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N° 19

L’eau dans tous ses états

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Simon Baccelli La chronique de l’eau douce à Lama Jean-Paul Giorgetti Le cycle de l’eau Antoine Orsini La biodiversité des eaux douces de Corse Frédérique Tamarozzi Extérieur-jour : images volées du thermalisme en Corse Jackie Peri-Emmanuelli L’eau en Corse : entre pratiques et symbolisme

strade Recherches et d o c u m e n t s ■C o r s e e t Méditerranée

La vie associative en Corse Georges Ravis-Giordani La vie associative en France : quelques données de base Sixte Ugolini « Kallisté » : la voix de la Corse Gilbert Chiarelli Le rite funéraire de la crémation et l’association crématiste « Per Eternità »

Juillet 2011

Mélanges Georges Ravis-Giordani L’enquête de l’An X Réponses du maire de Morsiglia au questionnaire de l’An X Antoine Casanova L’historicité des « finzione » Nicolas Mattei Les derniers jours de Napoléon Ier Jeannine Giudicelli Un questionnaire ethnographique sur Cargèse Vincent Azamberti Henri Martelli (1895-1980) Sixte Ugolini Les modes de résolution des conflits dans la Corse d’antan « Introuvables » J.-H. Probst-Biraben. Les tas de pierres magiques en Corse (Revue d’ethnographie, numéro 15, 1923) Abbé Migne. Article « Corse » de la Nouvelle Encyclopédie théologique (1853)

L’eau dans tous ses états La vie associative en Corse

15 €

2011

ISSN : 1165-922X

Mélanges ADECEM/ALBIANA

N° 19


Strade est publiée avec le soutien de la Collectivité territoriale de Corse et du Conseil général de la Haute-Corse

Association pour le développement des études corses et méditerranéennes (A.D.E.C.E.M.)

BUREAU Président : Georges Ravis-Giordani Vice-présidents : Michel Casta, Nicolas Mattei, Jean-Paul Pellegrinetti Trésorière : Beate Kiehn Secrétaire : Sylvain Gregori

MEMBRES Lucette Daniélou-Ceccaldi, Mathieu Ferrari, Jeannine Giudicelli, Gilles Guerrini, Joseph Martinetti, Joëlle Padovania, Pierre Santoni, Sixte Ugolini, Alain Venturini

DIRECTEUR DE PUBLICATION Georges Ravis-Giordani

COURRIER ET ABONNEMENTS ADECEM, Hameau de Pruno, 20238 MORSIGLIA Bon de commande ou d’abonnement : voir en fin de numéro

EN COUVERTURE : Ph. V. Biancarelli

ISSN : 1165-922X Tous droits de publication, de traduction, de reproduction réservés pour tous pays © Albiana/ADECEM

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Georges RAVIS-GIORDANI

Avant-propos .....................................................................

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L’eau dans tous ses états Simon BACCELLI

La chronique de l’eau douce à Lama ................................

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Jean-Paul GIORGETTI

Le cycle de l’eau ................................................................

23

Antoine ORSINI

La Biodiversité des eaux douces de Corse ........................

27

Federica TAMAROZZI

Extérieur-jour : images voléess du thermalisme en Corse

37

Jackie PERI-EMMANUELLI

L’eau en Corse : entre pratiques et symbolismes ..............

47

La vie associative en Corse Georges RAVIS-GIORDANI

La vie associative en France : quelques données de base ..................................................

59

Sixte UGOLINI

« Kallisté » : la voix de la Corse .......................................

67

Gilbert CHIARELLI

Le rite funéraire de la crémation et l’association crématiste « Per Eternità » .......................

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Mélanges Georges RAVIS-GIORDANI

L’enquête de l’An X .......................................................... Réponses du maire de Morsiglia au questionnaire de l’An X ...........................................................................

79 85

Antoine CASANOVA

L’historicité des « finzione » .............................................

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Nicolas MATTEI

Les derniers jours de Napoléon Ier ..................................... 101

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Jeannine GIUDICELLI

Un questionnaire ethnographique sur Cargèse .................. 111 Vincent AZAMBERTI

Henri Martelli (1895-1980) ............................................... 119 Sixte UGOLINI

Les modes de résolution des conflits dans la Corse d’antan......................................................... 123

Introuvables Georges RAVIS-GIORDANI

Introduction ........................................................................ 129 J.-H. PROBST-BIRABEN

Les tas de pierres magiques en Corse (Revue d’ethnographie, numéro 15, 1923) ........................ 131 Abbé Migne

Article « Corse » de la Nouvelle Encyclopédie Théologique (1853) ........................................................... 135

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L’eau dans tous ses états

Avant-propos

Georges RAVIS-GIORDANI

L

’EAU EST AUJOURD’HUI dans le monde le miroir de toutes les inégalités, certaines très anciennes, d’autres plus récentes. Inégalités géographiques d’abord, entre pays et continents, mais aussi entre régions et microrégions d’un même pays. Pour ne citer que des cas extrêmes, l’Islande assure à sa population 660 000 m3 d’eau par an tandis que Djibouti en offre moins de 100. Toutefois, globalement la planète Terre peut assurer aujourd’hui aux sept milliards d’hommes qui l’habitent une ressource en eau suffisante. C’est sa répartition qui fait problème. 90 % des trois milliards de personnes supplémentaires qui viendront grossir la population d’ici 2050 vivront dans des pays où la population actuelle dispose déjà d’un accès restreint à l’eau. Inégalités économiques ensuite : la part de l’agriculture dans la consommation d’eau du Mali dépasse 90 % de la ressource, en partie en raison de la culture du coton. Globalement, les prélèvements d’eau douce ont triplé depuis 50 ans et les zones irriguées ont doublé pendant la même période. Il faut 80 litres d’eau pour produire un kilo d’acier, 1 250 litres pour un kilo d’aluminium, et 8 000 litres pour produire une carte mémoire. Dans les pays développés c’est l’industrie qui est la plus consommatrice d’eau. En France, l’industrie consomme 50 % de la ressource, tandis que l’agriculture n’en consomme que 14 %. Avec le développement industriel des pays émergents, les besoins vont encore s’accroître. Inégalités sociales enfin, liées au mode de vie : un Américain consomme 2 000 m3 d’eau par an, un Jordanien, 100 m3, un Haïtien 7 m3. Il faut en moyenne 3 000 litres d’eau pour produire la ration quotidienne d’un être humain ; mais s’il est végétarien, 1 500 m3 suffisent ; s’il est mangeur de viande de bœuf, il en faut trois fois plus. Au regard de cette situation globalement préoccupante, le tableau que présentent, pour la Corse, J.-P. Giorgetti, Ch. Mori et A. Orsini est celui Strade, n° 19 – Juillet 2011, pp. 7-8

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d’une situation sereine, celle d’un peuple qui a noué une relation heureuse avec son eau, qui l’a utilisée, domestiquée, pensée symboliquement, toujours comme une denrée rare et précieuse. Car comme le montre avec brio S. Baccelli, l’arrivée de l’eau douce au village fut le fruit de rudes travaux. Quant aux deux articles de F. Tamarozzi et de J. PeriEmmanuelli, ils nous font entrer, par des voies différentes, dans la relation intime que les hommes et plus encore les femmes ont avec l’eau : l’eau qui cuit, qui lave, qui abreuve, qui soigne c’est d’abord en effet l’affaire des femmes. Le deuxième dossier est consacré au chantier de recherche ouvert en 2010 sur les transformations de la vie associative en Corse au cours du dernier demisiècle. Les deux articles de G. Charelli et S. Ugolini portent sur des associations fort différentes, mais qui reflètent l’une et l’autre les mouvements de fond de la société corse. Ils sont les premiers éléments d’une recherche qui ne fait que commencer et qui va se poursuivre de façon plus systématique. Enfin dans la partie « Mélanges » on trouvera divers articles historiques ou ethnologiques. Nous avions pu lire l’an dernier les réponses du maire de Moltifao à l’Enquête de l’an X initiée par le Consulat. On trouvera ici celles du maire de Morsiglia, révélatrices d’un autre genre de vie, marqué par l’arboriculture, et surtout la viticulture, et par les métiers de la mer1. Le récit d’un entretien, conduit il y a plus de 40 ans, par A. Casanova sur le thème des apparitions est un avant-goût du livre qu’il prépare avec

