Les émotions, résultante entre architecture et lumière_RDE

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LES ÉMOTIONS RÉSULTANTE ENTRE ARCHITECTURE ET LUMIÈRE Alexiane BAUDIN S6SA / Rapport d’études Enseignement sous la direction de Théa MANOLA Encadrement et suivi par Aysegul CANKAT École nationale supérieure d’architecture de Grenoble Année universitaire 2019/2020

“Plus claire la lumière, plus sombre l’obscurité... Il est impossible d’apprécier correctement la lumière sans connaître les ténèbres.”1

3
1.
URL : http://evene.lefigaro.fr/citations/mot.php?mot=lumière

INTRODUCTION...........................................................................................6-7

I. LA LUMIÈRE COMME MOTEUR D’ÉMOTION.................................................8

a. Les dispositifs d’entrée de lumière et leur évolution temporelle......................8-9 b. Les effets sur l’architecture.......................................................................10-12

c. Les ressentis personnels face aux qualités lumineuses.................................12-13

II. LA LUMIÈRE COMME PARCOURS DE MÉMOIRE.........................................14

a. La lumière, guide au sein du parcours......................................................14-16

b. La lumière, aide à la mémoire et aux souvenirs.........................................17-19

III. LA LUMIÈRE COMME PENSÉE DE L’ARCHITECTURE...................................20

a. Chez Tadao Ando..................................................................................20-21 b. Chez Peter Zumthor.....................................................................................21 c. Chez Louis Kahn.....................................................................................22-23

CONCLUSION .........................................................................................24-25

TABLE DES ILLUSTRATIONS........................................................................26-27 BIBLIOGRAPHIE.............................................................................................28

4 5 SOMMAIRE

INTRODUCTION :

ET LA LUMIÈRE FÛT !

Les émotions font partie intégrante de nos vies au quotidien et varient suivant chaque événement que nous vivons. Ces émotions peuvent être créées à l’intérieur de nous par des paroles que l’on nous dit, des sons que l’on entend, des choses que l’on voit ou des endroits où nous nous trouvons. Le mot « émotion » vient de movere qui signifie « mouvoir au-delà » ou « émouvoir »2, et se définit en psychologie selon Aristote par « tous ces sentiments qui changent l’homme en l’entraînant à modifier son jugement et qui sont accompagnés par la souffrance ou le plaisir »3. La lumière naturelle fait également partie intégrante de nos vies grâce au soleil. Elle est présente chaque jour suivant différentes intensités au cours des jours et des saisons et interagit avec chaque élément présent sur terre de différentes manières. Elle apporte une qualité vitale essentielle à la vie végétale mais aussi humaine, puisqu’elle peut influencer nos émotions comme lorsque nous sommes triste un jour de pluie ou heureux lors d’un jour ensoleillé. L’architecture, en intégrant la lumière, peut provoquer l’apparition de ressentis, de sensations mais aussi d’émotions plus ou moins forts chez l’homme.

Pour moi, un des pouvoirs de l’architecture est qu’elle arrive à faire ressentir des émotions grâce à ses formes, à ses matériaux, à ses ambiances (acoustique, thermique, lumineuse, et autres). L’architecture n’est pas que technique, structure ou construction inscrite sur un site avec un contexte. Elle est bien plus complexe et abstraite que cela. C’est une œuvre qui vit au fur et à mesure des années, qui se remplit de souvenirs et en créent chez l’homme, qui vieillit comme l’être humain et qui raconte des histoires grâce aux marques laissées en elle comme le sont les cicatrices chez l’homme. Cet effet se ressent chez l’homme grâce à l’éveil de ses sens lorsqu’il parcourt une architecture. J’aimerais pouvoir réaliser des espaces qui accompagnent l’utilisateur de manière exceptionnelle ou quotidienne, qui laissent une trace dans sa mémoire.

Cette vision de l’architecture qui m’est propre a débuté dès l’enfance, en CM2, lors de l’apprentissage du dessin en perspective appliqué à notre chambre. Cet intérêt a évolué au cours des années grâce à ma passion pour la photographie, qui ne cesse de grandir encore à l’heure actuelle. Cette passion me permet de porter un regard nouveau sur l’environnement et les bâtiments qui m’entourent. Et particulièrement la manière dont ils vivent et sont mis en valeur grâce à la lumière. Cette sensibilité à la lumière vient très certainement du fait que mon père est électricien et se charge dans une partie de son métier de mettre en valeur des espaces grâce à l’éclairage artificiel. À travers les expériences vécues au cours de

2. SANDER David, « Psychologie des émotions », URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/ psychologie-des-emotions/

3. BRUNEL Marie-Lise, « La place des émotions en psychologie et leur rôle dans les échanges conversationnels », URL : https://doi.org/10.7202/032338ar

ma vie et les structures architecturales visitées, j’ai pu ressentir que suivant les espaces les sensations sont très variées et l’architecture, de quelque nature qu’elle soit, accompagne ces ressentis. Depuis le début de mon cursus à l’ENSAG, les enseignements et voyages d’études m’ont enrichie. Les apports théoriques m’ont permis de comprendre comment l’architecture arrive à produire de telles sensations sur l’être humain. Certains travaux pratiques de manipulation d’espaces à petite échelle et d’évolution grâce à la lumière m’ont prouvé que cette dernière pouvait provoquer des émotions. Les studios de projet sont très formateurs quant à la réflexion sur les espaces en fonction des ressentis que l’utilisateur éprouvera.

J’ai ressenti l’effet de l’architecture sur l’homme pour la première fois grâce à celle à travers laquelle on vit quotidiennement, la maison familiale. Où, lors d’un dimanche après-midi nuageux ou pluvieux, on se sent morose à cause de la faible lumière qui parvient péniblement jusqu’à l’intérieur, à travers la baie vitrée et les rideaux en dentelle (Fig.1). Puis, grâce à des voyages personnels comme au cœur des traboules lyonnaises menant à des cours intérieures d’immeubles (Fig.2), où la lumière du ciel pénètre jusqu’en bas en se dégradant sur les façades, ce qui donne une lumière douce et enveloppante lorsqu’on y prête attention. J’ai pu ressentir sa qualité de guide de nombreuses fois lors de randonnées en forêt, car elle parvient à transpercer légèrement les feuillages de la canopée, moins dense au niveau des chemins, et trace donc le chemin à suivre au-dessus de nos têtes (Fig.3). Ces expériences combinant architecture et lumière m’ont touchée et résonnent en moi pour l’écriture de ce rapport d’études. C’est une magie pensée par l’architecte et c’est ce vers quoi j’aimerais orienter ma profession future : la création d’espaces capables d’émouvoir sur l’instant, mais également de marquer à vie.

