Stanislas Amand – Lettres à un médecin

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Lettres à un médecin

Stanislas Amand

Stanislas Amand

Lettres à un médecin

De 1897 à aujourd’hui – Histoires d’un art hospitalier Sous la direction de Anne-Laure Oberson

25 €

9 791092 265064

André Frère Éditions



Stanislas Amand

Lettres à un médecin

De 1897 à aujourd’hui – Histoires d’un art hospitalier Sous la direction de Anne-Laure Oberson


Ce présent ouvrage est l’un des douze volumes à paraître sous le titre De 1897 à aujourd’hui. Histoires d’un art hospitalier. Cette édition en livres à la fois indépendants et complémentaires, qui formeront un ensemble unique et complet, reflète la démarche de mise en valeur du patrimoine culturel des HUG sous la responsabilité des affaires culturelles et la volonté d’écrire l’histoire de la présence de l’art au sein de l’hôpital selon une pluralité de points de vue qui respectent la diversité des formes d’expression artistique telles qu’elles se sont manifestées à l’hôpital à Genève en particulier, en Suisse et à l’étranger. Cette édition est aussi interactive, permettant ainsi de constituer un corpus participatif et modulable dont le texte même pourra être en constante progression. La version « évolutive » sur support électronique en ligne précède et suit la version sur papier présumée « finie » et contribue à l’écriture d’une histoire dynamique et actuelle. Pour participer à l’écriture des histoires d’un art hospitalier, faire part de vos commentaires et télécharger les textes : http://www.arthospitalier.wordpress.com

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Photographie de couverture : Institut Central de Radiologie. La collection de films. 1910. Photographie tirée de l’album ancien Hôpital Cantonal de Genève. Archives HUG.

Oberson, Anne-Laure (dir.), De 1897 à aujourd’hui. Histoires d’un art hospitalier, Genève, ART-HUG, 2009. ISBN 978-2-9700642-3-7 — Amand, Stanislas, Lettres à un médecin, Genève, ART-HUG, 2013. ISBN 978-2-9700642-7-5 Édition française : ISBN 979-10-92265-06-4 © Les auteurs pour leurs textes les artistes pour leurs œuvres les archives des HUG les archives du CH de Chambéry les affaires culturelles des HUG pour cette édition Genève 2013 Tous droits réservés André Frère Éditions Association Ce qu’il nous reste à voir 42, rue Saint-Saëns, 13001 Marseille http://andrefrereditions.wix.com/andrefrereditions Éditions ART-HUG Affaires culturelles des Hôpitaux universitaires de Genève chemin du Petit-Bel-Air 2, CH-1225 Chêne-Bourg http://www.arthug.ch



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Polyphonie, échange, conversation entre >>>>>>>>>>>>>>>>>>> StanISLAS Amand >>>>>>>>>>>>>>>>>>> >>>>>>>> Anne-Laure Oberson >>>>>>>> Thomas Micoulet >>>>>>>>>> >>> Paris, 24 janvier 2013 >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>

Anne-Laure Oberson : Les prémices de ce livre remontent déjà à l’automne 2009, lorsque nous planifions ton exposition d'une « maquette d’un livre en construction » des Lettres et mails à une galeriste qui eut lieu, l’année suivante, à l’entrée des Hôpitaux universitaires de Genève. C’est lors de ces premières discussions que germa l’idée de poursuivre tes recherches iconographiques aux archives photographiques hospitalières et de troquer le rôle de l’artiste pour celui de l’homme inquiet s'entretenant avec son médecin. Tu réalisas une première résidence d’artiste au Centre hospitalier de Chambéry afin de porter une réflexion sur la mémoire par le biais des archives d’un hôpital qui allait être complètement démoli pour être reconstruit à neuf. Puis la réflexion se prolongea par le dépouillement des archives photographiques des HUG. Cet ouvrage est donc le résultat d’un long processus d’étude, de réflexion, de discussion, de prise de position et, s’il s’inscrit dans cette série sur les histoires d’un art hospitalier, alors qu’il ne s’agit pas à proprement parler d’un livre d’histoire, c’est bien parce qu’il propose des fragments d’histoires réactivés à travers le regard d’un auteur qu’il y trouve toute sa place. Stanislas Amand : L’intérêt de ce projet a été de réactualiser les archives des hôpitaux de Chambéry et Genève souvent inutilisées pour des raisons que l’on peut comprendre. Sans connaissance particulière du monde hospitalier, j’ai essayé tout au long de cette recherche d’amorcer des questionnements avec l’idée d’une correspondance à un médecin, en incluant des observations et des photographies faites au gré de mes rencontres et une sélection d’archives évoquant l’histoire de l’hôpital. Accepter une résidence à l’hôpital impliquait de revenir à l’essentiel, à des questions simples et graves. Le corps, la maladie, la disparition, le plaisir, la libido, l’horreur, la joie. Chaque porte, chaque couloir… Soi, l’autre, l’autre soi. Je. Nous.


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* ALO : Ce qui frappe toujours d’emblée, lorsque l’on entre dans des archives, c’est cette présence physique imposante et relative aux supports sur lesquels l’information est conservée. Dans le cas présent, il s’agit de dispositifs de monstration aussi variés que la radiographie, l’album, le carrousel de diapositives couleur, le cd, la plaque de verre, la boite à images, etc. Comment est-ce qu’un livre peut prétendre rendre compte de cette diversité ? SA : Les archives hospitalières sont au service des soignants et des patients, en ce qui concerne la préservation des informations médicales. Les archives photographiques relatent aussi la vie à l’hôpital : fêtes, anniversaires, examens, départs, etc. Elles montrent aussi des techniques médicales, des normes, et des protocoles. En cela, elles font réfléchir à l’altérité du regard de l’autre et ainsi nourrissent la nécessité d’un effort documentaire. À l’hôpital, mieux montrer pour que l’autre puisse bien regarder n’est pas un effet de genre, c’est une nécessité. Enfin elles racontent, en filigrane, sans vraiment le vouloir, l’histoire des supports et des techniques photographiques transmettant ces mémoires plurielles. Le livre opère une mise à plat de toutes les techniques utilisées ; les différents niveaux sont réunis, cousus, de manière presque surréaliste. Le théâtre des opérations. Pour ces raisons, il réunit tout à la fois le plaisir du montage, une sorte de cadavre exquis constitué de choses apparemment incohérentes, la puissance vitale de la photographie amateur, le plaisir des interrogations sur le document, sa précision scopique, clinique. Le rappel des différents supports utilisés met en garde le spécialiste, l'historien ou le spectateur sur leur manière de prendre le contexte dans lequel ils pourraient plonger aveuglément. Cette indifférencia­ tion est liée aussi à la numérisation actuelle. Tout sauvegarder ou tout oublier ? ALO : Sauvegarder et oublier, car en ce qui concerne la technologie récente, nombre de formats et de supports informatiques en particulier ont connu une obsolescence rapide qui n’assura en aucun cas la conservation de l’information mais participa plutôt à sa perte. SA : La volonté de conserver reste la même, par contre ce sont les techniques qui dictent désormais ce qui va perdurer. Il y a là une fragilité car la numérisation ne contrôle ni la quantité, ni la qualité des archives. ALO : Il s’agit d’un paradoxe intéressant, à savoir, si notre capacité de mémoire chute de manière proportionnelle à la capacité d’enregistrement des dispositifs qui nous entourent, est-ce que cela nous permet de penser plus parce que nous nous souvenons moins ? Ou est-ce qu’il y a une perte de performance en lien à l’oubli ? SA : La question de la mémoire et de sa perte est très pertinente. Surtout au moment où l'on parle de plus en plus de la maladie d'Alzheimer et des techniques qui masquent peut-être l'essentiel de ce qu'il faudrait sauvegarder. ALO : Après avoir entièrement consulté l’archive photographique des HUG, force est de constater que sa constitution n’a suivi aucune méthode. Elle fut aléatoire, sans projet, le résultat d’une succession d’heureux accidents de conservation


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dont les pièces présentes témoignent autant des lacunes que de leur propre présence. Cette organicité est quasi anarchique pour faire écho au concept d’« an-archive » introduit par l’historien des médias berlinois Siegfried Zielinski qui conçoit l’archive non pas comme une fin en soi mais comme un lieu des possibles. L’« an-archive », c’est l’archive qui renonce à répondre à tout guide, format ou programme, qui nous invite à continuer de découvrir sans connaître le chemin. C’est un peu ce livre. Thomas Micoulet : Est-ce que le livre constituera luimême une archive ? SA : Oui, mais l’archive est gratuite tandis que le livre lui est pensé. ALO : Gratuite dans quel sens ? SA : L’archive est gratuite car elle n’est jamais pensée comme matériau à sélectionner. Par définition, l’archive est aussi un accroissement organique dont la conservation respecte cette chronologie sans la démembrer et sans la h ­ iérarchiser. Pour ce faire, l’archiviste doit accumuler des documents se surajoutant les uns après les autres, et dont le seul dysfonctionnement serait le démembrement de l’ensemble. Lorsque j’ai fait ce travail, j’ai bien regardé les archives une par une, tout en cherchant à sélectionner quelques fragments évocateurs de la totalité. En définitive, on choisit une image qui rappelle des éléments vus dans d’autres images et une synthèse se reconstitue autour d’images-symptômes. TM : Est-ce que tu peux nous parler de cette masse d’images ? L’accumulation fait partie d’un processus de constitution des archives et de ce projet. SA : Il fallait à la fois sélectionner et en même temps garder l’idée de masse d’images. C’est un paradoxe. Formellement, le livre doit également rappeler le mode d’appropriation de cette masse d’archives. ALO : Pourtant le livre possède un caractère défini et fixé qui n’est pas celui de l’archive, en perpétuel mouvement, en constante évolution. Aujourd’hui il peut être « en lien » comme c’est le cas de cette édition, mais au moment de l’impression le livre n’est plus recomposable. TM : Cette politique éditoriale que vous avez à Genève est très forte pour un établissement hospitalier, et bénéfique également pour Chambéry, car l’intérêt du livre est justement de fixer une information et de créer un objet


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Le regard de l'archiviste > Jean-Daniel Zeller : Les archives ne sont pas une accumulation de cas isolés ou spectaculaires. Dans un premier temps presque tout est conservé. Dans un deuxième temps on effectue une sélection selon deux axes, ce qui doit être conservé pour sa valeur légale, ce qui est conservé pour sa valeur informative. Dans cette dernière catégorie les archivistes se sont efforcés d’élaborer des critères qui permettent que l’infime partie conservée reflète au mieux les activités de l’institution et de ses collaborateurs. Le premier usage massif de la photographie trouve sa place dans le fichier anthropométrique inventé par Bertillon en 1883. Cet usage particulier n’incitera pas les archivistes à considérer l’image comme objet d’archives.