Françoise Hurstel. A. Casanova insiste à juste titre sur le travail de réflexion de ce témoin sur les croyances et les représentations archaïques dont il était porteur, non pas inerte mais capable de les questionner à la lumière de son expérience pour leur donner plus de sens. N. Mattei nous avait donné dans le numéro 16 de Strade une analyse de la statue de Rude, « Napoléon s’éveillant à l’immortalité ». Il poursuit cette année la même exploration sur une œuvre du sculpteur italien Vincenzo Vela dont il montre, en la comparant à celle de Rude, en quoi elle est le reflet d’une autre époque de la légende napoléonienne. J. Giudicelli qui a soutenu en décembre 2009 une thèse sur la diaspora grecque de Cargèse, nous donne, à travers un questionnaire ethnographique, un exemple intéressant de syncrétisme culturel, notamment dans le domaine des coutumes. V. Azamberti nous avait présenté rapidement en 2006 (numéro 14) les figures de deux compositeurs plus connus en dehors de la Corse que dans l’île qui les a vus naître. Il revient sur l’un d’entre eux, Henri Martelli, plus méconnu encore qu’Henri Tomasi et tout aussi injustement. Enfin, S. Ugolini nous rappelle avec raison que le droit de la vendetta ne se limitait pas autrefois à une suite ininterrompue de meurtres et qu’il pouvait faire place à des procédures réglées de retour à la paix. C’est pourquoi nous avons retenu dans la rubrique « Introuvables » un texte du milieu du XIXe siècle qui prolonge cette évocation des « paci ».

1. À ceux que cette Enquête de l’An X intéresse et qui voudraient faire, pour leur propre village, le travail de transcription réalisé pour Moltifao et Morsiglia, nous pouvons fournir, pour quasiment tous les villages du département du Golo (qui correspondait à peu près à l’actuel département de la Haute-Corse, moins le Niolu), le texte des réponses du maire au questionnaire établi par le préfet Pietri, ainsi que la maquette des questions (en traduction française), ce qui leur évitera le travail fastidieux de la reprendre.

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L’EAU DANS TOUS SES ÉTATS

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L’eau dans tous ses états

La chronique de l’eau douce à Lama

Simon BACCELLI

A

U TOUT DÉBUT,

avant que le succès l’ouvre sur l’universel, notre festival avait pour vocation de présenter des films sur la ruralité, des Chroniques villageoises. C’est pourquoi, aujourd’hui, en guise d’introduction à ce colloque qui s’inscrit dans la semaine du festival, et avant de passer aux choses sérieuses, je n’ai pas trouvé trop déplacé de vous présenter La chronique de l’eau douce à Lama. À Lama, comme dans tous les villages de Corse, avant que l’eau coule directement aux robinets des maisons, on s’approvisionnait aux ruisseaux voisins, aux sources et aux fontaines. C’est souvent même la proximité de ces ruisseaux, sources ou fontaines, éléments indispensables à la vie, qui explique l’implantation de l’habitat ancien. Le village s’est ainsi constitué sur un éperon rocheux entre deux ruisseaux, le Fontanacciu et Fontana Bona, le mauvais et le bon, cette appréciation se faisant sans doute sur l’importance ou l’aspect pérenne du débit, chaque ruisseau alimentant une ou plusieurs fontaines où les familles prenaient leur eau. Du 13e siècle (le plus vieux document de Lama connu à ce jour date de 1206) au début du 20e, durant sept siècles donc, le village aura vécu ainsi. On allait s’approvisionner en eau aux fontaines, à Funtana Bona ou au Canale ou à d’autres petites sources de proximité. Cette corvée était généralement dévolue aux femmes. Sur la photo ci-après, Zia Rosa Maria, la sœur de Ghjuvan Battistu Beveraggi et, à droite, Zia Maria Fiora, ma grand-mère paternelle, portent sur la tête « a secchia » (la seille). Elles reviennent de Fontana Bona. On ne manquera pas de remarquer la décontraction, l’apparente facilité avec lesquelles les deux femmes tiennent en équilibre sur leur tête ce gros et lourd ustensile en bois rempli d’eau, ce qui suppose une longue pratique de ce genre d’exercice. Strade, n° 19 – Juillet 2011, pp. 11-21

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La chronique de l’eau douce à Lama

Et c’est bien de la fierté qu’on lit sur leur visage. Cette attitude se prête à une double interprétation : On a considéré a « secchia » comme un symbole de l’asservissement de la femme. C’est une interprétation moderne. En fait les familles paysannes étaient organisées en collectivité de travail et de consommation : chaque membre valide remplissait une tâche précise en fonction de son âge et de son sexe. Les femmes corses, comme d’ailleurs les Italiennes du Sud, qui portaient les poids sur leur tête, non seulement « a secchia » mais aussi les fagots, les sacs de blé, les paniers de fruits et de légumes, les « cofe » de linge humide et lourd, marchaient généralement droites, élastiques et orgueilleuses, avec l’allure de reines. Dans son Histoire illustrée de la Corse (publiée en 1863), Jean Ange Galletti écrit : « Au village d’Asco, au cours de la cérémonie nuptiale, juste avant de passer aux bénédictions rituelles, le prêtre se faisait porter un seau de bois de genévrier qui était la propriété de l’Église. Il le plaçait sur la tête de l’épouse et lui donnait une quenouille : « Ma fille, le seau que je t’impose sur la tête est l’emblème du travail. Le fardeau du mariage commence à s’appesantir sur toi aujourd’hui ; tâche d’être bonne épouse et bonne mère… » Ensuite, il enlevait le seau de la tête, se tournait vers l’époux et lui adressait un sermon sur ses devoirs. On remarquera également que nos deux femmes ont pris fièrement la pose devant le photographe. Or, pendant longtemps, les paysannes corses refusèrent de se laisser photographier de peur que la pellicule ne subtilisât une partie de leur être. Peur magique éprouvée par celles qui n’avaient pas encore assez confiance en elles-mêmes pour abandonner au photographe une image qui pouvait lui donner un pouvoir sur elles. Un peintre voulant faire un portrait de femme aurait sans doute provoqué, comme le photographe, le même phénomène de crainte superstitieuse. Dans son livre Cristo si è fermato a Eboli, Carlo Levi, mis en résidence surveillée pour antifascisme, de 1935 à 1936, à Gagliano, petit village de Lucanie, évoque la vie quotidienne des gens frustes. Il écrit : « Je soignais les malades, je peignais, lisais, écrivais dans cette solitude peuplée d’esprits et d’animaux… Je peignais beaucoup de natures mortes, et je faisais poser souvent les enfants, qui avaient

l’habitude de venir me voir et qui me tournaient autour toute la journée. J’aurais voulu faire aussi des portraits de paysans, mais les hommes avaient affaire aux champs et les femmes se dérobaient, bien que flattées par ma requête. Même Giulia n’avait jamais le temps, lorsque je lui demandais de poser ; je compris qu’il devait y avoir une raison obscure qui l’en empêchait. Giulia me considerait comme son maître et n’aurait dit non à aucune de mes demandes… Giulia était donc disposée à me rendre n’importe quel service (même faire l’amour avec elle), mais lorsque je lui demandais de poser pour son portrait elle refusait énergiquement. Je compris alors que sa répugnance devait avoir une origine superstitieuse, elle-même le confirma. Un portrait soustrait quelque chose au sujet, une image, et grâce à cela le peintre acquiert un pouvoir absolu sur la personne qui a posé pour lui. C’est là une raison inconsciente pour laquelle beaucoup de gens répugnent à se faire photographier. La femme de Sant’Arcangelo, qui vivait entièrement dans le monde de la magie, avait peur de ma peinture ; elle ne craignait pas tellement que je me serve de son image peinte, comme d’une statuette de cire, pour quelque méchante sorcellerie à ses dépens, mais plutôt l’influence et la puissance que j’aurais exercées sur elle comme je les exerçais sûrement sur les personnes, les choses, les arbres et les paysages, par les tableaux que je faisais chaque jour. Je compris aussi que pour vaincre sa peur superstitieuse, j’aurais dû employer une magie plus forte que la peur, et ce ne pouvait être qu’une puissance directe et supérieure : la violence. Je menaçai donc de la battre, j’en fis le geste, et peut-être aussi plus que le geste ; les bras de Giulia, d’ailleurs, n’étaient certainement pas moins vigoureux que les miens. Dès que Giulia vit mes mains levées et en sentit l’effet, son visage rayonna de béatitude et s’épanouit en un sourire heureux qui découvrit ses dents de loup. Comme je le prévoyais, rien n’était plus désirable pour elle que d’être dominée par une force absolue. Devenue subitement docile comme un agneau, Giulia posa patiemment, les arguments indiscutables de la violence lui ayant fait oublier ses craintes bien fondées et naturelles. Ainsi je pus la peindre avec son châle noir qui encadrait son antique visage jaune de serpent. Je la peignis aussi dans un grand tableau, couchée, son enfant dans les bras. » « A secchia » a pu toutefois devenir, en certaines circonstances, un élément d’esclavage.

