation à l’euro), la participation à la CSP ne procure pas de bénéfice bien défini. En effet, le TUE institue certes le principe, mais laisse aux États le soin de définir tant les objectifs à atteindre que le « bénéfice » qui en découlera476. 475

Art. 42, par. 6, TUE. La CSP ne doit pas se confondre avec le mécanisme plus générique de « coopération renforcée ». Notons d’ailleurs l’usage du singulier : il peut exister plusieurs coopérations renforcées, mais il n’existera qu’une seule CSP à laquelle les États pourront ou non se joindre.

476

F. SANTOPINTO, op.cit.

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UNE NOUVELLE AMBITION POUR UNE EUROPE DE LA DÉFENSE

1|

LA STRATÉGIE GLOBALE

Face aux évolutions du contexte mondial et au manque d’intégration militaire et diplomatique de l’UE, le Conseil européen a « accueilli avec intérêt » le 28 juin 2016477 la « Stratégie globale pour la politique étrangère et de sécurité de l’Union européenne » (ci-après « Stratégie globale »), sur proposition de la haute représentante Fédérica Mogherini478. Ce document expose la doctrine militaire et diplomatique de l’UE pour les années à venir et présente de nombreuses nouveautés par rapport à la précédente doctrine, datant de 2003. Il se divise en trois parties principales : les intérêts et principes communs, les priorités de l’action extérieure et les conditions de réussite de la Stratégie globale. Sans entrer dans les détails, relevons les caractéristiques principales de ce document : nn l a Stratégie est globale, en ce qu’elle porte sur l’ensemble du globe, mais aussi en ce qu’elle reconnaît l’interconnexion entre les différents domaines d’action de l’UE (sécurité intérieure et extérieure, stratégie industrielle et augmentation des capacités militaires, objectifs de développement durable et stabilité mondiale, etc.) ; nn l’UE vise désormais l’autonomie stratégique, c’est-à-dire la capacité 477

Conclusions du Conseil européen du 28 juin 2016 (EUCO 26/16), www.consilium. europa.eu. Les mots sont choisis avec soin, car le Conseil a « accueilli avec intérêt » mais n’a pas « approuvé » le document. Dans les faits, la « Stratégie globale » est bel et bien la doctrine stratégique de l’Union, mais le choix des mots montre la réticence des États à avancer vers plus d’intégration dans un domaine régalien.

478

F. MOGHERINI, Vision partagée, action commune : Une Europe plus forte. Une stratégie globale pour la politique étrangère et de sécurité de l’Union, Stratégie Globale Commission européenne, www.europa.eu, 2016.

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d’agir seule sur la scène internationale. C’est ainsi que les intérêts de l’UE sont à présent clairement mentionnés à côté de ses « valeurs ». À ce titre, le document souligne que l’UE, qui déploie 17 missions civiles et militaires dans le monde, doit combiner intelligemment « soft »479 et « hard » power. À cette fin, il convient de viser une augmentation substantielle des moyens et une optimisation des capacités militaires de l’UE ; nn l ’UE défendra un ordre mondial fondé sur des règles au sein d’une ONU qu’elle souhaite réformer. Elle soutiendra les « démocraties résilientes » et s’appuiera sur des partenariats tant en interne qu’en externe de l’UE, en ce compris au sein de l’OTAN et en partenariat avec les autres organismes régionaux (Union africaine, Ligue arabe, etc.) ; nn l a Stratégie prend en compte les nouvelles menaces (terrorisme, cyber-sécurité, sécurité énergétique, etc.) et les évolutions tactiques récentes (notamment les drones) ; nn l a Stratégie souligne la nécessité pour l’UE de s’impliquer à tous les stades des conflits afin de les prévenir, de les faire cesser et d’empêcher leur résurgence. Ces actions devront intervenir dans une approche « globale » mettant en œuvre l’ensemble des moyens d’action de l’UE ; nn l es conditions du succès de la Stratégie globale sont la crédibilité, la réactivité et la cohérence de l’UE. En ce qui concerne ses volets « sécurité et défense », la Stratégie globale a été complétée par un Plan de mise en oeuvre, adopté par le Conseil du 14 novembre 2016 et approuvé par le Conseil européen du 15 décembre 2016480. Parmi les mesures concrètes issues de ce plan, celles qui nous paraissent les plus importantes sont : nn l a redéfinition des domaines prioritaires des missions civiles de gestion de crise, en tenant compte des évolutions du contexte géopolitique (migration, cybercriminalité, terrorisme) et en visant les domaines où l’UE peut avoir la meilleure valeur ajoutée ;

479

Développé par Joseph Nye, le « soft power » est un concept qui désigne la capacité d’un État à infléchir le comportement d’un autre sans avoir recours à la (menace de) contrainte (« hard power »). L’exemple le plus connu d’instrument de « soft power » est l’influence de « l’American way of life ». En projetant une image positive à l’extérieur, les États-Unis tendent à promouvoir leur système politique et leurs intérêts.

480

Conclusions du Conseil sur la mise en oeuvre de la Stratégie globale de l’UE dans le domaine de la sécurité et de la défense (14418/16), 14 novembre 2016, www. europa.eu. Voy. Conclusions du Conseil européen du 15 décembre 2016 (EUCO 34/16), www.consilium.europa.eu.

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nn l’amélioration de la réactivité des outils de gestion civile des crises ; nn l a prolongation des groupements tactiques de l’UE (force de réaction rapide)481 et l’amélioration de leur pertinence en vue d’une utilisation effective ; nn l a révision en profondeur du mécanisme Athéna, qui finance une partie des coûts (en moyenne 10 % à 20%) des opérations militaires de l’UE et auquel les États participent sur base de leur revenu national brut482 ; nn l a mise en place d’un « examen annuel coordonné » en matière de défense, piloté par les États membres. L’objectif de ce mécanisme est de mettre au point une méthode plus structurée pour assurer la disponibilité de capacités déterminées en se basant sur des engagements précis, évalués annuellement. À terme, cet outil devrait aboutir à une meilleure synchronisation des cycles d’approvisionnement des États membres483 ; nn l a mise en place de « capacités permanentes de planification et de conduite opérationnelles, au niveau militaire, des missions militaires à mandat non-exécutif » (NDLR : par exemple les missions de formation). En clair, il s’agit du quartier-général de l’UE (voir infra) ; nn l ’affirmation claire et sans équivoque de la volonté de mettre en place la coopération structurée permanente et la demande à la haute représentante de formuler des propositions en ce sens. Le Conseil a effectué un premier bilan du plan de mise en oeuvre lors de sa réunion du 6 mars 2017, ce que le Conseil européen a « accueilli favorablement » dans ses propres conclusions du 9 mars 2017. Relevons en particulier la création d’un quartier général européen en charge des missions « non exécutives » et devant travailler en collaboration avec la capacité civile de planification et de conduite (CPCC) existante (voir supra). Il s’agit en réalité d’un nouvel organe pour la PSDC. En outre, le Conseil a affirmé qu’un lien doit exister entre la CSP et l’examen annuel coordonné, lequel doit, selon le Conseil, intervenir sur base volontaire et dans le respect des prérogatives des États.

481

Il s’agit de bataillons multinationaux « préformés » issus de plusieurs armées de l’Union. Deux bataillons sont en alerte permanente, sur base d’un roulement. Ils sont déployables dans les quinze jours, pour une durée initiale de 30 jours, prolongeable à 120. Voy. « Groupements tactiques de l’UE », www.consilium.europa.eu, avril 2013.

482

Art. 41, par. 2, TUE. Dans les faits, Athéna ne finance que 10 % à 20 % du coût effectif des opérations. Par exemple, les coût de transport et d’hébergement ne sont couverts par Athéna que si le Conseil le décide. Voy. « Comment partager le fardeau budgétaire des opérations militaires européennes », www.ifrap.org, 28 juin 2015.

483

Cela signifie que l’objectif visé est d’arriver à ce que les acquisitions de matériel similaire se fassent de manière coordonnée au sein de l’Union et de manière à éviter la multiplication des doublons. Voy. « Comment partager le fardeau budgétaire des opérations militaires européennes », www.ifrap.org, 28 juin 2015.

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2|

L E PLAN D’ACTION POUR LA DÉFENSE EUROPÉENNE

La Commission européenne a proposé le 30 novembre 2016 un plan d’action484 européen de la défense, qui constitue en quelque sorte sa contribution à la « Stratégie globale ». Ce plan vise à aider les États membres à accroître l’efficacité de leurs dépenses dans les capacités de défense commune, à renforcer la sécurité des citoyens européens et à promouvoir une base industrielle compétitive et innovante. Le lancement d’un Fonds européen de la défense en constitue le premier mécanisme. Ce fonds comprendrait un volet « recherche » et un volet « capacités » et servirait d’instrument financier permettant aux États membres participants d’acquérir certains biens tout en réduisant leurs coûts485. Il convient de noter que le volet « recherche » serait financé sur le budget de l’UE, tandis que le volet « capacités » consisterait en la coordination des budgets nationaux, et ce sur base strictement volontaire. La Commission européenne n’exclut toutefois pas la création d’instruments de dette communs, reliés à des projets spécifiques486, mais une telle proposition devra recevoir l’aval des États membres et notamment de l’Allemagne, opposée par principe à toute mutualisation des dettes487. Le deuxième mécanisme vise à favoriser les investissements dans les chaînes d’approvisionnement de la défense, notamment en favorisant l’accès au financement des PME et les investissements dans le secteur de la défense. Dans ce cadre, la participation de la BEI et la structuration en « pôles régionaux d’excellence » sont les deux éléments majeurs de l’approche. Le troisième et dernier mécanisme du plan d’action proposé par la Commission consiste à renforcer le marché unique de la défense. Une concurrence accrue et une plus grande ouverture du marché de la défense en Europe devraient permettre aux fournisseurs de réaliser des économies d’échelle, d’optimiser leurs capacités de production et de diminuer leurs 484

Communication de la Commission au Parlement europé en, au Conseil europé en, au Conseil, au Comité e conomique et social europe en et au Comité des re gions, « Plan d’action europé en de la de fense » (COM (2016) 950 final), www.ec.europa.eu, 30 novembre 2016.

485

La Commission propose 90 millions d’euros par an jusqu’en 2020 pour le volet recherche et 500 millions par an au-delà. Le volet « capacités » aurait lui pour objectif de coordonner l’usage de 5 milliards d’euros par an pour des dépenses militaires.

486

« The European Defence Action Plan - FAQs », www.europa.eu, 30 novembre 2016.

487

« Germany rejects Franco-Italian proposal on Defense Eurobonds », www.neweurope. eu, 6 mars 2017.

140


coûts de production unitaires488. Le plan d’action a été accueilli favorablement par le Conseil européen dans ses conclusions du 15 décembre 2016. Ce dernier a insisté sur l’importance d’associer pleinement les États membres en faisant rapidement avancer les travaux. Le 6 mars 2017, le Conseil a également bien perçu l’intention de la Commission de soumettre, durant le premier semestre 2017, une proposition pour l’établissement d’un Fonds européen de la défense.

488

Communication de la Commission au Parlement europé en, au Conseil europé en, au Conseil, au Comité é conomique et social europé en et au Comité des re gions, « Plan d’action europé en de la dé fense » (COM (2016) 950 final), www.ec.europa.eu, 30 novembre 2016.