Dans ce rapport d’études, je m’interroge sur la façon dont la lumière, en se mêlant à l’architecture, arrive à susciter des émotions chez l’homme de manière pratique mais également théorique. J’expliciterais dans un premier temps comment la lumière peut s’introduire dans l’architecture et provoquer des émotions chez l’individu en m’appuyant sur une des réalisations de Le Corbusier. Dans un second temps, j’aborderais la notion du parcours lié à la mémoire et donc à des émotions particulières à travers une œuvre de Daniel Libeskind. Puis, dans un troisième temps, je me pencherais sur la pensée de la lumière en architecture décrite dans les écrits de trois architectes que j’affectionne : Tadao Ando, Peter Zumthor et Louis Kahn.

Fig.1 : Baie vitrée de la maison familiale

Fig.2 : Cour intérieure d’un immeuble de Lyon

Fig.3 : Feuilles des arbres du Parc de la Tête d’Or

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1.

LA LUMIÈRE COMME MOTEUR D’ÉMOTIONS

La lumière, pour pénétrer dans l’architecture, nécessite des ouvertures ou d’autres dispositifs. Ceux-ci produisent de multiples effets au sein de l’architecture, explorée ensuite par l’utilisateur qui, grâce à ses sens, sera touché par des émotions plus ou moins fortes.

a) Les dispositifs d’entrée de lumière et leur évolution au cours du temps

La lumière peut parvenir à l’intérieur de l’architecture grâce à de très nombreux dispositifs parfois spécifiques suivant les effets désirés au sein d’un espace. Ces dispositifs ont été vus dès la première année du cursus grâce à des références marquantes et connues dans le domaine de l’architecture.

Dès le début de la première année de licence4, l’apprentissage a été illustré par des projets qui sont revenus à de multiples reprises à la faveur de leur richesse architecturale. Je peux citer les Thermes de Vals de Peter Zumthor où la lumière entre dans les espaces à travers des fentes lumineuses situées au plafond, contre les murs (Fig.4), dans le but de donner de l’importance et mettre en valeur le matériau utilisé, spécifique au projet, tant dans son esthétique que dans sa mise en œuvre bien particulière. Dans ce projet on retrouve aussi des fenêtres et des baies vitrées carrées ou rectangulaires qui favorisent un apport direct de lumière à l’intérieur (Fig.5).

4. L1 - S1AX, Pascal ROLLET, Quinzaine d’immersion intensive de rentrée, Découverte expérientielle de l’architecture: apprendre à percevoir et décrire l’architecture, Septembre 2017

5. L1 S1AA, Dominique PUTZ, Studio de projet, Initiation aux fondamentaux de l’architecture. Lecture de l’espace, représentation et géométrie

Nous avons également étudié, lors du premier atelier de projet dirigé par Dominique Putz5, des œuvres de Tadao Ando, telles que des maisons, des ateliers ou des magasins. Tadao Ando étant un architecte donnant un grand sens à la lumière, nous avons pu voir par quels moyens il la fait parvenir à l’intérieur de ses projets. Cela peut se matérialiser par des fentes verticales ou horizontales, sur les murs ou parfois au plafond, uniques ou multiples, qui suivent les géométries des bâtiments par ailleurs simples (carré, rectangle, cercle ou arc de cercle) (Fig.6). Il se sert également d’ouvertures plus standard comme des baies vitrées (Fig.7). Ces deux architectes ont introduit la diversité d’ouvertures pouvant s’intégrer à l’architecture.

La lumière pénètre donc dans l’architecture grâce à des ouvertures variées tant en forme qu’en taille ou en nombre. Mais sa perception dépend aussi de l’orientation du bâtiment par rapport au soleil, des saisons, du moment de la journée ou du dégagement autour du bâtiment (masques créés par la végétation ou les bâtiments environnants).

Nous avons pu combiner et mettre en pratique ces deux notions, ouvertures et rapport au temps, lors d’un exercice de travaux dirigés associé au cours de maîtrise des ambiances axé sur la lumière naturelle, au deuxième semestre de Licence 16. L’objectif était de retravailler l’un de nos projets réalisé lors de l’atelier de projet animé par Dominique Putz, pour réfléchir à de nouvelles ouvertures qui occasionneraient un apport de lumière répondant aux besoins des usages que nous avions redéfinis par groupe et qui nécessitaient un pourcentage d’éclairement minimum pour le confort des utilisateurs. Pour mener à bien cet exercice, nous avons fait une maquette au cinquantième et l’avons exposée à la lumière de l’héliodon afin d’observer les variations de lumière suivant des heures et des mois différents de l’année. Cet exercice m’a permis de comprendre l’importance des apports de lumière en fonction des ouvertures, mais aussi du temps et de son évolution suivant les moments d’une journée ou de l’année.

Les dispositifs d’entrée de lumière liés à la notion du temps ont un impact fort sur les espaces et donnent lieu à de multiples effets dans l’architecture.

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Fig.5 : Façade principale des Thermes de Vals Fig.4 : Fentes de lumière intérieures Fig.7 : Baie vitrée du salon de la maison Koshino Fig.6 : Fentes multiples du couloir de la maison Koshino 6. L1 S2EA , Grégoire CHELKOFF, Maîtrise des ambiances, Lumière naturelle

b) Les effets sur l’architecture

Ces effets produits dans un lieu architectural se caractérisent notamment par des intensités variables créant des sensations différentes lorsqu’on les perçoit.

La lumière naturelle qui s’introduit à l’intérieur d’un espace peut avoir différents types et aspects. La lumière dite directe provient des rayons de soleil arrivant directement sur une surface. Elle peut être diffuse et uniforme au moyen de grandes ouvertures régulières. Lorsque la lumière arrive par le plafond, elle est dite zénithale. Mais elle peut aussi être réfléchie lorsqu’elle est redistribuée dans l’espace après avoir été en contact avec une première surface8. Ces différentes caractéristiques de la lumière apportent des effets et des intensités lumineuses variés dans les projets.

Comme exemple pour illustrer cette partie et certains effets, nous prendrons l’église du couvent Sainte-Marie de la Tourette, réalisée par Le Corbusier de 1953 à 1960. Ce projet m’a interpellée car, par à la mise en place des ouvertures, il crée une atmosphère qui me touche personnellement. N’ayant jamais visité cet édifice, je me suis documentée à travers des photos et des lectures. J’ai appris que cette église ressemble de l’extérieur à un grand volume de béton « aux allures de bunker »9, mais lorsque l’on entre, on se rend compte que la lumière et les couleurs primaires (rouge, jaune, bleu) la mettent en valeur. Les couleurs primaires ayant été souvent utilisées dans les œuvres de Le Corbusier découlent de l’influence du peintre Piet Mondrian. Les ouvertures à l’intérieur de l’église sont de différentes natures pour créer des effets variés au sein de cette architecture. Premièrement, à côté de l’accès à l’église se trouve une fente verticale reprenant toute la hauteur de l’église (Fig.8) pour capter la lumière du lever du soleil. Tandis qu’à l’autre bout, au niveau de la nef, derrière les bancs, se trouvent de longues fentes horizontales colorées de couleurs primaires se faisant face (Fig.9) pour plonger la salle dans des lumières teintées, notamment à la venue du coucher du soleil. Une fente horizontale située en haut du mur accueillant l’orgue permet de laisser s’infiltrer un filet de lumière qui se tamise au fur et à mesure qu’il pénètre vers la nef et le transept (Fig.9).