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Paul Massiani me racontait que sa pauvre mère fut la porteuse d’eau de la gendarmerie. Toute la journée, Maria faisait des allers-retours, de Fontana Bona au village, avec « a secchia » sur la tête, afin d’alimenter les cinq familles de la brigade. Pour quelques pièces de monnaie, pas grandchose, disait Paul, les larmes aux yeux. Le soir, elle rentrait à la maison exténuée, à bout de force. Elle n’arrivait plus à se tenir debout. Pour ne pas tomber, elle se tenait à la table, aux chaises. Et il fallait qu’elle fasse manger les enfants. On m’a raconté aussi que lorsque les porteuses d’eau revenant de Fontana Bona traversaient le village, passaient au Mercatu, les hommes, pour la plupart des vieux qui s’étaient regroupés là pour jouer a chìna, a càpra ou simplement pour bavarder, leur barraient la route en demandant : – Dammi una còcchia d’acqua fresca (Donnemoi une « còcchia » d’eau fraîche). Impossible de refuser. Ne pas donner à boire aux anciens du village aurait passé pour un manque de respect. Alors les femmes s’exécutaient. Elles pliaient les genoux pour baisser la hauteur de la « secchia » et les hommes plongeaient et replongeaient a « còcchia » dans cette bonne eau fraîche, s’en servaient de grandes rasades, plus qu’il n’en fallait pour étancher la soif. Et nos pauvres femmes contenaient leur colère devant ce gaspillage, regardaient désespérément le précieux liquide qui dégoulinait sur les mentons et les barbes et qu’on essuyait du revers de la main. Et, souvent, quand elles arrivaient à la maison avec « a secchia » à moitié vide, elles s’entendaient dire : – Qual’è chi ha betu ? Ziu Santu Cla ha betu ? Stu bavacciulòsu ! (Qui a bu ? Ziu Santu Cla a bu ? Ce baveux !) Et comme on ne voulait pas boire de l’eau souillée par la salive jaunâtre du chiqueur d’erba tabacca, on jetait le restant du contenu de la « secchia » et les femmes devaient retourner la remplir à Fontana Bona. Il faut dire que Ziu Santu Cla et l’hygiène ça faisait deux. Il crachait, chiquait à longueur de journée, salissait ses chemises avec ce jus brunâtre qui lui coulait des lèvres. Il s’amusait même, m’a-t-on dit, à gicler d’entre deux dents écartées de longs jets de salive qui tombaient sur les souliers ou le bas de la robe des femmes qui passaient. Ma tante Emilie se souvient que sa mère Maria Fiora était furieuse après chaque veillée car

elle devait éponger sur le sol de la cuisine une petite mare visqueuse et écœurante que Ziu Santa Cla avait formée en crachant toute la soirée entre ses deux pieds. 1933 : Une date importante dans l’histoire de l’eau. Après six bonnes années de démarches, de formalités administratives, de recherches de financements auprès du Conseil Général et du Pari Mutuel, l’entreprise Andreani de Croce, mandatée par la mairie, termine les travaux d’adduction d’eau potable. L’eau potable coule enfin dans le village, non pas encore aux robinets des maisons mais à des bornes fontaines de quartier. Il aura fallu poser près de deux kilomètres de canalisations pour capter trois sources, Balaninche, Mediasca et Valle Osciata, situées sur le même bassinversant au-dessus de Fontana Bona. Le programme des travaux prévoyait également la construction d’un réservoir et d’un lavoir. La création de ces bornes fontaines de quartier allégera considérablement la corvée quotidienne de l’eau potable. L’eau au robinet, chez soi : Un bond dans la modernité et le rêve de nos grands-mères. Ce rêve devint réalité dans le courant de l’année 1934. Une délibération du 16 janvier 1934 décida de lancer les travaux de desserte des maisons : Monsieur le Maire expose à l’assemblée qu’en vue de créer un revenu pour la commune grevée de frais supplémentaires d’une certaine importance (frais d’entretien de la maison communale, électricité, paiement des annuités, provisions pour la création des groupes scolaires et pour l’adduction de l’eau potable), il serait bon de procéder à la distribution de l’eau dans les maisons des particuliers habitant la commune. Cette distribution sera faite équitablement et chaque habitant ne pourra consommer plus d’eau qu’il ne lui en faut pour sa consommation personnelle et celle de son ménage. Monsieur le Maire se réserve de prendre des mesures nécessaires pour mettre un terme à ces abus, si abus y est. Un robinet de réglage, placé à un endroit où M. l’architecte désigné pour établir le devis de cette installation le jugera à propos, permettra de fermer définitivement le tuyau emmenant l’eau dans la maison des particuliers. Chaque habitant désireux d’avoir de l’eau dans sa maison payera à la commune une redevance mensuelle (sic) établie par le conseil municipal par

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délibération spéciale, et cela une fois que les travaux d’adduction seront faits, et après qu’on aura connu le nombre des habitants désireux d’avoir l’eau à la maison. Le conseil ouï l’exposé de M. le Maire : Considérant la situation actuelle de la commune, situation plutôt précaire étant donné les frais susmentionnés, frais énorme pour une commune pauvre. Considérant la façon par laquelle devra être faite la répartition de l’eau dans les maisons des particuliers. Considérant que cette répartition ne pourra ainsi porter atteinte aux droits des habitants qui ne peuvent se payer le luxe d’avoir de l’eau chez soi. Considérant que le moment le plus critique pour cela ne pourra être que pendant les mois de sécheresse, et que pour parer aux abus Monsieur le Maire est autorisé à prendre les mesures nécessaires et énergiques. Le conseil, à l’unanimité des membres présents, consent à donner aux particuliers désireux d’avoir de l’eau chez lui, et pour sa consommation personnelle et ménagère, en se conformant aux décisions prises plus haut, et à la redevance qu’établira par la suite le conseil municipal. Le problème de l’eau ne fut pas définitivement réglé pour autant. Sous l’effet conjugué du confort domestique moderne qui est un gros consommateur d’eau et de la diminution progressive du débit de nos sources à la suite des incendies, le village va connaître, pendant de longues années, une sévère pénurie en période d’étiage. Les canalisations étaient en place, c’était la ressource qui manquait. Beaucoup se souviennent encore que, malgré l’interdiction d’arrosage des jardins, l’eau ne coulait aux robinets qu’une heure le matin et une heure le soir. Difficile de gérer les individualismes exacerbés par le besoin. Le système D régnait : branchements clandestins, manipulations nocturnes des vannes du réseau public, réserves d’eau dans les greniers, tout était bon pour récupérer plus d’eau que le voisin dans cette quête effrénée, digne de Clochemerle, du précieux liquide. Chaque jour, à l’ouverture des vannes du réservoir, les femmes hurlaient leur rage devant le robinet qui émettait d’étranges gargouillements, semblait secoué de spasmes intérieurs comme un être vivant qui ne peut pas expectorer et qui s’étouffe, mais ne lâchait pas une goutte. Parfois les sons étaient plus mélodieux, imitaient le violon. Il y avait du lyrisme