141


3|

L A POSITION DU PARLEMENT EUROPÉEN

Dans le cadre de la PESC et de la PSDC, le Parlement n’a qu’un rôle accessoire en ce qu’il n’est qu’informé et consulté. Il est, en outre, habilité à poser des questions, formuler des recommandations et tient deux fois par an un débat sur ces matières489. À ce titre, il a adopté le 14 décembre 2016 une résolution sur la mise en œuvre de la politique étrangère et de sécurité commune490 qui énumère une série de propositions en vue de renforcer la défense européenne autour de quatre pôles : prévention, défense, dissuasion et réaction. Globalement, cette résolution confirme les options exposées tant dans la Stratégie globale que dans le Plan d’action de la Commission. Dans la résolution adoptée le 16 février 2017 par le Parlement européen sur les évolutions et adaptations possibles de la structure institutionnelle actuelle de l’Union européenne491, il est souligné que l’Union européenne doit mettre sur pied au plus vite une union de la défense, dans le cadre d’un partenariat stratégique avec l’OTAN, lui permettant d’agir de façon autonome dans le cadre d’opérations à l’étranger. Il est notamment important que le Parlement soit associé à la création de l’Union européenne de la défense et qu’il dispose d’un droit de vote en ce qui concerne les opérations à l’étranger.

489

Art. 36 TUE.

490

Résolution du Parlement européen du 14 décembre 2016 sur la mise en oeuvre de la politique étrangère et de sécurité commune (2016/2036(INI)).

491

Résolution du Parlement européen du 16 février 2017 sur les évolutions et adaptations possibles de la structure institutionnelle actuelle de l’Union européenne. (2014/2248(INI)).

142


4|

L A DÉCLARATION COMMUNE UEOTAN

Il convient de rappeler que, depuis 2006, tous les membres de l’OTAN se sont engagés à consacrer 2 % de leur PIB à la défense492. Outre cet engagement, le 8 juillet 2016, les représentants des deux organisations ont adopté à Varsovie une déclaration commune visant à renforcer leur relation de partenariat493. Cette déclaration comporte une série de mesures portant sur sept domaines que sont la lutte contre les menaces hybrides, la coopération opérationnelle, la cyberdéfense, le développement des capacités de défense, l’industrie et la recherche et enfin, les exercices conjoints. Actuellement, les premiers progrès visibles concernent une meilleure coopération entre les deux organisations en Méditerranée.

492

« Le financement de l’OTAN », www.nato.int, 2 mars 2017.

493

Déclaration commune du Président du Conseil européen, du Président de la Commission européenne et du Secrétaire général de l’Organisation du Traité de l’Atlantique nord signée à Varsovie le 8 juillet 2016.

143


NOS PROPOSITIONS POUR UNE DÉFENSE SOLIDAIRE Comme nous venons de le voir, l’UE est entrée dans une intense réflexion sur l’avenir de sa défense. L’autonomie stratégique visée par la « Stratégie globale » est absolument indispensable si l’UE entend prendre la place qui lui revient au sein de l’OTAN. Du reste, le Brexit ouvre une vraie fenêtre d’opportunité en la matière. À ce titre, nous saluons la récente décision concernant la mise en place d’un quartier général de l’UE et l’annonce par la Commission d’un prochain Fonds européen de la défense. Nous attendons leur mise en place dans les plus brefs délais. Concernant le volet « capacités » du Fonds européen de la défense, nous plaidons fermement pour la création d’instruments de dette mutualisés sur base ad hoc, afin d’acquérir des capacités communes en rapport avec les priorités définies par l’UE. Concernant les missions de l’UE dotées d’un mandat exécutif, nous suggérons que : leur gestion soit assurée le plus rapidement possible par le Quartier général de l’UE ; nn l es groupements tactiques de l’UE soient renforcés, afin qu’il en soit fait usage en priorité lors des prochaines missions de l’UE à l’étranger ; nn l e mécanisme de financement « Athéna » soit revu, de manière à couvrir au moins 30 % à 50 % du coût effectif des opérations à l’étranger. À notre estime, les coûts initiaux de déploiement des opérations les plus urgentes devraient être les mieux couverts, afin de ne pas constituer un frein à la participation des États ; nn l e Parlement européen se voit confier un plus grand rôle dans le suivi et l’évaluation de ces missions. À terme, le Parlement devrait obtenir un droit de vote sur le déclenchement des missions à l’étranger, étant entendu que ce dernier point nécessiterait une modification des traités.

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La procédure d’examen annuel coordonné poursuit notamment l’objectif capital de convergence des cycles d’approvisionnement des États membres. Il s’agit là d’une condition nécessaire à l’émergence d’une Union de la défense. Au delà de la simple convergence des cycles d’approvisionnement, il est important que cette procédure : nn o rganise une convergence des niveaux de dépense vers les 2 % requis par l’OTAN ; nn v ise une complémentarité des outils militaires des États membres ; nn c omporte un caractère obligatoire et soit assortie de mécanismes incitatifs plutôt que de sanctions ; nn s oit largement débattue au sein de tous les Parlements nationaux. Concernant la coopération structurée permanente, nous attendons avec intérêt les propositions de la haute représentante. À notre estime, elles devraient contenir les éléments suivants : nn u ne identification claire des obligations et des bénéfices politiques que les participants en retireraient. À ce titre, il convient, selon nous, d’envisager que les participants aient l’obligation de développer des positions communes au Conseil de sécurité des Nations-Unies. Si la France, seul membre permanent européen du Conseil de sécurité et dotée d’un droit de veto, acceptait de prendre part à la Coopération structurée permanente, il s’agirait là d’une ébauche de « droit de veto européen » ; nn u n lien clair avec l’examen annuel coordonné, dans le sens d’une unité de procédure afin de faciliter la participation ultérieure de nouveaux États à la coopération structurée permanente. Finalement, comme le démontre le schéma exposé ci-dessus, les structures de la PSDC sont relativement complexes. Nous plaidons dès lors pour une simplification de celles-ci, notamment via l’élargissement maximal des missions confiées au Quartier général de l’UE.

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L’ANGOISSE

N O I T A R G I M A L DE


UNE CRISE HUMANITAIRE : CONSTAT ET CHIFFRES Malgré la diminution récente du nombre d’arrivées, la migration reste l’un des principaux défis auxquels l’Union européenne va devoir, dans les années à venir, trouver des réponses humaines et structurelles. Au cours de l’année 2015, l’Organisation internationale des migrations indiquait qu’environ un million de migrants irréguliers étaient entrés en Europe, dont l’immense majorité par la voie maritime494. La plupart d’entre eux espéraient trouver sur notre continent un endroit sûr pour eux-mêmes et leur famille, ce qui les a conduit à risquer leur vie et à affronter un périlleux voyage. 3.770 personnes sont malheureusement décédées la même année. En 2016, l’organisation relevait 387.739 entrées irrégulières et 5.082 décès ou disparitions de migrants495. L’importante augmentation des arrivées de demandeurs d’asile sur les côtes européennes résulte en grande partie des horreurs liées au conflit syrien et aux mauvaises conditions d’accueil dans les pays limitrophes que sont la Jordanie, le Liban ou encore la Turquie. En Belgique, 18.710 personnes ont introduit une demande d’asile auprès des services de l’Office des étrangers en 2016. Ce nombre a diminué de moitié par rapport à 2015, année durant laquelle 44.760 demandes d’asile avaient été enregistrées. L’Afghanistan, la Syrie et l’Irak sont les trois premiers pays d’origine des demandeurs d’asile en 2016. La Guinée et la Somalie complètent le top 5496. Les demandeurs d’asile et les réfugiés reconnus ne représentent qu’une infime partie de la population étrangère en Belgique. Les registres de population comptaient, au 1er janvier 2015, 11.209 millions d’individus, dont près de 10 millions de Belges, 855.674 ressortissants de l’UE et seulement 399.596 ressortissants de pays tiers. Sur le podium des étrangers présents en Belgique, se trouvent les Français, les Italiens et les Néerlandais, représentant ensemble 38% du total de la population étrangère en Belgique497. 494

« Le nombre d’arrivées de migrants et de réfugiés en Europe atteint le million en 2015 », www.iom.int, 22 décembre 2015.

495

International Organization for Migration (IOM), Mixed Migration Flows in the Mediterranean and Beyond : compilation of available data and information : reporting period : 2016, www.migration. iom.int. Notons que selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, le total de migrants dans le monde était de 60 millions en 2014, l’Europe n’en accueille donc qu’une petite partie.

496

Ces chiffres proviennent du Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (CGRA), www.cgra.be, février 2017.

497

Myria, La migration en chiffres et en droits 2016, Bruxelles, pp. 56-63.

148


LE RÈGLEMENT « DUBLIN » Comme indiqué dans un précédent cahier de la présidence intitulé « L’accueil des demandeurs d’asile : Une solidarité responsable », le cadre européen actuel concernant la gestion des flux migratoires et des demandes d’asile est le règlement « Dublin »498. Il vise à fournir une règle de répartition en déterminant le pays chargé de traiter la demande d’asile499. Ce règlement établit ainsi plusieurs critères hiérarchisés, tenant compte de la présence de famille nucléaire du demandeur au sein de l’UE, de l’existence d’une demande d’asile antérieure et enfin du pays d’entrée du demandeur. L’objectif est d’éviter que les demandeurs d’asile ne déposent des demandes dans plusieurs pays ou dans le pays qui leur conviendrait le mieux pour des raisons autres que familiales. Le règlement de Dublin a cependant montré certaines limites en saturant les systèmes d’accueil des principaux pays d’entrée, que sont la Grèce, l’Italie et la Hongrie, lorsque le flux de migrants fût le plus important à la fin de l’année 2015.

498

Règlements (UE) n°604/2013 du Parlement et du Conseil du 26 juin 2013 et n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003.

499

En dehors des pays de l’UE, la Suisse, l’Islande, la Norvège et le Liechtenstein font également partie du système Dublin. Ils ne sont cependant pas tenus par les directives concernant l’accueil et la procédure. Ces pays ont aussi signé la directive « retour ». Le Royaume-Uni n’a pas accepté la directive « retour » et a émis des réserves sur les derniers amendements aux directives accueil et procédure.

149


LA RÉACTION EUROPÉENNE À titre liminaire, relevons une distinction conceptuelle importante entre relocalisation et réinstallation des réfugiés. La relocalisation désigne le transfert de personnes ayant demandé ou bénéficiant déjà d’une protection internationale d’un État membre de l’UE vers un autre État membre qui leur accordera une protection similaire500. La réinstallation, quant à elle, désigne le transfert d’une personne ayant déjà acquis le statut de réfugié dans un pays ne pouvant satisfaire ses besoins spécifiques vers un pays à même d’y pourvoir501. Il est entendu qu’une réinstallation ne peut normalement pas intervenir entre deux États de l’UE.

1|

LA RÉINSTALLATION

Le 15 juillet 2015, le Conseil a adopté ses conclusions concernant la réinstallation de 22.504 personnes ayant manifestement besoin d’une protection internationale, au moyen de mécanismes nationaux et multilatéraux502. Notons que dans le cadre de l’accord UE-Turquie, il a également été décidé de procéder à un nombre important de réinstallations (voir infra).

2|

LA RELOCALISATION

Les 14 et 22 septembre 2015503, le Conseil a adopté deux décisions portant sur la relocalisation d’un nombre important de personnes au sein de l’UE. 500

Commission européenne, Relocalisation et réinstallation, www.ec.europa.eu.

