Stanislas Amand – Lettres à une galeriste

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Il faudrait pourtant le regarder, ce monstre. Monumental et grotesque, écrasé par le soleil, en remontant le Corso, son blanc crayeux éblouit. Les enfants plissent les yeux, les adultes remettent leurs lunettes de soleil. Guimauve en fin d’après-midi, tungstène le soir. Toutes les échelles se confondent en lui : coffret à bijoux, podium, gros gâteau, bibelot posé comme un cadeau un peu gênant. Mince dans sa partie supérieure, il devient un écran de cinéma hollywoodien. Sa blancheur reflète toutes les lumières qu’on lui offre : les phares, les néons, les feux d’artifice, les masques cosmétiques, les souliers vernis. Il enregistre une chorégraphie anonyme préparée la journée par les gesticulations nerveuses et baroques du poliziotto qui se trouve au centre de la piazza Venezia. Plus tard, dans le calme, il ne renvoie que la lumière pâle de la lune. Rencontrant cette grosse tombe blanche, les visages des derniers passants s’uniformisent en masques mortuaires. Tout est immobile. Il représente à cette heure le vide, le laid, et la mort. Il rayonne toujours, baigné de cette lumière blafarde, et éclaire ceux qui lui tournent le dos. Cordialement, S.A.

Madame, Au nord de Marseille, un homme natif de l’Estaque, à la fois amusé et gêné, m’a montré sur son mur une reproduction de L’Origine du monde exposée actuellement à Paris, au Grand Palais. Découpée dans son calendrier, légèrement floue. Il me l’a donnée très gentiment, en me disant qu’il en avait une autre, en couleur. Ceci est une peinture de sexe féminin. Une peinture de « moun ou mounine », « contraction de Madona en Italien » m’a-t-il dit, « creux ou calanque en provençal. »


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