dans la tuyauterie. Ailleurs, chez les voisins, c’était pire encore : le silence total. On s’interrogeait d’une fenêtre à l’autre : – Ha còrsu u rubinettu inde tè ? (Il a coulé le robinet chez toi ?) – Inde mè ha parlatu (Chez moi il a parlé). – Inde mè un ha mancu parlatu (Chez moi il n’a même pas parlé). Les querelles de quartier entre ceux qui avaient de l’eau et ceux qui n’en avaient pas étaient quotidiennes. Et pourtant que n’avait-on pas fait pour résoudre le problème de l’eau ? En 1957, on fit appel à un sourcier italien qui s’appelait Giuseppe Pastorelli. Ce dernier avait promené avec quelques succès, disait-on, sa baguette de coudrier à travers la Corse. Je revois encore ce petit bonhomme au teint terreux, mal lavé, mal rasé, vêtu d’une vieille veste en cuir aussi miteuse, aussi lustrée de crasse que son chapeau noir. L’allure d’un carbunaghiòlu (charbonnier) sarde. Le maire et les conseillers municipaux accompagnèrent l’homme providentiel dans la montagne, à Valle Osciata, tout en haut du ravin de Fontana Bona, où se situaient les sources qui desservaient le village. Il y avait là, de l’avis général, des ressources inépuisables qu’on n’avait pas su découvrir. Pastorelli fut guidé jusqu’à a petra chi canta (la pierre qui chante). C’est, au milieu des éboulis et des fougères, un gros bloc de granit au pied d’un vieux chêne mutilé par la foudre. Là, si vous vous agenouillez et collez l’oreille à la base du rocher, vous allez entendre le fin gargouillis d’une petite coulée d’eau, une fuite légère de cristal liquide qui descend en sautillant de pierre en pierre et qui résonne dans les cavités de l’éboulis. Comment sais-je cela ? C’est Jean-Laurent Massiani aujourd’hui disparu qui, au cours d’une chasse aux perdreaux, me fit découvrir ce lieu extraordinaire où un dérisoire et invisible filet d’eau chantant entre les pierres, a ouvert le rêve d’une grande et mystérieuse rivière souterraine. Un rêve ? Rien qu’un rêve ? Pas sûr. Pastorelli, dès qu’il atteignit a petra chi canta, eut bien du mal à contenir les contorsions de sa baguette. – Elle a fait plusieurs tours sur elle-même. Elle m’a sauté des mains. C’était impressionnant, on aurait dit qu’elle était vivante, racontait-il. L’eau était là, à coup sûr, en abondance. Mais comment la faire sortir de sa cachette et la capter ?

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L’Italien raisonna sans doute à partir de l’aphorisme de Spinoza, « La Nature a horreur du vide ». Selon lui, il suffisait de créer un grand trou au flanc de la montagne pour que l’eau coulant à proximité subisse un phénomène d’attraction. Et il devait posséder un sacré pouvoir de persuasion car, en trois coups de cuillère à pot, la municipalité décida de creuser un tunnel dans la roche granitique, embaucha une équipe, organisa l’intendance du chantier, trouva les recettes financières correspondantes. Pour faire les trous de mines, on fit l’acquisition d’un compresseur flambant neuf qu’il fallut monter en pièces détachées par l’étroit et aride chemin, puis reconstituer sur place. Un travail de titan commençait. Durant des mois et des mois, à la lueur des lampes à carbure, des gestes répétés à l’infini : faire des trous au compresseur dans la roche, tirer des mines, déblayer à la brouette, étayer les parois fragilisées. Une avancée d’un mètre par jour, un seul, relevait de l’exploit. De ceux qui ont travaillé au bagne de Valle Osciata, j’en connais au moins quatre : Jean-Baptiste Geronimi, les frères Antoine et Jean Orticoni, et puis Jojo le berger. Ils sortaient du tunnel, épuisés, blancs de poudre de pierre, semblables aux pierrots des cirques. La sueur avait tracé sur leur maquillage des coulées brunes. Les poumons souffraient de respirer à la fois cette fine poudre blanche et l’acétylène qui émanait des lampes. Alors on s’organisa en conséquence : Les mines étaient tirées le soir avant de partir et on déblayait le lendemain matin. On mit même au point un ingénieux système pour empêcher la poussière de roche de sortir du trou pendant la perforation. Un tuyau branché à la petite source voisine faisait couler de l’eau dans le fleuret du compresseur. Pastorelli alimentait régulièrement le chantier en explosifs qui variaient selon la disponibilité des stocks : dynamite, plastic, mélinite, crésylite, que sais-je encore. Il fallait aussi du cordeau Bickford, des mèches, des détonateurs. N’étant pas un spécialiste des explosifs, je vous répète simplement les noms qui m’ont été énumérés par Jean-Baptiste Geronimi. Notre sourcier ramenait tout cela de Bastia. Chaque fois près de cent kilos de marchandise, les explosifs dans des caisses en bois sur lesquelles étaient imprimées des têtes de mort, des inscriptions en gros caractères : ATTENTION DANGER. EXPLOSIFS. À MANIER AVEC PRÉCAUTION.

Vous ne me croirez pas, il ramenait sa dangereuse cargaison comme de simples bagages par le service postal, c’est-à-dire dans le vieux car qui, à l’époque, brinquebalait sur les mauvaises routes, plongeait dans les ornières, s’essoufflait dans les montées, hurlait en saccades de tous ses freins dans les descentes, quand on ne crevait pas ou on ne tombait pas en panne. Lorsque Pastorelli et sa cargaison qui pouvait réduire en poussière véhicule et passagers remontaient vers Lama, dans le car on serrait les fesses, pas un seul mot, visages graves, figés, malgré les plaisanteries du chauffeur qui n’était guère concentré sur sa conduite, qui tournait continuellement la tête vers l’arrière pour vous parler. Les explosifs étaient ensuite acheminés à dos d’âne jusqu’au chantier. Là-haut, dans le tunnel, Pastorelli dirigeait la manœuvre. C’était lui qui comptait à haute voix les explosions qui devaient correspondre au nombre de charges posées. On ne pouvait pas prendre le risque d’oublier une mine intacte qui allait vous péter à l’improviste sous le nez quand on retournerait trifouiller la roche. – L’explosif ne connaît personne, disait-il souvent. Sans doute que l’explosif connaissait Pastorelli puisque ce dernier se permettait de sertir avec ses dents le détonateur sur la mèche, alors que les autres accomplissaient ce travail extrêmement délicat et dangereux avec une pince et, probablement, avec la respiration bloquée pour rendre le geste plus précis. Après chaque explosion, Pastorelli auscultait méthodiquement les parois de la roche en amont, à la recherche d’une tache d’humidité, d’un signe précurseur. Rien, désespérément rien. C’était un véritable combat qu’il livrait maintenant pour arracher le précieux liquide des entrailles de la montagne, un combat contre « la roche en amont », celle qui faisait obstacle, qui barrait obstinément le passage malgré les charges puissantes de dynamite, de plastic et des autres explosifs qu’on a cités plus haut. « La roche en amont » dévorait son énergie, hantait ses nuits. Du matin au soir, il évoquait cette force démoniaque qui gardait l’eau captive en dressant devant lui un épais bouclier minéral. D’en bas, on observait avec un scepticisme grandissant, et parfois moqueur, les efforts insensés du sourcier et de son équipe. Le temps passait. Aucune trace significative d’eau. Le crédit

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et les crédits que l’on avait accordés au sourcier s’épuisaient. Au printemps de 1960, on stoppa ces travaux insensés. La longueur du tunnel avait atteint près de cent mètres. De l’eau ? Une misère. Une infinité de gouttelettes tombant des parois humides alimentaient un petit caniveau creusé dans le sol et qui déversait quatre à cinq litres à la minute dans un vieux fût en fer, coupé à moitié et recouvert de planches, avec deux grosses pierres par-dessus, pour faire du poids. La montagne avait accouché d’une souris. Le sourcier quitta le village. Quelques années plus tard, j’ai rencontré incidemment le sourcier italien qui finissait ses jours en pension dans un bien modeste hôtel-restaurant au sud de Bastia. Je devinais que son échec à Valle Osciata le préoccupait encore profondément, qu’il en gardait comme une blessure dans sa mémoire. Était-ce pour s’excuser et tranquilliser sa conscience qu’il voulut me convaincre, avec beaucoup de sincérité et de conviction dans la voix, de sa bonne foi et de ses certitudes ? « Les Lamais, mon père le premier, s’étaient trop vite découragés. Il aurait fallu continuer à creuser et l’eau, beaucoup d’eau, aurait jailli de la montagne. S’il lui était resté quelques forces, mais il n’en avait plus guère, il pouvait à peine se tenir debout, il serait retourné à Lama finir gracieusement le travail ». Juste pour montrer aux Lamais qu’ils avaient eu tort de ne pas le croire. Quand un homme reste, même dans ses illusions, cohérent avec lui-même, il mérite quelque respect. Je n’ai rien dit qui ait pu le contrarier. Ce tunnel de 100 mètres qui pénètre dans la montagne, il existe encore aujourd’hui. Un jour, si la mémoire des lieux devait disparaître, l’imagination, la superstition en feront peut-être un couloir qui mène à l’enfer. En 1977, je suis élu maire. C’est un acte de foi de prendre en charge une commune vidée de sa substance qui décline inexorablement. Avec sa soixantaine d’habitants, des personnes âgées pour la plupart, le village mène une existence guère plus agitée que celle de son cimetière. Un problème récurrent, mortel, qui éclipse tous les autres, coupe toute issue, détruit tout espoir : l’eau ! Encore et toujours, l’eau ! Trois ans auparavant, en 1974 donc, on avait capté dans la montagne, au-dessus d’Olmia, la petite source des Grotte Bianche qui permit d’augmenter le débit de cinq à six litres à la minute en période