singulier à partir d’une masse d'images, les tiennes et celles des archives. Ce qui n'était pas évident d'emblée ? SA : Lorsque l'on regarde une boite à chaussures remplie d'images, on a un exemple de profusion très symptomatique du fonctionnement de notre mémoire depuis cinquante ans. Tout en assumant une sélection, un choix, ce livre devait rappeler la multitude des choix possibles et la masse des images. L'idée était surtout de rêver en regardant, écrire en rêvant, tout en étant très précis. Les renseignements scientifiques, les faits ne sont pas en contradiction avec l'acceptation d'une mémoire complexe, non linéaire... Dans tous les cas, il faut se méfier de notre mémoire, et penser qu'étudier des archives n'est ni un privilège artistique, ni une exclusivité scientifique. ALO : Je reviens à l’idée de l’archive comme guide (selon l’étymologie du grec ancien archeos, ce qui est vieux, archaïque, mais aussi le guide). L’archive guide par le biais du système d’archivage. Ce concept d’« an-archive » nous invite ainsi non pas à classer selon un ordre établi mais à respecter la diversité, à laisser de la place aux « découvertes fortuites » qui mettent en évidence la nature hétérogène des objets en questions (Zielinski, Deep time of the media, 2006). C’est exactement ce que tu fais : sortir de la linéarité historique, de la linéarité potentielle ou chronologique, du système d’entrée et de lecture prédéfini. SA : C’est vrai, je n’y avais pas pensé. Cela fait écho au montage d’une histoire réinventée relativisant l’idée d’une belle Histoire, tout en respectant la hiérarchie d'importance de certains faits symboliques, historiques, ou structurant si vous préférez. Car il faut préciser que les besoins techniques et scientifiques sont nécessaires à chaque période, sinon on risque de tomber dans une démagogie dangereuse... Une autre façon très à la mode et très politiquement correcte, est de considérer l'archive comme mémoire sans conscience des nécessités techniques ou politiques du moment. Le tout mémorisable au nom d'un relativisme tout aussi dangereux... Pour résumer, le tout mémorisé ou une mémoire trop orientée est de l'ordre de la folie personnelle et collective. C’est plutôt rassurant. De toute façon, il faut aussi avoir à l'esprit que pour chaque image d’archive, il ne s’agit pas du


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passé, ni du présent non plus, il s’agit du futur antérieur :­ « ça aura été ». C’est à dire, à chaque fois qu’on la regarde, elle se trouve réactivée par celui qui la regarde. Et cette tension interne aux images est également intéressante. TM : Tu laisses l’initiative et la place au regardeur, d’être son propre guide, plus actif et créatif, dans ce chemin en interrogeant ce qu’il regarde. SA : Oui, j’aime bien donner des amorces et laisser le lecteur se débrouiller. ALO : Cette méthode laisse la place à des lectures potentielles et des visions parallèles. Ces arrangements permettent aussi à des documents de se retrouver côte à côte alors qu’ils ne le seraient jamais dans les archives. Cela crée de nouveaux assemblages. SA : Ce télescopage, c’est penser le montage, c’est une manière de réfléchir autrement que par les autoroutes de communication et de respecter l’idée de la singularité de celui qui regarde. * TM : Pouvons-nous parler des lettres ? Elles sont comme des arrêts sur images avec des mots et cette accumulation de mots forme un pendant à celle des images. SA : Je pense que ces lettres concernent des détails, ou plus exactement le fragment épistolaire permet de s’étendre sur ce que l’on considère peut-être trop vite comme des détails. Comme par un effet de zoom, un objet devient le sujet principal et cela correspond au système mental du patient qui fait une fixation sur l’objet de son mal. ALO : La lettre est aussi une manière de réintroduire le je, de réintroduire le sujet à l’intérieur de l’institution, de ses mécanismes, ses mouvements. Cette présence de l’auteur contrebalance l’anonymat des patients dont l’identité est masquée par la pathologie. SA : Il y a une articulation du je-nous. TM : Pourquoi adresses-tu ces lettres au médecin ? SA : C’est une manière de s’adresser au pouvoir, car le médecin est une figure de l’autorité. J’interroge le pouvoir. C’est un peu de l’orgueil aussi. ALO : Ce destinataire invite le mode de la confidence. S’il y a une interrogation du pouvoir, il y a aussi une part de confession. À son médecin, « on peut tout dire ».


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SA : Selon le serment d’Hippocrate, tout ce qui va lui être dit ne sera pas surinterprété ni mal interprété. Il y a donc effectivement un rapport de confiance. En même temps, il y a une espèce de soumission et un rapport d’alter ego, car ce n’est qu’un homme et lui aussi peut être patient un jour. Donc, il y a un certain orgueil de ma part, de l’artiste par rapport au pouvoir, et de malaise vis-à-vis du pouvoir. C’est une manière de prendre l’attitude de quelqu’un qui est plus bas mais qui interroge l’autorité en verticale oblique : « Est-ce que vous vous êtes posé cette question ? » TM : J’ai aussi l’impression que c’est la possibilité de dialoguer avec un lieu. SA : Oui, le médecin représente le pouvoir de l’hôpital. Si je m’étais adressé à une infirmière, je lui aurais donné une responsabilité qu’elle n’a pas. ALO : L’infirmière est dans le faire alors que le médecin, par définition, est dans l’interprétation. Il est dans la distance ; dans l’entre-deux du rapport clinique et théorique. * TM : Quels ont été tes critères de choix pour la sélection des images ? SA : J’ai essayé de suivre quelques pistes potentielles en découvrant progressivement ces archives. Je naviguais en toute conscience entre la gratuité de ces archives qui sont sans singularité esthétique a priori et la neutralité nécessaire aux documents. Leur qualité devait également pour une certaine partie d’entre-elles rappeler une probabilité d’existence intrinsèque à la photographie dite « amateur ». La probabilité pour un autre, pour quelqu’un qui ne connaît pas les archives ni le lieu dans lequel on se trouve. Dans tous les cas, j’ai refusé toutes les performances techniques et esthétiques de l’image pouvant dramatiser l’hôpital et la souffrance des malades. En effet, la fixité de la photographie ne rend pas compte de la complexité du lieu et peut générer très rapidement un certain pathos. Une image impressionnante n’aide en rien à l’idée d’une archive documentaire, et ne correspond pas aux différents temps de l’hôpital. Par ailleurs, il était inévitable de borner ce « processus de découverte » par quelques règles liées à l’histoire de la peinture et de la représentation. Les images anonymes renvoient à d’autres images plus collectives. Pourquoi ai-je pensé en regardant des archives hospitalières à Pieter Bruegel, Walker Evans, Garry Winogrand, Weegee, Ludwig Mies van der Rohe, Jacques Tati... Bref, l’histoire de l’art, le quotidien, la vie. ALO : Au-delà du critère de choix et devant la quantité des archives, ton point de vue subjectif et revendiqué est important. Il ne s’agit pas d’une sélection représentative, ni exhaustive, mais d’un cheminement particulier pour comprendre l’ensemble à partir de fragments. SA : Il ne faut pas se tromper là-dessus : ce n’est pas un livre qui représente la totalité des archives, mais un livre qui dit la quantité des archives et le phénomène de l’archive alors qu’il énonce simultanément la singularité des choix.


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> JDZ : Le document (non-photographique) est en principe non-équivoque quant à son contenu et sa signification, c’est ce qui en fait son utilité archivistique, sa valeur de preuve. À contrario, la polysémie de l’image, toujours présente même dans des images très techniques, la rend souvent difficile à interpréter, requérant des spécialistes en interprétation (comme les radiologues). Mais ce que l’on n’a pas vu au temps T peut être réinterprété ultérieurement si le substrat initial subsiste, la médecine en est familière. Par exemple, l’analyse à postériori d’échantillons de malade tuberculeux décédés inexplicablement, avec des tests VIH inconnus à l’époque, permettent d’identifier des cas de SIDA.

TM : Au départ, lorsque nous regardions ensemble les images, j’essayais pour ma part de comprendre l’histoire de l’hôpital, de ces gens. Puis je me suis rendu compte qu’une histoire scientifique, historique, aurait été impossible à narrer et n’aurait servi à rien. SA : C’est exactement ce que disent Walter Benjamin et Jean-Luc Godard : il n’y a pas d’histoire linéaire. L’histoire est fragmentée et recomposée à chaque fois qu’on la regarde. Il s’agit d’une réactivation partielle de certaines archives dont on assume les choix aussi par la discussion entre nous. Ainsi avec un minimum d’images nous pouvions montrer la singularité d’un point de vue sélectif tout en évitant le danger d’un arbitraire trop évident. ALO : C’est bien de cela qu’il s’agit, la singularité est justement représentative par le simple fait qu’elle s’y trouve déjà dans les archives.

* ALO : Dans le contexte de l'hôpital, en raison des nécessités médicales, l'image doit être performante techniquement et intéressante en tant que document. SA : Oui, par exemple les images des maladies de la peau avec cette photographie d’une branche de pin qui donne le nom à la maladie, c’est performant et dans le domaine médical et dans le registre esthétique. ALO : Si l’on tient compte de toutes les différentes typologies d’images, il y a en fil conducteur une volonté de l’institution de capter, d’enregistrer, de témoigner, d’enseigner, de laisser des traces, que cela soit pour un rapport d’activités ou pour la recherche, et cela se voit autant dans les albums anciens fabriqués à l’intention du directeur des années 1920 que dans les carrousels de diapositives pour une conférence internationale sur les télécoms dans les années 1980. Et puis, en juxtaposition immédiate, d’autres images et collections d’images participent à la construction d’autres discursivités : les images des services, des fêtes, des sorties, des anniversaires. Chacune et toutes ensembles construisent et déconstruisent une iconographie institutionnelle.


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TM : On assiste dans les très belles images d’architecture à la modernisation de l’hôpital. La photographie illustre le développement de la technique médicale, son évolution, et permet à l’hôpital de pouvoir raconter son histoire. C’est le cas actuellement à Chambéry, où un nouvel hôpital est pensé, mis en projet et bientôt réalisé. D’ailleurs cette nouvelle phase a permis de lancer en 2009 un projet culturel autour de résidences de photographes afin de garder la trace de ce changement. SA : À chaque fois, la campagne photographique est faite pour montrer la performance technique de l’hô­ pital. ALO : Et cela très tôt déjà car c’était le cas dans les images du début du siècle. La photographie sert ainsi de modèle. SA : D’après ce que j’ai observé, les campagnes photographiques sont souvent faites pour transmettre les transformations techniques de l’hôpital. Il y a en effet cette notion de modèle, pour les autres, pour ceux qui vont suivre après. La démultiplication photographique permet au modèle architectural de se démultiplier afin de lutter contre la maladie. Lorsqu’un nouveau modèle apparaît, l’ancienne campagne est déjà dans les archives. Ce que l’on peut remarquer cependant c’est que la photographie réagit souvent au manque de synchronisme entre le temps des techniques médicales rapides et le temps de l’architecture forcément plus lent.

* ALO : Comme le relève Foucault dans la Naissance de la clinique (1963), l’hôpital est « là où prend naissance et se recueille le regard loquace que le médecin pose sur le cœur vénéneux des choses ». Qu’en est-il du rapport de l’image au corps ? À l’hôpital, sous le regard du médecin qui observe le symptôme, le corps devient public une première fois puis la photographie véhicule cette transgression de l’intime au public une seconde fois. On le voit très bien dans les images de rééducation. SA : Le regard du médecin sur le corps du malade est de l’ordre du secret médical. Mais dès qu’il y a la pos-

> JDZ : Oui l’architecture est lente mais dans le cadre hospitalier pas autant que cela. Sur le site hospitalier genevois, depuis la fin de la construction de la Maternité (1906) il ne s’est pas passé un jour sans qu’il n’y ait eu des transformations dans le bâti hospitalier des HUG. Il existe cependant une tension entre cette lenteur de la construction et l’évolution rapide de la technique médicale que les archives peuvent documenter. Par exemple les plans de la zone OPERA, un projet qui a duré une dizaine d’année, portent la marque des ré-affectations suc­cessives des surfaces au grès de besoins évolutifs. Ré-affectations parfois mise en cause par des impossibilités techniques (accès impossible pour certains objets de grandes dimensions, résistance au sol pas prévue pour des équipements lourds, etc.) également documenté par les archives. Par ailleurs, les archives nous apprennent que les percées scientifiques, dans la médecine aussi, sont souvent le fruit de l’accumulation patiente de données, qui sont comme le soubassement de découvertes d’aujourd’hui.