501

Fedasil, La réinstallation, www.fedasil.be.

502

Conclusions des représentants des gouvernements des États membres, réunis au sein du Conseil, concernant la réinstallation, au moyen de mé canismes multilate raux et nationaux, de 20 000 personnes ayant manifestement besoin d’une protection internationale, 22 juillet 2015 (11130/15), www.consilium.europa.eu. Notons que si le titre mentionne le chiffre de 20.000, l’accord porte en fait sur 22.504 personnes, en comptant les pays tiers participants que sont la Norvège, l’Islande, la Suisse et le Liechtenstein.

503

Décisions (UE) 2015/1523 du 14 septembre 2015 et 2015/1601 du Conseil du 22 septembre 2015 instituant des mesures provisoires en matière de protection internationale au profit de l’Italie et de la Grèce.

150


L’objectif initial était de relocaliser, sur deux ans, à partir de la Grèce et de l’Italie, 160.000 demandeurs d’asile. Des soutiens financiers et opérationnels ont été prévus à cette fin. Toutefois, le nombre total de personnes à relocaliser depuis ces deux pays n’est en réalité plus que de 98.255. En effet, 7.745 personnes doivent encore être attribuées à un État dans le cadre du mécanisme de relocalisation et 54.000 ont été « transférées » au titre de l’accord UE-Turquie et seront donc « réinstallées » depuis la Turquie (voir infra)504. Le plan de relocalisation a été adopté par les États membres par un vote à la majorité qualifiée, qui l’a rendu obligatoire y compris pour ceux qui s’y sont opposés (Hongrie, Slovaquie, République tchèque, Roumanie)505. Le Danemark, l’Irlande et le Royaume-Uni ne sont, sur base d’une option qui leur a été laissée par le Traité de Lisbonne, pas liés par ces décisions. Toutefois, l’Irlande a finalement décidé de prendre part au plan, tandis que le Danemark a annoncé sa volonté d’accueillir 1000 réfugiés, sans toutefois s’inscrire formellement dans le plan506. Le Royaume-Uni, quant à lui, a refusé la logique de quotas obligatoires, mais le Gouvernement de David Cameron avait annoncé sa volonté de prendre en charge 20.000 réfugiés se trouvant actuellement en Syrie ou dans des pays limitrophes507. Récemment, le Gouvernement de Theresa May semble toutefois avoir durci sa position en matière d’asile et notamment à l’égard de l’accueil de mineurs non-accompagnés en provenance de Calais508. Enfin, il convient de relever que la Norvège, le Liechtenstein et la Suisse prennent part au plan via des accords bilatéraux, tandis que la participation de l’Islande doit encore être confirmée509. 504

Commission européenne, Questions and Answers : Commission calls for renewed efforts in implementing solidarity measures under the European Agenda on Migration, Bruxelles, 2 mars 2017.

505

« ‘‘Relocalisation’’ des migrants, la solidarité européenne malmenée », www.lequotidien.lu, 29 septembre 2016.

506

« Refugee Crisis Q&A on Emergency Relocation », www.europa.eu, 22 septembre 2015.

507

« Union européenne : qui accueillera des réfugiés et combien ? », www.rfi.fr, 8 septembre 2015.

508

J. WATTS, « Downing Street in war of words with French President over demand UK take responsibility for child refugees », www.independant.co.uk, 21 février 2017.

509

European Commission, Member States’ Support to Emergency Relocation Mechanism (As of 15 March 2017), www.ec.europa.eu.

151


3|

LES « HOTSPOTS »

La décision du 22 septembre 2015 prévoyait également la création de « hotspots » en Grèce, en Italie et en Hongrie. L’objectif est de mettre en place des structures chargées d’aider ces pays à remplir leurs obligations de contrôle, d’identification, d’enregistrement des témoignages et de prise d’empreintes des migrants. Ces structures doivent également servir de premier filtre afin de distinguer les « véritables » demandeurs d’asile et les migrants économiques, ainsi que permettre de détecter d’éventuels terroristes.

4|

L’ACCORD BILATÉRAL UE-TURQUIE

Complémentairement au plan de répartition, le Sommet UE-Turquie du 29 novembre 2015 a débouché sur l’adoption d’un plan d’action commun. La Turquie a reçu à cette fin une aide de trois milliards d’euros afin de mettre en place des conditions d’accueil pour les réfugiés sur son territoire et ainsi endiguer le flux migratoire vers l’Europe. Dans un deuxième temps, les dirigeants de l’UE et le Premier ministre de la Turquie sont également parvenus à un accord lors du Sommet des 17 et 18 mars 2016 portant sur les points suivants510 : nn l es migrants en situation irrégulière gagnant la Grèce à partir du 20 mars 2016 sont renvoyés en Turquie511 ; nn l a Grèce bénéficiera d’un soutien pour effectuer ces retours vers la Turquie ; nn s elon la règle du « un pour un », pour chaque migrant renvoyé vers la Turquie, un migrant se trouvant sur le territoire turc sera réinstallé dans l’UE, en tenant compte des critères de vulnérabilité des Nations unies et en collaboration avec celles-ci512 ; nn la Turquie devra prendre des mesures pour contrer la création de 510

Conclusions du Conseil europé en des 17 et 18 mars 2016, www.consilium.europa.eu.

511

La réalité est un peu plus complexe en raison du principe de non-refoulement. Les nouveaux arrivants peuvent toujours soumettre une demande, mais la Turquie étant considérée comme un pays sûr, ils ont de grandes chances d’être déboutés. Le principe est donc plutôt que pour chaque arrivée, un demandeur d’asile en provenance de Turquie et dont la demande n’a pas abouti sera renvoyé.

512

Conclusions du Conseil europé en des 17 et 18 mars 2016, www.consilium.europa.eu.

152


nouvelles routes migratoires tant maritimes que terrestres ; nn l orsque le passage irrégulier sera démantelé ou en tout cas « substantiellement réduit », un programme d’admission humanitaire volontaire sera mis en œuvre. Les contours de ce programme sont encore flous, mais l’idée est d’ouvrir un canal d’immigration légale pour les réfugiés actuellement présents en Turquie. La participation des États membres de l’UE à ce programme se fera sur base volontaire ; nn l ’Union européenne accélèrera le versement du montant de trois milliards d’euros alloué à la Turquie dans le cadre de l’accord du 29 novembre 2015 et octroiera un financement complémentaire d’un même montant, portant le total à six milliards d’euros ; nn l ’Union européenne et la Turquie veilleront ensemble à améliorer les conditions humanitaires sur le territoire syrien ; nn l ’UE et la Turquie confirment leur volonté conjointe de relancer le processus d’adhésion de la Turquie ; nn e nfin, l’Union européenne s’est engagée sur la libéralisation du régime des visas, à condition que la Turquie réponde à sept critères513. Notons qu’à l’occasion de l’accord, les parties se sont également félicitées pour les travaux en cours sur la modernisation de l’Union douanière. Dans ce cadre, la Commission a soumis en décembre 2016 une proposition visant à ouvrir de nouvelles négociations commerciales avec la Turquie. Le Conseil examine actuellement le mandat sollicité à cette fin par la Commission514.

513

Délivrer des documents de voyage biométriques entiè rement compatibles avec les normes de l’UE ; adopter les mesures de pré vention de la corruption pré vues par la feuille de route ; conclure un accord de coopé ration ope rationnel avec Europol ; ré viser la lé gislation et les pratiques en matiè re de terrorisme conformément aux normes europé ennes ; mettre la lé gislation relative à la protection des donné es à caractè re personnel en conformité avec les normes de l’UE ; proposer à tous les États membres de l’UE une coope ration judiciaire effective en matière pénale et mettre en oeuvre l’inte gralité des dispositions de l’accord de réadmission UE-Turquie.

514

Commission européenne, Cinquième rapport sur les progrès réalisés dans la mise en oeuvre de la déclaration UE-Turquie (COM (2017) 204 final), 2 mars 2017, www.ec.europa.eu.

153


LE BILAN DES MESURES PRISES PAR L’UE

1|

LA RÉINSTALLATION

Au 2 mars 2017, 14.422 personnes sur les 22.504 avaient été réinstallées. Ce nombre comprend les 3.565 réinstallations intervenues dans le cadre de l’accord UE-Turquie. La Commission juge donc que les réinstallations sont en bonne voie515.

2|

LA RELOCALISATION

Dans le cadre du plan, 14.463 demandeurs d’asile ont effectivement été relocalisés au 17 mars 2017516. Pour l’heure, 492 demandeurs d’asile en provenance de Grèce et d’Italie ont effectivement posé le pied sur le sol belge au titre du plan, sur un quota de 3.812517. En décembre 2015, la Hongrie et la Slovaquie ont déposé chacune un recours en annulation devant la Cour de justice de l’Union européenne contre ce plan de répartition. À ce stade, ces affaires sont toujours en cours et aucune date pour le dépôt des conclusions n’est encore connue518. La Hongrie a par ailleurs organisé un référendum le 2 octobre 2016 portant sur le principe des quotas obligatoires519. Même si les Hongrois ont voté à 98,3 % contre les quotas de migrants, le quorum de participation n’a pas été atteint 515

Communiqué de presse de la Commission européenne, La Commission appelle à redoubler d’efforts pour la mise en oeuvre des mesures de solidarité prises en application de l’agenda européen en matière de migration (IP/17/348), www.europa.eu, 2 mars 2017.

516

European Commission, Member States’ Support to Emergency Relocation Mechanism (As of 17 March 2017), www.ec.europa.eu.

517

Idem.

518

Affaires C-643/15 et C-647/15.

519

« Crise des migrants : le gouvernement hongrois agite la peur de « 900 zones de non droit » en Europe », www.lalibre.be, 1er avril 2016.

154


puisque seulement 40 % de la population s’est rendue au vote520. Malgré ce demi-échec, le Gouvernement hongrois maintient une politique extrêmement hostile vis-à-vis des réfugiés. Il a récemment rétabli la détention systématique de tous les demandeurs d’asile présents sur son sol, provoquant la colère de la Commission521. De l’aveu même de la Chancelière allemande, Angela Merkel, et du Président français, François Hollande, lors du Sommet européen de Bratislava du 16 septembre 2016, ce plan de relocalisation n’a pas atteint ses objectifs et la priorité doit désormais porter sur le contrôle aux frontières522. Toutefois, le plan n’ayant pas été formellement abrogé, la Commission considère toujours qu’il doit être mis en œuvre et que des sanctions constitueront une « option » à l’échéance du plan en septembre 2017523.

3|

LES « HOTSPOTS »

Selon des organisations comme Oxfam ou Amnesty International, ces « hotspots » sont devenus de véritables centres de détention. Le rapport d’Amnesty, intitulé « L’accord UE-Turquie : une politique de souffrance », indique que les personnes sont regroupées dans des centres de détention surpeuplés, où l’alimentation est médiocre, les installations sanitaires insuffisantes et l’eau chaude absente524. D’après un rapport publié le 14 mars 2017 par MSF, les psychologues de l’ONG à Lesbos ont vu le pourcentage de patients présentant des symptômes d’anxiété et de dépression augmenter de 2,5%. Ils ont reçu trois fois plus de patients souffrant de stress post-traumatique525.

520

S. KOVACS, « Hongrie: le référendum antimigrants invalidé malgré la victoire du «non» », www.lefigaro.fr, 2 octobre 2016.