d’étiage. Cette faible ressource ne changea rien au problème. Un conseiller municipal suggéra un projet de captage au lieu-dit Cognolu, sur la partie haute du ruisseau des Lavigni, avec une amenée gravitaire jusqu’au réservoir de Lama. C’était systématique, chaque fois qu’on abordait le problème de l’eau, cette proposition revenait sur le tapis. Aucune suite ne sera donnée à ce qui paraissait n’être qu’une vue de l’esprit. Dès l’année 1977, la bataille pour l’eau est engagée. La toute première idée consista, bien sûr, à en demander à la commune voisine, Urtaca, qui en avait, disait-on, à revendre avec la ressource de Gargalagna. Avant même que les négociations soient engagées, l’éventualité d’un refus réveille le souvenir d’une vieille querelle qui, à partir de 1833, opposa les deux communes pour la possession de parcelles limitrophes. Plus de quarante-sept hectares auraient à l’époque été usurpés par la commune d’Urtaca dans la forêt de Gargalagna. Et c’est précisément ce périmètre qui est le plus riche en eau. En effet, les trois principaux ruisseaux, ceux de Figareto, de Rimisciajo et de Gargalagna, partent de notre territoire. La délibération du 10 août 1861 prise par le conseil municipal de Lama sous la présidence de Fabien Bertola, maire, fait l’historique d’une affaire qui n’est sans doute pas étrangère au fait que les deux villages n’eurent guère, pendant longtemps, de relations de bon voisinage. Nous reproduisons ci-dessous cette délibération : « Monsieur le Président a ouvert la séance et a dit que désirant de seconder les vues généreuses du conseil municipal et des habitants de la commune de Lama, relativement au procès que l’on se propose d’intenter à la commune d’Urtaca pour revendiquer l’immeuble et le bois dits Gargalagna dont elle s’est injustement emparée depuis bientôt vingt-huit ans. Les plus forts contribuables ayant été convoqués à cet effet en nombre égal aux membres du conseil municipal pour aviser aux moyens d’une imposition extraordinaire à réaliser le montant nécessaire pour soutenir le dit procès. Considérant qu’à la suite d’une demande en maintenue possessoire des immeubles dénommés Poretta, Montagna Soprana et Gargalagna, la commune de Lama s’étayant de ses nombreux titres d’une possession immémoriale non interrompue

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qu’elle avait toujours exercée dans les dits immeubles, par sentence de la justice de paix de l’ancien canton de Canale, fut maintenue dans la publique et pacifique possession et jouissance de tous les susdits immeubles notamment de celui qui renferme le bois de Gargalagna. Que portée en appel devant le tribunal de première instance de Bastia, la dite sentence fut réformée seulement relativement à l’immeuble Gargalagna, car le tribunal précité se fondant sur le prétendu droit de pacage qu’y avait abusivement et à titre de pure tolérance exercé la commune d’Urtaca, lui en adjugea la possession exclusive et maintint seulement celle de Lama ainsi que l’avait fait le premier juge pour la possession et jouissance des immeubles Poretta et Montagna Soprana. Que froissée dans ses légitimes intérêts, et privée de la jouissance d’un bois aussi important que considérable, la commune de Lama n’hésita point à se pourvoir en cassation contre le même jugement. Son pourvoi ayant été accueilli et le jugement du tribunal susdit ayant été cassé, la fatalité voulut que l’arrêt de la cour souveraine n’ayant pas été signifié légalement et à qui de doit, et à l’expiration des délais de rigueur une demande en péremption d’instance ayant été faite par la commune d’Urtaca à celle de Lama, celle-ci se trouva périmée et dut à son grand regret renoncer à soutenir ledit procès. Mais en l’état, considérant qu’il est pour elle absolument indispensable de revendiquer l’immeuble Gargalagna et le bois qu’il renferme, et partant, de plaider au fond pour l’obtenir. Considérant d’ailleurs que le délai qu’elle a pour intenter de nouveau le procès est très court, car depuis l’obtention du jugement de première instance sus-énoncé la commune d’Urtaca se trouverait en position de pouvoir bientôt invoquer en sa faveur la prescription trentenaire. Par ces motifs le conseil municipal à l’unanimité des membres présents et les plus forts imposés légalement convoqués ont délibéré : 1° qu’une somme de cinq cents francs (500 F) sera imposée à la commune en addition au principal des quatre contributions directes pour faire face à la dépense que nécessitera le procès en question. 2° que Monsieur le Maire sera autorisé à faire toutes les démarches nécessaires et à suivre le dit procès hiérarchiquement devant les tribunaux compétents. Ainsi fait et délibéré en séance les dits jour, mois et an que dessus.

Ainsi, selon cette délibération, une simple tolérance de pacage consentie par la commune de Lama sur ses terrains de Gargalagna se serait transformée d’abord en droit de pacage puis en titre de propriété accordés à la commune d’Urtaca. Ces terrains appartenant à la commune d’Urtaca et situés sur le territoire de la commune de Lama doivent-ils être appelés des sectionnaux ? Le Code Général des Collectivités Territoriales (Article L2411.1) définit ainsi un bien sectionnal : « Toute partie d’une commune possédant à titre permanent et exclusif des biens ou des droits distincts de ceux de la commune. » Évoquer ce vieux procès, se prévaloir d’un supposé droit historique à la possession de l’eau de Gargalagna, raviver les querelles de clocher, n’est assurément pas la meilleure manière de mener les négociations. Il s’avère qu’à l’époque la commune d’Urtaca projette de refaire l’intégralité de son réseau d’eau qui est vétuste : Alimentation à partir de Gargalagna, nouveau réservoir et distribution. Puisque la ressource est suffisante, pourquoi ne pas brancher Lama sur ce dispositif ? Les conduites suivraient le chemin de liaison des deux villages. La proposition est faite. A dumanda e legge, a risposta e grazia (La demande est loi, est permise. La réponse est faveur). Nos sympathiques voisins finiront par consentir, en 1978, à nous céder 1 litre/seconde à la condition expresse que nous prenions à notre charge la moitié du coût du tronc commun Gargalagna-Urtaca réalisé avec une canalisation non plus en plastique mais en fonte ductile. S’ajoutait à cela le transfert Urtaca-Lama par le chemin de liaison des deux villages. Coût global prohibitif pour une ressource qui ne garantissait pas l’avenir : l’idée d’un projet commun avec Urtaca est abandonnée. Je m’adresse alors au Service Régional d’Aménagement des Eaux qui nous offre une campagne de forages, cinq précisément, à près de cent vingt mètres de profondeur, réalisés en contrebas du village. Aucun résultat. Il faut se rendre à l’évidence : Nous n’avons pas, sur notre territoire, une ressource exploitable. L’eau doit venir d’ailleurs. Il serait fastidieux de raconter en détail comment des démarches ininterrompues auprès des services de la SOMIVAC (l’ancien nom de l’Office d’Équipement Hydraulique de la Corse) vont enfin être couronnées de succès. J’en garde deux souvenirs particulièrement vivaces.

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Fin 1979 ou début 1980, je ne sais plus, un coup de téléphone me demande de passer d’urgence au siège de la SOMIVAC à Bastia. – Le Président veut vous voir. C’est très important, me dit-on. Cet après-midi-là, je ne peux rester assis à attendre qu’on veuille bien m’introduire dans le bureau du PDG. Pour calmer mon impatience, j’arpente le long couloir bordé de part et d’autre de bureaux identiques. On m’appelle enfin et me voilà dans le bureau de Monsieur Risterucci, le PDG de la SOMIVAC. Il fait impression le PDG. C’est un ancien gouverneur de la France d’Outre-mer. Costume trois pièces et cravate à col amidonné, l’air empesé et l’amabilité distante du haut fonctionnaire. Sa claudication, séquelle d’un accident de voiture, et la canne sur laquelle il s’appuie quand il se dirige vers son bureau lui confèrent encore plus d’autorité. Il est flanqué, pour me recevoir, d’un ingénieur qui s’appelle, si ma mémoire est bonne, Monsieur Boissonet. Le Président Risterucci va devenir en quelques minutes l’homme le plus sympathique et le PDG le plus compétent de la terre puisqu’il m’annonce la grande nouvelle que j’avais longtemps attendue, que je n’attendais plus. Le discours est en rapport avec le personnage. Pas de longs propos glaireux. Lui, c’est le patron, il donne courtoisement l’information brute. Un gros programme de travaux consistant à desservir Lama et les villages voisins à partir d’un captage dans la Tartagine est décidé. Pour le détail de l’opération, il passe le relais à son subalterne. Moi déjà je n’écoute plus. Je suis gagné par l’émotion. J’ai du mal à contenir mes larmes. Le PDG ne doit guère apprécier la sensiblerie. Alors je me retiens comme je peux. « Ce n’est pas moi qui pleure, ce sont mes yeux », comme disait Galinette dans Manon des Sources. Rendez-vous compte… mon village… enfin guéri de son infirmité… qui va pouvoir revivre… avec l’eau. Puis je tombe dans une joie extatique quand le subalterne, c’est-à-dire Monsieur Boissonet, après avoir déplié sur la table les grandes feuilles d’un dossier, détaille le programme sur lequel un de ses collègues, Monsieur Momus, planche déjà. Prise en rivière dans la Tartagine, station de pompage, quinze kilomètres de canalisations pour rejoindre Lama, une station de reprise à l’entrée du village, un réservoir de 170 m3. Le débit escompté étant largement supérieur aux besoins de ma