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sibilité d’accéder aux archives photographiques, nous ne sommes plus dans le secret médical. De ce point de vue, le malade se défait de l’intimité de son propre corps par la photographie. J’ai choisi l'image ci-contre car il y a un effet de miroir. La figure malade et la figure bien portante se ressemblent. C’est cela qui m’a intéressé et qui fait la qualité de la photographie. TM : Ton regard sur l’altérité est très présent dans tes images. SA : Cette image nous dit : « Tu vas prendre ma place un jour et moi je viendrai t’aider. » Il y a une beauté dans cette réciprocité. Dans cet autre cliché, les quatre mains qui soignent se transforment en une espèce de tentacule. La photographie montre une activité technique ; c’est une image publicitaire qui devient bizarrement surréaliste parce que les quatre gants se confondent et que l’on ne sait plus qui tient le fil. De façon générale, l’image peut donner autre chose que ce qu’elle est et fait réfléchir à ce que c’est parce qu’elle nous projette ailleurs. C’est une constante dans mon travail. Je trouve que l’hôpital est déjà assez fléché pour que nous y voyons autre chose, finalement. Pour le patient, le temps se dilate, il a le temps ; ceci est lié à l’observation. Un passage à l’hôpital est souvent pour les personnes un temps de réflexion sur elles-mêmes. Je ralentis le regard, je le force à ralentir, à s’arrêter. TM : Dans ton parcours de photographe, comment expliques-tu cet intérêt pour les images des autres et comment te positionnes-tu en tant qu’auteur dans ces productions que tu nommes atlas ou « réserve d’images » ? SA : Les images des autres m’intéressent tout autant que les miennes car elles sont « le point de vue du tiers », sans but artistique déclaré. C’est ce qui leur donne toute leur vitalité. ALO : Nous avons eu l'impression avec Thomas que tu avais le même plaisir à observer des archives qu'à faire des photographies ? Tu enseignes toujours l'Histoire de la photographie tout en ayant une pratique très contemporaine ? SA : Permettez-moi de faire une digression. Nous sommes tous des bourgeois. Mais il faut tout de même effectuer quelques distinctions : je me méfie


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depuis longtemps de la virulence réactionnaire d’une bourgeoisie classique contre l’art contemporain, et automatiquement, par peur sans doute, en faveur de l’Histoire de l’Art et du patrimoine. Cette vision souvent non sélective, passéiste, désuète, très ou trop cultivée, est parfois si rigide et inconsciente du monde dans sa totalité, qu’elle conforte ou qu’elle abandonne aux professionnels de l’art contemporain les apparences d’une conception visionnaire. Une autre forme de bourgeoisie aujourd’hui hyperactive, inculte par manque de temps, nous oblige à penser le tout contemporain décoratif comme une solution salvatrice. En fait le lyrisme désuet des réactionnaires conservateurs n’a d’égal que les envolées aveugles de ceux qui font l’éloge du tout contemporain. Je trouve de l’énergie pour ma propre activité en réactivant l’Histoire de l’Art et ainsi vous comprenez mieux le rôle des archives dans l’idée de constituer un document ou même une sorte de reportage sur l’hôpital. TM : Cette digression nous ramène-t-elle vraiment à ce travail d’écrivain-photographe réintégrant les ­archives ? SA : Oui, tout à fait. Je réitère : un certain conservatisme anesthésiant engendre les dangers d’une table rase futuriste. Le passé glorifié ou le futur triomphant n’a rien de bon pour notre simple présent. C’est justement parce que l’hôpital est le lieu de l’urgence au présent, qu’il nous conduit à regarder les archives comme un potentiel banal de l’Histoire de l’Art et m’oblige en tant qu’écrivain-photographe à considérer que mon ego n'a aucune importance, en face de la maladie, de la ­souffrance.

> JDZ : Il existe un paradoxe pour l’archiviste hospitalier : s’occuper de conserver pour le temps long et lent dans une culture de l’urgence (au moins en ce qui concerne les soins aigu, la psychiatrie étant plus sensible au long terme mais de moins en moins). Le dernier avatar de l’image en archives est évidement celui de l’image numérique qui réduit toute production documentaire à une chaîne de bit. Le fait que l’informatique uniformise les modalités de représentation tout en les rendant aisément manipulables, dans les deux sens du terme, représente un véritable défi pour l’archiviste (et le juriste avant lui) chargé de défendre le droit de la preuve. Plus récente que la photographie, l’image animée a bien entendu également envahi le champ médical. Aussi bien dans le domaine diagnostic (la coronarographie cardiaque par exemple). Aujourd’hui, la technique cinématographique s’est entièrement convertie au numérique, ce qui rend son archive « invisible ». Est-ce que les armoires de serveurs informatiques pourront alimenter une prochaine correspondance ?


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L'œil de la lettre >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> >>>> NICOLAS FEODOROFF >>>>>>>>>>>>>>>> >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>

De Stanislas Amand, on connaît déjà ses Lettres à une galeriste, correspondance avec un personnage fictif donnant matière à observation et à réflexion sur le monde qui nous entoure. Voici les Lettres à un médecin : changement d’interlocuteur, certes. Mais de méthode ? Pas totalement. En effet, la médecine, l’hôpital et son atmosphère singulière, propice à l'exacerbation des corps, des sentiments, des affects, sont autant d’éléments passés au filtre du regard scrutateur et toujours en rebond de Stanislas Amand. Ici, il nous livre une sorte d’atlas personnel constitué d’un corpus lié à ce que l’institution a produit comme image : ses photographies techniques, les comptes rendus de colloques, la vie quotidienne du personnel de l’hôpital, des images de malades aussi parfois. Décrire, se souvenir, montrer, sont les fonctions principales de la photographie mises en œuvre par ces images. Ensemble qu'il se réapproprie, réorganise, redistribue. Notre perception s'aiguise, les catégories vacillent.

Archive, Atlas, Document Il est donc avant tout question, dans cette correspondance, du regard porté par Stanislas Amand sur des archives constituées et non d’un archivage proprement dit, qu’il mêle néanmoins à des images qu’il a produites comme à des icônes de l’histoire de la photographie et de la peinture. Croisant, confrontant, associant les unes aux autres, que ce soient des archives médicales comme des collections d’objets, notre attention se trouve portée vers des productions remplissant le plus souvent une visée pratique : photographies de diverses pathologies, accessoires de soins. S’y attarder permet de dévoiler la valeur esthétique des images comme des objets, un geste qui est pleinement revendiqué et qui s’inscrit dans


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une dialectique articulant document/objet esthétique, mouvement d’aller-retour qui a une longue et riche histoire depuis l’invention de la photographie, et qui contribue à construire notre regard sur les images. Avec Stanislas Amand, le document tend à devenir une sorte de monument témoignant d’une histoire secrète des formes, qui en constitue une sorte de révélateur. Par le choix des images retenues, Stanislas Amand, plus intempestif, fouille notre fascination pour ce qui fait déborder l’image d’elle-même, nous touche au plus intime, hors de ses rôles circonscrits comme de ses significations balisées, sans les laisser pour autant être recouvertes du seul sentiment nostalgique. En ce sens, il réorganise les images médicales en une sorte d’atlas visuel évoquant celui dont Aby Warburg a posé les principes : disposer les images non en thèmes préétablis mais en échos, résonnances, correspondances, mais aussi chez Stanislas Amand en discordances. Ceci nous rapprocherait de ce qu’Arlette Farge, nomme Le goût de l’archive, au-delà d’une opposition entre un regard historique analytique et une perception détachée qui serait purement esthétique.

Peau, Surface, Clinique Parmi les images retenues, on est frappé par la forte intensité dramatique et la charge d’affect des images liées aux pathologies dermatologiques. On a pu parler de la photographie comme d’une peau du temps. Certes. Aussi a-t-on pu parler d’elle comme de la peau du monde, les images effectuant autant un recouvrement du monde des apparences qu’elles en dévoilent des formes. Ainsi la photographie produirait un espace singulier sans dedans ni dehors. Ici la peau photographiée est rendue à sa trivialité et dans le dégoût que les altérations de ces pathologies lui infligent peuvent susciter. Images où l’on sent la lutte inégale entre l’individu et l’image de son corps ici réduit à sa maladie. D’une surface qui s’exhibe comme telle et s’affirme, nous voilà défait de toute possibilité de profondeur, rejetée au loin, inaccessible, de fait refusée. Le point de départ : la planéité d’un corps-emblème, la photographie comme surface d’inscription d’un corps rendu à sa pure surface. Ce mouvement entre le dedans et le dehors renvoie à une question qui a tant agité les esprits : la tendance assignante de la photographie, qui dans sa propension à désigner plus qu’à expliquer, ne serait peut-être qu’affaire de surface, sinon de superficialité ou de leurre. Et qui recouvre en médecine ce que Michel Foucault relève en introduction à sa Naissance de la clinique, la coïncidence exacte entre le corps de la maladie et le corps du malade qui est propre au 19e siècle, moment selon ses termes de la «suzeraineté du regard». Ici, elle se redouble d’une fascination pour l’écart, le laid et l’horreur qui traverse toute la peinture occidentale depuis la période maniériste.


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Détail, Opération En peinture, selon l’historien de l’art Daniel Arasse, la notion de détail s’attache bien sûr à la partie d’un tout représenté, à un fragment iconographique signifiant, ensemble qu’il nomme particolare. Mais cela concerne aussi le détail tel que relevé par le spectateur, tout pouvant alors devenir détail, au gré de la découpe opérée par chacun, ce qu’Arasse nomme dettaglio, nous rapprochant de la notion de punctum de Roland Barthes, mais ici débarassée de sa dimension d’affect intime. Cela peut concerner d’ailleurs moins un élément de représentation qu’un détail proprement pictural. Et l’on sait à quel point la pratique de la photographie, tant dans ses applications techniques et scientifiques au 19e siècle que dans nombre de ses pratiques esthétiques au 20e siècle, s’est attachée aux détails. Et le détail, au sens de dettaglio, a souvent pour effet de défaire le sens et la stabilité de la représentation. Chez Stanislas Amand, cette attention au détail permet, plutôt que d’aborder certaines notions frontalement, d’en déployer les facettes, par le détour d’un objet apparemment anodin, comme de rapprochements inattendus, comme ce glissement de la pâte du dentiste à l’espace démocratique nécessaire en urbanisme. Défaire les couches liées à un regard enserré dans ce que sous-entendent des disciplines séparées (la médecine, l’urbanisme...), leur découpage thématique pour ensuite en déployer tout un champ d’implication, ouvrir le regard. Marcel Duchamp, dans un autre contexte parlait d’art comme opération, et que cela se jouait dans un inframince. Ici opérer serait découper, isoler, renverser.

Œil, Radio De l’œil à la radiographie, se joue toute une part de l’approche photographique comme outil du visible dans sa visée tant esthétique que scientifique. Ce qui fait que l’image photographique est considérée parfois comme un espace où le regard dans sa froide mécanique se trouve absolutisé et indépassable. À cette aune, l’image radiographique en serait la quintessence, redoublant la part de technique accolée à la photographie qui a tant fait couler d’encre dès le 19e siècle, argument mis en avant pour l’opposer au génie créateur, à la main souveraine. De fait, la radiographie signale une aporie : d’un même geste, elle attribue au visible son pouvoir de dévoilement tout en rappelant que le monde ne peut se percevoir et se concevoir par les seuls espaces de visibilité accessibles à l’œil. D’où notre fascination pour ces images. Où la technique se nourrit d’un substrat magique. Aller voir au-delà du visible pour s’assurer de la faillite du visible. Facétie de Stanislas Amand qui donne un tour de plus à cette spirale infernale, nous menant dans l’espace de l’invisible par excellence, l’inconscient, avec une radiographie du supposé crâne de Freud.


