A la chasse aux cristaux

Page 1

2

L’événement

13 OCTOBRE 2011

EXCLUSIF

Sur les traces des cristalliers, à la recherche de l’or rose des Alpes Pratiquée par des amateurs passionnés, la recherche de cristaux dans les Alpes est une activité aussi ancienne que secrète. Deux guides de haute montagne romands ont accepté de nous emmener avec eux «aux cailloux», dans les montagnes, près du col de la Furka (VS).

© OLIVIER BORN

P

our être cristallier, mieux vaut ne pas avoir le vertige. «La plupart des massifs montagneux ont été explorés en long et en large», explique le Fribourgeois Sébastien Fragnière, guide de haute montagne et cristallier depuis son adolescence. Pour avoir une chance de découvrir de belles pièces, il faut aller là où les autres ne sont jamais allés. Dans des pentes d’éboulis instables, au fond des crevasses ou sur des parois vertigineuses où les chutes de pierres sont fréquentes. «Dans les compétitions sportives, il y a trois places sur le podium, poursuit le Fribourgeois. Quand on va aux cristaux, il faut être le premier, sans quoi on ne ramasse que des miettes. Discrétion oblige, nous préférons que les détails de notre parcours ne soient pas publiés.» Laissantleurvoitureencontrebasducoldela Furka, Sébastien Fragnière et le Valaisan Dominique Lugon, lui aussi guide de haute montagne, suivent le sentier menant au glacier du Rhône, où le fleuve du même nom prend sa source. «Les Alpes se sont formées il y a près de 30 millions d’années, résument les deux guides. Pendant la phase de plissement des Alpes, il y a 15 millions d’années, certaines roches se sont fracturées. Ce phénomène a créé des cavités. Certaines d’entre elles se sont remplies de solutions aqueuses chaudes, contenant des minéraux. Ceux-ci

Sébastien Fragnière (à g.) et Dominique Lugon examinent leurs trouvailles du jour sur le glacier du Rhône. Depuis sept ans, les deux guides partent régulièrement ensemble chercher des cristaux. A la fin de la journée, ils se partageront les pièces de façon équitable.

ont conduit à la formation de plusieurs espèces minérales, dont des cristaux de quartz.» Tandis que nous parlons, le jour commence à se lever, dévoilant un panorama de carte postale sur l’immense langue du glacier, barré de crevasses que nous contournons. Crampons aux pieds, nous attaquons la montée d’un pas rapide. «Nous voulons profiter au maximum des dernières journées de beau de la saison, lâchent les deux cristalliers. Dès que les premières neiges auront recouvert la roche, nous ne pourrons plus travailler.»

Code d’honneur à respecter Nous laissons derrière nous le glacier pour remonter un vaste pierrier. Sébastien Fragnière inspecte les roches environnantes avec attention. «Une fissure perpendiculaire au clivage de la roche, la présence de cristaux dans une faille ou des morceaux de pointes de cristal sont autant d’indices susceptibles de signaler

la présence éventuelle de minéraux.» Plus haut,nousapercevonsunnominscritauspray noir sur la roche. «C’est probablement celui d’un cristallier, précise Dominique Lugon. Dès le moment où l’on trouve un four – soit une cavité contenant des cristaux –, on a le droit de l’exploiter pendant deux ans. C’est du moins ce que prévoit le code d’éthique auquel tout cristallier est censé adhérer. Mais tous ne le respectent pas. Certaines pièces, dont la valeur monétaire est importante, suscitent la convoitise.» Le risque de pillage est d’autant grand que la Suisse est un paradis bien connu des cristalliers européens: «La législation est moins sévère chez nous que dans les autres pays de l’arc alpin, où la recherche de cristaux estsoumiseàdefortesrestrictions,commeen France, quand elle n’est pas interdite, comme en Italie.» N’ayant rien trouvé, les deux guides poursuivent leur progression, remontant un raide couloir de neige à 50 degrés. Faute de

pouvoir les suivre sur ce terrain, nous contournons cet obstacle en empruntant un col.

La quête de la pierre parfaite

© PHOTOS OLIVIER BORN

Trois cristaux recherchés par les collectionneurs

Quartz fumé

Fluorine rose

Calcite

«Le quartz fumé doit sa teinte particulière à la radioactivité, rappelle Sébastien Fragnière. Plus il est sombre, et plus il est chargé en particules radioactives. On en trouve beaucoup dans le massif du Mont-Blanc, souvent au-delà de 3000 mètres. Les plus grands quartz fumés, très demandés, peuvent dépasser un mètre de longueur.»

«C’est l’un des minéraux les plus recherchés par les collectionneurs, souligne Sébastien Fragnière. Si la fluorine a nombreuses teintes, les pièces de couleur rose ne se trouvent que dans les massifs de l’Aar et du Mont-Blanc. Dépassant rarement 15 centimètres de côté, les plus belles pièces atteignent un prix de plusieurs dizaines, voire de centaines de milliers de francs.»

«De couleur blanchâtre, la calcite est présente dans les roches sédimentaires et dans le granit, explique Sébastien Fragnière. N’excédant guère une longueur de 30 centimètres, on en trouve aussi bien dans les massifs alpins que dans les Préalpes. On la confond souvent avec le quartz. Ce dernier est bien plus dur, alors qu’on peut marquer la calcite avec ses ongles.»

Deux heures plus tard, nous les rejoignons au milieu d’une large pente neigeuse, où affleurent quelques rochers. «Nous voulions explorer une zone qui nous semblait prometteuse, explique Sébastien Fragnière. Dominique est allé voir, mais tout est glacé dans la face où il est descendu. Impossible de creuser, c’est trop dur.» Les deux compères se sont donc rabattus sur un îlot rocheux providentiel, déneigé suite à la fonte du glacier. Couché à plat ventre, Sébastien Fragnière agrandit une ouverture dans la roche à l’aide de son marteau et de son burin. «Il faut y aller tout en douceur. Les cailloux sont là depuis 15 millions d’années. Ce serait dommage de les abîmer en étant trop pressé. Dans la mesure du possible, on commence par enlever les minéraux qui se trouvent côté sol, afin d’éviter qu’un caillou ou qu’un outil tombé par inadvertance ne les endommage.» Patiemment, le Fribourgeois extrait ses trouvailles les unes après les autres. «Bingo, s’exclame-t-il. De la fluorite rose. Il n’y en a que dans le massif de l’Aar, où nous nous trouvons, et dans le Massif du Mont-Blanc.» Dominique Lugon s’exclame: «La journée commence bien, cela faisait deux ans que je n’en avais pas trouvé!» Couvertes d’un mélange de boue et de poussière, les pièces ne révéleront leur potentiel véritable qu’une fois lavées dans une machine spéciale. «La rareté des minéraux est le premier facteur qui influence leur prix, souligne Sébastien Fragnière. Nous sommes attentifs à la forme, à la transparence et à la brillance. Bien en-

Suite en page 3


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.
A la chasse aux cristaux by alexander zelenka - Issuu