commune, on desservira au passage Petralba, ce qui permettra de justifier davantage un coût global des travaux évalué à près de six cents millions d’anciens francs. Très vite, l’émotion va céder la place à la fierté. Je rêve, je plane, je suis Dieu, j’ai la cheville qui enfle, je… je… je… je suis l’homme, le maire si vous préférez, qui a résolu le problème de l’eau. Maintenant, je vais pouvoir entrer dans Lama comme César Imperator entrait dans Rome. Pour cette arrivée triomphale, il me faut une mise en scène. Je téléphone à Jeannine, la secrétaire de mairie, et lui demande de convoquer le conseil municipal pour le samedi après-midi. – L’ordre du jour ? interroge-t-elle. – Pas d’ordre du jour. Dis-leur simplement que c’est très important et que leur présence est indispensable. – C’est grave ? Il y a un problème ? Jeannine est d’un naturel curieux, comme la plupart des femmes du village, mais elle n’en saura pas davantage. Je tiens à bénéficier pleinement de l’effet de surprise. Et j’imagine mes conseillers municipaux explosant de joie, me félicitant, m’embrassant, me couvrant de lauriers. Nous y voilà au samedi après-midi. La séance du conseil municipal était prévue à seize heures. Il est seize heures trente et je suis seul dans mon bureau à attendre. Les conseillers n’ont pas boycotté la réunion. Ils sont dehors, pas loin de la mairie. Je les vois de la fenêtre, les uns jouant à la pétanque devant la maison de Battìstu et les autres regardant jouer, assis sur la murette. Pourquoi ceux qui ne jouent pas rentreraient avant les autres puisque la séance débutera quand tout le monde sera là. Logique, non ? Apparemment, tous évitent de regarder vers la fenêtre. Si vous faites attendre, ne croisez jamais le regard de celui qui attend. Ça peut faire des étincelles. J’entends le choc et le roulement des boules sur le goudron de la route. Je me hasarde à appeler. – Aiò, é l’orà ! (Dépêchez-vous, c’est l’heure !) Ils me répondent gentiment que la partie est presque terminée, qu’ils n’en ont plus pour longtemps. J’attends… J’attends… À l’époque, je n’avais pas encore découvert dans nos archives municipales la délibération du 30 décembre 1838* qui dit que le Maire, un Saturnini, a attendu, faute de quorum, deux heures avant de se résoudre à lever la séance

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sans délibérer. Ce document m’aurait sans doute enclin à une plus grande patience. * L’an mil huit cent trente huit, le trente décembre, le conseil municipal de Lama, réuni extraordinairement avec avis écrit de la part du Maire, en vertu de la circulaire de Monsieur le Préfet, relativement à la formation de la liste des électeurs communaux pour l’an 1839, une telle convocation tendant à la désignation des trois conseillers municipaux en conformité de l’article 35 de la loi du 21 mars 1831. Le Maire a observé que la réunion du conseil était fixée à deux heures après midi, et qu’il est déjà quatre heures, sans que le conseil se trouve réuni en nombre suffisant pour délibérer ; que les membres présents sont M.M. Franzini Paul Antoine, Massiani Antoine, Morelli Dominique ; et que M.M. Ceccaldi Jean, Massiani Jean Benoît, Monti Jean Etienne, Massiani Laurent et Massiani Don Joseph ne se sont pas présentés, ni ont produit aucune excuse légitime. Ne pouvant pas procéder à la délibération dont est fait mention ci-dessus, nous avons dressé le présent procès verbal pour constater l’absence des membres du conseil précités, que les membres présents ont signé. La séance débute enfin avec une bonne heure de retard. Dans mon bureau, nous sommes serrés comme des anchois. J’ai du mal à entrer dans le vif du sujet car, si les conseillers sont physiquement présents, les esprits sont encore devant la maison de Battìstu où s’est jouée la partie de boules. J’apprends ainsi que les gagnants n’ont dû leur victoire qu’à un heureux coup de bouchon. Mais, Bon Dieu ! Vais-je enfin réussir à leur parler de l’eau ? Je détiens l’information du siècle, celle qui va changer la face de Lama. Je ne peux décemment pas la jeter en pâture à des joueurs de pétanque qui refusent d’entrer dans la peau de conseillers municipaux. Trêve de plaisanterie. O zitelli, avà bàsta ! (Les enfants, ça suffit !). On n’est pas là pour poursuivre la partie de boules. Chaque chose en son temps. Le silence s’installe enfin dans la salle. Pour annoncer la grande nouvelle, une certaine solennité s’impose. Je prends un ton sentencieux : – Je vous annonce qu’une page de l’histoire de Lama va bientôt tourner… Et les conseillers ont droit à la totale. Tout, je dis tout. Je reproduis intégralement ce qui m’a été donné d’apprendre dans le bureau du PDG de la SOMIVAC. Et puis j’attends.

Une de mes plus grandes désillusions, je l’ai vécue ce jour-là. Je vous jure que je n’ai vu aucun visage s’éclairer. Ils ne pouvaient pas rester muets comme des carpes. Alors ils ont dit quelques mots. L’affaire a été pliée en deux coups de cuillère à pot. Trois, plus précisément. Le premier intervenant s’est interrogé sur le début et la durée des travaux : – Da qui a tandu, éiu seradiu mortu (D’ici à ce que l’eau arrive, moi je serai mort). Le deuxième sur la qualité de l’eau : – E st’àcqua, serà bona ? (Cette eau, sera-t-elle bonne ?) Le troisième enfin, qui n’avait pas d’idée sur le sujet, proposa d’aller boire un pastis au bar… sur le compte des perdants à la partie de boules. En un quart d’heure, guère plus, on avait digéré l’information, les longues années de pénurie et les mois d’efforts pour obtenir ce résultat. Qu’on ne se méprenne point sur ma déconvenue. À l’époque, j’avais déjà, depuis longtemps, passé l’âge où l’on attend, quand on a bien travaillé, le bon point comme à l’école. Mais enfin, quelques encouragements, quelques paroles de satisfaction m’auraient fait plaisir. C’est humain, Bon Dieu ! Cette déconvenue ne sera que passagère. Le chantier s’est mis en place. La progression rapide des travaux balaie tous les scepticismes. Les canalisations montent déjà vers Lama où la construction du grand réservoir de 150 m3 près de l’ancien est terminée. Un surpresseur appelé aussi station de relevage implanté à l’entrée du village sur une parcelle communale permettra d’alimenter ledit réservoir. Enfin, enfin, c’est enfin l’arrivée de l’eau au village, fin août 1982. Les travaux sont terminés et les techniciens de la SOMIVAC m’ont annoncé que les pompes seront mises en fonctionnement dans la journée. L’eau devrait être à Lama en milieu d’après-midi. À l’entrée du village, nous sommes une bonne vingtaine, en compagnie des techniciens, pour assister à l’événement, voir couler le liquide salvateur qui vient de loin. La première eau qui lave les canalisations ne sera pas envoyée d’emblée dans le réservoir, on la fera d’abord couler à la borne à incendie posée juste à côté du surpresseur. L’ingénieur, Monsieur Inial, s’amuse avec notre impatience. Écoutez ! Écoutez ! nous dit-il, mettez votre oreille là, l’eau arrive. À tour de rôle, nous mettons l’oreille dans l’orifice de la borne à incendie et, effectivement,

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on perçoit d’étranges sonorités, des vibrations, de lointains gargouillements. L’eau monte vers le village en chassant l’air de la conduite en fonte. Après l’auscultation, chacun donne son diagnostic sur la distance. – Elle est au Furnellu (au four à chaux), dit l’un. – Elle est à la Sulana, dit l’autre. Les plus optimistes l’imaginent déjà à Santa Catalina. Ce jeu durera près de trois heures jusqu’au moment où, brusquement, une forte et désagréable odeur de gaz intestinal va envahir l’atmosphère. Et la conduite se met à vomir un liquide noirâtre

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et putride. Cet infâme dégueulis nous rend tous perplexes et suspicieux. C’est cette eau-là qu’on va boire ? Jamais de la vie. Monsieur Inial nous tranquillise : C’est normal. Je vous avais dit que la première eau lave les canalisations. Elle en lave quinze kilomètres. En effet, le liquide douteux semble progressivement se purifier et la confiance revient. L’eau n’était pas encore tout à fait claire quand nos trois cloches se mirent à sonner à toutes volées, faisant partout sortir les gens aux fenêtres et aux balcons. Il y eut même quelques salves de mousqueterie. La journée se termina par une bringue au bar « Chez Jul’s ».