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Un nouveau regard sur l'archive >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> >>>> yvON LeMAy et ANNE KLEIN >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>

Pourquoi les archivistes devraient-ils être attentifs à l’utilisation de matériel d’archives à des fins de création par des artistes tels que le photographe-auteur Stanislas Amand ? En premier lieu, bien sûr, pour le plaisir d’expérimenter, de découvrir « le goût de l’archive » différemment. Mais, il y a davantage. En acceptant de jouer le jeu, de sortir du cadre de référence habituel, de suivre les artistes dans leurs démarches, leurs préoccupations et, souvent, leurs écarts par rapport aux usages les plus courants, les archivistes ont la possibilité de considérer l’objet de leurs préoccupations autrement, de développer un nouveau regard sur leur discipline. Suivons donc Stanislas Amand dans son projet de création à partir des archives photographiques des Hôpitaux universitaires de Genève et du Centre Hospitalier de Chambéry. Laissons-nous envahir par ses découvertes, ses choix, ses réflexions, son questionnement quant aux archives, aux individus et au milieu dont elles témoignent. Allons à sa rencontre car, pour un artiste, il s’agit toujours de rendre compte d’une rencontre, c’est-à-dire des liens, des relations qu’il a été à même de créer, de matérialiser. Première impression. En fait, elles sont plutôt nombreuses. Elles foisonnent comme dans un rêve. Nous parcourons une vaste galerie d’images photographiques les plus diverses dont l’habile montage de lieux, d’époques, de situations, d’activités, d’équipements, de patients et de membres du personnel nous plonge au cœur de l’histoire de ces institutions. Ou plutôt dans une multitude d’histoires, autrement que ne le ferait toute une équipe d’historiens qui auraient été réunis à cet effet. Outre le vertige engendré par cette spirale du


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temps qui se déploie sous nos yeux, nous sommes tantôt saisis d’effroi par les ravages de terribles maladies, tantôt attendris par de jeunes patients qui se tiennent par la main, tantôt étonnés par la présence d’un ange ou d’un ours en peluche, tantôt encore intrigués par tous ces lieux et équipements les plus étranges pour qui n’est pas familier avec le milieu hospitalier. Bref, nous voilà plongé au centre d’une expérience émotive dont les traités d’archivistique ne font guère état. Ainsi, Stanislas Amand, à l’exemple des artistes contemporains qui exploitent du matériel d’archives, nous fait la démonstration, de manière éloquente, que les archives ont la capacité non seulement de prouver, de témoigner et d’informer mais aussi d’émouvoir en permettant l’établissement de liens avec les gens et évènements appartenant à une époque révolue. En effet, qu’elles nous rendent tristes ou nous fassent rire, qu’elles nous émerveillent ou nous rendent nostalgiques, qu’elles nous bouleversent ou nous illuminent, les archives sont à même de nous émouvoir parce qu’elles ont la capacité d’évoquer, c’est-à-dire de rappeler les choses oubliées, de les rendre présentes à l’esprit. Autrement dit, le potentiel dont est capable l’archive sur le plan émotionnel est constitué d’une « charge émotive » à forte concentration d’évocation, pour utiliser une formule métaphorique. Un potentiel qui s’alimente à même certaines propriétés du document d’archives telles que l’authenticité, la dimension matérielle et les traces de passage du temps. Mais ces propriétés, aussi déterminantes soient-elles, ne sont pas les seuls facteurs en cause car, pour qu’elles puissent être effectives, celles-ci doivent être placées dans des conditions adéquates. Là, encore, l’artiste fait réaliser à l’archiviste que l’utilisation des documents d’archives ne peut s’effectuer que selon certaines conditions. À commencer par le contexte, c’est-à-dire que le potentiel de signification de l’archive est toujours fonction d’un point de vue, d’un domaine, d’un discours particulier à teneur informationnelle, scientifique, patrimoniale ou artistique, comme c’est le cas dans la démarche de Stanislas Amand. Une démarche où, sur le plan du dispositif, de la présentation, les éléments les plus courants comme le titre, la légende, les mentions de source, etc. laissent place à un assemblage, un montage qui, tout en respectant un certain ordre chronologique, se développe en tirant profit des effets engendrés par la juxtaposition d’images photographiques selon différents facteurs tels que le sujet, la forme, la technique, la dimension et, à l’occasion, la matérialité de l’objet, de son support. De la sorte, le public a la possibilité de laisser libre cours à son imagination, à sa sensibilité. Il est invité, en quelque sorte, à prendre le relais de l’artiste, à poursuivre sa démarche et à établir, à son tour, des liens lui apparaissant révélateurs. En complément à cette galerie d’images tirées des archives photographiques des deux établissements hospitaliers, le photographe-auteur poursuit son travail de création selon une autre stratégie. Cette fois, chaque image est accompagnée d’un texte qui prend la forme d’une lettre munie d’un titre. Dans certains cas, la lettre est accompagnée de photographies que nous pouvons voir


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isolément dans la galerie d’images. Dans d’autres cas, Stanislas Amand fait appel à de nouvelles illustrations provenant des archives photographiques des deux hôpitaux ou d’autres sources selon les propos qui sont tenus. En effet, l’on a tôt fait de se rendre compte, à la lecture de ces lettres, que le photographe-auteur déborde progressivement le milieu spécifique de son intervention et aborde les sujets les plus divers en lien avec la thématique. Il est aussi bien question d’une célèbre performance de l’artiste allemand Joseph Beuys dans une galerie à New York et de son trajet en ambulance pour s’y rendre depuis l’aéroport JFK que des travaux du professeur Charcot sur l’hystérie, de la passion érotique des étoffes, du Suaire de Turin ou de réflexions sur l’image photographique suite à une visite chez le dentiste ou au mouvement d’une toupie. Bref, Amand poursuit le flot de réflexions, d’associations que ne manque d’entraîner sa mise en situation « créative » dans un tel milieu. D’ailleurs, à bien y penser, n’y a-t-il pas un meilleur endroit pour être plongé, en tant qu’artiste, au cœur même de l’expérience humaine ? Les drames, les peines, les espoirs, les joies, l’absurdité, la bonté, la vie, la mort, etc., bref tous les éléments semblent réunis sur la « scène » hospitalière comme dans un microcosme. L’une de ces lettres, intitulée Mémoire des patients, nous apparaît particulièrement significative d’un point de vue archivistique. La photographie qui l’accompagne montre une femme âgée, une patiente au service de gériatrie du Centre Hospitalier de Chambéry est-il précisé. Des infirmières se tiennent auprès d’elle alors que la dame âgée est en train de regarder un album de photographies. Tout en soulignant l’importance de la chaleur humaine, de la parole plutôt que de l’usage de médicaments, dans les soins qui sont prodigués aux patients par le personnel, Amand fait part d’une réflexion sur la mémoire qui s’avère des plus pertinentes. « La mémoire, dit-il, ce n’est pas ce que l’on a vécu, ce n’est pas ce dont on se souvient, mais comment on s’en souvient au moment où on regarde. » Comme on le sait, les archives sont intimement liées à la mémoire. Mais si la métaphore des archives en tant que mémoire d’une institution, de la nation, d’une famille ou d’un individu est courante, la question subsiste de savoir comment la mémoire vient à l’archive, de quelle manière s’opère cette relation ? Stanislas Amand, tout comme de nombreux artistes contemporains ayant exploré la problématique, tant du point de vue individuel que collectif, nous aide ainsi à mieux identifier et comprendre les éléments en jeu dans la relation entre la mémoire et les archives. Le « comment au moment », comme l’exprime si bien Amand. Et ils sont nombreux : pensons entre autres au processus sélectif selon lequel fonctionne la mémoire, à l’importance de l’élément déclencheur pour activer ce processus, à la place occupée par l’émotion dans le phénomène de la mémoire et au rôle du présent sur ce que nous nous rappelons et sur la manière de le faire. Les archives, comme la mémoire, sont le moment où l’on reprend contact avec le passé puisque « quand on vit, nous dit Amand, on n’a pas trop le temps de se regarder vivre. » Le présent de l’archive, comme le


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présent de la mémoire, est une temporalité particulière qui n’est plus celle de l’action mais plutôt de la contemplation. Mais cette remarque de Stanislas Amand traduit ici une vision différente des archives. Contrairement à une conception largement répandue dans la littérature archivistique, les archives n’ont rien de figées. Et, si elles plient le temps, elles ne sont pas pour autant repliées sur elles-mêmes. Loin d’être les gardiennes d’un passé révolu, les archives sont plutôt ouvertes à l’interprétation, en devenir, toujours susceptibles d’être réactivées selon les besoins des utilisateurs. Une vision qu’illustre à merveille la mise en abyme engendrée par la photographie de cette patiente âgée regardant un album de photographies qui se retrouve dans un ouvrage où le lecteur sera appelé, à son tour, à examiner les photographies comme la vieille dame. Cependant, en axant la réflexion sur l’action du sujet sur les documents d’archives, cela ne doit pas faire oublier la nature du rapport que ces documents permettent d’entretenir avec le passé. En effet, les archives sont le fruit de la relation dialectique entre « le Maintenant » de l’utilisation des documents et « l’Autrefois » de leur création. Cette relation peut être conçue comme la rencontre entre, d’une part, un utilisateur, son champ de connaissances, sa culture, son univers et, d’autre part, l’archive, sa matérialité, son contenu, son contexte. En fait, les archives sont de potentielles images dialectiques : cette forme d’« objet historique [qui…] trouve représentée en son intérieur sa propre histoire antérieure et postérieure. », écrivait le philosophe Walter Benjamin dans Paris, capitale du XIXe siècle. En ce sens, les archives sont une forme de temps à l’arrêt, une rupture dans la continuité du temps historique qui s’opère au moment de la saisie du « Maintenant » par l’« Autrefois ». Stanislas Amand souligne ce phénomène à partir de l’horloge brisée de l’Hôtel-Dieu de Chambéry. Il questionne alors « la fixité photographique » qui le renvoie directement au « temps de l’hôpital, le temps à l’hôpital, et sa mémoire ». Cette interrogation est bien aussi celle du temps des archives, un temps roulé en boule et qui paraît infini. Aussi, en nous faisant la démonstration, dans sa production, de la nature dialectique des archives, qui ne deviennent complètement telles que lorsqu’on les utilise, Amand montre finalement que les archives définitives, souvent aussi appelées archives historiques, sont loin de correspondre à l’étape finale, à l’aboutissement du cycle de vie des archives, comme il est généralement admis chez les archivistes. Elles marquent moins la fin d’un cycle (des archives courantes et archives intermédiaires en archives définitives) qu’un nouveau moment d’existence des archives. C’est-à-dire qu’à côté de la création et de la conservation, les archives définitives correspondent au moment d’utilisation des documents d’archives. En cela, la démarche artistique de Stanislas Amand est une pratique exemplaire. Elle nous indique la voie à suivre. À notre tour, d’aller à la rencontre des archives et d’amorcer le dialogue. En les gardant vivantes, nous aurons la chance d’y trouver, tout comme lui, du sens.


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L’exploitation artistique des archives s’avère donc non seulement une source indéniable de plaisir mais aussi de réflexion pour les archivistes. Ils ont ainsi la possibilité d’élaborer une approche de leur discipline qui soit mieux à même de refléter le rôle et la manière dont les archives sont amenées, dans le temps, à nous révéler à nous-mêmes tant individuellement que collectivement par leurs utilisations. Une originalité que les artistes, tels que Stanislas Amand, ont su reconnaître et exploiter à juste titre.