521

« Migrants : l’UE veut « une discussion sérieuse » avec la Hongrie », www.liberation.fr, 8 mars 2017.

522

J-J. MEVEL, « Europe: Merkel enterre les «quotas» de réfugiés », www.lefigaro.fr », 16 septembre 2016.

523

C. CHATIGNOUX, « Réfugiés : la solidarité européenne tenue en échec, critique Bruxelles », www.lesechos.fr, 2 mars 2017.

524

H. BOURSIER, « Accord UE-Turquie : un an après, échec total », www.politis.fr, 15 février 2017.

525

Médecins sans frontières, Un an après l’accord Turquie/UE, les demandeurs d’asile paient le prix fort, www.msf.lu, 14 mars 2017.

155


4|

L’ACCORD BILATÉRAL UE-TURQUIE

Une baisse importante du nombre de franchissements irréguliers des frontières et de décès en mer a été observée depuis que l’accord est intervenu. Ainsi, le nombre moyen d’arrivées quotidiennes dans les îles grecques depuis la Turquie est de 43 pour le premier trimestre 2017, en net recul par rapport au pic de 1.700 arrivées quotidiennes observé le mois précédant l’accord. Toutefois, le nombre de personnes renvoyées vers la Turquie depuis les îles grecques est toujours inférieur au nombre d’arrivées, ce qui place les structures d’accueil sous pression. La réinstallation de Syriens en Europe depuis la Turquie selon le principe du « un pour un » est en cours. Toutefois, le nombre de 3.565 personnes réinstallées excède le nombre de migrants renvoyés vers la Turquie, qui est de 1.487526. Même si le solde migratoire reste positif pour l’UE, cela ne doit pas faire oublier le caractère dérisoire de ces chiffres face aux 2,8 millions de Syriens se trouvant aujourd’hui en Turquie527. Afin que l’accord UE-Turquie respecte pleinement les droits humains, les défis sont énormes et les besoins logistiques et en ressources humaines ne sont pas encore pleinement rencontrés. En outre, le décaissement des six milliards d’euros prévus pour soutenir les réfugiés en Turquie suit son cours, mais les besoins restent colossaux, sans même parler de ceux des Syriens demeurés au pays528. La Commission espère finaliser prochainement, en collaboration avec le Conseil et le Gouvernement turque, les standards procéduraux concernant le programme d’admission humanitaire volontaire, qui ne sera toutefois activé que lorsque les franchissements illégaux auront « substantiellement » diminués. L’activation de cette procédure procurerait aux Syriens une alternative sûre et légale à la migration irrégulière529. Dans le cadre des négociations d’adhésion de la Turquie, seize chapitres ont été ouverts jusqu’à présent, dont un a été provisoirement clôturé. La ten526

Commission européenne, Cinquième rapport sur les progrès réalisés dans la mise en oeuvre de la déclaration UE-Turquie (COM (2017) 204 final), 2 mars 2017, www. ec.europa.eu. Notons qu’au titre de la décision du Conseil 2016/1754, les Syriens réinstallés en Europe depuis la Turquie entrent en ligne de compte au titre du quota prévu par la décision du Conseil 2015/2016, portant sur le plan de répartition.

527

J.-B. FRANCOIS, « Réfugiés : un rapport condamne les conséquences de l’accord UE-Turquie en Grèce », www.la-croix.com, 14 février 2017.

528

Commission européenne, Cinquième rapport sur les progrès réalisés dans la mise en oeuvre de la déclaration UE-Turquie (COM (2017) 204 final), 2 mars 2017, www.ec.europa.eu.

529

Idem.

156


tative de coup d’État et la répression qui en a découlé ont toutefois conduit le Parlement européen à adopter une résolution le 24 novembre 2016 demandant le gel des négociations concernant la demande d’adhésion530. Si les évolutions du régime turc sont inquiétantes à bien des égards, l’Union européenne et l’Allemagne en particulier ne pourraient se permettre une annulation de l’accord UE-Turquie, menace qu’Ankara a déjà brandie par le passé531.

530

Résolution du Parlement européen du 24 novembre 2016 sur les relations entre l’UE et la Turquie (2016/2993(RSP)). Le 16 février 2017, la Chambre des représentants de notre pays a adopté une résolution similaire (DOC 54 2080/005). Voy. « La Chambre réclame le gel de la procédure d’adhésion de la Turquie à l’UE », www.lesoir.be, 16 février 2017.

531

A. MEIER et H. MONATH, « L’accord UE-Turquie entrave la position de l’Allemagne sur les droits de l’homme », www.euractiv.fr, 3 mars 2017.

157


LA RÉFORME DU SYSTÈME COMMUN D’ASILE En mai et en juillet 2016, la Commission a présenté deux paquets visant à réformer tous les aspects du Système européen d’asile, du système « Dublin » en passant par les conditions de recevabilité des demandes, les procédures d’examen de celles-ci, ou encore le contenu exact de la protection internationale. Dans le cadre de la présente analyse, nous nous limiterons à examiner la proposition de la Commission concernant la refonte du système « Dublin », qui a été rudement mis à l’épreuve au cours de la crise de la migration. La Commission constate que le système actuel répond à un impératif, toujours valable, de déterminer rapidement l’État responsable de l’examen d’une demande au fond. Toutefois, le système n’a pas été conçu pour un partage durable des responsabilités au sein de l’UE. En effet, il fait porter un poids démesuré aux pays d’entrée. En outre, il provoque des « mouvements secondaires » vers des pays dont les systèmes d’asile sont jugés plus attrayants, puisque les procédures ne sont pas uniformes. La Commission propose donc un système de correction des inégalités. Tout d’abord, chaque État se verrait attribuer une part « théorique » des demandes d’asile à examiner au sein de l’UE et un mécanisme informatique de suivi serait mis en place. Cette part « théorique » tiendrait compte du PIB et de la population de chaque État membre. Si le nombre de demandes déposées dans un État excède 150 % de sa part « théorique », toute nouvelle demande serait transférée dans un autre pays de l’UE, selon un principe d’équité. L’État qui refuserait d’examiner une demande au titre de ce mécanisme devrait verser une contrepartie de 250.000 euros à l’État sous pression. Le mécanisme de répartition cesserait dès que le

158


nombre de demandes dans l’État sous pression repasserait sous le seuil des 150 % de sa part théorique532. Le 24 février 2017, Cécilia Wikström a déposé son projet de rapport au Parlement européen concernant cette réforme. Les députés ont jusqu’au 23 mars 2017 pour déposer des amendements533. Au rang des changements majeurs proposés par la députée, relevons les suivants : nn l e transfert des demandeurs par groupe de 30 et non pas de manière individuelle ; nn l e remplacement de la « compensation » de 250.000 euros par une suspension des Fonds européens ; nn l e déclenchement du mécanisme à partir de 100 % du quota théorique et son arrêt lors du retour sous les 75 % ; nn u n mécanisme de transition de cinq ans prenant en compte le nombre historique de demandes traitées par chaque pays ; nn u ne application du mécanisme de répartition lorsqu’il est impossible de déterminer le pays d’entrée du demandeur ; nn L a possibilité pour le Conseil de suspendre le mécanisme de répartition pour un État membre ne respectant pas ses obligations en matière de contrôle des frontières.

532

Commission européenne, La réforme de Dublin, 4 mai 2016, www.ec.europ.eu.

533

C. Wikström, Projet de rapport du 24 février 2017 sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (refonte), (COM(2016)0270 C8-0173/2016 2016/0133(COD)), www.europarl.europa.eu.

159


NOS PROPOSITIONS POUR UNE MIGRATION HUMAINE ET RESPONSABLE Si le point culminant de la crise semble pour le moment derrière nous, le nombre de 387.000 arrivées au cours de l’année 2016 reste important. En outre, la question de la répartition des migrants ayant vocation à s’installer durablement en Europe n’est toujours pas réglée. Réussir l’intégration de ces personnes déracinées est tout d’abord un devoir, qui met l’Europe face aux valeurs humanistes qu’elle ne cesse de défendre à l’extérieur. Du reste, l’expérience a démontré qu’il est impossible pour l’Union européenne de s’accorder sur un système durable au plus fort d’une crise. Afin que l’Europe puisse répondre aux défis actuels et futurs de la migration, nous suggérons que : nn l e plan de répartition des réfugiés décidé les 14 et 22 septembre 2015 soit mis en œuvre sans délai, de même que les réinstallations décidées en juillet 2015 et dans le cadre de l’accord UE-Turquie. À cet égard, nous estimons que la Belgique doit montrer l’exemple en accueillant au plus vite son quota de 3.812 réfugiés. En outre, il convient que des sanctions soient prises contre les États qui font manifestement preuve de mauvaise volonté quant à la mise en œuvre de ces décisions ; nn l e mécanisme d’admission humanitaire volontaire décidé dans le cadre de l’accord UE-Turquie soit finalisé au plus vite et mis en œuvre dès que les conditions requises seront remplies. Toutefois, ce programme d’admission volontaire devrait être ouvert à tous et ne pas relever d’une logique « d’immigration choisie » se focalisant uniquement sur les personnes les mieux formées. La vulnérabilité des demandeurs doit rester le premier critère ; nn l e projet de réforme du « système Dublin » soit adopté par le Parlement et le Conseil, sous réserve des modifications suivantes : l a mise en place progressive du nouveau système sur une période de 3 ans, ainsi qu’un programme d’accompagnement pour les pays les moins familiers avec la migration ; l a suppression de la possibilité de payer 250.000 euros afin de refuser la prise en charge d’un réfugié et son remplacement par la suspension partielle des Fonds européens. Il est pour nous inacceptable de mettre un prix sur la vie humaine ; l e fixation des seuils de déclenchement et d’arrêt du mécanisme de compensation à respectivement 120 % et 100 % du « quota théorique », attendu que ces seuils soient calculés en moyenne sur une période préalable-

160


ment arrêtée, afin d’éviter un phénomène « d’entrée/sortie » incessantes ; l e transfert des demandeurs d’asile par groupe de 30 personnes, attendu que l’examen des demandes reste individuel ; u ne application du mécanisme de répartition lorsqu’il est impossible de déterminer le pays d’entrée d’un demandeur, et ce afin d’éviter les mouvements secondaires ; L a possibilité pour la Commission de suspendre le mécanisme de répartition pour un État membre ne respectant pas ses obligations de moyens en matière de contrôle des frontières. L’attribution de cette compétence à la Commission plutôt qu’au Conseil vise à prévenir l’apparition de blocages politiques en la matière.

161



LA CONTROVERSE

DES TRAITÉS


LE MULTILATÉRALISME AU POINT MORT Le 1er janvier 1995, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) voyait le jour sur base du Traité de Marrakech signé l’année précédente à l’issue de l’Uruguay Round. Auparavant, le commerce international était régi par l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), qui n’était pas doté d’une réelle structure propre, ni d’un mécanisme efficace de règlement des différends. Le principal objectif de l’OMC est de promouvoir la liberté des échanges commerciaux à travers le monde. Tant le GATT que l’OMC sont parvenus à d’importants résultats en la matière, puisque les barrières douanières tarifaires mondiales sont passées, en moyenne, de 40 % de la valeur des marchandises en 1945 à 2,2 % en 2011534. Depuis 2001, l’OMC et ses membres se sont engagés dans le cycle de négociation de Doha, visant à pousser plus avant la libéralisation du commerce mondial. En raison d’intérêts fortement divergents entre les ÉtatsUnis, l’Europe, les pays émergents et ceux du tiers-monde, ces négociations sont actuellement dans l’impasse presque totale. Reconnaissons cependant que l’OMC continue d’être très active en matière de règlement des différends.