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L’eau dans tous ses états

Le cycle de l’eau

Jean-Paul GIORGETTI

L

E CYCLE DE L’EAU décrit l’existence et le mouvement et le mouvement de l’eau sur, dans et au-dessus de la terre. L’eau de la terre est toujours en mouvement et change toujours d’état, du liquide à la vapeur à la glace et vice-versa ; le cycle de l’eau fonctionne depuis des millions d’année et toute la vie en dépend.

L’océan est un dépôt d’eau Environ 1 338 000 000 km3 de la fourniture totale mondiale est stockée dans les océans ; ceci représente 96,5 %. Les océans fournissent environs 90 % de l’eau évaporée qui entre dans le cycle de l’eau. La quantité d’eau dans les océans change sur de longues périodes. Lors de périodes climatiques plus froides se forment les calottes glaciaires et les glaciers, ce qui entraîne une diminution de l’eau dans les océans ; le contraire est vrai lors des périodes climatiques chaudes. Durant la dernière ère de glace, les océans étaient environ 122 m plus bas que le niveau actuel. Il y a trois millions d’années, alors que la Terre était plus chaude, les océans ont été plus élevés de 50 m. Autre phénomène, les courants dans les océans qui bougent des quantités massives d’eau. Ces mouvements ont une grande influence sur le cycle de l’eau et sur le climat. Le Gulf Stream est un courant d’eau chaude bien connu Strade, n° 19 – Juillet 2011, pp. 23-26

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dans l’Océan Atlantique qui va du golfe du Mexique jusqu’en Grande-Bretagne. Le Gulf Stream fait bouger 100 fois plus d’eau que toutes les rivières du globe à une allure de 97 km par jour. Il est la cause de temps doux en Europe occidentale comparé à d’autres à la même latitude. L’évaporation est le processus par lequel l’eau liquide se transforme en gaz ou en vapeur. Dans le cycle de l’eau, l’évaporation est la principale façon par laquelle l’eau liquide se transforme en vapeur d’eau dans l’atmosphère. Les océans, les mers, les lacs, les rivières fournissent approximativement 90 % de l’humidité dans notre atmosphère via l’évaporation. Les 10 % restant venant de la transpiration végétale. La chaleur fournie par le soleil est nécessaire à l’évaporation. L’énergie est utilisée pour défaire les molécules d’eau, ce qui provoque l’évaporation rapide au point d’ébullition (100° C) et une évaporation plus lente au point de congélation. Quand l’humidité de l’air est à 100 % (état de saturation) l’évaporation ne peut se faire. L’évaporation diminue la chaleur de l’environnement. C’est pour cela par exemple que, lorsqu’on transpire, l’eau qui s’évapore de son corps permet au corps de se rafraîchir. L’évaporation des océans est la façon première pour l’eau d’entrer dans l’atmosphère. Les grandes surfaces des océans (70 % de la terre) permettent l’évaporation à grande échelle. Sur une échelle globale, la quantité d’eau qui s’évapore est quasiment égale à la quantité qui retombe. L’évaporation est plus commune au-dessus des océans que les précipitations, alors qu’au-dessus des terres, les précipitations sont plus fréquentes que l’évaporation. Une fois évaporée, une molécule d’eau passe environ 10 jours dans l’air. L’atmosphère c’est un peu l’autoroute qui fait circuler l’eau autour du globe. Il y a toujours de l’eau dans l’atmosphère. La forme la plus visible est, bien sûr, le nuage. Mais même un ciel clair dégagé contient de l’eau. Il y a environ 12 900 km3 d’eau dans l’atmosphère. Si toute cette eau précipitait en même temps elle couvrirait la Terre d’une épaisseur de 2,5 cm. La condensation est le processus de transformation de la vapeur en eau liquide. La condensation est importante pour le cycle de l’eau puisqu’elle forme les nuages. Les nuages provoquent les précipitations qui sont la principale façon pour l’eau de retourner à

la terre. La condensation est le contraire de l’évaporation. La condensation est également responsable du brouillard, de la buée qui se forme sur les lunettes, de l’eau qui se forme sur l’intérieur des fenêtres lors d’une journée froide. Même dans un ciel bleu, l’eau est présente sous forme de vapeur ou de gouttelettes trop petites pour être vues. Les molécules d’eau se lient avec de fines particules de poussières, de sel et de fumée pour former les gouttelettes de pluie, lesquelles forment les nuages. Comme les gouttelettes s’accumulent, elles grossissent puis précipitent. Les nuages se forment dans l’atmosphère parce que les vapeurs que contient l’air s’élèvent et se refroidissent. Le soleil réchauffe l’air près de la surface de la Terre, l’air devient plus léger et s’élève vers les températures plus froides. La condensation se produit et les nuages se forment.

Les précipitations C’est la libération de l’eau des nuages sous forme de pluie, de neige, de grêle. C’est le principal chemin qu’utilise l’eau de l’atmosphère pour retourner à la Terre. La majorité se fait sous forme de pluie. Les nuages supérieurs contiennent de la vapeur et des gouttelettes qui sont trop petites pour provoquer une précipitation, mais suffisamment grandes pour former des nuages visibles. L’eau s’évapore et se condense continuellement dans le ciel. La plupart de l’eau condensée dans les nuages ne tombent pas en précipitations à cause des couches de l’atmosphère qui supportent les nuages. Il faut que les gouttelettes soient assez grosses pour qu’elles puissent tomber du nuage. Pour produire une goutte de pluie, il faut plusieurs millions de gouttelettes. Les précipitations ne se produisent pas en quantité égale à travers le monde, dans un pays ou même dans une ville. Un orage peut donner de très grandes quantités d’eau dans un temps très court dans une vallée et ne pas affecter la vallée voisine. Le record mondial de la moyenne annuelle se situe à Hawaï (Mont Waialeale – 1 140 cm en contraste avec Arica au Chili où aucune précipitation n’est tombée depuis 14 ans). Sur la carte les zones en vert clair sont considérées comme les déserts : Le Sahara, mais également le Groenland et l’Antarctique. L’eau stockée pour de longues périodes dans les glaces, la neige et les glaciers fait partie du cycle de l’eau. 90 % de la masse glaciaire de la Terre se

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Le cycle de l’eau

trouve en Antarctique, alors que la calotte glaciaire du Groenland contient 10 % de la masse glaciaire globale totale. Dans le Groenland, la masse glaciaire est évaluée à environ 1 500 m en moyenne et peut aller jusqu’à 4 300 m d’épaisseur. La glace et les glaciers vont et viennent et changent tout le temps. Il y a eu beaucoup de périodes chaudes, comme du temps des dinosaures (100 millions d’années) et aussi beaucoup de périodes froides, comme la dernière ère glaciaire, il y a 20 000 ans. Durant cette période, l’hémisphère Nord était quasiment recouvert de glace. Quelques données : – les glaciers recouvrent 10 % de la terre ; – si tous les glaciers fondaient en même temps le niveau des océans augmenterait de 70 m ; – durant la dernière période chaude (12 500 ans) le niveau des mers était supérieur à celui d’aujourd’hui de 5,5 m.