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De : S.A. / 02:36:00 >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> Objet : Mémoire des patients >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>

Je vous transmets une archive du service de gériatrie du Centre Hospitalier de Chambéry où l’on voit une patiente heureuse de se retrouver, de revoir sa famille et ses amis. Elle a le temps de partager des souvenirs avec des gens qui l’aident et la soutiennent. Des soignants qui préfèrent la parole au médicament, la chaleur humaine aux murs silencieux, la mémoire à l’endormissement. La mémoire, ce n’est pas ce que l’on a vécu, ce n’est pas ce dont on se souvient, mais comment on s’en souvient au moment où on regarde. Une mémoire réactualisée à chaque fois que l’on décide de s’y intéresser. S.A.


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De : S.A. / 09:20:01 >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> Objet : Amélioration de la vision. Orthoptie >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>

Je vous envoie ce négatif d’une paralysie du moteur oculaire externe. Une médecin m’a expliqué une méthode orthoptique pour que le regard à moitié malade puisse retrouver son fonctionnement. Ce strabisme est causé par une paralysie du muscle externe de l’un des deux yeux (œil gauche sur la grille ci-contre). Cet œil malade ne peut plus regarder en périphérie alors que l’autre œil (œil droit sur la grille de lecture) peut encore regarder dans toutes les directions. L’œil malade (le gauche) ne peut même plus regarder le centre même si l’autre (le droit) l’oblige à aller dans cette direction (en allant sur sa gauche). Dans ce dernier cas, on peut voir l’œil en difficulté au centre, mais le patient voit en fait à la périphérie gauche avec son œil droit dans un champ limité par sa cloison nasale. De ce fait, la tête du patient aura tendance à se porter légèrement sur la gauche. Deux images se télescopent en général avec un début de torticolis. La tête est placée dans un cube d’observation ; la méthode consiste à rééduquer la partie malade sans contraindre l’autre à subir le même exercice, sachant que les deux fonctionnent symétriquement, et risquer de renverser la maladie de l’autre côté : la tête irait vers la droite. Travailler, pas trop, pour aider l’autre œil, sans trop le contraindre. Lorsque l’on finit par comprendre, le vertige provoqué par cette explication s’estompe.


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De : S.A. / 08:40:24 >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> Objet : Gouttes ophtalmologiques >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>

J’aimerais photographier ou filmer une goutte de liquide physiologique nous plongeant dans un état de vision troublée puis retrouvée. L’œil à ce moment précis semble vivre et observer à la fois un phénomène de capillarité entre un liquide et l’air, un liquide et une surface. Il voit à ce moment l’arrivée d’une solution, son absorption, le brouillage en résultant, et sa disparition plus lente, retrouvant sa vue par la netteté des objets qui l’entourent. Ce qu’il observe en un temps très court peut être passionnant à filmer, ralentir et dilater, en faisant des arrêts sur image décrivant ces visions où l’œil lui même reverrait lentement toutes les étapes de la transformation de son propre point de vue. S.A.


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De : S.A. / 08:40:24 >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> Objet : Mercurochrome >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> >>>>>>>>>>>>>>>>>

Pourriez-vous m’envoyer des documents sur l’histoire du mercurochrome ? Il n’y a pas très longtemps, mon fils m’a demandé de regarder son genou rapé en me montrant les différentes blessures comme des trophées, relatant les petits graviers de la cour de récréation, ses différentes chutes alors qu'il courait après le ballon. Il m’a montré la couleur du mercurochrome comme les marques d'un petit homme dur, tatoué, blessé, me disant que l’infirmière, elle, y voyait du maquillage ou de la peinture. Une sorte de peinture de guerre pour rassembler les deux genres ?


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De : S.A. / 19:30:59 >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> Objet : Les mots pour dire les maux >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>

Sganarelle : « Or ces vapeurs dont je vous parle, venant à passer, du côté gauche où est le foie, au côté droit, où est le cœur, il se trouve que le poumon, que nous appelons en latin armyan, ayant communication avec le cerveau, que nous nommons en grec nasmus, par le moyen de la veine cave, que nous appelons en hébreu cubile, rencontre en son chemin les dites vapeurs, qui remplissent les ventricules de l’omoplate. » Le Médecin malgré lui, Acte II scène IV. Théâtre du Palais Royal, 1666.

Professeur en urologie : « Échographie anténatale avait mis en évidence des reins augmentés de taille et hyperéchogènes à 28 semaines d’aménorrhée. STOP. La créatininémie contrôlée à 5 jours de vie est normale à 42 u.mol/l avec une urée à 2,39 mmol/l. STOP. L’ionogramme plasmatique est normal en ce qui concerne la natrémie et la kaliémie. STOP Dernière échographie, les deux reins sont discrètement augmentés de taille à +2DS. Le cortex est hyperéchogène par rapport au foie et à la rate. Il existe une différenciation corticomédullaire. STOP. L’aspect n’évoque pas une polykystose rénale. STOP. Veuillez croire… » Le Médecin tout puissant, Couloir 4 salle 2. Hôpital pour enfants, 2010.

Ci-dessus deux passages extraits : le premier du Médecin malgré lui et l’autre d’un courrier en réponse à un médecin traitant, dicté devant nous par un professeur en urologie durant une consultation pour notre enfant à l’hôpital public. Après avoir observé tous les documents (radiographies, comptes rendus d’échographies, lettres entre confrères, analyses chiffrées, etc.), le spécialiste s’adressait à un dictaphone : une lettre au pédiatre dictée à sa secrétaire, phase finale de son dernier jugement. Notre fils a été très bien soigné, ou très bien analysé plus exactement. Je me suis juste interrogé, comme à chaque fois que j’observe, sur les résonances entre le QUOI et le COMMENT. Sur les mots choisis pour dire, les mots pour expliquer, les cinq minutes supplémentaires pour faire comprendre. Qu’en pensez-vous Docteur ? Non sur le quoi, mais sur le comment ? S.A.


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De : S.A. / 09:29:52 >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> Objet : Les corps et les murs >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>

Entre ce toit où on peut voir de temps en temps un hélicoptère descendre de la montagne, entre ce toit et le sous-sol de ce bâtiment DORSTTER construit par Marcel SALAGNAC en 1970, une dizaine d’étages avec 11 000 interventions chirurgicales par an, plus de mille lits. Deux mille cinq cents soignants. Le personnel médical et administratif est dans l’urgence. À chaque étage, par spécialité, dans chaque chambre, pour chaque malade, chaque médecin, chaque infirmière, le lien entre eux étant la volonté de guérir et d’être guéri. Cette fourmilière du service public va continuer à opérer dans un contexte de reconstruction hospitalière jusqu’en 2015. Un travail de fourmi, soigner tout en changeant de conditions pour continuer à pratiquer. Outre les soins et la transmission du savoir, c’est l’accès égal de tous les usagers, la permanence et la lutte contre les exclusions sociales, base du pacte social de notre même fourmilière. Une urgence contre les dangers de l’individualisme. Déshabiller, désosser, détruire, maintenir, opérer, réparer, redresser, reconstruire, accoucher. Les murs comme la peau, les fenêtres comme les yeux, les volets comme des paupières. En même temps les corps et les murs. S.A.


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De : S.A. / 18:55:46 >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> Objet : Sol et plafond >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>

Suivant les brancardiers, j’ai pu constater l’intensité de la vie à l’hôpital. La vie, le flux des visiteurs, des malades, des soignants. L’intensité des relations. L’urgence des actions. Le corps du patient désarmé face à une technique utile et puissante pour le soigner. L’hôpital est une prolongation du chaos de la ville. Les malades voient les guéris sortir. Les guéris voient les malades entrer. Une machine de vie, une usine à guérir et un chantier permanent. De l’humain, du beau, du laid. Les visiteurs, se souvenant ou craignant. La vie des soignants, le travail des hommes au sous-sol, la cuisine, la circulation des lits vers des radiographies de plus en plus précises, des opérations, la marche des soignants… La marche plus lente des patients, cherchant à comprendre, suivant les numérotations des services, des couloirs. Toujours des murs, toujours des couloirs, toujours des portes, et de l’autre côté encore d’autres murs, des machines, d’autres machines, des messages informatiques, des murmures. À l’image de la ville. Suivant une technique irréprochable. Je finis par regarder des détails, des matières, le sol, le plafond. Si l’on est patient, ou si l’on regarde un patient, le plafond d’un hôpital devrait être la surface la plus belle au monde, un monde renversé, offert à ceux qui regardent vers le haut.


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De : S.A. / 18:55:46 >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> Objet : L’avocat et sa cliente hospitalisée >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>

Un ami m’a relaté ce qu’a dit un avocat à sa cliente hospitalisée pour préparer son jugement : « Vous allez dire au juge que vous êtes atteinte du Sida, que vous êtes au chômage, que pour nourrir vos enfants vous avez volé et que vous regrettez. » La cliente affaiblie lui a demandé de répéter le tableau dans l’ordre, de lui décrire ce qu’elle devait dire exactement. L’avocat lui dit : « Non, je ne vous répéterai rien du tout. Ce n’est pas un tableau, ou plutôt c’est bien le vôtre. Vous allez lui dire votre vérité, la vérité que je viens de vous décrire, bref ce qui vous arrive et cela sera suffisant. » S.A.


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De : S. A. / 08:40:24 >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> Objet : Chez le dentiste >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>

Un dentiste m’a demandé de serrer la mâchoire dans une sorte de spatule bourrée de pâte à la fraise. Au bout de quelques secondes, cela a donné un instantané en creux, le négatif du volume de la bouche en quelque sorte. Fermant les yeux, cela m’a fait penser à la relative épaisseur de l’empreinte photographique dans la gélatine d’argent. Ces images déjà archaïques sont remplacées aujourd’hui par des fichiers numérisés, binaires. O ou 1. Les fichiers RAW. J’essayais de lui dire, sans vraiment pouvoir l’ouvrir, qu’il faudrait se servir du numérique, plus économique, pour observer notre quotidien commun de façon plus collective. En urbanisme, on pourrait utiliser cette même pâte à modeler pour effectuer une empreinte de la ville. Cela donnerait aux politiques une possibilité d’observer les vides des espaces publics, et de libérer la parole démocratique.


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De : S. A. / 08:40:24 >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> Objet : Toupie >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>

La bobine de fil, ou la toupie qui apparaît et disparaît sous la commode, évoque la relativité et la multiplicité des phénomènes visibles. Le trajet de retour de la toupie est aléatoire. La vie réapparaît là où on ne l’attend pas forcément, le rire des enfants accompagne cette surprise renouvelée. Suivant sa tangente ou les aléas des reliefs invisibles du sol : les miettes, la poussière projettent sa pointe en une sortie imprévue vers le divan. La toupie tourne très vite, comme une bobine, équilibrée par son inertie, jusqu’au moment où, comme si elle avait heurté les limites du temps, elle sort de son axe, bascule sur le côté, s’arrête comme une chose morte. Une photographie.


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De : S.A. / 10:10:05 >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> Objet : Radiographie de Freud >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>

Un ami m’a envoyé cette radiographie d’un crâne en me disant que c’était celui de Freud. Au delà de la véracité de cette affirmation, je suis resté un certain temps devant en me demandant comment la part d’humanité toute entière était contenue dans la banalité d’un crâne. La radiographie du cerveau de Freud ? Une profondeur cachée ? Voir quoi ?


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De : S.A. / 18:55:46 >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> Objet : Artistes pour l'hôpital >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>

J'aimerais vous présenter un peintre, Jean Marc Thommen dont le trait sur des surfaces colorées homogènes fait penser à Lascaux, au début de l'écriture, à la passion stylisée des découpages minimalistes. S.A.