Ensuite, la sacristie se situant à droite de l’autel reçoit une lumière zénithale grâce à de multiples petits « canons de lumière »10 à la forme géométrique (Fig.10) faisant entrer la lumière à travers la masse de béton, rentrant en contact avec le plafond jaune et se répercutant ensuite sur la sacristie bombée et peinte en rouge (Fig.8). Enfin, pour la partie de la crypte en forme d’oreille située à l’opposé (côté est), le même système de canons de lumière est utilisé mais cette fois ils sont de forme circulaire (Fig.11), de dimensions plus importantes et au nombre de trois.

8. Cf. SAVARD S., « L’importance de la lumière naturelle en architecture », URL : https://idinterdesign.ca/ limportance-de-la-lumiere-naturelle-en-architecture/

9. COPANS R., NEUMANN S., Architectures Paris, Arte et Chêne Éditions, 2007, p. 110 10. Ibid. p. 112

La crypte est un espace très coloré. Le plafond est peint en bleu, l’intérieur des canons de lumière l’est en bleu, en rouge et en blanc tandis qu’une paroi est jaune (Fig.12-13). Cette dernière sert à séparer l’autel du transept de sept autels individuels destinés aux prêtres dominicains. Cette paroi n’atteignant pas le plafond sert simplement à couper les sons et les regards tout en laissant passer la lumière. Tous ces dispositifs mettent en place au sein de l’église une lumière diffuse en journée, qui s’intensifie lors du lever et du coucher du soleil.

Fig.8 : Fente verticale derrière l’autel et sacristie, éclairée par les canons de lumière

Fig.9 : Nef éclairée par des fentes horizontales colorées et la fente horizontale au sommet du mur

Fig.10 : Vue extérieure des canons de lumière éclairant la sacristie

Fig.11 : Vue extérieure des canons de lumière circulaires éclairant la crypte en forme d’oreille

Fig.12 : Crypte colorée, éclairée par des canons de lumière circulaires

Fig.13 : Paroi jaune séparant la crypte de l’autel

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Dans d’autres architectures, la lumière peut avoir des allures plus irréelles comme lorsque la lumière rentre en contact avec le béton mis en place dans les projets de Tadao Ando et produisant des « reflets scintillants de lumière qui s’éparpillent sur les façades »11. Ou également dans le projet du Musée Kolumba de Peter Zumthor où de très nombreuses ouvertures restreintes en façade produisent à l’intérieur un effet recréant des particules de lumière sur le plafond et sur les éléments présents dans le musée (Fig.14-15).

Ces ambiances lumineuses diverses liées aux espaces génèrent des sensations différentes chez l’individu lorsqu’il les perçoit et les expérimentent.

c) Les ressentis personnels face aux qualités lumineuses

La sensibilité et l’émotivité étant propres à chacun, les émotions produites par les qualités lumineuses d’un espace ne se ressentent pas avec la même intensité d’une personne à l’autre. Cependant, chacun est capable de percevoir les changements lumineux et de les interpréter à sa manière.

Lors de la découverte d’une architecture, la phénoménologie entre en jeu. C’est une philosophie qui écarte toute interprétation abstraite pour se limiter à la description et à l’analyse des seuls phénomènes perçus grâce aux cinq sens de l’homme : l’ouïe, la vue, le toucher, l’odorat et le goût. Dans le cadre du cours de Théorie du Projet au quatrième semestre12 « De la phénoménologie et des ambiances aux détails d’édifices majeurs contemporains », nous avons vu à quel point il est important d’inclure les sens de l’homme à l’architecture pour qu’il puisse se sentir concerné, intégré à celle-ci. Cela est une preuve de la volonté de l’architecte de solliciter le visiteur. C’est grâce à cela que l’usager peut ressentir des choses suivant ce qu’il voit, touche, entend, et autres. Les détails qu’il perçoit à travers ses sens pourront le marquer et donc laisser une trace de cette architecture dans sa mémoire. Cela peut se concrétiser par une texture de matérialité, une vue sur un élément particulier, le bruit de l’eau ou du vent. Les possibilités sont infinies suivant le projet, sa mise en œuvre et son contexte.

12. L2 S4AT, Paul-Emmanuel LOIRET et Grégoire CHELKOFF, Processus de conception : De la théorie au détail architectural, De la phénoménologie et des ambiances aux détails d’édifices majeurs contemporains

13. L3 - S5AA, Benoit ADELINE, Studio de projet, Architectonique et technologies de l’architecture, Visite de site à Turin, Octobre 2019

La lumière représentant dans la religion le signe de la vie, elle est un des éléments fondamentaux de l’architecture des églises. À partir de cela, nous pouvons constater que dans le projet de l‘Église du couvent de la Sainte-Marie de la Tourette, la lumière pénétrant dans l’édifice, en majorité tamisée et colorée par les peintures ou les vitrages, appuie l’usage de ce lieu religieux visant la commémoration de Dieu, le temps de prière et le calme. Cette lumière douce invite les usagers à prendre du temps pour eux et donc à entrer dans une introspection personnelle, que l’on soit croyant ou non. La lumière sert alors le projet grâce à une intervention maîtrisée et sensée de par les ouvertures qui permettent de profiter de la lumière du soleil à partir du lever jusqu’au coucher. La découverte et l’analyse de cette église m’ont donné envie de la visiter pour voir cet espace de mes propres yeux.

De manière personnelle, lors de la visite pédagogique de Turin réalisée au début du cinquième semestre, dans le cadre du studio de projet13, j’ai pu ressentir cela de manière flagrante pendant la découverte de l’église du Santo Volto de Mario Botta. La lumière forte de cet après-midi ensoleillé s’intensifiait à certains endroits tandis qu’elle en plongeait d’autres presque dans l’obscurité, ce qui incitait le regard à se concentrer sur l’autel (Fig.16). Cette lumière, malgré son intensité au sommet de l’église, nous parvenait de manière diffuse et m’a incitée à être calme et dans un état d’intériorisation.

Nous pouvons donc dire que la lumière procure des émotions chez l’homme. Cela sert en architecture à susciter des émotions précises suivant les projets et donc de donner du sens à l’œuvre.

2018, p.135

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11. MIGAYROU F., Tadao Ando le défi, Flammarion, Paris, Fig.15 : Effets de lumière dans le musée et sur les œuvres Fig.14 : Effets de lumière sur le plafond du Musée Kolumba Fig.16 : Lumière dirigée vers l’autel dans l’église du Santo Volto

2. LA LUMIÈRE COMME PARCOURS DE MÉMOIRE

Les émotions ressenties dans une architecture sont de toute nature possible. Elles peuvent être légères comme le sentiment de se sentir heureux dans notre habitat, mais peuvent aussi être parfois plus lourdes à porter. La lumière de par ses nombreuses qualités et mises en œuvre dans l’architecture aide à donner du sens aux projets.

a) La lumière, guide au sein du parcours

La lumière peut être présente dans différents endroits d’une même architecture, mais elle peut aussi l’être tout au long d’un parcours et donc servir de guide. La lumière sert de lien d’un espace à un autre, d’une séquence à une autre, pour montrer qu’ils sont connectés et qu’ils dialoguent entre eux.