534

Voy. l’émission d’ARTE « le dessous des cartes » consacrée à l’OMC, www.youtube.com, avril 2011.

164


LE CETA, L’ENFANT DE LA « LIBÉRALISATION COMPÉTITIVE » Afin de contourner le blocage existant au sein des instances multilatérales, les États-Unis ont initié une stratégie de « libéralisation compétitive », qui consiste à doubler le système multilatéral d’un maillage de traités bilatéraux ou plurilatéraux. Au-delà des objectifs strictement commerciaux, il s’agit aussi d’un instrument diplomatique majeur visant à promouvoir les intérêts et les normes américaines. Quelques années plus tard, les Européens ont emboîté le pas aux États-Unis et se sont lancés dans la même stratégie535. Les traités négociés dans ce cadre ne se contentent plus d’abaisser les barrières tarifaires, déjà très réduites, en particulier en Europe. Ils concernent davantage les « barrières non-tarifaires » que sont les normes sanitaires, sociales, environnementales ou encore techniques. Ces dernières constituent aujourd’hui les principales entraves au commerce. En outre, l’Union européenne a, depuis le Traité de Lisbonne, acquis la compétence pour négocier des traités de protection des investissements étrangers directs. Elle s’en est vigoureusement saisie, notamment dans le cas du CETA, avec l’instauration d’un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États (ICS). Enfin, le CETA a inauguré un principe nouveau, celui de la libéralisation des services par listes négatives. Cela signifie que tous les services qui ne sont pas explicitement exclus du traité sont ouverts à la concurrence.

1|

LE CETA, UN TRAITÉ PERFECTIBLE

Au-delà de la question controversée de l’opportunité économique d’une libéralisation accrue, ces traités contiennent également des éléments qui remettent en cause certains principes démocratiques. En effet, ce que les experts du commerce nomment les « barrières non tarifaires » sont aussi l’expression de choix politiques collectifs, des traditions et des valeurs de 535

Sur ce sujet, voy. notamment l’audition de Pierre Defraigne en Commission chargée de questions européennes du Parlement de Wallonie le 12 janvier 2017 (Doc. Parl., Parlement de Wallonie, session 2016-2017, CRIC, n°75, p.1).

165


l’Europe. Ainsi en va-t-il du principe de précaution, des normes sanitaires ou du système de protection sociale. En particulier, les normes sanitaires ont un impact direct sur les modes de production des aliments proposés aux consommateurs. La préservation d’un modèle d’agriculture familiale passe donc par la garantie de standards exigeants concernant les modes de production, la qualité des produits finis, mais aussi le bien-être animal et la conservation de la biodiversité. Par ailleurs, le mécanisme ICS pourrait entraver l’autonomie démocratique des États signataires. Sans balises adéquates, ceux-ci pourraient demain être contraints de payer de lourds dédommagements s’ils souhaitent réguler un secteur dans lequel une multinationale étrangère a investi et où le changement normatif pourrait être considéré comme une « expropriation indirecte » donnant lieu à une indemnisation. En outre, le traité prévoit que dans l’appréciation par l’ICS du traitement réservé à un investisseur étranger, il devra être tenu compte des « attentes légitimes de profits »536 qui se matérialiseraient, par exemple, par des promesses concernant un cadre réglementaire favorable. Si les droits des investisseurs sont protégés par un mécanisme contraignant, il n’en va pas de même pour les droits humains, environnementaux et sociaux qui sont seulement couverts par un processus de consultation et de rapportage. Quant au principe des listes négatives, il entraîne certaines conséquences fâcheuses en ce qu’il rendrait difficile, voire impossible, de consacrer un secteur émergent en tant que service public ou de ramener dans le giron des autorités un secteur dont la privatisation serait devenue problématique. Outre leur contenu, ces traités font également l’objet de critiques quant à leur méthode de négociation et d’adoption. Concrètement, la Commission sollicite les membres du Conseil, donc les États membres, afin qu’ils lui accordent un mandat de négociation précisant quels sont les objectifs finaux, les lignes rouges et les marges de manoeuvre en vue de la conclusion d’un accord. Une fois ce mandat accordé, la Commission négocie et présente un texte final au Conseil pour conclusion, après approbation du Parlement européen et ratification par les États membres en cas de traité mixte537. Reconnaissons que, par le passé, ces mandats de négociation n’ont pas fait l’objet d’un débat suffisant au sein des Parlements nationaux.

536

Voy. sur ce point l’audition de Mauro Petriccione en Commission chargée de questions européennes du Parlement de Wallonie le 19 janvier 2017 (Doc. Parl., Parlement de Wallonie, session 2016-2017, CRIC, n°85, pp. 16-17). Voy. également « Le règlement des différends entre les investisseurs et les États prévu par le CETA : une épée de Damoclès suspendue au-dessus des pouvoirs publics ? », www.justice-en-ligne.be, 5 décembre 2016.

537

Un traité « mixte » couvre des matières pour lesquelles l’UE et les États membres partagent les compétences.

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Entre ces deux stades, la Commission avait pour habitude de ne pas communiquer, arguant que les négociations ne pouvaient être menées sereinement sur la place publique et que cela affaiblirait sa position. Face à de virulentes critiques émanant de la société civile, des Parlements nationaux et du Parlement européen, la Commission a quelque peu revu sa position et a autorisé, dans le cas du TTIP envisagé avec les États-Unis, les Parlementaires à consulter les textes intermédiaires, sous de strictes conditions. Pour d’autres traités envisagés, comme celui avec la Tunisie, la Commission a été jusqu’à publier l’ensemble de ses propositions initiales, permettant de se représenter la portée d’un tel accord538. À ce jour, il n’existe cependant pas de procédure claire et cohérente quant à la transparence des négociations, celle-ci dépendant surtout du caractère plus ou moins stratégique et sensible du traité envisagé. Enfin, il convient de signaler que l’article 25 de la Convention de Vienne sur le droit des traités consacre le principe de l’application provisoire, qui consiste à appliquer tout ou partie d’un traité avant que celui-ci n’entre formellement en vigueur, par exemple à l’issue des procédures internes d’adoption. Dans le cadre des traités commerciaux qu’elle négocie, l’Union européenne a souvent recours à cette technique, attendu qu’en cas de traité mixte, l’approbation par tous les États membres peut prendre du temps. Toutefois, il nous semble indispensable que lorsque les traités touchent à des aspects aussi essentiels que les normes sociales et environnementales ou la protection des investissements, les enjeux démocratiques priment sur les enjeux commerciaux.

538

Les textes proposés par l’UE pour un accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA) avec la Tunisie sont disponibles sur le site www.trade.ec.europa.eu.

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2|

L E NOUVEAU CETA, STANDARD MINIMUM POUR LE FUTUR

Le refus initial du Parlement de Wallonie d’accorder les pleins pouvoirs au Gouvernement fédéral pour signer le CETA se fondait sur une résolution adoptée le 27 avril 2016539. Pour des raisons similaires, les députés wallons avaient également adopté une résolution appelant à suspendre les négociations concernant le TTIP envisagé avec les États-Unis540. Rappelons que le Parlement de Wallonie est pleinement légitime pour mener ces travaux puisqu’il est assimilé à un Parlement national au sens du Traité de Lisbonne541 et que le CETA est un traité mixte542. À l’issue d’âpres négociations, notre Région a obtenu des garanties sur une partie des points contenus dans cette résolution. En particulier, les agriculteurs bénéficient désormais d’un système de sauvegarde plus efficace, le principe de précaution est réaffirmé, les services publics sont explicitement exclus de l’accord, la composition et le fonctionnement de l’ICS sont précisés et la Belgique saisira la Cour de justice de l’Union européenne quant à la compatibilité de ce dernier avec le droit de l’UE. En outre, la Wallonie réalisera une étude d’impact en ce qui concerne les aspects socio-économiques et environnementaux de l’application provisoire du CETA. Si cette étude s’avère négative, la Wallonie sera libre de ne pas donner son assentiment à l’accord. Concernant la coopération réglementaire543 dans les matières relevant de la Région, elle sera soumise à l’aval préalable du Parlement de Wallonie. À plus long terme, la Commission s’est engagée fermement à faire évoluer l’ICS vers une Cour multilatérale sur les investissements. Certes, le CETA n’est toujours pas un accord idéal, mais les avancées obtenues doivent désormais constituer un « standard minimum » en deçà duquel aucun traité ne pourra être conclu.

539

Résolution sur l’accord économique et commercial du Parlement de Wallonie du 27 avril 2016 économique et commercial global (AECG) (212 (2014-2015) N° 5).

540

La brochure détaillant l’ensemble du processus d’adoption de cette résolution, ainsi que le texte adopté peuvent être consultés sur le site du Parlement de Wallonie.

541

Voy. en ce sens l’intervention de M. Koen Lenaerts, Président de la Cour de justice de l’Union européenne, sur les régions et l’Union européenne, en séance plénière du Parlement de Wallonie le 2 mars 2016 (C.R.I. N°12 (2015-2016), p. 31).

542

Tout comme le serait le TTIP, s’il devait voir le jour.

543

La coopération réglementaire désigne le mécanisme par lequel les normes sont fixées de commun accord et/ou harmonisées par les deux parties.

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LES NOMBREUX TRAITÉS À VENIR Actuellement, le Parlement de Wallonie s’est saisi du traité UE-Colombie-Pérou544, du traité envisagé avec le Vietnam545, et du traité TiSA sur le commerce des services546. Dans les prochains mois, le traité avec Singapour, qui fait l’objet d’une question pendante à la CJUE quant à sa mixité, mais aussi les accords négociés avec le Japon et le Mercosur547 devront également être examinés. En outre, notre Parlement sera particulièrement attentif au mandat qui sera demandé par la Commission européenne dans le courant de l’année 2017 au sujet de la Cour multilatérale sur les investissements. Il en ira de même pour les autres mandats en préparation, concernant notamment le Chili, l’Indonésie ou encore l’Australie.

544

Déjà signé, mais en attente de ratification.

545

Dont le texte a été publié fin 2015 et qui est en cours d’examen légal et de traduction.

546

Actuellement en cours de négociation.

547

Marché commun du Sud composé de l’Argentine, du Brésil, du Paraguay, de l’Uruguay et du Venezuela.