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De : S.A. / 10:10:05 >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> Objet : La page du patient >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>

Par beau temps, un malade m’a confié que, tous les jours, il attendait le soleil dans sa chambre vers 10h du matin. « Je sens lentement la chaleur derrière la vitre et je regarde la beauté de ma bouteille de perfusion renverser la montagne au loin, me laissant éblouir, ouvrant et fermant les yeux alternativement, observant les brillances autour de mes paupières et les cônes lumineux vers mes sourcils, les quelques poussières encore présentes dans un endroit si aseptisé, la chaleur plus intense sur l’arcade et la joue gauche. Cette chaleur sur ma peau me redonne de l’énergie. » Il peut lire et écrire ensuite pendant une heure. Tous les matins, espérer le soleil, puis l’après midi la visite de son fils, qui lui apporte de temps en temps une bouteille de très bon vin avec un morceau d’andouillette grillée. Et leurs archives photographiques qu’ils regardent ensemble. Tous les jours, il écrit une page ou deux sur des sujets très variés, ses souvenirs, ce qu’il voit à l’hôpital. Sachant que son fils garde en mémoire le dernier niveau, il reprend de temps en temps un même verre de vin, l'après-midi, lorsque le soleil est passé de l’autre côté, entre chien et loup, avant de s’endormir en regardant les bêtises à la télévision. « Malgré ma fatigue, je pense à ce que j’ai écrit la journée, le plaisir de rectifier le lendemain, de corriger des détails, de revenir sur une impression trop rapidement écrite, tout en la sauvegardant. Par exemple décrire exactement comment la montagne renversée arrive lentement à l’intérieur de ma bouteille. Comment exactement mes Bonjour Madame, comment allez-vous ? Comment exactement les échanges de Bonjour et Bonsoir. Comment exactement le plaisir progressif des effets du suppositoire de théophylline butobarbital calmant mes douleurs. Comment exactement. Comment allez-vous ? des autres à moi, comment exactement. Comment allez-vous ? de moi aux autres, comment le plus exactement possible certains silences, pas exactement les mêmes, ceux des autres, les miens, comment exactement les regards si différents associés à ces silences singuliers. » Et puis très tôt, le lendemain, ça recommence, mais jamais tout à fait pareil. « Bonjour Madame. »


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De : S.A. / 10:10:05 >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> Objet : Patient chambre n°26 >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>

J’ai rencontré un patient dans votre service, ressemblant comme deux gouttes d'eau à Mike Kelley. Il m’a raconté un film canadien dont il avait oublié le titre, relatant une relation médecin-patient : — Bonjour. — Pas besoin de prescrire d’analgésique ? — Oubliez-ça. — Tout cela m’a l’air excellent M. PARENTO. — Merci infiniment Docteur DUBIC. — Moi, c’est pas le Dr DUBIC. — Ah, ben ça tombe bien parce que je ne suis pas M. PARENTO. Il m’a dit aussi qu’il tricote dans sa chambre et adore faire des coussins pendant que les autres pensionnaires regardent la télévision, assommés par les programmes et les pillules qu'ils avalent.


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De : S.A. / 12:45:15 >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> Objet : Horloges à l’Hôtel-Dieu de Chambéry >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>

Parcourant l’hôpital avec les brancardiers vers midi, j'ai aperçu une horloge arrêtée sur le toit de l’Hôtel-Dieu. Je les ai salués très vite, ai demandé les clefs de l’escalier et l’autorisation d’aller dans les combles pour observer avec le maximum de soleil cet énorme mécanisme. Pourriez-vous essayer de retrouver le plan de cette horloge horizontale ? De trouver des renseignements sur l’entreprise Mathiez à Chambéry ? Étant donné que l’Hôtel-Dieu est sauvegardé, on pourrait remettre de l’ordre dans cette belle mécanique pour inaugurer la fin des travaux. Accessibles par de multiples petits escaliers en bois, des poutres soutiennent tous les rouages crantés, poids et contre poids, le résultat de ce mécanisme est traduit symétriquement par un axe parcourant la largeur de l’architecture vers deux horloges similaires au nord et au sud. On risque de ne pas retrouver l'heure précise de leurs panne, mais on ne pourra pas leur enlever à l’une et à l’autre la précision de leurs dernières heures. Minutes et secondes étrangement différentes. En effet, deux temps décalés d’environ 12’10’’, comme si l’une d’elles, au sud, avait tenu un peu plus longtemps, alors que pourtant soumise au même mécanisme central. Une horloge cassée interroge toujours la fixité photographique. Elle interroge aussi le temps de l’hôpital, le temps à l’hôpital, et sa mémoire. Il faudrait redonner vie à cette machinerie crantée, et remettre les deux horloges à la même heure. Ou retrouver ce merveilleux décalage entre le deux, contournant du nord au sud ce même Hôtel-Dieu, ce petit décalage, un angle d’aiguille, le temps de marche.


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De : S.A. / 18:55:46 >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> Objet : Visite chambre 227 >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>

Toujours des murs, toujours des couloirs, toujours des portes, et de l'autre côté encore d'autres murs. Avant que tu n'arrives jusqu'à moi, sur les pas de mon premier parcours, avant de vous rejoindre, vous ne savez pas tout ce qu'il a fallu traverser : des analyses, des portes, encore des analyses, des résultats clairs, la lecture de certains poètes, un écrivain tchèque, des résultats sans commentaire, de l'inquiétude, des angoisses traitées chimiquement, des lignes rédigées sur le lit, des suppositoires, des rêves, des images, des horloges dans la ville, des montres perdues ou cassées, un pyjama bleu, un chocolat chaud, des vrais sommeils de fatigue, des chevaux, des réminiscences, des bouts de films silencieux, des endormissements chimiques, des cauchemars, des flashs, des portes ouvertes avec la lumière de néon, un œil qui me regarde, des pilules, des blouses blanches, des savons étranges. Mais tu es là à portée de regard, à portée de ma main, à portée de ma voix : je peux te raconter maintenant mes délires d'écriture, des flashs la nuit, la perte de ma montre, les entrées brusques des infirmiers la nuit. Tu pourrais chercher ma montre. Je suis sûr qu'elle est cassée.


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Je te donne la photocopie de ce texte, la scène du café dans Deux ou trois choses que je sais d'elle de Jean-Luc Godard dont j'ai gardé l'original. Je le lis tous les jours avant de m'endormir, pour tenir bon. Voici comment Juliette à 15h37 voyait remuer les pages de cet objet que dans le langage ou en linguistique on nomme une revue. Et voilà comment environ 150 images plus loin, une autre jeune femme très semblable, sa sœur, pliait le même objet. Où est donc la vérité, de face ou de profil ? Et d’abord, un objet, qu’est-ce que c’est ? Peut-être qu’un objet est ce qui permet de relier, de passer d’un sujet à l’autre, donc de vivre en société, d’être ensemble. […] Je voudrais retrouver ma montre et j'aimerais mettre des lunettes de soleil. Je revois ce pyjama bleu enfilé dès le début de mon séjour. Avant l'effet des médicaments, le long couloir m'entraînait vers la télé. Un homme de dos, assis, portait le même pyjama bleu. Lorsque je me suis avancé un peu, il n'avait pas de pantoufles et je vois encore qu'il avait les mêmes chaussures de ville que moi. Effrayé par le fait qu'il me ressemblait un peu.


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Je me souviens qu'une autre personne parlait de permissions de sortie à une femme qui elle-même était là depuis longtemps. J'essayais d'ouvrir la fenêtre sans succès. Je sentais l'effet des médicaments, l'endormissement devant le journal télévisé. Je suis allé me coucher, en buvant une tisane dans ma chambre. Je pensais à ma grand mère maternelle, morte de fatigue, en souriant. Moi, une mort psychique. Des rêves sur le linceul affirmant que le carbone 14 révélait ce que l'Église ne pouvait dire. Je regarde mes draps tous les jours.


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Je vais m'endormir un peu. Regarde si tu ne trouves pas ma montre sous le lit. Dès que le soir tombe, l'heure m'est donnée par la taille et la couleur des pilules.

J'aimerais te montrer aussi la collection de photographies érotiques laissées par un patient. Il m'a raconté ses séjours dans une maison d'enfants où il allait passer ses nuits dans le box fermé d'une monitrice surveillante 4 ou 5 ans plus âgée que lui. Toute la journée, il ne pensait plus qu'à elle et à la nuit qui arrivait, aux nuits déjà passées, nus tous les deux, enlacés au milieu du dortoir. La journée, il attendait son retour dans la piscine, où elle lui apprenait à mieux nager dans le brouhaha des sports collectifs. Il a essayé de retrouver cette maison du Mont-Dorée à Gap, près de Pau, détruite plus tard pour harcèlement sur les employées, abus de biens sociaux et fraude fiscale. Des coupures de presse lui ont appris que la direction recrutait de jolies monitrices par un véritable casting, se faisait payer par l'État pour améliorer la santé d'enfants et pré-adolescents asthmatiques avec énurésie épisodique. Ces soixante-huitards à la tête d'un établissement de santé prenaient médicalement les cas les moins graves... Une carte verte transformée en carte bleue.


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Bref, il m'a montré toute la correspondance qu'il a entretenue avec elle pendant près de huit ans. Il m'a expliqué que depuis il collectionnait des photographies s'approchant des moments passés avec elle, des nus lui ressemblant, des vêtements la voilant et la dévoilant, comme dans tout processus photographique. Une esthétique très précise de l'érotisme, essayant de réenchanter ou de se réapproprier la vulgarité de l'@-e-rotique mondialisée sur internet. Il essaie aujourd'hui de peindre pour dissoudre ces photographies quelquefois trop précises, ralentir ou dilater des sortes d'apparition, éliminer certains détails impossibles pour lui, s'approchant ainsi paradoxalement plus précisément de ses bouffées mélancoliques et alcoolisées. Depuis ces vacances dans cette maison d'enfants entourée de soixante-huitards transformés, d'un prêtre, d'un militaire en retraite, et de jolies monitrices. Son récit a provoqué sur moi des angoisses, une espèce de régression infantile, la peur de l'abandon. Moiteur du corps, bouche sèche, je pensais à la mort de mon voisin, miroir de la même maladie, angoisse égoïste de sa propre mort, ou plutôt l'angoisse de la mort de l'autre comme la sienne propre. L'altérité de l'autre, donc l'altérité de son propre corps. Un autre voisin m'a raconté le long passage de son corps dans le tube


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du scanner avec l'idée que cette machine allait lui dire exactement où son corps en était, en trois dimensions. Toutes ces données étaient inscrites, numérisées sur un disque dur. L'intérieur de son corps dans sa poche. Je pensais à mon fils, à sa chambre. Le médecin m'a conseillé de ne pas le voir pendant un petit moment, ou plutôt qu'il ne me voit pas dans cet état là. Tu as vu la partie ancienne de l'hôpital, là où l'horloge est cassée. On dirait un vieux château. Devant, au soleil, on voit quelques personnes âgées. Des couloirs verts, du caoutchouc brun craquelé avec une odeur d'alèse jaune, mélange d'urine imprégnée et de matière fissurée.


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Seul le sol est lisse pour les chariots, les brancards à roues pneumatiques sortis de l'ambulance, les chaises roulantes devant des télévisions roulantes, les petites étagères à roulettes pour les pilules rondes et colorées. Le royaume de la roulette. Je dors, je me réveille encore, des flashs de lumière, encore des pilules, automatiquement des lignes écrites sur l’oreiller, les draps, des cauchemars, des suppositoires à l’odeur de théophylline butobarbital de mon enfance asthmatique. Cela m’endormait et endormait ceux qui voulaient me soigner. Faire taire le mal, s’endormir collectivement. J’ai besoin de dormir. Plus loin j'entends une litanie, à la fois débile et belle dans sa folie collective : Allô, t'as pas de shampoing ? Alllllô ? T'es une fille et t'as pas de shampoing ? Alllôoo, c'est comme si on disait t'es une fille et t'as pas de cheveux. Un chuchotement en boucle, comme si on te susurrait quelque chose à l'oreille, une façon de te rappeler une société en train d'écouter et de regarder son propre effondrement, par les moyens qui la mettent en danger, proche des formats publicitaires et des slogans politiques. Cela énonce la com contemporaine autour de conversations surréalistes.