Ces parties s’appuieront sur l’étude d’un projet de Daniel Libeskind, le Musée juif de Berlin, qu’il a lui-même appelé Between the Lines (Entre les lignes). Il est situé à côté du Musée d’histoire de la ville de Berlin qui prévoyait un usage autre au départ, mais qui fut abandonné à la suite de la proposition de Libeskind. Un musée du judaïsme allemand y fut donc installé, car cet usage était bien plus prometteur et adapté à l’architecture proposée. Le nom du projet est dû à la forme du bâtiment organisé suivant deux lignes, l’une d’elle est brisée mais ininterrompue créant un éclair aux angles vifs, tandis que la deuxième s’insère dans la première par différents segments alignés les uns par rapport aux autres (Fig.17). Ces segments accueillent des zones de vide à l’intérieur du bâtiment. À l’exception de la tour de l’Holocauste et des piliers du jardin de l’exil, qui sont en béton brut, l’entièreté du bâtiment est en béton recouvert de zinc, créant des reflets de lumière et de formes sur les façades. Celles-ci étant comme « balafrées » par des fentes de lumières, semblables parfois à des meurtrières du fait de leur finesse (Fig.18). Ces fentes semblant avoir été disposées de manière aléatoire sur les façades sont en réalité une projection sur le volume d’un plan de Berlin reliant « les adresses réelles et imaginaires des figures emblématiques du judaïsme allemand »14. Grâce à cette forme tirée d’un élément historique lié au futur usage du bâtiment, cela donne de la force et une signification à l’architecture.

Ces ouvertures discontinues et tordues permettent une fois à l’intérieur de guider l’usager à travers le musée bien qu’elles soient parfois assez « emmêlées » ou disparaissant dans les sols ou les plafonds (Fig.19). On retrouve également des éclairages artificiels linéaires continus aux plafonds, qui peuvent symboliser le chemin à emprunter pour la suite du parcours (Fig.20). Pour finir, des puits de lumières sous forme de longues fentes rectilignes éclairent les espaces de vide inaccessibles (à l’exception du plus grand) mais observables depuis les différents niveaux du musée.

15. L2 S3AA, Étienne LÉNA, Studio de projet, Grammaire, syntaxe, narration, composition / organisation de l’architecture

Au sein des différents parcours proposés par une architecture, que ce soit à petite (une installation) ou grande échelle (un territoire), on retrouve toujours des séquences qui viennent marquer l’utilisateur lorsqu’il y prête attention. Cette notion de séquence visuelle a été une des pistes principales de réflexion du projet lors du studio de projet, encadré par Étienne Léna15. Je n’ai pas assisté à ce studio mais après des échanges avec les étudiants concernés, j’ai pu en apprendre un peu plus sur cette notion et en comprendre les grands principes. Après la visite de site réalisée à Vizille, un travail de retranscription des éléments de la ville qui avait frappé les étudiants sur le plan architectural leur avait été demandé. Cela met en avant une succession d’éléments architecturaux qui les ont marqués pendant leur visite. Ces éléments avaient ensuite été repris lors du studio dans un travail de maquette afin de proposer un projet qui reprendrait cette séquence visuelle, personnelle à chaque étudiant.

16. Voyage personnel à Lyon, Juillet 2018

Je me rends compte à l’heure d’aujourd’hui que mon attention se focalise sur les différentes intensités de lumière qui me permettent par la suite d’analyser la manière dont l’architecture est mise en œuvre pour les produire. J’ai en mémoire une visite de la ville de Lyon16 où je suis allée découvrir les traboules, ces passages piétons étroits et couverts qui traversent des cours d’immeubles et relient une rue à une autre. La séquence liée à ce souvenir commence au bord des quais ensoleillés où se trouvaient les grandes portes d’un immeuble qui en protégeaient l’entrée.

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14. COPANS R., NEUMANN S., Architectures
, op. cit., p. 164
Fig.18 : Ouvertures en façade Fig.17 : Vue aérienne du musée Fig.20 : Éclairage artificiel linéaire servant de guide Fig.19 : Vue intérieures des ouvertures fines entremêlées

Une fois dans l’entrée de l’immeuble plus sombre, celle-ci amenait à la traboule, bien plus étroite et plus basse, qui s’enfonçait dans la pénombre. Après quelques mètres, je découvris l’endroit magnifique sur lequel cette traboule débouchait : la cour intérieure de l’immeuble aux murs colorés (Fig.21). Cet espace, grâce à la lumière agréable qu’il offrait, donnait envie de s’y installer pour passer des moments paisibles, loin des bruits de la ville. Ce sont des séquences aussi marquantes que les architectes cherchent à produire au sein de leurs architectures.

Fig.21 : Cour intérieure d’un immeuble à Lyon

Le projet que j’ai réalisé lors du studio de projet du quatrième semestre17 portant sur la réalisation d’un lieu de dispersion des cendres permet également d’appuyer ces parties grâce à l’élément essentiel intervenant dans le projet et lui donnant du sens : la lumière. Elle rend possible l’organisation des espaces suivant la course du soleil allant de l’ouest vers l’est, faisant passer de la nuit au nouveau jour. Cela se traduit dans le projet par un parcours à travers des espaces intérieurs sombres (l’accueil) puis tamisés (la salle de cérémonie) avant de ressortir dans un couloir de transition extérieur protégé par le toit menant à l’espace de dispersion situé complètement en plein air et étant donc très illuminé. La lumière apparaissant peu à peu dans les espaces berce le visiteur petit à petit dans la lumière tout en lui servant de guide.

Ce lien avec la lumière créée au sein d’une architecture peut servir simplement de guide à l’utilisateur pour l’accompagner dans son parcours. Mais

17. L2 S4AA, PaulEmmanuel LOIRET, Studio de projet, Phénoménologie, ambiances et matérialités de l’architecture

dans certains cas, la lumière crée également des ambiances lumineuses qui, couplées au programme auront pour but de susciter des émotions particulières.

b) La lumière, aide à la mémoire et aux souvenirs

La lumière et sa prise en considération dans une architecture peuvent servir d’outil pour transmettre des émotions passées. Celles-ci vouées à utiliser le devoir de mémoire face à certains événements survenus au cours de l’histoire.