Répartition annuelle des pluies en Corse

La répartition globale de l’eau : Sur 1 386 000 000 km3 d’eau sur la Terre, environ 97 % est saline, 3 % d’eau douce dont 68 % se trouvent dans les glaces et les glaciers et 30 % dans le sol. Les sources d’eau douce de surface, comme les rivières et les lacs, totalisent 93 100 km3 soit 1 150 d’un pourcent de la quantité totale de l’eau et c’est la plus grande part de la ressource utilisée par les hommes. La vie peut se développer dans le désert s’il existe une source d’eau superficielle (ou souterraine). L’eau de surface maintient réellement la vie. L’eau douce qui se déverse dans les océans permet également de maintenir un taux viable de salinité pour la vie des poissons. L’eau douce c’est 3 % de l’eau sur Terre. Et 20 % de cette eau douce se trouvent dans un seul lac, le lac Baïkal en Asie et encore autant dans les grands lacs (Huron, Michigan aux États-Unis). Les rivières représentent 0,006 % de la quantité d’eau douce.

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L’eau dans tous ses états

La biodiversité des eaux douces de Corse

Antoine ORSINI

E

N 1985, LES BIOLOGISTES AMÉRICAINS W.G. Rosen

et E. O. Wilson sont les premiers chercheurs à utiliser le terme de biodiversité. Cette notion, ainsi que celle de développement durable, sont largement utilisées au Sommet de la Terre de Rio en 1992. Le concept de biodiversité englobe : (i) la diversité génétique, (ii) la diversité des espèces et (iii) la diversité des écosystèmes. Plus globalement, on considère la biodiversité comme la diversité de la vie sur la Terre. Robert Barbault, scientifique du Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris propose une définition très personnelle et originale : « La biodiversité, c’est le passage du concept de l’Homme et la Nature à celui de l’Homme dans la Nature à tous égards, pour le meilleur et pour le pire. »

La faune aquatique de Corse La faune des eaux douces de Corse présente deux particularités : (i) la présence de nombreuses lacunes faunistiques et (ii) un taux d’endémisme élevé. Les lacunes faunistiques chez les poissons La faune piscicole de France métropolitaine comprend 69 espèces auxquelles il faut ajouter 26 espèces introduites. La région Rhône-Alpes compte 50 espèces de poissons. En Corse, seules quatre espèces sont présentes naturellement dans les eaux douces ; il faut signaler la présence de 20 espèces introduites. Les lacunes faunistiques chez les amphibiens La France métropolitaine compte 39 espèces d’amphibiens, les Alpes 21 espèces, les Pyrénées 18 espèces. Les eaux douces de Corse ne comptent que 7 espèces. Strade, n° 19 – Juillet 2011, pp. 27-30

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Les lacunes faunistiques chez les invertébrés Les communautés d’invertébrés aquatiques des Alpes comptent environ 2 200 espèces. Plus de mille espèces ont été inventoriées dans les eaux douces des Pyrénées. La Corse ne compte que 550 espèces d’invertébrés aquatiques. Il existe aussi de nombreuses lacunes dans la faune terrestre

Dans le cours inférieur des rivières, les poissons marins sont fréquents, citons l’alose feinte (Alosa fallax), l’athérine (Atherina boyeri), le loup (Dicentrarchus labrax), le mulet doré (Liza aurata) et le mulet à tête plate (Mugil cephalus). Le peuplement piscicole des eaux douces de Corse est marqué par la présence de 20 espèces introduites. La gambusie (Gambusia holbrooki) a été introduite en 1924 dans le cadre de la lutte antipaludéenne (Figure 1).

On note en effet l’absence, en Corse, de la Pie, de la Vipère, du Chamois, de l’Isard, du Bouquetin, du Chevreuil, de l’Écureuil, du Blaireau, de la Marmotte, du Loup, de l’Ours, du Lynx, etc. Une faune très originale marquée par un taux d’endémisme élevé Chez les poissons, la souche endémique de Salmo trutta macrostigma a fait l’objet d’un programme de sauvegarde dans le cadre de crédits européens LIFE. Le taux d’endémisme est particulièrement élevé chez les amphibiens, en effet, sur les sept espèces présentes en Corse, six sont endémiques (85,7 %). L’endémisme est également marqué dans les peuplements d’invertébrés aquatiques. Sur les 550 espèces inventoriées en Corse, 189 sont endémiques (35 %) : 98 endémiques corses et 47 endémiques corso-sardes. Dans le cours supérieur des rivières et dans les sources, le taux d’endémisme atteint 60 %. Ces particularités de la faune des eaux douces de Corse trouvent leur explication dans l’histoire géologique de la Corse. Le bloc corso-sarde a subi une dérive et une rotation de l’Oligocène au Miocène. En effet, la Corse et la Sardaigne se détachent du continent il y a 30 millions d’années puis subissent une rotation il y a 20 millions d’années. Ces deux îles présentent aujourd’hui une faune relictuelle vieille de 30 millions d’années, le bloc corso-sarde s’étant comporté comme une arche de Noé emportant avec elle une faune (et une flore) européenne aujourd’hui disparue du continent. La biodiversité des eaux douces de Corse Chez les poissons, quatre espèces dulçaquicoles fréquentent les cours d’eau et les lacs : la truite (Salmo trutta macrostigma), l’anguille (Anguilla anguilla), la blennie fluviatile (Salaria fluviatilis) et l’épinoche (Gasterosteus aculeatus).

Avant l’ouverture de la pêche, les cours d’eau de Corse font régulièrement l’objet d’un empoissonnement à partir de truite arc-en-ciel (Oncorhynchus mykiss). L’omble (ou saumon) de fontaine (Salvelinus fontinalis) a été introduit dans les lacs de montagne dans les années 70. L’inondation d’une pisciculture située sur les berges de la Gravona a entraîné la libération, dans ce cours d’eau, de nombreux esturgeons communs (Acipenser sturio) qui se sont par la suite acclimatés. Mais ce sont les plans d’eau artificiels qui présentent le nombre le plus élevé d’espèces introduites comme le brochet (Esox lucius), le silure glane (Silurus glanis), la carpe (Cyprinus carpio), le gardon (Rutilus rutilus), le vairon (Phoxinus phoxinus), le goujon (Gobio gobio), le rotengle (Scardinius erythrophtalmus), le sandre (Sander lucioperca), la tanche (Tinca tinca), la perche (Perca fluviatilis), le black-bass (Micropterus salmoides), le cyprin (Carassius carassius), le carassin doré (Carassius auratus), le chevaine (Leuciscus cephalus), la grémille (Gymnocephalus cernuus), le poisson-chat (Ictalurus punctatus). Chez les amphibiens Le discoglosse corse (Discoglossus montalentii), l’euprocte de Corse (Euproctus montanus) et la

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La Biodiversité des eaux douces de Corse

salamandre de Corse (Salamandra corsica) sont des espèces endémiques de Corse. La rainette sarde (Hyla sarda) fréquente les eaux douces de Corse, de Sardaigne et de l’Archipel toscan. Le crapaud vert (Bufo viridis ou balearicus) a été inventorié uniquement en Corse, aux Baléares et en Italie du sud. Le discoglosse sarde (Discoglossus sardus) est un endémique tyrrhénien.

Chez les Plécoptères, neuf espèces endémiques ont été inventoriées, Protonemura corsicana (Figure 4) est une espèce endémique corse.

Chez les invertébrés Le peuplement d’invertébrés aquatiques est essentiellement représenté par des larves d’insectes. Les ordres dominants sont les Trichoptères, les Ephéméroptères, les Plécoptères, les Coléoptères et les Diptères. Le peuplement trichoptérologique comprend 33 espèces endémiques. Les amateurs de pêche en rivière connaissent bien le porte-bois Allogamus corsicus (Figure 2), un insecte Trichoptère endémique (Corse-Sardaigne-Italie) qui fréquente les zones d’eaux calmes.

Ecdyonurus corsicus (Figure 5) est un insecte Ephéméroptère endémique corse qui présente des adaptations anatomiques à la vitesse du courant. En effet, cette larve aplatie dorsoventralement, est munie de griffes qui permettent de résister aux courants les plus violents. Ce groupe faunistique comprend neuf espèces endémiques.

Les eaux impétueuses des rivières de Corse sont l’habitat privilégié d’Hydropsyche cyrnotica (Figure 3), un insecte trichoptère endémique corse.

Les Coléoptères et les Diptères sont des insectes bien représentés dans la faune des eaux douces de Corse ; ces deux groupes comptent respectivement 44 et 33 espèces endémiques. Mais le peuplement aquatique est représenté par de nombreux invertébrés autres que des insectes. La figure 6 présente un gordien (Gordionus cyrnensis), invertébré parasite endémique à la Corse. Chez les vers plats, les Planaires comptent 3 espèces endémiques.

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