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NOS PROPOSITIONS POUR UN COMMERCE PLUS HUMAIN Les avancées obtenues dans le cadre du CETA doivent nous inviter à une réflexion plus large sur le rôle que nous devons assigner au commerce mondial et sur la manière dont de tels traités doivent être négociés. Premièrement, il convient de souligner que les premiers clients des entreprises européennes restent les consommateurs européens. Si la politique commerciale commune est certainement une politique importante, le plus urgent reste à notre estime l’harmonisation du marché intérieur et notamment des normes fiscales et sociales, comme nous l’évoquons dans les chapitres du présent ouvrage consacrés à ces sujets. En outre, il est urgent de remettre en question les normes budgétaires et comptables qui grèvent actuellement les investissements et donc la croissance européenne, comme nous le signalions dans le cahier de la présidence précédent intitulé « panne ou manne d’investissements publics ? ». Deuxièmement, rappelons que les instances commerciales multilatérales sont le lieu privilégié de conclusion d’accords réellement bénéfiques pour tous. La stratégie de libéralisation compétitive est non seulement complexe, mais procède d’une logique de compétition malsaine et porteuse de tensions. C’est pourquoi, nous plaidons fermement pour que l’Union européenne concentre ses efforts sur les négociations au sein de l’OMC et ce, afin que le commerce mondial participe au développement humain qui va bien au-delà d’une simple croissance du PIB. Troisièmement, nous constatons que la mondialisation économique se complète aujourd’hui d’une mondialisation citoyenne et politique. Le dialogue entre les citoyens, les institutions européennes et les Parlements nationaux est dès lors indispensable afin de promouvoir un commerce plus humain et ce, dans le respect des prérogatives de chacun. En particulier, les Parlements nationaux doivent se saisir davantage des mandats de négociation qui leur sont soumis, en y associant autant que possible la société civile. Un tel travail en amont ne fera que leur faciliter l’analyse afin de trancher entre des objectifs qui apparaissent de plus en plus souvent comme contradictoires. À l’avenir, les traités de libre-échange imposeront d’opérer des choix difficiles, mais fondamentaux, notamment dans le cadre du défi climatique. Une fois le mandat accordé, il convient également de trouver un meilleur équilibre entre la garantie d’une position solide de l’UE et la légitime exigence citoyenne de

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transparence. À cette fin, les résultats intermédiaires doivent être rendus publics et débattus au sein des Parlements nationaux. Afin de clarifier les débats sur les nombreux traités commerciaux à venir et dans le prolongement de la Déclaration de Namur548, nous plaidons pour que le Parlement de Wallonie adopte prochainement une résolution générique. L’ensemble des traités commerciaux et des mandats de négociation qui lui seront soumis devront être évalués à l’aune de cette résolution. Un tel instrument devrait poursuivre l’objectif de faire du commerce international un adjuvant au développement humain, notamment en fixant des balises sur les points suivants : nn la priorité accordée aux instances commerciales multilatérales ; nn l’implication à tous les stades pertinents des Parlements nationaux ; nn l a réalisation d’études d’impact indépendantes et contradictoires, tant ex-ante qu’ex-post ; nn l a garantie d’une transparence optimale tout au long des négociations ; nn l a nécessité de justifications solides lors du recours éventuel à l’application provisoire ; nn l a ratification par nos partenaires commerciaux des Conventions fondamentales de l’OIT, des instruments de protection des droits humains et de lutte contre le réchauffement climatique ; nn l ’insertion de clauses contraignantes visant à promouvoir une concurrence réellement loyale, notamment en matière de fiscalité et de soutien public à l’industrie ; nn l a garantie qu’en cas de traité portant sur les investissements, le mécanisme de règlement des différends comporte au moins les garanties obtenues pour l’ICS dans le cadre du CETA ; nn le refus du principe des listes négatives ; nn l ’exclusion explicite et univoque de tous les services publics et d’intérêt général ; nn l es garanties suffisantes de protection du modèle wallon d’agriculture familiale. Bien entendu, les traités commerciaux ne peuvent à eux seuls corriger tous les effets pervers qu’entraînent la mondialisation et l’intensification des échanges qui l’accompagne. Toutefois, nous sommes convaincus que le respect des balises exposées ci-dessus tendra à garantir que le commerce ne soit plus uniquement une fin en soi, mais un outil visant à garantir une prospérité plus durable et plus justement partagée. 548

Déclaration de Namur du 5 décembre 2016, www.declarationdenamur.eu.

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CONCLUSION


DE L’EUROPE EN CRISE À LA REPRISE DE L’EUROPE Ces dernières années, l’Union européenne semble en proie au doute. De la concurrence fiscale au dumping social, en passant par le déclin industriel ou l’imbroglio institutionnel, l’Union peine à engranger des résultats sur des dossiers pourtant essentiels. Tout en étant davantage que la somme de ses membres, l’Union n’est toujours pas un ensemble politique pleinement cohérent. Ses failles sont du reste exploitées par des intérêts financiers ou électoraux, au plus grand préjudice de nos concitoyens. Comme ce fut le cas par le passé, la tentation du populisme et du « chacun pour soi » est d’autant plus prégnante lorsque la prospérité devient incertaine. Les uns et les autres se regardent avec méfiance, se jalousent et s’approprient la formule thatchérienne « I want my money back549 ». Pourtant, l’idée originelle d’une nouvelle « communauté de destin », à même de participer pleinement à la marche du monde, reste pleinement d’actualité. Afin de porter une citoyenneté européenne sur les fonts baptismaux, l’Union doit retrouver ses ambitions premières. Elle doit devenir non seulement une source de croissance, mais aussi de sécurité, de justice, de bien-être et de cohésion. Elle doit combattre les inégalités et les discriminations entre les pays européens et à l’intérieur de ceux-ci, entre les citoyens européens. La remise en marche de l’Union s’effectuera par étapes, chacun à son rythme, mais en conservant une destinée commune et un socle de principes fondamentaux. Avant toute chose, il importe d’appliquer avec bonne foi et solidarité les décisions de l’Union, même si elles heurtent parfois des intérêts particuliers. Ainsi en va-t-il de la relocalisation des réfugiés, des règles encadrant le détachement des travailleurs, ou encore de la transparence en matière fiscale. Par contre, lorsque les règles s’avèrent inefficaces ou inadaptées au regard des objectifs collectifs de l’Union, elles doivent être remises en question sans a priori idéologique. Tel est certainement le cas de la dérégulation agricole ou du Pacte de stabilité et de croissance dans sa forme actuelle. L’Europe doit s’approprier de nouveaux dossiers, qui n’auront à l’évidence d’issue heureuse que collective. L’absence d’unité européenne en matière fiscale, de défense, de protection sociale ou encore de migration trouve racine dans des aspirations différentes au sein de l’Union. À ce titre, ceux qui sont les plus confiants dans 549

En français : « Je veux récupérer mon argent »

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les bienfaits de l’Europe doivent jouer un rôle moteur, au moyen de coopérations renforcées. Les bénéfices ainsi engrangés constitueront le meilleur des plaidoyers en faveur d’une Europe plus intégrée, plus solidaire et plus démocratique. La révision des traités à cette fin doit demeurer notre ambition. Outre la question de la méthode, le retour de l’espérance européenne sera avant tout porté par des hommes et des femmes, à tous les niveaux de la société. Bien sûr, les dirigeants européens doivent assumer leur rôle face à l’histoire. Formulons d’ailleurs le vœu que la Déclaration de Rome de ce 25 mars coalise les volontés politiques des grands États européens. Les propositions positives actuellement discutées par l’Europe sont nombreuses, réalistes et atteignables. Il est capital de saisir l’occasion unique qui se présente aujourd’hui afin de les réaliser. Mais les responsables politiques sont, aujourd’hui plus qu’hier, tributaires de la qualité du débat public. Il importe que dans les familles, les écoles, les villes, les régions et dans tous les espaces d’échange démocratique, l’Europe soit discutée, pensée, rénovée. De ce bouillonnement d’idées naîtra l’engouement, lui-même forgeant l’adhésion. Le vent de fraîcheur démocratique suscité par le combat pour un autre CETA en est une preuve incontestable. C’est dans cet esprit d’optimisme lucide que s’inscrit ce numéro des cahiers de la présidence. Les enjeux européens sont certes complexes et imposent une certaine modestie. Mais ils sont trop importants que pour être laissés aux seuls spécialistes. Je formule le vœu que les propositions suivantes soient discutées, contestées ou amendées, pourvu qu’elles participent à l’indispensable retour de l’espérance européenne.

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NOS

S N O I T I S O P O PR


UNE SIMPLIFICATION DÉMOCRATIQUE DE LA DÉCISION EUROPÉENNE Concernant la structure institutionnelle de l’UE, nous proposons : nn de renforcer les pouvoirs du Parlement européen en : c onférant le droit d’initiative législative à ce dernier, sans préjudice de la prérogative législative de la Commission ; r emplaçant intégralement la procédure législative spéciale dite de « consultation » par une procédure législative ordinaire ; é largissant les matières soumises au vote du Parlement européen, notamment à l’avenir en ce qui concerne le déclenchement d’opérations militaires.

nn de favoriser la démocratie participative en : a baissant le nombre de signatures requis pour l’introduction d’une initiative citoyenne européenne de 1.000.000 à 500.000 (en ce compris un certain pourcentage dans un nombre déterminé d’États membres afin de garantir son caractère « transnational ») ; sensibilisant la population à ce mécanisme ; facilitant la collecte de signatures en ligne ; i mposant des motivations plus argumentées en cas de rejet de ces initiatives par la Commission.

nn d ’alléger la prise de décision au sein du Conseil en étendant à toutes les matières la prise de décision à la majorité qualifiée ou super qualifiée ; nn d’encourager la mise en place de coopérations renforcées en : a ssouplissant ses conditions de mise en œuvre, dont notamment le nombre minimum d’États participants ; s outenant la décision du Parlement européen de ne plus approuver de coopérations renforcées, à moins que les participants n’activent la « clause passerelle ».

nn de transformer la Commission en véritable Collège politique en : érigeant celle-ci en véritable « gouvernement de principe » de l’Union ; l imitant le nombre de Commissaires à un nombre correspondant aux deux tiers du nombre d’États membres.

nn de renforcer la légitimité politique de la Commission et de son Président :

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a u minimum en pérennisant le système retenu lors des élections de 2014 dans le cadre duquel les partis ont désigné leur « candidat » au poste de Président de la Commission ; à moyen terme, en confortant l’élection du Président de la Commission par le Parlement européen (sans droit de proposition du Conseil européen) et à plus long terme, en envisageant son élection directe par les citoyens.

nn d e renforcer la participation des Parlements nationaux au processus décisionnel européen en: r enforçant leur coopération, pour faciliter l’obtention des quorums nécessaires dans le cadre des procédures de « carton jaune » et de « carton orange » ; c oncluant, au niveau belge, un accord de coopération consolidant juridiquement les modalités par lesquelles les assemblées du pays participent au contrôle de subsidiarité (exemple : répartition des voix) ; i nstaurant une procédure de « carton rouge » imposant à la Commission de retirer sa proposition si un certain nombre de Parlements nationaux s’opposent à celle-ci ; i nstaurant une procédure de « carton vert » permettant à un groupe de Parlements nationaux de présenter des propositions législatives au Conseil et au Parlement européen pour examen ou d’inviter la Commission à présenter de telles propositions ; c onsacrant, au niveau belge, la possibilité pour les assemblées fédérées d’imposer au Gouvernement fédéral de saisir la Cour de justice de l’Union européenne dans le cadre du contrôle juridictionnel du principe de subsidiarité ; o rganisant des débat entre les ministres et les Commissions concernées dans tous les Parlements nationaux, avant et après les réunions du Conseil et du Conseil européen ; p ermettant, au niveau belge, à l’ensemble des assemblées de participer à la désignation des six délégués belges à la COSAC.

nn de renforcer le rôle du Comité des régions en : d éveloppant davantage son intervention au stade « prélégislatif », afin que ses avis interviennent au plus tôt dans le processus ; o uvrant à ce dernier la procédure du « carton vert », lui permettant ainsi d’introduire des propositions législatives.

nn de moderniser les outils budgétaires de l’Union en : d otant la zone euro d’un budget commun à même d’absorber les chocs symétriques et asymétriques et de financer les investissements publics ; a limentant ce budget par des ressources propres à hauteur de 2 % du PIB d’ici une décénie ; c onfiant à la Cour des comptes de l’Union européenne une mission d’évaluation régulière du Pacte de stabilité et de croissance et de sa capacité à remplir ses objectifs en termes de croissance.