Pour le projet du Musée juif de Berlin, l’architecture mais également la lumière servent à appuyer l’histoire racontée à travers l’édifice. Pour Libeskind, les formes « torturées » du bâtiment et des ouvertures en façades « incarnent la violence de toutes les cassures de l’histoire »18. À l’intérieur du bâtiment, les couloirs sont vus par Libeskind comme des axes représentant « les trois expériences majeures du judaïsme allemand, l’assimilation, l’exil et la mort »19 Ces axes permettent d’apporter du sens à l’architecture et au musée. Le plus grand de ces axes est le seul permettant d’accéder aux salles du musée, il est surnommé par Libeskind l’axe de la continuité car il représente « la continuité d’une présence juive en Allemagne »20. Ces significations apportées aux éléments d’architecture leur donnent une force produisant ensuite ressentis et émotions chez l’homme qui se sent touché. Cela permet aussi de comprendre comment l’architecte a raisonné durant le processus de conception du projet. Cette transmission de savoir ou du moins de significations est à mon sens bénéfique lorsqu’elle est possible car elle intervient dans la prise en considération de l’individu qui viendra découvrir les lieux.

Au bout de cet axe se trouve un escalier droit majestueux reliant tous les niveaux du bâtiment, du souterrain jusqu’au troisième étage (Fig.22). Cet escalier est comprimé entre deux murs peu écartés mais ouverts jusqu’au sommet de l’édifice. Cet espace est illuminé par une longue fente étroite horizontale sur les murs ainsi que des ouvertures se trouvant au plafond, perpendiculaires aux deux murs, sur toute la longueur de l’escalier. Cet escalier demande un effort aux usagers pour matérialiser « la difficulté du chemin que les juifs allemands ont dû se frayer pour accéder au statut de citoyens à part entière »21

À l’extrémité de l’axe de la Mort se trouve une porte noire donnant sur la tour de l’Holocauste, une tour en béton brut reliée par les sous-sols. Cette tour ne possède qu’une mince ouverture au sommet, comme une entaille par laquelle la lumière naturelle peut pénétrer (Fig.23). Cette unique source de lumière pousse le visiteur à lever la tête pour l’apercevoir et donc à regarder vers le ciel bien qu’il ne le voie pas. Cette faible lumière peut paraître comme un signe d’espoir dans la grande masse sombre de la tour. Les effets que cette lumière produit chez l’homme varient d’une personne à l’autre qui peut donc se faire son propre avis de ce que l’architecture produit en lui et ce qu’elle lui fait ressentir

18. COPANS R., NEUMANN S., Architectures, op. cit., p. 156

19. Ibid. p. 158

20. Ibid. p. 158

21. Ibid. p. 158

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Fig.24 : Intérieur du vide de la mémoire avec l’installation artistique au sol

Pour finir, nous allons voir les qualités du seul vide accessible par les visiteurs, le vide de la mémoire. C’est le plus grand vide du musée. Une œuvre d’art de l’artiste israélien Menashe Kadishman nommée l’installation Shalechet recouvre le sol de cet espace. Il s’agit de dix mille disques d’acier à la forme de

visage neutre ou à la bouche ouverte (Fig.24). Ces visages représentent et sont dédiés aux « juifs assassinés durant la Shoah, mais aussi à toutes les victimes de la violence et de la guerre »22. Ce lieu est accessible afin d’inciter les visiteurs à fouler ce sol recouvert des visages en acier qui se heurtent à chaque pas et laissent entendre un son qui peut faire penser à des chaînes23 faisant ressortir toute la douleur vécue lors de la Shoah et même après. Cette installation, en convoquant l’ouïe du visiteur, permet de l’appeler à son devoir de mémoire et lui donne la possibilité de la faire vivre, ce qui l’inclut, entre autres, dans les œuvres du musée. En la traversant, on peut voir à l’extrémité opposée une zone d’ombre qui contraste avec le vide éclairé par deux fentes linéaires situées sur le toit. L’installation est visible depuis chaque étage du musée, ce qui offre de nombreux points de vue sur cet espace.

Tout au long du parcours de son projet, Daniel Libeskind charge son architecture de significations et de souvenirs malheureusement douloureux, mis en valeur grâce à la présence de la lumière. C’est ce qui fait que ce projet est aussi beau et me donne tant envie d’aller l’explorer et de le découvrir par moi-même. L’architecture se suffit à elle-même et même si les expositions sont retirées du musée, l’architecture permet en partie de retranscrire l’histoire.

L’architecture qui fait sens et déclenche des émotions chez l’usager est une particularité qui me tient à cœur et que j’ai pu mettre en œuvre dans mon projet du lieu de dispersion des cendres. L’organisation des espaces se fait grâce à une signification bien spéciale liée à l’usage. Après avoir analysé l’usage spécifique du projet pendant plusieurs semaines, nous avons pu déterminer les lieux importants à intégrer dans le projet et nous avons décidé avec Marion Chauvet, mon binôme durant l’analyse, de concevoir l’organisation du projet suivant les étapes du deuil (choc/déni, colère/douleur, acceptation, retour à la sérénité/guérison). C’est de là que nous est venue l’idée de hiérarchiser les espaces et leur éclairement suivantl’étape du deuil traversée et la course du soleil. Bien que ces étapes soient souvent longues à vivre et différentes pour chacun, nous avons basé l’agencement des espaces les uns par rapport aux autres suivant un scénario idéal. Les personnes endeuillées arriveraient dans un espace sombre qui symbolise la peine qu’elles traversent, le lieu de cérémonie dans une lumière tamisée permettrait de les soutenir avant qu’elles aillent à l’extérieur en traversant le couloir de transition pour arriver au lieu de dispersion à la lumière du jour, élément qui symboliserait le début de l’acceptation et du retour vers la sérénité grâce au geste de la dispersion. Le parcours s’effectue alors de l’ouest vers l’est, de la nuit vers le jour nouveau symbolisant le passage de la peine, de la douleur vers la paix intérieure.

Tous les éléments vus dans ces parties montrent comment la lumière et l’architecture dialoguent pour créer des effets et des émotions chez l’homme de manière pratique sur le plan des projets, grâce aux qualités physiques de l’espace mais également grâce aux significations fortes qui leur sont données et qui apportent une âme aux projets.

22. Page Wikipédia « Musée juif de Berlin » URL : https://fr.wikipedia.org/wiki/Musée_juif_de_Berlin

23. Vidéo Youtube « Dans le vide de la mémoire - Musée juif de Berlin, Daniel Libeskind architecte » URL : https://www.youtube.com/watch?v=M3k82w1TnvA

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Fig.23 : Intérieur de la tour de l’Holocauste Fig.22 : Escalier du musée vue du haut

LA LUMIÈRE COMME PENSÉE DE L’ARCHITECTURE

La notion de lumière est également un élément de pensée et de réflexion essentiel pour nombre d’architectes, ce qui fait qu’elle est employée avec tant de rigueur en architecture. Les architectes pris pour exemple ci-après sont des architectes qui sont revenus à de nombreuses reprises pendant les différents cours et qui m’ont marquée durant mon apprentissage en licence.

a) Chez Tadao Ando

Tadao Ando est un architecte connu mondialement pour ses réalisations souvent synthétisées à l’utilisation du béton et à son intégration minutieuse de la lumière.