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J'essaie de l'imiter au plus près, avec des variations aigües, basses, traînantes. Avec la voix de Bourvil, de Marielle « vous n'auriez pas un broc d'eau », de Serrault dans La cage aux folles, d'Arditi avec un ton absurde, d'Isabelle Huppert dans Rien ne va plus. Ce son dans la chambre d'à côté vient d'une jeune voisine malade du cœur et anorexique, maladie féminine de notre monde contemporain après l'hystérie du siècle dernier. Sa sœur plus âgée a dansé pour elle dans le hall de l'hôpital. Un cancérologue m’a avoué ne plus pouvoir soigner comme il l’avait fait jusqu’ici, que la majorité des cancers avaient des causes profondes et silencieuses. Il m’a décrit des cas et donné à lire ses courriers avec certains confrères en psychiatrie, dans lesquels ils font le lien par exemple entre un cancer de la vessie et la difficulté à trouver et organiser son propre territoire… Ils évoquaient aussi un lien entre constipation et autoritarisme maladif. Finalement une certaine logique des symptômes entre blocages psychologiques et développement de maladies dites purement somatiques. Le corps nous montre, on le fait taire, on n’y voit rien. Interfaeces et urinam nascimur déplace la peinture vers ce qu’elle n’est pas uniquement : l’origine du monde. Tu sais, elle avait refusé de revenir chez le psychanalyste car il portait des souliers vernis. Ma montre s’il te plaît. Je suis sûr qu’elle est cassée, sans doute dans un coin poussiéreux de la chambre, poussée pendant le ménage.


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Un médecin m'a rappelé que les photographies de Gaëtan Gatian de Clérambault, psychiatre, se trouvaient au Musée de l’Homme. Il était au service des admissions en urgence des aliénés, et a notamment observé de nombreux cas d’érotomanie (délire passionnel également appelé syndrome de Clérambault). Au cours d'un entretien, celuici découvre l’étrange passion érotique d'une couturière irrésistiblement attirée par le contact sensuel de la soie. Troublé lui-même et sensible aux effets des étoffes, il s’est intéressé de plus en plus au rendu photographique du plissé des vêtements. Sa thèse Le cri de la soie porte sur ce fétichisme particulier. Ce même médecin m'a appris qu'à Lyon les brodeuses et couturières donnaient des conseils aux chirurgiens pour améliorer les points de suture, sans perdre trop de temps, afin d'éviter des hémorragies trop longues. S.A.


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De : S.A. / 09:29:52 >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> Objet : Éternuement >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>


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De : S.A. / 09:29:52 >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> Objet : Baîllement >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>


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De : S.A. / 12:45:15 >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> Objet : Les Énervés de Jumièges >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>

Pour répondre à votre question, vous pouvez voir ce tableau du peintre Luminais (1880) au Musée des Beaux-Arts de Rouen. Pour résumer, vers 660 deux frères profitent du départ de leur père Clovis pour prendre le pouvoir. Leurs parents décident de les punir en brûlant les nerfs de leurs jambes. Il faut comprendre le mot énervé à l’inverse de sa signification moderne, c’est à dire quelqu’un à qui on a coupé les nerfs et tendons, devenu apathique. Ils sont placés à la dérive sur la Seine, vers Jumièges. Le peintre décide de représenter ces deux frères, incapables d’agir, observant la nature au gré des aléas d’un fleuve. Curieusement, j’ai l’impression que ce tableau romantique redevient aujourd’hui très politique. S.A.


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De : S.A. / 10:10:05 >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> Objet : Calcul >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>

Ne vous semble t-il pas très curieux d’observer une correspondance réglée entre la connaissance des phénomènes économiques internationaux et la perversité de ceux qui les comprennent le mieux ? On pourrait collectivement assumer, sans jugement ni chasse aux sorcières, que l’économie et peut-être même le ministère qui tente de la diriger soient donnés à des gens brillants en calculs, avocats, médecins, repreneurs d’entreprises, spécialistes des ventes ici d’objets faits là-bas par des gens sous payés, rapides pour comprendre les mécanismes les plus complexes tout en étant pervers sexuellement. Nos cochons ont sans doute besoin de l’anonymat d’une économie mondialisée, profitant de voyages et de paradis qui ont l'air, en tout cas pour eux, bien réels. Les composants du sperme, testostérone, œstrogène, FSH, LH et surtout les prostaglandines, ont-ils un rapport avec le calcul ? On pourrait alors se dire qu’on se fiche complètement de savoir si les nouveaux cerveaux en économie sont de gauche ou de droite, ou s’ils portent une montre suisse à gauche ou à droite, ou si la voiture de luxe vue sur des photos de paparazzi appartient à tel ou tel représentant public. Il faudrait peut-être se souvenir de Baudelaire, dans Les Paradis artificiels, pour qui « les vices de l'Homme sont la preuve de son goût pour l'infini. Seulement, c'est un goût qui se trompe souvent de route ». Le foutre au cerveau peut donner d'excellents économistes. Mais peut-être aussi des jean-foutre ?


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De : S.A. / 09:29:52 >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> Objet : Beuys aux États-Unis >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>

Dans I like America and America likes me, l’artiste allemand Joseph Beuys arrive aux États-Unis, il est débarqué de l’avion, se cache la vue et évite de toucher le sol hors de l’aéroport JFK. Deux voitures, celle du galeriste et une ambulance, sirène et gyrophare en activité, l’attendent pour le conduire vers New York. Une fois dans la galerie, il va être enfermé dans une cage avec un coyote sauvage. L’homme et l’animal partageront le feutre, la paille, et quelques journaux. Beuys apprivoisera l’animal par le son de sa voix en lui lisant le Wall Street Journal, qui servira ensuite de litière. Outre toute la symbolique démonstrative de la nature opposée à la ville, du rejet de la guerre du Vietnam, du refus d’une certaine presse, le rejet global d’un certain cynisme américain est probablement au centre de ses intentions. Je vous recommande de regarder les séquences filmées dans l’ambulance utilisé par Beuys, entre l'aéroport JFK et la ville de New York. Une espèce de coquille d’une très grande simplicité, véritable boite ambulante ouverte sur le monde, très éloignée de l’univers carcéral et sombre de la cage où Beuys place très intelligemment l’humanité en face de son propre archaïsme. Pour éviter de payer des droits, je vous suggère, dans une économie formelle, pour la publication, ces deux vues de son trajet.


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De : S.A. / 10:24:11 >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> Objet : Radiographies trouvées. Ancienne maternité >>>>>>>>>>>>>>>>> >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>

Nous avons trouvé deux radiographies anonymes d’un enfant, de face et de profil, dans le couloir de l’ancienne maternité en fin de déménagement. Radiographie anonyme, de nous tous. Il est notre enfant, notre père, nous-même. Notre ami, notre frère. Aucune date ne figurant sur ce document, la radiographie de ce petit être est en fait la fragilité de l’humanité toute entière.


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De : S.A. / 23:10:00 >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> Objet : Couveuse >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>

Longeant les couloirs vides, des portes, encore des portes, et scrutant les salles de la maternité en fin de déménagement, j’ai vu une couveuse en cuivre avec une bouillotte en cuir, en peau retournée. Une couveuse conservée dans de la paille, surmontée d’une cloche de verre à ouverture en œil-de-bœuf. Le liquide chaud passait dans le cuivre au-dessous d’une réserve en peau retournée sous un matelas de feutre dont l’épaisseur assurait une température stable de 37°C. Pour éviter qu’on ne l’abîme, je l’avais placée près de l’horloge, dans les combles du grenier de l’Hôtel-Dieu qui, à la différence de la maternité, ne sera pas détruit. Je vais essayer d’en faire faire un dessin car je ne l’ai pas retrouvée. Pourriez-vous demander à vos services ? Cordialement. S.A. Veuillez trouver ci-joint une archive photographique de l’hôpital. Une autre couveuse ? Est-ce vraiment la même ?


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De : S.A. / 03:10:25 >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> Objet : Les échoués >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>

Docteur, Je trouve que les clochards sont de plus en plus nombreux à Paris et vous transmets une lettre à Ravi, personne sans argent ni résidence vivant rue Richelieu devant la Société française de photographie. Est-ce toi ce voisin, mon frère, mon ami ? Est-ce vous l’être permanent observant les passants, les flâneurs, vos proches voisins d’un moment ? Vous, vous gardez le lieu, l’endroit d’où personne ne regarde car on n’y voit rien de là, en bas, ou en arrière, là, le lieu de toutes les archives possibles. D’Afrique, D’Asie, D’Inde. Par quel voyage venez-vous ici ? En revenant en arrière, sans doute sommes-nous à un point où tout a basculé ? Il y a combien de temps, à quel moment la grosse toupie a commencé à vaciller, à sortir de son orbite, de son AXE, de ses petites affaires. À quel moment pour toi, pour moi, pour nous ? Et puis à quel moment plus de vous, du tu ? Souvent le matin, je vous vois claudiquer dans la rue et le métro. Quelles sont les strates de votre oignon ? À quels moments les autres, vous, moi, on vous a nommé clochard, réduit à ne plus vous voir, à te considérer comme un errant ralenti, puis s’arrêtant lentement là où il fait chaud par dessous, là, où par le fond grondent les archives, d’autres histoires. La SFP est une société de photo. RAVI vous êtes une personne sri lankaise parlant un mélange de cingalais, anglais et français, une sorte de quatrième langue. Je recommence. Les échoués ou les bouteilles à la mer de S.A. ou au mieux une vraie correspondance étrange de SA. Est-ce toi mon voisin mon frère mon ami, est-ce toi ma compassion d’un moment ? Est-ce toi le permanent qui regarde les reportages passer ? Est-ce vous la dignité du temps du reportage ? Vous, vous gardez le lieu, l’endroit d’où personne ne regarde car on n’y voit rien. D’Afrique ? D’Asie ? Ah oui, vous m’avez demandé, j’ai dit : « De quel voyage viens-tu ? » C’est moi, peut-être, un jour où tout bascule et j’ai pensé tout seul sans doute pour vous : la grosse toupie commence à vaciller, à sortir de son orbite, de son axe, de ses petites affaires avec le monde. Souvent, je vous vois claudiquer dans le métro. Quelles


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sont les strates de notre oignon ? Qui sont-ils, réduits à ne plus vous voir ? À vous considérer – pardonnez-moi – comme l’errant ralenti puis s’arrêtant là où il fait chaud par dessous, là, où par le fond grondent les archives que personne ne connaitra vraiment pour toi. J’ai compris que vous étiez sri lankais, les archives ? Vos archives three lankaise ? Tes archives ? C’est la photo de votre maman ? « Monsieur vous respirez ? Vérifiez son identité. Vos papiers s’il vous plaît ? » La voix du pouvoir installé, répétons en cœur « Vos papiers s’il vous plaît ? » La voix de l’institution (c’est nous) vous associant au flux des marchandises validées ou non, aptes ou non, toujours légitimées, bien entendu, mais à qui jamais on ne demandera « Tes papiers s’il te plaît ? » Mais lui il ne faut pas lui en vouloir car il fait son travail. Vous, vous n’avez pas pu vendre de la drogue. Et sans doute vous en avez besoin comme nous les prochains échoués, les futurs. Nous ferions mieux de vous demander des conseils pour survivre, et d’ailleurs vous devriez écrire ? Non ? Oui, bien sûr je comprends. J’ai compris que vous ne vouliez pas rester au centre, car au centre c’est le lieu du contrôle de l’hygiène, mais aussi de l’hygiène du centre et rue Richelieu en fait partie. En fait, votre adresse est-ce bien RAVI, grille des archives de la Société francaise de photographie de Richelieu, Paris centre ? Ou en recherchant sur VOOGLE French society of photography