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UN VÉRITABLE MARCHÉ EUROPÉEN DU TRAVAIL SANS DISCRIMINATION Concernant la lutte contre le dumping social, nous proposons : nn d e soutenir le projet de révision de la directive détachement porté par la Commission, qui impose une rémunération égale pour un travail égal sur un même lieu de travail et un élargissement du noyau des droits des travailleurs détachés ; nn d ’instaurer une inspection sociale européenne qui permettra de lutter efficacement contre les fraudes et les abus ; nn d ’élargir la définition du type de convention collective reconnue et de donner aux syndicats le droit de négocier collectivement pour les travailleurs détachés ; nn d’amorcer une réforme profonde du marché européen du travail en : créant un droit du travail européen fixant un socle minimal de droits ; instaurant un salaire minimum européen adapté à la réalité de chaque État .

nn d ’autoriser un État membre à réguler provisoirement le flux de travailleurs détachés lorsqu’il menace l’équilibre de son marché du travail et le financement de sa sécurité sociale.

UNE EXIGENCE D’HARMONISATION FISCALE Concernant la lutte contre la concurrence fiscale, nous proposons : nn d ’adopter l’Assiette Commune Consolidée pour l’Impôt des Sociétés (ACCIS) afin d’harmoniser l’assiette de l’impôt des sociétés ; nn d ’élaborer un « serpent fiscal » unique afin d’amorcer une convergence des taux en matière d’impôt des sociétés ; nn d’avoir éventuellement recours à la coopération renforcée en cas de

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blocage concernant les deux propositions précédentes ; nn d e passer, pour les matières fiscales, d’un vote à l’unanimité à un vote la majorité qualifiée ; nn de mettre en œuvre la taxe sur les transactions financières (dite Taxe Tobin) ; nn de créer un registre public des bénéficiaires de trusts et sociétés-écrans ; nn de créer une cellule européenne de renseignements financiers.

UNE RELANCE DES INVESTISSEMENTS PAR UNE AUTRE APPROCHE COMPTABLE Concernant la relance des investissements publics, nous proposons : nn d e calculer les objectifs de moyen terme en tenant compte du vieillissement de la population, du maintien des infrastructures et des actifs existants et de la conjoncture économique, en assouplissant les objectifs en période de basse conjoncture et en les resserrant lorsqu’elle s’améliore ; nn d e réviser l’application des normes SEC, en inscrivant les dépenses d’investissement non plus au moment du paiement, mais de manière progressive, selon une logique d’amortissements « capital et intérêts », exactement comme le font les entreprises ; nn d ’élargir les dépenses qui sont immunisées par la Commission dans le calcul du déficit des États membres à une liste prédéfinie d’investissements publics comprenant notamment les infrastructures énergétiques, de transport et de communication, l’éducation et la recherche, le logement, les investissements liés au vieillissement de la population ainsi que les compléments nationaux dans les programmes européens de compétitivité et de convergence et dans les programmes sélectionnés par la BEI ; nn d e confier à la Cour des comptes de l’Union européenne une mission d’évaluation du Pacte de stabilité et de croissance, afin de déterminer sa capacité à atteindre les objectifs qui lui sont assignés en termes de croissance.

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UN VÉRITABLE BUDGET POUR LA ZONE EURO AVEC SES RECETTES PROPRES Concernant la zone euro, nous proposons : nn d e doter la zone euro d’un budget propre, équivalant immédiatement à 1 % du PIB des États de la zone et à 2 % d’ici 10 ans, afin de dégager une capacité autonome d’emprunt sur les marchés ; nn d ’alimenter ce budget en priorité par des ressources propres, notamment une taxe sur les transactions financières, des recettes de TVA et/ou un impôt européen sur les personnes physiques ou les sociétés. À défaut de ressources propres ou en complément de celles-ci, les États devraient verser des contributions au budget de la zone euro afin qu’il atteigne une taille suffisante ; nn d e rattacher un code de convergence au budget, afin notamment de garantir un niveau suffisant d’investissements publics, en particulier au sein des pays affichant un excédent budgétaire ; nn d ’assortir le budget de mécanismes de transferts automatiques visant à répondre immédiatement à tout choc asymétrique ; nn d e consacrer une partie de ce budget à la réalisation d’investissements publics productifs, à même de rendre la zone euro plus résiliente ; nn d e confier le vote et le contrôle de ce budget au Parlement européen, soit dans son ensemble, soit uniquement aux Parlementaires issus des États de la zone euro ; nn d e confier son exécution à un « ministre des Finances » de la zone euro, qui serait également vice-Président de la Commission et doté d’un département spécifique au sein de celle-ci.

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UN FINANCEMENT PRIORITAIRE POUR LA RÉINDUSTRIALISATION DE L’UE Concernant la réindustrialisation de l’Union, nous proposons : nn d e maintenir l’objectif des 20 % de part de l’industrie dans le PIB européen à l’horizon 2020 ; nn d ’adopter une stratégie ambitieuse intégrée de réindustrialisation qui soit ciblée sur l’innovation et les nouvelles technologies ; nn d ’investir dans le capital humain afin que l’Union se dote de travailleurs plus qualifiés et spécialisés ; nn d ’adopter une politique forte en matière de « clustering » et de pôles de compétitivité dans les domaines où l’Union est chef de file, avec un renforcement de la R&D ; nn d ’adopter des mesures fortes visant à réduire le coût de l’énergie et à en faciliter l’accès via le développement du transport d’énergie ; nn d e mettre en œuvre des articulations entre les politiques industrielles et les autres politiques européennes, en particulier la politique commerciale ; nn d ’adapter les règles sur les aides d’État afin de promouvoir des mesures propices à l’innovation et au développement durable ; nn d ’améliorer l’accès au financement pour les PME actives dans les secteurs à risque que sont les nouvelles technologies et l’innovation, via les fonds de financement des garanties ; nn d ’orienter prioritairement les Fonds européens de développement régional vers une stratégie de réindustrialisation ciblée ; nn d ’augmenter le Fonds européen d’ajustement à la mondialisation, en diminuant ses seuils d’intervention et en l’alimentant par des redevances payées par les pays qui accueillent des délocalisations intraeuropéennes.

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UNE AGRICULTURE RÉGULÉE, ÉCORESPONSABLE ET FAVORABLE AUX JEUNES EXPLOITANTS Concernant la politique agricole commune, nous proposons : nn d e restaurer une régulation de la production laitière de façon obligatoire et coordonnée au niveau européen. Au minimum, une régulation temporaire des volumes produits doit intervenir à court terme, afin de lutter contre l’hypervolatilité des prix ; nn d e redéfinir le modèle agricole à soutenir via la PAC, afin de favoriser une production agricole viable et la diversité des pratiques, des produits, mais aussi des espèces animales et végétales ; nn d e mettre en oeuvre de nouvelles règles européennes relatives aux organisations de marchés et de concurrence, notamment afin de faciliter le regroupement des producteurs en organisations à même de négocier à armes égales avec l’industrie ; nn d ’inscrire le modèle agricole de l’Union dans un cadre international mieux régulé et visant à empêcher les jeux purement spéculatifs sur les productions agricoles alimentaires ; nn d e veiller à une garantie des mécanismes de sauvegarde en matière agricole, à même de permettre des interventions efficaces et rapides dès l’apparition d’un déséquilibre de marché ; nn d e mettre en place des politiques de soutien au monde agricole et aux travailleurs de ce secteur visant à leur assurer un revenu décent et à favoriser la création d’emplois en : encourageant les circuits courts et la diversification de l’activité agricole ; é valuant le régime actuel des aides à l’installation pour les agriculteurs de moins de 40 ans ; a mplifiant le bénéfice de la garantie publique face à des emprunts contractés par de jeunes agriculteurs ; i ntroduisant une intervention majorée en capital pour faire face aux besoins de trésorerie.

nn d ’encourager les pratiques agricoles respectueuses de l’environnement et les conversions vers la filière biologique en :

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r enforçant le droit des agriculteurs et des particuliers d’accéder à toute la diversité des semences librement reproductibles disponibles et constituant dès lors un « bien public » ; a ugmentant la participation financière de l’Union européenne aux nouveaux programmes de recherche indépendants visant une amélioration des rendements et une diminution des prix de revient de l’agriculture biologique.

UNE VÉRITABLE CAPACITÉ D’INTERVENTION MILITAIRE Concernant la Politique de sécurité et de défense commune, nous proposons : nn d ’aboutir à une « autonomie stratégique » afin que l’Union « pèse » davantage au sein de l’OTAN ; nn d e créer des instruments de dette mutualisés sur base ad hoc dans le cadre du volet « capacités » du Fonds européen de la défense, afin d’acquérir des capacités communes en rapport avec les priorités définies par l’Union ; nn d e confier au plus vite la gestion des missions dotées d’un mandat exécutif au Quartier général de l’Union ; nn d e renforcer les groupements tactiques de l’Union, afin qu’il en soit fait usage en priorité lors des prochaines missions de l’Union à l’étranger ; nn d e revoir le mécanisme de financement « Athéna », de manière à couvrir au moins 30 % à 50 % du coût effectif des opérations à l’étranger ; nn d e confier au Parlement européen un plus grand rôle dans le suivi et l’évaluation des missions exécutives ; nn d e conférer à terme au Parlement européen un droit de vote sur le déclenchement des missions à l’étranger ; nn de mettre en place une procédure d’examen annuel coordonné qui : o rganise une convergence des niveaux de dépense vers les 2 % requis par l’OTAN ; vise une complémentarité des outils militaires des États membres ; comporte un caractère obligatoire ; soit assortie de mécanismes incitatifs plutôt que de sanctions ; soit largement débattue au sein de tous les Parlements nationaux ;

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nn de mettre en œuvre la coopération structurée permanente qui : i dentifie clairement les obligations et les bénéfices politiques que les participants en retireraient, notamment l’obligation d’une position commune au sein du Conseil de sécurité des Nations-Unies ; s oit dotée d’un lien clair avec l’examen annuel coordonné, dans le sens d’une unité de procédure, afin de faciliter la participation ultérieure de nouveaux États.

nn d e simplifier les structures de la PSDC, notamment via l’élargissement maximal des missions confiées au Quartier général de l’Union.