Après avoir été sensibilisée à l’architecture de Tadao Ando dès la licence 1, je l’ai choisi comme architecte pour l’écriture de mon article au cinquième semestre24. Mon article avait pour titre « Tadao Ando, la lumière comme création d’espaces et de sensations » et dans lequel j’ai décidé de porter mon attention sur deux maisons qu’il a réalisées : la maison Azuma et la maison Koshino, afin de faire le lien entre la lumière et sa mise en œuvre dans ces deux projets pour créer des lieux de vie enrichissants à partir de programmes simples.

Durant sa carrière, Tadao Ando a réalisé de nombreux bâtiments, d’échelles et de programmes différents : maisons, églises, mémoriaux, musées, écoles et autres. La particularité de son architecture réside dans des formes géométriques simples (carré, rectangle, cercle ou arc de cercle, triangle) à l’intérieur desquelles il introduit la lumière grâce à des dispositifs tout aussi simples tels que des fentes (horizontales ou verticales, simples ou multiples, sur les murs ou au plafond, linéaires ou arquées), des ouvertures géométriques ou des baies vitrées plus classiques.

Son intégration de la lumière contraste souvent avec la pénombre, ce qu’il appelle le phénomène du clair-obscur. Cela permet de mettre en valeur la lumière dans les espaces construits. Il étudie soigneusement les effets que produiront les ouvertures dans l’architecture à travers de nombreux croquis et prête une attention particulière à l’évolution du temps dans une journée et suivant les saisons, car certains dispositifs ont des effets qui sont des plus remarquables et des plus beaux à certains moments de la journée.

J’aimerais pouvoir visiter ses œuvres emblématiques afin de vivre et de ressentir son architecture qui font tant parler. J’ai eu la chance de découvrir quelques œuvres de Tadao Ando grâce à une visite pédagogique au domaine du Château Lacoste lors du studio de Jean-Pierre Vettorello26. Ses interventions au

24. L3 - S5SA, Cécilia DI MARCO, Article et approche méthodologique de l’écriture 26. L2 S3AA, Jean-Pierre VETTORELLO, Studio de projet, Grammaire, syntaxe, narration, composition / organisation de l’architecture

Domaine Lacoste sont tout d’abord les murs symbolisant l’entrée du domaine, le centre d’art, le pavillon « Four cubes to contemplate our environment », une installation de bancs, et la chapelle. La découverte de la chapelle fut pour moi un moment très intense de part l’honneur de vivre l’expérience d’une œuvre de Tadao Ando mais également grâce à la lumière tamisée qui émanaient des fentes en haut des murs. Rien n’est plus enrichissant que de voir de ses propres yeux les projets des architectes. C’est le meilleur moyen pour se rendre compte des dimensionnements, des matérialités, des effets de la lumière et de l’architecture sur nous et donc des émotions qu’ils produisent sur nous.

Je considère Tadao Ando comme un architecte de la lumière qui dessine grâce au clair-obscur. C’est une intégration de la lumière que je trouve très intéressante de par ses effets sur l’architecture, mais également sur ce que cela produit chez l’homme notamment dans les bâtiments religieux qu’il a réalisés.

b) Chez Peter Zumthor

Peter Zumthor est un architecte réalisant peu de projets, car il prend le temps de les concevoir pour s’assurer que tout ait un sens et soit à la bonne place. Dans son livre Atmosphères qui sera la référence unique de ce développement, il explique quels sont les éléments qu’il met en place dans ses projets et quels sont leurs rôles.

Peter Zumthor pense à son architecture avec le cœur, il se réfère aux sensations qu’il a pu ressentir depuis l’enfance afin de s’inspirer pour ces projets. Les éléments auxquels il prête une attention bien particulière se comptent au nombre de 10. On retrouve : la magie du réel, le corps de l’architecture, l’harmonie des matériaux, le son de l’espace, la température de l’espace, les objets qui nous entourent, entre sérénité et séduction, la tension entre intérieur et extérieur, les paliers d’intimité et la lumière sur les choses.

En ce qui concerne la lumière, Peter Zumthor travaille comme Tadao Ando avec ce contraste entre ombre et lumière, grâce au processus de masse que l’on vient évider pour y introduire la lumière. Il se sert de la lumière comme révélateur de surfaces. Elles réagissent ou non de manières très variées au contact de la lumière et se sert de ces effets afin d’enrichir son architecture. La lumière garde pour lui un côté spirituel, énigmatique du fait qu’elle revient sans cesse chaque matin grâce aux levers de soleil et disparaît en fin de journée lors des couchers de soleil.25 Pour lui, il n’y a aucune hésitation sur le fait que « la lumière naturelle vaut mille fois mieux que la lumière artificielle »26 (ref atmosphères).

Peter Zumthor apparaît alors pour moi comme un architecte attaché à la poésie que crée la lumière en architecture.

25. Cf. ZUMTHOR Peter, Atmosphères, Bâle, Birkhäuser, 2008, p. 59 26. Ibid. p. 63

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3.

Louis Kahn

À la manière de Tadao Ando et de Peter Zumthor, Louis Kahn est attaché au contraste entre clair et obscur produit par la lumière mais également au côté profond et spirituel qui régit et vit dans l’architecture.

J’ai découvert pour la première fois Louis Kahn durant un cours de Patrick Thépot au premier semestre de licence 127. Pour me documenter davantage sur la vision de Louis Kahn sur la lumière, il n’y avait pas meilleure lecture que celle de son livre Silence et Lumière. Il y fait de nombreuses références à l’art (peinture, sculpture, musique) pour illustrer ses propos et montrer que l’architecture est également un art porteur de sens qui permet de provoquer des émotions.

Il voit l’architecture comme une combinaison entre le silence et la lumière, d’où le titre de son ouvrage. Le silence permet le calme et l’apaisement pour se concentrer sur ce qui est important, sur ce que l’on ressent. Louis Kahn définit l’architecture comme un processus qui doit « commencer par le non-mesurable, passer par des moyens mesurables dans le projet, et à la fin être non-mesurable » 28. Le non-mesurable représente tout ce qui est lié à l’esprit, aux pensées, au sens que l’on donne aux choses, aux émotions que l’on veut transmettre à travers l’architecture. Le mesurable quant à lui représente toutes les qualités physiques d’un projet comme les dimensions, la matérialité ou encore la mise en œuvre. « La connexion est à la fois mentale et physique »29

À propos de la lumière, Louis Kahn dit que « la structure fait la lumière »30 et illustre cela par l’alternance de lumière et de non-lumière créée grâce aux colonnades dans les bâtiments antiques où lumière et non-lumière reviennent à l’association entre lumière et ombre. Les deux sont indissociables, car partout où il y aura de la lumière, il y aura de l’ombre. La lumière est pour lui un facteur essentiel pour signifier la présence de l’ombre : « Même un espace prévu pour être obscur doit avoir, grâce à quelque ouverture mystérieuse, juste assez de lumière pour nous montrer combien il est sombre »31. La lumière liée à la structure permet également de révéler les matériaux afin de les mettre en valeur dans l’architecture.