Les archives, ou le fond qui remonte à la surface. Et d’ailleurs puis-je vous tutoyer ? Aimerais-je lorsque je serais au pied du mur comme vous que l’on me tutoie ? Tu vous je nous, je suis partagé, écrire sur vous Ravi m’a mis en pleurs car vous êtes mon frère, un bipède à encéphale développé et à pouce un peu moins préampteur, et vous avez la force encore d’être souriant ou d’être en colère. Je ne sais pas si Baudelaire bottait le cul des clochards vieillissants. Je ne sais pas si ailleurs dans le monde on ose demander ses papiers à quelqu’un à terre. Je ne vous connais presque pas. Vous êtes sri lankais sans doute et si j'en crois internet : un départ idéalisé vers une terre promise qui a toujours été très accueillante pour les ouvriers et les riches. Ravi, je voudrais voir la photo de votre maman, de votre papa, peut-être de votre enfant, mais je n’ose pas. Comment aurais-je le droit de plonger dans vos archives ? Non, bien-sûr, je vais regarder des archives collectives, je vais faire peut-être une petite thèse me permettant de ne jamais m’occuper de vous. Je suis un lâche, Ravi, car je suis dans la tistique et fais semblant, j’écris et le lendemain je ne suis ni riche ni ouvrier mais pas clochard, car mon père est marin et ma maman m’a soigné, comme la vôtre, n’est-ce pas Ravi ?


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Je continue à écrire et ne sais comment m’arrêter car j’ai peur de la chute de la toupie, j’écris avec un Galaxy 2 et sa lumière blafarde, lisse, internationale m’éclaire tout de même sur vous et moi (l’ombre de ma main au plafond), de moi à vous. Je vous ai photographié avec ce téléphone de gestapette, j’ai regardé sur Wikipédia Sri Lanka, clochard, googleearth, photo street, Richelieu, image. On y voit votre simulacre de camouflage, où vous représentez un épouvantail allongé dans vos duvets. Pour vous libérer de ce fardeau et vous promener un peu, aller vous laver, regarder autre chose que la French society of photography. Empreinte ou éponge. Sa ou ça. J’aimerais vous montrer par internet (dedans sur un clavier de la SFP) une image négative dont l’original n’est pas loin, rue de Rivoli, où l’on voit la vierge, peut-être enceinte, visiblement de l’un des spectateurs en arrière-plan (confirmé par Wikipedia). C’est une image datant actuellement de plus de deux cents ans faite par un peintre qui s'appelle le Caravage. Et aussi dans les tiroirs de la SFP, une archive d’un photographe, Louis Vert, où l’on voit quelqu’un qui dort ou qui chute ?


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De : S.A. / 09:27:30 >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> Objet : Photographies sur l'hystérie >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>

Le terme d’hystérie vient du mot grec hystera proposé par le médecin Hippocrate, signifiant utérus. Les médecins, dès cette époque, associaient cette maladie à une source défaillante. D’après cette croyance, lorsqu’il demeure stérile et sec trop longtemps, entre la puberté et la ménopause, l’utérus devient inquiet et cherche de l’humidité plus haut, s’avançant à travers le corps, en gênant la respiration de la patiente, provoquant de grandes souffrances et toutes espèces de maladies. Au Moyen Âge, les hystériques (folles, sorcières, etc.) étaient considérées comme possédées par le diable et souvent brûlées. En 1632, à Loudun, la supérieure d’un couvent d’Ursulines, mère Jeanne des Anges et les autres religieuses affirmèrent avoir été ensorcelées par le curé Urbain Grandier (curieusement à la fois très bel homme, favorable aux protestants et hostile à Richelieu). Pourtant innocent, il fut torturé et brûlé vif après un témoignage hystérique de l’une des sœurs l’accusant nominativement. Cette célèbre affaire donne une idée de la peur que suscitait chez ces femmes leur propre sexualité. Le professeur Charcot observe cette maladie à la fin du siècle dernier. Il entre dans la salle où la patiente l’attend dans une relation fantasmée, en réagissant vivement, quelquefois se découvrant à la seule vue d’une blouse blanche et des symboles liés à l’autorité médicale. Le professeur calme la patiente hystérique et déclenche une hypnose à ce moment-là : « Vous respirez profondément, tranquillement, tous vos muscles se détendent, vos paupières sont lourdes, vous les fermez, vous sentez une agréable sensation de lourdeur vous envahir, vous êtes merveilleusement bien, vous glissez lentement, irrésistiblement dans un sommeil réparateur. » Les sujets hystériques sont hypnotisables, et bientôt la réciproque s’impose : les sujets hypnotisables peuvent sur commande devenir hystériques. Les conditions de la grande crise décrites par Monsieur le professeur étaient réunies avec tour à tour sous son autorité : syncopes, épilepsies, contorsions, regards révulsés, tétanies, extases puis états seconds, somnolents, amnésiques, puis vénérations, visions et réminiscences que le photographe Albert Londe pouvait fixer « scientifiquement pour permettre au médecin de prouver le bienfait de son action ». En regardant bien ces photographies, je vois une patiente qui essaie de se cacher, extrêmement énervée, l’air de se moquer du pouvoir, tirant la langue à ceux qui l’observent. Trente ans plus tôt, Flaubert écrivait Madame Bovary.


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De : S.A. / 10:10:05 >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> Objet : Dermatologie >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> J'ai trouvé ces vieilles photographies du service de dermatologie où l'on voit juste ce que l'on peut voir sans appareillage technique : la peau, là où le corps révèle tout seul ce qu'il a à dire, la surface de l'oignon. S.A.


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À Paulin.

Remerciements : Grégoire Amand, Anne Attali, Clément Balcon, Émilie Battais, Sophie Baudet Michel, Antoine Bénard Nioré, Jacques Bœsch, Monique Bof, Dr Étienne Bonbon, David Cazals, Dr Philipe Chabert, Dr Arnaud de Champfleury, Maylis de Champfleury, Marc Chateauminois, Aline de Christen, Cristina et Arnaud Corbier, Denis Corbier, Emmanuel Corbier, Sylvie Degermann, Dominique et Hubert Faure, Nicolas Feodoroff, David Gauthier, Nathalie Giraudeau, Jean-Marie Gleize, Dr Claire Granier, Philippe Hamel, Guy Hayon, Jacques Hebert, Dr Arina Krasnikova, Luce Lebart, Sandrine Lebrun, Guy-Pierre Martin, Prof Franck de Montleau, Alice Moscoso, Grégoire Perrier, Michel Poivert, Geneviève Ponselle, Claire et Laurent Ponselle, Ravi, Matthias Romvos, PaulLouis Roubert, François Saint-Pierre, Paul Sztulman, Patrick et Laetitia Talbot, Justine Verneret, Jean-Daniel Zeller. Merci à Blanche et Brigitte.

Stanislas Amand est diplômé de l'École Nationale Supérieure de Photographie (1991) et titulaire d'un master d'urbanisme (1999). Il a été pensionnaire de la villa Médicis à Rome (1997/98) et enseigne à Sciences-Po depuis 2011. stan.amand@orange.fr


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Crédits photographiques Archives Stanislas Amand Photographies : pp. 22 (Cabinet d’ophtalmologie, 1994), 26-27 (La visite, 1995), 38 (Série Miroirs, 1994) Videostills (no.) : pp. 11 (32), 22 (402), 28 (404), 41 (422), 42 (431, 432), 43 (435, 437), 44 (502), 51 (536), 52 haut (601), 53 haut (675), 54 (676, 677), 55 (679, 681), 57 (15) , 58 (634, 22, 16), 59 droite (18), 61 (27, 27, 701), 62 (17), 63 (685), 76 (802, 820, 818) Internet : pp. 12, 13 bas, 19, 37, 39, 45, 46, 47, 60, 65 haut, 69 Archives Monique Bof, Chambéry pp. 140-141, 159, 172, 173 Archives Centre Hospitalier de Chambéry pp. 9, 36, 53 bas, 71, 72, 89, 90, 120, 121, 123, 126-129, 170, 171, 174-193, 196, 197 Archives Marcel Christin, Genève pp. 146 (sculpture de Gérard Musy), 147 (tableau de Gérard Roth) Archives Hôpitaux universitaires de Genève pp. 3, 4, 7, 13 haut et centre, 16-18, 20-21, 33-35, 52 bas, 81-87, 92-119, 122, 124-125, 130-133, 134139, 142-143, 148-157, 160-169, 194, 195, 198-205 Michelangelo Antonioni, La Notte, 1961 (captures), p. 56 Josef Beuys, I like America and America Likes me, 1974 (captures), p. 70 Pieter Brueghel le Jeune, Le Bailleur, XVIe, Musées royaux des beaux-arts de Belgique, p. 67 Le Caravage, La mort de la vierge, 1604-1606, Musée du Louvre, p. 77 haut Gaëtan Gatian de Clérambault, 1915-1917, Musée de l’Homme de Paris (détail), p. 65 bas Richard Massingham, Coughs and Sneezes, 1945, film d'information du Ministère de la Santé britannique (captures), p. 66 Jean Mohr, Musée de l’Élysée, p. 10, 144, 145 Négatif de l’empreinte antérieure du linceul de Turin ou Saint Suaire, p. 59 gauche Paul Régnard, Augustine, Iconographie photographique de la Salpêtrière, Paris, 1878, p. 79 Jean-Marc Thommen, Improvisation 3, 2013, intervention murale, Le Pavillon de Pantin (détail), p. 48-49 Évariste Vital-Luminais, Les énervés de Jumièges, 1880, Musée des Beaux-Arts de Rouen, p. 68 Louis Vert, Paris, début XIXe, Société française de photographie, Paris, p.77 bas p. 15, sélection d’images des archives précitées et des auteurs suivants: Pieter Brueghel, Luis Bunuel & Salvador Dali, Jean-Martin Charcot, Le Bernin, Jean-Luc Godard, Guillaume Duchenne de Boulogne, Karl Blossfeldt, Gaëtan Gatian de Clérambault, Eadweard Muybridge, Lewis Hine, Walker Evans, Weegee, Mies Van der Rohe, Jacques Tati, Gary Winogrand, Diane Arbus, William Eggleston, Robert Adams, Gerhard Richter, Mike Kelley


La découpe de la couverture permets de réunir les différents volumes de cette édition

Approchez les deux livres

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Les deux livres sont joints

Cet ouvrage, tiré à 800 exemplaires, est composé en Fleischmann (Dutch Type Library), Vitesse Sans (Hoefler & Frere-Jones) et FindReplace (Process Type) et imprimé sur papier Condat Matt Perigord 100 g/m2 450 exemplaires supplémentaires sans découpe de la couverture sont tirés pour l’édition française Conception graphique, maquette et composition : relativ.design, Pantin Photolithographie : relativ.design, Pantin Achevé d’imprimer en juin deux mille treize sur les presses de SRO Kundig à Genève pour les HUG



Lettres à un médecin

Stanislas Amand

Stanislas Amand

Lettres à un médecin

De 1897 à aujourd’hui – Histoires d’un art hospitalier Sous la direction de Anne-Laure Oberson

25 €

9 791092 265064

André Frère Éditions


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