UN PLAN DE RÉPARTITION DE LA MIGRATION ASSORTI DE SANCTIONS FINANCIÈRES Concernant la politique migratoire de l’Union, nous proposons : nn d e mettre en oeuvre sans délai le plan de répartition des réfugiés décidé les 14 et 22 septembre 2015 et les réinstallations décidées en juillet 2015 dans le cadre de l’accord UE-Turquie ; nn d e prendre des sanctions à l’égard des États ne mettant pas en œuvre ces décisions ; nn d e respecter dans les meilleurs délais le quota de 3.812 réfugiés que la Belgique s’est engagée à accueillir ; nn d e finaliser et de mettre en œuvre le mécanisme d’admission volontaire dans le cadre de l’accord UE-Turquie en : tenant compte de la vulnérabilité des demandeurs comme premier critère ; évitant la logique d’une « immigration choisie ».

nn d ’adopter une version amendée du projet de réforme du « système Dublin » en : v isant une mise en place progressive du nouveau système sur une période de 3 ans ; p révoyant un programme d’accompagnement pour les pays les moins familiers avec la migration ; p révoyant la suspension partielle des Fonds européens en cas de refus de prise en charge ; e t, dès lors, en supprimant la possibilité de payer 250.000 euros en cas de refus de prise en charge d’un réfugié ;

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fi xant les seuils de déclenchement et d’arrêt du mécanisme de compensation à respectivement 120 % et 100 % du « quota théorique », afin d’éviter un phénomène « d’entrée/sortie » incessantes ; t ransférant les demandeurs d’asile par groupe de 30 personnes, attendu que l’examen des demandes reste individuel ; a ppliquant le mécanisme de répartition lorsqu’il est impossible de déterminer le pays d’entrée d’un demandeur, afin d’éviter les mouvements secondaires ; p révoyant une possibilité pour la Commission de suspendre le mécanisme de répartition pour un État membre ne respectant pas ses obligations en matière de contrôle des frontières.

UNE NÉGOCIATION DES TRAITÉS DÉMOCRATIQUE, PARTAGÉE ET ÉVALUÉE nn Concernant la politique commerciale de l’Union, nous proposons : nn d ’accorder la priorité aux négociations au sein de l’OMC, afin que le commerce mondial participe au développement humain ; nn d e renforcer le dialogue entre les citoyens, les institutions européennes et les Parlements nationaux ; nn d e garantir un meilleur équilibre entre le devoir de transparence de l’Union et la préservation d’une position forte de négociation ; nn d ’inciter les Parlements nationaux à se saisir davantage des mandats de négociation qui leur sont soumis, en y associant autant que possible la société civile ; nn d ’adopter une résolution générique au Parlement de Wallonie, afin de clarifier les débats sur les nombreux traités commerciaux à venir, dans le prolongement de la Déclaration de Namur. Cette résolution devra fixer des balises concernant : la priorité accordée aux instances commerciales multilatérales ; l’implication à tous les stades pertinents des Parlements nationaux ; l a réalisation d’études d’impact indépendantes et contradictoires, tant ex ante qu’ex post ; la garantie d’une transparence optimale tout au long des négociations ; l a nécessité de justifications étayée lors du recours éventuel à l’application provisoire ;

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l a ratification par nos partenaires commerciaux des Conventions fondamentales de l’OIT, des instruments de protection des droits humains et de lutte contre le réchauffement climatique ; l ’insertion de clauses contraignantes visant à promouvoir une concurrence réellement loyale, notamment en matière de fiscalité et de soutien public à l’industrie ; l a garantie qu’en cas de traité portant sur les investissements, le mécanisme de règlement des différends comporte au moins les garanties obtenues pour l’ICS dans le cadre du CETA avant l’avènement ; le refus du principe des listes négatives ; l’exclusion explicite et univoque de tous les services publics et d’intérêt général ; les garanties suffisantes de protection du modèle wallon d’agriculture familiale.

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TABLE DES MATIÈRES  AVANT PROPOS.................................................................. 3  INTRODUCTION.................................................................. 5  L’IMBROGLIO INSTITUTIONNEL........................................... 11 L’architecture institutionnelle actuelle..................................... 14 1|  L’impulsion : le Conseil européen................................................. 15 2|   La décision : la Commission, le Conseil et le Parlement européen....... 17 3|   Le respect de la régularité : la Cour de justice de l’Union européenne, la Cour des comptes et le médiateur européen.....................................................26 4|   La consultation : le Conseil économique et social et le Comité des régions......... 30 5|   Les organes financiers : la Banque centrale européenne................. 31 6|   La participation des Parlements nationaux..................................... 33

Nos propositions pour une Europe réformée......................... 40 Annexe du chapitre.................................................................. 47

LE DUMPING SOCIAL......................................................... 49 La directive de 1996 et le détachement................................. 50 Les effets pervers du système................................................. 51 Les demandes de révision....................................................... 54 Nos propositions pour une Europe plus sociale..................... 58

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LA CONCURRENCE FISCALE............................................... 61 Le problème de l’absence d’harmonisation..................................... 63 Les négociations au niveau européen.................................... 65 Nos propositions pour une juste fiscalité européenne.............. 69

LE MANQUE D’INVESTISSEMENTS...................................... 73 Règles budgétaires et comptables européennes........................................74 1|   La gouvernance budgétaire européenne...................................74 2|   Les normes SEC 2010................................................................ 75

La nécessité de relancer les investissements publics................. 77 Le Plan Juncker, une solution intéressante mais insuffisante............. 79 Nos propositions pour un investissement prospère.................. 81

LA CARENCE DU BUDGET...................................................85 Une Union monétaire inachevée............................................. 86 Financement, objectifs et gouvernance d’un budget de la zone euro...87 1|   Les objectifs d’une telle capacité budgétaire.................................. 88 2|   Le financement d’un tel budget..................................................... 90 3|  Gouvernance............................................................................. 93

Nos propositions pour une Union monétaire achevée.......... 94

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LE DÉCLIN INDUSTRIEL........................................................ 97 L’industrie européenne, grandeur et déclin.............................. 98 Causes et conséquences du déclin............................................. 100 1|  Premiers travaux et stratégies..................................................... 102 2|   Évolutions sous la Commission Barroso II..................................... 103 3|  Sous l’actuelle Commission........................................................ 105

Des programmes européens connexes de soutien au secteur industriel....107 Nos propositions pour une réindustrialisation intelligente......... 109

LA DÉTRESSE AGRICOLE................................................... 115 L’évolution de la PAC, la fin des quotas et la chute des prix.........116 Les effets néfastes sur le secteur agricole.....................................119 Les diverses réactions face au problème.............................. 121 L’évolution de la position de la Commission........................ 123 Les dernières évolutions........................................................ 125 Nos propositions pour une agriculture raisonnée............. 127

L’ABSENCE DE DÉFENSE................................................... 131 Une politique de défense désordonnée................................ 132 Des instruments de stabilisation et de maintien de la paix.........134 Une nouvelle ambition pour une Europe de la défense......... 137 1|  La Stratégie globale................................................................. 137

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2|   Le plan d’action pour la défense européenne.............................. 140 3|   La position du Parlement européen............................................. 142 4|   La déclaration commune UE-OTAN............................................ 143

Nos propositions pour une défense solidaire...................... 144

L’ANGOISSE DE LA MIGRATION....................................... 147 Une crise humanitaire : Constat et chiffres.............................. 148 Le règlement ‘‘Dublin’’ .......................................................... 149 La réaction européenne......................................................... 150 1|  La réinstallation........................................................................ 150 2|  La relocalisation....................................................................... 150 3|  Les « hotspots »........................................................................ 152 4|  L’accord bilatéral UE-Turquie..................................................... 152

Le bilan des mesures prises par l’UE.................................... 154 1|  La réinstallation........................................................................ 154 2|  La relocalisation....................................................................... 154 3|  Les « hotspots »........................................................................ 155 4|  L’accord bilatéral UE-Turquie..................................................... 156

La réforme du système commun d’asile................................ 158 Nos propositions pour une migration humaine et responsable.....160

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LA CONTROVERSE DES TRAITÉS........................................ 163 Le multilatéralisme au point mort......................................... 164 Le CETA, l’enfant de la ‘‘ libéralisation compétitive ‘‘......... 165 1|  Le CETA, un traité perfectible..................................................... 165 2|   Le nouveau CETA, standard minimum pour le futur....................... 168

Les nombreux traités à venir................................................ 169 Nos propositions pour un commerce plus humain.............. 170

CONCLUSION................................................................. 173 De l’europe en crise à la reprise de l’europe....................... 174

NOS PROPOSITIONS....................................................... 177 Une simplification démocratique de la décision européenne......178 Un véritable marché européen du travail sans discrimination .......180 Une exigence d’harmonisation fiscale...........................................................180 Une relance des investissements par une autre approche comptable......181 Un véritable budget pour la zone euro avec ses recettes propres.... 182 Un financement prioritaire pour la réindustrialisation de l’UE........183 Une agriculture régulée favorable aux jeunes exploitants........ 184 Une véritable capacité d’intervention militaire.............................185 Un plan de répartition de la migration assorti de sanctions financières...186 Une négociation des traités démocratique, partagée et évaluée.... 187

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DÉCOUVREZ AUSSI... PANNE OU MANNE D’INVESTISSEMENTS PUBLICS Dans ce cahier, je formule, de l’Europe jusqu’aux communes, une manne de propositions face à la panne des investissements publics. Leur relance est une condition indispensable au retour de la croissance en Wallonie ! Depuis des dizaines d’années, les investissements publics n’ont eu de cesse que de diminuer, si bien que notre pays leur consacre, aujourd’hui, 3 fois moins de moyens que par le passé. Ceci à une conséquence directe sur la création d’infrastructures routières, de nouvelles écoles, de réseaux de crèches, ou encore de nouvelles maisons de repos. De surcroit, cela pénalise lourdement nos entreprises et ainsi la création d’emplois. Alors, libérons les investissements publics afin de retrouver une Wallonie prospère !

TRAITÉS DE LIBRE ÉCHANGE OU TRAITÉ LIBRE ET CHANGE ? L’intérêt que les citoyens européens et wallons ont porté au dossier CETA démontre qu’après la mondialisation économique, l’heure est à la mondialisation politique et citoyenne. Le Parlement a récemment décidé d’inscrire à son agenda trois traités en cours de conclusion ou d’adoption : le TISA, le traité UE-Vietnam et le traité UE-Colombie/ Pérou. Aussi, souhaitant vous informer à leur sujet, je vous invite à découvrir cet ouvrage.

ALMANACH 2016 : CHIFFRES ET LETTRES DU BRABANT WALLON Appuyé par un travail rigoureux de collecte et d’analyse des données disponibles, cet « Almanach 2016 » dresse un portrait en 114 tableaux de la province et de ses habitants, mais aussi des enjeux et des défis pour l’avenir...

L’ACCUEIL DES DEMANDEURS D’ASILE : UNE SOLIDARITÉ RESPONSABLE Cet ouvrage, largement documenté, s’attelle à dresser un état des lieux des plus réalistes de la situation migratoire et de son cadre légal. L’objectif est tout d’abord d’informer le citoyen en permettant à tout un chacun de se forger une opinion allant au-delà des idées reçues et des peurs irrationnelles qui accompagnent trop souvent les flux migratoires...

LE LIVRE NOIR DES COMMUNES Elu mandataire local depuis près de 25 ans et Bourgmestre de Perwez depuis 2001, j’ai vécu et suivi l’évolution des missions de nos entités communales. Les réformes politiques successives intervenues dans notre pays ont progressivement mis à mal les moyens nécessaires à la poursuite de ces objectifs. Les défis que nos municipalités doivent relever sont de plus en plus nombreux et contraignants sans plus aucune garantie financière...


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Le Perchoir est une lettre d’information que je souhaite mettre à votre disposition. Son but est de vous informer de manière régulière sur des enjeux wallons, mais aussi sur des thèmes importants qui pourront nourrir vos actions au niveau local. Ce bulletin d’information a pour vocation d’être flexible et accessible en toutes circonstances. C’est la raison pour laquelle il adopte le format « newsletter ». Au plaisir de vous écrire !

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