Enfin, je vais montrer l’importance de la lumière naturelle chez Louis Kahn. Comme beaucoup d’architectes, il porte une attention particulière à la lumière naturelle, car elle permet des effets somptueux infinis grâce au soleil : « La lumière artificielle (…) ne peut jamais égaler la variation des ambiances que créent chaque heure du jour et la merveille de chaque saison. »32. Pour lui, c’est un critère primordial qui doit figurer dans les espaces conçus par les architectes, qu’il qualifie sinon de « non-architecturaux »33

27. L1 S1SH, Patrick THÉPOT, Histoire et critique de l’architecture, Introduction

28. KAHN Louis, Silence et lumière, Paris, Éditions du Linteau, 1996, p. 193

29. Ibid. p. 178

30. Ibid. p. 184

31. Ibid. p. 192

32. Ibid. p. 192

33. Ibid. p. 164

Pour synthétiser tout cela, il utilise parfois des formulations poétiques qui font comprendre à quel point l’architecture et la lumière peuvent offrir des émotions et des ressentis bien particuliers, notamment lorsqu’il qualifie la lumière d’« éclats de soleil »34 qui vivent dans l’architecture, qui bougent avant de disparaître pour laisser place à la pénombre et à l’obscurité de la nuit. 34. Ibid. p. 226

22 23 c) Chez

CONCLUSION :

LA LUMIÈRE AU BOUT DU TUNNEL

Pour conclure, nous avons vu tout au long des différentes parties que l’architecture grâce à ses différentes composantes (dimensions, volumes, matérialités, qualités acoustiques/thermiques, ambiances, atmosphères, parcours, contextes, implantations, programmes, et autres) et à l’intégration de la lumière en son sein, génère la création d’émotions de natures et d’intensités variées suivant le projet d’architecture, mais également la personne, sa sensibilité, ses croyances ou encore son histoire.

Dans le projet de l’église du couvent Sainte-Marie de la Tourette de Le Corbusier, nous avons vu que la lumière, qui entre en particulier de manière rasante et douce, participe à l’accompagnement des personnes et soutient l’usage de cet espace religieux à l’origine, qui par les coutumes se veut être un endroit calme et apaisant pour que l’introspection de chacun puisse être respectée.

Dans le projet du Musée juif de Berlin de Daniel Libeskind, la lumière guide avant tout les personnes à travers son parcours mais également, grâce à une intensité faible par moment, soutiennent celles qui se replongent dans des événements tragiques et difficiles à supporter.

L’architecte veille alors à ce que tout ce qu’il pense et conçoit pour ses projets permette les ressentis désirés grâce aux moyens d’intégrer la lumière à l’architecture ainsi que les qualités qu’il lui donnera, pourdonner du sens à son architecture et marquer les usagers. Malgré une complexité de réalisation due à la pluralité des personnalités, il doit essayer d’atteindre et de toucher le plus grand nombre de personnes.

Dans la dernière partie ainsi que dans tout le développement, nous avons vu à quel point la lumière est un élément important qui est même considéré comme un matériau à part entière pour Le Corbusier. Les architectes ont leur propre manière d’appréhender la lumière comme Tadao Ando qui dessine grâce au clairobscur entrant en contact avec les formes géométriques les plus élémentaires. Peter Zumthor travaille également avec ce contraste entre ombre et lumière, mais voit aussi la lumière comme élément révélateur de surfaces afin de les utiliser grâce aux effets qu’elles produisent au contact de la lumière. Enfin, pour Louis Kahn on retrouve cette notion de lumière - non-lumière importante grâce à la beauté de la lumière naturelle. Et on voit également que la notion de mesurablenon-mesurable appuie la réflexion de ce rapport d’étude sur la création d’émotions en architecture. Ces visions et utilisations de la lumière prouvent qu’elle peut être modulée à la convenance de chacun de manière quasiment infinie.

Le sujet abordé lors de cet exercice de rapport d’études concernant la lumière et les émotions m’est tout de suite venu à l’esprit, comme une évidence, à la suite de l’exercice réalisé lors de l’écriture de l’article ainsi que des intérêts que

je développe depuis des années. Mes enseignements à l’ENSAG, ponctués par cet exercice visant à nous situer quant à notre vision actuelle de l’architecture, m’ont permis de trouver mes préoccupations actuelles et de confirmer mon intérêt pour l’architecture qui fait sens à travers son association avec la lumière naturelle.

Cette question des émotions ressenties dans l’architecture grâce à la lumière est l’aspect qui me pousse le plus à créer de l’architecture. À l’heure d’aujourd’hui, je me sens plus proche des petites échelles, telles que des maisons individuelles, des immeubles d’habitation, des programmes à petite échelle, et autres, car je ressens dans ces programmes une proximité avec les futurs usagers qui me tient particulièrement à cœur. En tant que future architecte, j’aimerais pouvoir créer des espaces qui résonneront dans le cœur des gens et qui seront associés de quelque manière que ce soit à leurs souvenirs, qu’ils les aient vécus une ou des centaines de fois.

Pour le futur, bien qu’il ne soit pas encore très clair, j’aspire à rester à Grenoble et à intégrer un des masters proposés par l’École. Mon premier choix se porterait sur le master Pensées du projet, qui accorde une grande importance à la notion de forme servant à l’usage, à l’instar de la lumière, comme nous avons pu le voir. Le rapport à l’échelle et à l’histoire du site y est également très important et fait partie des intérêts que je partage également. De plus, nombre d’architectes qui servent de références au sein de ce master sont des architectes auxquels je porte de l’attention, notamment trois de ceux cités dans ce rapport d’études : Louis Kahn, Le Corbusier et Peter Zumthor.

Les autres masters qui m’intéressent sont le master Architecture, villes, ressources, car il répond à des enjeux actuels en termes d’expansion des villes, de leur densité ainsi que de ce qui sera peut-être une majorité des travaux futurs de la nouvelle génération d’architecte, la réhabilitation des bâtiments existants. Et, également, le master Aédification, grands territoires, villes, de par la dimension sociale que ce programme apporte sur le plan de la société et de ses changements perpétuels. Après le master, j’envisagerais peut-être de réaliser une spécialisation dans le domaine de la lumière si cela anime toujours ma vision de l’architecture.

J’espère intégrer un cycle de master au sein de l’ENSAG après avoir vécu ce cycle de licence, qui m’a grandement apporté en termes d’enseignements, tant intellectuel que personnel, bien qu’il soit passé à la vitesse de la lumière.

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TABLE DES ILLUSTRATIONS

Photo de couverture : Photo de l’auteure Alexiane Baudin, réalisée au Torino Esposizioni, Turin. Source : Phototèque personnelle

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Fig.1 : Photo de l’auteure Alexiane Baudin, réalisée dans le salon de la maison familiale. Source : Phototèque personnelle

Fig.2 : Photo de l’auteure Alexiane Baudin, réalisée dans une cours d’immeuble, Lyon. Source : Phototèque personnelle

Fig.3 : Photo de l’auteure Alexiane Baudin, réalisée au Parc de la Tête d’Or, Lyon. Source : Phototèque personnelle

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Fig.4 : Photo des fentes au plafond et de la matérialité des Thermes de Vals. Source : Pressportal.ch URL : https://www.presseportal.ch/fr/pm/100018937/100596580

Fig.5 : Photo de CJ Reddaway, la façade principale des Thermes de Vals. Source : Deezen.com URL : https://www.dezeen.com/2015/02/09/morphosis-7132-hotelpeter-zumthor-therme-vals-spa-switzerland/

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Fig.6 : Photo intérieure d’un des couloirs de la maison Koshino. Source : Architectuul.com URL : http://architectuul.com/architecture/view_image/ koshino-house/3563

Fig.7 : Photo du salon de la maison Koshino. Source : Wikiarquitectura.com URL : https://fr.wikiarquitectura.com/bâtiment/maison-koshino/

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Fig.8 : Photo de Helena Ariza, autel et extérieur de la sacristie de l’église du couvent Sainte-Marie de la Tourette. Source : Architecturalvisits.com URL : http:// architecturalvisits.com/en/la-tourette-le-corbusier/tourette-couvent-le-corbusieraltar/

Fig.9 : Photo de la nef de l’église du couvent Sainte-Marie de la Tourette. Source : Couventdelatourette.fr URL : https://www.couventdelatourette.fr/le-batiment/ presentation.html

Fig.10 : Photo extérieure des canons de lumière éclairant la sacristie. Source : Archiecl.canalblog.com URL : http://archiecl.canalblog.com/albums/couvent_ de_la_tourette___le_corbusier/photos/35293337-p1070860.html

Fig.11 : Photo de G.Bisson, extérieure des canons de lumière circulaires éclairant la crypte. Source : Linflux.com URL : http://www.linflux.com/lyon-et-region/lecouvent-de-la-tourette-ou-larchitecture-du-sacre-par-le-corbusier/

Fig.12 : Photo de la crypte et des autels individuels. Source : Completementflou. com URL : http://www.completementflou.com/le-couvent-de-la-tourette-de-lecorbusier/

Fig.13 : Photo de la crypte depuis l’autel. Source : Wikiarquitectura.com URL : https://fr.wikiarquitectura.com/bâtiment/couvent-sainte-marie-de-la-tourette/#

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Fig.14 : Photo de Hélène Binet, effets de lumière sur le plafond du Musée Kolumba. Source : Divisare.com URL : https://divisare.com/projects/273884peter-zumthor-helene-binet-kolumba-diocesan-museum

Fig.15 : Photos des effets de lumière sur l’exposition grâce aux ouvertures de façade. Source : Arcstreet.com URL : http://www.arcstreet.com/2011/08/kolumbaart-museum-in-cologne-by-peter-zumthor.html

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Fig.16 : Photo de l’auteure Alexiane Baudin, réalisée à l’intérieure de l’église du Santo Volto, Turin. Source : Photothèque personnelle

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Fig.17 : Photo aérienne du Musée juif de Berlin. Source : Forums.Supertoinette. com URL : https://www.forums.supertoinette.com/recettes-557954-culturedesinvolture-et-epluchures?start=16140

Fig.18 : Photo d’une des façades du musée. Source : SCHNEIDER Bernhard, Daniel Libeskind Jewish Museum Berlin, Munich, Prestel, 1999, p. 37

Fig.19 : Photo intérieure du musée. Source : SCHNEIDER Bernhard, Daniel Libeskind Jewish Museum Berlin, Munich, Prestel, 1999, p. 43

Fig.20 : Photo de Jade Le Cahuzac, réalisée dans les couloirs du musée juif de Berlin. Source : Photothèque personnelle de la photographe

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Fig.21 : Photo de l’auteure Alexiane Baudin, réalisée dans une cour intérieure d’un immeuble, Lyon. Source : Photothèque personnelle

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Fig.22 : Photo de Ingrid Bauer, escalier du Musée juif de Berlin. Source : Lesvoyagesdingrid.com URL : https://www.lesvoyagesdingrid.com/berlin-enfamille-tribulations-dune-parisienne-en-allemagne/

Fig.23 : Photo de l’intérieur de la tour de l’Holocauste. Source : SCHNEIDER Bernhard, Daniel Libeskind Jewish Museum Berlin, Munich, Prestel, 1999, p. 50 Fig.24 : Photo de Jade Le Cahuzac, réalisée à l’intérieure du vide de la mémoire. Source : Phototèque personnelle de la photographe

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BIBLIOGRAPHIE

Livres

COPANS Richard, NEUMANN Stan, Architectures, Paris, Arte et Chêne Éditions, 2007, 184 p.

MIGAYROU Frédéric, Tadao Ando le défi, Flammarion, Paris, 2018, 257 p.

ZUMTHOR Peter, Atmosphères, Bâle, Birkhäuser, 2008, 75 p.

KAHN Louis, Silence et lumière, Paris, Éditions du Linteau, 1996, 299 p.

SCHNEIDER Bernhard, Daniel Libeskind Jewish Museum Berlin, Munich, Prestel, 1999, 64 p.

Articles numériques

SANDER David, « Psychologie des émotions », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 3 mai 2020. URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/ psychologie-des-emotions/

BRUNEL Marie-Lise, « La place des émotions en psychologie et leur rôle dans les échanges conversationnels », Erudit.org [en ligne], consulté le 3 mai 2020. URL : https://doi.org/10.7202/032338ar

SAVARD Stéphanie, « L’importance de la lumière naturelle en architecture », Idinterdesign.ca, mis en ligne le 20 janvier 2017, consulté le 3 mai 2020, URL : https://idinterdesign.ca/limportance-de-la-lumiere-naturelle-en-architecture/

BESÈME Odile, FIORI Sandra, MILLER Françoise, SERIEX Chantal, « Architecture et Lumière », Cressound.grenoble.archi.fr [en ligne], mis en ligne en mai 2019, consulté le 3 mai 2020. URL : https://cressound.grenoble.archi.fr/ fichier_pdf/num/Architecture_lumiere.pdf

Contenu vidéo en ligne

« Dans le vide de la mémoire - Musée juif de Berlin, Daniel Libeskind architecte », vidéo mise en ligne sur la chaîne Youtube ‘‘Jean-Pierre Marchand’’, Youtube, 18 avril 2015, 1 minute 38. (Consultée le 3 mai 2020)

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Ce rapport d’études est dédié à Guillaume, notre camarade parti briller parmi les étoiles.

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Les émotions, résultante entre architecture et lumière_RDE by Alexiane Baudin - Issuu